Bonjour, nous sommes le 29/04/2025 et il est 08 h 03.

 

 

 

 

LES FLUX MIGRATOIRES DANS LA REGION DE GRANDS LACS AFRICAINS POST-CONFLITS : DE L’APPLICABILITE DES PRINCIPES DE L’INTANGIBILITE DES FRONTIERES INTERNATIONALES ET DE LA NON-INTERVENTION DANS LES AFFAIRES INTERIEURES D’UN ETAT FACE AU DROIT HUMANITAIRE

 


INTRODUCTION GENERALE

 

1. PRESENTATION DE LA RECHERCHE

 

Tout comme partout ailleurs, après les conflits et guerres dans certains pays africains, les populations sont les principales victimes des conséquences y afférentes et sont contraints de se déplacer en vue de se mettre à l’abri des affres de la guerre.

 

Cependant, lors de ces mouvements (immigrations, migrations, déplacements internes, etc.), plusieurs problèmes relatives à la survie se posent et la plupart d’entre eux sont résolus dans le cadre du droit humanitaire et d’autres se heurtent aux principes fondamentaux des relations interétatiques, notamment le principe de l’intangibilité des frontières internationales et celui de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un Etat.

 

L’idée centrale est que les Etats-membres de la Conférence sur la Région des Grands Lacs Africains ont connus presque tous des conflits à répétition. Ceux-ci impactaient négativement les autres pays voisins. Dans la recherche des solutions durables, ces Etats se regroupèrent au sein de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, CIRGL en sigle, afin de bien gérer la période post-conflit, issue ou découlant de ce qu’ils ont trouvé comme résolutions conséquemment aux conflits survenus jadis, mais qui ressurgissaient. Or, chaque Etat vit sa période « post-conflit », différemment des autres. Cependant, le dénominateur commun à tous est que, chacun subi ou subissait les conséquences des conflits des autres pendant et après les pconflits. Ce qui constitue d’ailleurs un majeur soubassement à la récurrence de conflits dans la sous-région.

 

La première partie expliquera comment ces Etats se comportent-ils. Pour ce faire, on étudiera le cas spécifique de chaque pays, la CIRGL sera décortiquée dans ce cadre définitionel des concepts opératoires. On verra d’abord l’Etat en conflit, l’historique, l’aboutissement et les conséquences des conflits, la situation après le conflit, avec les flux migratoires.

 

Ensuite, le cadre théorique interviendra avec, une alliance, dans ce travail, des théories des relations internationales,  des théories migratoires et celles de l’humanitaire. Il s’agira du transnationalisme, du fonctionnalisme et du  régionalisme. Nous recherherons à dégager cet enchevrêtement .C’est dans ce cadre, que nous nous appesantirons sur l’analyse de l’application du droit humanitaire lors des flux migratoires, sur l’impact de ces derniers dans l’Etat d’acceuil, dans la sous region, dans la region, au regard de la souveraineté internationale des Etats. C’est à ce stade que nous énoncerons « la théorie du transnationalisme-fonctionaliste par la regionalisation des flux migratoires et le droit humanitaire ».

 

Ainsi, cette opérationalisation des concepts cles nous éclairera pour la démonstration de l’idée centrale de la deuxième partie qui suivra et qui  concernera  la co-gestion post-conflictuelle des conséquences des guerres et plus spécifiquement La gestion des flux migratoires en politique et relations internationales, que nous avons résumé en termes de régionalisation des flux migratoires face au droit humanitaire et la souveraineté des Etats.

 

Enfin, la troisième partie relative à la gestion des flux migratoires en Afrique post-conflit, abordera la validation de l’intervention de la communauté internationale et sur la démonstration du  fait que la théorie de l’Etat souverain, malgré les pouvoirs regaliens de ce dernier, fléchit cependant face au droit humanitaire et face aux principes chers des relations inter-étatiques (le principe de l’intangibilité des frontières internationales et celui de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un Etat).

 

En effet, à cause de la cession d’une portion de ses prérogatives, découlant de  son appartenance au sein des regroupements internationaux (sur les plans  sous-regional, régional et mondial), la brèche est ouverte avec plusieurs équations dont :

 

1.    Le problème de déplacement massif des populations ( migrations massives vers d’autres pays) ;

2.   Problème de retour massif des réfugiés après guerre ;

3.   Problème du traitement des migrants et déplacés dans le milieu d’accueil ;

4.   Des contraintes dans la gestion de la politique migratoire ;

5.   Le respect des accords internationaux conclus par les différents Etats au sein des regroupements régionaux, sous-régionaux et mondial.

 

Ceci s’effectue en marge du  droit des peuples à disposer d’eux-mêmes impliquant ainsi la souveraineté des Etats. En effet, lors de situations exceptionnelles, extraordinaires comme en cas des conflits, et suite aux motifs ou raisons d’ordre humanitaire, dans le cadre des droits de l’homme, la communauté internationale intervient dans un Etat en évoquant comme motif, le « droit d’ingérence humanitaire ».

 

Dans notre étude, la spécificité c’est que dans le cadre de la Région des Grands Lacs, ces Etats sont post-conflits, cependant l’on constate et l’on observe une ingérence humanitaire. Nous aimerions en connaitre la justification et etablir un parallélisme entre conflit, post-conflit, droits des personnes et/ou droit d’ingérence humanitaire .

 

2. PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE

 

Notre souci dans la présente étude serait celui de rechercher et comprendre :

 

a)   Comment analyser la problématique des flux migratoires dans les Etats Africains post-conflits et quels enjeux représentent, à ce jour, ces mouvements des populations, dans la politique internationale ?

b)  Quels sont les différents mécanismes établis en droit international en général et particulièrement en droit international humanitaire pour la protection des populations ?

c)   Quelles seraient la responsabilité des acteurs étatiques et le comportement des organismes internationaux concernant l’application des principes de non-ingérence et de la souveraineté des Etats face aux flux migratoires ?

 

3. HYPOTHESES 

 

En guise d’hypothèses, nous débuterons par la première reponse plausible et je pense qu’il serait opportun de présenter d’abord le contexte politique des différents conflits et leur impact pour bien cerner la quintessence de déplacements de populations et ensuite essayer de spécifier les différentes sortes de déplacements de populations qui sont l’émanation de la souffrance et la quête de survie. Nous tacherons aussi dans la mesure du possible de dégager les statistiques et pouvoir faire des projections dans l’avenir en vue de pallier aux conséquences y afférentes.

 

Comme hypothèse subsidiaire à la première hypothèse, nous pensons que l’importance de ces mouvements de populations en politique internationale, demeure de taille dans la mesure où les mouvements massifs ou flux de population s'ajoutent toujours aux tensions économiques et sociales, aux questions ethniques et aux problèmes de gouvernance. Les experts du GIEC estiment que la chute de la production agricole sur le continent africain se produira aux environs de 2020.

 

Tous les pays seront concernés par la réduction des surfaces cultivées et par la généralisation de la malnutrition, et beaucoup d'entre eux par la montée du niveau de la mer. La désertification entraînera des crises sociales et politiques. Or celles-ci interviendront dans des pays faibles, comme la Somalie, en proie à des guerres civiles, comme le Soudan, ou devant déjà affronter une crise de réfugiés, comme le Tchad. L’Afrique de la Region des Grands Lacs n’en sera certainement pas epargnée.

 

Parmi les grands problèmes politiques internationaux contemporains, l’on compte le rechauffement climatique dont les conséquences  peuvent être dans un premier temps moderées, cependant, l'arrivée massive de réfugiés peut entraîner une baisse des capacités des pays développés à gouverner. Selon les experts, un réfugié sur deux sera un réfugié climatique dans trente ans Ces mouvements massifs des populations d’un pays vers un autre constituent des flux.

 

Aujourd’hui, les flux migratoires sont encore une réalité mondiale, un phénomène toujours croissant, entrainant des conséquences diverses pour la communauté internationale.

 

Pour appréhender la complexité des phénomènes migratoires, il faut analyser les causes à l’origine des flux. Il s’agit :

 

1)   De la pauvreté et l’absence des perspectives économiques, les disparités qui en découlent en termes de manque d’emplois et de protection sociale ;

2)  De l’absence de bonne gouvernance et la dictature ;

3)  Des violations des droits de l’homme et les discriminations dans les pays d’origines des migrants ;

4)  Les conflits armés, et

5)  Les catastrophes naturelles.

 

Concernant la deuxième hypothèse sur la question de  la réglementation internationale en la matière, plusieurs instruments juridiques internationaux existent et sont assistées aussi par les instances judiciaires internationales, régionales et sous-régionales. Il existe même des organisations qui s’occupent de ces questions comme le H.C.R (le Haut-Commissariat de Réfugiés), l’O.I.M. (l’Organisation Internationale des Migrations), La commission internationale des Nations unies pour les droits de l’homme etc. ... En cas de crime contre l’humanité, la Cour Pénale Internationale peut aussi agir.

 

L’hypothèse subsidiaire à cette deuxième hypothèse serait le fait que malgré  l’établissement de ce cadre institutionnel international sur cette scène de la vie internationale, qui est régit par le droit international,l’on observe, cependant, une certaine réticence de la part des acteurs étatiques qui, au nom de la souveraineté des états,  contestent énergiquement certains rapports que ces organismes attitrés présentent. D’autres Etats refusent au jour d’aujourd’hui de signer le traité de Rome concernant la C.P.I. alors qu’ils détiennent le droit de veto au sein du conseil de sécurité de nations unies.

 

Certains Etats refuseraient même de l’aide humanitaire en avançant comme motif que les agents humanitaires complotaient avec leurs ennemies pour les attaquer sous « la couverture  humanitaire ».

 

Avec une telle attitude, la responsabilité aussi bien des états que des organismes internationaux est mise en cause, alors que cette question demeure vitale pour le peuple du monde et des africains en particulier.

 

En effet, conformement à l’intitulé de la recherche, nous allons plus visiter le cadre institutionnel de la gestion  de la politique migratoire en afrique subsaharienne et plus spécifiquement, celle des pays membres de la C.I.R.G.L.

 

4. CHOIX ET INTERET DU SUJET

 

L’intérêt de ce sujet est manifeste dans la mesure où les flux migratoires dans la region des grands lacs africains constituent une clé de voûte à la question de la paix et sécurité internationale, concommitamment à celle des droits de l’homme.

 

En effet, les déplacements massifs des populations impliquent souvent des violations graves et à une large échelle des droits de la personne. Face à de telles violations, nul ne saurait aujourd'hui s'abriter juridiquement derrière le principe de non-intervention dans les affaires qui relèvent de la juridiction interne des États. Il reste néanmoins à établir les contours juridiques des éventuelles réactions unilatérales et collectives des États et des organisations internationales.

 

Si jusqu'à ce jour, le débat portait sur le droit d'ingérence, afin d'acheminer l'aide humanitaire a des populations en détresse sans le consentement de l'État concerné, la discussion porte maintenant sur l'emploi de la force comme moyen de mettre fin à de telles violations.

 

Dans les années 1980, entre autres dans un ouvrage coécrit avec le professeur Mario Bettati, Bernard Kouchner théorise le « devoir d'ingérence », ou obligation, selon lui, pour les États qui le peuvent, principalement les démocraties occidentales, d'intervenir, pour raison humanitaire, dans tout État où la population souffre et où les droits de l'homme, considérés dans cette optique comme universels, seraient bafoués. Il s'agit d'une extension, du concept de droit d'ingérence (le droit est transformé en devoir moral) qui est parfois invoqué, mais se heurte, d'un point de vue juridique, au principe de souveraineté des États, garanti par la Charte de l'Organisation des Nations unies.

 

Cette contradiction paradigmique a suscité en nous un interêt  majeur dans le choix de cette recherche dans la mesure où ce « devoir » est fortement critiqué comme étant un possible « néo-impérialisme », notamment par Jean-Pierre Chevènement qui argumente qu'on ne voit jamais le faible s'ingérer chez le fort mais toujours le fort chez le faible.

 

L’intérêt scientifique reside  d’une part, du fait que cette étude fait partie de l’analyse des grands problèmes politiques internationaux contemporains. Ayant trait au système international, elle permettra eventuellement à enrichir la littérature classique sur toute modification et et transformation de ce système.  

 

D'autre part,elle s’inscrit dans le domaine de l’application des règles du droit international. Car la connaissances des actions et reactions sur la question de l'emploi de la force dans les relations internationales, et  celle de la réponse à donner.

 

L’autre interêt majeur est cette contribution dans le nouveau paradigme migratoire qui est « la mondialisation des flux migratoires », notre apport est celle de la regionalisation des flux migratoires qui viennent changer fondamentalement la donne concernant les roles des migrations  dans les sociètés actuelles, mieux dans le système international actuel.

 

Le défi dans ce domaine migratoire, selon les conclusions des textes fondateurs des théories migratoires, reste d’expliquer les tendances actuelles qui consisterait à inclure dans les paramètres de politique internationale ,ceux du droit international et des droits humanitaire, ce dont nous attellons dans cette recherche.

 

5. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

 

5.1. Méthodes de travail

 

Nous allons recourir à la méthode historique dans un premier temps pour saisir la sociologie des conflits qui sont à la base de déplacements des populations à l’aide de deux approches que sont la diachronie et la genèse qui consiste à remonter jusqu’aux origines des faits pour en identifier les causes profondes. Le suivie de l’évolution des événements dans le temps et dans l’espace s’effectuera quand à lui par la diachronie à cause du dynamisme des faits sociaux comme facteur explicatif des éléments déterminants du changement post-conflictuel.

 

Deuxièmement, nous allons recourir à la méthode dialectique. Cette dernière nous aidera à analyser les contradictions qui sous-tendent le droit international et les droits internes. Elle nous permettra de faire une lecture de différentes attitudes des différents acteurs internationaux vis-à-vis du droit humanitaire, du droit des déplacés de guerres par rapport aux réactions des nations au nom de la souveraineté étatique.

 

La dialectique aidera également à éclairer la façon dont le déplacement de populations est conçu au niveau mondial et comment s’effectue cette nouvelle gouvernance mondiale à travers le déplacement des populations. Cette méthode nous conduira à l’apréhension des contradictions existants entre le neolibéralisme qui faisait la promotion de la libre circulation des biens et services et du capital humain soit-il et le nouveau modele protectioniste qui parle de la gestion migratoire axée sur la flexibilité et la circularité (déplacement temporaire ou à court terme).

 

La méthode structuro-fonctionnaliste nous aidera à cerner les différentes structures et fonctionnement des organisations internationales impliquées dans la gestion des populations déplacées et celles qui interviennent pour la gestion de la paix et sécurité dans le monde, dans ce secteur précis pour nos données en matière de déplacement des populations. Celles - ci pourront nous aider pour faire des projections fiables en vue d’obtenir des conclusions objectives pour  parler enfin  en termes de résultats vérifiables.

 

5.2. Techniques utilisées

 

Dans le cadre de notre investigation, nous considérons la technique comme un outil de collecte des données pour la réalisation d’un travail scientifique. De ce fait, elle est considérée comme étant une opération pratique à exploiter pouvant aussi emmener vers une combinaison des techniques que nous pouvons citer :

 

A)  La technique documentaire :

 

Nous allons exploiter les données ouvrages, des travaux scientifiques, articles de revues, des thèses de doctorat, des mémoires de DEA, ainsi que de données recueillies sur la toile électronique (Internet).

 

   B) La technique audio-visuel ou cinématographique :

 

L’apport de cette technique nous sera très déterminant dans la systématisation des données édifiantes qui enrichiront ce travail  dans la mesure où le contexte de cette étude cadre avec les faits empiriques du vécu quasi quotidien à travers des nombreuses émissions radiotélévisées aussi bien nationales qu’internationales.

 

6. DELIMITATION DU TRAVAIL         

 

a) Délimitation temporelle :

 

Notre recherche part de 1994 jusqu’en 2018. La première borne de 1994 cadre avec les premiers mouvements de populations avant, pendant et après le génocide rwandais qui a suscité un flux des réfugiés dans la plupart des états de la région des grands lacs africains. 2018 marque l’année où s’effectue des grandes opérations de déplacement des populations dans les états post-conflits africains en marge des missions de l’ONU y affectées et établies.  Au cours de cette même année, se tient la grande Conférence humanitaire mondiale à Genève sur la RDC, qui à son tour refuse d’y prendre part.

 

b) Délimitation spatiale :

 

Cette étude est axée premièrement sur Les pays membres de la CIRGL d’une manière spécifique et deuxièmement sur l’ONU d’une façon globale.

 

7. REVUE DE LA LITTERATURE

 

Dr Amondir Gnanguenon[1] a écrit un article « l’Afrique centrale au croisement de tensions politiques et sécuritaires récurrentes ». Cette étude propose un tour d’horizon des problématiques liées à l’Afrique centrale.

 

Deuxièmement, il n’a pas eu vocation à traiter de tous les pays de l’Afrique centrale et de l’ensemble des questions de sécurité. Cet article ne traite que dans différents points de vue, ceux de chercheurs, militaires et des praticiens qui ont fait le choix de revenir plus spécifiquement sur certains défis sécuritaires en lien avec leur domaine de spécialité.

 

Nous avons constaté qu’en introduisant cette étude, l’auteur présente l’Afrique centrale comme étant en proie aux mêmes défis politiques et sécuritaires que le reste du continent.

 

En effet, la gestion des conflits liée au croisement des dimensions multiples (sociale, politique, économique, sanitaire et environnemental), soulève certaines interrogations au regard de sa déclinaison aux niveaux national, régional et continental.

 

Sur le plan national, l’armée, subordonnée au pouvoir politique, comme un outil militaire, est censée avoir pour missions principales la sécurisation du territoire et la protection des populations. Cependant depuis les indépendances, les régimes en place, se méfient des militaires et surtout quand eux-mêmes ont conquit l’Etat par le recours à la force. Ainsi, ils préfèrent s’entourer d’armées sous-équipées, mal payées, mal formées, et donc démotivées. Malgré un tel choix, les menaces contre le pouvoir politique n’ont pas diminués.

 

Au contraire, l’absence des armées fortes, a été compensée, dans certaines régions périphériques, par une prolifération d’acteurs s’imposant par la violence et tentant régulièrement leur chance pour s’emparer des privilèges du pouvoir central. C’est le cas par exemple du Seleka en Centrafrique et du M23 en RDC.

 

Dans cet environnement d’insécurité, les missions d’interposition et de consolidation de la paix (MICOPAX en Centrafrique) et (MONUSCO en RDC) des Nations Unies, se transforment en suppléants des armées. L’efficacité de ces opérations est dès lors moins soumise à la signature des accords de paix entre les Etats qu’aux reconfigurations d’alliances entre les groupes locaux et les acteurs militarisés.

 

Au Cameroun, la politique actuelle est jeune et éduquée et le régime a tort de parler sur son éternelle résilience. Face à la montée des menaces aux frontières, le Cameroun ne peut plus se payer le luxe d’un flou politique et d’une fragilité institutionnelle, si le gouvernement n’entreprend pas les reformes politiques et institutionnelles susmentionnées, la République Camerounaise ne pourra pas résister à une transition imprévue. Dans le contexte où les forces de sécurité sont mobilisées par les menaces aux frontières, où les institutions sont faibles et où le mécontentement est latent, une lutte de succession mal gérée pourrait entrainer le Cameroun dans une dynamique de conflits. Une crise politique interne aura des répercussions dommageables dans la sous-région de l’Afrique centrale, en créant un axe d’instabilité du Nord-Est du Nigeria, au Soudan du Sud, en passant par la Centrafrique[2].

 

En République Centrafricaine, pendant que la communauté internationale a les yeux braqués sur Bangui, la capitale, une grande partie du conflit Centrafricain se joue aujourd’hui ailleurs, dans la profondeur rurale du pays. Outre les affrontements entre miliciens anti-Balaka et l’ex-Seleka, les zones rurales sont surtout le théâtre d’une confrontation autour de la richesse des pauvres : le bétail.

 

Ce conflit dans le conflit est particulièrement difficile car il oppose des communautés qui préexistent à la crise. Ceux qui sont actuellement au chevet de la Centrafrique doivent comprendre qu’au delà des jeux politiques et sécuritaires du microcosme de la capitale, le conflit centrafricain prend la forme d’une guérilla rurale qui doit urgemment être prise en compte dans leur stratégie de sortie de crise[3].

 

Sonia, Le Gouriellec[4] s’est efforcée d’analyser les ressorts d’une équation sécuritaire qui peut paraître insoluble : le régionalisme est-il aujourd’hui un pré requis à l’émergence d’une paix régionale ?

 

Pour répondre à cette question, Sonia a cherché à comprendre quels rôles jouent les processus sécuritaires régionaux (régionalisation et régionalisme) dans la construction des Etats de la corne de l’Afrique, en étudiant les interactions entre le régionalisme, fondement de l’architecture de paix et de sécurité continentale, la régionalisation des conflits, qui semble à l’œuvre dans cette région et les processus de construction/formation de l’Etat. Les rapports entre les trois termes de l’équation dépendent du contexte et des interactions entre les différentes entités composant la région dont : les Etats, les acteurs non Etatiques qui se redressent contre eux en négociant avec eux et les autres acteurs extérieurs.

 

Nous observons que deux types de dynamiques sont mis en évidence au terme de cette étude : l’une endogène et l’autre exogène.

 

Dans la partie endogène, nous constatons qu’elle montre que les conflits participent à la formation de l’Etat. Ils sont en grande partie des conflits internes qui montrent qu’il existe une crise dans l’Etat.

 

Ces Etats dominent le processus de régionalisme qui tente de réguler la conflictualité régionale avec un succès relatif puisque les organisations régionales cherchent à renforcer ou reconstruire l’Etat selon les critères idéalisés de l’Etat wébérien, vu comme source de stabilité.

 

Le processus exogène se caractérise par le rôle de conflits régionaux dont l’existence sert de justificatif au développement et au renforcement du régionalisme, perçu comme la réponse la plus appropriée à ces problèmes de conflictualités. Celle-ci est perçue comme faible. Le régionalisme permettrait de renforcer les Etats et diminuerait leurs velléités de faire la guerre.

 

Roger Nsibula[5], en parlant du conflit de la Région des Grands Lacs, a plus stigmatisé, parmi les causes des conflits, « la dynamique transfrontalière mal organisée ou insuffisamment exploitée ».

 

Au niveau régional, certains espaces géographiques composés de deux ou trois Etats (Exemple : Rwanda, RDC et autres Bassins Transfrontaliers de Développement économique et intégration régionale, BTD), concept développé par la CIRGL. Dans le cadre du programme Paix et Sécurité et Développement économique.

 

Concernant les implications sociales et économiques, on retrouve la dégradation des infrastructures et la destruction des outils de production.

 

Concernant les implications sociales, on a la dévalorisation de la vie humaine : massacres généralisées, violences sexuelles, victimisation des personnes vulnérables (femmes et enfants) ; des refugiés et des personnes déplacées internes sont privés des droits élémentaires et humains.

 

Ces données des violences extrêmes se traduisent par des bilans de massacres de plus de 5 millions de morts en RDC, de 300.000 morts au Burundi et 800.000 massacrés lors du génocide au Rwanda.

 

C’est à ce stade que notre étude intervient à propos de ces déplacements massifs de populations. Notre étude interviendra avec les questions humanitaires et sociales car les crises ont été accompagnées des déplacements massifs des populations. Nous tacherons de rechercher ce que la CIRGL, entant qu’organisation sous-régionale, a mis en place comme mécanisme de protection de ces personnes déplacées, avec bien entendu le concours d’autres organismes internationaux. Ainsi évoluer avec l’étude sous l’angle du transnationalisme et analyser la question dans un cadre des relations internationales.

 

La spécificité de notre étude sera de faire ressortir, d’une part, les différents mécanismes établis en relations internationales pour les Etats concernant la gestion des flux des populations au-delà des frontières nationales, ceci en marge des conventions internationales ou dans le cadre du droit humanitaire. D’autre part, d’exposer comment les organismes humanitaires ou d’autres Etats s’ingèrent dans les Etats dits souverains au nom du droit humanitaire, en dépit des principes régissant les relations inter-étatiques.

 

En parlant des migrations en Afrique centrale, a spécifié que la migration est un phénomène marginal dans cette région d’Afrique. Or, les guerres et autres troubles politiques qui s’y déroulent poussent les populations à se déplacer à l’intérieur de leurs pays par milliers ou millions, ou à se réfugier dans des pays voisins ou lointains.

 

Ces migrants vivent des drames dans leur nouveaux pays d’immigration. Certains en sont refoulés et rapatriés dans leurs pays d’origine dans des conditions les plus inhumaines qui soient.

 

Ce type des migrations est qualifié d’exutoire démographique pour certains pays surpeuplés. En effet, l’Afrique centrale comprend en son sein des nains, un géant avec 2.345.000 km² de superficie, alors que le Gabon n’en a que 267.000 km². L’autre caractéristique de la région est la forte inégalité des densités nationales. Certains en ont de très faibles et de vastes étendues de terre non exploitées, alors que d’autres par contre n’en ont pas suffisamment et sont surpeuplés. Ces déséquilibres exposent à des migrations des populations et à des conflits dans les milieux de destination notamment pour l’accès au sol.

 

Le professeur Lututala Mumpasi[6] a démontré, quant à lui, l’importance des migrations internes et leur interrelation avec les migrations internationales. L’examen de l’immigration des pays de l’Afrique centrale en commençant par les échanges migratoires entre les pays de la région et tous les enjeux qui y sont liés : problème de refoulement des migrants, des réfugiés, et le cas particulier et inquiétant de la Région des Grands Lacs.

 

Partant de son approche de démographe, nous nous aborderons le contexte géopolitique et géostratégique des migrations dans la Région des Grands Lacs, où le Rwanda et le Burundi ainsi que la RDC jouent un grand rôle.

 

Tous ces Etats de la Région des Grands Lacs appartiennent à trois ensembles historico-politiques : les anciennes colonies françaises (Cameroun, Congo, Gabon, RCA), les colonies belges (RDC et quelque peu le Rwanda et le Burundi) et la colonie portugaise (Angola). Ceci a des conséquences sur l’histoire migratoire de chaque sous-ensemble et sur l’orientation des flux migratoires internationaux.

 

Luc Cambrez[7], dans son article, explique comment, contrairement au schéma classique qui consiste à endiguer les mouvements de réfugiés en les regroupant dans les camps dits « camps de réfugiés », le gouvernement ougandais a fait le choix d’ouvrir des colonies agricoles pour les victimes de la guerre civile au Soudan. Après une analyse de cette expérience dans les deux principales zones d’accueil (Rhino camp et district d’Adjumani), il apparaît que l’objectif recherché par le gouvernement était avant tout une opération d’aménagement et de développement du territoire avec l’appui et les moyens et l’appui de l’aide humanitaire internationale et de ce point de vue la réussite semble totale.

 

L’auteur s’interrogeait si cette réussite survivra-t-elle au rapatriement programmé des réfugiés car ce fut dans une région peu peuplée et isolée de l’Ouganda et dans ce contexte, la question du développement dont les réfugiés sont le fer de lance, est indissociable de celle due aux dynamiques de peuplement et de densités de populations. Mais au delà, le choix des lieux et de modalités de l’assistance humanitaire montre que l’aide aux exilés, dans sa dimension territoriale, indissociable d’une réflexion sur la géopolitique de l’accueil des réfugiés.

 

Luc Cambrez a tablé sur l’Ouganda et le Soudan, nous nous ciblons la Région des Grands Lacs dans son ensemble pour une réflexion sur la géopolitique de l’accueil des réfugiés en abordant les flux migratoires dans cet espace de post-conflictualité avec cette idée du transnationalisme, malgré les principes chers aux relations interétatiques  d’intangibilité internationale des frontières et de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat.

 

Ce recoupement avec mon sujet demeure la fréquence des interventions internationales dans le cadre des conflits locaux suscitant le défi de l’accueil des réfugiés et ses conséquences sur le contrôle du territoire, sur le plan économique, identitaire et environnemental, ainsi que l’autre grand défi fondamental de la géopolitique de l’asile, impliquant les différentes alternatives à l’accueil des réfugiés.

 

M. Bettati, explique le droit d’ingérence comme une expression pleine d’ambigüité parmi les expressions les plus discutées en droit international.

 

Pour lui, c’est le contre-pied du principe expressément mentionné dans la charte des Nations-Unies de 1945, « le principe de non ingérence », dans son article 2 § qui stipule qu’aucune disposition de la présente charte n’autorise les Nations-Unies, à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat n’oblige les membres à soumettre les affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente charte.

 

Ainsi, pour lui, l’ingérence constitue pour lui « l’immixtion sans titre, d’un Etat ou d’une organisation intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d’un Etat tiers »[8].

 

Nous épousons l’avis de M. Bettati, en effectuant cependant un dépassement avec un petit virage dans notre recherche sur le droit humanitaire avec cette connotation d’ingérence humanitaire pour faire ressortir l’applicabilité ou la difficulté de l’applicabilité de ce principe de la souveraineté des Etats dans la Région des Grands Lacs, à l’issue des conflits qui ont engendré des sérieux problèmes de déplacement des populations, suscitant des graves conséquences sécuritaires, frontaliers et humanitaires nécessitant l’intervention avec ses différentes facettes que les Etats de la région n’arrivent pas à gérer seuls. D’où le régionalisme, le transnationalisme, face ou à côté de l’aide humanitaire, parfois de l’ingérence humanitaire, à cause des défis des droits humains pour certains cas comme les génocides etc.

 

Par contre, le professeur P. Verhoeven explique dans son ouvrage de droit international public que l’ingérence constitue « l’immixtion sans titre, d’un Etat ou d’une organisation intergouvernementale, dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d’un Etat tiers »[9].

 

Selon lui, le droit international veut sauvegarder la libre décision de l’Etat dans les matières qui l’intéresse directement qu’elle soit l’objet des règles internationales impliquant des droits vis-à-vis d’autres Etats. C’est son autonomie contre toute ingérence qui est protégée et c’est l’expression d’un droit reconnu par l’ordre international.

 

De ce point de vue, la non-intervention n’exprime pas autre chose que le « droit des Etats à disposer d’eux-mêmes ».

 

Le professeur Kabuya Lumuna a premièrement parlé de la confrontation des valeurs démocratique et républicaine face aux contingences et aux contextes de leur champs d’application. Il s’agit :

 

-    De la culture des peuples, régimes politiques du pouvoir exercé, des formes de contestation par les peuples gouvernés et les issues observées.

-    Les défis historiques, institutionnels et fonctionnels.

  

Deuxièment, il a expliqué la porté éclectique de son argumentation basée sur la totalité des faits relatifs à la démocratie congolaise avec trois phases majeures :

 

-    Le combat pour l’indépendance ;

-    Le combat contre les deux dictatures de Mobutu et de l’AFDL ;

-    Le combat en cours pour la pérénnisation des acquis démocratiques actuels.

 

Troisièmement, il a mené ses reflexions en terme de différents déterminants politiques de ces trois différentes phases ci-haut citées, concernant la part des peuples, celui des gouvernants et des partis politiques, en terme d’amélioration éventuelle.

 

Quatrièmement, il pose la problématique des crises politiques en RDC, causées pas :

 

-    La faible représentativité des acteurs politiques et leurs formations politiques ;

-    La majorité au pouvoir et l’opposition

-    Les lourdeurs et brèches des textes constitutionnels conçus comme des projets de réforme de l’Etat (code du pouvoir public) ;

-    Le mauvais fonctionnement des institutions politiques et la récurrences des crises suivies des dialogues de légitimation.

 

Il conclus enfin, en mettant l’accent sur le débat contradictoire et la complémentarité sur le plan scientifique, politique, économique et celui de la recherche scientifique.

 

Pour lui, tous ces éléments ci-haut évoqués sont des solutions pour empêcher le recours à d’autres méthodes en déhors des institutions visant à rechercher les solutions aux crises politiques.

 

 

 

 

Ière Partie :

APPROCHE THÉORIQUE

 


Chapitre I :

DÉFINITIONS DE CONCEPTS CLÉS ET CONTOUR DE LA THÉMATIQUE

 

Section 1. DEFINITION DES CONCEPTS CLES

 

1. Définitions et concepts de base

 

1.1. Délimitation du concept de migration

 

Les termes « déplacement », « migration » sont utilisés pour définir la mobilité d'une population, qu'elle soit professionnelle, spatiale, etc. Précisons que l'on s'intéresse ici à la mobilité géographique ou  spatiale  d'une  population[10].

 

Le mouvement d'une population dans l'espace est un  phénomène très divers : la distance parcourue à l'occasion de  déplacements peut aller de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres et le séjour au lieu de destination peut-être de quelques heures ou de plusieurs années. Il est  donc  nécessaire de  distinguer :

 

a) Les déplacements effectués à l'occasion des activités de la vie quotidienne :

 

-  les navettes entre  le  lieu  de résidence  et  le  lieu  de  travail,

-  les courses (shopping),

-  les visites (même de  plusieurs jours),

-  les voyages d'affaires ou d'agrément,

-  les vacances,

 

La connaissance de ces mouvements est primordiale pour :

 

-  les études d'aménagement urbain,

-  la rationalisation des transports en commun,

-  la localisation des points de vente,

-  les prévisions de transports pour les départs de fêtes ou de vacances,

-  l'aménagement des lieux éventuels de vacances, etc., importance économique considérable.

 

b)  Les déplacements qui entraînent un séjour prolongé ou définitif au lieu  de destination (c'est de cette catégorie que l'on extrait l'étude  des migrations) :

 

D'une manière générale, on peut donc distinguer :

 

1)   les déplacements temporaires ou de gravitation (on emploie également  le  terme circulaire).

2)  les déplacements définitifs ou d'expansion.

 

Les migrations peuvent se définir comme un ensemble de déplacements ayant pour effet de transférer la résidence des intéressés  d'un certain lieu d'origine ou lieu de départ à un certain lieu de destination ou lieu d'arrivée[11].

 

La migration se caractérise donc essentiellement par le fait qu'elle entraîne un changement de domicile ou de lieu de résidence  habituelle et  que  la vie  reprend dans  un lieu  nouveau ou différent.

 

Le concept de migration ainsi défini exclut donc d'autres types de mobilité spatiale qui sont quelque fois appelés également « migrations ». Ainsi,

 

-  le  nomadisme : mouvements de groupes de  population n'ayant  pas de résidence  fixe.

-  Les Mouvements saisonniers : personnes résidant dans deux ou plusieurs lieux différents au cours de l'année.

 

Malgré cette notion restrictive, des problèmes conceptuels et  méthodologiques demeurent. Si l'on s'en tient à cette définition, le  changement de logement dans la même ville, ou même dans le quartier, serait  une migration. D'où, la nécessité d'utiliser d'autres critères.

 

1.1.1.  DE LA NOTION DE DEPLACEMENT A LA NOTION DE MIGRATION

 

A. Distance

 

On considère comme migrations les seuls déplacements d'une « distance  minimale raisonnable ». En fait, ce  critère  dépend  du  champ de  l'étude.  Dans les grandes métropoles, on pourrait considérer qu'il n'y a pas migration  lorsque  la  personne quitte  la  périphérie pour le centre de la ville (à moins que l'étude porte effectivement sur ces mouvements interurbains), alors que la distance peut-être plus importante que  celle parcourue  par le paysan qui vient habiter la petite ville  proche.

 

La notion de distance minimale est donc toute relative et dépend du  contexte. Le  plus  souvent,  sur  la  base  de  données  de  recensements  ou  d'enquêtes,  la  migration  désigne  le changement  de  résidence  qui  s'opère  d'une division  administrative à une  autre.  Le  volume de  la  migration est  dans  ce  cas  fonction  de  la  dimension  des  zones  choisies  pour  le  rassemblement  des  données  et  du  découpage  du  territoire[12].

 

Un  certain  nombre  de  méthodes sont  actuellement  mises au  point  pour éliminer  l'effet  de  découpage  du  territoire sur les migrations mesurées[13].

 

B.  Durée de déplacement

 

Le concept  de  durée  minimale de séjour est  obligatoirement  rattaché  à d'autres variables telles l'intention de  la  personne à vouloir se  fixer  ici ou  ailleurs,  la  cause de déplacement,  et d'une  manière générale, le milieu socio-économique et national considéré.

 

Ces notions sont très variables suivant  les  pays,  les  milieux.  La durée  sera  ici de quatre mois,  là de six mois  ou  d'une année.  D'une  manière générale on retient dans les recensements comme migrante toute personne venue résider dans une nouvelle circonscription de  recensement  si  elle  est  venue  s'y  établir depuis six  mois  ou  plus,  ou  si  elle  a  l'intention de s'y installer définitivement. Néanmoins, subsiste le  problème des individus qui retournent  périodiquement  chez eux.

 

C. Résidence

 

La définition de la migration fait intervenir ce concept, puisqu'elle résulte d'un changement de résidence. En fait la notion recouvre des réalités diverses. Suivant la définition (stricte ou large) de la résidence, les résultats d'une étude sur la migration risquent d'être fort différents (en particulier en Afrique). Il importe donc de fixer au préalable des critères de  résidence qui situent l'individu sans ambiguïté.

 

Ainsi,  Roussel[14]  différencie  la  résidence de  droit  avec  la  présomption de résidence et introduit le concept de situation de résidence  intermédiaire  permettant  de  distinguer  les  citadins  de plein  droit  et  les citadins virtuels,  c'est-à-dire  les personnes qui ont  une  probabilité plus ou moins grande de s'installer définitivement (dans le cas d'un  déplacement  temporaire,  cette  probabilité est  nulle).

 

D. Causes de la migration

 

Les critères de résidence, de durée, de distance ne permettant pas de déceler en toute rigueur les déplacements définitifs et  les déplacements temporaires, on est donc amené à faire  intervenir un autre critère, plus subjectif : la raison de migration. C'est bien souvent la combinaison de l'ensemble des critères qui seule permet d'aboutir sans ambiguïté  à cette  distinction.

 

Notons, en effet, que certaines situations particulières obligent l'individu  à  être  absent  un  temps déterminé  (scolarité,  service  militaire,  maladie,  prison...) sans que  son  intention  soit de  quitter définitivement  son  lieu  d'origine. Par ailleurs on  élimine  la confusion  qu'il pourrait y avoir entre migration et mouvements saisonniers, notamment lorsque la  période de  référence est  courte[15].

 

1.1.2. DE LA NOTION DU FLUX MIGRATOIRES

 

Les migrations internationales sont l’un des phénomènes sociaux les plus constants qui existent depuis longtemps mais soulèvent aujourd’hui des nouvelles préoccupations induites par des perceptions différentes de la réalité.

 

Jadis, il existait deux courants des flux migratoires : celui de la libre circulation d’européens qui jouèrent un rôle important dans la convergence économique de certaines régions de l’ancien et nouveau mondes. L’autre mouvement des asiatiques vers les régions tropicales.

 

Leurs déplacements, souvent forcés, ont fini par aggraver les déséquilibres socio-économiques massifs à l’échelle internationale. Ces mouvements massifs des populations d’un pays vers un autre constituent des flux.

 

Aujourd’hui, les flux migratoires sont encore une réalité mondiale, un phénomène toujours croissant, entrainant des conséquences diverses pour la communauté internationale.

 

Pour appréhender la complexité des phénomènes migratoires, il faut analyser les causes à l’origine des flux. Il s’agit :

 

6)  De la pauvreté et l’absence des perspectives économiques, les disparités qui en découlent en termes de manque d’emplois et de protection sociale.

7)  De l’absence de bonne gouvernance et la dictature.

8)  Des violations des droits de l’homme et les discriminations dans les pays d’origines des migrants.

9)  Les conflits armés, et

10)               Les catastrophes naturelles.

 

Concernant la définition proprement dite, le terme « migrant » n’a pas reçu une définition internationalement reconnue, ni consensuelle répondant de façon satisfaisante aux différents contextes variés dans lesquels ce mot est employé.

 

Les Nations-Unies, par souci d’homogénéité, proposent que :

 

-      Le migrant à long terme : soit défini à des fins statistiques, comme une personne s’installant dans un pays autre que le pays de résidence habituelle pour une période d’au moins 12 mois, de sorte que le pays hôte devienne effectivement son nouveau pays de résidence habituelle.

-      Le migrant à court terme : se définit comme celui à long terme, à la différence de la durée de 3 à 12 mois, compte non tenu des voyages à des fins de vacances, des visites à des amis ou des parents, des voyages d’affaires, de traitement médical ou de pèlerinages religieux.

 

1.1.3. TERMINOLOGIE DES MIGRATIONS INTERNES

 

A. Période de référence

 

Ø Migrations pendant une période donnée par deux dates fixes (par exemple période intercensitaire ou période entre la date de l'enquête et  une  date  liée  à un  événement antérieur naturel ou  politique).

Ø Migrations pendant  une  période donnée  par une date fixe  et  une date antérieure liée à un événement de  la  vie  du  migrant  (par  exemple,  une  migration  antérieure,  la  date  de  naissance,  la  date du mariage ou la date de libération des obligations militaires, etc.).

 

B.  Migrants et migrations

 

Ø Migration : déplacement d'une zone de référence à une autre.

Ø Migrant : qui, à deux dates données, a un lieu de résidence différent. Le dictionnaire multilingue de l'ONU donne comme  définition : « personne  ayant  transféré  son  lieu  de  résidence au  moins  une  fois  au  cours de  la période  de  référence ».  Mais avec cette définition un migrant n'est pas forcément décelé par une  question du recensement sur le lieu de résidence à une date  ultérieure.

 

Dans  un   cas,   le   concept   est   lié  à  l'événement,  dans  le  second  à  l'individu. Sur une période définie, le nombre de migrations sera supérieur ou égal au nombre de migrants. En effet, certains  migrants se seront déplacés plusieurs fois et auront effectué plusieurs migrations. Le  nombre d'événements est nécessairement égal ou supérieur au nombre   d'individus  auxquels  ils  se  rapportent.

 

Dans le cas d'une étude des déplacements successifs sur une période donnée, les migrations d'un rang « n » correspondent bien entendu au nombre de personnes qui ont effectué la nième migration. Les données sur le rang sont cependant très rares et l'on se contente le plus souvent d'observations sur la dernière migration où l'on retrouve la  correspondance entre migrations et migrants.

 

C. Lieu d'origine (ou de départ),  lieu  de  destination (ou d'arrivée)

 

Pour  les  migrations,  le  lieu  d'origine  est  le  lieu  à partir duquel  se  fait  le  déplacement,  et  le  lieu  de destination  est  le  lieu  où  le  déplacement  prend  fin. Tandis que pour  les  migrants,  le  lieu  d'origine  dépend  du  nombre  de  migrations  que  le  migrant  a  effectuées.

 

Chronologiquement, on pourrait considérer le lieu de naissance  comme  le  lieu  d'origine,  puis  envisager comme  lieu de départ les résidences successives de l'individu. Tout dépend donc de la longueur de la période de référence et des données disponibles. Le lieu de destination est celui de la dernière migration.

 

 

D. Migration interne, externe, internationale

 

Ø Interne ou intérieure : le lieu d'origine et le lieu de destination appartiennent au territoire considéré.

Ø Externe ou extérieure : le lieu d'origine et le lieu de destination se trouvent, l'un compris à l'intérieur, l'autre situé à l'extérieur du territoire considéré.

 

Il importe que dans chaque cas, la notion de territoire soit correctement  définie.

 

Au  sens  large,  le  territoire  peut  correspondre  à  celui  d'une  région,  d'une  zone  ou  d'une  ethnie  (le territoire  peut  dans  ce  cas  recouvrir des parties ou la totalité de plusieurs pays).  Au  sens strict  le territoire correspond à celui d'un  état  souverain.  Ici on emploiera de préférence le terme de migration Internationale plutôt que celui de migration externe.

 

E.  Emigration - Immigration

 

Ø Emigration : la migration est une émigration lorsque le déplacement  correspond à une sortie pour le territoire considéré et à un départ pour le migrant.

Ø Immigration : le déplacement correspond à une entrée pour le territoire considéré et à une arrivée pour le migrant.

 

F.  Migration individuelle, collective, ménage, familiale

 

Ø La migration individuelle est le fait d'individus qui se déplacent  isolément ; elle est spontanée (volontaire ou encore active) dès lors qu'elle  s'effectue  sur l'initiative des migrants eux-mêmes.

Ø La migration collective intéresse le déplacement de groupe d'individus[16],  ou  de  familles  ou  de ménages.

 

Ce concept semble avoir une plus grande importance pour l'étude des migrations internes en Afrique dans la mesure où la notion de famille au sens large, de communautés ethniques ou villageoises y est encore très vivace. Cette migration est plus ou  moins organisée.  Parmi les individus concernés on peut distinguer ceux qui sont  à l'initiative du  mouvement et ceux  qui  suivent.  On  parlera de  migration  active  ou  volontaire  pour les uns,  de  migration  passive  ou  secondaire  pour les autres (femmes et enfants du chef de ménage par exemple)[17].

 

Une  certaine  confusion  peut  exister  du  fait  de  l'emploi  des  termes  « émigré »  et  « immigré » qui  désignent  une  personne  qui  a  effectué  un  déplacement  alors  que  « émigrant »  et  « immigrant »  désignent des personnes qui effectuent un déplacement. Par ailleurs,  émigré et immigré ont pris un sens historique  avec les grandes migrations internationales de  la  fin  du  XIXème et du début du  XXème siècles.

 

Notons simplement que les termes « émigré » et « immigré » s'emploieront  plus  aisément  lorsqu'il  s'agit de  migrations anciennes par opposition aux migrations récentes où  la terminologie à employer  sera  plus naturellement  « émigrant »  et  « immigrant ».

 


G. Courants migratoires (flux d'entrées, flux de sorties)

 

Les courants migratoires est le nombre total de déplacements effectués pendant une période donnée d'une région (i) vers une région (j), ou  de  (j)  vers  (i). Dans  la  pratique,  le  terme  désigne  l'ensemble des migrants venant d'un lieu d'origine commun (i) et allant vers un lieu de destination commun (j) ou  réciproquement.

 

H. Migration brute, migration nette

 

La migration brute concerne tous les déplacements ou tous les migrants. Tandis que la migration nette exprime la balance (ou le solde) des mouvements en sens inverse. C'est un nombre algébrique qui est donc affecté d'un signe positif ou négatif. Pour une région déterminée, elle résulte de la différence entre les entrées et les sorties :

 

-   Si les entrées sont supérieures (>) aux sorties, il s’agit des entrées nettes dans la région d'immigration ;

-   si les sorties sont supérieures (>) aux entrées, il s’agira des sorties nettes dans la région d'émigration.

 

En général, on affecte aux « entrées nettes » le signe positif et aux « sorties nettes » le signe négatif. On parle ainsi de solde ou de  balance  migratoire  positive  (entrées > sorties)  et  de  solde  migratoire  négatif (entrées < sorties), ou encore d'immigration nette et d'émigration  nette.

 

Les mouvements de sens inverse aux courants migratoires dominants peuvent résulter du retour d'anciens migrants  à  leur  lieu  d'origine. On parle alors de migration de retour, (notion  particulièrement importante pour l'étude des migrations internes en Afrique). Si les  pouvoirs publics sont les organisateurs de ces mouvements, on parle alors de rapatriement.

 

Au préalable de toutes études sur les migrations il convient de préciser les termes et les concepts employés et de rechercher des définitions qui  aient à la fois une valeur comparative et un sens réel  pour le pays étudié. Il importe ainsi que l'accent soit mis sur les critères de résidence. Une personne dite de passage ici, peut très bien être une  personne  ayant  la  caractéristique de migrant là.

 

Une fois le champ de l'étude délimité, il reste à savoir quels critères ont été employés pour définir la migration.  On  a  vu  que  l'on  ne peut définir avec précision le déplacement qu'a posteriori. Il est commode dans ce contexte de distinguer la migration des groupes et  la migration individuelle. Une fois le caractère du déplacement défini sans ambiguïté, on peut utiliser une typologie simple des déplacements  définitifs.

 

1.2. Le transnationalisme

 

Le transnationalisme est un concept qui englobe en effet plusieurs recherches en relations internationales des années 1960-1970, qui sont critiques au paradigme réaliste.

 

Selon certains auteurs, l’introduction du vocabulaire transnationaliste a réellement révolutionné le champ des études migratoires et ethniques internationales. Selon d’autres spécialistes, il ne s’agit là que d’un terme neuf qui renvoie à une réalité qui ne l’est absolument pas, les migrations étant par essence transnationales.

 

1.2.1. CE QUE C’EST LE TRANSNATIONALISME

 

Certains auteurs prétendent que la mondialisation économique aurait été à la base de l’émergence de nouveaux schémas migratoires qui se différencieraient fondamentalement des schémas d’immigration traditionnels comme le système des travailleurs invités ou encore de la migration en chaîne. Dans l’économie mondialisée, il serait devenu de plus en plus difficile d’identifier et de distinguer des pays fournisseurs d’immigrés et des pays receveurs d’immigrés. La plupart des pays seraient en quelque sorte devenus à la fois l’un et l’autre à l’image de ces pays africains qui voient émigrer une partie importante de leurs ressortissants tout en devenant la terre d’accueil d’immigrés en provenance des pays voisins. En Europe, les pays méditerranéens historiquement terres d’exode sont aujourd’hui devenus des pays d’immigration[18].

 

Par ailleurs, il serait devenu de plus en plus difficile de reconstruire le parcours et les itinéraires complexes qu’empruntent les migrants d’aujourd’hui donnant ainsi forme à des flux migratoires multidirectionnels. D’une manière simpliste, on pourrait dire que les migrations contemporaines ne seraient plus des processus impliquant aussi clairement qu’auparavant un point de départ A et un point d’arrivée B, avec dans un certain nombre de cas, un retour définitif des migrants au point A et dans la majorité des cas, leur installation définitive au point B. Les schémas migratoires dans cette ère de mondialisation impliqueraient en réalité plusieurs points A, B, C, D, E, etc. entre lesquels les migrants circuleraient sans que l’on ne puisse plus identifier leur point de départ (notamment pour ceux d’entre eux qui voyagent sans papiers) ni leur point final d’arrivée.

 

Certains auteurs prétendent par ailleurs que ces nouveaux schémas migratoires résultants de la mondialisation conduiraient à l’émergence de nouveaux mécanismes de construction communautaire. Ils expliqueraient l’essor de nouvelles formes d’identités collectives déterritorialisées, la montée de nouvelles formes d’appartenances caractéristiques des communautés formées par les «nouveaux migrants». Ces nouveaux développements sont bien capturés par les expressions de communautés transnationales, de membership postnational (Soysal 1994) et de nouveau cosmopolitisme qui fleurissent dans la littérature contemporaine sur les migrations et la citoyenneté.

 

Dans les processus migratoires traditionnels, certaines communautés de migrants s’efforçaient de préserver leur identité ethnique liée au pays d’origine en vue notamment d’un retour au pays que l’écoulement du temps rendait toutefois de plus en plus improbable. Il n’empêche qu’elles cultivaient pendant parfois plusieurs décennies un véritable mythe du retour. D’autres, ou les mêmes communautés à d’autres moments de leur évolution, choisissaient plutôt l’assimilation rapide dans la nouvelle société dont elles adoptaient l’identité nationale et la culture. Toute la littérature sur les migrations et les relations ethniques traite en réalité de ces processus de changement identitaire et culturel. Tout se passait comme si les migrants étaient momentanément face à un choix, certes sous des contraintes variables, entre un nombre limité d’options ethniques (Waters 1990). S’ils pouvaient hésiter un certain temps, au bout du compte, ce choix identitaire et culturel était attendu d’eux : ils devaient appartenir soit à la société de départ, soit à la société d’arrivée[19].

 

Dans les processus migratoires contemporains, les choses seraient différentes. Les nouvelles communautés migrantes de l’ère de la mondialisation seraient composées de citoyens du monde. Ces derniers se seraient détachés des liens ethniques et nationaux traditionnels pour embrasser des identités post-ethniques et post-nationales. Ils formeraient maintenant des communautés transnationales caractérisées par des formes nouvelles d’appartenances et d’identités beaucoup plus flexibles et circonstancielles que les formes traditionnelles (Cohen 1997). De plus, les États affaiblis ne seraient plus en mesure de leur imposer un choix identitaire.

 

Le concept de transnationalisme dans le champ des migrations a été introduit par un groupe d’anthropologues américaines en 1992, Nina Glick Schiller, Linda Basch et Cristina Blanc-Szanton. Avec la publication de leur livre Towards a Transnational Perspective on Migration, elles ont réellement donné le coup d’envoi de nouvelles discussions et d’un vif débat toujours en cours sur le transnationalisme dans les études migratoires et ethniques.

 

Dans leur ouvrage publié en 1994, Jean-Michel Lafleur et al  présentent la définition suivante du transnationalisme : « Nous définissons le transnationalisme comme les procédés par lesquels les migrants forgent et maintiennent des relations sociales multiples et créent de la sorte des liens entre la société d’origine et la société où ils s’installent. Nous appelons ces procédés ‘transnationalisme’ pour insister sur le fait que de nombreux immigrés construisent aujourd’hui des sphères sociales qui traversent les frontières géographiques, culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du transnationalisme est la multiplicité des participations des immigrés transnationaux (transmigrants) à la fois dans le pays d’accueil et d’origine »[20].

 

Depuis lors, le nombre de définitions et de conceptions du transnationalisme n’a cessé de croître tant et si bien qu’il n’est guère aisé de savoir au bout du compte exactement de quoi on parle lorsqu’on utilise ce terme. Afin de clarifier le débat, on peut établir une distinction entre trois niveaux de compréhension du transnationalisme : les pratiques transnationales, le transnationalisme comme nouvelle condition et, le transnationalisme comme nouvelle perspective de recherche et nouvelle discipline académique.

 

1.2.2. LES PRATIQUES TRANSNATIONALES

 

Il appartient à Alejandro Portes et ses collaborateurs d’avoir tenté de mettre de l’ordre et d’établir des critères clairs permettant de parler de pratique transnationale. Ainsi, selon cet auteur, trois conditions sont indispensables pour qualifier une pratique de transnationale :

 

-  En premier lieu, une telle pratique doit concerner une proportion significative de personnes tant dans le pays d’origine que dans le pays d’installation des migrants.

-  En second lieu, cette pratique doit être stable et durable et non pas exceptionnelle et éphémère.

-  En troisième lieu, le contenu de cette pratique ou de cette activité ne doit pas être saisi par des concepts préexistants. La présence physique du migrant dans les 2 espaces ou pays ne fait donc pas partie des conditions évoquées par Portes. On a coutume de distinguer entre les pratiques transnationales économiques, politiques, socioculturelles et religieuses. Mais une même pratique peut à la fois avoir plusieurs aspects.

 

1.2.3. LE TRANSNATIONALISME COMME NOUVELLE CONDITION

 

A un niveau d’abstraction plus élevé, ces pratiques transnationales révèlent un changement crucial qu’aurait provoqué la mondialisation, c’est-à-dire le passage chez beaucoup de gens qu’une condition nationale à une condition transnationale. Jusqu’il y a peu de temps, l’immense majorité des gens vivait toute leur vie dans le pays et la ville qui les avaient vus naître, à l’exception éventuelle des vacances. Leur cadre de référence exclusif était leur société nationale, leur Etat-nation.

 

Les migrants constituaient une anomalie. Aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont celles et ceux qui vivent une condition transnationale. Ils ou elles parlent plusieurs langues, ont deux ou plusieurs résidences dans plusieurs pays, ils exercent des activités  dans ceux-ci presque simultanément. Bref, ils vivent à la fois dans deux ou plusieurs pays. Peur eux, les frontières nationales étriquées sont de fait dépassées. Ce passage de la condition nationale à la condition transnationale s’explique- rait par l’explosion des technologies de la communication, la multiplication des moyens de voyager et la réduction tendancielle des coûts des voyages.

 

1.2.4. LE TRANSNATIONALISME COMME NOUVELLE PERSPECTIVE DE RECHERCHE ET NOUVELLE DISCIPLINE ACADEMIQUE

 

Enfin, certains voient dans le transnationalisme une nouvelle perspective de recherche dans le champ des migrations, voire une nouvelle discipline académique. Il s’agirait d’une optique analytique particulière permettant de rendre compte des nouvelles formes de mobilité des personnes et d’expliquer comment les migrants se construisent une vie dans plusieurs espaces nationaux sans devoir faire un choix entre l’un ou l’autre.

 

Selon que l’on envisage le transnationalisme dans l’une ou l’autre de ces trois dimensions, les conséquences en termes d’orientation des recherches seront différentes. Dans tous les cas, mieux vaut ne pas les confondre.

 

1.3. Conséquences diplomatiques

 

En vue de donner à ce groupe de termes un sens qui lui vaut, il nous paraît utile de le dissocier. Ainsi, nous aurons en présence les termes « conséquence » et « diplomatie ».

 

Selon Le Petit Larousse illustré, le terme « conséquence » veut dire une suite logique entraînée par un fait qui en est la cause. Exemple, le chômage est la conséquence de la crise[21].

 

Quant au terme « diplomatie », Le Petit Larousse illustré le définie comme habileté, tact dans les relations avec autrui[22].

 

Dans le cadre de ce travail, nous pouvons dire, que les conséquences diplomatiques sont un ensemble logique des tacts et habileté dans les relations avec deux ou plusieurs Etats, suite à un conflit.

 

1.4. Conflit, Guerre, Crise

 

1.4.1. CONFLIT

 

Le concept de conflit est récent par rapport à celui de la guerre. Il apparaît dans le vocabulaire de relations internationales vers la fin des années 50. C’est une notion très vague et polysémique qui mérite d’être bien cerné de prime à bord[23].

 

En effet, du point de vue terminologique, plusieurs semblent équivaloir au concept de conflit. On parle ainsi de litiges, de différends, de crises, de tensions, d’antagonismes, des luttes armées et même de compétition[24], pour exprimer la même notion.

 

Etymologiquement, le terme conflit vient du latin « conflictus » qui signifie le choc, le contrat, la lutte, l’antagonisme des intérêts ou du pouvoir[25].

 

Le Professeur Labana Lasay’Abar écrit que « le conflit est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction de thèse juridique ou d’intérêt entre les personnes, dans le cadre des relations internationales, les acteurs du système international »[26].

 

Certains termes sont difficilement séparables. Toutefois citant Alain Tourain, Joseph Lunanga fait une différence entre crise et conflit qu’il est souvent difficile de les séparer à l’intérieur d’un même événement, mais il est indispensable de les séparer. La crise ne peut être résolue que par un appel à cohérence du système culturel et social, et renvoie toujours à un déséquilibre dans le conflit, tandis que le conflit relève par contre des contradictions structurelles.

 

D’après certains auteurs dont G. Simmel[27], le conflit se présente comme un élément de régulation et d’intégration sociale, c’est-à-dire que le conflit apparaît comme une situation anti-sociale par excellence qui, pourtant est nécessaire pour la cohésion des sociétés.

 

Cette analyse rejoint Pierre Claver Mupendana qui voit également dans le conflit un vecteur positif, qui ne joue plus uniquement le rôle destructeur que nous lui connaissons. Il renforce à la fois l’identité du groupe et la cohésion du groupe, rapproche les adversaires, maintient l’équilibre du pouvoir et conduit enfin à un changement ou à un mouvement social[28].

 

Ce qui est intéressant à retenir, ce que le concept de conflit est susceptible de s’appliquer à l’ensemble des relations internationales quels que soient les éléments qui composent la société internationale. C’est dans ces conditions que, de facto, nous envisageons dans le présent travail utiliser le mot conflit dans un sens général pour y inclure des phénomènes très divers, mais ayant un certain nombre de caractéristiques communes.

 

Sur cette base, on peut classer les conflits internationaux en se référant à plusieurs critères, nous en retenons 2 (deux) :

 

-      Le premier classement : il peut s’établir en fonction des acteurs internationaux impliqués dans le conflit (nombre, qualité d’action, forme juridique) ;

-      Le second classement tient compte du critère d’ordre géographique (il s’agit de la prise en compte de l’espace couvert par le conflit). A cet égard, on peut distinguer géographiquement deux sortes de conflits : les conflits internes à dimension internationale et les conflits internationaux proprement dits.

 

Les conflits internes susceptibles d’internationalisation tiennent compte du facteur déterminant qui est l’intervention ou la non-intervention des Etats tiers pour arrêter la guerre ou l’aggraver. Pour le cas de la RDC par exemple, c’est justement cette intervention des tiers (dont la coalition ougando-rwando-burundaise) qui a ravivé et aggravé le conflit.

 

Par contre, dans les conflits internationaux proprement dits, on tient compte du critère essentiellement géographique. Ce qui permet de distinguer les conflits localisés, régionaux et les conflits planétaires.

 

Le professeur Mbela Hiza[29] informe à ce sujet que la nouvelle conception du conflit post-guerre froide qui avait donné lieu à un optimisme généralisé et donné l’espoir qu’on allait connaître un nouveau monde sans guerre, mais n’a pas malheureusement été source de paix. Au contraire, elle a inauguré l’ère de conflits locaux (internes et régionaux) avec comme corollaire beaucoup de génocides et de violences.

 

Pour le Burundi et l’Ouganda par exemple, ces conflits locaux ont été des fois maîtrisés. Par contre pour le Rwanda, les conflits locaux entre hutu et tutsi ont vite rallumé le feu en RDC voisin voire même au Burundi. C’est la présence de ces deux communautés de part et d’autre de la frontière qui a donné à ce conflit le caractère régional.

 

·        Le conflit identitaire

 

Le professeur Mbela Hiza définie l’identité comme le sentiment d’une reconnaissance de soi, le sentiment de former une identité spécifique entre un « nous » contre le « eux ». Donc, l’identité c’est la représentation de son individualité et de sa singularité (ce qui distingue des autres)[30].

 

François Thual met en relief le rôle que joue l’identité sur le conflit. Pour lui, l’identité demeure une notion à la fois émotionnelle et conceptuelle. Le point culminant est atteint lorsqu’un groupe juge que sa survie matérielle, psychologique et culturelle est menacée, la peur de disparaître convié à la destruction de l’autre. L’auteur qualifie ce phénomène de « syndrome de Caïn »[31].

 

L’auteur renchéri pour dire que « les conflits identitaires semblent pouvoir être définis non pas seulement comme conflits de revendication d’un territoire, d’une population, d’une ressource mais bien plutôt la perception collective d’une menace. Ce qui donne son sens au conflit et plus précisément à la crise identitaire qui précède et dans laquelle il prend sa source, c’est la certitude ou moins la conscience d’une victimisation du groupe, c’est-à-dire d’un mode de fonctionnement d’analyse collectif où le groupe est perçu comme une victime »[32].

 

Pour François Thual, ce qui est capital dans ce genre de conflit, c’est « la survie du groupe ». La spécificité de l’identitaire prend source dans la dynamique collective victimaire : la communauté se trouve menacée dans le très fonds même de son existence, et, en réaction, elle va secréter des anticorps idéologiques. C’est alors que toutes les stratégies sont montées pour assurer la survie du groupe menacé contre un autre considéré comme agresseur.

Poursuivant, François Thual parle des vecteurs (ou allumeurs) idéologiques qui forgent le mental du groupe dans le culte de destruction de l’autre sous le couvert de sa propre survie. Il s’agit des acteurs sociaux, inventeurs des idéologies comme celle de l’identitaire, à savoir :

 

-      Des intellectuels (professeurs, fonctionnaires, clergé religieux, etc.) ;

-      Les partis politiques ;

-      Les diasporas.

 

Ces instigateurs ci-haut cités jouent un rôle capital dans la génération des conflits. Le cas des hutu et des tutsi en est un exemple patent. Pour ce cas précis, l’instrumentalisation du facteur identitaire n’en est plus un facteur aggravant qu’il n’est déclenchant.

 

Il y a donc conflit identitaire, lorsqu’un groupe humain est persuadé, à tort et à raison, qu’il est menacé par un autre groupe « ennemi » ou perçu comme tel, de disparaître (ou être diminué) sur le plan physique ou politique ou encore culturel.

 

Amin Maalouf[33] pense qu’à cause justement de ces habitudes de pensée et d’expression si ancrées en nous tous, à cause de cette conception étroite, exclusive, simple qui réduit l’identité entière à une suite appartenance, proclamée avec rage, les peuples mieux les communautés s’entretuent. Evidemment ce sont ces appartenances qui, aujourd’hui s’affrontent violement ; des êtres frontaliers au lieu de tisser des liens, dissiper des malentendus, au lieu de jouer le trait d’union, les médiateurs entre les communautés, les divisent.

 

Reconnaissant la notion du temps dans la construction des identités affirmé par le Dr. Anastase Shyaka[34], l’auteur pense que le temps de l’identitaire est un temps de la démesure (d’auto-allumage), et que entre le délire et la raison, l’identitaire choisit le délire de la haine.

 

Au Rwanda, poursuit Anastase Shyaka, il eut au départ une identité parfaite, la « hutuité » bantoue sédentaire (peu importe que la « twité » lui soit antérieure), puis surgit un élément perturbateur, la « tutsité » nilo-hamite envahissante et dans un troisième temps, pour restaurer l’état primitif, par définition, il appartient à la hutuité menacée de mobiliser tout le groupe pour détruire la menace de cette altérité « mortifère », en l’occurrence la « tutsité », pour enfin s’en libérer[35].

 

Grosso modo, les conflits en Afrique des Grands Lacs, celui du Rwanda (et même celui du Burundi) illustrent bien ce phénomène. Toute la conflictualité rwandaise de la révolution sociale de 1959 au génocide de 1994 s’inscrit cette logique et fait ressortir cette dynamique à trois temps, étant donné que ces crises identitaires cycliques à répétition sont l’aboutissement de phénomènes de longues durée. Ces trois éléments (dynamiques) doivent impérativement se rencontrer pour qu’il y ait éclosion de l’identitaire : la crise socio-économique, la crise de l’Etat et l’hétérogénéité interne ou de proximité[36].

 

1)  La crise économique voue à l’exclusion de tel ou tel groupe et radicalise les perceptions identificatoires collectives des groupes autour des besoins anthologiques.

2) La crise de l’Etat induit à son incapacité d’assumer convenablement ses fonctions et fait en sorte que celui-ci passe au service d’une minorité privilèges en cautionnant les injustices et les frustrations des autres groupes.

3) L’hétérogénéité a aussi joué, en créant le sentiment de différence, fruit des constructions des idéologies.

 

A ce qui précède s’ajoute les abus dus aux idéologies et mythe de supériorité ontologique de l’un (tutsi) et l’infériorité de l’autre (hutu) au Burundi et au Rwanda n’ont pas épargné les pays voisins dont la RDC, étant donné que les mêmes acteurs une fois retrouvés même chez autrui afficheraient les mêmes comportements.

 

A cet effet, Damien Zinda Munda pense que la transplantation au Congo-belge de l’identitaire hutu-tutsi apparaît ici comme une menace de l’hétérogénéité socio-culturelle[37]. Et les événements du Rwanda de 1994 et les tueries poursuivies par la suite en RDC par les soldats du FPR sont venus attisés des conflits locaux en RDC.

 

Toutefois, il sied de signaler que les conflits locaux entre autochtones en RDC (Katanga contre Kasaï, entre Bakusu et autres, par exemple) ne génèrent pas des tueries en grande échelle et sont souvent de faible intensité. Il s’agit souvent soit de lutte de pouvoir (géopolitique), soit de différends successoraux.

 

Actuellement au cours de la période 1990-2009, ce sont les entrepreneurs politiques du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda qui attisent le feu en RDC. Pour eux, réaffirmer leur identité devient un acte de bravoure, de libérateur. Ce sont des meneurs qui apparaissent, soit calculateurs, soit enragés ; ils tiennent des discours jusqu’au-boutistes qui mettent du baume sur les blessures, non pour les vengeances, enflamment les esprits et se servent des moyens pour déclencher la guerre, les massacres[38].

 

·        Conflit armé

 

C’est la guerre, qui veut dire un conflit des grands intérêts réglés par le sang entre deux ou plusieurs Etats. C’est une possibilité de l’épreuve à laquelle doit se soumettre celui qui veut participer au jour de la jouissance entre les actions. Et l’un des attributs des Etats souverains, c’est leur droit de faire la guerre.

 

Comme l’explicite si bien le Professeur Labana Lasay’Abar[39] : « lorsqu’on parle de l’éclatement du conflit, tous les paramètres de règlement pacifique des différends sont au rouge et il y a l’imminence de l’attaque et le risque de la réaction adverse. D’où la sérénité des protagonistes est annihilée.

 

A ce jour, l’usage de la force, de la guerre n’a pas disparu, même si, avec le pacte « Briand Kellogg » du 27 août 1928, en imposant la renonciation à son usage (la guerre) comme moyen de règlement des différends internationaux.

 

Le Droit international positif régit la guerre et établi les procédures normales de son déroulement, malheureusement, elles ne sont jamais respectées, depuis 1945.

 

La charte de l’organisation des Nations Unies considère la guerre comme possible dans son article 51, par situation légitime défense, en cas d’agression et pour l’opération de maintien de la paix.

 

On peut considérer que la guerre à grande échelle est éradiquée avec l’existence de l’arme atomique ou nucléaire qui peut orienter mutuellement les protagonistes.

 

Ce qui fait qu’au 21ème siècle, après une guerre, il n’y a plus vainqueur et vaincu comme au siècle passé.

 

Aujourd’hui, avec la dissuasion de l’arme nucléaire les théâtres des conflits directs de l’occident se sont déplacés dans les périphéries, tiers monde dénucléarisé, avec des affrontements indirects. Ce qui fait qu’avec cet âge nucléaire, la guerre, même si elle est intermédiaire ne produit plus de nouveaux système et ordres internationaux comme lors de deux guerres mondiales.

 

·        Conflit international

 

Le conflit international peut se définir souvent comme une situation de rupture d’harmonie des rapports entre les Etats, laquelle rupture traduit une divergence de positions, un antagonisme structurel d’intérêt appliqué dans des espaces sensibles et au vitaux.

 

Le dénouement d’un conflit international ne traduit pas toujours la fin de l’antagonisme, mais plutôt une situation d’apaisement, d’accommodation au règlement qui résulte soit du nouvel état des rapports de forces après l’épreuve (victoire ou défaite), sont des compromis issu de la négociation ou de la médiation, soit encore de l’avis arbitral d’une Cour Internationale.

 

Le concept de la dialectique conflictuelle prend toute sa valeur vers les années 1960 pendant les luttes rationalistes pour l’indépendance, avec les luttes dans les pays du tiers monde contre la domination, la dépendance et les atteintes à la souveraineté nationale.

 

Ce concept ne se justifie qu’en termes de contradictions relevant de conceptions purement idéologiques entre les Etats en conflits ; confirmation est défini en termes d’épreuves entre les Etats en conflits, causées par une contrariété circonstancielle à la gestion d’intérêts nationaux.

 

Deux expressions théoriques sous-tendent le concept de la confrontation internationale. Il s’agit du « différend » généralement utilisé par la justice pour désigner un désaccord survenu dans les relations entre Etats et de la « tension » utilisée par les politologues pour qualifier l’antagonisme des intérêts entre Etats.

 

A. FORMES DE CONFLITS

 

D’une part, les conflits peuvent être latents en prenant la forme d’opposition, d’un antagonisme ou d’une contestation d’autre part, une forme ouverte caractérisant ainsi sur un bras de fer entre des groupes. Cette deuxième catégorie tend souvent à se transformer en conflit armé dans un processus évolutionniste, s’agissant des groupes qui en sont engagés.

 

C’est à ce titre que, parlant sur les conflits en Afrique, le père Ekwa révèle que le conflit n’est pas seulement guerre, discorde et lutte, mais aussi opposition, antagonisme, contestation de compétence. Il peut être géopolitique, économique, social, régional ou mondial[40]. Nous avons donc distingué deux formes des conflits :

 

Les conflits latents et les conflits ouverts. Cette classification n’est pas exhaustive. Wolfgang Friedman distingue : les conflits de puissances, les conflits entre intérêts nationaux, les conflits idéologiques et les conflits de valeurs.

 

L’évolution de la situation des relations internationales nous conduit à reconnaître que les nations peuvent être guidées par le désir d’atteinte d’une suprématie politique, militaire, économique pour elles mêmes. Autant que le désir de défendre leur patrimoine national ou propager le christianisme, l’islam, le communisme ou la démocrate, en tant que mode de vie supérieure. Ainsi des milliers de débats et des théories portent sur des conflits de puissance nationale et peuvent s’élever entre les nations qui ne seraient pas séparé par une idéologie et sociale différente.

 

Malgré les progrès continus pour un effet concerté pour la coopération à l’échelle mondiale, le conflit est toujours largement dominant dans les relations internationales, le droit international n’est qu’une tentative complète et partiellement efficace, pour réglementer les conditions dans lesquelles se déroulent les conflits de puissance impliquant des conflits d’intérêts.

 

Cependant, tous les conflits d’intérêts nationaux n’impliquent pas ou n’entrainent pas nécessairement des conflits de puissance. Ils peuvent amplement signifier de la part des nationaux dont les intérêts sont contradictoires, une inaptitude à s’entendre et à coopérer pour parvenir à des objectifs communs.

 

Le profond fossé qui sépare les pays riches des pays du tiers monde dans le domaine de la possession des ressources naturelles et de la protection des investissements étrangers, illustre clairement cette distinction. A cause de ce fossé, le courant des investissements privés s’arrêté face à certaines comportements nationalistes.

 

Il est non moins important de distinguer les conflits idéologiques des conflits d’intérêts, les conflits entre intérêts nationaux révèlent l’aspect de conflits de valeur. L’évaluation des idéaux et des valeurs humaines exercent habituellement sur les esprits des hommes une plus grande influence plutôt que l’évocation pure et simple des intérêts, même lorsque ces dernier sont la cause véritable du conflit.

 

Ainsi donc, comme des conflits importants et idéologiques déterminant les vies et la conduite des nations, on trouve inutile de dissocier les conflits d’intérêts aux conflits de valeurs.

 

En effet, les conflits de valeurs essentielles sont à séparer des conflits généralement fluctuent des intérêts nationaux. La raison qui différencie ces deux types de conflits, réside dans l’importance du droit coopératif en droit international par rapport à la coopération proprement dite entre les nations.

 

Un conflit d’intérêt qui n’aboutit pas à un conflit des puissances peut simplement empêcher la signature d’un accord ayant pour objet des mesures conjointes par la protection de certains domaines de coopération comme par exemple, la recherche spatiale, la pêcherie, etc.

 

En relations internationales, plusieurs principes classiques et d’autres qui découlent de la charte de l’ONU, permet le règlement pacifique des conflits internationaux, ainsi que le principe de la coopération internationale. Pour ce faire, il y a des moyens d’actions dont s’approprient les Etats. Il s’agit de la diplomatie et la négociation dans le cadre de la coopération internationale. On trouve aussi l’usage de la force armée dans les relations internationales.

 

B.  NATURE DE CONFLITS

 

En Afrique, la fin des années 50 est marquée par des luttes et des guerres de libération des peuples africains encore sous le joug colonial. Beaucoup de ces peuples n’y parviendront qu’à l’issue de grandes et sanglantes guerres.

 

Devant la recrudescence des conflits, l’ONU adopta le 14 décembre 1960, la résolution 1415 (XV) très connue sous le nom « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux ». Ce qui favorisera et légitimera les guerres de libération (cfr. Charte de l’OUA du 25 mai 1963, Art. 2, alinéa 1d et 3, alinéa 6).

 

A ces premiers conflits liés à la libération vont s’ajouter des conflits interétatiques. Des conflits territoriaux ou frontaliers, des conflits internes aux couleurs idéologiques et néo-colonialistes ont causé la perte de vie des milliers de personnes.

 

Plus tard, en 1989 avec l’avènement de la perestroïka en Union Soviétique, un vent nouveau de la démocratie a soufflé en Afrique, et le « discours de la Baule » du 20 juin 1990 par François Mitterrand permit le démarrage de la démocratie. Ce qui va inaugurer l’ère des conférences nationales et souveraines, du multipartisme et autres mouvements revendicateurs de la démocratie[41].

 

Reprenant les idées du professeur René-Jean Dupuy, le professeur P. Claver Mupendana[42] note que beaucoup de regards néfastes, nuisibles vont petit-à-petit faire résurgence. Il s’agit du :

 

-      Regard de rupture (entre les peuples) : ce type de regard intervient lorsqu’un groupe va jusqu’à considérer qu’il constitue la meilleure et la seule représentation d’une entité nationale excluant ainsi tous ceux qui ne sont pas comme lui (tribalisme en RCA, RDC, Rwanda, domination majoritaire au Zimbabwe et en RSA).

-      Regard de condescendance ou de tolérance dans le pire sens du mot : dans cette situation, on suppose l’autre sans l’accepter (comme vue en RDC, au Congo-Brazzaville, au Sénégal, au Gabon, au Togo, au Rwanda), on considère qu’il appartient à l’humanité, mais à un degré inférieur. C’est le cas par exemple du président rwandais Paul Kagame qui ne mâcha pas ses mots quand il déclara que les hutu et les tutsi pouvaient vivre au Rwanda sans toutefois être amis[43].

 

Il est déplaisant de constater, comme l’a noté P.C. Mupendana, que de nos jours qu’en Afrique, certains Etats adoptent ce genre de comportement. Nous citerons avec lui le Rwanda et le Burundi (où les tutsi minoritaires se considèrent comme une race pure), en RDC, en Libye, au Soudan, en Ouganda, dernièrement au Kenya (où les Luo, Kikuyu et Masai se livrent à un combat sans merci), au Cameroun, au Sénégal (surtout chez les Peuls et les Wolofs qui se croyaient supérieurs non seulement au casamançais, mais aussi aux autres africains et qu’ils ont la mission de leur apporter la civilisation) et au Tchad (surtout chez les Mbororo) en exhumant des attitudes d’une noblesse africaine[44].

 

-      Regard de bonne volonté, c’est-à-dire l’ouverture. Celui-ci qui exprime que la différence n’est pas une rupture, ne doit pas entraîner l’exclusion, au contraire doit être source d’enrichissement mutuel et s’oppose aux autres quatre néfastes précités.

-      Regard de refus dans lequel un groupe se cadenasse, s’enferme dans sa différence et la sacralise. C’est une forme de racisme.

 

C. TYPOLOGIE DES CONFLITS

 

Autant le concept « conflit » est vaste, autant il est difficile d’établir des critères concrets et précis pour les différencier étant donné leur compénétration. Le conflit qui sévit dans la Région des Grands Lacs africains en général et en RDC en particulier, par exemple, est de nature à la fois hégémonique, raciale, économique, tribalo-ethnique et de pouvoir politique.

 

Ø Les conflits de pouvoir :

 

Ce sont souvent les causes politiques qui en sont la source : les revendications économiques, politiques, culturelles, sociales, voire identitaires. Le conflit se pose en termes de la contestation de la gouvernance et les gouvernants peuvent recourir à l’instrumentalisation des différences tribales ou régionales pour exacerber la tension en vue de se maintenir ou, on est en présence d’une politisation souvent très violente de l’ethnicité et du tribalisme.

 

Pour la RDC, nous évoquerons des pratiques comme « géopolitique » (l’influence politique suivant la région d’origine du candidat) et certaines alliances ethniques de fait au profit d’une catégorie et au détriment des autres. Ce qui a débouché et débouche encore aujourd’hui à la politique d’exclusion dite « non originaire » : on assiste à des expressions :

 

-      Swahili (Katanga yetu = notre Katanga, Batoto ya mama = mes frères, Bakuya kuya = ceux qui viennent d’ailleurs, Batoka chini = ceux qui viennent de l’aval du fleuve Congo, c’est-à-dire les Bakongo) ;

-      Lingala (Baswahili = ceux qui viennent de l’Est, Mowuta = non originaire de Kinshasa) ;

-      Kikongo (Banzenza = non originaire) ; et

-      Tshiluba (Bena Katanga = ceux du Katanga, etc.).

 

Ø Les conflits territoriaux :

 

Ces conflits sont souvent la conséquence de l’héritage colonial. Le découpage des frontières a bouleversé les équilibres sociaux et historiques des peuples d’Afrique : les guerres de la bande d’Aozou entre la Libye et le Tchad ; de la presqu’île de Bakasi entre le Cameroun et le Nigeria ; les conflits Erythrée-Ethiopie, le Rwanda et la RDC répondent au mieux à ces critères.

 

Ø Les conflits de minorités :

 

Elles opposent souvent un groupe ethnique majoritaire à un autre minoritaire. Au Rwanda comme au Burundi, les hutu majoritaires s’opposent toujours aux tutsi minoritaires et détenteurs du pouvoir qui cherchent à les écraser[45].

 

Ø Les conflits hégémoniques et expansionnistes :

 

Depuis l’époque précoloniale, la région des Grands Lacs a connu plusieurs guerres de conquêtes. Le professeur Jan Vansina, note que sous le règne du roi Kigeri IV Rwabugiri, le Rwanda engagea une guerre d’une violente extraordinaire contre les Etats voisins (le Burundi, le Buha, le Bujinja, le Gikore, le Bugesera, le Bushi, le Bunyabungo, l’Idjwi, Butembo, le Bushibi, le Nkole, etc.)[46].

 

Le principe fondamental de la politique extérieure du Rwanda précolonial stipulait que « le principe essentiel de la société hamite étant d’unifier tous les peuples (pays) sous le roi unique des Banyiginya, celle-ci ne peut jamais avoir la paix définitive avec les pays voisin »[47]. Cette politique était dictée par l’aspiration à l’hégémonie politico-économique et l’extension du territoire aux dépens de la conquête des territoires étrangers.

 

Le second principe était que le roi pouvait conclure des pactes de non agression avec l’un ou l’autre pays afin de disposer de toutes ses milices contre le pays adversaire. Ce principe, note Mupendana, instituait donc une politique du mensonge dans les relations internationales qui contredisait le corollaire du principe de « pacta sunt servanda », stipulant qu’il est interdit aux rois d’être félons (abami bazira kubeshya)[48]

 

Rappelons en outre, que ces politiques sont, plus d’un siècle après, reprises par ses descendants tutsi qui veulent qu’on le veuille ou non tout prendre, prétendant qu’au-delà des limites actuelles, le Rwanda ancien s’étendait au-delà du Bushi, au Kivu-Maniema, au Nord-Katanga jusque dans la province Orientale.

 

D. CLASSIFICATION DES CONFLITS

 

Selon P. Claver Mupendana qui reprend les études menées par les chercheurs d’Aoust et A. Artero, on peut classer les conflits africains selon l’intensité (conflits mineurs, majeurs et intermédiaires) et en tenant compte aussi bien de l’espace, des acteurs que des rapports infra et super-structurels[49].

 

En dépit de cette classification, nous serons toutefois appelés, en ce qui concerne ce travail, à tenir plus compte de la classification selon l’espace. Etant donné qu’avec des conflits locaux, l’on peut facilement basculer dans les conflits régionaux et même mondiaux.

 

Ø Les conflits locaux :

 

On entend par conflit local, tout conflit qui oppose deux organisations sociales, deux ou plusieurs communautés au sein d’une même entité étatique. Par exemple les conflits identitaires entre Hutu et Tutsi au Rwanda ont avant tout une dimension locale. Il en est de même de celui du Burundi, ou encore des antagonismes entre Banyamulenge et Bavira sur des questions foncières.

 

C’est en réalité sur ces dimensions locales des conflits que se greffent les dynamiques régionales ou internationales. Tel est le cas de l’implication de la National Resistance Army (NRA) de l’Ouganda dans la rébellion du FPR en 1990 pour des raisons à la fois ethniques et géostratégiques.

 

Ø Les conflits régionaux :

 

Ce sont ceux qui impliquent plusieurs Etats d’une même région. Les Etats se liguent les uns contre les autres dans le but de soutenir l’agressé ou l’agresseur (ou les agresseurs). La région des Grands Lacs africains en illustre bien les cas suivants :

 

Par exemple, la guerre entre MPLA du président Edouardo Dos Santos et l’UNITA de Jonas Savimbi (en passant par celles du FLC et du FNLA d’Antonio Robeto) conditionnait et régulait les relations de l’Angola avec ses voisins (Mozambique, Namibie, Zambie, RDC) et même sa participation récente à la guerre au Congo-Kinshasa contre le régime Mobutu qui était favorable à Jonas Savimbi. Du côté Est, le Burundi et le Rwanda ont des préoccupations tout aussi jusqu’au-boutistes qui les animent et veulent s’accrocher au territoire congolais. L’Ouganda quant à elle n’en est pas en reste, car elle affiche et fixe des objectifs moins univoques[50].

 

Ø Les conflits mondiaux :

 

Les conflits mondiaux sont ceux qui, mettant aux prises les intérêts de plusieurs pays, connaissent une implication directe des grandes puissances mondiales. Les deux guerres mondiales, ou encore la guerre du Golf déclenchée lors de l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein en 1984 constituent des belles illustrations des conflits mondiaux.

 

Dans le cas de la région des Grands Lacs africains, il est important de constater que les développements qui ont suivi le déclenchement des rébellions Banyamulenge en septembre 1996 et surtout la détérioration de la situation à l’Est du pays après les élections de 2006 et 2007 (avec la rébellion du CNDP) et ceux du 28 novembre 2011 (avec la rébellion du M23) nous permet de mettre au grand jour toutes les dimensions régionales et internationales de la guerre que Madeleine Albrigth qualifia de « première guerre mondiale africaine ».

 

On sait en effet que trois administrations américaines (Ronald Reagan, Georges Bush père et Bill Clinton)[51] et trois autres administrations britanniques (Margaret Tatcher, John Mayor et Tony Blair) ont joué, à travers leurs armées et services de sécurité, un rôle majeur dans les conflits dans la région des Grands Lacs d’Afrique centrale. C’est grâce à elles que le verrou rwandais a été défoncé avec l’assassinat du président Juvénal Habyarimana. Le soutien américain et l’implication européenne sont plus détaillés par Colette Braeckman[52].

 

La guerre anglo-américaine au Rwanda (octobre 1990-juillet 1994) par l’intermédiaire de la NRA (National Resistance Army) ou l’UPDF (Uganda People’s Defense Forces), les Forces Armées Burundaises (FAB) et le FPR (Front Patriotique Rwandais) fut le prélude à la guerre et à l’occupation étrangère en RDC[53]. C’est ainsi que les aéroports de Kampala et d’Entebbe en Ouganda servirent de relais à la base américaine de Diego Garcia et de plate-forme pour l’approvisionnement non seulement des maquis chrétiens au Soudan[54] mais aussi des rebelles congolais conduits par L.D. Kabila de l’AFDL d’abord, et Jean-Pierre Bemba du MLC ensuite.

 

B. Crawford, cité par P.C. Mupendana, précise que les rebelles du FPR avaient bénéficié, entre 1989 et 1992, d’une aide financière américaine estimée à 183 millions de dollars, soit le double de l’aide accordée au gouvernement rwandais. Ce qui a rendu possible l’invasion du Rwanda par le FPR en août 1990.

 

Somme toute, la guerre dans la région des Grands Lacs, plus particulièrement en RDC tire ses origines dans :

 

-      la recherche de l’identité congolaise (reconnaissance des tutsi congolais) ;

-      le repositionnement géostratégique des puissances post-coloniales ;

-      la résurgence d’un réseau mafieux des puissances économiques mondiales (les multinationales, qui ont fait de l’agrobusiness leur paradis, déterminées à avoir sous leur contrôle toutes les richesses naturelles mondiales) ;

-      d’autres motivations démographiques et de conquête de l’espace congolais ;

-      les causes internes.

 

E.  CAUSES DES CONFLITS

 

L’analyse typologique des conflits est un exercice délicat dans la mesure où toute analyse fondée sur le monisme explicatif risque de biaiser la réalité. Il faut reconnaître qu’il existe une hiérarchie pluraliste des causes et souvent elles s’interpénètrent ; chaque cause agissant sur l’autre. L’invasion des troupes rwandaises dans l’Est de la RDC s’explique-t-elle pour de raisons politiques, économiques ou culturelles ?

 

On remarque que toute la littérature à ce propos évoque tour à tour des raisons politiques, économiques, culturelles (problèmes identitaires) et sociales. C’est dire la nécessité d’analyser le conflit comme un phénomène social total qui requiert de l’analyste une perception en profondeur de la société étudiée[55].

 

Pour des raisons purement méthodologiques et de clarté, l’analyse sociologique a dégagé trois sortes de causes qui poussent les groupes sociaux à déclencher des situations conflictuelles.

 

Dans son livre intitulé « le conflit en relations internationales : Analyse des concepts de base » le Professeur Labana[56] dit que dans l’analyse des conflits, il est possible de dégager trois sortes de causes qui peuvent pousser les Etats à entrer en conflit. Il cite notamment les causes politiques, les causes économiques et les causes sociales.

 

Ø Les causes politiques

 

Un conflit et dit politique, s’il a pour objectif de modifier, de transformer ou de détruire un ordre politique donné.

 

Le professeur Mbela Hiza[57] pense que cette définition soulève une observation importante : quand un conflit politique peut-il être considéré comme le facteur déclenchant ou le facteur aggravant ? La réponse à ce propos est loin d’être aisée. Le tout dépend du contexte et des motivations multiformes qui ont déclenché de conflit.

 

La plupart des conflits politiques en Afrique s’expliquent notamment par la marginalisation des certains groupes ethniques, le désir de construire une société plus démocratique, et l’expansionnisme des Etats voisins. Dans un langage plus approprié, on dira que « la gouvernance » est devenue en Afrique la cause première des conflits politiques qui gangrènent le continent.

 

La mauvaise gouvernance engendre aussi des crises structurelles de longue durée qui ont pour effet l’implosion du système socio-politique de l’Etat. Tel est la cause de 17 ans de transition politique (1990-2007) en RDC.

 

En Afrique, un premier type de conflits d’intérêts politiques était allé de pair avec la problématique de la décolonisation. En effet, il y eut tout d’abord la lutte pour le pouvoir qui précéda ou accompagna la problématique de décolonisation. Après la lutte pour l’indépendance, il y eut ensuite différents conflits relatifs à la stabilisation des indépendances fraîchement acquises. Enfin, quelques conflits furent provoqués par les mouvements de libération restants qui n’étaient pas satisfaits (exemple de l’UNITA en Angola).

 

Notons, enfin, que la majeure partie des conflits politiques sont issus de l’insatisfaction par rapport aux institutions et à l’Etat et qu’à la base de presque tous les conflits, on retrouve la discrimination politique et les stress éprouvés par les groupes défavorisés.

 

Ø Les causes économiques

 

Les causes économiques sont les causes les plus courantes de conflits entre les Etats. Il s’agit ici surtout du stress causé par la discrimination économique et la pauvreté. Le stress économique à la suite d’injustices au niveau des revenus ; d’une répartition inégale du sol et d’autres biens ; de l’absence dans le commerce et du non accès à des positions économiques avantageuses[58].

 

De manière générale, la stratégie de développement en Afrique est prisonnière des conflits politiques et sociaux internes, des équilibres macroéconomiques imposés par les institutions financières internationales, des asymétries dans les rapports Nord-Sud, des oligarchies financières internationales et de la production des entreprises transnationales. D’où, le contraste entre une abondance richesse en facteur de production (population-terre-ressources naturelles-capital humain, capital social …) et une pauvreté économique profonde (faible épargne, faible taux d’investissement, faible revenu par terre, faible taux de croissance)[59].

 

Ø Les causes sociales

 

L’histoire des relations internationales nous renseigne que de multiples conflits entre les nations tirent leur origine de la confirmation ou de la revendication d’une certaine identité socioculturelle propre, de la préservation ou de l’imposition d’un statut racial déterminé en fonction des enjeux sociopolitiques, ainsi que de l’intolérance ou de l’intégrisme basé sur les croyances religieuses des peuples.

 

En effet, dans toute société où cohabitent des individus, des ethnies, des cultures et des religions différentes, on observera irrémédiablement des conflits dits identitaires.

 

Selon l’expression du professeur Mbela Hiza[60], certains conflits identitaires peuvent s’exacerber jusqu’à mettre en péril la communauté nationale, d’autres par contre peuvent trouver des issues raisonnables de compromis acceptables grâce au dialogue, et à l’acceptation de l’autre. De la sorte, les conflits identitaires peuvent être soit de (basse intensité) ou de (haute intensité).

 

D’après Huntington, S.[61], les différences religieuses seront la principale source de conflit dans la période de l’après-guerre froide. Selon l’auteur, les différences culturelles sont fondamentalement immuables. Chaque culture a sa propre histoire, sa propre langue, ses propres traditions … C’est ainsi qu’apparaissent entre les cultures, différentes visions contradictoires sur la relation entre le monde spirituel et les individus, entre l’individu et le groupe, entre le citoyen et l’Etat, entre les parents et les enfants, entre l’homme et la femme, et dans le rapport entre les droits et les devoirs, l’inégalité et la hiérarchie. Les compromis en la matière sont parfois difficiles. Les valeurs culturelles sont souvent exclusives.

 

1.4.2. GUERRE

 

Il n’est pas rare que les termes guerre et conflit soient utilisés l’un pour l’autre. On entend souvent dire que tel Etat est confronté à un conflit armé violent. C’est dire qu’un conflit peut générer en une guerre, et dans ce cas d’espèce, le conflit devient armé[62].

 

Conflit et guerre ne sont pas deux concepts synonymes. Dans les relations internationales, la guerre n’est qu’un moyen parmi tant d’autres pour réaliser des objectifs politiques, économiques ou culturels.

 

Jusqu’à la fin des années 1950 c’est la guerre qui servait à trancher les différends politiques entre les Etats.

 

Clausewitz a écrit que « la guerre n’est pas seulement un acte politique mais un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens »[63].

 

Le même auteur poursuit en disant que « la guerre est la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens ; c’est à la diplomatie qu’il appartient soit d’éviter l’éclatement de la guerre, soit de trouver la formule pour mettre un terme au conflit »[64].

 

Ceci étant dit, voyons ce que dit le dictionnaire.

 

Pour le Nouveau Larousse Encyclopédique Edition 2003, la guerre est le recours à la force armée pour dénouer une situation conflictuelle entre deux ou plusieurs collectivités organisées : clans, factions, Etats, nations.

 

Acte de violence qui s’exerce dans l’espace et le temps avec une intensité variable, la guerre consiste pour chacun des adversaires à contraindre l’autre à se soumettre à sa volonté.

 

Toujours selon le dictionnaire, la guerre ne constitue qu’un moyen parmi d’autres de réaliser un but politique. Il se peut que l’on y recoure lorsque tous les autres moyens se sont avérés inefficaces.

 

La guerre est donc un acte de violence qui consiste pour chacun des adversaires à contraindre l’autre à se soumettre à sa volonté. Mais retenons surtout que la guerre est un acte politique. Elle surgit d’une situation politique et résulte d’un motif politique. Elle appartient par nature à l’entendement pur parce qu’elle est un instrument de la politique.

 

L’élément passionnel intéresse surtout le peuple, l’élément aléatoire le commandant et son armée, l’élément intellectuel le gouvernement et c’est ce dernier élément qui est décisif et qui doit commander l’ensemble.

 

1.4.3. CRISE

 

Entre le conflit et la crise, la ligne de démarcation peut être difficile à établir. Beaucoup d’auteurs emploient -à tort- l’un pour l’autre sans trop déceler la moindre nuance[65].

 

Cité par le professeur Mbela Hiza, Alain Touraine est l’un de ceux qui pense qu’il est difficile de les distinguer à l’intérieur d’un même événement, mais il est indispensable de les séparer. Il affirme que la crise ne peut être résolue que par un appel à la cohérence du système culturel et social ; le conflit relève au contraire des contradictions structurelles. En conséquence, la crise renvoie toujours à un déséquilibre dans le conflit[66].

 

La crise possède donc des troubles psychologiques, de déséquilibre social, économique, politique qui, en extension, finit par provoquer un conflit.

 

Le Grand Robert (Edition 2001) définit la crise comme étant une période de tension internationale, une menace de conflit.

 

Une crise est donc une période décisive qui peut amener les acteurs dans une situation conflictuelle. Il en serait ainsi par exemple lorsqu’un Etat accumule les troupes le long de sa frontière créant ainsi une menace c'est-à-dire des signes et des indices qui laissent prévoir un sujet de crainte ou de danger pour son voisin[67].

 

Antoine Granisci définit la crise comme étant le moment où l’ancien et le nouveau cohabitent encore, où ne s’est pas réalisée cette synthèse qui consiste en l’assimilation de l’ordre ancien par l’ordre nouveau moyennant une accommodation de celui à l’héritage du passé[68].

 

Pour le professeur Mbela Hiza[69], la crise est un état de tension qui constitue une menace de conflit. Cet état constitue souvent un moment décisif qui peut dégénérer et pousser les acteurs dans une situation conflictuelle.

 

C’est le cas, par exemple, du Rwanda qui pense que la présence des forces négatives près de ses frontières à l’Est de la RDC constitue une menace pour sa sécurité extérieure.

 

Bref, martèle Mbela Hiza, toute crise relève de l’incohérence du système social et culturel, elle s’identifie à une situation psychologique de déséquilibre et de rupture et on la résout par l’éducation et la conscientisation.

 

1.5. Définition et contenu du droit à l’autodétermination

 

1.5.1. ELEMENTS CONSTITUTIFS DU DROIT A L’AUTODETERMINATION

 

Lorsque l’on analyse les principaux textes onusiens (Charte, Pactes, Déclarations et résolutions de l’Assemblée Générale), il ressort que la jouissance du droit des peuples à l’autodétermination dépend en particulier des éléments suivants[70] :

 

-  le libre choix du statut politique et du développement économique, social et culturel ;

-  la souveraineté des peuples sur leurs ressources naturelles ;

-  l’égalité de droits des peuples ;

-  la non-discrimination ;

-  l’égalité souveraine des Etats ;

-  le règlement pacifique des différends ;

-  la bonne foi dans l’accomplissement des obligations et dans les relations internationales ;

-  le non-recours à la force ;

-  la coopération internationale et le respect de la part des Etats de leurs engagements internationaux, en particulier en matière de droits humains.

 

Chaque élément mentionné méritant une publication en soi, nous ne pourrons malheureusement pas les traiter tous ici. Etant donné que l’indépendance politique est conditionnée par la souveraineté économique, nous nous concentrerons sur l’aspect économique du droit à l’autodétermination et, en particulier, de la souveraineté des peuples sur leurs ressources naturelles.

 

1.5.2. BENEFICIAIRES DU DROIT A L'AUTODETERMINATION

 

A.  PEUPLE, ETAT, NATION

 

Les bénéficiaires du droit à l’autodétermination sont les peuples. L’Etat est l’instrument de l’exercice de ce droit entre les mains du (ou des) peuple(s) qui le compose(nt). Dans les instruments internationaux, le terme de nation est bien souvent utilisé en lieu et place de l’Etat ou du (des) peuple(s). En effet, dans la Charte, le terme « peuples » est utilisé « un certain nombre de fois, particulièrement dans son pré- ambule, comme un synonyme de 'nations' ou d’'Etats' »[71].

 

Le problème est qu’il n’y a pas de définition de la notion de « peuple »[72] admise au niveau international. C’est ce qui explique peut-être le fait que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale laisse à « l’individu concerné » la liberté de déterminer lui-même s’il appartient à un groupe ou à des groupes raciaux ou ethniques particuliers[73].

 

Par contre, l’expert onusien Aureliu Cristescu suggère, sur la base des discussions au sein de l’ONU, la définition suivante qui pourrait être utilisée pour déterminer si une entité constitue ou non un peuple apte à jouir et à exercer le droit à l’autodétermination :

 

a.  le terme « peuple » désigne une entité sociale possédant une évidente identité et ayant des caractéristiques propres ;

b. il implique une relation avec un territoire, même si le peuple en question en avait été injustement expulsé et artificiellement remplacé par une autre population ;

c.  le peuple ne se confond pas avec les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, dont l’existence et les droits sont reconnus à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques »[74].  

 

En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par le Conseil des droits de l’homme en juin 2006 et par l’Assemblée générale en septembre 2007, les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination et les droits sur leurs terres et ressources. Ce n’est pas le cas des minorités ethniques, religieuses et linguistiques, dont le droit de jouir de leur propre culture, de professer et pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue est consacré à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le droit des minorités ne doit donc pas être confondu avec le droit à l’autodétermination des peuples. D’ailleurs, l’art. 8.4 de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par l'Assemblée gé- nérale de l’ONU le 18 décembre 1992, exclut toute interprétation dans ce sens[75].

 

Il faut admettre qu’une confusion règne dans ce domaine, étant donné qu’il n’y a pas de définition de minorités admise au niveau international. A ce propos, les pratiques des Etats varient selon les pays. Certains Etats nient même le statut de minorités à des entités qui constituent des peuples au sein de leur nation. Or, comme l'a affirmé le Comité des droits de l'homme, ces Etats prétendant : « qu’ils ne pratiquent aucune distinction de race, de langue ou de religion font valoir à tort, sur cette seule base, qu’ils n’ont aucune minorité »[76].

 

Ainsi, selon l’interprétation de chacun, les droits des minorités peuvent concerner aussi bien les peuples autochtones que les travailleurs migrants. Le Comité des droits de l’homme[77] va encore plus loin dans son interprétation des droits des minorités. Selon lui : « ces individus (personnes appartenant aux minorités) ne doivent pas nécessairement être des nationaux ou des ressortissants, ils ne doivent pas non plus nécessairement être des résidents permanents »[78].

 

1.5.3. SOUVERAINETE PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES

 

L’indépendance politique ne peut pas être dissociée de la souveraineté économique. On peut affirmer même que, sans l’indépendance économique, la souveraineté politique est condamnée à rester théorique. Comme le déclara avec éloquence – en 1979 – Julius Nyerere, ancien Président de la Tanzanie : « Chacune de nos économies [des pays membres du G77] est un ‘sous-produit’ et une ‘filiale’ des économies développées du Nord industrialisé, et elle est orientée vers l’extérieur. Nous ne sommes pas les maîtres de nos destins. Nous avons honte de l’admettre, mais sur le plan économique, nous sommes des territoires dépendants – au mieux des semi-colonies – et non des Etats souverains »[79].

 

A titre d’exemple, on peut mentionner le fait que certains Etats latino-américains – la Bolivie par exemple mais aussi l’Equateur et le Venezuela – ont récemment nationalisé et/ou renégocié leurs contrats avec des compagnies pétrolières étrangères. Les bénéfices ainsi dégagés ont été investis en grande partie pour la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels des populations de ces pays (alimentation, logement, éducation, santé, etc.).

 

Sur le continent européen, le gouvernement de la Fédération de Russie a racheté en 2005 le trust pétrolier Youkos. Quelle que soit l'appréciation sur cette acquisition, le fait est qu'elle a assuré le monopole d’Etat sur le Gasprom (trust du gaz semi-étatique jusqu’alors) et par conséquent sur les ressources énergétiques du pays[80]. Si ce genre d’actions est rare dans le monde néolibéral, il n’a rien de révolutionnaire. En effet, la Cour internationale de Justice avait déjà reconnu en 1952 la légalité de la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company par l’Iran.

 

Dans son arrêt rendu le 22 juillet 1952, la Cour avait rejeté les arguments présentés par le Royaume-Uni contre la nationalisation[81]. Plus récemment, dans sa décision adoptée en mai 2009, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a appliqué à des communautés indigènes au Kenya (peuple Endorois) le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles consacré dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, en déterminant qu’elles avaient le droit de récupérer leurs terres et territoires traditionnels que le gouvernement kenyan voulait utiliser pour le développement du tourisme[82].

 

Les organes de l’ONU, l’Assemblée Générale en particulier mais aussi la CNUCED et le Conseil de Sécurité, ont à maintes reprises réaffirmé ce droit.

 

A.  ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU

 

Dès 1952, l’Assemblée Générale de l’ONU a adopté toute une série de textes (résolutions, Déclarations, Charte, Pactes, etc.) portant sur l’aspect économique du droit à l’autodétermination[83]. Parmi ces textes, l’article 1er commun aux deux Pactes, déjà cité, constitue une référence de choix.

 

En effet, selon ce dernier, les peuples ont non seulement le droit d’assurer librement leur développement économique, social et culturel, mais aussi de disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

 

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels précise encore en son article 25 qu'« aucune disposition du présent Pacte ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inhérent de tous les peuples à profiter et à user pleinement et librement de leurs richesses et ressources naturelles ».

 

La souveraineté permanente des peuples sur leurs ressources naturelles a été affirmée maintes fois dans d’autres instruments onusiens qui complètent la reconnaissance du droit à l’autodétermination, en lui donnant un contenu plus concret. Parmi ces instruments, il convient de mentionner les suivants[84].

 

Dans sa résolution au sujet de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles[85], en : « considérant qu'il est souhaitable de favoriser la coopération internationale en vue du développement économique des pays en voie de développement et que les accords économiques et financiers entre pays développés et pays en voie de développement doivent se fonder sur les principes de l'égalité et du droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes », l’Assemblée générale a notamment proclamé que : « Le droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s'exercer dans l'intérêt du développement national et du bien-être de la population de l'Etat intéressé ».

 

La Déclaration concernant l'instauration d'un nouvel ordre économique international[86] souligne entre autres que : « Le nouvel ordre économique international doit être fondé sur le plein respect des principes de souveraineté permanente intégrale de chaque Etat sur ses ressources naturelles et sur toutes les activités économiques.

 

En vue de sauvegarder ces ressources, chaque Etat est en droit d’exercer un contrôle efficace sur celles-ci et sur leur exploitation par les moyens appropriés à sa situation particulière, y compris le droit de nationaliser ou de transférer la propriété à ses ressortissants, ce droit étant une ex- pression de la souveraineté permanente intégrale de l'Etat. Aucun Etat ne peut être soumis à une coercition économique, politique ou autre visant à empêcher l’exercice libre et complet de ce droit inaliénable ».

 

La Charte des droits et devoirs économiques des Etats[87] proclame dans son premier article que : « Chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit de les utiliser et d’en disposer ».

 

B.   CNUCED

 

Les Principes de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) pour la gestion des relations commerciales internationales et les politiques commerciales propres à favoriser le développement stipulent entre autres que : « Tout pays a le droit souverain de disposer librement de ses ressources naturelles dans l’intérêt du développement économique et du bien-être de sa population ; toutes mesures ou pressions politiques ou économiques extérieures, de nature à porter atteinte à l’exercice de ce droit, sont une violation flagrante des principes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la non-intervention, énoncés dans la Charte des Nations Unies, et pourraient, si elles persistaient, menacer la paix et la sécurité internationales »[88].

 

C.  CONSEIL DE SECURITE

 

Le Conseil de sécurité a, pour sa part, affirmé, dans sa résolution 330 (1973) du 21 mars 1973 consacrée à la paix et à la sécurité en Amérique latine, le principe de la souveraineté permanente des peuples sur leurs richesses et ressources naturelles. Dans la même résolution, il a demandé aux Etats, entre autres, d’empêcher « l’action des entreprises qui cherchent délibérément à exercer une contrainte sur des pays d’Amérique latine ».

 

1.6. Définitions de la contrainte  

 

1.6.1. DEFINITIONS TIREES DE LA DOCTRINE

 

La plupart des auteurs sont extrêmement prudents en matière d’intervention non-armée, et mettent l’accent sur la difficulté de déterminer avec précision le « seuil de l’illicéité ».

 

Comme le souligne Antonio Cassese, « les dispositions proscrivant l’intervention non armée sont si floues qu’il s’avère difficile d’établir quels types d’ingérence sont concrètement interdites »[89]. Lauterpacht écrit généralement que « Intervention signifies dictatorial interférence ... ; the interference must take an operative form ; it must either be forcible or backed by threat of force »[90].

 

Cavaré définit plus précisément l’intervention comme une « immixtion d’un Etat dans les affaires intérieures d’un autre Etat, en vue de lui imposer sa volonté ... Par là, l’intervention se distingue des bons offices et de la médiation. Dans le cas de l’intervention, l’Etat, soit spontanément, soit sur requête, cherche à faire prévaloir son point de vue, au besoin par la force »[91].

 

De même, on lit dans le dictionnaire Basdevant à propos de l’intervention : « terme employé d’ordinaire [...] pour désigner l’action impérative d’un ou de plusieurs Etats qui, par pression diplomatique, usage de la force ou menace d’en user, imposent ou cherchent à imposer leurs vues à un autre Etat dans une affaire relevant de la compétence de celui-ci, en particulier dans une affaire d’ordre intérieur »[92].

 

Schachter est plus explicite lorsqu’il affirme fort pertinemment que « le fait de critiquer ou de blâmer, sans plus, n’équivaut pas à une ingérence puisqu’il n’implique aucune contrainte »[93]. L’ensemble de ces citations montre surtout que la doctrine insiste sur l’élément de contrainte, sans que celle-ci soit précisément définie.

 

Comme on peut le constater, la définition de la contrainte développée ci-haut cadre parfaitement avec les définitions émises par l’ensemble de ces auteurs.

 

1.6.2. DEFINITION TIREE DES REGLES RELATIVES A LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE

 

La Commission du droit international a eu l’occasion de se pencher sur la notion de contrainte dans le cadre de la partie de son projet sur la responsabilité internationale relative à la responsabilité indirecte. L’article 28 § 2 de ce projet dispose en effet que : « Le fait internationalement illicite commis par un Etat en conséquence de la contrainte exercée par un autre Etat pour provoquer la perpétration de ce fait engage la responsabilité internationale de cet autre Etat »[94].

 

Dans le commentaire de cette disposition, on peut lire : « la C.D.L s’est employée à établir de quelle nature devait être la contrainte exercée par un Etat sur un autre pour que le fait illicite commis par le second sous l’impulsion de la contrainte puisse engendrer la responsabilité internationale du premier. La Commission s’est notamment demandée si cette contrainte devait être nécessairement représentée par l’emploi ou la menace de l’emploi de la force armée ou bien si elle devait revêtir d’autres formes aussi, et notamment la forme de pressions économiques. Après un examen attentif, la Commission a conclu que la 'contrainte’ ne saurait être nécessairement limitée à la menace ou à l’emploi de la force armée, mais devait s’étendre à toute action limitant gravement la liberté de décision de l’Etat qui la subit, à toute mesure lui rendant extrêmement difficile d’agir d’une façon différente de celle requise par l’Etat exerçant la contrainte ».

 

La contrainte est donc ici définie par rapport aux effets de la mesure envisagée, qui doivent limiter drastiquement la liberté de décision de l’Etat qui en est l’objet.

 

Cependant, il ne semble pas qu’on puisse généraliser cette définition et l’étendre à la contrainte en tant qu’élément constitutif de la non-intervention.

 

En effet, la contrainte au sens de l’article 28 § 2 tourne essentiellement autour de la question de l’imputabilité d’un acte, même s’il s’agit de responsabilité indirecte et non pour le propre fait de l’Etat contraignant. Dès lors, on conçoit que la définition de la contrainte soit extrêmement restrictive et se mesure exclusivement par rapport à ses effets. Tel ne pourrait être le cas à propos de la non-intervention.

 

D’abord, la contrainte assimilable à une intervention n’a aucun rapport avec un problème d’imputabilité et n’a jamais été envisagée comme telle. Ensuite, la contrainte ne porte pas habituellement ici sur la perpétration d’un acte illicite, mais sur l’exercice d’une compétence souveraine dans le sens des intérêts de l’Etat auteur de la contrainte. Enfin, nous avons constaté, à l’examen de la jurisprudence et de la pratique, que certaines mesures qui ont des effets très importants n’ont pas été considérées comme des interventions illicites, notamment au plan économique.

 

La contrainte au sens tiré des règles de la responsabilité internationale est donc différente de celle au sens d’élément constitutif de l’intervention prohibée.

 

1.6.3. DEFINITION TIREE DES REGLES DU DROIT DES TRAITES

 

La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités contient deux références à la contrainte. En premier lieu, l’article 52 de la Convention se lit : Contrainte exercée sur un Etat par la menace ou l’emploi de la force « Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la force en violation des principes du droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies ».

 

On ne peut déduire de ces termes une véritable définition. La contrainte consiste en l’occurrence en un emploi illicite de la force, mais la relation de cause à effet entre cet emploi et la conclusion du traité n’est pas autrement précisée que par l’expression « a été obtenue par » : on ne sait pas à partir de quand un Etat a été « contraint » de conclure le traité.

 

Selon une première interprétation, très répandue, il y a contrainte si l’Etat dont le consentement est requis n’a d’autre choix que de conclure le traité[95].

 

Ainsi, pour une Cour hollandaise de La Haye, « The German-Czechoslovak Nationality Treaty was invalid because it was concluded under clear and unlawful duress the effect of which Gzechoslovahia could not escape, exercised by Germany ».

 

Par ailleurs, le Council for the Restoration of Légal Rights conteste la validité de ce même traité, et ceci parce que « it was concluded by under clear and inescapable and unlawful duress » et que les actes de consentement « were ineluctably linked with the unlawful German threat of war »[96].

 

Enfin, Paul Reuter, arbitre unique dans l'affaire Aminoil, définit la notion de contrainte dans des termes fort semblables. Selon lui, la contrainte se caractérise notamment par « l’absence de toute autre voie que celle à laquelle on a donné son consentement »[97].

 

Toute différente est une deuxième interprétation selon laquelle il y aurait contrainte s’il est établi que l’Etat dont le consentement est requis n’aurait pas conclu le traité en l’absence du recours à la force allégué. Il s’agit donc d’une application de la théorie de l’équivalence des conditions. Cette vision des choses n’a cependant que rarement été évoquée[98]. Elle n’a d’ailleurs jamais été formulée explicitement.

 

Quoi qu’il en soit, il est évident que la définition de la contrainte au sens de l’article 52 de la Convention de Vienne revêt un sens particulier. La simple exigence d’un recours à la force la démarque de la contrainte en tant qu’élément constitutif de la non-intervention qui, nous l’avons constaté à maintes reprises, peut consister en des mesures diplomatiques ou économiques notamment.

 

Par ailleurs, comme dans le cas de la responsabilité indirecte, il est normal que la contrainte se définisse essentiellement par rapport à ses effets, puisqu’il s’agit d’établir l’existence d’un vice de consentement. Enfin, quel que soit l’interprétation de l’article 52 qu’on adopte, elle semble difficile à appliquer en pratique au principe de non-intervention. Si on applique la première, il n’y aurait en réalité presque jamais d’intervention illicite, dans la mesure où la contrainte laisse toujours un choix, même réduit, à l’Etat qui en est la victime.

 

Au contraire, si on devait appliquer une définition inspirée de la théorie de l’équivalence des conditions au cas de la non-intervention, on se rend immédiatement compte que les cas d’interventions seraient innombrables, puisqu’il existe nombre de situations où un Etat agit dans un certain sens en prenant en compte le comportement d’autres Etats qui, par définition, limitent la conduite de sa politique étrangère. Il n’y a donc pas lieu de généraliser la définition de la contrainte déduite de l’article 52, d’autant qu’aucun précédent en ce sens ne peut être tiré d’un examen de la jurisprudence, de la pratique ou de la doctrine.

 

La Convention de Vienne de 1969 contient une deuxième référence à la contrainte qui ne se rattache pas directement à la théorie des vices de consentements.

 

En effet, on trouve annexée à cette convention une « Déclaration sur l’interdiction de la contrainte militaire, politique ou économique lors de la conclusion de traités » en vertu de laquelle « La Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, [„.] convaincue que les Etats doivent jouir d’une totale liberté pour l’exécu­ tion de tout acte relatif à la conclusion d’un traité, déplorant le fait que, dans le passé, des Etats aient parfois été forcés de conclure des traités sous l’effet de pressions, de formes diverses, exercées par d’autres Etats, désireuse d’assumer que dans l’avenir pareilles pressions ne puissent être exercées, sous quelque forme que ce soit, par aucun Etat, en liaison avec la conclusion des traités :

 

1.  Condamne solennellement le recours à la menace ou à l’emploi de toutes les formes de pression, qu’elle soit militaire, politique, économique, par quelque Etat que ce soit, en vue de contraindre un autre Etat à accomplir un acte quelconque lié à la conclusion d’un traité, en violation des principes de l’égalité souveraine des Etats et de la liberté du consentement ;

2. Décide que la présente Déclaration fera partie de l’Acte final de la Conférence sur le droit des traités ».

 

A priori, cette disposition, en s’étendant à tout acte lié à la conclusion d’un traité, paraît revêtir une portée plus large que l’article 52 de la Convention. On semble ici rejoindre la définition de la non-intervention puisqu’est condamnée généralement toute contrainte portant sur un acte qu’un Etat est libre d’accomplir selon le droit international, comme l’est un acte lié à la conclusion d’un traité. Cependant, une lecture plus approfondie de la disposition démontre qu’elle reste liée au domaine des vices de consentement.

 

Les attendus mentionnés sont sans équivoque puisqu’ils mettent l’accent sur la nécessité d’assurer la liberté de conclusion des traités.

 

De même, le § 2 prouve que les Etats signataires entendaient associer cette Déclaration aux dispositions de la Convention. Les travaux préparatoires de l’article 52 confirment d’ailleurs que cette déclaration est née du souci de certains Etats d’étendre la contrainte en tant que vice du consentement à d’autres formes de pressions que les pressions militaires.

 

On ne peut dès lors tirer aucun enseignement général de la Déclaration pour définir la contrainte en tant qu’élément constitutif de la non-intervention, même si l’illicéité éventuelle des pressions condamnées dans la Déclaration ne peut découler que de la violation de ce principe.

 

En tout état de cause, la Déclaration, en condamnant « toutes formes de pressions [...] en vue de contraindre », ne fournit aucune précision fondamentale quant à la définition d’une contrainte. En conclusion, ni le domaine de la responsabilité internationale, ni celui du droit des traités ne permettent de définir plus précisément la contrainte, premier élément de la règle de non-intervention. Les définitions qu’on y retrouve, outre leur relative imprécision, ont été élaborées dans le cadre limité de la matière dans laquelle elles se placent, de sorte qu’il n’est pas opportun de les généraliser.

 

1.7. La définition du droit d’ingérence armée humanitaire

 

1.7.1. PROBLEMATIQUE DE LA DEFINITION

 

Il n'existe pas de définition précise du « droit d’ingérence ».  On lui donne parfois une définition a contrario en l’opposant à une conception restrictive et rigoriste de la souveraineté des États.

 

Selon Bettati, la notion de « droit d’ingérence » est chargée d’une certaine subjectivité qui est toutefois atténuée lorsqu’on lui ajoute le qualificatif d’« humanitaire » : Quant à l'expression « droit d'ingérence », sans davantage de précision, elle est dépourvue de tout contenu juridique. Elle n'en acquiert un que si elle est assortie de l'adjectif « humanitaire ». Ce dernier, par la finalité qu'il assigne à l'intervention, la prive de l'illicéité dont elle est universellement attachée […].

 

 Le juriste y préférera l'expression « droit d'assistance humanitaire » davantage finalisée et moins chargée de cette subjective et implicite confrontation, au demeurant erronée, avec les normes de l'anticolonialisme que sont les principes de « non-intervention » et de « non-ingérence »[99].

 

De plus, il ne fait aucun doute que l’expression « droit d’ingérence armée humanitaire » comporte une certaine consonance négative et fait d’ailleurs l’objet de débats depuis de nombreuses années.  Yves Sandoz, Directeur du droit international et de la Communication du Comité international de la Croix-Rouge, soulignait que : L'expression « droit d'ingérence » a hanté les débats sur l'action humanitaire depuis de nombreuses années. Elle est pourtant bien étrange, puisqu'elle réunit deux concepts antinomiques : littéralement « le droit d'ingérence » signifie le droit de faire ce que l'on n'a pas le droit de faire. Même le juriste pourrait cependant lui trouver une explication dans la notion « d'état de nécessité », situation exceptionnelle dans laquelle le droit tolère que l'on viole ses propres règles[100].

 

La notion d’« intervention » pose, elle aussi, problème en raison notamment de l’étendue de la gamme des activités qu’elle peut couvrir. L’expression « intervention humanitaire », quant à elle, est l’objet d’une certaine controverse. On peut taxer ceux et celles qui utilisent cette expression de vouloir se servir d'euphémisme dans le but de couvrir la véritable nature de l'opération. Bien qu’employée depuis longtemps et largement utilisée, cette expression reçoit une très forte opposition de la part d’organismes et d’agences humanitaires. Selon eux, cette militarisation du terme « humanitaire » est une abomination et ce, quelles que soient les motivations de ceux qui entreprennent l’intervention. 

 

Comme nous le verrons plus loin, certains ont profité d’une évolution plus large du discours et de la «reconceptualisation» des enjeux pour parler plutôt du concept de la «responsabilité de protéger».  Sans qu’il s’agisse d’une nouvelle appellation d’un même phénomène, il s’agit à tout le moins d’une nouvelle approche de la problématique.

 

En effet, devant les difficultés de l'exercice pratique du nouveau droit d'intervenir ou de protéger, cette évolution met l'accent sur la prévention comme la meilleure forme de protection.

 

Section 2. CONTOURS DE LA THEMATIQUE

 

1. Présentation des Etats-membres de la CIRGL post-conflits

 

1.1. Région des Grands Lacs

 

Pour cerner les contours de la Région des Grands Lacs, deux approches nécessitent d’être pris en compte : l’approche géographique et l’approche polémologique.

 

1.1.1. APPROCHE GEOGRAPHIQUE

 

Pour le professeur Elikia M’Bokolo, « la Région des Grands Lacs paraît constituée de plusieurs cercles concentriques : cela conduit soit à une définition restreinte correspondant au cercle intérieur (Burundi, Rwanda, Ouganda, RDC), soit à une configuration beaucoup plus large incluant les cercles extérieurs (Tanzanie, Zambie, Angola, Congo-Brazza, RCA, …) »[101].

 

C’est ce cercle intérieur, avec les quatre Etats susmentionnés qui nous intéresse dans cette étude. Il est toutefois important de préciser que la position de la RDC au cœur de l’Afrique et sa dimension quasi-continentale remet sur le tapis l’épineuse équation de son appartenance géographique et géopolitique à la seule région des Grands Lacs.

 

La RDC dans certaines de ses composantes est aspirée au centre-ouest par l’Afrique atlantique francophone, au sud-est par l’Afrique australe. C’est pourquoi, parlant de la région des Grands Lacs, certains analystes et médiateurs ont essayé de privilégier une définition plus large notamment sous le nom de Miltel-Africa (concept emprunté à la géopolitique et à la diplomatie allemande des années 1880-1909 que inclurait cette région dans des ensembles plus vastes)[102].

 

Cité par Elikia M’Bokolo, plusieurs auteurs parmi lesquels Hizkias Assefa, pensent en effet que cette région constituerait le passage obligé des routes qui conduiraient du Cap (RCA) au Caire (Egypte), que les marchands swahili de la côte de l’océan indien poussés vers l’intérieur de terres visaient moins de s’arrêter aux Etats des Grands Lacs qu’à atteindre au-delà d’eux, des terres réputées riches, situées beaucoup plus à l’ouest au-delà des Grands Lacs. La dimension, la densité, la structure économique et socioprofessionnelle constituent sur le plan quantitatif la source de différenciation interétatique en faisant émerger les spécificités.

 

Pour d’aucuns, les éléments conflictuels et centrifuges l’emporteraient, à en croire le professeur Elikia M’Bokolo, il s’agirait d’un vaste ensemble qui s’étend de l’océan indien à l’océan atlantique qui englobe l’Afrique centrale (y compris le Cameroun, le Gabon, la RCA) et l’Afrique orientale et déborde l’Afrique australe vers nord et s’étend jusqu’au Soudan et à l’Ethiopie[103].

 

Cette acception ferait de l’Afrique de Grands Lacs un fourre-tout de cette Afrique médiane, d’autres analystes tendent à privilégier les ressources « naturelles », la situation politique et économique. Cette Afrique médiane va de l’océan indien à l’océan atlantique[104].

 

A y voir clair, il sied néanmoins de reconnaître que la position de la RDC dans la région des Grands Lacs lui confère une position centrale susceptible de le sortir de ce tunnel embarrassant, comme le disait Franck Fanon, je cite : l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve en RDC. Mêmement, lors de sa visite à Kinshasa, le président français Nicolas Sarkozy[105] avait affirmé devant le Parlement congolais réuni en congrès, que le cœur de l’Afrique battait au Congo, et que, la RDC devait jouer le rôle qui est le sien, celui de servir de locomotive de l’Afrique.

 

1.1.2. APPROCHE POLEMOLOGIQUE

 

Du terme « polémologique » nous ressortissons le mot « polémologie », du grec « polemos » donc « guerre », qui se définie, d’après le petit Larousse illustré, comme « l’étude de la guerre considérée comme phénomène d’ordre social et psychologique »[106].

 

Les critères pouvant nous servir à délimiter la Région des Grands Lacs, à travers cette démarche, sont les suivants : le conflit, la guerre, les crises à répétition. Cela serait un danger, pense Elikia M’Bokolo, et pourrait amener la RDC à s’enfermer dans l’impasse de la conjoncture la plus immédiate[107].

 

La Région des Grands Lacs africains est plurielle en dépit des similitudes évidentes. L’identification des acteurs et leur degré d’engagement, de mobilisation s’avère impérieux pour comprendre le jeu « des alliances et de retournement des alliances »[108].

 

Une perception basée sur une logique inter-subjective des acteurs est nécessaire pour comprendre les rôles et les motivations de chaque acteur, comme le souligne Musila Cyril, chercher à cerner « qui combat contre qui, qui s’allie à qui et pour combattre qui, comment enfin les objectifs de chacun souvent contradictoires peuvent devenir compatibles pour le besoin de la cause »[109].

 

Les Grands Lacs sont une succession de lacs, orientés dans le sens nord-sud, qui occupent la partie méridionale de la vallée du grand rift, formée par l'action du rift est-africain sur la plaque africaine. Les lacs sont situés dans la partie orientale du continent africain, grossièrement entre le 30e et le 35e méridien, au niveau de l'équateur, entre 5° nord et 15° sud.

 

L'ensemble des Grands Lacs n'est pas très bien défini : dans la vision la plus restreinte, seuls les lacs Victoria, Albert et Édouard font partie des Grands Lacs, car ce sont les seuls qui se jettent dans le Nil Blanc. Les lacs Rukwa et Moero, bien que proches du Tanganyika et plus grands que le lac Édouard, ne sont généralement pas inclus.

 

Si tous les lacs de la région sont inclus, les principaux, par superficie, sont les suivants :

 

-    Le lac Victoria (68 100 km², 82 m de profondeur maximale) ;

-    Le lac Tanganyika (32 900 km², 1 433 m) ;

-    Le lac Malawi (30 900 km², 706 m) ;

-    Le lac Turkana (6 405 km², 109 m) ;

-    Le lac Rukwa (5 760 km²) ;

-    Le lac Albert (5 270 km², 51 m) ;

-    Le lac Moero (5 120 km², 27 m) ;

-    Le lac Kivu (2 700 km², 485 m) ;

-    Le lac Édouard (2 150 km², 117 m) ;

-    Le lac Kyoga (1 720 km², 5,7 m).

 

La région des Grands Lacs recouvrent plusieurs bassins hydrographiques distincts :

 

-    le bassin du Nil : lacs Victoria, Albert et Édouard ;

-    le bassin du Congo : lacs Tanganyika et Kivu ;

-    le bassin du Zambèze : lac Malawi.

 

Selon le Pacte de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, cette région est composée de l’ensemble des territoires de 11 Etats membres du champ de la Conférence Internationale sur la Paix et Sécurité, la Démocratie et Développement dans la Région des Grands Lacs. Ces Etats membres sont : l’Angola, le Burundi, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan, la Tanzanie et la Zambie[110].

 

Telle que dénommée, la CIRGL a été convoquée dans le souci de consolider la paix dans la région des grands lacs considérée comme le ventre mou de l’insécurité en Afrique, un véritable brasier éruptif des violences et conflits à répétition. Comme ci-haut, cette conférence a rassemblé quatre types de pays :

 

-     Les pays concernés directement par le conflit, à savoir la RDC contre ses voisins immédiats : le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.

-     Les pays voisins des voisins en conflit et qui ont une influence d’une manière ou d’une autre sur ces derniers : l’Angola, la RCA, la Tanzanie, le Kenya, la Zambie et le Congo-Brazza.

-     Les pays ayant accueilli les réfugiés issus des zones en conflit, nous citons la Tanzanie, le Kenya, la Zambie, la RCA et le Soudan.

-     Les pays intéressés à la paix dans la région des Grands Lacs que la conférence a jugés utile de compter. Il s’agit de la Namibie, du Malawi, du Botswana, du Zimbabwe et de l’Egypte.

 

Convoqué sur l’initiative des Nations Unies et de l’Union Africaine et soutenue par les amis de la région des grands Lacs conduits par deux pays : le Canada et le Pays-Bas. C’est l’ensemble de tous ces acteurs internationaux qui ont conjugué en synergie leurs efforts pour la tenue de ladite conférence avec quatre objectifs principaux :

 

1.  La transformation de la région des Grands Lacs en un espace de paix durable et de sécurité ;

2. Le rétablissement de la stabilité politique et sociale ;

3. Le partage de la croissance et du développement économique ;

4. La promotion de la coopération entre ces différents pays[111].

 


Section 3. LES THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES ET MIGRATOIRES

 

Les théories des relations internationales

 

1.1. Le champ des relations internationales

 

Les turbulences des vingt dernières années ont naturellement suscité de nombreux développements théoriques dans le domaine des relations internationales. D’excellents articles ou livres permettent d’en prendre une vue d’ensemble[112].

 

Le champ des relations internationales est essentiellement relatif aux choix publics (dans tous leurs aspects) et à leur coordination à l’échelle mondiale. Dans son état actuel, la théorie des relations internationales soulève des problèmes épistémologiques sérieux, en particulier au niveau de la confrontation avec le réel. Force est de constater, d’ailleurs, que le monde des théoriciens et celui des observateurs ou analystes du système international « concret » (conseillers des décideurs, commentateurs ou leaders d’opinion), sont largement disjoints. Pareille dichotomie est moins fréquente dans les sciences de la nature, et même dans d’autres sciences sociales comme l’économie[113].

 

A. QUESTIONS DE DEFINITION

 

Il convient tout d’abord de circonscrire le domaine. Raymond Aron donnait cette définition : « J’appelle système international l’ensemble constitué par des unités politiques qui entretiennent les unes avec les autres des relations régulières et qui sont susceptibles d’être impliquées dans une guerre générale ». Du point de vue des relations internationales, les unités en question – principalement les Etats dans la conception d’Aron – sont des sociétés humaines plus ou moins cohérentes et donc stables, dotées d’une organisation politique autonome capable de prendre des décisions et de les exécuter, pour tout ce qui engage la société en tant que telle vis-à-vis du « reste du monde ».

 

On observe que la notion d’enjeux par rapport à l’extérieur et engageant une société dans son ensemble est essentiellement relative à la dialectique des « regards » que cette société et les autres portent sur elle, et par conséquent à son identité. Ces regards s’ajustent à travers le temps - parfois douloureusement – en fonction de l’expérience accumulée et de l’évolution - objective et subjective - du contexte. Telle est en l’occurrence l’intuition fondamentale des « constructivistes » qui « considèrent les intérêts et les identités des Etats comme le produit hautement malléable de processus historiques spécifiques »[114]. Le degré d’extension de la notion de souveraineté des Etats repose sur une autre relation dialectique, entre d’une part ces « regards » et d’autre part la capacité des gouvernements et de leurs institutions à s’adapter pour prendre des décisions pertinentes et les exécuter (efficacité, effectivité).

 

Cette capacité dépend à la fois du contexte en constante évolution, et des modalités de sélection des dirigeants, dont elle affecte en retour la légitimité. Tout cela peut donner lieu à bien des discordances temporelles plus ou moins importantes. La « crise de l’Etat », d’où l’on tire à la limite l’idée d’un « monde sans souveraineté », pour reprendre le titre d’un livre de Bertrand Badie[115] – ne s’explique évidemment pas par la disparition du problème des choix publics en tant que tel, ni de celui de la régulation, mais par le déplacement des « regards » au sens précédent et par la nécessité de redéfinir le périmètre de la chose publique et les processus de décision, de plus en plus soumis à l’impératif de la coordination internationale, en raison principalement de la mutation rapide des technologies.

 

Ajoutons enfin que, si la notion d’enjeux par rapport à l’extérieur et engageant une société dans son ensemble n’avait plus de sens, on pourrait a contrario en déduire que l’humanité dans son ensemble formerait une seule société statistiquement homogène, plus ou moins anarchique ou au contraire dotée d’un « gouvernement mondial ».

 

La pensée de Raymond Aron s’inscrit dans la tradition réaliste, selon laquelle les relations internationales sont caractérisées par l’état de nature, où la violence est l’expression normale et même légitime de l’antagonisme des souverainetés. Dans cette vision hobbésienne, chaque unité « revendique le droit de se faire justice elle-même et d’être seule maîtresse de la décision de combattre ou de ne pas combattre »[116]. Ainsi, le droit de guerre (jus ad bellum, à distinguer du droit de la guerre jus in bello) fait-il partie intégrante des fonctions régaliennes du Léviathan[117].

 

Dans sa Theory of International Relations, Kenneth Waltz, considéré comme le chef de file des « néoréalistes », part d’une définition quasiment identique à celle de Raymond Aron : « Les Etats sont les unités dont les interactions forment la structure du système international[118]». Dans son chapitre introductif à l’ouvrage collectif Les Nouvelles relations internationales[119], Marie-Claude Smouts écrit : « Pour les auteurs de ce livre, l’objet des relations internationales est le fonctionnement de la planète ou, pour être plus précis, la structuration de l’espace mondial, par des réseaux d’interaction sociales ».

 

Si les définitions de Raymond Aron ou de Kenneth Waltz peuvent avoir l’inconvénient d’un « stato-centrage » excessif, celle de Marie-Claude Smouts comporte le risque d’étirer à l’extrême le champ des relations internationales, au point de lui ôter toute spécificité parmi les sciences sociales, et de banaliser les Etats, ravalés au rang d’acteurs parmi d’autres. Je crois préférable, parce que plus opératoire, de partir de définitions restrictives comme celles de Raymond Aron et de Kenneth Waltz, quitte à les interpréter dans un sens aussi extensif que nécessaire, pour inclure les différentes facettes des choix publics et de leur coordination dans un monde en évolution.

 

Par exemple, nul ne saurait mettre en doute qu’à la fin du XXème siècle, les entreprises multinationales soient des « acteurs » importants à l’échelle planétaire. Mais elles ne sont pas du même ordre que les Etats. Elles ont souvent une empreinte nationale (au moins culturelle). Elles opèrent sur des territoires rattachés à des Etats  avec leurs gouvernements, leurs lois, leur capacité - plus ou moins grande certes - de les faire respecter. Les entreprises peuvent choisir la localisation de leurs activités au mieux de leurs intérêts propres, et la concurrence qui en résulte entre les Etats, concurrence portant sur les structures économiques et juridiques, peut s’analyser en tant que telle.

 

Cela fait partie de la thématique de la « mondialisation ». Il en va de même pour les modes de coopération interétatiques, en matière fiscale par exemple. Bien que des organisations privées puissent prendre en charge une partie du bien public, les entreprises ne sont jamais des acteurs de même niveau que les Etats, pas plus que les organisations non gouvernementales (ONG). Quant aux organisations internationales, la plupart opèrent entièrement ou principalement dans le cadre de la coopération interétatique. En revanche, il est clair que l’Union européenne est typiquement une unité politique d’un genre nouveau et en devenir, que l’on doit de plus en plus prendre en compte en tant que telle, au même niveau que les Etats, dans l’analyse du système international.

 

L’accroissement de l’interdépendance à travers la multiplication des relations, ou plus généralement des influences directes entre des personnes, civiles ou morales, appartenant à des Etats différents, retient depuis longtemps l’attention des théoriciens de la « transnationalisation ». Parmi eux, les noms de Robert O. Keohane et de Joseph S. Nye, auteurs du concept d’« interdépendance complexe », doivent être distingués[120]. En tant que tel, ce phénomène ne bouleverse pas la théorie des relations internationales. Mais il oblige les Etats à s’adapter, aussi bien pour ce qui est du contenu de la souveraineté sur leur territoire que pour l’apprentissage de nouvelles formes de coopération avec les autres Etats. Les pionniers de l’« école du mondialisme », Inis L. Claude et John W. Burton, se fourvoyaient en mettant tous les macro-acteurs de la vie internationale sur le même plan. Le concept, rénové à la fin des années 80 par Norbert Elias, d’une « société monde » (à distinguer de celui, élaboré par Hedley Bull, d’une « société internationale » basée sur des Etats qui s’entendent sur un ensemble de règles et d’institutions pour la conduite de leurs relations) ou d’une « société d’individus », où toute distinction entre politique internationale et politique interne serait abolie, est fondamentalement erroné.

 

B. SECURITE ET IDENTITE

 

Pour Kenneth Waltz, la question majeure des relations internationales n’est pas - ou n’est plus - la quête d’un équilibre via la puissance, mais la recherche de la sécurité. L’idée de sécurité s’apparente fortement à celle de bien public. Traditionnellement, elle se réfère à la protection contre des agressions de type militaire (violence organisée provoquée par des Etats). Mais les unités politiques doivent aussi apprendre à se protéger contre la violence organisée au sein de réseaux internationaux connectant des acteurs appartenant à des sociétés civiles différentes, dont les causes psychologiques et sociologiques peuvent être très diverses[121]. Dans une acception évidemment extrême de la notion de violence, Bourdieu va jusqu’à parler de la « violence structurelle des marchés financiers »[122].

 

L’insuffisance du point de vue militaire est reconnue depuis longtemps à travers, typiquement, la notion de sécurité pour les approvisionnements « stratégiques ». Cette notion se rattache  étroitement à la première, puisqu’une modification brutale dans les circuits de certaines matières premières ou ressources énergétiques (pétrole) peut rapidement conduire à la guerre. Progressivement, avec l’accroissement de l’interdépendance à travers la « mondialisation », puis les décloisonnements résultant de l’effondrement de l’Union soviétique, il a fallu étendre la notion de sécurité pour y inclure de nouvelles dimensions telles que l’économie au sens large (chocs macroéconomiques par exemple), l’environnement et l’écologie (effets externes locaux de type Tchernobyl, ou globaux de type effet de serre), ou encore la santé (trafics de drogue, sida, vache folle).

 

Parmi les définitions contemporaines de la sécurité souvent citées, on s’arrêtera, à cause de son extrême généralité, sur celle d’Ole Woever (1993) : c’est « la capacité d’une société à conserver son caractère spécifique malgré des conditions changeantes et des menaces réelles ou virtuelles : plus précisément, elle concerne la permanence des schémas traditionnels de langage, de culture, d’association, d’identité et de pratiques nationales ou religieuses, compte tenu de nécessaires évolutions jugées acceptables[123] ». Le concept essentiel, dans cette définition, est celui d’identité, que l’on retrouve ainsi.

 

Sur le plan phénoménologique, rien n’est plus difficile que de définir l’identité d’un objet complexe. « Comment se fait-il, se demande David Ruelle[124], qu’un artiste donné produise de manière répétée des œuvres ayant le même ensemble de caractères probabilistes, ensemble qui caractérise cet artiste particulier ? Ou prenons un autre exemple : comment se fait-il que votre écriture soit si unique, si difficile à imiter pour d’autres, et à déguiser pour vous ? » Voici la réponse proposée par le maître de la théorie du chaos : « Si l’on impose une condition globale simple à un système compliqué, alors les configurations qui satisfont à cette condition globale ont habituellement un ensemble de caractères probabilistes qui caractérise ces configurations de manière unique ».  Ainsi « le fait qu’une œuvre soit due à un certain artiste est […]  “la condition globale simple”, et l’“ensemble des caractères probabilistes”  de l’œuvre est ce qui nous permet d’identifier l’artiste ». De même, la « condition globale simple » à la base de l’identité de la France est la combinaison de l’Etat et de la langue[125], ce qui explique pourquoi la « crise de l’Etat » et « le déclin du français » affectent si durement nos compatriotes. Aux Etats-Unis, on dirait sans doute que la « condition globale simple » est la Constitution. Pour prendre un exemple d’une communauté qui ne coïncide pas avec un Etat, et qui en l’occurrence est fort désorganisée vis-à-vis de l’extérieur, on reconnaîtra que c’est la langue qui conditionne l’identité de la « nation arabe ».

 

Sur le plan ontologique, tout Etat et plus généralement toute unité politique « comme chaque chose, selon sa puissance d’être, s’efforce de persévérer dans son être » (Spinoza). Pour cela, il lui faut s’adapter. On peut dire que l’Union soviétique est morte de la conjonction de deux facteurs étroitement liés : une « puissance d’être » déclinante (en termes moins philosophiques, on pourrait parler de l’affaiblissement de son soft power, au sens de Joseph S. Nye[126]) et une incapacité chronique d’adaptation, conséquence d’un vice de fabrication qu’avait fort bien analysé George Kennan dans les années quarante et qu’un grand théoricien comme Karl Deutsch n’avait pas négligé dans ses analyses[127].

 

Le besoin de sécurité, au sens large, est certainement à la racine de toute notion d’« intérêt national ». Mais, face à une situation concrète, il est souvent difficile et parfois impossible de définir celui-ci de façon univoque, même dans une perspective à long terme.

 

L’idée que l’intérêt national serait définissable de façon absolue, comme un objet qui existerait en soi parce qu’il découlerait du principe de survie identitaire, et que les instances décisionnelles n’auraient qu’à découvrir en chaque circonstance, est difficilement défendable. Le retrait de la France de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN répondait-il par exemple à un impératif catégorique au nom de l’intérêt supérieur de la nation française, comme l’affirmait le général de Gaulle ? Une autre politique aurait-elle pu servir aussi bien cet intérêt ? Plus récemment, la question de savoir quel était l’intérêt de la France face à la situation créée par Milosevic dans la province serbe du Kosovo n’était nullement évidente. Et que dire, dans un tout autre genre, de la notion d’ « exception culturelle » qui se rattache pourtant à l’idée de sécurité dans l’acception large du terme ?

 

A cette indétermination fondamentale, on peut en rattacher une autre, ayant trait aux ambiguïtés de la notion de défensive en stratégie, comme lorsque l’on dit que la meilleure défense est souvent l’attaque. La question est particulièrement délicate, à l’époque contemporaine, pour les Etats dont la « puissance d’être » est en devenir, comme l’Irak depuis son indépendance,  et qu’on ne saurait se contenter de classer dans la catégorie fort peu scientifique des « Etats voyous » (rogue states) de la littérature américaine. Saddam Hussein a perdu son pari en 1990, mais tout analyste des relations internationales s’efforçant d’être objectif doit se distancier de son ethnocentrisme naturel pour essayer de comprendre les points de vue des autres, ce qui ne veut pas dire les prendre à son compte.

 

L’obligation intellectuelle de décentrage est essentielle pour l’intelligence des problèmes d’identité et de sécurité. Bien que la comparaison ait été souvent établie entre le dictateur de Bagdad et Slobodan Milosevic, il est clair que la politique de ce dernier au Kosovo fut d’une nature tout à fait différente, puisque du point de vue de la Serbie (et pas seulement de son régime), il s’agissait de préserver l’unité d’une vieille nation.

 

C. LE FONCTIONNALISME ET SES LIMITES

 

La référence à ces deux exemples majeurs, aux extrémités des années 90, montre bien que la sécurité d’un acteur particulier est indissociable de la stabilité du système international dans son ensemble, avec tout ce que cela risque d’impliquer de conservatisme. La question se pose particulièrement, depuis 1989, à propos de la dissociation effective ou possible de plusieurs Etats (Union soviétique, Yougoslavie, Serbie, Irak, etc.) et de ses conséquences. Il s’agit d’une difficulté fondamentale. On connaît aussi depuis longtemps le dilemme selon lequel davantage de forces, peut conduire à moins de sécurité (à travers le jeu des actions et réactions) ainsi que la fameuse formule d’Henry Kissinger à propos de l’Union soviétique[128] : « La sécurité absolue à laquelle aspire une puissance se solde par l’insécurité absolue pour toutes les autres ».

 

Le courant idéaliste ou (fonctionnaliste), des relations internationales, moins dans la tradition utopiste (Abbé de Saint-Pierre, Kant, Habermas..) que dans la tradition contractualiste issue de Grotius (1583-1645) - considéré comme le fondateur du droit international public -, s’efforce de concilier les idées de transformation (en vue, notamment, d’un monde plus juste) et de stabilité. Dans ce cadre s’inscrivent des tentatives plus anciennes, comme la définition de la « guerre juste »  (Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin)[129].

 

A la limite, les pères fondateurs de l’Europe, comme Robert Schuman et Jean Monnet, considéraient qu’une véritable communauté européenne, se substituant au moins partiellement aux Etats-membres en les coiffant, pourrait s’édifier progressivement. Sur le plan théorique, l’intuition fondamentale  du « néo-fonctionnalisme » est qu’il est possible, par une sorte d’engrenage institutionnel (spill-over effect), de provoquer le rapprochement voire la fusion d’une partie des intérêts nationaux, et donc un dépassement de la notion d’identité nationale, au profit d’une nouvelle forme d’unité politique.

 

Le calcul des partisans de la monnaie unique correspond bien à cette idée : le passage à l’euro oblige les Etats-membres à rapprocher leurs structures économiques autant que nécessaire pour assurer le succès de l’entreprise, et à envisager de franchir un pas supplémentaire en vue d’une politique étrangère et de sécurité commune.

 

Mais le fonctionnalisme rencontre des limites et l’on ne saurait gommer complètement les rapports de puissance. Il suffit, par exemple, d’analyser la politique étrangère américaine sous le président Clinton pour s’en convaincre, et Stephen M. Walt n’a pas tort de remarquer à la fin de son article[130] : « Bien que les dirigeants américains excellent dans l’art d’envelopper leur action dans des discours édifiants sur l’instauration d’un ‘ordre mondial’, la plupart sont animés par des intérêts au sens le plus étroit.  Ainsi la fin de la guerre froide n’a pas entraîné celle de la politique de puissance, et le réalisme demeurera vraisemblablement de loin l’outil le plus utile de notre arsenal intellectuel ». (Stephen M. Walt ajoute cependant aussitôt, à juste titre : « Cependant le réalisme n’explique pas tout et un dirigeant éclairé serait avisé de garder en tête l’existence des autres paradigmes »).

 

La raison pour laquelle l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo, au printemps 1999, a provoqué un réel malaise parmi les observateurs les plus objectifs, indépendamment des erreurs stratégiques qui ont été commises, est qu’elle a été conduite au nom d’un droit d’ingérence dont les Etats-Unis rejettent pourtant le principe sur le plan juridique, et dans le cadre d’une légitimité auto-proclamée par les pays de l’Alliance. Quelles que soient les exactions commises par le régime serbe, il est difficile, pour le reste du monde, de ne pas voir dans cette guerre qui n’en était pas une, une manifestation de l’arrogance occidentale et un moyen, pour l’Amérique, d’affirmer encore davantage sa puissance.

 

Revenons maintenant à la contradiction entre la partie et le tout en matière de sécurité. Pour le résoudre, Barry Buzan a cherché à tempérer l’hypothèse hobbésienne de l’anarchie des souverainetés, postulée dans la théorie réaliste, en introduisant la distinction entre « anarchie immature » et  « anarchie mature »[131]. Dans la première, « les unités sont tenues ensemble seulement par la force du leadership, chaque Etat ne respectant pas d’autre légitimité que la sienne » et «  les relations entre les Etats prennent la forme d’une lutte permanente pour la domination ».

 

Dans l’état d’« anarchie mature », la souveraineté des Etats tient compte des « demandes légitimes » des autres Etats, ce qui ne peut avoir pleinement de sens qu’au sein d’un système international homogène au sens de Raymond Aron[132]. C’est bien pour cela que dans l’affaire du Kosovo, typiquement, les Occidentaux ont choisi d’ignorer le point de vue des autres puissances, coupables de ne pas être des démocraties conformes à leurs principes, et trop faibles pour leur tenir tête.

 

A vrai dire, le mode de pensée de Barry Buzan se rattache étroitement à l’idée de sécurité collective – elle-même issue de la tradition idéaliste et qu’en termes modernes on reformule parfois à partir du concept de « gouvernance globale »[133] – et donc aux intuitions initiales des fonctionnalistes.

 

La centralité de l’idée de sécurité devient évidente quand on réalise que souvent (mais pas toujours, car l’attrait de l’aventure est, autant que la précaution, le mobile fondamental de l’action), les objectifs et les stratégies peuvent se rattacher, au moins conceptuellement, à la perception de la nécessité d’agir face à des crises possibles.

 

Même le projet de la construction européenne peut être interprété de la sorte. Il répond en effet à l’idée, évidemment discutable, que la meilleure façon pour les Etats européens de « persévérer dans leur être » est de s’unir fonctionnellement et organiquement.

 

Prévenir une crise, c’est d’abord en envisager la possibilité, puis élaborer et exécuter une stratégie, soit pour en interdire la concrétisation par une combinaison d’une part de moyens contraignant et dissuasifs, d’autre part  de mesures d’adaptation anticipées ; soit pour en réduire ou en éliminer les conséquences si elle se produisait. Réagir à un choc, c’est donc exécuter (et adapter) une stratégie mise en place préalablement, ou en inventer une dans le cas contraire (une situation en général plus difficile et plus coûteuse), en vue d’éviter des réactions en chaîne non contrôlées.

 

La prévision de crises possibles fait intervenir plusieurs niveaux d’incertitude. A titre d’exemple, et en anticipant sur la suite à propos de la théorie des systèmes, on doit prêter une attention particulière à la forme extrême de hasard qui tient à la possibilité de bifurcations dans le cadre d’un système donné, d’où peut résulter un changement du système lui-même (crise systémique). Les unités politiques de base doivent s’organiser pour essayer de « persévérer dans leur être » dans toutes les hypothèses, y compris les plus chargées d’incertitude, en cas de rupture des modes d’interaction auxquels on était habitué.

 

Un exemple illustrera les notions de bifurcation et de crise systémique. Le 7 octobre 1989, à Berlin, Mikhaïl Gorbatchev avait le choix d’apporter ou de refuser son soutien à Erich Honecker. Cette situation correspond précisément à la notion de bifurcation. En choisissant la deuxième branche de l’alternative, le maître du Kremlin a enclenché - sûrement sans en être conscient - une dynamique qui a provoqué l’écroulement de l’Union soviétique et donc finalement un changement du système international dans son ensemble (crise systémique).

 

Si Mikhaïl Gorbatchev avait choisi de soutenir Erich Honecker dans une action répressive (la position de ceux pour qui il n’avait pas le choix est philosophiquement indéfendable), le système bipolaire aurait vraisemblablement survécu pour un temps indéterminé, dans le cadre d’une relance de la guerre froide. Cet exemple montre comment une bifurcation peut se trouver à l’origine d’un changement du système international.

 

1.2. Théories et systèmes

 

Les considérations précédentes nous rappellent, s’il en était besoin, que toute tentative de définir avec précision un domaine de connaissance implique une activité théorique et de ces aller-retour entre les idées et les faits dont Jean Guitton disait qu’ils sont la voie du progrès scientifique[134].

 

A. THEORIE ET PREVISION

 

Le mot théorie vient du grec « theôria », qui signifie proprement : vision d’un spectacle, vue intellectuelle, spéculation. Une théorie est une « construction spéculative de l’esprit, rattachant des conséquences à des principes » (Lalande). Dans un passage célèbre de l’Introduction à la médecine expérimentale, Claude Bernard écrit : « La théorie est l’hypothèse vérifiée, après qu’elle a été soumise au contrôle du raisonnement et de la critique expérimentale. Mais une théorie, pour rester bonne, doit toujours se modifier avec le progrès de la science et demeurer constamment soumise à la vérification et à la critique des faits nouveaux qui apparaissent. Si l’on considérait une théorie comme parfaite et si l’on cessait de la vérifier par l’expérience scientifique, elle deviendrait une doctrine. » Ces définitions anciennes mettent l’accent sur trois points fondamentaux.

 

D’abord, toute théorie digne de ce nom, du fait qu’elle rattache des conséquences à des principes, doit avoir un certain pouvoir prédictif, au moins en termes de degré de vraisemblance ou de probabilité. Dans le domaine des relations internationales, ce fut par exemple le cas de la théorie de la dissuasion élaborée dans le cadre de la guerre froide.

 

Deuxièmement, toute théorie doit être soumise à la fois au contrôle du raisonnement (aspect logique) et de la critique expérimentale (aller-retour entre les idées et les faits). Comme on l’a vu plus haut, l’histoire des relations internationales depuis la seconde guerre mondiale suggère ainsi amplement que la vision réaliste pure d’un monde complètement anarchique et gouverné par la seule quête de la puissance doit être fortement amendée.

 

Troisièmement, aucune théorie n’est universelle : il n’y a pas de « théorie de tout » même dans une discipline particulière comme les relations internationales, ne serait-ce que parce que l’on a affaire à des phénomènes complexes. La complexité peut se définir comme l’impossibilité de séparer un système de son environnement, ou de le « déplier »[135]. Toute théorie a donc un domaine  de validité, auquel on demande seulement de ne pas être vide. Ce domaine n’est d’ailleurs pas défini de manière absolue. Il dépend en particulier du degré d’approximation retenu. Par exemple, dans le système bipolaire de la guerre froide, l’existence de conflits secondaires ou indirects était parfaitement compatible avec le principe de la dissuasion.

 

Dans les sciences de la nature, le système élaboré par Ptolémée au IIe siècle de notre ère a été grandement amélioré, quelques treize siècles plus tard, par Copernic, et finalement par la théorie de Newton. Celle-ci a été supplantée depuis, vers l’infiniment petit par la mécanique quantique et vers l’infiniment grand par la relativité générale, tout en conservant à l’échelle des activités humaines un immense espace de validité. En relations internationales, la vieille théorie de la balance of power élaborée en 1742 par David Hume et perfectionnée par divers auteurs comme Hans J. Morgenthau, conserve encore un pouvoir explicatif certain dans de nombreuses circonstances.

 

Les considérations précédentes conduisent à deux remarques importantes. Tout d’abord, les spéculations trop générales qui ne se prêtent pas à la critique expérimentale et ne possèdent pas un minimum de pouvoir prédictif, ne doivent pas être considérées comme des théories, autrement que par commodité de langage. C’est le cas peut-être des constructions intellectuelles souvent séduisantes, parfois conçues comme des armes idéologiques, en tout cas trop ambitieuses ou issues d’une définition trop large des relations internationales, telles que la vieille théorie de l’impérialisme voire du marxisme-léninisme, ou encore depuis la fin de la guerre froide, les théories sur la fin de l’Histoire (Francis Fukuyama) ou le choc des civilisations (Samuel Huntington).

 

Ces thèses peuvent cependant avoir l’intérêt de stimuler l’imagination, d’inspirer éventuellement des théories plus limitées et plus opératoires, et de nourrir la philosophie de l’histoire. On en trouvera quelques exemples supplémentaires dans l’ouvrage « Les nouvelles relations internationales » précédemment cité[136]. Autrement dit, toute recherche théorique doit bien délimiter son périmètre.

 

La deuxième remarque prolonge la première. On ignore trop souvent, dans les sciences sociales en général, la notion de limite de validité d’une théorie. Ainsi est-il courant de reprocher à Kenneth Waltz et plus généralement à « l’école néo-réaliste », d’avoir fait l’apologie du système bipolaire et de ne pas avoir prévu la chute de l’URSS. Etrange critique en vérité, car le système de Kenneth Waltz n’avait pas été construit pour expliquer (endogénéiser) la stabilité interne et plus généralement la puissance des Etats, en particulier de l’Union soviétique. Kenneth Waltz écrit explicitement : « Une théorie systémique de la politique internationale s’occupe des forces qui opèrent au niveau international, pas au niveau national[137] ». 

 

Naturellement, tout est en tout – c’est le propre de la complexité – et l’on sait bien que les forces qui opèrent au niveau national sont affectées par des phénomènes extérieurs. Mais, comme on l’a dit, toute théorie suppose un degré d’approximation. En l’occurrence, il n’était pas absurde, encore dans les années 80, de considérer que la possibilité d’un effondrement interne prochain de l’Union soviétique - surtout à partir du centre et non pas de la périphérie - était très faible. De la même façon et pour la même raison (c’est-à-dire la complexité) il est impossible actuellement de prévoir quand aura lieu le prochain tremblement de terre majeur à Tokyo.

 

On a tort de critiquer Kenneth Waltz pour ne pas avoir prévu la chute de l’URSS, mais on peut plus légitimement lui reprocher d’avoir donné l’impression d’élaborer une « théorie générale » - de même qu’aux considérations de marketing près, Keynes n’aurait pas dû donner à son grand livre de 1936 le titre immensément ambitieux de Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, pour la bonne raison qu’une telle théorie générale est impossible. 

 

De ce point de vue, Raymond Aron n’avait pas raison d’opposer la science économique aux relations internationales, comme il l’a fait dans un article bien connu de 1967[138]. Mais l’impossibilité d’une théorie « générale » n’exclue pas la possibilité de théories partielles pertinentes dans des conditions limitées et à un certain degré d’approximation, ni la constitution  d’un système de concepts  utilisable pour une large gamme de théories.

 

Théories et modèles L’épistémologie contemporaine définit la notion de théorie de façon encore plus restrictive qu’André Lalande ou Claude Bernard. Ainsi peut-on lire dans l’article « Théorie » du volume Notions de l’Encyclopédie philosophique universelle[139] : du point de vue logique « une théorie est un système hypothético-déductif cohérent et articulé, un ensemble infini d’énoncés clos sous l’opération de déductibilité. Tout énoncé est soit une prémisse (axiome, hypothèse, postulat, définition) soit une dérivée logique d’un ensemble de prémisses (théorèmes, conséquences) ».

 

Du point de vue de la correspondance entre les termes théoriques et les énoncés d’observation, une théorie « permet de synthétiser virtuellement un grand nombre de données, de suggérer des observations nouvelles, d’interpréter, de prédire et d’expliquer une classe spécifique de phénomènes. Elle est toutefois conjecturale, partielle et approximative. La mise en correspondance de la théorie avec des résultats empiriques s’effectue par l’intermédiaire de modèles qui la spécifient et à l’aide de théories auxiliaires. Le test des hypothèses engage un réseau complet d’énoncés théoriques et empiriques. La généralité d’une théorie est en raison inverse de sa testabilité ».

 

Dans le même esprit, Roger Balian note dans l’introduction de son cours de Physique statistique à l’Ecole Polytechnique : « Plus la synthèse est vaste et plus les principes sont généraux, plus la déduction devient difficile. » Le second principe de la thermodynamique (concept d’entropie, c’est-à-dire de la « quantité de hasard » présente dans un système) illustre parfaitement cette remarque. En bref, « une théorie constitue […] une structure conceptuelle abstraite, mathématiquement descriptible, laquelle est mise en relations avec un ensemble de phénomènes possibles ou actuels ».

 

De ce point de vue, la science économique est incontestablement plus avancée que les relations internationales. Elle dispose d’une batterie de théories parfaitement formalisées, dont la plus achevée est la théorie de l’équilibre général (Walras, Pareto, Arrow, Debreu), à partir desquelles des modèles particuliers sont construits en référence à certaines classes de phénomènes. Ces modèles peuvent être testés, par exemple, par les méthodes statistiques de l’économétrie. On doit insister sur le fait que ce sont les modèles particuliers qui sont testés empiriquement et non pas directement les théories dont ils procèdent, lesquelles ne sont que des édifices purement logiques. De ce point de vue la situation n’est pas fondamentalement différente dans les sciences « molles » et dans les sciences « dures ».

 

La distance qui sépare les deux disciplines (économie et relations internationales) est cependant moins grande qu’on ne le croit. La théorie de la balance of power se prête facilement à la mathématisation (via la théorie des jeux) autant que celle de l’étalon-or (price-specie-flow-mechanism) élaborée par le même auteur, David Hume, en 1752. Il en va de même, par exemple, pour  la théorie de la dissuasion. Le grand traité de Clausewitz, Vom Kriege (dont la publication, après la mort de l’auteur, s’est échelonnée entre 1832 et 1834) est rédigé dans un style pré-mathématique qui soutient la comparaison avec les Principes de l’économie et de l’impôt de Ricardo (1817), une œuvre dont la postérité intellectuelle a fortement bénéficié des clarifications conceptuelles et logiques imposées par sa mathématisation au XXème siècle.

 

Sans doute, la pensée clausewitzienne bénéficierait-elle d’un traitement semblable, s’il se trouvait un chercheur motivé pour l’entreprendre. Plus près de nous, la recherche opérationnelle a inspiré de nombreux modèles quantitatifs en matière de guerre et de paix, mais pas encore de théorie à proprement parler, et l’on doit signaler la tendance à l’augmentation des travaux pré-mathématiques notamment pour l’étude des alliances et des régimes internationaux. Ces travaux s’inspirent de la microéconomie moderne, de la théorie de la décision et des contrats, de celle des jeux la théorie des jeux s‘occupe de la « rationalité active », de celle des choix publics ou encore de celle des organisations, autant de théories qui ont vu le jour dans le cadre de l’économie, mais qui l’ont rapidement débordée[140]. Alors qu’une alliance est une association temporaire d’Etats en vue d’un objectif déterminé, la notion de régime décrit un processus d’institutionnalisation, où les Etats acceptent progressivement d’abandonner une partie de leur souveraineté au profit de modes de coordination supra-nationaux (mais sans jouer nécessairement des rôles symétriques).

 

On peut naturellement interpréter l’émergence d’un régime comme une réponse à une question de sécurité.  Observons au passage qu’à la fin du XXème siècle l’Alliance atlantique est plus qu’une alliance classique et moins qu’un régime, mais la pression américaine la pousse fortement dans la seconde direction depuis la fin de la guerre froide.

 

B. SYSTEMES

 

Un point particulièrement important est donc que la mise en correspondance d’une théorie avec les résultats empiriques s’effectue par l’intermédiaire de modèles qui la spécifient. Un modèle prend souvent la forme d’un système, un mot qui a déjà été utilisé plusieurs fois dans ce qui précède, et qui figure même dans certaines définitions des relations internationales, explicitement chez Raymond Aron et implicitement chez Kenneth Waltz. Bien qu’assez proches, les concepts de théorie et de système doivent être distingués.

 

Reportons-nous encore une fois à l’Encyclopédie philosophique universelle : « De son origine grecque (sunistémi), ce terme tire l’idée générale d’un rassemblement d’objets, d’éléments ou de parties d’une réalité qui sont présentés et qu’il convient de saisir dans leur articulation réciproque, et dont chacun acquiert signification de la place qu’il occupe dans ce tout ».

 

Toute discipline scientifique se développe en s’appuyant sur un système de concepts qu’en retour elle enrichit. On me permettra de citer ce passage - inspiré de mes conversations d’autrefois avec Jean Ullmo - de l’avant-propos à mon cours d’économie à l’Ecole polytechnique, publié en 1988[141] : « Les concepts économiques ne peuvent être introduits de façon opératoire  que dans des modèles où ils se trouvent définis par leur fonction dans un réseau de relations. Mais il ne faut pas que le concept reste attaché au modèle où il a été présenté. Un modèle peut fournir une bonne définition d’un concept, et être une mauvaise représentation de la réalité. Tout concept économique doit ainsi être critiqué aussitôt que présenté, ce qui peut dérouter ou conduire au doute et au scepticisme ». On pourrait en dire autant pour les relations internationales.

 

A titre d’exemple, voici quelques-uns des concepts, certains fort anciens et d’autres très récents, couramment utilisés dans la discipline des relations internationales, concepts qui se renvoient les uns aux autres : Etat, quasi-Etat (quasi State ou failed State), Etat-nation, souveraineté, anarchie, intérêt national, alliance, coalition, neutralité, interdépendance, mondialisation, bipolarité, multipolarité, forces, ressources, pouvoir, puissance, influence, équilibre, conflit, agression, guerre, paix, défense, sécurité, sécurité collective, contrôle des armements, crise, gestion des crises, décision, subsidiarité, stratégie, dissuasion, gouvernance, bonne gouvernance, leadership, hégémonie, impérialisme, géopolitique, géostratégie, idéalisme, réalisme…

 

Maîtriser une discipline, c’est d’abord intérioriser son système conceptuel - lequel évolue avec le cheminement évoqué plus haut -, et posséder une méthode pour relier dialectiquement les concepts et les faits. Dans les sciences sociales, les réputations se font souvent en fonction de la capacité des chercheurs à élaborer de nouveaux concepts et à les tester. En sociologie, la célébrité de Pierre Bourdieu repose en partie sur l’élaboration de trois concepts interdépendants ou complémentaires d’habitus, de capital et de champ.

 

On peut dire que le système conceptuel précède les théories, en ce sens qu’il est le gisement à partir duquel celles-ci peuvent être construites. Mais il s’agit d’un gisement qui se reconstituerait et s’élargirait constamment. C’est pourquoi le concept de système figure aussi souvent  dans les tentatives de définition d’un domaine, où l’on essaie de donner aussi synthétiquement que possible l’intuition de ce dont il s’agit. On l’a vu précédemment avec les définitions très sobres de Raymond Aron et de Kenneth Waltz. On cite également souvent celle de « système international » proposée par Michael Brecher, comme « ensemble d’acteurs soumis à des contraintes intérieures (contexte) et extérieures (environnement), placés dans une configuration de pouvoir (structure) et impliqués dans des réseaux réguliers d’interactions (processus) »[142].

 

Mais la notion de système a aussi une modalité plus étroite, dans la mesure où les modèles qui spécifient les théories en vue de la confrontation avec le réel se présentent souvent plus ou moins comme des systèmes dynamiques au sens de l’analyse mathématique. Cela est typiquement le cas pour les systèmes mécaniques courants.

 

La définition d’un système dynamique comporte celle de l’état  du système à chaque instant, avec la distinction entre variables endogènes, exogènes et de régulation (on dit aussi commande ou contrôle), et des « processus » ou « lois », déterministes ou stochastiques, qui spécifient les transitions entre états successifs.

 

Le paradigme issu de l’analyse mathématique des systèmes a engendré une batterie de concepts très généraux et puissants quand ils sont utilisés à propos, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, tels que : systèmes ouverts, fermés ; échanges et transferts entre unités constitutives d’un système et avec l’extérieur ; équilibre et homéostasie ; hiérarchisation ; bifurcation ; différenciation, adaptation, stabilité structurelle et morphogénèse (René Thom), chaos, création d’ordre par le bruit, auto-organisation, évolution ; feedback ou rétroaction ; contrôle (ou régulation) déterministe ou aléatoire, hystérésis, etc.

 

Pour un aperçu récent de l’extrême fécondité de l’analyse des systèmes ainsi étudiés, on pourra par exemple se reporter aux travaux de Sunny Y. Auyang[143].

 

Dans l’état actuel de la discipline des relations internationales, contrairement à l’économie, l’analyse des systèmes dynamiques n’a encore été utilisée que d’une manière métaphorique ou analogique avec plus ou moins de bonheur, comme dans le livre de J.N. Rosenau[144] sur la turbulence. Les obstacles sont en effet nombreux. La modélisation des systèmes suppose de pouvoir définir sans ambiguïté, au moins en un sens statistique, l’état de ce système (si possible par un petit nombre de variables). Elle suppose aussi la possibilité de formuler un enchaînement temporellement harmonieux des variables d’état.

 

Ce sont là de fortes limitations. Mentionnons rapidement deux autres difficultés, concernant respectivement la définition de l’état d’un système international et la formulation des lois de transition. Sur le premier point, le problème est que la plupart des variables d’état, comme les composantes de la puissance dans le paradigme réaliste, sont des grandeurs intensives (comparables à la température en physique, ou à l’utilité en économie) et non pas des grandeurs extensives (c’est-à-dire additives, comme des masses, des résistances électriques, ou encore des quantités de biens au sens économique).

 

Par exemple, une composante particulièrement importante de la puissance d’un groupe est son « moral », lequel peut en principe être repéré par un indicateur statistique, comme savent le faire les instituts de sondage, et qu’il est licite de considérer comme une grandeur intensive. Rien ne s’oppose, sur le plan formel, à définir un système mathématique avec des variables d’état (ou certaines d’entre elles) intensives.

 

Le second point concerne notre faible degré de connaissance des systèmes internationaux concrets, soit qu’ils n’aient été « testés » que dans une plage trop limitée de leurs possibilités au cours de leur vie (cas du système bipolaire de la guerre froide), soit que leur durée de vie soit trop brève pour que l’on puisse les identifier (au sens où l’on parle de l’identification d’un modèle en économétrie[145]. Il se peut cependant que le domaine de validité d’un système international concret (le système bipolaire de la guerre froide par exemple) soit étroitement limité, comme peut l’être la modélisation de l’élasticité en mécanique des milieux continus (notions de plasticité, de rupture).

 

Les systèmes - internationaux en l’occurrence - disparaissent souvent à la suite d’une bifurcation qui fait sortir la trajectoire de son domaine de validité, à l’instar de la décision de Gorbatchev mentionnée précédemment ou encore de certaines guerres.

 

Observons incidemment que toutes les guerres ne s’analysent pas comme des bifurcations. Par exemple, la guerre entre l’Irak et l’Iran des années quatre-vingt n’a pas transformé radicalement le système international. A la suite d’une phase de transition consécutive à une crise systémique - phase qui peut ne pas être modélisable par un système dynamique -, un nouveau système émerge, se substituant à l’ancien.

 

Mais, comme Tocqueville l’avait remarqué dans l’Ancien régime et la révolution[146], le nouveau système partage beaucoup de traits communs avec l’ancien. Pareille situation est familière dans les sciences de la nature. Ainsi, une réaction chimique ou nucléaire peut-elle être considérée comme un « choc » qui fait passer d’un système à un autre. Mais le nouveau système est lié à l’ancien à travers des « lois de conservation »  ou des « invariants ». Dans le domaine qui nous intéresse, les plus importants de ces invariants sont les identités des unités politiques de base ou de leurs principales composantes (ethniques par exemple).

 

Ici, la prise en compte de la durée est évidemment essentielle. A long terme, on doit considérer explicitement la naissance, la croissance, ou la décomposition et recomposition des acteurs. Ainsi le XXème siècle aura-t-il vu disparaître les empires allemand, austro-hongrois, turc et russe, et aussi les empires coloniaux de l’Europe médiévale, avec tous leurs avatars. Avec l’écroulement de l’Union soviétique, des équilibres locaux ou régionaux, artificiellement maintenus pendant la guerre froide, ont été rompus, initiant une vague de conflits intra-étatiques à l’intérieur de failed states. Ces « Etats manqués » souffrent d’un excès de faiblesse, et non pas d’un excès de puissance. La question des recompositions qui pourraient résulter de ces guerres est ouverte[147].

                                 

C. MODELISATION ET PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE

 

Comme on le voit par ce qui précède, le simple fait de postuler un certain type de modélisation induit des conclusions au moins qualitatives, qui touchent davantage à la philosophie de l’histoire qu’à la théorie au sens propre du terme. En voici encore un exemple : toute modélisation du système international par un système dynamique déterministe (les variables exogènes et de régulation étant données, la suite temporelle des variables endogènes est entièrement déterminée à partir des « conditions initiales ») reflète par construction une interprétation des phénomènes fondée sur l’idée de déterminisme historique.

 

Et pourtant, il suffit que le système en question soit non linéaire pour que s’introduise  une forme d’imprévisibilité  qu’aucun mode de régulation ne peut vraiment contrer, que David Ruelle nomme la « dépendance  sensitive des conditions initiales », et qu’au début du siècle, Henri Poincaré exprimait ainsi : « une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard »[148].

 

D’où, le paradigme du chaos, qui exprime l’échec du déterminisme laplacien. « Ce que l’on appelle chaos, écrit D. Ruelle[149], est une évolution temporelle avec dépendance sensitive des conditions initiales », ce qui fait dire à ce savant que « l’histoire engendre systématiquement des événements qui ne peuvent être prédits et qui ont d’importantes conséquences à long terme ». A condition bien sûr que le type de modélisation dont dépend cette conclusion soit pertinent, ce qui ne serait par exemple pas nécessairement le cas pour des organismes vivants dotés de puissants mécanismes stabilisateurs, comme les réponses immunitaires[150].

 

En termes précis, les « événements » dont parle Ruelle peuvent s’interpréter comme des perturbations apparemment insignifiantes de l’état du système à un instant donné, qui sont donc d’une tout autre nature que les bifurcations dont nous avons parlé antérieurement. L’un des pionniers de la théorie moderne du chaos (au début des années 60), le météorologue Edward Lorenz, estimait que « le battement des ailes d’un papillon aura pour effet après quelque temps de changer complètement l’état de l’atmosphère terrestre ». Et encore tout cela ne concerne-t-il que les systèmes dynamiques les plus « simples ». Citons une dernière fois David Ruelle : « En biologie et dans les sciences  “molles”, on ne connaît pas de bonnes équations d’évolution temporelle (des modèles qui donnent un accord qualitatif ne suffisent pas).

 

En outre, il est difficile d’obtenir de longues séries temporelles de bonne précision, et enfin la dynamique n’est pas simple en général. Il faut voir aussi que dans beaucoup de cas (écologie, économie, sciences sociales), même si l’on arrivait à écrire des équations d’évolution temporelle, ces équations devraient changer lentement avec le temps, parce que le système “apprend” et change de nature. Pour de tels systèmes, donc, l’impact du chaos reste au niveau de la philosophie scientifique plutôt qu’au niveau de la science quantitative ».

 

Mais l’auteur ajoute prudemment que « le progrès est cependant possible », et qu’à son époque les intuitions de Poincaré sur les limites de la prévision en météorologie, ne pouvaient être que de la « philosophie scientifique ». C’est dire qu’on ne peut pas prévoir à quelques décennies de distance l’évolution des possibilités de modélisation pertinente dans les sciences sociales en général, et en particulier dans les relations internationales[151].

 

2. Théories migratoires

 

Les migrations constituent un objet de recherche qui a alimenté de très nombreux travaux et une réflexion théorique riche et plurielle. Une sélection de ces contributions, articles et chapitres d’ouvrages souvent en langue anglaise, couvrant plusieurs décennies, est aujourd’hui réunie dans un volume en langue française publié par l’Ined dans une nouvelle série consacrée aux « Textes fondamentaux » qui ont contribué aux approches théoriques en démographie. Cette série a pour ambition de réunir des textes originaux qui ont constitué des jalons dans la pensée démographique en apportant des clés d’analyse et de compréhension des phénomènes.

 

Victor Piché[152] a dirigé le volume inaugural de cette série et propose une mise en perspective de ces travaux fondateurs. Il rend compte de la diversité des approches pour la compréhension des phénomènes migratoires : pays de départ ou d’arrivée, échelles micro, méso, macro, comportements individuels, réseaux, politiques migratoires. Il montre aussi la maturation des théories au gré de l’évolution des dynamiques migratoires locales et internationales.

 

L’objectif du présent travail est de rendre compte de l’évolution des théories migratoires contemporaines au cours des cinquante dernières années à partir d’une vingtaine de textes fondateurs qui ont marqué le champ migratoire. D’emblée, deux points sont à préciser. En premier lieu, par textes fondateurs nous entendons les articles ou chapitres de livres qui ont résolument marqué le champ migratoire[153]. Ce sont des références qui reviennent constamment, soit comme cadres théoriques utilisés par les chercheurs dans leurs travaux empiriques, soit dans les nombreuses revues de littérature qui ont proposé des synthèses critiques de ces théories. En second lieu, la période retenue va des années 1960 à l’année 2000.

 

En faisant ce choix, nous nous privons certes des grands classiques de la sociologie et de l’économie, Comte, Durkheim, Weber, Marx, Smith, pour n’en nommer que quelques-uns. Ces grands classiques ont marqué le domaine des sciences sociales, mais leurs contributions au champ migratoire sont demeurées clairsemées. Il serait fort intéressant de documenter la conception de la mobilité dans les œuvres de ces classiques, mais ce n’est pas le propos du recueil dont il est question ici. La première question concerne la définition même de la migration.

 

Le premier texte retenu est celui d’Alan Simmons[154] car il constitue un document pionnier, dans la mesure où il vise à mettre de l’ordre dans les définitions et les typologies et surtout à resituer les théories migratoires dans leurs contextes historiques. Il suggère trois paramètres comme fondements pour définir la migration : le changement de résidence, le changement d’emploi et le changement de relations sociales.

 

En général, la migration est définie essentiellement selon le premier critère, à savoir le changement de résidence. La suggestion novatrice de Simmons d’en élargir la définition s’imposera de plus en plus, en particulier dans les recherches centrées sur les facteurs macro-structurels. Simmons note également une importante fragmentation du domaine, due au fait que les théories couvrent des types de migrations spécifiques dont les explications relèvent de contextes sociaux et historiques déterminés. Elle concerne surtout la distinction entre les causes et les effets des migrations, qui a dominé les recherches migratoires. Mais elle touche également les niveaux d’analyse, que ce soit le niveau micro, macro ou méso. Dans la présentation des textes fondateurs, nous tenons compte de cette fragmentation en distin- guant, d’une part, les causes et les effets, et d’autre part, les approches micro- individuelles des approches macro-structurelles.

 

2.1. Les approches micro-individuelles

 

L’une des toutes premières approches explicatives des migrations tant internes qu’internationales s’est concentrée sur la prise de décision individuelle. Avant de prendre la décision de quitter son lieu de résidence, l’individu examine les coûts et les bénéfices liés à la migration potentielle. Cette approche est souvent associée au texte de Larry Sjaastad[155] publié en 1962, dans lequel il se propose d’identifier les coûts et les bénéfices et de déterminer le « retour sur investissement » résultant des migrations. En effet, l’auteur considère la migration comme un « investissement qui augmente la productivité des ressources humaines », investissement qui comporte des coûts mais rapporte également des bénéfices. Les coûts sont à la fois monétaires et non monétaires.

 

L’apport le plus significatif de Sjaastad est certainement l’introduction de la notion de capital humain dans la théorie migratoire afin de contourner la difficulté liée à l’estimation des bénéfices. Ainsi, dit-il, « il est particulièrement utile d’employer le concept de capital humain et d’envisager les migrations, la formation et l’expérience comme des investissements dans le facteur humain ».

 

L’approche de Sjaastad est explicite sur le postulat de base, à savoir que l’analyse des coûts et bénéfices individuels n’est valable que dans le cas de migrations volontaires qui, dans une économie concurrentielle, visent une répartition « optimale » des ressources. Le texte de Sjaastad a ouvert la voie au cadre général présenté par Everett Lee en 1966. Ce cadre se fonde sur les caractéristiques individuelles pour expliquer le volume, ainsi que les courants et contre-courants migratoires. Il part du postulat que la migration est le résultat d’un calcul individuel fondé sur les facteurs d’attraction (lieu de destination) et les facteurs de répulsion (lieu d’origine).

 

L’un des grands mérites du modèle de Lee est d’introduire le concept d’opportunités intermédiaires entre le lieu d’origine et le lieu de destination. Il précise que ce ne sont pas tant les caractéristiques objectives que les perceptions individuelles des lieux d’origine et de destination qui provoquent la migration.

 

Parmi les facteurs qui interviennent dans le processus migratoire, Lee mentionne les contacts personnels et les sources d’information existant dans le lieu de destination. Nous ne sommes pas loin, ici, de la notion de réseaux migratoires qui deviendra centrale dans les théories migratoires à partir des années 1980.

 

Outre les notions de facteurs d’attraction et de répulsion et de facteurs intermédiaires, Lee fait allusion, en nommant les lois migratoires de Ravenstein[156], à d’autres éléments qui seront développés plus tard par d’autres chercheurs.

 

On pense par exemple à la notion de spécialisation dans les qualifications et dans les emplois qui annonce l’hypothèse de la segmentation du marché du travail défendue, entre autres, par Portes (1981), que nous évoquerons par la suite. Il aborde également la discrimination et la « création de nouvelles formes de diversité au sein de la population », ouvrant la voie aux nombreuses recherches futures sur les sociétés multiraciales et multiculturelles. Il affirme par ailleurs que les migrations augmentent avec le temps, augmentation renforcée par les disparités économiques de plus en plus importantes entre les régions du monde, la scolarisation croissante et les progrès technologiques, en particulier dans les communications et les moyens de transports, autant de facteurs qui diminuent les « obstacles intermédiaires »[157].

 

Ces thèmes précurseurs domineront la littérature scientifique sur les migrations internationales dans le contexte de la mondialisation. Enfin, il note que l’accroissement des migrations peut également être dû aux migrations elles-mêmes, dans la mesure où les premières vagues de migrants surmontent les obstacles intermédiaires, rendant les frontières moins difficiles à franchir pour les vagues suivantes. Il est tentant de voir dans cette intuition la notion de causalité cumulative développée par Douglas Massey[158] (1990).

 

Bien que dans les revues de littérature sur les théories migratoires le modèle de Lee soit bien présent, les critiques ont été nombreuses. Deux aspects méritent l’attention. D’une part, les critiques s’entendent pour dire qu’il ne s’agit pas d’une théorie en tant que telle, mais plutôt d’un cadre conceptuel permettant de classifier les divers facteurs expliquant la migration.

 

D’autre part, les critiques notent la prédominance, pour ne pas dire l’exclusivité des facteurs micro-individuels, principalement ceux liés au capital humain, aux dépens des facteurs macro-structurels. En effet, le modèle de Lee est indissociable du postulat micro-économique de la migration volontaire au sein d’une économie concurrentielle, postulat qui est au cœur de la théorie microéconomique des migrations mettant l’accent sur les choix individuels.

 

Ce modèle théorique a été largement développé par Michael Todaro (Todaro, 1969 ; Harris et Todaro, 1970) et Borjas (1989). Le grand mérite de ces approches est d’avoir adjoint la notion de revenu attendu ou, selon le langage de Sjaastad, le retour net « attendu » sur l’investissement. Tout en demeurant dans l’approche micro-individuelle, une autre question se pose quant à l’évolution des mouvements migratoires. Wilbur Zelinski (1971) est l’un des premiers à avoir formulé l’esquisse d’une théorie de la mobilité fondée sur la notion de transition chère à la démographie. Il tente ainsi d’introduire la migration dans la théorie de la transition démographique qui, traditionnellement, se concentre uniquement sur les changements dans les niveaux de fécondité et de mortalité.

 

Comme pour la théorie classique de la transition démographique, la théorie de la transition de la mobilité (Zelinski parle plus modestement d’hypothèse) se situe au sein de la théorie de la modernisation, dominante dans les années 1970. Malgré le vocabulaire ancien et dépassé de l’article de Zelinski, sa contribution est significative à deux niveaux.

 

D’une part, il propose d’intégrer la migration au sein de la théorie de la transition démographique prise dans son ensemble. Cette hypothèse permet de dépasser la fragmentation du champ démographique en faisant appel à la notion de régime démographique. Selon les époques, chaque société développe des stratégies de reproduction démographique en combinant les mécanismes reproductifs que sont la fécondité, la mortalité et la migration. Ainsi, la migration n’est pas une stratégie isolée : elle est articulée aux autres comportements démographiques (Gregory et Piché, 1985 ; Mertens, 1995).

 

D’autre part, même si sa présentation de la théorie de la transition démographique (vitale) est aujourd’hui largement dépassée, celle de la transition de la mobilité demeure intéressante, surtout dans sa phase avancée. Malheureusement, peu de travaux ont suivi cette voie. Les analyses d’Alan Simmons (1995, 2002) constituent une exception, établissant un lien explicite entre l’évolution historique des mouvements migratoires, leur signification sociale et économique, et les diverses phases du développement du capitalisme et de la mondialisation.

 

La critique la plus courante de l’approche de Zelinski est son caractère évolutionniste issu de la théorie de la modernisation. Cette approche, taxée d’« occidentalo-centrisme », est demeurée jusqu’à aujourd’hui au centre de la conception du changement social et du développement en démographie. En effet, les premières formulations de la théorie de la transition démographique, apparues en pleine période coloniale, sont fortement teintées d’évolutionnisme et présentent les sociétés « traditionnelles et non industrialisées » comme les miroirs inverses des sociétés industrialisées et modernes.

 

Dans une perspective évolutionniste, ces sociétés se développeront si elles adoptent des structures plus modernes et les attitudes qui les sous-tendent. Aujourd’hui, la perspective évolutionniste a été presque totalement abandonnée, du moins en sociologie et en anthropologie, entre autres à cause de l’influence de l’approche postmoderne qui conteste la portée universaliste des théories en sciences sociales. Même si le postmodernisme a eu peu d’emprise en démographie[159], s’agissant des théories migratoires, deux courants de recherche ont eu une certaine influence.

 

Un premier courant remet en question la prétention universelle des catégories statistiques, suggérant que les catégories sont des constructions sociales et politiques historiquement déterminées (Szreter et al., 2004 ; Cordell, 2010). Cette approche critique s’est aussi attaquée aux catégories officielles produites par les recensements, en particulier les catégories raciales et ethniques (Nobles, 2000 ; Simon et Piché, 2012). Un deuxième courant, relié aux études postcoloniales, pose la question des conséquences du transfert humain et symbolique des séquelles coloniales au cœur de la métropole.

 

En effet, contrairement à l’immigration en provenance d’Europe, les migrations issues des anciennes colonies, désignées comme des migrations postcoloniales, possèdent des spécificités qui « tiennent autant de l’expérience commune de la colonie que de l’expérience continuée de l’après-colonie en métropole, marquée par les préjugés ethniques et raciaux et par les discriminations » (Simon, 2010, p. 362).

 

2.2. Les approches macro-structurelles

 

Pour plusieurs chercheurs, les décisions de migrer ne peuvent pas se comprendre hors d’un contexte plus global. Une première approche a consisté à inscrire les mouvements migratoires dans un système impliquant la circulation de divers flux entre les lieux d’origine et de destination : flux de personnes, mais aussi flux de biens, de services et d’idées.

 

C’est avec Akin Mabogunje (1970) que l’on voit l’apparition de l’approche systémique. Son schéma analytique tente d’identifier tous les éléments de l’environnement pouvant affecter les mouvements migratoires, allant de l’environnement économique, à la technologie, à l’environnement social et enfin aux facteurs politiques. Il mentionne également deux autres facteurs qui seront largement développés par les recherches futures, à savoir le rôle important de la circulation de l’information et le maintien des contacts avec le lieu d’origine, ouvrant la porte aux nombreux travaux qui insisteront sur l’importance des réseaux sociaux et familiaux ainsi que des transferts monétaires dans le processus migratoire.

 

L’approche de Mabogunje permet d’appréhender la migration non plus comme un mouvement linéaire et unidirectionnel, mais comme un phénomène circulaire imbriqué dans un système de variables interdépendantes. Certes, l’approche systémique n’est pas facile à rendre opérationnelle tant les facteurs identifiés par Mabogunje sont nombreux. Néanmoins, elle permet de déboucher sur une conception de la migration internationale en lien avec la mondialisation, suggérant même l’idée d’un marché du travail global dans une économie mondialisée (Petras, 1981 ; Simmons, 2002).

 

Cette perspective globale deviendra de plus en plus en vogue à partir des années 2000 et donnera lieu à une importante littérature sur les réseaux transnationaux (Schiller et al., 1992 ; Faist, 2000 ; Vertovec, 2009).

 

Une caractéristique inhérente à l’approche systémique est la circularité, notion théorisée par Burawoy (1976). La contribution originale de Burawoy est double : il a d’abord élargi le modèle de la circulation en le généralisant à toutes les formes de migrations circulaires (surtout internationales), puis a illustré ses hypothèses par une approche comparative impliquant le cas du Mexique, des États-Unis et celui de l’Afrique du Sud. Remettant en question le postulat de l’acteur rationnel maximisant ses intérêts sous l’effet des forces du marché, il introduit des facteurs politiques et structurels.

 

La notion clé de sa théorie repose sur le principe de la séparation géographique des fonctions de renouvellement (reproduction) et d’entretien de la force de travail. C’est l’articulation de ces deux fonctions qui est à la base du système circulaire.

 

D’une part, l’économie domestique doit continuer à fonctionner, non seulement du point de vue de la production de subsistances, mais aussi comme un système de sécurité sociale pour l’ensemble des membres de la famille, y compris ceux et celles ayant émigré et qui arrivent sur un marché du travail sans garantie, c’est-à-dire sans sécurité sociale en cas d’accidents, de maladies ou de chômage.

 

D’autre part, les besoins monétaires obligent une partie des membres de la famille à émigrer là où se trouvent les marchés du travail associés à l’économie de marché. Il est intéressant de noter qu’à peu près à la même date, en fait une année avant Burawoy, Claude Meillassoux (1975), avait proposé dans le contexte africain la même approche de l’articulation entre les modes de production domestique et capitaliste, et la séparation des deux fonctions (reproduction et entretien de la force de travail). Cette démarche a, par la suite, inspiré plusieurs travaux sur les migrations africaines, tant internes qu’internationales (Gregory et Piché, 1985).

 

Selon la thèse de Burawoy, l’articulation implique une double dépendance et repose à la fois sur une base économique et sur des institutions politiques et juridiques : « La double dépendance à deux modes de production ne se reproduit pas sans recourir à des institutions non économiques ». Cette affirmation mérite d’être nuancée.

 

En effet, l’exemple ouest africain, bien documenté, montre que même après la disparition des structures coercitives (i.e. l’abolition des travaux forcés), le système de travail migrant temporaire persiste (Cordell et al., 1996). Ce modèle remet en question l’approche classique liant développement et migration selon laquelle le développement engendre l’émigration en détruisant la société préindustrielle et en libérant la main-d’œuvre pour le travail dans les nouveaux marchés de travail urbains (Massey, 1988).

 

Ce faisant, on s’attend à ce qu’avec le temps, la migration, considérée comme un mécanisme de réallocation des ressources, rétablisse l’équilibre entre les zones de départ et d’arrivée (Todaro, 1969). La notion de circularité suggère que la société préindustrielle, caractérisée par le mode de production domestique, n’est pas détruite puisqu’elle doit continuer à assurer la subsistance des membres restés sur place et la sécurité « sociale » de ceux et celles qui ont émigré (Gregory et Piché, 1983).

 

Le modèle de Burawoy demeure encore pertinent aujourd’hui pour une autre raison. En effet, les programmes de travailleurs temporaires qui refont surface dans les pays développés se caractérisent également par la double dépendance, économique et institutionnelle. En fait, même si ces travailleurs sont rémunérés sur la base des salaires du marché (ce qui n’est pas nécessairement le cas), on cherche avant tout à éliminer les coûts d’entretien liés à l’intégration socio-économique, en refusant les droits de citoyenneté.

 

L’approche développée par Burawoy introduit les facteurs macro-structurels dans le processus migratoire circulaire. Mais d’un point de vue plus général, pour certains auteurs, la migration répond d’abord et avant tout à la demande de main-d’œuvre.

 

Saskia Sassen (1988) présente les formulations les plus explicites des facteurs qui influent sur la demande de main-d’œuvre immigrante. Selon elle, l’immigration est un phénomène essentiellement urbain et concerne en particulier les grands centres urbains du monde développé.

 

C’est à Sassen que revient le mérite d’avoir développé le concept de ville mondiale depuis laquelle l’économie mondiale est gérée. Elle traite de la réorganisation de la production industrielle, dont témoigne en particulier la prolifération des ateliers exploitant une main-d’œuvre clandestine ainsi que le travail à domicile. Cette nouvelle économie a également provoqué une explosion de l’offre d’emplois peu rémunérés. Comme elle l’affirme, « la croissance dynamique de ces secteurs joue un rôle décisif dans l’expansion d’un secteur économique informel » susceptible d’être occupé par des travailleurs étrangers non qualifiés. Ainsi, l’arrivée massive d’immigrants de pays à faibles revenus depuis une quinzaine d’années ne peut être interprétée en dehors de ces transformations.

 

2.3. L’approche par le genre

 

Jusqu’ici, la littérature migratoire se conjuguait au masculin. Le numéro spécial de l’International Migration Review sur les migrations féminines dirigé par Mirjana Morokvasic (1984*), rappelle que la migration est également féminine. L’apport de Morokvasic porte surtout sur la diversité des destins des femmes migrantes à travers le monde en illustrant les nombreux cas d’exploi- tation de cette main-d’œuvre. Selon elle, la migration féminine peut être positive (émancipation, autonomie financière), mais elle peut aussi renforcer les inégalités de sexe. Malgré le plaidoyer de Morokvasic, il faut reconnaître néanmoins que l’approche féministe appliquée aux migrations n’a pas complètement pénétré le champ migratoire dominant.

 

Les revues de littérature récentes font peu de place aux migrations féminines (par exemple Massey et al., 1998 ; Zlotnik, 2003). Toutefois, dans la lignée de Morokvasic, le rôle des rapports de genre dans les décisions migratoires sera abordé dans l’optique d’une théorie spécifique de la place des femmes dans la société. Cette théorie stipule qu’il est nécessaire d’aller au-delà d’une simple prise en compte du sexe comme une variable parmi d’autres, pour en faire un concept central (Boyd, 1989 ; Pessar, 1999 ; Lutz, 2010).

 

Cette construction théorique insiste sur la division sexuelle du travail, qui assigne aux femmes l’essentiel du travail domestique, les place dans une position subordonnée, restreignant leur mobilité géographique dans les zones de départ ou les confinant souvent à des emplois précaires dans les zones de migrations. Pour plusieurs auteurs, la position marginale des femmes sur le marché du travail résulte d’arbitrages familiaux qui maintiennent les inégalités entre les sexes (Tienda et Booth, 1991).

 

2.4. Les réseaux migratoires

 

La théorie néoclassique a été particulièrement critiquée par la « nouvelle économie de la migration de travail », rattachée surtout à l’économiste Oded Stark (1991).

 

Le texte de Stark et Bloom (1985), se démarque des théories microéconomiques en ce qu’il introduit la notion de stratégie familiale qui souligne l’interdépendance mutuelle entre le migrant et sa famille et insiste sur la gestion et le partage des risques. La migration est alors analysée au niveau du ménage et revêt un caractère de sécurité sociale.

 

Au-delà du capital humain si cher à la théorie néoclassique, il existe aussi le capital des réseaux et de la parenté (capital social). Cette approche s’est par la suite généralisée pour les recherches sur les migrations dans les pays en développement, en particulier à propos des stratégies de survie et de la capacité des migrants à devenir des acteurs de changement (De Haas, 2010).

 

En sortant de la vision individualiste et atomistique, il devient possible de concevoir la migration comme relevant d’actions collectives et familiales qui relient des migrants et des non-migrants dans un ensemble de relations que captent les nouvelles analyses centrées sur la notion de réseau.

 

Le texte de Monica Boyd (1989) est l’un des plus marquants de la littérature sur les réseaux et le genre. Sa contribution principale est d’inclure les réseaux comme liens entre les lieux de départ et d’arrivée. Les réseaux constituent ainsi des facteurs médiateurs entre les facteurs structurels (macro) et les acteurs (micro). À ce titre, la famille joue un rôle central. Enfin, elle insiste sur les rapports entre genre et réseaux dans les migrations en soulignant qu’il faut tenir compte de la division sexuelle du travail dans les relations sociales de production au sein de la société. Elle rejoint ainsi la distinction, issue des travaux de Burawoy (1976) et de Meillassoux (1975), entre la sphère publique et la sphère privée et surtout la nécessaire articulation entre les deux pour comprendre les stratégies migratoires féminines.

 

L’approche des réseaux est également à la base du modèle de Douglas Massey (1990) sur la causalité cumulative. En effet, la notion de réseau constitue un élément de la structure sociale à partir duquel Massey établit un lien entre le réseau et l’effet de rétroaction sur la migration. Après un certain temps, à travers un processus de causalité circulaire et cumulative, la migration s’auto-entretient. Une autre contribution importante du texte de Massey est de suggérer une distinction entre les processus d’initiation de la migration et ceux de son maintien.

 

Dans un premier temps, la pénétration des marchés dans les régions en développement détruit progressivement les structures communautaires traditionnelles et crée ainsi des conditions locales favorables à la migration. Ce n’est qu’une fois que la migration a commencé que « différents mécanismes d’auto-alimentation interviennent pour perpétuer et élargir les flux migratoires au fil du temps », ces derniers se répercutant à leur tour sur les structures communautaires pour renforcer la causalité cumulative.

 

L’existence des réseaux aboutit à constituer un capital social, notion qui permet de comprendre pourquoi et comment l’appartenance à des réseaux augmente les probabilités de migrer : grâce aux ressources des réseaux, les coûts et les risques diminuent et les bénéfices de la migration augmentent (Palloni et al., 2001). Cette approche centrée sur les réseaux et le capital social comme facteur positif a été critiquée entre autres par Krissman (2005).

 

En particulier, il considère que la notion de réseau migratoire développée par Massey est trop restrictive parce qu’elle se concentre sur les réseaux sociaux et familiaux pro- venant en grande partie des mêmes régions d’origine que celles des migrants. Selon Krissman, les réseaux incluent beaucoup d’autres acteurs qui agissent comme intermédiaires, soit aux frontières, soit dans les régions de destination.

 

Ces acteurs peuvent être des employeurs qui recherchent de la main-d’œuvre migrante, mais aussi des trafiquants. Ainsi, tous les acteurs impliqués dans les réseaux migratoires ne sont pas que des facilitateurs, mais peuvent aussi être des exploiteurs. Les nombreux rapports sur le trafic des êtres humains témoignent de vastes réseaux de passeurs souvent liés à des organisations criminelles (Skeldon, 2002 ; Bélanger)[160].

 

Le champ migratoire reste, encore aujourd’hui, fragmenté entre les théories explicatives et celles qui concernent leurs effets. Les travaux sur les effets des migrations sont à leur tour divisés entre les approches macro et micro, et entre le contexte des pays développés et celui des pays en développement.

 

2.5. Les effets économiques de l’immigration : approche macro-structurelle dans les pays développés

 

L’article de Stephen Castles et Godula Kosack (1972) considère l’immigration comme découlant d’une nécessité structurelle en réponse aux besoins du capital et du patronat. Ce texte pionnier sur la contribution économique des immigrants établit une série d’hypothèses qui guideront la recherche par la suite. Il représente un courant fort important en Europe, courant qui demeure encore valable aujourd’hui pour plusieurs formes d’immigration, en particulier l’immigration des moins qualifiés, l’immigration irrégulière et la migration temporaire dans certains secteurs comme l’agriculture, la construction et la restauration.

 

Mais la contribution essentielle de Castles et Kosack a été d’insister sur l’existence d’une hiérarchie dans la structure des emplois, les immigrants se retrouvant souvent au bas de l’échelle socioéconomique, renforçant ainsi la division de la classe ouvrière. Dans la lignée des travaux de Castles et Kosack, les études d’inspiration marxiste ont eu tendance à insister sur les effets négatifs de l’immigration.

 

Plus récemment, les études sur les effets économiques plus globaux de l’immigration (au niveau macro), indiquent des résultats pour le moins contradictoires et incertains (Héran, 2002). La limite la plus importante de ces travaux est d’ordre méthodologique.

 

La plupart des chercheurs admettent que les techniques d’analyse existantes ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. Cela explique aussi la grande divergence dans les résultats, ceux-ci variant entre des effets positifs, négatifs, ou indéterminés.

 

Dans tous les cas, les effets mesurés demeurent très faibles, voire non significatifs. Une première raison de cette limite méthodologique vient du fait que le nombre de paramètres dont il faudrait tenir compte dans les modèles est considérable et défie toute tentative empirique, du moins jusqu’à aujourd’hui. Une deuxième raison est plus fondamentale : les études évaluatives considèrent le court terme alors que les pleins bénéfices ne se manifestent qu’à moyen et long terme (Goldin et al., 2011).

 

Malheureusement, de telles analyses sur le long terme sont rares. Si l’on se fie à l’étude américaine de Carter et Sutch (1999) qui porte sur une longue période couvrant le XIXème siècle et une partie du XXème, les aspects bénéfiques de la migration apparaissent clairement. En effet, l’immigration peut avoir des impacts importants sur l’ensemble de la structure économique, incluant les taux d’activité, le niveau des qualifications de la population, la quantité et la qualité du capital et l’organisation de la production (Carter et Sutch, 1999).

 

Une autre revue plus récente du débat sur les effets de l’immigration dans les pays développés conclut que, de façon globale, les effets sont positifs, tant du point de vue de la croissance que du point de vue de l’innovation et des apports fiscaux (Goldin et al., 2011, chapitre 6)[161].

 

2.6. Migration et développement : le cas des pays en développement

 

Dans les pays en développement, les débats sur les effets économiques de la migration ont pris une tournure radicalement différente. Ce n’est plus la situation des régions d’immigration qui préoccupe les chercheurs, mais plutôt les liens entre émigration et développement dans les régions d’émigration. Cela n’a pas toujours été le cas, comme en témoigne le texte d’Oberai et Manmohan (1980).

 

Le grand mérite de ce texte est de renverser la problématique en considérant les liens entre les émigrants et les zones de départ à travers la notion de transferts monétaires qui constituent, selon eux, l’un des vecteurs clé de l’impact de l’émigration dans les pays en développement. L’effet précis de ces envois de fonds sur l’économie rurale est difficile à déterminer a priori. Ils peuvent s’ajouter à des investissements productifs visant à développer et diversifier l’agriculture ou à des activités non agricoles dans les zones rurales, être consacrés au logement ou à l’éducation ou, tout simplement, servir à soulager la misère de ceux qui restent dans les villages. Les transferts peuvent donc être utilisés de façon improductive, et ce sera l’un des leitmotivs des recherches à venir, à savoir comment rendre plus productifs les transferts monétaires.

 

Les auteurs mentionnent que le migrant saisonnier peut commencer à envoyer des fonds assez rapidement, idée qui sera reprise par plusieurs auteurs, dont Portes (2009) qui, dans son bilan de la recherche, conclut que la migration temporaire est celle qui produit le plus d’effets positifs. Oberai et Manmohan mentionnent également que l’effet relatif des envois de fonds est plus grand sur les ménages les plus pauvres. Le travail d’Oberai et Manmohan a lancé un véritable programme de recherches qui s’est développé dans deux directions.

 

Dans un premier temps, une prise de conscience a eu lieu sur l’importance considérable du volume des transferts monétaires. Plusieurs chercheurs ont tenté d’estimer les flux monétaires à l’échelle planétaire. Par exemple, en 2011, les transferts monétaires vers les pays en développement ont totalisé la somme de 372 milliards de dollars, soit une augmentation de 12,1 % par rapport à 2010. Avec un taux de croissance de 7 % à 8 % par an, la somme des transferts pourrait atteindre 467 milliards de dollars en 2014 (Ratha et Silwal, 2012).

 

Toutes les organisations internationales impliquées dans le développement ont adopté l’idée que les migrants pouvaient devenir des agents du développement (Faist, 2008). La deuxième direction de recherche, en lien avec la précédente, a produit de nombreux travaux sur le phénomène du transnationalisme (Vertovec, 2009). Dans cette conception de la migration, on ne parle plus de rupture permanente, mais plutôt du maintien des liens entre les milieux d’origine et les milieux de résidence puisque la vie des migrants traverse les frontières nationales, réunissant deux sociétés dans un seul champ social.

 

Le transnationalisme véhicule souvent une perception positive de la migration, perception reprise et diffusée par les organisations internationales, entre autres la Banque Mondiale, l’Organisation Internationale des Migrations et les diverses instances des Nations unies. De nombreuses critiques ont tenté de relativiser l’engouement pour les capacités développementalistes des transferts monétaires et du transnationalisme[162].

 

En particulier, les revues de la littérature concernant les impacts des transferts monétaires suggèrent que les situations sont très hétérogènes et que les transferts monétaires ne peuvent, à eux seuls, avoir un impact significatif sur le développement économique d’une région (ou d’un pays), s’il n’existe pas de possibilités réelles d’investissement dans les localités où vivent les ménages bénéficiaires des transferts (Skeldon, 2008 ; De Haas, 2010). Bref, si les ménages ne peuvent pas surmonter les obstacles structurels au développement (accès au crédit, confiance dans les institutions, politiques migratoires favorables à l’investissement, etc.), les transferts monétaires ne pourront pas avoir d’effets significatifs sur le développement local ou national.

 

2.7. Les effets micro-économiques de l’immigration

 

Les effets de la migration au niveau micro-individuel revêtent deux dimensions. La première pose la question suivante : l’expérience migratoire est-elle positive pour le migrant et la migrante ? La deuxième dimension s’intéresse à l’impact de la migration sur les populations non migrantes ou natives de la société d’accueil.

 

Curieusement, dans les pays développés, la première dimension a été peu étudiée, comme s’il allait de soi que la migration ne pouvait être que positive pour l’individu. D’une certaine façon, c’est comme si l’hypothèse microéconomique de l’individu rationnel maximisant ses intérêts était devenu un postulat qui n’avait pas besoin d’être vérifié. Par contre, c’est la deuxième dimension qui a pris toute la place en se centrant sur trois questions : quel est l’impact des flux d’immigration sur les revenus et les opportunités d’emploi des natifs ? Les immigrants ont-ils vraiment un effet négatif sur ces opportunités ? Enfin, les groupes de natifs sont-ils tous affectés de la même manière par l’entrée d’immigrants sur le marché du travail ?

 

George Borjas (1990) a été au cœur des travaux sur ces questions. Selon cet auteur, deux points de vue s’opposent quant aux façons dont l’immigration affecte le marché du travail des natifs. Certains observateurs affirment que les immigrants prennent les emplois des natifs alors que d’autres observateurs soutiennent le contraire, à savoir que les immigrants n’auraient pas d’impact sur les opportunités de travail des natifs, point de vue dont s’approche Borjas.

 

Sa conclusion la plus importante est que l’arsenal méthodologique de l’économétrie moderne est incapable de détecter une seule preuve montrant que les immigrants auraient un impact substantiel et négatif sur les revenus et les opportunités d’emploi des natifs aux États-Unis. Pour quelle raison ? Parce que les travailleurs natifs et les immigrants sont, en moyenne, de faibles substituts en termes de production.

 

Borjas montre par ailleurs que si l’entrée de nouveaux immigrants sur le marché du travail est susceptible d’avoir un effet négatif, c’est à la fois sur les immigrants déjà en place et sur les travailleurs natifs les moins qualifiés que ces effets se font sentir. Mais dans tous les cas, ces effets demeurent faibles, voire même négligeables (Card, 2009). L’un des problèmes conceptuels de la recherche sur l’insertion économique des migrants, que ce soit dans les pays développés ou en développement, est de considérer le marché du travail comme étant unique.

 

On doit à Alejandro Portes et à son équipe l’idée qu’il existe plusieurs modes d’insertion sur le marché du travail (Wilson et Portes, 1980). Les auteurs, s’inspirant de la théorie de la segmentation du marché du travail comme celle développée par Michael Piore (1979), suggèrent trois modes d’insertion sur le marché du travail. Les deux premiers modes font référence aux secteurs primaire et secondaire.

 

Le premier renvoie aux emplois professionnels et qualifiés, souvent syndiqués et dans lesquels les possibilités d’avancement sont réelles. Ce secteur est également caractérisé par la stabilité, des chances de promotion, des salaires élevés et de bonnes conditions de travail. Le secteur secondaire en est l’image inverse, caractérisé par des emplois peu ou non qualifiés, précaires et avec un faible taux de syndicalisation.

 

C’est dans ce secteur que se trouveraient de nombreux immigrants. Mais c’est le troisième mode d’insertion qui constitue la contribution la plus originale de Wilson et Portes, celui que l’on nomme « l’enclave ethnique ». Celle-ci comprend des groupes d’immigrants concentrés dans un espace distinct qui mettent sur pied des entreprises servant leur propre marché ethnique et/ou la population générale (Portes, 1981). La caractéristique principale de l’enclave est qu’une proportion importante de la main-d’œuvre immigrante travaille dans des entreprises appartenant à d’autres immigrants (Light, 1972).

 

Ce mode d’insertion sur le marché du travail introduit l’idée que les immigrants non qualifiés ne se retrouvent pas tous au bas de l’échelle socioéconomique et que travailler dans l’enclave ethnique peut être bénéfique puisque cela offre de réelles opportunités d’avancement. Ces études, essentiellement américaines, font surtout référence aux immigrants asiatiques (Japonais, Coréens), mais aussi aux Cubains de Miami.

 

Des travaux plus récents ont tenté de remettre en question l’approche de l’enclave ethnique. Dans sa critique, Waldinger (1993) conclut que la notion d’enclave conduit à une impasse conceptuelle et empirique, et suggère de se débarrasser du concept d’enclave pour ne retenir que celui d’économie ethnique. Les débats lancés par les travaux de Portes concernent surtout les effets positifs ou négatifs de l’enclave du point de vue de l’insertion économique.

 

A contrario des tenants de cette approche, plusieurs chercheurs ont remis en question le fait que l’enclave ethnique serait avantageuse pour les immigrants (Sanders et Nee, 1992). Dans un texte publié en 2006, Portes et Shafer sont revenus sur ces critiques pour conclure que l’approche par l’enclave ethnique demeurait toujours valable.

 

2.8. Les effets politiques : le cas des migrations de refuge

 

Les effets politiques de l’immigration sont abordés sous deux angles. D’une part, les facteurs politiques ont surtout été étudiés dans le cas des mouvements de refugiés ; d’autre part, l’effet de la migration sur la diversité – dans l’optique des rapports entre minorités et majorités – constitue un autre enjeu politique au cœur des débats sur les questions identitaires. La plupart des textes présentés jusqu’à présent s’intéressent à la migration régulière et volontaire.

 

Avec le texte de Zolberg, Suhrke et Aguayo (1986), nous abordons la migration des refugiés, un type de migration fort courant tout au long de l’histoire du xxe siècle, et qui reste important aujourd’hui. Dans leur discussion des facteurs de migration des refugiés, Zolberg, Suhrke et Aguayo font une distinction importante entre les effets internes et externes. En effet, si les déterminants de la persécution, base de la définition du refugié selon la Convention de Genève, sont internes à l’État en question, des effets externes peuvent également se manifester : des facteurs qui exacerbent les difficultés économiques et sociales, qui augmentent la probabilité de déclenchement des conflits, produisant ainsi des flux de refugiés.

 

En effet, les politiques menées par les pays d’accueil potentiels constituent le type d’effets externes le plus problématique. La décision d’accorder aux citoyens d’un État en particulier le statut formel de refugié implique habituellement la condam- nation du gouvernement en question pour la persécution de ses citoyens ou le manque de protection qu’il leur accorde. Les auteurs discutent également des migrations de refuge dans un contexte où existent d’importantes asymétries de pouvoirs et de richesses.

 

Les pays en développement, caractérisés par des distorsions structurelles dues à leur intégration dans le système économique mondial, participent donc à l’économie mondiale dans des conditions défavorables, exacerbant les conflits en tout genre, en particulier les conflits ethniques sous toutes leurs formes qui, selon les auteurs, sont aujourd’hui endémiques en Asie et en Afrique. Ils démontrent que les dynamiques conduisant à l’amorce des conflits sociaux ne sont pas uniquement internes, mais transnationales, et alors que les conflits se développent, ils tendent à s’internationaliser davantage[163].

 

En conclusion, dans la mesure où les causes sont internationales, les solutions réclament également des actions au niveau international. Ce type d’analyses s’est peu développé depuis les travaux de Zolberg, Suhrke et Ahuayo dans les années 1980. La question des refugiés est davantage étudiée sous l’angle de l’application de la Convention de Genève. Certains travaux récents montrent par exemple que les pays européens tentent de restreindre l’accès à l’asile, voire à quasiment supprimer l’asile en Europe (Legoux, 2006).

 

2.9. Les effets sociaux de la migration : minorités versus majorités

 

La diversité croissante des sociétés constitue l’une des conséquences importantes des mouvements migratoires et pose des défis importants quant au mode de gestion des différences sociales, raciales et ethniques. À ce sujet, Castles (1993) a proposé une série d’hypothèses sur la situation des migrants et des minorités en Europe occidentale, au regard notamment des politiques migratoires, de la problématique de la citoyenneté, du racisme et de la question identitaire.

 

Il importe de souligner quelques aspects qui sont toujours d’actualité, en particulier en ce qui concerne les effets de l’immigration sur les relations interethniques et raciales. La contribution originale de Castles est d’aborder la question du racisme en Europe et du risque que la « conscience européenne » se construise sur les bases de l’exclusion et de la discrimination et soit fondée sur la peur d’une déferlante des « masses désespérées » venant du Sud.

 

Selon lui, la formation de nouvelles minorités issues de l’immigration, avec leurs propres cultures, identités et institutions, est un processus irréversible, qui bouscule les notions existantes d’identité nationale et de citoyenneté. Il affirme que les modèles multiculturels se présentent comme la meilleure solution, mais les obstacles à leur mise en œuvre sont importants. La conséquence à long terme de l’immigration sera l’apparition de sociétés multiculturelles, qui renouvellera les concepts de citoyenneté et d’État.

 

Les hypothèses de Castles, formulées dans le contexte européen, sont encore très pertinentes dans le monde actuel. Deux courants de recherche se sont particulièrement développés. D’abord, presque tous les travaux sur les facteurs d’insertion économique suggèrent que la discrimination joue un rôle important dans les difficultés d’insertion de certains groupes d’immigrants, en particulier ceux que l’on appelle les minorités visibles, selon le vocable en vogue en Amérique du Nord (Piché et al., 2002 ; Richard, 2004).

 

L’autre courant analyse les effets de l’immigration sur les identités nationales. Ici aussi, les débats sociaux et politiques sont particulièrement virulents entre les tenants du pluralisme et ceux qui pensent que l’immigration remet en question les valeurs nationales. La montée des partis d’extrême-droite un peu partout dans le monde s’appuie entre autres sur des discours anti-immigration, parfois liés à l’islamophobie.

 

Les théories migratoires ne servent pas seulement à comprendre et expliquer les phénomènes, elles servent également à justifier les choix en matière de politiques migratoires. Toutes les politiques migratoires du xxe siècle sont fondées sur un postulat considéré comme immuable : l’immigration est un privilège et non un droit. Il s’agit d’un paradigme qui fonde les politiques migratoires sur les besoins économiques des pays, et donc essentiellement orienté vers le marché du travail. Il est, en outre, fondé sur le principe de souveraineté nationale en matière de politiques migratoires.

 

Dans ce contexte, parler de libre circulation des personnes comme l’a fait Joseph Carens dès 1987 peut paraître téméraire. Carens part du principe que le lieu de naissance et les liens de parenté constituent des contingences naturelles qui sont arbitraires d’un point de vue moral. Selon lui, l’idée que l’immigration réduirait le bien-être économique des citoyens actuels ne prévaut pas sur la priorité à l’immigration.

 

L’impact de l’immigration sur l’histoire et la culture n’est pas un argument valable « tant que les valeurs démocratiques libérales fondamentales ne sont pas menacées ». Sa discussion du principe communautarien, à savoir la justification de l’exclusion par les droits des communautés à l’autodétermination, le conduit à poser la question suivante : « Si la liberté de mouvement à l’intérieur d’un État est si importante qu’elle l’emporte sur les revendications des communautés politiques locales, quelles raisons pouvons-nous avoir de restreindre la liberté de mouvement entre les États ? ».

 

Il va plus loin en énonçant un principe également revendiqué aujourd’hui dans le cas des travailleurs migrants temporaires : « Il est juste d’affirmer que notre société devrait permettre aux travailleurs immigrants d’accéder à la pleine citoyenneté. Toute autre politique serait incompatible avec nos principes démocratiques libéraux ».

 

Pour Carens, la liberté de mouvement n’est peut-être pas réalisable dans l’immédiat, mais elle demeure un but vers lequel nous devrions tendre. Il faudra attendre la fin des années 2000 pour que cette approche réapparaisse de façon systématique. L’ouvrage récent de Pécoud et Guchteneire (2009) a particulièrement ébranlé les certitudes quant à l’immuabilité du principe utilitariste.

 

Sans aller jusqu’à proposer la libre circulation qu’il juge irréalisable, Bimal Ghosh (2000) a été l’un des premiers à systématiser une approche globale de la gestion migratoire. Son texte met en lumière quelques-unes des carences des politiques et des pratiques migratoires existantes, et plaide en faveur d’un régime multilatéral de gestion des migrations qui soit plus global, plus équilibré et plus transparent. Il souligne l’absence de politiques adaptées et de cadres d’action solides pour faire face à la nouvelle donne migratoire, en particulier la montée de la pression à l’émigration due à la croissance des inégalités.

 

La remarque fondamentale de Ghosh est que, plutôt que de s’attaquer aux causes premières qui créent ou alimentent les tensions favorables aux mouvements migratoires désordonnés dans les pays émetteurs ou qui attirent des flux de migrants dans les pays d’accueil via des filières clandestines, la réponse des gouvernements a été l’adoption de mesures répressives et restrictives. Sa thèse principale est que les migrations sont en train d’échapper à tout contrôle et l’importance de la migration irrégulière dans le monde témoigne de l’inefficacité des contrôles.

 

L’approche de Ghosh a donné lieu à ce que l’on pourrait nommer un nouveau paradigme en matière de gestion migratoire, le migration management. Dans cette approche, la gestion migratoire signifie gérer pour atteindre des objectifs plus ordonnés, prévisibles et humains, grâce à une gouvernance glo- bale du régime migratoire. Elle est donc fondée sur une idée de base, à savoir que la migration, bien gérée, peut être positive pour tout le monde : les pays d’origine, les pays de destination et les migrants eux-mêmes (d’où le fameux slogan win-win-win).

 

Selon plusieurs analyses critiques, le migration management constituerait un nouveau paradigme qui tente de diffuser une approche globale hégémonique présentant la migration comme une caractéristique normale du monde globalisé d’aujourd’hui (Geiger et Pécoud, 2012).

 

En pratique, la gestion migratoire met en place une série de mesures visant un contrôle plus efficace des frontières, y compris des mesures pour intercepter les migrants avant leur accès au pays de destination. C’est le spectre de la croissance des flux migratoires irréguliers (clandestins) qui façonne une partie du discours politique actuel et sert à justifier les mesures restrictives. Malheureusement, la recherche scientifique concernant ces flux migratoires fait défaut.

 

Le texte de Georges Tapinos (2000) est une exception et complète bien les analyses de Bimal Ghosh, surtout concernant les migrations irrégulières. Selon Tapinos, examiner les enjeux économiques et politiques de la migration irrégulière, c’est s’interroger sur ce qu’il y a de spécifique dans ce type de migration par rapport à la migration régulière. Au-delà des problèmes de mesure, c’est l’impact économique de la migration irrégulière qui fait souvent l’objet de débats. Pour l’auteur, les avantages de la migration irrégulière se trouvent du côté de l’employeur. La situation d’irrégularité est propice à des pratiques discriminatoires, compte tenu de la précarité du migrant irrégulier et de son faible pouvoir de négociation. Selon lui, ces migrants sont l’un des éléments de l’économie souterraine, ils n’en sont pas la cause.

 

Cependant, l’existence d’une économie souterraine renforce la possibilité de recruter des migrants clandestins, et d’autant plus que les réseaux de migrants facilitent leur embauche dans le secteur informel. Le problème de la maîtrise des migrations passe par la coordination entre les gouvernements. Il s’agit donc d’une gestion multilatérale car, selon Tapinos, il est anachronique d’envisager le contrôle de l’immigration exclusivement en termes de souveraineté.

 

La période 1960-1980 a souvent été caractérisée par des confrontations entre diverses théories migratoires. Aux théories micro-individuelles centrées sur la rationalité économique et la notion d’équilibre, on a souvent opposé les théories macro-structurelles, centrées sur la demande de main-d’œuvre migrante créée par les transformations de l’économie capitaliste mondiale (Wood, 1982).

 

Les nombreuses recherches empiriques, principalement à partir des années 1990, ont rendu caduques ces débats d’école et permis de constater que chaque théorie explique une partie du processus migratoire, certaines théories étant plus pertinentes selon la région ou l’époque historique considérées.

 

Si l’on se fie aux revues de littérature qui ont vu le jour depuis 2000, on serait tenter de répondre par l’affirmative. Si on consulte par exemple l’ouvrage dirigé par Alejandro Portes et Josh DeWind en 2007, ou encore celui de Corrado Bonifazi, Marek Okolski, Jeannette Schoorl et Patrick Simon paru en 2008, on peut conclure que les thèmes traités ne se démarquent pas fondamentalement de ceux abordés dans les textes fondateurs.

 

D’une certaine façon, les chercheurs ont à leur disposition un corpus théorique fort développé qu’il s’agit maintenant d’approfondir et surtout d’appliquer dans des contextes historiques et géographiques spécifiques.

 

Deux dimensions de la migration mériteraient d’être davantage théorisées dans l’avenir. La première a trait à l’apparition du nouveau paradigme migratoire dont nous avons parlé, celui de la mondialisation des flux migratoires, qui est en train de changer fondamentalement la donne en ce qui concerne le rôle des migrations internationales dans les sociétés actuelles (Kabbanji, 2011).

 

Même si quelques textes ont abordé cette question, il reste l’important défi d’expliquer les tendances actuelles. En particulier, deux questions doivent être davantage étudiées : quels sont et seront les nouveaux besoins en main-d’œuvre des économies des pays développés ? Comment les États nationaux et supra-nationaux vont-ils réagir à ces nouveaux besoins ?

 

À l’heure actuelle, la réponse des gouvernements va dans le sens de la restriction de la migration permanente au profit de la circularité et de la migration temporaire, avec comme conséquence l’apparition de nouvelles catégories de non-citoyens. Ce nouveau paradigme impliquerait la « substitution du concept de migration par celui  de mobilité », cette dernière constituant la situation la plus propice pour l’ optimisation des bénéfices (Pellerin, 2011). Peut-on parler ici de contradictions fondamentales entre le néolibéralisme qui fait la promotion de la libre circulation du capital, des biens et des services, et le nouveau modèle protectionniste de gestion migratoire axé sur la flexibilité et la circularité ?

 

Et surtout, pour combien de temps encore la contradiction va-t-elle se maintenir ? La deuxième dimension, qui doit être davantage intégrée dans les théories migratoires, concerne les droits à octroyer aux migrants. Il s’agit d’un paradigme qui sort des sentiers purement utilitaristes en proposant d’inclure, dans les paramètres politiques, la question des droits des migrants. Les recherches sur cette question demeurent encore trop idéologiques et non suffisamment axées sur l’étude des conditions concrètes dans lesquelles vivent les travailleurs migrants et les membres de leur famille. Ce qui importe ici est d’introduire la question des droits comme partie intégrante des politiques migratoires (Piché, 2009).

 

 


Chapitre II :

PRINCIPE DE L’INTENGIBILITÉ DES FRONTIÈRES INTERNATIONALES

 

Section 1. LE DROIT DES PEUPLES A L’AUTODETERMINATION ET A LA SOUVERAINETE PERMANENTE SUR LEURS RESSOURCES NATURELLES SOUS L’ANGLE DES DROITS HUMAINS

 

1. Le droit des peuples à l’autodétermination

 

Le droit des peuples à l’autodétermination (ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) est un pilier du droit international contemporain.

 

Depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies en 1945, il a constitué la base juridique et politique du processus de décolonisation qui a vu naître plus de 60 nouveaux Etats dans la deuxième partie du 20ème siècle. Il s’agit d’une conquête historique, même si celle-ci concordait avec la volonté de certaines puissances internationales de faire éclater les « chasses gardées » des empires coloniaux de l’époque (européens principalement). Ces dernières décennies, plusieurs dizaines d’Etats ont été créés sur cette base, concrétisant le droit à l’autodétermination de peuples considérés officiellement comme colonisés ou non.

 

Dans la pratique, la création d’un nouvel Etat n’obéit pas toujours à des critères objectifs et juridiques. En effet, le droit à l’autodétermination peut être instrumentalisé par certaines puissances (régionales ou internationales) ou par de puissants intérêts privés. Ainsi, un nouvel Etat peut être créé et reconnu seulement par un seul Etat[164] ou par un groupe d’Etats[165].

 

Un Etat peut même être créé contre l’avis de la majorité de sa population, comme cela a été le cas avec la constitution de la Bosnie-Herzégovine[166]. C’est dire qu’il faut traiter « le droit à l’autodétermination » avec beaucoup de précautions. Il faut cependant ajouter qu’il n’est pas forcément aisé de faire reconnaître une telle création unilatérale, même lorsqu’elle peut être justifiée.

 

En effet, pour être admis comme membre à l’ONU, il faut, entre autres, que le nouvel Etat soit reconnu par d’autres Etats, que le Conseil de sécurité le recommande à l’Assemblée Générale (sans veto de l’un des cinq membres permanents) et que cette dernière l’accepte par un vote à la majorité des 2/3 de ses membres[167]. Cela nous amène à nous poser les questions suivantes : la création d’un Etat est-elle la seule solution pour que les peuples puissent jouir de leur droit à l’autodétermination ? Et, celle-ci suffit-elle à garantir l’exercice réel de ce droit ?

 

Force est de constater que le système international actuel permet l’émergence de régimes totalitaires et corrompus, dans un monde où les principes démocratiques et les droits humains ne sont pas partout promus et appliqués avec vigueur et cohérence. Pire, ces derniers sont vidés de leur substance par la promotion et la mise en œuvre d’un ordre économique injuste et inégal qui entraîne la privatisation et la marchandisation de presque tous les domaines de la vie, y compris la fonction régalienne des Etats qu’est la défense.

 

Dans ce contexte, on ne soulignera jamais assez la responsabilité et le rôle des Etats puissants, mais aussi des institutions financières et commerciales internationales ainsi que des sociétés transnationales, dans l’absence de respect et de mise en œuvre effective du droit à l’autodétermination des peuples.

 

Le droit à l’autodétermination qui, faut-il le rappeler, comporte une forte dimension politique. A l’heure où le pillage des ressources naturelles des pays du Sud a pris une nouvelle dimension – avec par exemple l’acquisition de millions d’hectares de terres par des Etats tiers ou des sociétés transnationales – il est nécessaire de réhabiliter le droit à la souveraineté des peuples sur leurs richesses et ressources naturelles, composante essentielle du droit à l’autodétermination.

 

2. Textes pertinents relatifs au droit à l’autodétermination

 

Le droit à l’autodétermination et à la souveraineté des peuples sur leurs richesses et ressources naturelles a été consacré dans un nombre important d’instruments internationaux et régionaux.

 

2.1. AU NIVEAU DU SYSTEME INTERNATIONAL

 

Le droit à l’autodétermination (le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) a une place centrale dans la Charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et dans les deux Pactes internationaux relatifs aux droits humains de 1966. De nombreuses déclarations et résolutions onusiennes sont également consacrées essentiellement à ce droit.

 

La Charte commence par l’expression « Nous, peuples des Nations Unies » et énonce, dans son article premier qui proclame les buts des Nations Unies, l’objectif de « Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».

 

Dans son article 55, la Charte rappelle le même objectif, en prévoyant que l’ONU entend promouvoir le développement économique et social, la coopération internationale et le respect universel des droits humains : « en vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ». La Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux[168] constitue la première contribution significative de l’ONU à la définition du droit à l’autodétermination[169]. Elle a été adoptée car les Etats étaient persuadés : « que le processus de libération était irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises, il fallait mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s’accompagne »[170].

 

Dans cette Déclaration, les Etats ont reconnu que « tous les peuples ont le droit à l’autodétermination » et ils ont proclamé solennellement que : « La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales ».

 

Cette Déclaration a servi de base juridique et politique aux mouvements de libération nationale qui ont été à l’origine de la vague de décolonisation qui a débuté dans les années 1960. Avec l’adoption des deux Pactes et de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, ce droit est étendu à tous les peuples, colonisés ou non.

 

Les deux Pactes – le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – consacrent dans les mêmes termes le droit des peuples à l’autodétermination.

 

Selon l’article 1er commun aux deux Pactes :

 

1)  Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

2) Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

3) Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et des territoires sous-tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.

 

Il faut souligner également que les Etats signataires de ces deux Pactes[171] s’engagent à mettre en œuvre les droits y figurant pour toute personne relevant de leur juridiction sans aucune distinction ni discrimination (basées notamment sur le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique, l’origine ethnique ou le statut social).

 

Quant à la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, elle a été adoptée par consensus par l’Assemblée Générale de l’ONU en 1970.

 

Dans cette déclaration, c’est le droit de tous les peuples « de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel » qui est consacré[172].

 

Dans la même Déclaration, l’ONU a défini le fait de « soumettre des peuples à la subjugation, à la domination ou à l'exploitation étrangère » comme violation du droit à l’autodétermination, contraires à sa Charte. Et elle a proclamé que : « Les Etats doivent conduire leurs relations internationales dans les domaines économique, social, culturel, technique et commercial conformément aux principes de l'égalité souveraine et de la non-intervention ; conformément à la Charte des Nations Unies ».

 

En vertu de cette Déclaration également, les Etats ont le devoir de promouvoir le droit à l'autodétermination des peuples. Ce point est très important, mais il peut être interprété de différentes manières par différents acteurs, comme cela a été relevé en introduction.

 

Adoptée un an auparavant, la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social[173] considère « la souveraineté permanente de chaque nation sur ses richesses et ressources naturelles » comme une des conditions primordiales dans ce domaine.

 

La Déclaration sur le droit au développement[174] établit des liens très clairs avec le droit à l’autodétermination des peuples et leur droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles. Les articles 1er et 5 sont les plus explicites :

 

Ø Article 1er :

 

1)  Le droit au développement est un droit inaliénable de l'homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement.

2) Le droit de l'homme au développement suppose aussi la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui comprend, sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, l'exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles.

 

Ø Article 5 : Les Etats prennent des mesures décisives pour éliminer les violations massives et flagrantes des droits fondamentaux des peuples et des êtres humains qui se ressentent de situations telles que celles qui résultent de l'apartheid, de toutes les formes de racisme et de discrimination raciale, du colonialisme, de la domination et de l'occupation étrangères, de l'agression, de l'intervention étrangère et de menaces contre la souveraineté na- tionale, l'unité nationale et l'intégrité territoriale, de la menace de guerre ainsi que du refus de reconnaître le droit fondamental des peuples à disposer d'eux-mêmes.

 

La Déclaration sur le droit au développement insiste également sur le droit et le devoir de chaque Etat de : « formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent ».

 

Comme nous l’avons écrit dans une précédente publication sur le droit au développement : « pour la réalisation effective du droit au développement, les deux principes suivants doivent être scrupuleusement respectés : le droit des peuples à décider de leurs propres politiques de développement et la participation populaire à toutes les étapes de la prise des décisions concernant tous les aspects des politiques du développement (…) »[175].

 

Il faut encore indiquer que l’article I.2 de la Déclaration et le Programme d’action de Vienne[176], adoptés en 1993, précise que : « Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel. Compte tenu de la situation particulière des peuples soumis à la domination coloniale ou à d'autres formes de domination ou d'occupation étrangères, la Conférence mondiale sur les droits de l'homme reconnaît que les peuples ont le droit de prendre toute mesure légitime, conformément à la Charte des Nations Unies, pour réaliser leur droit inaliénable à l'autodétermination. Elle considère que le déni du droit à l'autodétermination est une violation des droits de l'homme et souligne qu'il importe que ce droit soit effectivement réalisé. En application de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, ce qui précède ne devra pas être interprété comme autorisant ou encourageant toute mesure de nature à démembrer ou compromettre, en totalité ou en partie, l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'Etats souverains et indépendants respectueux du principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et, partant, dotés d'un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune ».

 

A l’issue de cette section, nous pouvons conclure que le droit à l’autodétermination a été consacré comme un droit humain fondamental en droit international.

 

Comme l’a affirmé l’expert onusien Aureliu Cristescu : « En tant qu’un des droits fondamentaux de l’homme, la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est liée à la reconnaissance de la dignité humaine des peuples, car il existe un rapport entre le principe de l’égalité de droits et de l’autodétermination des peuples et le respect des droits fondamentaux de l’homme et de la justice. Le principe de l’auto- détermination est le corollaire naturel du principe de la liberté individuelle et la sujétion des peuples à une domination étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme »[177].

 

2.2. AU NIVEAU REGIONAL

 

Il y a de nombreux traités régionaux de protection des droits humains – parmi lesquels la Convention européenne des droits de l’homme – mais seulement les suivants protègent, directement ou indirectement, le droit des peuples à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles :

 

1)   la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

2)  l’Acte final d’Helsinki ; et

3)  la Charte et la Convention américaines des droits de l’homme.

 

A. LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

 

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été adoptée en 1981. Elle a été ratifiée par les 53 Etats-membres de l’Union africaine. C’est le traité qui reconnaît de la manière la plus explicite et la plus complète le droit des peuples à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles.

 

Pas moins de cinq articles lui sont consacrés. Dans son article 19, la Charte africaine proclame que :« tous les peuples sont égaux » et « jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits ». Elle prévoit également que « rien ne peut justifier la domination d’un peuple par un autre ».

 

L’article 20 de la Charte africaine consacre ensuite le droit à l’autodétermination des peuples africains de la manière suivante : « Tout peuple a droit à l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l'autodétermination. Il détermine librement son statut politique et assure son développement économique et social selon la voie qu'il a librement choisie. Les peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale. Tous les peuples ont droit à l'assistance des Etats parties à la présente Charte, dans leur lutte de libération contre la domination étrangère, qu'elle soit d'ordre politique, économique ou culturel ».

 

Dans son article 21, la Charte africaine reconnaît de manière détaillée le droit des peuples africains à la libre disposition de leurs richesses et ressources naturelles, en prévoyant ce qui suit :

 

1)     Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s'exerce dans l'intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé.

2)    En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu'à une indemnisation adéquate.

3)    La libre disposition des richesses et des ressources naturelles s'exerce sans préjudice de l'obligation de promouvoir une coopération économique internationale fondée sur le respect mutuel, l'échange équitable, et les principes du droit international.

4)    Les Etats parties à la présente Charte s'engagent, tant individuellement que collectivement, à exercer le droit de libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, en vue de renforcer l'unité et la solidarité africaines.

5)    Les Etats parties à la présente Charte s'engagent à éliminer toutes les formes d'exploitation économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationales.

 

Dans les articles suivants, la Charte africaine consacre le droit des peuples africains au développement économique, social et culturel et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité (article 22), leur droit à la paix et à la sécurité (article 23) et leur droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement (article 24).

 

B. L’ACTE FINAL D’HELSINKI

 

Adopté le 1er août 1975, l’Acte final d’Helsinki constitue le texte fondateur de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a permis le rapprochement entre les pays de l’Est et de l’Ouest européen. Si ses dix chapitres portent essentiellement sur les relations entre les Etats signataires (la souveraineté et l’intégrité territoriale de ces Etats en particulier[178]), son chapitre VIII est consacré au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et ce de manière très progressiste. En vertu de ce chapitre : « Les Etats participants respectent l'égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes, en agissant à tout moment conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies et aux normes pertinentes du droit international, y compris celles qui ont trait à l'intégrité territoriale des Etats.

 

En vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes,  tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu'ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement politique, économique, social et culturel. Les Etats participants réaffirment l'importance universelle du respect et de l'exercice effectif par les peuples de droits égaux et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, pour le développement de relations amicales entre eux de même qu'entre tous les Etats; ils rappellent également l'importance de l'élimination de toute violation de ce principe, quelque forme qu'elle prenne ».

 

C. LA CONVENTION AMERICAINE DES DROITS DE L’HOMME

 

La Convention américaine des droits de l’homme ne reconnaît pas explicite- ment le droit à l’autodétermination, mais elle consacre plusieurs droits qui peuvent être utilisés pour protéger les droits des peuples sur leurs richesses et ressources naturelles. Parmi ces droits, les plus importants sont le droit à la vie (art. 4), le droit à la reconnaissance de la dignité (art. 11) et le droit à la propriété privée, dont l’usage et la jouissance peuvent être subordonnés par la loi à l’intérêt social (art. 21). Par contre, la Charte de l'Organisation des Etats américains affirme en son article 3 que : « b. L'ordre international est basé essentiellement sur le respect de la personnalité, de la souveraineté et de l'indépendance des Etats ainsi que sur le fidèle accomplissement des obligations découlant des traités et des autres sources du droit international; (…) e. Chaque Etat a le droit de choisir, sans ingérence extérieure, son système politique, économique et social, et le mode d'organisation qui lui convient le mieux. Il a pour devoir de ne pas intervenir dans les affaires des autres Etats. Sous réserve des dispositions précédentes, les Etats américains coopèrent largement entre eux, indépendamment de la nature de leurs systèmes politiques, économiques et sociaux ».

 

3. Exercice du droit à l'autodétermination

 

En droit international, la doctrine indique qu’il y a deux aspects du droit à l’autodétermination : externe (international) et interne (national). Cette division est plutôt formelle, étant donné que ces deux aspects ne peuvent pas exister l’un sans l’autre. Cependant, il est évident que l’indépendance politique formelle ne signifie pas pour autant qu’un peuple jouit réellement de son droit à l’autodétermination.

 

Nous examinerons, à cet effet, l’exercice du droit à l’autodétermination au niveau international (externe) et national (interne).

 

3.1. AU NIVEAU DU SYSTEME INTERNATIONAL

 

A. DIFFERENTES FORMES DE L’EXERCICE DU DROIT A L’AUTODETERMINATION

 

Un peuple ayant le droit à l’autodétermination au niveau international (externe) a le choix entre plusieurs manières d’exercer ce droit. Selon la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies déjà mentionnée : « La création d'un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un Etat indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même ».

 

Si certains peuples ont choisi la libre association (Suisse), d’autres se sont constitués en fédération (Allemagne, Brésil, Russie…), d’autres encore ont « hérité » des formes les plus diverses (Etat centralisateur, monarchie, etc.). Bien qu'il soit difficile de tirer des conclusions générales, on peut observer que les Etats constitués en fédération ou en confédération offrent plus de possibilités aux peuples qui les composent d’exercer leur droit à l’autodétermination. Cependant, le fait d’être gouverné par une « monarchie formelle » ne signifie pas pour autant que les citoyens et/ou les peuples qui la composent ont moins de possibili- tés (Royaume-Uni).

 

B. AUDODETERMINATION DES PEUPLES COLONISES

 

Dans la Charte des Nations Unies et dans les déclarations adoptées dans les an- nées 1960 et 1970 (voir ci-dessus), le droit à l’autodétermination a été consacré pour donner une base juridique à l’autodétermination des peuples colonisés. Dans ce cadre, l’exercice du droit à l’autodétermination a une dimension externe/internationale, puisqu’il s’agit de permettre la décolonisation et l’indépendance des peuples colonisés.

 

Dans sa Recommandation générale n°21 sur le droit à l’autodétermination, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a précisé ce qui suit : « L'aspect extérieur [indépendance] de l'autodétermination est que tous les peuples ont le droit de déterminer librement leur statut politique et leur place dans la communauté internationale sur la base du principe de l'égalité des droits et ainsi que l'illustrent la libération des peuples du colonialisme et l'interdiction de la soumission des peuples à la sujétion, la domination et l'exploitation étrangères »[179].

 

Dans la très grande majorité des cas, les peuples colonisés ont choisi l’indépendance et ils se sont constitués en Etats souverains dans les limites des anciennes frontières coloniales (principe de l’uti possidetis). L’exercice de leur droit à l’autodétermination n’est donc pas entré en conflit avec l’intégrité territoriale d’autres Etats souverains. Ce sont les pouvoirs coloniaux ou les occupants qui ont dû partir[180].

 

Cependant, il faut souligner que le découpage colonial avait divisé de nombreux peuples. Avec la décolonisation, ces derniers restent écartelés sur les territoires de plusieurs Etats. L’exemple le plus flagrant est la configuration du continent africain où les frontières étatiques sont délimitées avec une « précision géométrique ».

 

A signaler ici que les nouveaux Etats optèrent en général délibérément pour la conservation des frontières coloniales, pour ne pas compliquer la situation, et voulurent d’emblée mettre l’accent sur l’unité africaine à construire. C’était un pari et il est encore d'actualité, comme nous le démontrent de nombreux conflits dits ethniques, attisés ou non de l’extérieur.

 

Cela dit, comme l’a rappelé la Cour internationale de justice dans l’affaire du Sahara occidental, un des éléments les plus importants dans l’exercice du droit à l’autodétermination est « l'expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire » concerné[181]. Elle avait déjà exprimé cet avis dans l’affaire de la Namibie, occupée à cette époque par l’Afrique du Sud[182].

 

C. AUTODETERMINATION DE TOUS LES PEUPLES

 

De nombreux juristes internationaux s’efforcent de prouver que les dispositions des deux Pactes internationaux relatif aux droits humains n’ont pas une portée générale et que l’intention des rédacteurs desdits Pactes, dans le contexte de l’époque, était de donner une base juridique à la décolonisation. Quelle que soit l’intention des rédacteurs en question, il est clair que l’article premier commun aux deux Pactes précité concerne tous les peuples.

 

Cependant, pour un peuple donné, la meilleure manière de jouir de son droit à l’autodétermination n’est pas forcément de se constituer en Etat indépendant. Il est vrai que si chacun des peuples parlant l’une des 6.000 langues recensées dans le monde[183] (pour autant que l’on retienne ce seul critère pour définir un peuple) choisissaient cette voie, la gestion des relations internationales se compliquerait sans doute bien davantage.

 

Dans le même ordre d’idée, on peut s’interroger sur la capacité de plusieurs mini Etats ou celle des Etats fortement endettés d’exercer réellement leur souveraineté et de participer à la prise de décisions au niveau international. Encore une fois, en l’absence d’une définition du « peuple » en droit international, les questions posées sont bien davantage d'ordre politique que juridique. Il y a lieu de traiter ici un autre point particulièrement sensible.

 

L’intégrité territoriale d’un Etat donné peut être mise en cause et l’intervention, y compris armée, de la « communauté internationale » peut être admise dans deux situations : 1. Les menaces contre la paix et la sécurité internationale ; 2. Des violations graves et systématiques des droits humains.

 

1) Menaces contre la paix et la sécurité internationale

Les menaces contre la paix et la sécurité internationale permettent au Conseil de sécurité de l’ONU d’intervenir dans les affaires intérieures d’un Etat donné. Toutefois, il faut souligner qu’on n’est pas à l’abri d’instrumentalisation de ces notions qui sont d’ailleurs bien souvent utilisées à « géométries variables » par les grandes puissances du moment (cas de l’Afghanistan, de l’Irak, d’Haïti…).

 

2) Violations graves et systématiques des droits humains

 

Force est de constater que de nombreux Etats, multiethniques, ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains en général et du droit à l’autodétermination en particulier. Ainsi, il n’est pas rare d’observer l’accaparement de l’appareil étatique par des membres d’une seule « ethnie », d’un clan pratiquant le népotisme ou encore par une oligarchie.

 

La Déclaration et le Programme d’action de Vienne conditionnent en quelque sorte le respect de l’intégrité territoriale d’un Etat donné au respect « du principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et, partant, dotés d'un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune ».

 

Dans un tel contexte, la sécession devient légitime, voire un droit, et peut même être autorisée, même si le risque d’instrumentalisation de certaines situations par les puissances du moment n'est pas à exclure. Bien que le cauchemar de la plupart des Etats soit la remise en cause de leur intégrité territoriale et que la Charte des Nations Unies soit très claire à ce sujet (art. 2.4), cela n’a pas empêché les Etats membres de l’ONU (51 à sa création, y compris quelques Etats qui, comme l’Inde, n’était pas encore formellement indépendants), d’en coopter de nouveaux (192 actuellement, la plupart suite aux processus de décolonisation).

 

Comme nous l’avons déjà souligné ci-dessus, la création de nouveaux Etats n’est pas forcément dans l’intérêt des peuples concernés. Cependant il y a des situations où les peuples sont opprimés par leurs propres Etats et ne peuvent pas jouir de leur droit à l’autodétermination.

 

Dans ce cas, le droit international prévoit le droit à la sécession : « La seule hypothèse de reconnaissance d’un droit de sécession envisagée par le droit international est celle de la ‘sécession remède’, c’est-à-dire d’une sécession qui répond à une violation flagrante du droit à l’autodétermination ‘interne’ ».

 

Le Prof. T. Christakis classe le cas du Bangladesh (appelé Pakistan oriental auparavant), qui a accédé à l’indépendance fin 1971 sur les considérations en particulier de violations flagrantes et systématiques des droits humains, dans la catégorie de sécession remède « réussie », même si cette indépendance a été obtenue surtout grâce à l’intervention de l’armée indienne.

 

Plus récemment, le Kosovo[184] a proclamé unilatéralement son indépendance (février 2008), avec l’appui de certaines grandes puissances. Cette proclamation est intervenue suite à l’intervention militaire de l’OTAN (1999) et au placement de cette province sous l’administration de l’ONU[185] sur la base en particulier des considérations suivantes : faire cesser « les violences » à l’égard des Kosovars de souche albanaise par la République de Serbie et faire face à la « catastrophe humanitaire » dans cette province (préoccupation du Conseil de sécurité).

 

Dans son arrêt rendu le 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice a conclu que la déclaration d'indépendance du Kosovo du 17 février 2008 n'a violé ni le droit international général, ni la résolution du Conseil de sécurité précitée, ni le cadre constitutionnel[186]. Cet avis n’est partagé ni par la République de Serbie, qui considère le Kosovo comme une de ses provinces, ni par de nombreux autres Etats.

 

Dans ce cadre, le système politique de l’Ethiopie constitue un exemple intéressant qui mérite d’être évoqué. En effet, la nouvelle constitution de ce pays (1994) reconnaît le droit unilatéral et sans restriction à l’autodétermination à « chaque nation » qui le compose (neuf Etats et 80 peuples recensés).

 

Le Président de l’Ethiopie (devenue République fédérale démocratique d'Ethiopie) de l’époque, Meles Zenawi, explique ce choix par les propos suivants : « Pendant 30 ans, le gouvernement a essayé de créer une Éthiopie d'une nature homogène. Il a tenté d'éliminer les différences de langage, de culture et ainsi de suite.... Ce que nous voulons dire, c'est qu'il n'est pas nécessaire pour nous d'être homogènes pour être unis ».

 

3.2. AU NIVEAU NATIONAL

 

A. LE DROIT A LA LIBRE PARTICIPATION AUX AFFAIRES PUBLIQUES

 

Dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies citée plusieurs fois dans la présente brochure, l’Assemblée générale a précisé que, dans le cadre du droit des peuples à l’autodétermination, tous les Etats ont le devoir de favoriser le respect universel et effectif des droits humains et des libertés fondamentales, conformément à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme.

 

La Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit en son article 21 la participation de tout un chacun aux affaires publiques :

 

1)  Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis.

2) Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays.

3) La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».

 

Le Pacte international relatif aux droits civils et politique stipule le même droit en son article 25. Pour le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale : « Le droit à l'autodétermination comporte un aspect intérieur [au niveau national], qui est le droit de tous les peuples de poursuivre librement leur développement économique, social et culturel sans ingérence extérieure. A cet égard, il existe un lien avec le droit de tout citoyen de prendre part à la conduite des affaires publiques à tous les échelons (…). En conséquence, les gouvernements doivent représenter l'ensemble de la population, sans distinction de race, de couleur, d'origine ou d'appartenance nationale ou ethnique »[187].

 

Au vu de ces considérations, tous les peuples présents sur un territoire d’un Etat donné doivent pouvoir participer réellement aux affaires publiques, tant nationales qu’internationales (négociations sur les traités commerciaux par exemple). En tenant compte du fait qu’il existe moins de 10% d’Etats « homogènes » dans le monde, la tâche semble ardue. Mais la solution réside dans le respect et la mise en œuvre effective des droits humains partout dans le monde – compris non seulement comme des droits individuels mais aussi collectifs, au niveau national comme au niveau international ainsi que le respect par les Etats de leurs obligations en vertu des instruments cités dans la présente brochure.

 

B. AUTODETERMINATION DES PEUPLES AUTOCHTONES

 

Jusqu’à récemment, le seul instrument international offrant une protection spécifique aux droits des peuples autochtones était la Convention n°169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989, ratifiée à ce jour par 17 Etats. Cette Convention est importante car elle protège plusieurs droits fondamentaux des peuples autochtones. Les articles 13 à 17, en particulier, consacrent les droits des peuples autochtones à leurs terres et à leurs territoires et leur droit de participer à l’utilisation, à la gestion et à la conservation de leurs ressources. Ils consacrent également les droits des peuples autochtones à la consultation avant toute utilisation des ressources situées sur leurs terres et l’interdiction de les déplacer de leurs terres et territoires.

 

L’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le Conseil des droits de l’homme en juin 2006, et par l’Assemblée Générale en septembre 2007, permet de renforcer la protection des droits des peuples autochtones, en allant plus loin que la Convention de l’OIT[188].

 

La Déclaration commence par reconnaître que les peuples autochtones ont le droit de jouir pleinement, soit collectivement soit individuellement, de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales reconnus dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international des droits de l’homme. Puis elle va plus loin, en reconnaissant le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et leurs droits sur leurs terres et ressources.

 

La Déclaration constate les injustices commises pendant la colonisation et évoque les menaces qu'implique actuellement la mondialisation. Elle protège les savoirs traditionnels, la biodiversité et les ressources génétiques et impose des limites aux activités que des tiers peuvent mener sur les territoires des peuples autochtones.

 

Si la Déclaration consacre le droit des peuples autochtones à l'autodétermination, il faut cependant relever qu'elle se garde de définir les « peuples autochtones ». De plus, si l'art. 3 de la Déclaration affirme sans équivoque le droit des peuples autochtones à l'autodétermination[189], son art. 4 évoque seulement l'autonomie dans le cadre de l'Etat dans lequel vivent les peuples autochtones concernés[190]. Potentiellement, le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et celui des Etats dans lesquels ils vivent pourraient entrer en conflit, surtout s’il n’y a pas de concertation sur les intérêts divergents des divers acteurs mentionnés, ni le respect des droits humains fondamentaux et des principes démocratiques. Comme exemples positifs, notons que plusieurs pays d’Amérique latine semblent être sur la bonne voie. En effet, les nouvelles constitutions adoptées par la Bolivie, l’Equateur et le Venezuela accordent une autonomie large aux peuples autochtones.

 

4. Obligations des états et mise en oeuvre au niveau national

 

Comme on vient de le voir, le droit à l’autodétermination et à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles est un droit fondamental reconnu dans de nombreux instruments internationaux et régionaux, mais rarement respecté pleinement dans les faits et dans toutes ses dimensions. Si la plupart des Etats ne l’ont pas englobé explicitement dans leur législation nationale, l’écrasante majorité des Etats ont ratifié les deux Pactes internationaux relatif aux droits humains et tous les Etats membres de l’ONU sont tenus d’honorer la Charte des Nations Unies. A ce titre, ils ont l’obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des ressources naturelles des peuples.

 

4.1. OBLIGATIONS DES ETATS

 

Le droit international prévoit des obligations pour les Etats corrélativement au droit des peuples à l’autodétermination au niveau international. En vertu des deux Pactes internationaux relatifs aux droits humains de 1966 et de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats et conformément à la Charte des Nations Unies déjà citée, ces obligations sont à la fois négatives et positives.

 

Premièrement, tout Etat a le devoir de respecter le droit à l’autodétermination en conformité avec la Charte des Nations Unies.

 

Deuxièmement, tout Etat a le devoir de favoriser la réalisation du droit des peuples à l’autodétermination et d’aider l’ONU à s’acquitter de ses responsabilités dans l’application de ce principe, afin de :

 

- Favoriser les relations amicales et la coopération entre les Etats ;

- Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés[191].

 

Le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles implique également des obligations pour les Etats. Comme le prévoit la résolution sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, adoptée en 1962, le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles doit toujours « s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’Etat intéressé. » L’obligation la plus importante est donc d’utiliser les richesses et ressources naturelles pour améliorer le bien-être de l’ensemble de la population d’un Etat donné et de chacun de ses composants, en tenant compte du fait que les intérêts des uns et des autres peuvent parfois être contradictoires.

 

En vertu des deux Pactes des Nations Unies de 1966, le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles doit s’exercer dans le but de permettre la réalisation des autres droits consacrés dans les Pactes ; il doit favoriser la réalisation des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels des peuples. En utilisant ses richesses et ressources naturelles, un Etat doit veiller à respecter, protéger et réaliser les droits humains de tous ses composants.

 

Dans de nombreux cas, cela implique simplement de respecter l’utilisation traditionnelle des richesses et ressources naturelles par la population locale. Dans d’autres cas, cela nécessite de protéger la population locale contre des tiers puissants, comme les entreprises transnationales, qui pillent ou détruisent les richesses et ressources naturelles. Quand les richesses et ressources naturelles sont inexploitées et que la population locale est dans l’incapacité d’exercer ses droits fondamentaux, par exemple en raison de la pauvreté, cela implique que l'Etat utilise les richesses et ressources naturelles pour améliorer le bien-être de la population (réaliser).

 

4.2. OBLIGATIONS DES AUTRES ENTITES

 

Par « autres entités », nous entendons des entités dites non étatiques qui ont une influence importante, voire décisive, sur l’exercice du droit à l’autodétermination. Il s’agit des institutions financières et commerciales internationales (FMI, Banque Mondiale et Organisation Mondiale du Commerce) mais aussi des sociétés transnationales (STN).

 

Bien que les premières soient des institutions interétatiques et à ce titre tenues de respecter la Charte de l’ONU et les instruments internationaux en matière de droits humains, dont le droit à l’autodétermination, elles défendent bien souvent les intérêts du secteur privé en favorisant la mainmise des STN sur toute activité économique, ce qui entrave indéniablement l’exercice de la souveraineté de nombreux Etats. Dans divers domaines, autant les institutions financières et commerciales internationales que les STN ignorent leurs obligations en matière des droits humains et nombre de leurs activités entraînent des violations du droit à l’autodétermination.

 

4.3. OBLIGATIONS DES ETATS TIERS

 

En cas de violations des droits humains dans un pays donné, les accusations sont portées bien souvent contre l'Etat concerné, parfois les STN, mais guère contre les Etats tiers dominants. Pourtant, l’exercice du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles a une forte composante internationale. Dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Etats se sont engagés à coopérer en vue d’assurer le plein exercice des droits consacrés et ils ont proclamé qu’ « en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance ».

 

En conséquence, les Etats tiers ont l’obligation de respecter le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles, notamment en s’abstenant de prendre des mesures qui priveraient un peuple de ses moyens de subsistance. Ils ont également l’obligation de favoriser l’exercice de ce droit dans les autres Etats, notamment à travers la coopération et l’assistance internationales.

 

A ce propos, les Etats se doivent d'être solidaires avec un Etat qui manque de moyens pour honorer ses engagements en matière des droits économiques, sociaux et culturels. Les obligations pour les Etats tiers peuvent se traduire dans la pratique par l’obligation de respecter le mode de développement adopté par un peuple/Etat donné, de ne pas imposer des traités commerciaux qui porteraient atteinte aux droits humains, de ne pas encourager les activités des STN dommageables à l’environnement et à l’exercice des droits humains, etc.

 

5. Exemples de mise en œuvre au niveau national

 

Depuis la consécration du droit à l’autodétermination dans la Charte des Nations Unies, en 1945, de nombreux peuples colonisés sont devenus indépendants et se sont constitués en Etats souverains. Ils ont ainsi suivi la voie tracée par les peuples colonisés d’Amérique latine, dont la majorité est devenue indépendante au 19ème siècle. Mais s’ils ont acquis leur indépendance politique depuis des décennies, la plupart de ces Etats sont restés longtemps ou restent encore économiquement dépendants des anciennes puissances coloniales, et beaucoup ne sont toujours pas en mesure de poursuivre leur développement économique, social et culturel en toute liberté et sans ingérence extérieure.

 

Tout aussi problématique est le fait qu’à l’intérieur de nombreux Etats, de nombreux peuples continuent à être opprimés, ou tenus en position subalterne, et ne sont toujours pas en mesure d’exercer leurs droits sur leurs richesses et ressources naturelles. La Bolivie et la Norvège peuvent être citées en exemple parmi les Etats qui mettent en œuvre le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles au niveau national, en utilisant leurs richesses et ressources naturelles pour améliorer le bien-être de leur population.

 

5.1. BOLIVIE

 

La Bolivie possède des richesses et ressources naturelles très importantes. Elle est particulièrement riche en métaux – argent, or, fer, zinc, étain et lithium – en gaz naturel et en pétrole. Pendant la colonisation, ce sont les métaux qui ont été exploités par l’Empire espagnol et, depuis son indépendance, la Bolivie a continué de baser une importante partie de son économie sur l’exportation de l’argent et de l’étain. Mais, depuis les années 1990, de vastes réserves de gaz naturel et de pétrole ont été découvertes en Bolivie – les plus importantes réserves de gaz naturel en Amérique latine après le Venezuela – et le gaz naturel est aujourd’hui le premier produit exporté par les Boliviens. Avec l’augmentation des prix du gaz et du pétrole sur le marché international, les revenus se sont considérablement accrus. Mais, la privatisation des réserves de gaz et de pétrole au milieu des années 1990, sous le gouvernement Sánchez de Lozada, a entraîné une diminution des revenus étatiques au profit des entreprises transnationales étrangères.

 

Après la « guerre de l’eau » qui a forcé le gouvernement Sánchez de Lozada à dénoncer la privatisation de l’eau entreprise à la fin des années 1990, le projet d’exporter du gaz naturel vers les Etats-Unis et le Mexique a débouché sur la « guerre du gaz » en septembre/octobre 2003, opposant les organisations indigènes, paysannes et syndicales au gouvernement. Après des semaines de confrontation et 53 morts parmi les opposants, la guerre du gaz a eu raison du Président Sánchez de Lozada, qui a été forcé de démissionner. Le Vice-président Carlos Mesa a alors assumé la Présidence. Il a accepté les revendications populaires, parmi lesquelles l’élaboration d’une nouvelle Constitution et la nationalisation des ressources naturelles, et a fait passer une loi sur les hydrocarbures, prévoyant de taxer jusqu’à 50% des revenus gaziers et pétroliers. Mais il n’a jamais tenu ses promesses sur la nationalisation des ressources naturelles et il a été lui aussi forcé de démissionner.

 

L’élection d’Evo Morales à la Présidence de la République en décembre 2005 marque un tournant dans l’histoire de la Bolivie. Après 500 ans d’exploitation des ressources naturelles et de la population indigène, le premier Président indigène de l’histoire de la Bolivie a promis de mettre un terme au colonialisme et de rétablir la souveraineté nationale sur les ressources naturelles.

 

Dans un pays où un tiers de la population, dont une majorité d’indigènes, vit encore dans l’extrême pauvreté, avec des taux de malnutrition et des inégalités parmi les plus élevés du monde, le nou- veau Président tente de protéger les plus vulnérables tout en mettant un terme à la dépendance politique, économique et culturelle vis-à-vis des puissances étrangères. Le 1er mai 2006, il a annoncé la nationalisation des ressources pétrolières et gazières.

 

L’Etat est redevenu propriétaire de ses ressources et les compagnies privées ont été autorisées à les exploiter sous son contrôle, en reversant entre 60 et 82% de leurs revenus à l’Etat. Les compagnies étrangères présentes en Bolivie – parmi lesquelles Petrobras (Brésil), Repsol (Espagne), Total (France) et British Gas (Royaume-Uni) – ont accepté les nouvelles conditions, étant donné qu’elles continuent à engranger des profits importants.

 

Même si cette nationalisation ne signifie pas que la Bolivie a retrouvé une souveraineté totale, ni qu’elle constitue un modèle de développement (car l’économie bolivienne reste dépendante des rentes de ressources non renouvelables), cette nouvelle donne a entraîné une hausse spectaculaire du budget de l’Etat national et des départements régionaux, qui ont pu investir massivement dans l’éducation[192], la santé et la souveraineté alimentaire.

 

En 2007, la Bolivie a intégré la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans son droit interne et, en 2009, elle a adopté une nouvelle Constitution concrétisant le droit de la nation bolivienne à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles tout en consacrant les droits des peuples autochtones et paysans sur leurs propres ressources[193].

 

5.2. NORVEGE

 

La Norvège, comme la Bolivie, a des richesses et ressources naturelles très im- portantes, en particulier en minéraux, en pétrole et en gaz. Après avoir découvert d’immenses gisements de pétrole off shore dans la mer du Nord – les plus importants du monde – à la fin des années 1960, le gouvernement norvégien a créé la compagnie pétrolière norvégienne Statoil pour les exploiter.

 

Même si la compagnie pétrolière a été partiellement privatisée depuis, le gouvernement norvégien a toujours gardé le contrôle du secteur pétrolier, dans la mesure où il détient 70% des actions de la société. Aujourd’hui, la Norvège est le sixième producteur et le troisième exportateur mondial de pétrole, le pétrole représentant un tiers des exportations du pays.

 

Depuis les années 1970, une importante partie des revenus pétroliers a été utilisée pour financer les politiques sociales mises en œuvre en Norvège, ce qui a permis à ce pays d’un peu moins de cinq millions d’habitants d’être classé depuis dix ans à la première place de l’indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement[194].

 

La Norvège est également le pays dans lequel la liberté de la presse est la plus importante[195] et elle se classe au 11ème rang des pays dans lesquels la corruption est la moins élevée[196], selon les indicateurs les plus cités. Pour investir les profits de l’exploitation et de l’exportation du pétrole et du gaz de manière à ce qu’ils bénéficient également aux générations futures – lorsque les réserves commenceront à s’épuiser –, le gouvernement norvégien a suivi l’exemple d’autres Etats en créant un fonds souverain d’investissement en 1990[197]. Appelé tout d’abord fonds pétrolier, le fonds souverain est devenu le fonds de pension du gouvernement norvégien en 2006.

 

Deuxième fonds souverain le plus important du monde, il dispose aujourd’hui d'un capital de plus de 400 milliards de dollars américains. En 2004, le gouvernement norvégien a pris la décision d’investir ces immenses profits pétroliers selon des critères éthiques. Il a alors adopté des directives en matière d’investissement et a créé un Comité d’éthique indépendant qui est notamment chargé de veiller à ce que les milliers d’entreprises dans lesquelles le fonds norvégien investit ne soient pas impliquées dans les activités suivantes :

 

- violations sérieuses ou systématiques des droits humains, telles que le meurtre, la torture, la privation de la liberté, le travail forcé, les pires formes de travail des enfants et d’autres formes d’exploitation des enfants ; atteintes graves aux droits individuels dans des situations de guerre ou de conflit ;

- dégradation sévère de l’environnement ;

- corruption massive ;

- autres violations particulièrement sérieuses des normes éthiques fondamentales[198].

Les entreprises dans lesquelles le fonds norvégien investit sont également invitées à promouvoir les droits de l’enfant, à limiter leurs impacts négatifs sur le changement climatique et à utiliser les ressources en eau de manière durable.

 

A travers l’utilisation exemplaire et transparente de ses richesses et ressources naturelles, la Norvège favorise donc la réalisation des droits économiques et sociaux de sa population tout en favorisant le respect des droits humains dans les nombreux Etats au sein desquels les entreprises qu’elles financent exercent leurs activités. Il est intéressant de noter par exemple que des entreprises minières, qui polluaient l’environnement et mettaient en danger la santé de la population vivant aux alentours des zones d’extractions, ont été exclues du fonds d’investissement norvégien, tout comme deux entreprises israéliennes impliquées dans la construction de colonies dans les territoires palestiniens occupés[199]. Bien sûr, tout cela ne préjuge pas d’autres aspects de la politique norvégienne, qui pourraient aller à l’encontre des obligations du gouvernement en matière de droits humains.

 

6. Enjeux et obstacles actuels à l’exercice du droit à l’autodétermination

 

Comme nous l’avons déjà souligné, il n’est pas possible de dissocier la souveraineté politique de la souveraineté économique. De plus, « l’égalité souveraine » des Etats au niveau international n’est toujours pas une réalité. On observe à ce propos un décalage gigantesque dans l’exercice de la souveraineté entre certains Etats. Sur ce point, peut-on comparer la capacité et les moyens des Etats-Unis à ceux d’Haïti ou du Burkina Faso, pour ne citer que ces exemples ?

 

De ce point de vue, nous examinerons l’impact des politiques et décisions économiques internationales ou transnationales sur l’exercice du droit à l’autodétermination. Parmi celles-ci, les plus importantes, à nos yeux, sont :

 

-     la dette extérieure et les programmes d’ajustement structurel ;

-     le commerce et les investissements étrangers ;

-     les activités des sociétés transnationales ;

-     les droits de propriété intellectuelle ;

-     la privatisation des services publics ;

-     l’utilisation de mercenaires ;

-     l’exploitation des ressources naturelles, entre autres par l’accaparement des terres à grande échelle.

 

Les domaines mentionnés sont intimement liés et font partie d’une politique choisie (qu’on appelle « Consensus de Washington » ou la mondialisation néolibérale), mise en place progressivement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale par certaines puissances internationales, avec un seul et même but : la perpétuation des relations de domination entre les pays et à l’intérieur d’un pays donné.

 

Dans ce contexte, l’analyse de l’expert onusien Aureliu Cristescu, datant de 1981, garde toute son actualité et sa pertinence : « Alors que le colonialisme dans son sens traditionnel approche de sa fin, l’impérialisme, la politique de force et de diktats continuent d’exister et peuvent se maintenir à l’avenir, sous le masque du néo-colonialisme et des relations de puissance. L’exploitation par les forces coloniales des difficultés et des problèmes que les pays en développement ou récemment libérés affrontent, l’immixtion dans les affaires intérieures de ces Etats et les tentatives de maintenir les relations d’inégalité, surtout dans le secteur économique, constituent de sérieux dangers pour les nouveaux Etats. Le colonialisme, le néo-colonialisme et l’impérialisme utilisent divers procédés pour imposer leur volonté aux nations indépendantes. La pression et la domination économiques, l’immixtion, la discrimination raciale, la subversion, l’intervention et la menace de la force sont des procédés néocolonialistes contre lesquels les nations nouvellement indépendantes doivent se défendre »[200]. La plupart des domaines cités ci-dessus ont déjà fait ou sont en voie de faire l’objet d’une publication du CETIM. Pour cette raison et à cause du manque de place, nous ne proposons ici que de brefs résumés de certains d’entre-eux.

 

6.1. DETTE EXTERIEURE ET PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL[201]

 

La dette extérieure des Etats, ceux du Sud en particulier, est un réel fardeau et a un impact négatif majeur dans pratiquement tous les domaines de la vie des po- pulations de ces pays et donc sur l’exercice de leur droit à l’autodétermination. Les programmes/Politiques d’Ajustement Structurel (PAS) sont intimement liés à la question de la dette, étant donné qu’ils ont été conçus et imposés par le duo FMI/Banque Mondiale aux pays du Tiers Monde, officiellement « pour réagir aux déséquilibres de l’économie et en particulier au déficit de la balance des paiements de différents pays »[202], suite à la crise du remboursement de la dette au début des années 1980.

 

Le contenu des PAS n’a jusqu'à ce jour guère changé, même si leur appellation a été modifiée à multiples reprises[203], et s’applique bien souvent indistinctement aux pays endettés quelles que soient leurs conditions économiques et sociales : dévaluation de la monnaie locale, réduction des dépenses consacrées aux services publics, suppression du contrôle des prix, imposition du contrôle des salaires, réduction des mesures de réglementation commerciale et du contrôle des changes, privatisations, restriction du crédit intérieur, diminution de l’intervention de l’Etat dans l’économie, élargissement du secteur d’exportation et réduction des importations. Bien que le duo FMI/Banque Mondiale ait perdu ses plus gros « clients » ces dernières années (Argentine, Brésil et Russie en particulier) et que certains pays latino-américains tentent de briser leur dépendance à ce duo en créant la Banque du Sud[204], le rôle de ces institutions financières est maintenu (par la volonté des puissances du moment et ce malgré la récente crise financière qui a secoué le monde) et leur influence continue de faire des ravages dans de nombreux pays.

 

A titre d’exemples, le Kenya et la Zambie consacrent 40% de leur budget annuel au service (intérêts) de leur dette extérieure[205]. En faisant abstraction de la question de la volonté politique de leurs dirigeants, ces Etats peuvent-ils satisfaire les besoins élémentaires de leurs populations (alimentation, eau, logement, santé…) ? Peuvent-ils mener une politique de développement endogène ? Il en est de même aujourd'hui pour la Grèce (faisant pourtant partie des pays du Nord !) qui est soumise aux mêmes conditions, suite à la récente crise financière[206]. Dans de telles conditions, parler de la souveraineté nationale lorsque les peuples n’ont plus rien à dire sur leur avenir relève de la supercherie.

 

6.2. COMMERCE ET INVESTISSEMENTS ETRANGERS68

 

Aujourd'hui, un réseau dense d'accords et de traités économiques et financiers – internationaux, régionaux, sous-régionaux et bilatéraux – s'est mis en place. Ces instruments ont supplanté les instruments fondamentaux du droit international et régional des droits humains – y compris le droit à l’autodétermination des peuples – et subordonné les Constitutions et les lois nationales destinées à promouvoir un développement national harmonieux ainsi que les droits humains, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux.

 

En s'appuyant sur l'application de clauses telles que celle du « traitement le plus favorable », du « traitement national » et de la « nation la plus favorisée », qui figurent dans presque tous ces traités, cet étroit maillage fonctionne comme un système de vases communicants permettant aux politiques néolibérales de s'imposer à l'échelle mondiale et de pénétrer au cœur des Etats où elles désintègrent les économies nationales et génèrent de graves dommages sociaux. Au motif de protéger les investisseurs contre les « expropriations indirectes » ou la perte de « gains attendus », ces accords sont en train de subvertir le droit souverain des Etats récepteurs d'établir des politiques tributaires, salariales ou de protection sociale que les investisseurs pourraient considérer comme affectant leurs « gains attendus » et qui pourraient constituer des « expropriations indirectes ».

 

De même, les Etats perdent avec ces traités leur faculté souveraine de régler les litiges survenus sur leur propre territoire devant leurs tribunaux nationaux.

 

6.3. SOCIETES TRANSNATIONALES

 

Depuis quelques décennies, les Sociétés Transnationales (STN) n'ont eu de cesse d'accentuer leur main-mise sur les ressources naturelles de la planète ; elles dictent leur volonté aux Etats les plus faibles et exploitent les peuples. Directement ou indirectement, elles portent une énorme responsabilité dans la détérioration de l’environnement et dans l’accroissement systématique des violations des droits humains, dont le droit à l’autodétermination et à la souveraineté sur les ressources naturelles.

 

Ayant l’art d’être à la fois partout et nulle part, elles échappent ainsi pratiquement à tout contrôle démocratique et juridique[207]. Pourtant, en 1974 déjà, l’Assemblée Générale de l’ONU préconisait la réglementation et le contrôle des activités des sociétés transnationales en ces termes : « Tous les efforts devraient être faits pour formuler, adopter et appliquer un code international de conduite pour les sociétés transnationales, afin :

 

a.     de les empêcher de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays où elles opèrent et de collaborer avec les régimes racistes et les administrations coloniales ;

b.    de réglementer leurs activités dans le pays d’accueil pour éliminer les pratiques commerciales restrictives et pour que ces activités soient conformes aux plans et objectifs de développement national des pays en voie de développement et, dans ce contexte, de faciliter, si besoin est, le réexamen et la révision des arrangements conclus antérieurement ;

c.     de faire en sorte que ces sociétés fournissent aux pays en voie de développement, à des conditions équitables et favorables, une assistance, des techniques et des conseils en matière de gestion ;

d.    de réglementer le rapatriement des bénéfices que ces sociétés tirent de leurs opérations compte tenu des intérêts légitimes de toutes les parties intéressées ; e) d’encourager ces sociétés à réinvestir leurs bénéfices dans les pays en développement »[208].

 

Faut-il le rappeler, à ce jour, nous ne disposons toujours pas d’un encadrement juridique contraignant au niveau international qui contrôlerait les activités nuisibles des sociétés transnationales sur les droits humains ! Les « Normes sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises », adoptées en 2003 par l’ancienne Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, moisissent dans les tiroirs de l’ONU[209].

 

6.4. PROPRIETE INTELLECTUELLE[210]

 

L'Accord de l'Organisation mondiale du commerce sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, TRIPS en anglais) est, à juste titre, très critiqué. Mais il existe une série d'accords bilatéraux sur le même thème qui aggravent les dispositions de l'ADPIC, raison pour laquelle on les appelle les « TRIPS-plus ».

 

L’ADPIC est critiqué pour plusieurs raisons. Par exemple, il admet la possibilité d'exclure du système des brevets les êtres vivants, bien que l'article 27, 3 b) de celui-ci précise : « Toutefois, les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens ». Il n'indique pas ce que veut dire un « un système sui generis efficace ».

 

En fait, l'ADPIC laisse la porte ouverte à l’extension du brevetage aux variétés végétales. La majorité des accords bilatéraux en matière de propriété intellectuelle oblige les Etats signataires à adhérer à l'UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) qui n'est pas mentionnée dans l'ADPIC.

 

L'UPOV a été créée par une convention adoptée en 1961 dont les membres étaient, jusqu'en 1994, uniquement les pays du Nord et l'Afrique du Sud. Mais depuis 1994, les pays du Sud ont commencé à y adhérer. La convention accorde une grande latitude pour breveter des plantes et expose les agriculteurs, pour pouvoir continuer à ensemencer et cultiver, à devoir payer des droits toujours plus élevés aux grandes sociétés transnationales spécialisées dans le génie génétique et dans la biopiraterie.

 

Comme le droit traditionnel concernant les brevets implique que l'objet du brevet soit une invention, ce qui exclut les organismes vivants qu'on trouve dans la nature, l'UPOV a consacré ce qui est appelé les « droits de l'obtenteur » en référence aux variétés végétales nouvelles obtenues par différents moyens, dont les croisements ou les manipulations génétiques. C'est ainsi qu'avec les traités bilatéraux, qui dans leur majorité obligent à adhérer à l'UPOV, les agriculteurs se voient supprimer leur droit fondamental de garder des semences ou de les échanger avec d'autres agriculteurs en vue des semailles suivantes si ces dernières sont protégées par l'enregistrement d'un « droit de l'obtenteur »[211].

 

6.5. PRIVATISATION DES SERVICES PUBLICS

 

L'Etat est la cible privilégiée des politiques néolibérales, appliquées depuis trois décennies un peu partout dans le monde et véhiculées par les institutions financières internationales (FMI/BM), plus précisément, certaines de ses prérogatives jusqu’alors souveraines (éducation et santé entre autres). En effet, selon ces institutions, l’Etat représente un obstacle au développement économique et à ce titre il faut le « réformer ». Ce n’est pas par hasard si lorsque ces institutions imposent leurs conditions (à travers les PAS) à un Etat, elles visent toujours à son affaiblissement (voir ci-dessus).

 

D’ailleurs, le slogan fétiche de ces institutions est « moins d’Etat ». Parmi ces conditions figurent la privatisation des services publics et la réduction des dépenses sociales (eau, alimentation, santé, éducation, logement, transport…), le licenciement des fonctionnaires, la baisse d’impôts, etc. Bref, tout ce qui est nécessaire pour qu’un Etat donné puisse honorer ses obligations en matière de droits économiques, sociaux et culturels. Un seul secteur échappe à leur exigence : les dépenses pour la sécurité.

 

Comme le note judicieusement l’expert onusien Danilo Türk dans son étude consacrée aux PAS : « s’il y a un poste des dépenses nationales qui n’est quasiment jamais touché par les programmes d’ajustement, c’est le poste des dépenses militaires, et ce bien que, dans les pays en développement, les dépenses militaires par habitant soient supérieures aux montants cumulés des crédits consacrés à la santé et à l’éducation[212] ».

 

Pour Jean Ziegler[213], la privatisation est la mort de l’Etat : « La privatisation du monde affaiblit la capacité normative des Etats. Elle met sous tutelle les parlements et les gouvernements. Elle vide de leurs sens la plupart des élections et presque toutes les votations populaires. Elle prive de leur pouvoir régulateur les institutions publiques. Elle tue la loi. De la République, telle que nous l’avons héritée de la Révolution française, il ne reste désormais plus qu’un spectre »[214].

 

6.6. UTILISATION DE MERCENAIRES

 

On appelle « mercenaires » les personnes qui louent leurs services aux gouvernements ou au secteur privé pour accomplir diverses tâches relatives au métier de soldat (formation, logistique, protection, participation directe aux conflits armés, etc.). Engagés contre une rémunération relativement importante, les mercenaires peuvent être envoyés n’importe où dans le monde. Le mercenariat a toujours existé, mais il a pris différentes formes selon les époques.

 

Par exemple, si, au Moyen Âge, les monarques ont fréquemment utilisé des mercenaires pour leurs conquêtes ou pour assurer leur défense, ces derniers ont été utilisés durant le processus de décolonisation (dans les années 1960) contre les mouvements de libération nationale qui luttaient pour leur droit à l’autodétermination, mais aussi pour déstabiliser les nouveaux Etats ayant obtenu leur indépendance[215].

 

D’où, l’adoption au sein de l’ONU en 1989 de la Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires. Depuis environ deux décennies, le mercenariat a pris une nouvelle forme. Des entreprises dites de sécurité, principalement basées légalement aux Etats-Unis, en Angleterre et en Afrique du Sud, offrent leurs services aux gouvernements. Elles ont la capacité d’intervenir n’importe où dans le monde et ont déjà pris part à de nombreux conflits en Afrique, en Amérique Latine et en Asie. L’Afghanistan et l’Irak, où l’armée américaine sous-traite certaines tâches aux entreprises de mercenaires constituent des exemples parmi les plus éloquents.

 

Certes, ces dernières années, la plupart des pays occidentaux sont passés de l’armée de recrues à l’armée de professionnels. Mais autoriser la création d’entreprises de mercenaires, de surcroît cotées en bourse et utilisées dans des conflits armés, pose de graves problèmes pour l’exercice de la démocratie et de la souveraineté des Etats, sans parler des graves violations des droits humains et/ou du droit international com- mises par ces « nouveaux acteurs ».

 

Ces derniers ont pris une telle ampleur que l’armée la plus puissante du monde (Etats-Unis) ne peut plus se passer de leurs « services ». L'influence de ces entreprises n’est pas sans danger, comme le souligne un membre du Congrès Etats-uniens, en se référant à l’entreprise BlackWater décrite comme « une armée capable de renverser la plupart des gouvernements de ce monde »[216].

 

En effet, BlackWater dispose de « l’un des plus importants stocks privés d’armes lourdes, d’une flotte d’avions, d’hélicoptères Blackhawk, de navires, de véhicules blindés, de stands de tirs, et ses bases américaines forment 30.000 (trente mille) policiers et militaires par an ».

 

Cette situation est d’autant plus inquiétante que non seulement ces compagnies profitent des lois nationales « clémentes » à leur égard, mais qu'elles échappent également à tout contrôle au niveau international – la plupart d’entre elles mènent leurs opérations dans des conflits armés sans être soumises par exemple aux règles d’une armée nationale régulière.

 

Partant de ce constat et en vertu de l’insuffisance de la Convention de 1989 précitée pour répondre à cette nouvelle forme du mercenariat, l’ancienne Commission (actuellement Conseil) des droits de l’homme de l’ONU a créé (en 2005) un Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce Groupe de travail vient de proposer (septembre 2010) au Conseil de droits de l’homme un projet de Convention sur les sociétés militaires de sécurité privée[217].

 

6.7. EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES

 

Dans la plupart des cas, l’exploitation des richesses et ressources naturelles – notamment minières, pétrolières, gazières et agraires – entraîne des violations massives des droits fondamentaux des populations locales, en transgression notamment du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’histoire de l’exploitation des richesses et ressources naturelles se confond largement avec l’histoire de l’exploitation des peuples qui les détiennent. En vertu du droit à l’autodétermination, les Etats ont l’obligation d’utiliser les richesses et ressources naturelles pour améliorer le bien-être de la population.

 

Pourtant, dans la plupart des cas, leur exploitation entraîne des violations multiples des droits fondamentaux des populations locales ; elle menace très souvent leur droit à l’alimentation, à l’eau, au logement, à la santé et à un environnement sain, et les revenus qu’elle génère ne sont que très rarement utilisés pour améliorer la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.

 

Dans ce cadre, il faut souligner les responsabilités des Etats tiers et des STN, y compris du secteur financier[218], impliqués dans l’exploitation des ressources naturelles. En effet, certains Etats puissants, abritant les sièges des STN, se comportent en porte-parole de leurs STN pour obtenir des concessions en faveur de ces dernières auprès des Etats récipiendaires. Et certaines STN recourent à toutes sortes de méthodes, y compris aux paramilitaires, pour pouvoir poursuivre leur exploitation.

 

Cependant, au-delà des problèmes posés par des STN ou des Etats tiers, l’exploitation des ressources naturelles (pétrole, minerais, barrages, etc.) peut poser des problèmes inextricables entre les différentes composantes d’un Etat donné. En effet, l’exploitation d’une mine par exemple peut aller à l’encontre des croyances ou de la volonté d’une partie de la population de cet Etat (peuples autochtones) ou peut causer des dommages irréparables à l’environnement, tout en privant l’ensemble de la population d’un revenu relativement important.

 

Une fois de plus, la solution réside dans la concertation et la consultation des peuples/populations concernés et dans le respect des droits humains de tout un chacun. Dans cette partie, nous décrirons les problèmes posés par l’appropriation et l’exploitation des ressources minières, des ressources pétrolières et gazières et des ressources agraires, ces dernières ayant pris une nouvelle dimension depuis l’éclatement de la crise alimentaire en 2008.

 

A. L’EXPLOITATION MINIERE

 

L’exploitation minière a été l’un des moteurs de la colonisation. Pendant des siècles, l’Empire espagnol a amassé des richesses en exploitant les ressources minières de l’Amérique latine dans le mépris total des populations locales, forcées de travailler dans des conditions d’esclavages, aux côtés des esclaves amenés d’Afrique, dans les mines d’or, d’argent ou d’étain[219]. Dans les autres régions du monde, ce sont principalement la France, l’Angleterre et le Portugal qui ont pillé les ressources minières des peuples colonisés[220].

 

L’exploitation des ressources minières par des Etats ou des entreprises étrangères n’a pas pris fin avec la décolonisation. Dans le monde entier, des STN continuent d’exploiter les métaux et les minéraux en méprisant les droits fondamentaux des populations locales. Nous donnerons ci-après trois exemples illustratifs, ceux du Guatemala, du Ghana et de la RDC.

 

Dans le Département de San Marcos, au Guatemala, les communautés indigènes luttent depuis des années contre les violations des droits humains liées à l’exploitation d’une mine d’or et d’argent – la mine Marlin – par l’entreprise canadienne Goldcorp et sa compagnie subsidiaire Montana[221]. L’entreprise a obtenu une concession pour l’exploitation de la mine Marlin en 2003, sans que les communautés indigènes aient été consultées.

 

Depuis le début de l’exploitation de la mine en 2005, le droit à l’alimentation, le droit à l’eau, le droit au logement et le droit à la santé des communautés locales sont menacés. En sus de ces violations des droits humains des communautés indigènes locales, les ONG dénoncent le fait qu’au Guatemala, une partie infime des revenus tirés de l’exploitation des richesses et ressources naturelles est utilisée pour améliorer le bien-être de la population. Dans le secteur minier, les entreprises étrangères ne doivent reverser que 1% de leurs revenus à l’Etat86[222]. Et les taxes étant comparables dans les autres secteurs économiques, le gouvernement ne réinvestit quasiment rien pour réaliser les droits économiques, sociaux et culturels de la population.

 

Le premier Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, et le Center for Economic and Social Rights ont dénoncé cette situation, en relevant qu’au Guatemala, malgré des richesses et des ressources naturelles très importantes et un produit intérieur brut élevé, 50% des enfants continuent à souffrir de malnutrition – ce qui représente le taux le plus haut en Amérique latine et le 5ème dans le monde[223].

 

Au Ghana, l’ONG FIAN dénonce depuis plus de 10 ans les violations des droits humains liées à l’exploitation des mines d’or, de diamants, de bauxite et de manganèse[224]. L’or représente un tiers des exportations du Ghana et son exploitation – dans la majorité des cas dans des mines à ciel ouvert aux mains de compagnies étrangères – menace le droit à l’eau, le droit à l’alimentation et le droit à la santé des populations locales. En s’étendant sur des parties toujours plus grandes du territoire, l’exploitation de l’or entraîne des expulsions forcées des communautés paysannes, sans compensation adéquate, et la destruction des ressources naturelles[225].

 

En 2009, la compagnie américaine Newmont a reçu le titre de « pire compagnie de l’année » du Public Eye Award décerné par Greenpeace et la Déclaration de Berne en parallèle au Forum économique mondial de Davos, pour son projet d’exploitation de la mine d’or Akiem dans la zone forestière protégée d’Ajenua Bepo, dans l’Est du Ghana.

 

L’exploitation de la mine avait entraîné l’expulsion de 9.000 personnes de leurs terres et la destruction d’une partie de la zone forestière protégée[226].

 

En 2006, une loi sur les minéraux et l’exploitation minière a été adoptée. Elle prévoit notamment une compensation adéquate et l’accès à des terres alternatives pour les communautés locales déplacées, mais cette loi n’est toujours pas appliquée[227].

 

Pour la RDC, depuis le rapport final du groupe d’experts sur « l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la République Démocratique du Congo »[228] en 2002, les rapports d’ONG et d’institutions internationales se sont succédés pour dénoncer le financement des conflits à l’Est de la RDC[229] par l’exploitation des minerais[230].

 

La richesse en or, coltan, cassitérite et wolframite représente une manne financière pour les groupes armés qui exploitent les mines, notamment pour leur profit personnel, taxent illégalement les creuseurs, transporteurs et négociants, et passent les minerais en fraude dans les pays voisins. Ces entrées d’argent facile et en grande quantité, sans être la cause du conflit, encouragent sa perpétuation. Le principal destinataire de ces métaux est l’industrie électronique qui les utilise dans la fabrication de téléphones et d’ordinateurs portables. Le consommateur européen, américain ou asiatique est le destinataire final de cette chaine.

 

Cette situation n’est pas nouvelle, l’Est de la RDC est en guerre depuis 1996, mais ce n’est que depuis 2010 qu’une véritable mobilisation s‘est opérée dans différentes instances. La résolution 1856 (2008) du Conseil de sécurité engageait « tous les États, en particulier ceux de la région, à prendre les mesures voulues pour mettre fin au commerce illicite de ressources naturelles, y compris, si nécessaire, par des moyens judiciaires » et à rendre compte au Conseil de sécurité de ces mesures. Les rapports du panel d’experts comme des ONG, les travaux de l’OCDE, du Bureau allemand de géosciences et des ressources naturelles ou encore les initiatives des groupes professionnels ont contribué à définir une palette de principes relevant de la bonne gouvernance tels que le devoir de diligence, la transparence dans les chaînes d’approvisionnement, ainsi que la responsabilité des entreprises.

 

Le devoir de diligence est le devoir des entreprises de prendre, de bonne foi, des mesures raisonnables afin d'identifier et de répondre aux risques de financement des conflits par leur chaîne d’approvisionnement. A ces principes relevant de la bonne gouvernance s’ajoutent des mesures concrètes pour les appliquer renvoyant aux bonnes pratiques. Ces principes se sont récemment imposés en tant que norme pour les entreprises américaines (Dodd-Frank 2010) et tendent à le devenir en Europe.

 

Les acteurs internationaux (Etats, organisation internationale, ONG, instituts, groupes professionnels) ont mis en place un canevas de principes, de concepts et de kits qui structurent l’action internationale concernant le commerce des minerais à l’Est. 

Quelle que soit leur nature, les discours sur le financement des conflits par les minerais reprennent le même jargon provenant des rapports d'experts internationaux. Les termes de diligence raisonnable, certification, traçabilité ou le label conflict free agissent comme un prêt à penser et à agir et traduisent l’approche technicienne et apolitique du problème.

 

Etablissement des principes de diligence raisonnable : identifier, prévenir, réparer

La notion de due diligence ou diligence raisonnable provient du milieu des affaires et désigne le degré de précaution qu’un acquéreur doit prendre afin d’avoir une vision réelle de l’entreprise et de se prémunir contre les risques d’acquisition. Cette idée de précaution face au risque a été progressivement intégrée  au corpus de la bonne gouvernance défendue par les Organisations Internationales (OI). 

En 2008, la résolution 1857 du Conseil de sécurité encourageait les Etats à appliquer une due diligence aux fournisseurs congolais concernant l’origine des minéraux importés. Il faut noter que la version française de la résolution traduisait l’expression par « précaution voulue ». La due diligence n’était alors pas un principe défini mais renvoyait à un ensemble de pratiques à adopter. Le changement dans cette traduction, devenue aujourd’hui « devoir de diligence », montre que la formule s’est progressivement imposée comme concept international. De ce devoir de diligence découle une pratique définie.

 

Dans ses principes directeurs, l’OCDE définit la diligence raisonnable comme « le processus qui, en tant que partie intégrante de leurs systèmes de prise de décisions et de gestion des risques, permet aux entreprises d’identifier, de prévenir et d’atténuer les incidences négatives, réelles ou potentielles, de leurs activités, ainsi que de rendre compte de la manière dont elles abordent cette question »[231]. Appliquée au secteur minier dans un contexte de conflit, cette notion renvoie au devoir d’une entreprise d’assurer qu’elle ne participe pas au financement des conflits dans la région de son activité. 

 

L’OCDE a fait du devoir de diligence le principe de base à partir duquel elle élabore ses recommandations dans le domaine minier. L’organisation considère que les entreprises engagées dans le secteur des minerais sont un facteur de croissance et de développement local mais qu’en période de conflit leur travail peut, volontairement ou non, contribuer au financement de groupes armés ainsi qu’à de graves atteintes aux droits de l’homme. Afin de responsabiliser les entreprises et de les pousser à agir, l’organisation publie en décembre 2010 un Guide sur  le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque[232], fruit d’une concertation avec le groupe d’experts des Nations unies, les gouvernements, les industries et la société civile. Ce document fournit des recommandations pour permettre aux entreprises d’exercer leur devoir de diligence à travers leurs pratiques d’approvisionnement et ainsi de s’assurer qu’elles ne participent pas indirectement au financement du conflit, ni aux atteintes aux droits de l’homme.

 

Ce guide est adapté au contexte particulier du secteur des minerais et prend en compte chaque étape de la chaine d’approvisionnement (extraction, manutention, commerce, traitement, transport, fabrication du produit final). Un cadre en cinq étapes récapitule les principaux engagements auxquels doivent consentir les entreprises :

 

1.     Mettre en place de solides systèmes de gestion, pour assurer notamment la traçabilité des minerais depuis l'origine.

2.    Identifier et évaluer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement et particulièrement le risque de financement de groupes rebelles.

3.    Concevoir et mettre en œuvre une stratégie pour répondre aux risques identifiés. 

4.    Faire réaliser par un tiers un audit indépendant de l’exercice du devoir de diligence.

5.    Rendre compte publiquement de l’exercice du devoir de diligence.

 

Le Conseil de sécurité reprend à son compte ces bonnes pratiques qu’il entend promouvoir en demandant aux Etats de les défendre auprès de leurs ressortissants[233]. La résolution 1952 (2010) détaille les mesures concrètes du devoir de diligence à savoir « renforcer les systèmes de gestion des entreprises, identifier et évaluer les risques relatifs à la chaîne d’approvisionnement, concevoir et mettre en œuvre des stratégies pour faire face aux risques identifiés, procéder à des vérifications indépendantes et rendre publiquement compte de l’application de la diligence requise tout au long de la chaîne d’approvisionnement et des conclusions à en tirer ». La résolution va donc au-delà d’un simple énoncé du principe de diligence raisonnable, elle détaille aussi la pratique.

 

Les résolutions tout comme les dispositions détaillées dans le guide ne sont pas juridiquement contraignantes et leur impact est par conséquent limité. On voit donc apparaître de nouveaux concepts dans un corpus de textes de référence, permettant une application pratique des nouveaux standards moraux appartenant aux bonnes pratiques.

 

La mise en place, dans la pratique, du devoir de diligence à travers des projets, programmes et initiatives démontre l’importance de la technicité. Traçabilité et certification sont les maîtres mots de ces programmes. Ils supposent la coopération des différents services de l’Etat congolais et de la population. 

 

L’ITRI (International tin research institute), organisation professionnelle regroupant des producteurs d’étain, adhère aux principes de l’OCDE et notamment au devoir de diligence. Elle a mis en place un programme iTSCI (ITRI tin supply chain initiative) divisé en trois phases.

 

La première (2009-2010) consistait à contrôler la chaîne en aval à travers la vérification de la légalité des commerçants et des comptoirs.

 

La deuxième, concerne la mise en place d’une traçabilité des minerais du mineur au négociant, il s’agit d’établir le certificat d’origine du minerai puis d’enregistrer son passage aux différents points de contrôle pour tracer une chaîne d’approvisionnement fiable. L’étiquetage des minerais à la sortie de la mine est financé par un prélèvement de 50 $ par tonne de cassitérite. Un essai pilote à Bisie au Nord-Kivu et à Nyabibwe au Sud Kivu a été mis en place en juin 2010.

 

Enfin, la troisième phase doit faire le lien entre les deux précédentes et proposer une traçabilité sur l’ensemble de la chaîne. En parallèle de ce travail, le Conseil de sécurité engage en 2009[234] la MONUC (mission des Nations unies au Congo) à la renforcer et évaluer les cinq comptoirs au Nord et Sud-Kivu pour normaliser le commerce de minerais et améliorer leur traçabilité. Ces centres de négoce se trouvent à Mugogo et Numbi, au Sud-Kivu et à Itebero, Isanga et Rubaya au Nord-Kivu.

 

Le deuxième grand projet en matière de lutte contre les minerais des conflits concerne la certification et provient du Bureau fédéral allemand de géosciences et des ressources naturelles (BGR). Son action est à replacer dans le contexte plus large des politiques liées à la sécurité d'approvisionnement en ressources naturelles de l'industrie allemande.

 

En 2009 un accord de coopération technique entre les gouvernements allemand et congolais a permis le lancement du projet «Transparence et le contrôle dans le secteur des matières premières en RDC». Lors de la première phase du projet, le BGR appuie le ministère des Mines dans sa mise en œuvre d’un système de certification des minéraux (CTC). Dans un deuxième temps, le projet doit porter sur le renforcement du contrôle dans le secteur des matières premières au niveau des provinces et enfin sur le dialogue entre les institutions, l’industrie, l’artisanat et la société civile pour l’amélioration de la transparence dans le secteur minier.

 

Dès septembre 2008, un projet pilote sur la certification des minerais avait été lancé au Rwanda. Le programme a été conjointement mis en œuvre par l’Autorité rwandaise de géologie et mines et le BGR pour accroitre la compétitivité nationale du secteur minier en garantissant la transparence de la chaîne de production, la traçabilité et l’origine rwandaise des minerais.

 

L’émergence de labels tels que Conflict-Free Smelter découlent des initiatives précédentes. La Global e-Sustainability Initiative (GeSI) et l’Electronic Industry Citizenship Coalition (EICC) ont mis en place un label Conflict-Free Smelter (CFS) qui certifie que les minerais utilisés ne proviennent pas d’une zone de conflit. Ce label n’est valable qu’un an et ne concerne que le tantale (extrait du coltan), mais l’initiative s’élargira progressivement à  l’étain. S’ils partent d’une véritable volonté des acteurs internationaux de s’impliquer dans la lutte contre le financement des conflits par les minerais, ces programmes ne font pas nécessairement l’unanimité. Tout d’abord le manque de coordination de ces initiatives pourrait aboutir à une multiplicité de systèmes de traçabilité et certification. La superposition des labels pourrait conduire à une certaine illisibilité et par conséquent être contre-productive. 

 

D’autre part, ces initiatives révèlent une conception technique, voire technicienne, imprégnée des standards internationaux, en l’occurrence des bonnes pratiques. L’analyse sociale et politique qui sous-tend ces programmes est relativement manichéenne, les agendas des acteurs locaux sont peu pris en compte, la population est considérée comme un tout uniforme subissant des attaques et atteintes aux droits de l’homme et par conséquent nécessairement ralliée aux principes de transparence et de traçabilité. Or la réalité est plus complexe, les mines attirent une grande quantité de travailleurs, toute une économie informelle tourne autour de leur activité et une grande partie de l’approvisionnement en biens de première nécessité n’est possible que grâce à leur exploitation. Ainsi, les programmes qui visent à réglementer, tracer, étiqueter et mettre fin à l’économie informelle peuvent être considérés comme destructeur de l’économie locale par les populations[235].

 

Ainsi, ces projets représentent une réponse technique à un problème politique, économique et sécuritaire. En essayant de dépolitiser le problème, les acteurs internationaux imposent une série de principes et de bonnes pratiques pour s’y conformer. Or, c’est peut-être dans la négation de la dimension politique du problème que se trouve l’échec de ces projets.

 

La mobilisation internationale contre les minerais des conflits a accentué le sentiment d’attentisme des acteurs locaux qui n’ont que peu utilisé les leviers dont ils disposent en termes de politiques publiques et de réglementation. Plusieurs initiatives ont récemment marqué une certaine implication de l’Etat congolais et de ses voisins mais celle-ci se heurtent aux difficultés d’application concrète de ces mesures.

 

Suite à une visite aux Kivus en septembre 2010, Joseph Kabila décide de suspendre les activités minières dans trois provinces, le Nord Kivu, le Sud Kivu et le Maniema. Les titres miniers en cours, les autorisations de détention de comptoir et l’exploitation artisanale sont prohibés et s’accompagnent d’une injonction de démilitarisation de sites miniers. Cette mesure a pour objectif affiché de mettre fin au financement du conflit par les minerais et aux réseaux mafieux qui l’entoure. Il s’agissait également pour le président de montrer sa volonté d’agir à une communauté internationale et des bailleurs impliqués dans la lutte contre les minerais des conflits mais aussi de contrer le financement du CNDP qui s’était redéployé dans les Kivu.

 

L’arrêté ministériel du 20 septembre 2010[236] invoque « la nécessité de sauvegarder la souveraineté de l’État et de rétablir son autorité sur le sol et le sous-sol dans les provinces concernées […] la nécessité de lutter contre la fraude et la contrebande minières sous toutes leurs forme ». Ce moratoire sur les activités minières doit permettre de lutter contre l’intervention d’agents étrangers aux services officiels dans le circuit de production et de vente des minerais. 

 

La levée de la mesure, le 10 mars 2011[237], est associée d’une série de conditionnalités visant à promouvoir de bonnes pratiques telles que l’identification des creuseurs, la certification des minerais, la levée de toutes les barrières illégales érigées par les militaires et groupes armés grâce au déploiement de la police des mines, le retrait d’hommes armés des mines ou encore l’interdiction du travail des enfants et des femmes enceintes. Pour être effectives, ces mesures requièrent une administration fonctionnelle et efficace et nécessite des agents formés et payés. 

 

Après six mois de suspension, le bilan de cette mesure est négatif. Non seulement l’activité minière ne s’est pas complètement arrêtée mais l’interdiction a, au contraire, bénéficié aux hommes en armes. Plusieurs enquêtes auprès des populations[238] ont révélé  que l’interdiction n’a pas été respectée. Enough Project rapporte l’exemple de mineurs de la région de Rubaya dans le territoire de Masisi témoignant de la prise de contrôle par d’ex-officiers du CNDP de mines auparavant exploitées par des civils. Des centaines de mineurs de Rubaya et des villages voisins ont été obligés de travailler dans ces mines pour le compte du CNDP.

 

Les minerais extraits sont transportés clandestinement par des véhicules militaires à Goma où ils bénéficient d’un premier traitement avant d’être passés en contrebande au Rwanda. La suspension des activités censées contrer le CNDP aurait donc eu l’effet inverse en renforçant ses positions. 

 

L’interdiction a aussi accentué la paupérisation et l’enclavement de plusieurs zones. En effet, les convois aériens qui transportaient des minerais ramenaient aux populations des biens de première nécessité dont les populations sont maintenant privées fautes de routes. Ces mesures ont détruit l’activité économique locale, outre les personnes vivant directement des mines, les éleveurs, agriculteurs, petits commerçants dépendaient des mineurs et de leurs familles pour écouler leurs stocks.

 

En outre, la prohibition des exportations a créé un manque à gagner important pour les trois provinces ne percevant plus de recettes suffisantes pour payer leurs fonctionnaires. Cette période a aussi représenté une perte de temps pour les initiatives d’étiquetage et de certification des minerais permettant leur traçabilité. Cette mesure a donc largement échoué par son inefficacité et son impopularité. 

Parmi les quelques aspects positifs, on peut cependant noter le déploiement de 450 policiers pour assurer la démilitarisation et la sécurité des sites. D’autre part, le gouvernement fait des efforts dans la promotion de la transparence. Le ministère des Mines a publié un décret13 portant sur l’obligation de publier tout contrat ayant pour objet les ressources naturelles. 

 

La dimension régionale du trafic des minerais nécessite une réponse politique régionale et coordonnée. La Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) a lancé, en décembre 2010 au sommet de Lusaka, l'Initiative régionale contre l'exploitation illégale des ressources naturelles. L'approche vise à installer un système régional de certification de la cassitérite, du coltan, du wolframite et de l'or.

 

L’initiative reprend le principe de certification des chaînes d'approvisionnement et met en place six outils à cet effet : un mécanisme régional de certification, une harmonisation des législations nationales, la création d’une base de données régionale sur les flux de minéraux, la formalisation du secteur minier artisanal, la promotion de l'Initiative de Transparence dans l'Industrie Extractive (ITIE) et le mécanisme d'alerte précoce.

 

Si cette initiative répond aux attentes de coordination et de réglementation régionale, elle a de grandes chances de rester une déclaration de principe. En effet, même si les mesures annoncées par la CIRGL sont transposées dans les législations nationales, on peut se poser la question des capacités pratiques dont disposent les pays concernés pour la mise en place de tels programmes.

 

Ces initiatives font abstraction des problèmes de gouvernance et de l’incapacité pour les administrations visées à mettre en place de telles mesures. Les projets proposés sont en grande partie financés par l’extérieur. Le mécanisme de certification régionale de la CIRGL par exemple, bénéficie de l’appui du partenariat Afrique-Canada, ONG co- fondatrice de la certification du processus de Kimberley, dans un projet financé par le gouvernement suisse. Cet afflux financier ne va pas au-delà de la mise en place de ces initiatives, c’est ensuite aux services congolais de prendre la relève. Cela nécessite la présence d’une administration efficace, c’est-à-dire formée et payée. Or, force est de constater que l’administration congolaise n’a pas pour l’instant les capacités de faire face à de telles missions.

 

A l’Est, la souveraineté de l’Etat reste théorique. Plusieurs systèmes d’administrations non officiels s’ajoutent voire remplacent les services administratifs officiels, notamment dans les services de recettes. Pendant la guerre, plusieurs groupes armés ont administré l’est du pays contrôlant et taxant la population. Ces pratiques n’ont pas totalement disparu, ce sont aujourd’hui des hommes en armes qui, autour de certaines mines, perçoivent des taxes illégales. 

 

L’administration officielle - en l’occurrence le cadastre minier (Cami), le Service d'Assistance et d'Encadrement d'Artisanal et Small Scale Mining (SAESSCAM) et les services de douane - n’est pas nécessairement payée ni bien formée. L’absence de salaire régulier pousse les agents à se payer grâce aux taxes et amendes qu’ils prélèvent. L’affaire du jet de Goma illustre bien l’inefficacité des services officiels face aux passe-droits.

 

En février 2011, un avion qui chargeait à son bord 480 kg d’or sous la supervision d’un officier  militaire proche du général Bosco Ntaganda, est immobilisé au sol. Les quatre étrangers qui voyageaient à son bord transportaient 1.8 million de dollars en liquide, vraisemblablement pour acheter des minerais, ont été poursuivis pour achat, détention illégale, recel, transport illicite et tentative d'exportation frauduleuse de substances minérales. Ils ont cependant été relâchés rapidement.

 

Global Witness suggère pour sa part l’existence d’un trafic d’étiquettes certifiant l’origine des minerais à des acteurs informels sans avoir cependant pu vérifier l’information. Or ce sont sur ces services administratifs qu’entendent se baser les programmes de traçabilité et de certification.

 

Ces problèmes de gouvernance posent la question de la crédibilité des initiatives. En effet, celles-ci reposent sur des audits réguliers qui permettent d’évaluer et de contrôler le processus. Or, étant donné l’étendue actuelle des systèmes informels à tous les niveaux de la société, il est difficile de parier sur la crédibilité de ces audits ce qui remet en cause tout le processus. 

 

Cette question de la gouvernance dans le secteur minier est à replacer dans un chantier plus global à l’échelle de la RDC qui comprend la réforme du secteur de la sécurité, la mise en place d’un Etat de droit à travers une véritable réforme judiciaire et une formalisation de l’économie informelle. Cette incapacité de l’Etat à assurer la certification et la traçabilité des minerais et leur crédibilité, invite à penser l’action de l’autre côté de la chaine. 

 

Le devoir de diligence est entré dans une législation nationale en juillet 2010. Le concept sort ainsi du secteur des recommandations pour devenir une règle. Sans établir d’embargo qui pourrait détruire la filière minière, cette loi fait de la pression économique le meilleur moyen de lutter contre l’implication d’hommes armés dans les activités économiques.

 

La législation adoptée par le Congrès américain dans le cadre du Dodd Frank Wall Street Reform Act, vise à rendre le secteur plus transparent. La section 1502 sur les conflict minerals oblige les entreprises cotées en bourse à exercer leur devoir de diligence envers leurs chaînes d'approvisionnement. Elles doivent identifier si leurs minéraux proviennent de la République Démocratique du Congo ou de ses voisins et, si tel est le cas, vérifier leur origine précise afin de s’assurer qu’ils ne sont pas issus d’une mine contrôlée par des hommes en armes.

 

Les entreprises sont ensuite tenues de faire un rapport sur les mesures prises à la Security Exchange Commission (SEC), autorité de réglementation du gouvernement américain, et de divulguer cette information publiquement. Lorsque l’entreprise peut prouver qu’elle n’achète pas de minerais alimentant le conflit elle obtient le label conflict free.

 

La section 1504 de la législation, non spécifique aux minerais des conflits, exige pour sa part que les compagnies extractives détaillent leurs paiements aux Etats, pays par pays et projet par projet, et publient ces informations. Cette mesure s’inspire de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) qui vise à renforcer la gouvernance en améliorant la responsabilité et la transparence dans le secteur des industries extractives en poussant les entreprises à publier ce qu’elles payent et les gouvernements à révéler leurs revenus.  

 

Cette loi est un renversement du point de vue adopté jusque-là ; à savoir se placer en aval de la chaine, de côté des importateurs pour exercer une pression de fait en amont. 

 

L’adoption de la loi a reçu un accueil mitigé du côté congolais et a fait débat dans les milieux institutionnels, humanitaires et journalistiques.19 Certains y ont vu une opportunité pour les producteurs congolais de se conformer aux principes de transparence et de mettre effectivement en place la traçabilité et la certification des minerais. Le gouvernement congolais a soutenu l’adoption de la loi Dodd-Frank et envoyé un courrier à la SEC.

 

Les fonctionnaires du secteur minier et de hauts gradés FARDC ont eux aussi bien accueilli la loi. Le ministère des Mines a rédigé une note circulaire en octobre 2011 exigeant des entreprises qu'elles se soumettent aux principes de diligence raisonnable définis par l'OCDE sous peine de sanctions.  Analystes et populations ont manifesté leurs appréhensions à propos de la constitution d’un embargo de fait.

 

Les compagnies américaines pourraient en effet avoir une interprétation très restrictive de la loi et ne plus prendre le risque d’acheter des produits provenant des Grands Lacs pour se tourner vers d’autres marchés moins conflictuels tels que l’Australie même si le coût de production est plus cher. En privant les comptoirs de clients, cette législation mettrait à mal toutes les initiatives pour tenter d’assainir le secteur et pourrait ruiner les efforts pour mettre en place des systèmes de traçabilité et de certification crédibles.

 

Les congolais pourraient alors se tourner vers le marché chinois, moins enclin à ce type conditionnalité, ce qui relancerait d’autant plus l’exploitation illégale et le financement du conflit. Pour ces raisons, des organisations de la société civile réclament un moratoire de six à douze mois sur la législation afin de laisser au secteur le temps de s’adapter et de répondre aux attentes des acheteurs occidentaux. 

 

Cependant, la crainte d’un embargo de fait relève plus du fantasme que d’une lecture attentive de la loi. Dodd Frank ne prévoit en effet qu’une obligation de déclaration publique et non une interdiction d’utiliser les minerais du conflit. La loi n’impose d’ailleurs aucune pénalité, la sanction étant censée venir des consommateurs avertis qui, informés de ces pratiques, refuseraient d’acheter les produits des entreprises se fournissant en minerais du conflit. Celles-ci peuvent donc continuer leur activité en toute légalité, leur seule obligation étant de le rapporter à la Security Exchange Commission.

 

Les modalités pratiques d’application de la loi n’ont pas encore été publiées mais les entreprises ont déjà commencé à réagir. On peut noter l’exemple de Motorola qui a annoncé en juillet 2011 le lancement d’une initiative, Hope Project, visant à créer une chaîne de fournisseurs contrôlés pour leurs entreprises. 

 

Suite à l’adoption de la loi Dodd Frank aux Etats Unis, l’Union européenne a dû prendre position. Le parlement européen a salué l’adoption de la loi Dodd-Frank en octobre 2010 et a invité la Commission et le Conseil à examiner une initiative législative allant dans le même sens.

 

La Commission n’a pas pris de dispositions précises concernant les minerais des conflits, elle tend à inclure ce sujet dans les initiatives de transparence prises dans les industries extractives. La Commission européenne a organisé d’octobre 2010 à janvier 2011, des consultations publiques afin de recueillir l’opinion des acteurs concernés sur de l’établissement de rapports financiers pays par pays par les sociétés multinationales. Pour promouvoir la transparence, les entreprises multinationales seraient obligées de publier les informations concernant leurs opérations financières pays par pays dans leurs états financiers annuels.

 

Cependant, il est nécessaire de différencier deux types de mesures : celles qui concernent l'information financière permettent de combattre la corruption dans le secteur minier industriel, de celles qui permettent d’empêcher le financement des groupes rebelles par les mines qui demandent un processus élaboré de certification et de traçabilité des matières premières.

 

La RDC n’a pas d'exploitation minière industrielle mais seulement une production artisanale, elle n’est pas concernée par la législation sur les industries extractives.  

 

Le 2 février 2011, lors d’une communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions sur le thème « relever les défis posés par les marchés des produits de base et matières premières », la Commission recommande d’accroitre les efforts de transparence dans la chaîne d'approvisionnement pour éviter de financer des conflits. Cependant, aucune directive n’oblige à ce jour les entreprises à exercer leur devoir de diligence dans les zones de conflit.

 

De nombreuses ONG, notamment Global Witness ou International Crisis Group font pression sur l’Union européenne pour qu’elle fasse aussi de ces principes des normes, cependant le chemin reste long à parcourir. 

 

La lutte contre les minerais des conflits à l’Est de la RDC permet de comprendre comment se crée le consensus autour de principes internationaux et comment ceux-ci deviennent des normes internationalement reconnues. De ces normes naissent une palette de mesures concrètes à travers des programmes et projets pour s’y conformer. Ces initiatives développent une approche technicienne se voulant apolitique dont le jargon et la complexité des mesures n’est pas facilement accessible aux novices. 

 

On peut s’interroger sur l’efficacité d’une réponse technique à un problème politique, économique et sécuritaire. Les questions de gouvernance, de corruption, de coordination des initiatives sont au moins aussi importantes que les questions de traçabilité. Le consensus international sur la nécessité de lutter contre le trafic des minerais a tendance à occulter la question de l’impact socio-économique. Il est encore difficile de tirer les conséquences de ces mesures, cependant, la pratique de la diligence raisonnable et la faible ampleur des processus de certification ont créé de fait une baisse de l’activité minière à l’Est et accru la paupérisation. En ne s’attaquant qu’à une partie, technique, du problème, ces initiatives internationales risquent d’aggraver la situation sociale et économique de la population, si elles ne s’accompagnent pas de réformes politiques profondes.

 

Dans ces trois exemples, comme dans des milliers d’autres à travers le monde[239], les entreprises engagées dans les activités minières sont responsables de violations des droits humains et il faut les obliger à rendre des comptes[240]. En parallèle, les Etats qui permettent à ces entreprises d’exploiter les ressources minières au mépris des droits de leurs populations et sans utiliser les revenus tirés de cette exploitation pour améliorer le bien-être de leur population sont également responsables de violations des droits consacrés dans les deux Pactes des Nations Unies de 1966, dont le droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles.

 

Les Etats des sièges des STN, qui encouragent les activités nuisibles de ces dernières (par représentation, délégations mixte Etats/STN, traités de libre échange, etc.), doivent également rendre des comptes au même titre que les Etats récipiendaires, en vertu de leurs engagements internationaux en matière des droits humains et des obligations qui leur sont faites au titre de la coopération internationale.

 

B. L’EXPLOITATION DES RESSOURCES PETROLIERES ET GAZIERES

 

Bien plus récente que l’exploitation des ressources minières de la planète, l’exploitation du pétrole et du gaz entraîne les mêmes types de violations du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles. Dans un très grand nombre de cas, l’exploitation du pétrole et du gaz a des conséquences dramatiques sur l’accès aux ressources des populations locales, entraînant des violations graves de leurs droits à l’alimentation, à l’eau et à la santé. Dans la majorité des cas, seule une infime partie des revenus de l’exploitation du pétrole et du gaz est utilisée pour améliorer le bien-être de la population et favoriser la réalisation de ses droits économiques, sociaux et culturels.

 

En Guinée Equatoriale, une partie infime seulement des revenus des ressources pétrolières et gazières est utilisée pour réaliser les droits économiques et sociaux de la population[241]. C'est un pays de 633.000 habitants, où des quantités importantes de pétrole et de gaz naturel ont été découvertes au milieu des années 1990. En moins de 15 ans, le produit intérieur brut a augmenté de plus de 5.000% et le pays a aujourd’hui un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 26.000 dollars américains, ce qui le place au premier rang en Afrique subsaharienne, avec un niveau comparable aux pays à haut revenu, comme l’Italie et l’Espagne.

 

Pourtant, depuis la découverte du pétrole et du gaz et l’enrichissement phénoménal du pays, il y a eu une régression dans la réalisation du droit à l’éducation, du droit à la santé et du droit à l’alimentation de la population. En 1997, le gouvernement s’est bien engagé à allouer 40% de ses revenus pétroliers au développement des politiques sociales. Mais, plus d’une décennie après, cet engagement n’a toujours pas été respecté et plus de 60% de la population de Guinée équatoriale continue de vivre dans l’extrême pauvreté, avec moins d’un dollar américain par jour[242].

 

Le Center for Economic and Social Rights dénonce la corruption qui règne dans la gestion des revenus pétroliers du pays : « Le manque de transparence dans les dépenses publiques et la génération de revenus attise l'inquiétude. En effet, la corruption détourne les ressources de la réalisation des droits économiques et sociaux. La distribution de la rente pétrolière est considérée comme un 'secret d'Etat', mais de nombreuses études et plusieurs enquêtes menées en dehors du pays sur la corruption ont révélé une appropriation illicite et des détournements secrets de milliards de dollars de recettes pétrolières et de gaz par des hauts-fonctionnaires du gouvernement, avec la complicité de banques étrangères et d'entreprises pétrolières »[243].

 

Comme dans le cas de l’exploitation des mines, à l’origine de violations graves du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles, les violations des droits humains commises par les entreprises engagées dans l’exploitation du pétrole et du gaz doivent être dénoncées. Tout comme les violations commises par les Etats, permettant à ces entreprises d’exploiter le pétrole et le gaz dans le mépris des droits des populations locales, qui n'utilisent pas les revenus tirés de cette exploitation pour améliorer le bien-être de leur population. Il convient également de fustiger les Etats dans lesquels les STN ont leur siège qui ont aussi des comptes à rendre au même titre que les Etats récipiendaires, en vertu de leurs engagements internationaux en matière de droits humains.

 

C. L’EXPLOITATION DES RESSOURCES AGRAIRES

 

Depuis la nuit des temps, la conquête des terres (surtout fertiles) était l’objectif principal des possédants (Empereurs, Rois, Princes…) pour amasser des richesses. Depuis l’éclatement de la crise alimentaire mondiale au début de l’année 2008[244], un phénomène nouveau s’est manifesté et s’est propagé brutalement : l’accaparement de millions d’hectares de terres par des Etats ou des entreprises étrangères, dans le but de produire des aliments ou des agro-carburants qui sont ensuite importés par ceux qui accaparent la terre[245]. Le phénomène de l’accaparement des terres par des étrangers a toujours existé – pendant la colonisation, la méthode employée était la force et depuis la décolonisation, c’est le contrat – mais ce qui est nouveau depuis quelques années, ce sont les motivations (purement commerciales ou spéculatives) et l’ampleur du phénomène[246].

 

Depuis 2008, pour répondre à la triple crise alimentaire, énergétique et financière, des Etats – en utilisant une partie de leurs fonds souverains – et des sociétés transnationales investissent massivement dans l’accaparement de terres bon marché dans les pays du Sud[247].

 

Dans son rapport sur l’accaparement des terres, présenté en mars 2010 au Conseil des droits de l’homme, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, définit l’ampleur du phénomène de la manière suivante : « Ces trois ou quatre dernières années, les investisseurs privés et les gouvernements ont montré un intérêt croissant pour l’acquisition ou la location à long terme de vastes étendues de terres arables (plus de 1.000 ha) dans un certain nombre de pays, essentiellement dans le monde en développement.

 

Selon une estimation de l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires, depuis 2006, de 15 à 20 millions d’hectares de terres agricoles dans les pays en développement ont fait l’objet de transactions ou de négociations avec des investisseurs étrangers. Ce chiffre correspond à la superficie totale des terres agricoles en France et à un cinquième de toutes les terres agricoles de l’Union européenne. Les plus demandées sont les terres qui se trouvent à proximité de ressources en eau et peuvent donc être irriguées pour un coût relativement faible en termes d’infrastructures, et les terres qui sont le plus près des marchés et à partir desquelles les produits peuvent être facilement exportés.

 

Parmi les principaux pays cibles en Afrique sub-saharienne, on citera le Cameroun, l’Éthiopie, le Ghana, Madagascar, le Mali, la République Démocratique du Congo, la République-Unie de Tanzanie, la Somalie, le Soudan, et la Zambie. Mais on trouve également des pays cibles en Europe Centrale, en Asie et en Amérique Latine, parmi lesquels le Brésil, le Cambodge, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Pakistan, les Philippines, la Russie et l’Ukraine »[248].

 

Le plus inquiétant est que les Etats auprès desquels la terre est achetée ou louée sur une grande échelle connaissent quasiment tous des taux d’insécurité alimentaire déjà très élevés[249].

 

C’est par exemple le cas de l’Ethiopie où 7 millions de personnes dépendent structurellement de l’aide alimentaire[250] et où le gouvernement a déjà loué 600.000 hectares de terres à plus de 2.000 entreprises de Chine, d’Inde, d’Arabie Saoudite et d’autres Etats[251]. Plus généralement, l’accaparement des terres à large échelle entraîne des violations graves des droits humains des populations locales, qui sont le plus souvent expulsées de leurs terres sans être consultées et sans obtenir une compensation adéquate ou une proposition de relocalisation sur d'autres terres.

 

Dans la plupart des cas, il s'agit d'une gestion désastreuse des richesses et ressources naturelles, qui ne bénéficient pas aux populations de l’Etat concerné. Par exemple, en Indonésie, l’accaparement des terres à large échelle vise à planter de la palme africaine pour produire, à partir de son huile, des agro-carburants. Des milliers de familles paysannes ont été déplacées et une partie importante des forêts du pays ont été détruites[252].

 

En Colombie, dans le Département du Chocó, de nombreuses communautés autochtones et afrocolombiennes ont également été expulsées de leurs terres quand des STN sont arrivées pour produire de l’huile de palme[253].

 

Au Paraguay, où la surface consacrée à la culture du soja a plus que doublé depuis les années 1990, essentiellement dans les régions de Itapúa, Alto Paraná et Canindeyú, de nombreuses communautés autochtones ne disposant pas de titres fonciers ont été chassées par la force. Des maisons ont été incendiées, des cultures et des animaux brûlés dans la localité de Tetaguá Guarani, dans le camp d’agriculteurs Primero de Marzo et dans la localité de Maria Antonia. On estime qu’entre 1990 et 2004, 350 incidents semblables se sont produits au Paraguay[254].

 

En Argentine, des paysans et des familles autochtones ont été expulsés de leurs terres dans les provinces de Córdoba, Santiago del Estero, Salta, Mendoza, Missiones et Jujuy. Les villageois de la province de Santiago del Estero sont systématiquement menacés par les sociétés agro-industrielles de production de soja, par les paramilitaires payés pour protéger ces dernières et par la police d’Etat[255].

 

En juin 2008, dans la Déclaration finale de la Conférence internationale sur les droits des paysans qui s’est tenue à Djakarta, en Indonésie, les organisations membres de la Vía Campesina ont dénoncé le phénomène de la manière suivante : « Nous sommes expulsés violemment, et de plus en plus fréquemment, de nos terres et dépossédés de nos moyens d’existence. Les « méga » projets de développement, tels les grandes plantations destinées à la production d’agro-carburants, les grands barrages, les infrastructures, le développement industriel, celui de l’industrie extractive et du tourisme ont déplacé de force nos communautés et détruit nos vies »[256].

 

La Banque mondiale (BM), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ont proposé sept principes clés qui devraient être pris en compte lors des futures négociations financières pour arriver à une situation « gagnante-gagnante »[257].

 

Le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, dans un texte au titre provocateur « Comment détruire la paysannerie mondiale de façon responsable », a rejeté l’approche proposée par ces organisations, notamment parce qu’elle ne tient pas compte du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles : « Les principes proposés pour discipliner le phénomène sont présentés comme volontaires. Il faut au contraire insister pour que les gouvernements respectent leurs obligations envers les droits de l’homme, y compris le droit à l’alimentation, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, et le droit de ne pas être privés de leurs moyens de subsistance. Les principes proposés ne disent mot sur les droits de l’homme : manque ainsi cette dimension essentielle de la responsabilité des gouvernements »[258].

 

De manière à endiguer ce phénomène et garantir que les acteurs (Etats et/ou entreprises) engagés dans l’accaparement des terres respectent les droits fondamentaux des populations locales, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation a proposé un ensemble de 11 principes minimaux, basés sur le droit international existant et donc contraignant.

 

Parmi ces 11 principes figurent la participation et le consentement des populations locales et des peuples autochtones, la protection de leurs droits de propriété, le fait que les populations locales bénéficient des emplois créés avec des revenus décents, le respect de l’environnement, la réalisation d’études d’impacts avec les populations locales avant la conclusion des négociations, et le fait qu’un certain pourcentage de la production doit rester dans le pays d’investissement si celui-ci est dépendant de l’importation des produits alimentaires ou en cas d’insécurité alimentaire[259].

 

Si les principes minimaux proposés par le Rapporteur spécial constituent des garde-fous importants et si cette initiative doit être saluée, de nombreux acteurs de la société civile restent extrêmement préoccupés par les risques graves pour la jouissance du droit à l'alimentation des générations présentes et futures qu'impliquent ces transactions. Ces mesures et principes ne sont pas suffisants en soi pour protéger les droits des peuples et groupes locaux rendus extrêmement vulnérables par la mondialisation et la malnutrition.

 

En effet, les gouvernements des pays concernés par ces achats de terres ne sont bien souvent pas en mesure de pro- téger leurs populations face à cette situation soit parce qu'ils sont fragilisés sur le plan politique et économique, soit parce qu’ils protègent les intérêts à court terme des élites économiques[260].

 

Section 2 : MÉCANISMES DE CONTRÔLE DISPONIBLES EN CAS DE VIOLATION

 

Si l’Etat ne remplit pas l’une de ses obligations corrélatives au droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles – par exemple en exploitant les richesses et ressources naturelles, en détruisant l’accès à l’alimentation ou à l’eau de la population locale et nationale ou en n’utilisant qu’une partie infime des revenus de cette exploitation pour améliorer le bien-être de l’ensemble de la population –, les personnes et les peuples qui en sont victimes devraient pouvoir accéder à un mécanisme de contrôle pour pouvoir revendiquer leurs droits.

 

Toutes les victimes de telles violations ont droit à une réparation adéquate – réparation, compensation – et/ou garantie de non-répétition. Dans les faits, les possibilités d’avoir accès à la justice en cas de violations du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles et les chances d’obtenir réparation ou compensation dépendront largement non seulement de l’information et des mécanismes de contrôle disponibles au ni- veau national, régional et international[261]. Mais aussi des rapports de force et des mobilisations nationales et/ou internationales, sachant que, dans ce domaine hautement politisé, nous ne sommes pas à l’abri d’éventuelles manipulations.

 

Concernant les recours, il existe trois types de mécanismes de contrôle disponibles :

 

-    les mécanismes de contrôle judiciaire – un juge national par exemple – qui rendent des décisions obligatoires pour les pouvoirs politiques ;

-    les mécanismes de contrôle quasi-judiciaire – les organes des traités de l’ONU par exemple – qui adressent des recommandations à l’Etat après avoir été saisis d’une communication et avoir entendu les deux parties ;

-    les mécanismes de contrôle extrajudiciaires – par exemple un Rapporteur spécial de l’ONU – qui adressent des recommandations à l’Etat, sur la base d’une mission de terrain.

 

Cette a pour but de présenter ces trois types de mécanismes de contrôle au niveau national, régional et international.

 

1. Au niveau national

 

Au niveau national, le principal mécanisme de contrôle disponible en cas de violations des droits humains est l’organe judiciaire : le juge. Dans la grande majorité des Etats, il existe des procédures de recours devant des cours locales ou devant des cours nationales – très souvent la Cour suprême ou la Cour constitutionnelle – en cas de violations des droits fondamentaux.

 

Le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles est rarement invoqué directement devant un juge au niveau national. Si tel est le cas, ce sont très souvent les droits des peuples autochtones sur leurs richesses et ressources naturelles qui sont invoqués sur la base de la Convention 169 de l’OIT. Cela a été par exemple le cas en Argentine où des peuples autochtones, qui n'avaient pas été consultés avant que l’Etat n’attribue des concessions à des sociétés transnationales sur leurs territoires, ont eu gain de cause[262].

 

Dans certains Etats, comme en Bolivie, les droits des peuples autochtones sont également consacrés dans la Constitution et il est alors tout à fait possible que ces peuples aient accès à la justice si leurs droits sur leurs ressources naturelles sont violés[263]. Mais, dans la plupart des Etats, les gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations concernant le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles ne peuvent être condamnés que sur la base d’autres droits consacrés dans la Constitution. C’est notamment le cas en Inde, sur la base du droit à la vie, et en Afrique du sud, sur la base des droits économiques, sociaux et culturels.

 

Parmi tous les Etats qui consacrent le droit à la vie dans leur Constitution, c’est certainement l’Inde qui offre le meilleur exemple de l’implication des juges dans la protection des droits des populations locales sur leurs propres ressources. Pour protéger le droit à la vie, interprété comme le droit de vivre dans la dignité, la Cour suprême indienne a par exemple affirmé les droits des pêcheurs traditionnels d’accéder à la mer et les droits des agriculteurs locaux à la terre et à l’eau contre les activités de l’industrie de la crevette[264].

 

Elle a également protégé les droits des populations tribales sur leurs ressources naturelles contre des concessions minières accordées par l’Etat à des compagnies privées[265].

 

Ceci dit, dans de nombreux autres cas (catastrophe de Bhopal, barrage de Narmada et traités commerciaux entre autres), la justice indienne n’a pas pu ou su empêcher des violations tout aussi importantes.

 

Parmi les constitutions actuelles, la Constitution de l’Afrique du Sud consacre de la manière la plus explicite et la plus complète les droits économiques et sociaux comme des droits fondamentaux. Cette consécration a donné naissance à une importante jurisprudence, dans laquelle la Cour constitutionnelle a protégé le droit à la santé, à l’eau ou au logement[266].

 

Dans l’affaire Kenneth George[267], une Cour constitutionnelle sud-africaine – la Haute Cour de la Province de Cape of Good Hope – a forcé le gouvernement à revoir sa législation sur les ressources marines pour assurer que leur exploitation profite aux communautés locales de pêcheurs traditionnels, et non à la pêche d’exportation.

 

Une loi sur les ressources marines (Marine Living Resources Act) avait été introduite dans la province de Cape of Good Hope en 1998, créant un système de quotas, en vertu duquel la totalité des ressources qui pouvaient être pêchées en une année avait été divisée en permis de pêche commerciale.

 

Les besoins des pêcheurs traditionnels n’avaient pas du tout été pris en compte dans la loi et le processus d’octroi des quotas était compliqué et coûteux, excluant de facto les pêcheurs traditionnels. Avec la mise en œuvre de la loi, des communautés entières de pêcheurs n’avaient plus eu accès à la mer et leur situation nutritionnelle s’était sérieusement aggravée.

 

En décembre 2004, appuyés par une organisation de développement, plusieurs pêcheurs ont porté plainte auprès de la Haute Cour de la Province de Cape of Good Hope, en invoquant leurs droits d’avoir accès à la mer pour réaliser leur droit à l’alimentation. Un avis de droit a également été envoyé à la Cour par le premier Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler.

 

Après plusieurs mois de négociations, un accord à l’amiable a été trouvé entre les communautés de pêcheurs et le Ministère de l’environnement et du tourisme. Selon cet accord, près de 1000 pêcheurs traditionnels, qui ont pu démontrer qu’ils étaient historiquement dépendants des ressources marines pour assurer leur subsistance, ont obtenu un permis de pêche et le droit de pêcher et de vendre le produit de leur pêche.

 

La Cour s’est portée garante de cet accord, en autorisant les pêcheurs à la saisir si l’accord n’était pas respecté. Elle a également annulé la loi et ordonné au gouvernement de rédiger un nouveau cadre législatif et politique, avec la pleine participation des communautés de pêcheurs traditionnels, pour que leurs droits sur les ressources marines soient garantis. Cela dit, si les gouvernements sud-africains successifs ont fait des progrès considérables depuis l’abolition du régime d’Apartheid, la situation économique et sociale d'une bonne partie de la population reste difficile (non accès à la terre, au logement, conditions de travail déplorables dans des mines, etc.).

 

2. Au niveau régional

 

Au niveau régional, deux mécanismes de contrôle judiciaires – deux Cours – et deux mécanismes de contrôle quasi-judiciaires – deux Commissions – sont disponibles en cas de violations du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles :

 

-     la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ;

-     la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ;

-     la Commission interaméricaine des droits de l’homme ; et

-     la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

 

Pour saisir ces mécanismes de contrôle au niveau régional, il faut avoir épuisé les voies de recours internes, c’est-à-dire qu’il faut avoir porté plainte – sans succès – devant les mécanismes de contrôle disponibles au niveau national[268]. Si les mécanismes au niveau régional sont efficaces, ils ont des limites institutionnelles étant donné que les responsabilités des STN et des Etats tiers impliqués dans des violations des droits humains sont bien souvent occultées.

 

2.1. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples

 

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples est chargée de surveiller le respect des traités africains de protection des droits humains, parmi lesquels la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Tous les Etats parties à la Charte africaine doivent présenter des rapports à la Commission sur les mesures qu’ils ont prises pour réaliser les droits qui sont consacrés dans la Charte, parmi lesquels le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles qui sont reconnus aux articles 19 à 24.

 

La Commission africaine peut également recevoir des réclamations d’individus ou d’ONG dans des cas de violations de l’un des droits protégés par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ce qui comprend le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles. Dans les cas de violation de ce droit, la Commission africaine rédige un rapport et adresse ses recommandations à l’Etat.

 

La grande faiblesse de ce mécanisme réside dans le fait que ses recommandations ne sont pas contraignantes pour les Etats parties (d’où la création de la Cour africaine des droits de l’homme).

 

Mais ses grands avantages sont que la Commission est relativement facile d'accès, par les individus et les ONG, que son mandat inclut la protection de tous les droits humains et que la saisine de cette instance, selon les cas, met une certaine pression sur l’Etat concerné pour un meilleur respect des droits humains.

 

L’affaire la plus importante dans la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples est l’affaire Ogoni. Cette affaire est née de l’envoi d’une communication par deux ONGs en 1996 – une ONG nigériane, The Social and Economic Rights Action Center (SERAC), et une ONG américaine, The Center for Economic and Social Rights – pour protéger les droits sur les ressources naturelles du peuple Ogoni contre les activités d’un consortium constitué par la société pétrolière nationale et la compagnie transnationale Shell[269].

 

En prenant part à l’exploitation du pétrole, le gouvernement du Nigeria a été accusé d’avoir détruit les ressources du peuple Ogoni, en ayant notamment participé à l’empoisonnement du sol et de l’eau dont dépendaient les Ogonis pour l’agriculture et la pêche. Les forces de sécurité nigérianes ont également été accusées d’avoir, en attaquant les villages, semé la terreur et détruit les récoltes, créant ainsi un climat d’insécurité qui rendait impossible le retour des villageois aux champs et auprès de leur bétail, ce qui avait entraîné la malnutrition et la famine au sein de certaines communautés Ogonis.

 

Dans sa décision, la Commission africaine a rappelé que les obligations de respecter, de protéger et de donner effet aux droits humains des populations locales s’appliquaient universellement à tous les droits[270]. Et elle a conclu que le gouvernement du Nigeria avait violé son obligation de protéger les droits sur les ressources naturelles du peuple Ogoni contre l’activité des entreprises pétrolières, nationales et transnationales[271].

 

Pour remédier aux violations dont a été victime le peuple Ogoni, la Commission africaine a demandé au gouvernement du Nigeria de prendre des mesures concrètes, y compris le versement d’une compensation et le nettoyage des terres et rivières polluées ou endommagées[272]. Elle a également demandé qu’une évaluation adéquate de l’impact social et écologique des opérations pétrolières soit menée pour tout futur projet d’exploitation, et elle a indiqué que le gouvernement devait fournir des informations sur les risques pour la santé et l’environnement, et un accès effectif aux organes de régulation et de décision par les communautés susceptibles d’être affectées par les opérations pétrolières[273].

 

Cette affaire a été suivie par de nombreuses ONG nationales et internationales et une importante campagne médiatique a obligé Shell à quitter la région où vivent les Ogonis, ce qui démontre que les mécanismes de contrôle régionaux peuvent avoir un impact dans des cas concrets. Mais plusieurs années après cette décision, les conditions de vie des communautés Ogonis ne se sont pas améliorées de façon significative sur le terrain[274].

 

2.2. La Cour africaine des droits de l’homme

 

La Cour africaine des droits de l’homme est le mécanisme le plus récent de protection des droits de l’homme au niveau régional. Elle a été créée par l’adoption en 1998, par les Etats africains, du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Ce Protocole est entré en vigueur en janvier 2004 et la Cour africaine est opérationnelle depuis peu.

 

La Cour africaine n’a pour l’instant été saisie que d'un tout petit nombre de plaintes, sans rapport avec le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles, mais son rôle dans la protection de ce droit sur le continent africain est potentiellement très important. Comme nous l’avons vu, le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles est reconnu explicitement dans cinq articles de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

 

Après avoir épuisé les voies de recours internes, les victimes de violations de ce droit pourront donc saisir la Cour africaine et demander réparation et compensation. Pour cela, il faudra s’assurer cependant que l’Etat africain accusé de la violation soit un Etat partie au Protocole[275].

 

2.3. La Commission interaméricaine des droits de l’homme

 

La Commission interaméricaine des droits de l’homme est chargée de surveiller le respect de la Convention américaine des droits de l’homme par les Etats parties. Ces derniers sont tenus de présenter des rapports à la Commission sur les mesures qu’ils ont prises pour réaliser les droits humains qui sont consacrés dans la Convention. En cas de violation des droits consacrés – après avoir épuisé les voies de recours internes –, les victimes peuvent également porter plainte, de manière individuelle ou collective, devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme.

 

Comme nous l’avons vu, le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles n’est pas reconnu explicitement dans la Convention américaine des droits de l’homme, mais plusieurs droits qu’elle consacre, comme le droit à la vie et le droit à la propriété, sont utilisés par des peuples indigènes pour protéger leurs droits sur leurs ressources naturelles[276].

 

Deux affaires portées devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme sont particulièrement intéressantes[277] : l’affaire Yanomani/Brazil[278] et l’affaire Enxet-Lamenxay and Kayleyphapopyet (Riachito)/Paraguay[279].

 

Dans l’affaire Yanomani/Brazil en 1985, la Commission interaméricaine a pour la première fois sanctionné la violation de droits collectifs. La pétition envoyée au nom de la communauté Yanomani visait à protéger les droits de ses membres (plus de 10.000 personnes vivant dans la région de l’Amazonie) qui étaient violés par la construction d’une autoroute et par les activités d’extraction minière sur le territoire de cette communauté. Des milliers d’indigènes avaient dû fuir et des centaines étaient morts de maladie.

 

Un projet de développement agricole du gouvernement devait permettre un accès à l’alimentation des personnes déplacées mais il s'est avéré inefficace. Le gouvernement s’était également engagé à démarquer et à protéger les terres de la communauté, mais ces mesures n’étaient pas mises en œuvre[280].

 

Dans sa décision, la Commission interaméricaine a conclu que le Brésil avait violé plusieurs droits consacrés sur le continent interaméricain et elle a recommandé au gouvernement de concrétiser les mesures prévues pour démarquer le territoire de la communauté et de mettre en œuvre des programmes d’assistance sociale et médicale[281].

 

En 1992, le territoire de la communauté a été démarqué et en 1995 la Commission interaméricaine a effectué une visite de terrain pour contrôler qu’il était bien respecté et protégé[282]. Dans l’affaire Enxet-Lamenxay and Kayleyphapopyet (Riachito)/Paraguay, la Commission interaméricaine a pour la première fois facilité un accord à l’amiable pour que des peuples indigènes récupèrent leurs terres ancestrales[283].

 

Les communautés Lamenxay et Riachito font partie du peuple Enxet, qui regroupe 16.000 personnes dans la région du Chaco au Paraguay. Environ 6.000 d’entre elles vivaient de la pêche, de la chasse, de la cueillette, de l’agriculture et de l’élevage quand leurs terres ancestrales ont été vendues par l’Etat à des étrangers, de façon continue depuis 1885. En 1950, leurs terres étaient totalement occupées.

 

Les membres de ces deux communautés ont tenté de les récupérer, mais sans succès malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1992 qui reconnaît le droit des communautés indigènes à leurs terres[284].

 

Le Paraguay a adhéré à la Convention américaine des droits de l’homme en 1989 et la pétition a été déposée en décembre 1996, alléguant de la violation de plusieurs droits consacrés, parmi lesquels le droit à la propriété, et les parties ont trouvé un accord à l’amiable en mars 1998. Selon l’accord, le gouvernement s’est engagé à racheter la terre et à la redistribuer gratuitement aux communautés indigènes[285]. Jusqu’en juillet 1999, quand la Commission interaméricaine a entrepris une visite de terrain au Paraguay, la terre avait été rachetée par l’Etat mais les titres de propriété n’avaient pas encore été accordés aux communautés, ce qui a été fait par le Président à l’occasion de la visite de la Commission.

 

Dans une affaire qui a été récemment portée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, les communautés indigènes vivant dans le Département de San Marcos, au Guatemala, qui luttent depuis des années contre l’exploitation d’une mine d’or et d’argent – la mine Marlin – par l’entreprise canadienne Goldcorp et sa compagnie subsidiaire Montana, ont obtenu un premier succès.

 

Après avoir utilisé les voies de recours internes sans succès et avoir déposé une plainte en 2009 contre la compagnie Goldcorp au Canada, les peuples indigènes ont saisi la Commission interaméricaine. Le 20 mai 2010, la Commission américaine a indiqué des mesures de précaution pour faire cesser les violations. Elle a demandé au gouvernement du Guatemala de suspendre les activités de la mine Marlin, jusqu'à sa décision finale, et de prendre des mesures d’urgence pour décontaminer l’eau polluée, assurer un accès à l’eau potable pour les communautés et des soins médicaux pour les membres qui ont été contaminés par l’exploitation de la mine[286].

 

Le 23 juin 2010, le gouvernement du Guatemala a annoncé qu’il allait se conformer aux recommandations de la Commission interaméricaine[287].

 

2.4. La Cour interaméricaine des droits de l’homme

 

La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui peut être saisie par la Commission interaméricaine si celle-ci ne parvient pas à résoudre un cas de violation d’un des droits consacrés dans la Convention américaine des droits de l’homme, comprend également plusieurs affaires dans lesquelles la Cour a interprété les droits à la vie et à la propriété des peuples autochtones pour forcer l’Etat à reconnaître, démarquer et protéger leur droit à la propriété collective de la terre, notamment pour qu’ils puissent avoir accès à leur propres moyens de subsistance[288].

 

Deux affaires sont particulièrement importantes: l’affaire Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community/Nicaragua et l’affaire Sawhoyamaxa/Paraguay[289]. Dans l’affaire Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community/Nicaragua, la Cour interaméricaine a protégé l’accès de plus d’une centaine de familles de la communauté indigène Awas Tingni à leurs terres ancestrales, qui étaient menacées par une concession accordée par le gouvernement à une compagnie coréenne.

 

La Cour a jugé que l’Etat avait violé son obligation de s’abstenir de tout acte, direct (de ses agents) ou indirect (acceptant ou tolérant des activités par des tiers), qui affecterait l’existence, la valeur, l’usage ou la jouissance des terres sur lesquelles les membres de la communauté vivaient et développaient leurs activités[290].

 

Pour remédier à la situation, elle a jugé que l’Etat de Nicaragua devait investir, comme réparation pour les dommages immatériels, la somme de 50.000 dollars américains pour des travaux ou services d’intérêt collectif au bénéfice de la communauté, en accord avec elle et sous la supervision de la Commission interaméricaine des droits de l’homme[291]. Elle a également indiqué que l’Etat devait prendre des mesures pour délimiter, démarquer et reconnaître les titres de propriété de ces communautés, avec leur pleine participation et en accord avec leurs valeurs et leur droit coutumier[292].

 

Dans l’affaire Sawhoyamaxa/Paraguay, la Cour interaméricaine a protégé le droit à la propriété et le droit à la vie des membres de la communauté indigène Sawhoyamaxa[293].

 

Les membres de la communauté vivaient dans des conditions déplorables parce qu’ils avaient perdu l’accès à leurs moyens traditionnels de subsistance, en particulier la terre, et 31 membres de la communauté étaient décédés entre 1991 et 2003 de maladies dues aux conditions dans lesquelles ils vivaient[294].

 

Dans son jugement du 29 mars 2006, la Cour a rappelé l’interprétation progressiste du droit à la vie qu’elle avait déjà donnée dans sa jurisprudence antérieure. Elle a ensuite indiqué que la principale mesure que le gouvernement aurait dû prendre pour protéger le droit à la vie des membres de la communauté était de re- connaître leurs droits sur leurs terres ancestrales[295].

 

Dans ses conclusions, la Cour interaméricaine a indiqué des réparations importantes pour la communauté et ses membres. Tout en reconnaissant que les membres de la communauté indigène étaient tous individuellement victimes, la Cour a déterminé que la compensation au bénéfice de la communauté serait mise à la disposition de ses leaders, en leur capacité de représentants.

 

Pour remédier aux violations, elle a déterminé que l’Etat devait prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour que les membres de la communauté puissent jouir, formellement et physiquement, de leurs terres ancestrales, dans les trois ans. Elle a également jugé que l’Etat devait créer un fond de développement pour la communauté, d’un montant d’un million de dollars américains, pour mettre en œuvre des projets agricoles, sanitaires, d’eau potable, d’éducation et de logement[296].

 

3. Au niveau international

 

Pour le moment, il n’y a qu’un seul mécanisme de contrôle judiciaire au niveau international pour protéger le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles : la Cour Internationale de Justice.

 

Les autres mécanismes de contrôle disponibles sont quasi-judiciaires ou extrajudiciaires. Il s’agit des organes suivants :

 

-    le Comité des droits de l’homme ;

-    le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ;

-    le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ;

-    le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation ;

-    le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones ; et de

-    L’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme.

 

Les organes de contrôle de l’OIT qui sont chargés de la surveillance de l’application des Conventions de cette institution, qui comprennent la Convention N° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, pourraient être saisis pour protéger le droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Le mandat et le travail de ces organes de contrôle ont été décrits en détail dans une publication récente du CETIM ; ils ne seront pas repris ici[297].

 

La grande faiblesse des organes onusiens est le fait qu’ils ne disposent pas de moyens de contrainte à l’égard des Etats violant les droits humains pour faire appliquer leurs décisions. La seule arme dont disposent les mouvements sociaux, les ONG et les citoyens est de mener des campagnes, aux niveaux national et international et de compter sur la pression d’Etats tiers afin que l’Etat qui viole les droits humains respecte ses engagements. Cela constitue une différence de taille avec l’Organe de règlement des différends de l’OMC qui dispose du pouvoir de sanction économique à l’égard d’un Etat jugé « fautif » au regard des règles de commerce international. Cela illustre combien la lutte contre l’impunité des violations des droits humains est difficile et démontre comment les Etats peuvent être enclins à violer les droits humains en privilégiant à leur détriment les règles du commerce, alors que les premiers priment sur les seconds.

 

3.1. La Cour internationale de justice

 

La Cour Internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal des Nations Unies. Tous les Etats membres de l’ONU sont automatiquement parties à son Statut, mais la CIJ n’a pas de juridiction obligatoire, c’est-à-dire qu’elle n’est pas compétente pour juger un Etat qui ne l’a pas accepté[298]. La CIJ a deux fonctions principales : contentieuse et consultative.

 

En matière contentieuse, la CIJ ne peut être saisie que par des Etats. Les individus et les peuples ne peuvent donc avoir accès à la justice devant la CIJ qu’à travers leur Etat. L’article 38 du Statut de la CIJ précise les sources du droit international que la CIJ doit appliquer. Parmi ces sources figurent les traités ratifiés par les Etats. Potentiellement, tous les traités qui consacrent le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles et auxquels deux Etats en litige sont parties, pour autant que ces Etats aient reconnu la compétence de la juridiction de la CIJ, peuvent donc être invoqués devant la CIJ.

 

Dans sa fonction consultative, la CIJ peut être saisie par un Etat qui peut lui demander un avis consultatif sur toute question juridique, et par les organes et institutions spécialisées des Nations Unies, qui peuvent lui demander un avis sur toute question juridique qui se pose dans le cadre de leurs activités[299].

 

Dans les exemples du Sahara occidental, de la Namibie et du Kosovo, la Cour internationale de justice s’est à plusieurs reprises prononcée sur le droit des peuples – colonisés ou non – à l’autodétermination. Elle a également traité l’atteinte à la souveraineté inter-étatique. A ce propos, la Cour a condamné les Etats-Unis pour avoir porté atteinte à la souveraineté du Nicaragua.

 

En effet, dans son arrêt rendu le 27 juin 1986 concernant l'« Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci » (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a décidé entre autres que « les Etats-Unis d'Amérique, en entraînant, armant, équipant, finançant et approvisionnant les forces contras, et en encourageant, appuyant et assistant de toute autre manière des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, ont, à l'encontre de la République du Nicaragua, violé l'obligation que leur impose le droit international coutumier de ne pas intervenir dans les affaires d'un autre Etat ; (…) de ne pas recourir à la force contre un autre Etat ; (…) de ne pas porter atteinte à la souveraineté d'un autre Etat »[300].

 

3.2. Le Comité des droits de l’homme

 

Le Comité des droits de l’homme est chargé de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Tous les Etats parties sont tenus de présenter des rapports périodiques au Comité sur la mise en œuvre des droits consacrés dans le Pacte, y compris le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles.

 

Le Comité examine les rapports de chaque Etat partie et lui fait part de ses préoccupations et de ses recommandations sous forme d’observations finales. Dans ce cadre, les ONG et les mouvements sociaux peuvent présenter des rapports parallèles en invoquant tous les droits consacrés dans le Pacte dont le droit à l’autodétermination et à la souveraineté sur les richesses et ressources naturelles.

 

En vertu de l’article 41 du Pacte, le Comité peut aussi examiner des communications interétatiques et, en vertu de son Protocole facultatif, des communications émanant de particuliers ou de groupes. Le Comité peut, par exemple, être saisi en cas de violation des droits des minorités à leur propre culture (article 27).

 

Pour l’instant, le Comité des droits de l’homme a été très réticent sur la protection du droit à l’autodétermination consacré à l’article 1er du Pacte dans le cadre d’une procédure de communication. Mais cela pourrait changer s’il était plus souvent sollicité. Dans son observation générale n°23, le Comité des droits de l’homme a indiqué que les droits protégés à l’article 27 du Pacte incluaient les droits des minorités et des peuples autochtones à la protection de leurs activités traditionnelles, comme la chasse ou la pêche, et que les Etats devaient prendre des mesures pour garantir la participation effective des membres des communautés dans les décisions qui les affectent[301].

 

Le Comité des droits de l’homme a ensuite confirmé cette interprétation dans plusieurs affaires dans lesquelles des peuples indigènes ont invoqué le droit des minorités à leur propre culture pour protéger leurs droits sur leurs propres ressources, en affirmant que ce droit incluait celui de maintenir leurs modes de vie, leurs activités économiques et leurs moyens de subsistance.

 

Dans l’affaire Länsman et al. v. Finlande, par exemple, le Comité des droits de l’homme a conclu que les activités minières, si elles sont entreprises sans consultation des peuples indigènes et si elles détruisent leur mode de vie ou leurs moyens de subsistance, constituent une violation des droits consacrés à l’article 27 du Pacte[302].

 

3.3. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

 

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels est chargé de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Comme le Comité des droits de l’homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels examine les rapports périodiques des Etats parties et leur fait part de ses préoccupations et de ses recommandations sous forme d’observations finales.

 

Dans ce cadre et à l’instar du Comité des droits de l’homme, les ONG et les mouvements sociaux peuvent présenter des rapports alternatifs en invoquant tous les droits consacrés dans le Pacte dont le droit à l’autodétermination et à la souveraineté sur les richesses et ressources naturelles.

 

En vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui a été adopté le 10 décembre 2008 et qui entrera en vigueur lorsqu'au moins 10 Etats l’auront ratifié, le Comité pourra recevoir des communications, individuelles ou collectives, en cas de violations des droits consacrés dans le Pacte, y compris le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles[303].

 

Dans un futur proche, il sera donc possible de porter plainte en cas de violation du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a protégé l’accès aux richesses et ressources naturelles des communautés locales et des peuples indigènes dans plusieurs de ses observations finales adressées aux Etats parties.

 

Dans ses observations finales adressées au Guatemala, en 2003, il a critiqué la discrimination dont sont victimes les peuples indigènes dans l’accès à la terre et l’absence de mise en œuvre d’une réforme agraire pour y remédier, et la faible fiscalité qui empêche de réaliser les droits économiques, sociaux et culturels de la population[304].

 

Dans ses observations finales adressées à Madagascar, en 2009, il a critiqué l’adoption d’une nouvelle loi permettant à des entreprises étrangères d’acquérir d’immenses étendues de terres au mépris des droits des communautés paysannes locales à la libre disposition de leurs ressources naturelles, consacré à l’article 1er du Pacte : « Le Comité craint que la loi n° 2007-037 du 14 janvier 2008 sur l’investissement, qui permet l’acquisition de biens fonciers par des investisseurs, notamment à des fins agricoles, nuise à l’accès des paysans et des personnes vivant dans des zones rurales aux terres cultivables et à leurs ressources naturelles. Il craint aussi que pareille acquisition de biens fonciers n’entrave l’exercice par la population malgache de son droit à l’alimentation (art. 1). Le Comité recommande à l’Etat partie d’envisager de réviser la loi n° 2007-037 et de faciliter l’acquisition de terres par des paysans et des personnes vivant dans les zones rurales, ainsi que leur accès aux ressources naturelles. Il recommande également à l’Etat partie d’engager un débat national sur l’investissement dans l’agriculture et de recueillir, avant toute passation de contrat avec des entreprises étrangères, le consentement libre et éclairé des personnes concernées »[305].

 

3.4. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

 

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est chargé de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui protège notamment le droit de chacun à l’égalité devant la loi, sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels (art. 5.e), et le droit de toute personne à la propriété, aussi bien seule qu'en association (art. 5.d.v). Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale examine lui aussi les rapports périodiques des Etats parties et leur fait part de ses préoccupations et de ses recommandations sous forme d’observations finales. Et en vertu de l’article 14 de la Convention, le Comité peut aussi recevoir des communications, individuelles ou collectives, en cas de violations des droits consacrés.

 

Dans sa recommandation générale n°23, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a indiqué que l’article 5 de la Convention impliquait l’obligation pour les Etats de lutter contre la discrimination – de jure et de facto – dans l’accès aux ressources productives, notamment à la terre, des personnes et groupes vulnérables, en particulier les peuples autochtones[306]. Et il a fait une interprétation similaire dans plusieurs observations finales adressées aux Etats parties[307].

 

Jusqu’à ce jour, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale n’a rendu des décisions que dans une quarantaine d’affaires dans lesquelles il a reçu des plaintes pour violations des droits consacrés dans la Convention, mais aucune de ces affaires n’a porté sur les droits des peuples indigènes sur leurs ressources naturelles. Le potentiel que représente la possibilité de porter plainte devant ce Comité est pourtant important, mais il est pour l’instant sous-exploité[308].

 

3.5. Le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation

 

Le mandat du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation a été créé par la Commission des droits de l’homme en l’an 2000. Jean Ziegler, Professeur de sociologie à l’Université de Genève (Suisse), a été nommé à ce poste en septembre 2000. Son mandat a été renouvelé pour trois années supplémentaires en avril 2003, puis il a été renouvelé par le Conseil des droits de l’homme en 2006[309]. En mai 2008, Olivier de Schutter, Professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain (Belgique) lui a succédé[310].

 

Pour promouvoir le droit à l’alimentation, le Rapporteur spécial a trois moyens à sa disposition, à savoir :

 

a) la présentation de rapports thématiques devant le Conseil des droits de l’homme et l’Assemblée générale des Nations Unies ;

b) la conduite de missions de terrain dans le but de contrôler le respect du droit à l’alimentation dans les pays visités ;

c)  l’envoi de communications aux Etats dans des cas précis de violations du droit à l’alimentation, très souvent sur la base d’informations reçues par des ONG ou des mouvements sociaux[311].

 

Depuis la création de son mandat en 2000, le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation a utilisé tous les moyens à sa disposition pour dénoncer les violations du droit à l’alimentation liées à une mauvaise utilisation des richesses et ressources naturelles.

 

Dans ses rapports thématiques, le Rapporteur spécial a dénoncé à plusieurs reprises les violations des droits des peuples indigènes sur leurs propres ressources, en mettant un accent particulier sur la terre[312], et, en mars 2010, Olivier de Schutter a présenté des principes minimaux pour les acquisitions et les locations de terres à grande échelle au Conseil des droits de l’homme[313], pour inciter les acteurs engagés dans l’accaparement des terres à respecter les droits fondamentaux des populations locales.

 

Au cours de leurs nombreuses missions dans divers pays, Jean Ziegler et Olivier de Schutter ont dénoncé à plusieurs reprises les violations des droits des populations locales dues à l’exploitation des richesses et ressources naturelles ou à la mauvaise gestion de leurs revenus, y compris au Guatemala, en Bolivie avant l’arrivée d’Evo Morales, en Inde ou au Brésil[314]. Et la majorité des communications du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation avec les Etats ont eu pour objet des expulsions forcées ou des déplacements de communautés paysannes ou indigènes pour laisser la place à des entreprises pour l’exploitation des mines, du pétrole, du gaz ou des ressources foncières ou forestières[315].

 

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation est un mécanisme important pour les ONG et les mouvements sociaux, car il est facilement accessible (même par e-mail ou par courrier postal, voir annexe) et il s’appuie en grande partie sur la coopération avec les acteurs de la société civile pour mener à bien son mandat.

 

3.6. Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones

 

Le mandat du premier Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones a été créé par la Commission des droits de l’homme en 2001. Son premier titulaire, le Dr. Rodolfo Stavenhagen (Mexique) a exercé son mandat jusqu’en avril 2008, après avoir été reconduit par la Commission des droits de l’homme en 2004 et par le Conseil des droits de l’homme en 2007[316].

 

En mai 2008, S. James Anaya, Professeur de droit international et des droits de l’homme à l’Université d’Arizona (Etats-Unis) a été nommé pour lui succéder[317].

 

Pour améliorer la protection et la promotion des droits des peuples autochtones, Rodolfo Stavenhagen et S. James Anaya ont les mêmes outils à leur disposition que le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation : les rapports thématiques, les missions de terrains et les communications avec les gouvernements, dans des cas concrets de violations.

 

Dans un rapport thématique présenté à la Commission des droits de l’homme en 2003, Rodolfo Stavenhagen a, par exemple, dénoncé les violations des droits des peuples autochtones dues à l’exploitation à grande échelle des ressources naturelles, y compris par les compagnies minières[318]. Et dans ses nombreux rapports de missions depuis 2001, le Rapporteur spécial a dénoncé des cas innombrables de violations des droits des peuples autochtones sur leurs propres ressources, y compris au Guatemala, aux Philippines, au Mexique, au Chili, en Colombie, au Canada, en Afrique du sud, en Nouvelle Zélande, en Equateur et au Kenya[319].

 

Un très grand nombre de communications du Rapporteur spécial avec les Etats concerne également des violations des droits des peuples autochtones sur leurs propres ressources, en particulier la terre.

 

3.7. L’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme

 

L’examen périodique universel est le nouveau mécanisme du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui a été créé en même temps que le Conseil des droits de l’homme en juin 2006[320].

 

Ce mécanisme prévoit que tous les Etats membres de l’ONU soient évalués tous les 4 ans par leurs pairs, sur le respect, la protection et la réalisation de l’ensemble des droits humains dans leur pays. L’examen se fait sur la base d’un rapport de l’Etat, d’un rapport compilé par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme sur la base des informations provenant des organes onusiens et d’un rapport basé sur les contributions de la société civile et compilé par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

 

Depuis sa première session, en avril 2008, l’examen périodique universel a été utilisé par de nombreuses ONGs pour dénoncer les violations du droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles. Global Rights, le Center for Economic and Social Rights, FIAN International et leurs partenaires ont par exemple dénoncé les violations de ces obligations par les gouvernements de Guinée[321], de Guinée Equatoriale[322], du Congo-Brazzaville[323] et du Ghana[324].

 

Dans leurs communications à l’occasion de l’examen périodique universel de ces quatre Etats, ces ONG ont dénoncé les violations du droit à l’alimentation, du droit à l’eau, du droit au logement et du droit à la santé des populations locales, entraînées par l’exploitation des richesses et ressources naturelles, le plus souvent par des compagnies étrangères, et le fait que ces Etats n’utilisent qu’une partie infime des revenus tirés de cette exploitation pour réaliser les droits économiques, sociaux et culturels de leur population.

 

Cependant, il faut souligner que les Etats étant juges et parties dans ce mécanisme, ils peuvent ignorer totalement les communications des ONG. De plus, l’Etat examiné peut même rejeter certaines recommandations adoptées par ses pairs[325].

 

Comme on vient de le voir, le droit à l’autodétermination et à la souveraineté sur les ressources naturelles est un droit reconnu mais rarement appliqué dans toutes ses dimensions. Il comporte une forte dimension internationale, d’où la nécessité de s'engager fermement pour un ordre (économique et politique) international démocratique, juste et équitable qui permettrait la mise en œuvre de tous les droits humains, dont le droit à l’autodétermination.

 

Cette mise en œuvre nécessite la participation populaire et une concertation de tous les peuples composant un Etat donné à la prise de décisions, au niveau national comme au niveau international. C’est d’ailleurs la seule voie praticable pour désamorcer des tensions, voire des conflits, y compris armés, et pour la recherche de solutions dans des situations complexes dans lesquelles les différentes couches de la société peuvent avoir des intérêts contradictoires.

 

L’ONU pourrait jouer un rôle important dans ce domaine, si ses Etats membres lui donnaient les moyens nécessaires et respectaient sa neutralité et son objectivité, en créant par exemple, comme le suggèrent M. et R. Weyl dans une récente publication du CETIM, une « Commission permanente de bons offices » qui aurait comme tâche principale de porter une attention permanente aux différends apparaissant entre Etats, peuples, ou entre peuples et Etats et d’offrir ses bons offices aux représentants qualifiés des protagonistes pour les aider à trouver une solution négociée de leurs différends[326].

 


Chapitre III :

PRINCIPE DE LA NON-INTERVENTION DANS LES AFFAIRES INTÉRIEURES D’UN ÉTAT

 

Section 1. LES POSSIBILITES D'ACTION VISANT A ASSURER LE RESPECT DES DROITS DE LA PERSONNE FACE AU PRINCIPE DE NON-INTERVENTION

 

L’idée d’un « devoir », ou en tout cas d’un « droit d’ingérence », est actuellement présentée comme un facteur destiné à réformer profondément le droit des gens, et à le mettre en concordance avec les nouvelles données des relations internationales. Plus précisément, le « droit d’ingérence » viserait à assurer un respect effectif et universel des droits de la personne les plus fondamentaux. En réalité, cette idée n’a rien de nouveau.

 

Grotius écrivait déjà, en évoquant le principe de la souveraineté des Etats, « Mais le droit de la société humaine ne sera pas exclu pour cela, lorsque l’oppression est manifeste : si quelque Busiris, Phalaris, Diomède de Thrace, exerce sur ses sujets des cruautés qui ne peuvent être approuvées par aucun homme équitable. C’est ainsi que Constantin prit les armes contre Maxence et contre Licinius ; que d’autres empereurs des Romains les prirent, ou menacèrent de les prendre contre les PeTses, s’ils ne cessaient de persécuter les chrétiens à cause de leur religion »[327].

 

De même, on connait la position de Vattel, selon laquelle, « toute puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande son assistance »[328]. On peut trouver des formules similaires chez d’autres auteurs classiques tels que Puffendorf[329], Suarez[330] ou de Vittoria[331]. C’est sur de telles bases que s’est développée au XIXème siècle la doctrine de l’« intervention d’humanité » en vertu de laquelle, « Lorsqu’un gouvernement, tout en agissant dans la limite de ses droits de souveraineté, viole les droits de l’humanité, ... par des excès de cruauté et d’injustice qui blessent profondément nos moeurs et notre civilisation, le droit d’intervention est légitime. Car, quelque respectables que soient les droits de souveraineté et d’indépendance des Etats, il y a quelque chose de plus respectable encore, c’est le droit de l’humanité ou de la société humaine qui ne doit pas être outragé »[332].

 

Cette doctrine n’allait jamais cesser de trouver d’ardents défenseurs qui, même après la mise en place du système de la Charte des Nations Unies, ont continué à affirmer la subsistance dans certaines circonstances d’un droit d’intervention unilatérale[333]. Quant à la formulation actuelle du concept de « devoir d’ingérence », elle se retrouve pour la première fois[334] en 1987, comme titre d’un ouvrage[335] reprenant les conclusions de la « Première Conférence internationale de droit et de morale humanitaire », organisée à Paris en janvier de la même année par Mario Bettati et Bernard Kouchner, et clôturée par une résolution finale intitulée « résolution sur la reconnaissance du devoir d’assistance humanitaire et du droit à cette assistance »[336]. A partir de cette date, l’expression allait être fréquemment reprise et développée[337].

 

Mais c’est surtout depuis l’intervention des puissances européennes dans le Kurdistan irakien en avril 1991 que ce concept a fait son chemin. La résolution 688 du Conseil de sécurité sur base de laquelle s’est déroulée cette opération a, dès son adoption, été qualifiée d’« historique » car elle aurait montré « que le principe de non-ingérence n’est pas une valeur suprême »[338] ni une « sacrosainte notion »[339] et elle aurait consacré le premier pas de l’introduction d’un devoir d’ingérence en droit international[340].

 

Ainsi, le Ministre Belge des Affaires étrangères déclarait-il à l’époque à un quotidien bruxellois, « Nous sommes à un moment charnière pour le droit international : c’est du droit innovateur, qui peut être interprété comme un droit, sinon un devoir d’ingérence. Dès lors que l’on prend à coeur le respect des droits de l’homme, on ne peut laisser son aspect coercitif à la seule appréciation des Etats souverains : on verserait dans l’arbitraire »[341].

 

Depuis, le « devoir d’ingérence » s’est souvent retrouvé placé au centre du débat politique. On peut même dire que, contrairement aux notions de « guerre juste » et d’« intervention d’humanité », le devoir d’ingérence s’est taillé une place de choix dans les médias, et a engendré au sein même de l’opinion publique nombre de controverses[342].

 

Dans ce contexte, on a englobé sous ce vocable les actions les plus diverses : campagne de presse, sanctions économiques, problème de ventes d’armes, envoi de secours aux populations, intervention militaire unilatérale, recours au mécanisme du Conseil de sécurité des Nations Unies, ...[343].

 

Exemple parmi d’autres de la confusion qui règne à ce sujet, un responsable d’une organisation humanitaire se laissait aller, en mai 1991, à déclarer que la Belgique avait un « devoir d’ingérence » « afin de soutenir une population zaïroise de l’époque, qui paie actuellement un trop lourd tribut à l’incertitude politique et économique de son pays »[344]. Il semble qu’on en soit ainsi arrivé à une situation où sont confondus le juridique et le politique, le droit existant et le droit souhaité, les Etats et les organisations internationales — ou même les ONG — et, surtout, la réaction non armée et le déclenchement d’une guerre qualifiée de juste.

 

Le constat est d’autant plus inquiétant que les droits de la personne suscitent souvent des réactions passionnelles, qui ont conduit dans le passé aux pires amalgames et aux plus grandes inexactitudes. L’ambition de cette étude est de clarifier les différents aspects de cette problématique, en précisant quel est l’état du droit international actuel sur ces points, et en se prononçant sur l’existence éventuelle d’une évolution récente en la matière.

 

A cet égard, une première clarification s’impose d’emblée :

 il existe bien en droit international une obligation pour chaque Etat de réagir à des violations des droits fondamentaux de la personne. La base en est d’abord fournie par le préambule[345] et l’article 1 de la Charte des Nations Unies, un des buts proclamés de l’ONU étant de « réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre ... humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». L’article 55, al. c de la Charte précise que « les Nations Unies favoriseront ... le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales ...».

 

On pourrait encore citer la Déclaration universelle des droits de l’homme, et en particulier son article 28, qui semble instaurer un « ordre international des droits de l’homme » en disposant : « Toute personne a le droit à oe que règne sur le plan ... international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet »[346].

 

Ce ne sont certes là que des principes généraux, mais qui démontrent bien que ces objectifs, qui s’imposent à l’ensemble des Etats en vertu de Tarticle 56 de cet instrument, requièrent des actions concrètes[347]. Les articles 1 communs aux conventions de Genève du 12 août 1949 et 1§ 1 communs à leurs deux protocoles additionnels de 1977 sont plus explicites puisqu’ils disposent : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter le présent Protocole en toutes circonstances ». Il est donc clair que les Etats ne peuvent se contenter d’agir sur leur propre territoire. Cette exigence n’est pas une clause de style.

 

Dans son commentaire, officiel, le CICR en décrit le contenu de la manière suivante : « Si une autre Puissance manque à ses obligations, chaque Partie doit chercher à la ramener au respect de la Convention. Le système de protection prévu exige en effet, pour être efficace, que les Etats ne se bornent pas à l’appliquer mais encore fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour en assurer le respect universel[348].

 

Loin d’être contestée, cette interprétation a été consacrée par la presque totalité des membres de la communauté internationale au cours de la Conférence internationale des droits de l’homme de Téhéran en 1968 dont une résolution a rappelé aux Etats parties aux conventions de Genève « la responsabilité qui leur incombe de prendre des mesures nécessaires pour faire respecter ces règles humanitaires en toutes circonstances par les autres Etats, ...». La reproduction de l’obligation dans l’article 1er § 1 des deux Protocoles a donc bien été opérée « en connaissance de cause »[349].

 

Enfin, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la Cour internationale de Justice a condamné les Etats- Unis pour violation de l’obligation de « faire respecter le droit humanitaire », qui par ailleurs s’est vue attribuer un statut de « principe général du droit humanitaire » qui dépasse le simple cadre conventionnel. On rétorquera peut-être que l’application du standard minimum défini par l’article 3 commun aux Conventions de Genève reste limitée au droit des conflits armés[350]. Cependant, on peut aujourd’hui affirmer que cet article s’applique, selon son propre intitulé « en toute circonstance », c’est-à-dire aussi en période de simples troubles internes ou plus généralement de paix.

 

Dans l’affaire que nous venons de citer, la Cour, traitant de tous les types de conflits armés, assimile les dispositions de l’art. 3 commun aux « considérations élémentaires d’humanité » qu’elle avait évoquées dans son arrêt du Détroit de Corfou. Elle avait alors déclaré de manière très générale que le respect de ces considérations d’humanité s’impose «plus encore en temps de paix qu’en temps de guerre ».

 

L’obligation de « faire respecter » cet article voit donc sa portée augmenter d’au­ tant et s’applique indéniablement à un « noyau dur » des droits de la personne humaine comprenant le droit à la vie et l’interdiction de la torture. On peut donc conclure que, dès que ces droits sont atteints, et particulièrement en cas de violations massives de ceux- ci, chaque Etat a une obligation de réaction.

 

A cet égard, il semble qu’on ait très souvent considéré que le droit international ne fournissait pas les instruments adéquats permettant de réagir efficacement à une violation des droits de la personne. Fondé sur le concept de souveraineté, il s’avérerait dans sa formule actuelle inadéquat à l’évolution des relations internationales[351]. Il aurait même justifié les pires atrocités dans le passé : son respect aurait ainsi rendu impossible une réaction aux massacres perpétrés par Amin Dada, Bokassa, Pol Pot ou Saddam Hussein. Dans cette perspective, tout esprit progressiste serait amené à travailler dans le sens d’une modification de ce droit.

 

Pour reprendre une affirmation d’un des « parrains » du « devoir d’ingérence », « on n’acceptera bientôt plus que l’on puisse pénétrer dans un pays pour y faire la guerre et qu’on ne puisse y entrer pour y faire la paix ... et secourir les hommes »[352]. Mais que permet ou interdit réellement le droit international actuel ? Dans quelle mesure peut-on parler d’ingérence — et doit-on dès lors recourir à un concept de droit d’ingérence — lorsqu’on ne fait que réagir à une violation massive des droits de l’homme ? Enfin, est-il souhaitable d’ériger l’ingérence en règle générale ?

 

C’est à ces questions que nous tenterons de répondre en examinant de quelle manière peut s’exercer cette obligation de réaction à laquelle tous les Etats sont tenus. Pour y parvenir, il nous apparaît fondamental de distinguer deux types de réaction à caractère radicalement différent : les mesures armées et les mesures non armées[353].

 

Section 2. PRINCIPE D’UNE RÉACTION NON ARMÉE

 

D’une manière générale, l’existence de relations internationales implique un réseau complexe de pressions exercées par les Etats les uns sur les autres, et ce dans les domaines les plus divers.

 

Lorsque deux Etats concluent un traité, toute une série de facteurs seront pris en compte dans la négociation, parmi lesquels les jugements respectifs que chacune des parties portera sur l’autre. Ces pressions forment en réalité l’essence même du jeu diplomatique.

 

Les limites de ce pouvoir discrétionnaire sont les mêmes que celles de la souveraineté, et peuvent se ramener d’une manière générale au principe de non-intervention, selon lequel, « Aucun Etat ni groupe d’Etats n’a le droit d’intervenir directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat »[354].

 

Cette règle est unanimement admise et constamment rappelée au sein des instances internationales. Son existence et sa persistance ne posent aucun problème particulier. On ne peut malheureusement pas en dire autant de sa signification. Dans la pratique, on pourrait relever des déclarations d’Etats qui qualifient d’ingérence ou d’intervention à peu près n’importe quel acte, accompli dans n’importe quel domaine. La doctrine a dès lors souvent cherché en vain à déterminer avec précision ce qu’Eric David a appelé le « seuil de l’illicite »[355].

 

Il est pourtant indispensable de s’atteler à cette tâche si nous voulons mener à bien notre entreprise : déterminer quelles actions sont permises par le droit international, et plus précisément par la règle de non-intervention, dans le domaine des droits de la personne.

 

Une chose semble cependant admise quant au contenu de la règle de non-intervention. Pour reprendre les termes de la Cour dans son arrêt de référence en la matière : «... l’intervention interdite doit ... porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d’entre eux de se décider librement ... L’intervention est illicite lorsque à propos de ces choix qui doivent demeurer libres, elle utilise des moyens de contrainte » (3).

 

Deux éléments doivent donc être démontrés pour conclure à l’existence d’une intervention illicite. Premièrement, il faut une utilisation de « moyens de contrainte » ; à défaut, il ne saurait être question d’intervention interdite. Cette exigence sera examinée dans le présent travail, centré sur la définition de la notion de « contrainte ». Deuxièmement, ces moyens de contrainte doivent porter sur des matières où l’Etat a préservé des droits souverains. Il s’agira dès lors de mieux cerner ensuite la notion de « domaine réservé » de l’Etat.

 

Nous nous attèlerons donc à préciser la limite entre mesures non contraignantes et mesures contraignantes. Ceci se fera indépendamment de la notion de domaine réservé. La raison en est simple : si l’intervention illicite suppose toujours une « contrainte », qualifier une mesure de non contraignante revient à la faire échapper à la prohibition de l’intervention, ceci quel que soit le domaine sur lequel portent ces mesures.

 

Après avoir éliminé les mesures non contraignantes, nous examinerons la notion de domaine réservé, afin de déterminer, parmi les mesures contraignantes, lesquelles sont constitutives d’intervention illicite. La doctrine ayant introduit l’idée de « droit d’ingérence » se réfère à une notion, l’« ingérence », qui n’est pas définie en droit international. Celui-ci édicte en effet seulement une règle de « non-intervention ».

 

Nous adopterons donc les termes de « non-intervention » ou d’« intervention illicite », en évitant d’utiliser le terme d’ingérence ou de non-ingérence, à l’exception des citations. Quant au terme d’« intervention », nous l’utiliserons de manière plus neutre, tant l’Assemblée générale que la Cour Internationale de Justice ayant semblé admettre a contrario qu’il existait des interventions licites, puisque la règle de non-intervention n’interdit les interventions que si celles-ci s’opèrent dans le domaine réservé des Etats. Ces précautions nous permettront de rester fidèles aux textes juridiques de base, et d’éviter de s’en écarter en utilisant des notions non-définies susceptibles de masquer le droit existant et d’en atténuer la rigueur.

 

On a souvent réagi à certains problèmes qui se sont déroulés à l’intérieur d’autres Etats de la manière la plus bénigne, en se retranchant explicitement ou implicitement derrière le principe de non-intervention. Ainsi, les Etats n’ont-ils réagi aux événements de 1990 en Lituanie que par l’expression de « préoccupations » (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, ...) ou par de timides offres de médiation ou de bons offices ; la proposition du ministre français des Affaires étrangères de nommer un Comité d’experts pour étudier le problème est restée sans suite ; la Finlande s’est refusée lors d’une visite d’un responsable lituanien à tout texte de protestation « blessant pour lu.R.s.s. »[356].

 

Par ailleurs, les autorités belges avaient refusé de récolter des informations à propos de révoltes survenues en janvier 1978 au Zaïre parce que « des faits semblables relèvent de la souveraineté de l’Etat sur le territoire duquel ils se produisent ...».

 

De même, à plusieurs parlementaires belges qui s’inquiétaient de la passivité totale de leur gouvernement face à une opération militaire turque en 1983 contre les Kurdes sur le territoire iraquien, le ministre des Affaires extérieures de l’époque répondit que « le gouvernement belge ne peut évidemment pas intervenir dans une question qui concerne les deux pays ... [en cause] ».

 

Il semblait par là assimiler toute forme de réaction à une « intervention ». Enfin, à la suite du coup d’Etat militaire survenu en Haïti en septembre 1991, le Secrétaire d’Etat français aux affaires étrangères a cru pouvoir fonder la saisine de l’Assemblée générale des Nations Unies pour un simple examen de cette question — sans évoquer la mise en oeuvre de sanctions — sur « la nécessité de repenser l’interprétation des termes de l’article 2, paragraphe 7 de la Charte [contenant le principe de non-intervention] lorsque la volonté populaire et la démocratie sont aussi évidemment bafouées »[357].

 

Les « promoteurs »  du « droit d’ingérence » semblent abonder dans le même sens. Ainsi, pour Mario Bettati, « le principe de non-intervention constitue encore un obstacle à toute action »[358].

 

L’établissement juridique d’une intervention illicite suppose pourtant que l’action visée soit qualifiée de contraignante ou de coercitive : toute action n’est pas interdite. L’élément de contrainte apparaît même comme ce qui permet de distinguer la simple pression d’une véritable « intervention » : selon la Cour Internationale de Justice, cet élément est « constitutif de l’intervention prohibée et forme son essence même ».

 

C’est sans doute pourquoi la plupart des instruments procédant à une définition de l’intervention le reprennent systématiquement. C’est le cas de la résolution 2625 (XXV), qui ne fait que reprendre les termes de la résolution 2131 (XX) en énonçant qu’ « Aucun Etat ne peut appliquer ni encourager l’usage de mesures économiques, politiques ou de toute autre nature pour contraindre un autre Etat à subordonner l’exercice de ses droits souverains ...».

 

L’Acte final d’Helsinki prévoit en son art. VI (Non-intervention dans les affaires intérieures) que les Etats ont le devoir de s’abstenir de tout « acte de contrainte militaire ou politique, économique ou autre, ... », tandis que la Charte de l’OEA interdit à tout Etat de « prendre des mesures coercitives de caractère économique et politique pour forcer la volonté souveraine d’un Etat ...» (art. 19). Cette exigence de la contrainte se retrouve également dans certaines résolutions ou déclarations dues à l’initiative de pays du Tiers monde, qu’on présente pourtant souvent comme les partisans d’une conception large de l’« intervention ». Ainsi, l’article 32 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats interdit le recours à des mesures dirigées contre un autre Etat « pour contraindre l’exercice de ses droits souverains », tandis que la résolution 3171 (XXVIII) de l’Assemblée générale des Nations Unies (souveraineté permanente sur les ressources naturelles) souligne que « les Etats ont le devoir de s’abstenir de toute forme de contrainte militaire, politique, économique ou autre ... ».

 

La résolution 41-165 de cette même Assemblée, datée du 5 décembre 1986 et intitulée « mesures économiques utilisées pour exercer une pression politique et économique sur les pays en développement », est particulièrement significative puisqu’elle « réaffirme que les pays développés doivent s’abstenir de menacer d’appliquer ou d’appliquer aux pays en développement, en tant que moyen de coercition politique et économique préjudiciable à leur développement économique, politique et social, des restrictions commerciales, des blocus, des embargos et d’autres sanctions économiques incompatibles avec les dispositions de la Charte des Nations Unies ... ».

 

Il découle a contrario de cette disposition que des mesures aussi importantes qu’un embargo ne sont assimilables à une intervention que si on peut les qualifier de contraignantes. Enfin, la doctrine est presqu’unanime à considérer que la contrainte est un élément constitutif de l’intervention, que ce soit sous cette dénomination ou d’autres, telles la « dictatorial interférence »[359].

 

Pour ne reprendre qu’un exemple, Krystina Marek définit l’intervention comme « un acte coercitif unilatéral, visant les affaires intérieures d’un Etat [...] « ce qui les distingue de l’intervention, c’est l’élément de contrainte, le caractère clairement coercitif de cette dernière ».

 

On a cependant parfois prétendu que l’élément de contrainte n’était pas nécessaire pour établir une intervention, une simple « atteinte » aux droits souverains étant suffisante. C’est l’opinion du professeur David, qui, après avoir analysé les textes des résolutions définissant théoriquement la non-intervention, relève que ; « des comportements habituellement qualifiés d’intervention et caractérisés par une atteinte aux droits souverains de l’Etat victime ne s’accompagnent pas nécessairement de mesures de contrainte »[360].

 

Il existerait donc une contradiction entre le principe de non-inter­ vention tel qu’il est énoncé dans les textes exposés ci-dessus et la pratique des Etats lorsqu’ils invoquent ce principe. Ceci ne doit pas à notre sens faire obstacle à l’acceptation de la définition donnée notamment par la C.I.J. et l’Assemblée générale des Nations Unies.

 

En effet, nous avons déjà relevé que les Etats qualifient parfois d’« intervention » à peu près n’importe quel acte dirigé contre eux, dans le même temps où ils accomplissent ouvertement des actes similaires à l’encontre d’autres Etats. Ceci ne nous semble dès lors pas significatif d’une position juridique bien définie, mais plutôt de simples déclarations politiques.

 

En ce qui concerne la reconnaissance prématurée ou de situations contraires au droit international, qui est citée comme l’exemple par exellence d’« intervention non contraignante », il semble qu’il faille aborder le problème d’une autre manière. Il existe en effet une obligation de ne pas reconnaître dans certaines circonstances, mais cette obligation est indépendante du principe de non-intervention. Ainsi, l’interdiction de reconnaître une situation créée par la, menace ou l’emploi de la force est formulée dans la résolution 2625 (XXV) dans le cadre du non-recours à la force, dont elle est une conséquence logique.

 

Le professeur Verhoeven examine aussi ce type d’interdiction en dehors du principe de non-intervention, préférant évoquer la possibilité d’un abus de droit[361]. De même, la règle de l’autodétermination peut entraîner en certaines situations une obligation de ne pas reconnaître, comme cela a été le cas lors de l’affaire de la Rhodésie.

 

La violation d’une obligation de ne pas reconnaître n’est donc pas, en soi, une intervention. Elle ne le deviendra que si on peut, étant donné les circonstances particulières de l’espèce, l’assimiler à une mesure coercitive. Par ailleurs — et surtout —, le rejet de l’élément de contrainte aboutit à une définition générale de l’intervention à notre avis inapplicable en pratique.

 

Toujours selon le professeur David, « on peut conclure qu’est constitutive d’intervention ... toute action par laquelle un Etat vise à entraver l’exercice ou la jouissance des droits » [souverains d’un autre Etat][362], l’auteur précisant toutefois que cette définition générale soulève des problèmes particuliers de seuil « qui doivent être résolus in casu ».

 

Cette dernière préoccupation n’empêche pas que la définition de la non-intervention comme toute action « visant à entraver » les droits souverains d’un Etat ne peut à notre avis servir de critère de base. Il est évident que, comme nous l’avons déjà relevé, toute politique étrangère vise à influencer le comportement des autres Etats, et ce y compris dans des domaines où il exerce sa souveraineté[363].

 

Il suffit de penser aux négociations précédant la conclusion d’un traité où chaque Etat tente d’obtenir de l’autre des concessions, c’est-à-dire « vise à entraver l’exercice » de son droit souverain de ne pas en faire. A moins de considérer que « viser à entraver » équivaut à une action véritablement coercitive, ce qui mène à penser que le problème se situe en réalité non pas sur la nécessité de prise en compte de  cet élément de contrainte, mais bien sur sa définition.

 

On ne trouve pas en droit international de définition précise de la contrainte. Le plus souvent, les auteurs renvoient à d’autres dénominations synonymes comme la « coercition », « forcer », « obliger » ou ( to coerce). Par ailleurs, il n’existe aucun précédent où une instance internationale se serait prononcée explicitement sur la question. Une chose est cependant sûre : la « contrainte » n’est pas limitée à l’hypothèse d’un recours à la force : toutes les résolutions que nous avons examinées ci-dessus recouvrent des mesures militaires mais aussi économiques, diplomatiques, politiques ou autres. Il est vrai que, historiquement, l’« intervention » est un terme qui a surtout désigné des opérations militaires.

 

La formulation d’une règle générale de non-intervention totalement autonome de celle du non-recours à la force se retrouve seulement pour la première fois dans la Charte des Nations Unies, qui la codifie en son article 2 § 7. Cet article est toujours présenté comme une source de référence en la matière. C’est pourquoi nous préciserons le contenu du concept d’intervention en le prenant pour base, avant d’élargir l’analyse à un examen de la pratique en dehors du cadre de l’O.N.U.

 

Pour déterminer le contenu précis de l’obligation mentionnée à l’article 2 § 7, nous l’interpréterons conformément aux principes généraux d’interprétation codifiés aux articles 31 et suivants de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Nous examinerons d’abord des moyens principaux d’interprétation : le texte de la Charte et la pratique des Nations Unies, en accordant une importance particulière au précédent de la question espagnole. Ensuite, nous analyserons des moyens complémentaires et auxiliaires : les travaux préparatoires et la doctrine.

 

1. Moyens principaux d’interprétation

 

1.1. Le texte de la Charte

 

L’article 2 § 7 semble a priori peu utile pour préciser la notion d’intervention puisqu’il commence par interdire aux Nations Unies d’« intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ... », expression générale de laquelle on ne peut tirer aucune définition. Cependant, il se termine par une phrase, relativement anodine en apparence, mais permettant en réalité de préciser l’« intervention », et plus précisément la contrainte, avec une exactitude assez satisfaisante : «... toutefois, ce principe [de non-intervention] ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ».

 

Ce passage enlève la possibilité pour un Etat membre d’invoquer avec succès la règle de la non-intervention si l’action visée est une « mesure de coercition prévue au chapitre VII » de la Charte, c’est-à- dire une action coercitive décidée par le Conseil de sécurité dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il ne mentionne cependant pas les mesures non coercitives que le Conseil de sécurité pourrait être amené à prendre. Faut-il en conclure que le principe de non-intervention s’oppose à ce qu’il adopte des mesures non coercitives, mais lui permet de prendre des mesures de coercition ? Une réponse affirmative mènerait incontestablement à un résultat absurde ou, à tout le moins, déraisonnable.

 

A titre d’exemple, le Conseil de sécurité ne pourrait procéder à une discussion d’une question relevant des affaires internes d’un Etat, action non coercitive soumise à l’art. 2 § 7, mais serait habilité à ordonner une opération militaire contre cet Etat, action coercitive ne pouvant être entravée par cet article. Pourtant, la seconde mesure ne pourrait être prise qu’ultérieurement à la première. L’effet utile de la règle de non-intervention au sens de la Charte suppose donc que l’adoption de mesures non coercitives soit permise au Conseil.

 

Certains auteurs ont tenté de résoudre la question en prenant quelque liberté avec le texte. Selon eux, la dernière phrase de l’art. 2 § 7, malgré son libellé, s’appliquerait en réalité à toutes les mesures du chapitre VII, coercitives ou non coercitives[364]. Il ne nous semble pas que cette solution puisse être retenue, car elle contredit directement le texte de l’art. 2 § 7, ainsi que le principe selon lequel les exceptions doivent être interprétées restrictivement.

 

L’exception ne couvre donc que les mesures de coercition prévues au chapitre VII. La seule façon de concilier le texte de l’article 2 § 7 et son effet utile est de considérer que les mesures non coercitives sont permises, non pas en vertu de l’exception, mais en vertu de la règle elle-même. Ainsi, lorsque le Conseil de sécurité discute d’une question relevant des affaires intérieures d’un Etat-membre, puis prend une mesure coercitive prévue au Chapitre VII, la discussion ne peut être considérée comme une intervention interdite, tandis que la mesure adoptée à son issue le serait normalement, mais est couverte par l’exception.

 

Il n’y a dès lors violation de la règle de non-intervention que si une action coercitive est prise en dehors du chapitre VII et/ou nonobstant les garanties contenues dans ce dernier. On doit déduire de cette interprétation que les mesures non coercitives ne sont jamais des interventions. Ceci est parfaitement cohérent si on considère qu’il ne s’agit pas de mesures contraignantes, premier élément constitutif de l’intervention prohibée. Ceci nous permet de en conclure que l’article 2 § 7 donne une définition implicite de la notion de contrainte renvoyant aux « mesures coercitives » du Chapitre VII de la Charte. Reste à définir ces dernières.

 

On ne trouve nulle part dans la Charte une définition précise des « mesures coercitives », même si ces termes se retrouvent au sein de plusieurs articles. En particulier, l’article 53 de la Charte dispose notamment qu’« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l’autorisation du Conseil de sécurité ». On a parfois conclu que seules les actions militaires étaient coercitives an sens de cet article 53, en se basant essentiellement sur les mesures économiques de grande envergure prises par l’O.E.A. à l’encontre de Cuba, sans l’autorisation du Conseil de sécurité[365].

 

Cette assimilation des mesures militaires et coercitives est d’ailleurs souvent opérée d’une manière générale. Toutefois, nous considérerons les mesures « coercitives » dans le sens plus large de « mesures de contrainte », sans les limiter à cette interprétation, particulière à l’article 53, que nous examinerons par ailleurs ci-dessous.

 

On a aussi évoqué la distinction qui existerait entre les articles du chapitre VII, les articles 41 et 42 permettant la mise en oeuvre de mesures coercitives tandis que les autres resteraient limités à l’énonciation de mesures non coercitives. Cependant, la pratique a consacré ‘une autre solution, le Conseil ne se référant le plus souvent à aucun article dans la mise en oeuvre de ses actions, et adoptant parfois sur base des articles 41 ou 42 des mesures manifestement non coercitives[366].

 

Par contre, on peut tirer certains enseignements de la répartition des compétences existant entre l5 Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies, telle que mise en exergue dans l’affaire concernant Certaines dépenses : cette répartition correspond précisément à une distinction entre mesures coercitives et non coercitives. En vertu de l’art. 11 § 2 de la Charte, l’Assemblée générale ne peut prendre aucune « action », mesure qui reste l’apanage du Conseil de sécurité. Or, la Cour a précisé dans l’affaire concernant Certaines dépenses que l’« action » qui est mentionnée dans cette disposition équivaut en réalité à toute mesure coercitive[367].

 

Autre-ment dit, l’Assemblée générale peut uniquement adopter des mesures non coercitives, et doit transmettre au Conseil de sécurité tout autre type d’action. En définissant ensuite les actions qui peuvent être prises par l’Assemblée générale, la Cour définit donc indirectement les « mesures coercitives ».

 

L’article 11 §2 donne déjà certaines indications puisqu’il précise que cette Assemblée peut « discuter » certaines questions et « faire ... des recommandations ». La Cour décide sur cette base que l’obligation de transférer toute «action» prévue à l’art. 11 «ne peut avoir trait à des recommandations que le Conseil de sécurité pourrait faire », et que ; « ... e’eat donc au Conseil de sécurité qu’est dévolu le pouvoir d’imposer l’obligation explicite de se conformer aux ordres qu’il peut émettre au titre du chapitre VII ...».

 

Sur base de ces passages, et de l’avis de la Cour en général, on peut affirmer que le critère qui permet de conclure au caractère coercitif d’une mesure est le passage d’une simple recommandation à un véritable ultimatum. C’est ce qui ressort également du commentaire du juge Bustamente exprimé dans son opinion dissidente : « En essayant d’établir la différence entre ce pouvoir d’action du Conseil de sécurité et les pouvoirs de l’Assemblée générale, je dirai que ces derniers sont de nature à respecter toujours et dans toutes les circonstances les limites de la souveraineté des Etats ; et c’est pour cela que les accords de l’Assemblée ne se traduisent que par des discussions, pétitions, recommandations et même par des actions d’une portée restreinte.

 

Mais quand une crise de la paix se produit, la communauté internationale tombe dans une situation anormale ; et alors, en vertu du règlement conventionnel de la Charte, les intérêts souverains des Etats particuliers se placent au dessous de l’intérêt plus fondamental de la communauté et les pouvoirs du Conseil de sécurité font appel à la compulsion et même à la force pour rétablir l’ordre »[368].

 

Finalement, une action devient coercitive lorsque son auteur cesse de discuter, de s’informer, de demander, de prier ou de recommander pour commencer à exiger, en assortissant éventuellement son injonction de menaces. Peu importe le caractère politique, économique ou diplomatique de l’action envisagée, selon peut l’assimi­ ler à un véritable ultimatum.

 

Au terme de cet examen du texte de l’article 2 § 7, on arrive donc à une définition de la contrainte, par l’intermédiaire de la notion de « mesures coercitives » qui y est contenue. Nous allons à présent confronter cette définition à la pratique des Nations Unies, pour déterminer dans quelle mesure elle confirme l’interprétation textuelle.

 

1.2. La pratique des Nations Unies

 

L’examen de la pratique des Nations Unies peut nous éclairer dans la mesure où elle permet de préciser plus concrètement le contenu des termes « mesures coercitives » au sens de la Charte dans son ensemble. Il apparaît difficile de définir la coercition sur la base des seules mesures coercitives adoptées par les organes de l’O.N.U. car ces derniers ne sont, en principe, jamais tenus d’en adopter. Il existe par contre plusieurs hypothèses dans lesquelles ces organes ne peuvent adopter que des mesures non coercitives.

 

En relevant les termes d’actes ou de résolutions dépourvus de caractère coercitif émanant d’organes de I’O.N.U., il nous sera alors possible d’arriver a contrario à une définition plus précise de la notion de coercition. Examinons dès lors les hypothèses dans lesquelles la Charte interdit aux organes qu’elle institue de prendre des mesures coercitives. En ce qui concerne le Conseil de sécurité, nous savons que l’article 2 § 7 lui permet dans certaines circonstances de prendre des mesures coercitives. Mais ce pouvoir est limité.

 

Ainsi, le Conseil de sécurité ne peut se prévaloir de cette disposition pour prendre des mesures coercitives à l’encontre d’Etats non membres de l’O.N.U. Les rapports avec ces derniers restent régis par le droit international général. Celui-ci, par application du principe de non-intervention, ne permet que les mesures non coercitives, en tout cas si ces mesures concernent le « domaine réservé » d’un Etat.

 

Nous ne pourrons donc examiner les résolutions du Conseil de sécurité destinées à des Etats non membres que si elles concernent le domaine réservé de ces Etats. Ceci suppose évidemment une définition fut-ce sommaire de cette dernière notion. Qu’il suffise pour les besoins du développement qui suit de considérer que demeurent dans le domaine réservé de l’Etat toutes les questions pour lesquelles il continue à disposer d’une entière liberté de décision en vertu du droit international.

 

Quant à l’Assemblée Générale, elle ne peut en principe jamais adopter de mesures coercitives, en vertu de l’art. 11 § 2 de la Charte tel qu’interprété par la C.I.J. dans l’affaire concernant Certaines dépenses. Il faut évidemment exclure de notre analyse le cas d’actes comparables au cas exceptionnel de la résolution Acheson, qui octroie des compétences à l’Assemblée dans des matières qui relèvent normalement du Conseil de sécurité, telles que l’autorisation de recourir à la force armée en cas de rupture de la paix ou d’agression.

 

Sous cette réserve, l’ensemble des résolutions adoptées par cet organe peut donc être envisagé pour préciser concrètement ce que recouvrent les mesures non coercitives (v. § 17 et ss.).

 

Le Conseil de sécurité a fréquemment adopté des résolutions s’adressant à des Etats non membres dans des affaires qui relèvent de leur « domaine réservé ». Cela a été le cas chaque fois qu’il s’est adressé à eux pour les inciter à respecter les termes d’une résolution adressée en ordre principal à des Etats membres.

 

Dans ces hypothèses, les Etats non membres, n’étant pas liés par la force obligatoire des résolutions du Conseil, disposent évidemment d’une liberté de décision en vertu du droit international, de sorte qu’on se trouve bien dans le cadre de leur « domaine réservé ». Or, le Conseil de sécurité se garde bien d’exiger quoi que se soit de ces Etats, ce qui n’est pas le cas à l’égard des Etats membres.

 

Ainsi, dans sa résolution 232 du 16 décembre 1966 édictant des sanctions à l’encontre de la Rodhésie, s’il « décide, que tous les Etats membres des Nations Unies empêcheront : ... [suit un ensemble de mesures constituant un embargo commercial], il, « Demande instamment, compte tenu des principes énoncés à l’art. 2 de la Charte des Nations Unies, aux Etats qui ne sont pas membres des Nations Unies de se conformer aux dispositions du paragraphe 2 de la présente résolution ».

 

De même, dans la résolution 253 du 29 mai 1968, il ... «[djécide ... que les Etats membres des Nations Unies empêcheront ... [et que ces mêmes Etats] ... devront... », alors qu’il « Demande instamment ... » aux Etats non-membres d’appliquer cette résolution.

 

Par ailleurs, en 1947, le Conseil de sécurité n’a fait qu’« inviter » l’Albanie, Etat non membre, à accepter un recours devant la Cour internationale de justice pour régler son différend avec la Grande- Bretagne, mesure qui, ici encore, restait de la compétence discrétionnaire de cet Etat et ressortait donc de son domaine réservé. Ces exemples démontrent parfaitement les limites du principe de non-intervention : l’Organisation ne peut intervenir dans les affaires intérieures d’un Etat non membre, qu’on se trouve ou non dans le cadre de « mesures de coercition prévues au chapitre VII ».

 

Les recommandations adressées doivent donc être considérées comme non contraignantes, à partir du moment où elles concernent le domaine réservé des destinataires : on ne voit pas très bien dans le cas contraire ce qui fonderait leur adoption.

 

Cette position du Conseil de sécurité se vérifie-t-elle si on exa­ mine son attitude par rapport aux sanctions prises par des organisations régionales ? Plusieurs organisations régionales ont adopté des mesures destinées à faire pression sur certains Etats, sans demander ni obtenir d’autorisation du Conseil de sécurité. Ainsi, l’O.E.A. a mis en oeuvre contre Cuba une série de sanctions comprenant la rupture des relations diplomatiques et consulaires mais aussi, économiques et financières, pour des motifs tirés notamment du caractère communiste du régime : rien n’était toutefois formellement exigé du régime castriste.

 

Vingt ans plus tard, cette même organisation a réagi aux contre-mesures prises par les pays européens à rencontre de l’Argentine en en « déplorant » l’adoption et en « priant instamment» ces Etats de les lever[369].

 

Enfin, en septembre 1991, l’O.E.A. a condamné la rébellion survenue en Haïti et « demandé le respect de la Constitution et du gouvernement issu de la volonté du peuple librement exprimée » lors des élections de décembre 1990.

 

L’Organisation a ensuite adopté à l’unanimité une résolu­ tion prévoyant la rupture des relations diplomatiques, économiques et financières avec la junte qui avait pris le pouvoir. Elle a aussi décidé l’envoi d’une délégation auprès de la junte haïtienne afin de tenter de convaincre les militaires de se retirer.

 

Ici encore, le Conseil de sécurité n’a pas réagi. Officiellement saisi de la question le jour où l’O.E.A. a annoncé l’embargo, il s’est refusé à adopter une quelconque résolution. Le président du Conseil de sécurité a seulement émis une déclaration par laquelle il « condamnait fermement les graves événements » qui s’étaient déroulés en Haïti[370].

 

Or, l’article 53 de la Charte dispose notamment qu’« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l’autorisation du Conseil de sécurité ». On a interprété la passivité du Conseil de sécurité, surtout dans le premier cas, comme constitutive d’une qualification des mesures en cause de « non coercitives », laissées à la seule appréciation des organisations régionales. Certains en ont conclu que seules les actions militaires étaient coercitives au sens, qui serait particulier, de l’art. 53[371].

 

Cependant, on ne voit pas très bien dans cette hypothèse ce qui pourrait justifier l’adoption de mesures « coercitives » — au sens des autres articles cette fois — économiques, diplomatiques ou autres par les organisations régionales, surtout dans le cas de Cuba qui n’était même plus membre de l’O.E.A. Le principe de non-intervention trouve évidemment pleinement à s’appliquer en cette hypothèse, et il n’est pas limité au domaine militaire.

 

Les mesures coercitives dont il est question à l’art. 53 ne peuvent donc que correspondre à celles du chapitre VII, et à celles de l’art. 2 § 7 de la Charte : toutes doivent être mise en oeuvre sous l’égide du Conseil de sécurité, qui seul peut bénéficier de l’exception à la règle de non-intervention concernant les « mesures de coercition prévues au chapitre VII». Cette position peut s’appuyer notamment sur les travaux préparatoires de la Charte, mais aussi sur les propos de la Cour selon lesquels «... c’est le Conseil de sécurité qui possède le droit exclusif d’ordonner une action coerci­ tive ... », aucun régime particulier n’étant prévu pour les mesures économiques.

 

D’ailleurs, lors de la  crise yougoslave, en 1991, le Secrétaire général des Nations Unies a bien spécifié que la C.E.E. ne pouvait édicter de véritables sanctions, qui restaient l’apanage du Conseil de sécurité[372]. La C.E.E. s’en est d’ailleurs abondamment remise au Conseil, notamment pour tenter de mettre en oeuvre un embargo pétrolier.

 

Dès lors, on pourrait interpréter l’attitude du Conseil de sécurité dans les affaires décrites en considérant qu’il a qualifié les mesures de non coercitives, non en raison de leur caractère non militaire, mais parce qu’elles ne contenaient formellement aucune « exigence » et aucun ultimatum à l’égard de qui que ce soit. Si ceci est particulièrement évident dans l’affaire des Malouines, ce l’est beaucoup moins dans celle de Cuba et, plus récemment, d’Haïti.

 

Ainsi, dans ce dernier cas, les mesures édictées tendaient visiblement à contraindre la junte à céder les pouvoirs, comme en témoigne la déclaration du Secrétaire d’Etat américain James Baker à propos de l’envoi d’une délégation de l’O.E.A. à Port-au-Prince : « nous adressons un message important ... Cette junte est illégitime, elle n’a aucun statut, elle n’a pas sa place parmi notre communauté ; elle n’aura pas d’amis, elle n’aura pas d’avenir ... Si ces mesures ne marchent pas, il faudra en envisager d’autres »[373].

 

Le caractère contraignant des mesures est ici clairement exprimé. On pourrait cependant conclure que le Conseil de sécurité a adopté cette atti­ tude extrêmement formaliste, ce qui serait la seule interprétation qui soit en concordance avec le système de la Charte des Nations Unies. En réalité, le débat semble peu pertinent sur le plan de l’interprétation de l’article 53 de la Charte des Nations Unies. Dans toutes ces affaires, l’inactivité du Conseil de sécurité s’explique essentiellement par des considérations politiques.

 

Ainsi, dans le cas d’Haïti, c’est le blocage de l’Inde, du Yemen, de Cuba et de l’Equateur qui a empêché l’adoption d’une résolution se prononçant sur la question, ces Etats craignant que le Conseil soit saisi dès qu’un coup d’Etat a lieu dans un des Etats-membres[374]. Cette crainte était évidemment politique, le principe de non-intervention invoqué à cette occasion ne trouvant pas à s’appliquer au Conseil en vertu de la réserve contenue à l’article 2 § 7 de la Charte.

 

Le comportement du Conseil de sécurité en pareille occasion ne peut donc être utilisé dans le sens d’une interprétation juridique de la Charte. S’il constitue bien une pratique, celle-ci ne révèle nullement un accord à propos du contenu d’une norme, mais bien un rapport de force dépendant de l’évolution de la situation internationale. On ne peut donc considérer que seules les mesures militaires sont des mesures coercitives au sens de l’article 53.

 

De même, on ne peut conclure que le caractère non contraignant de la formulation — on n’exige rien de l’Etat visé par les mesures — entraîne son caractère non coercitif. Aucun enseignement ne peut donc être déduit de l’activité du Conseil de sécurité dans le cadre de ses relations avec les organisations régionales.

 

L’Assemblée générale ne pouvant adopter des mesures coercitives, l’ensemble des résolutions qu’elle a adoptées pourrait être utilisé pour préciser le contenu concret de la notion de mesures non coercitives. Or, le seul point commun à toutes les résolutions de cet organe est la seule présence d’invitations, de prières ou de recommandations, à l’exclusion, à de rares exceptions près, d’injonctions.

 

La question a ainsi été posée dès les premières années de l’activité de l’Organisation. En effet, l’Assemblée générale a été rapidement amenée à aborder le problème des droits de la personne dans cer­ tains Etats. Une controverse importante s’est alors développée à propos des compétences de l’O.N.U., au cours de laquelle on a invoqué explicitement le principe de non-intervention en prétendant que les droits de la personne relevaient du domaine réservé des Etats en cause[375].

 

Que cela ait été ou non le cas à l’époque, l’Assemblée ne pouvait de toute manière adopter de mesures coercitives à leur encontre. Cela ne l’a pas empêchée de discuter de ces questions et d’adopter trois résolutions en vertu desquelles, elle « exprime le profond souci que lui inspirent les graves accusations portées contre le gouvernement de la Bulgarie et celui de la Hongrie touchant la suppression des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans ces pays ...[376] ; « exprime son intérêt continu et son souci croissant face aux graves accusations formulées contre la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie.. »[377] ; « constate avec inquiétude que des accusations graves continuent d’être portées à cet égard contre les gouvernements de la Bulgarie, de la Hongrie et de la Roumanie ...»[378]. Cet exemple est loin d’être unique.

 

Mais on peut ici encore faire une distinction entre les résolu­ tions portant sur le domaine réservé d’un Etat et les autres. Quant aux premières, l’interdiction pour l’Assemblée générale de prendre des mesures coercitives est double : elle découle statutaire­ ment de l’article 11 § 2 de la Charte, mais aussi, sur le plan du droit international général, du principe de non-intervention. On sait en effet que, contrairement au Conseil de sécurité, l’Assemblée générale ne peut se prévaloir de l’exception des « mesures de coercition prévues au chapitre VII » mentionnée dans l’article 2 § 7 : elle ne peut donc prendre des mesures coercitives sur cette base. Cette double interdiction d’adopter des mesures coercitives n’a pas empêché l’Assemblée générale de prendre des résolutions portant sur le domaine réservé de certains Etats.

 

On peut ainsi mentionner une résolution s’adressant à des Etats non-membres en litige par laquelle l’Assemblée générale « recommande aux gouvernements intéressés : ... (c) de régler les différends de frontières au moyen de commissions mixtes de frontières ou autres méthodes pacifiques de leur choix »[379].

 

On remarquera que la recommandation porte en partie sur des domaines où les choix de l’Etat restent souverains. Par ailleurs, la situation dans plusieurs pays d’Amérique latine a fait l’objet de plusieurs résolutions abordant le domaine des droits de la personne dans ses aspects les plus larges, au travers desquelles l’Assemblée générale « Recommande que les réformes nécessaires soient poursuivies et élargies en El Salvador et en particulier que la réforme agraire y soit effectivement appliquée, de façon à contribuer à la solution des problèmes économiques et sociaux qui sont à l’origine du conflit interne dans ce pays »[380].

 

Il est extrêmement intéressant de constater que l’O.N.U se juge habilitée à traiter de questions aussi inhérentes à la politique interne des Etats que la mise en oeuvre d’une réforme agraire, qui ne fait évidemment pas l’objet d’un engagement international, l’Etat visé restant pleinement souverain. Face à cette double limitation des pouvoirs de l’Assemblée, il apparaît manifeste que l’adoption de recommandations portant sur ces sujets ne peut être fondée, comme dans le cas du Conseil de sécurité, que sur la considération que ces recommandations ne possèdent aucun caractère coercitif.

 

Mais, il arrive plus souvent que des résolutions de l’Assemblée Générale portent sur des matières ne relevant pas du domaine réservé de ses destinataires. Cette fois, l’interdiction de prendre des mesures coercitives est simple : elle ne découle plus que de l’article 11 §2 de la Charte, le principe général de non-intervention n’interdisant pas les mesures portant sur des matières où l’Etat s’est internationalement engagé.

 

Ainsi, l’Assemblée générale réagit parfois à la constatation sur le territoire d’un Etat membre de graves violations des droits de la personne internationalement protégés. Par exemple, après avoir « [e]xprimé sa profonde préoccupation devant les violations massives des droits de l’homme au Guatemala ... », elle « prie instamment le Gouvernement guatémaltèque de faire en sorte que Ies droits de l’homme et les libertés fondamentales soient pleinement respectées par toutes les autorités et tous les organismes de son ressort, y compris les forces de sécurité »[381].

 

De même, l’Assemblée générale « prie instamment le Gouvernement de la République islamique d’Iran, en tant qu’Etat partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de respecter les droits énoncés dans ce Pacte et d’en assurer l’exercice à toutes les personnes vivant sur son territoire et soumises à sa juridiction »[382].

 

La limite à ne pas franchir semble ici encore consister en la formulation d’une véritable exigence ou d’un ultimatum, malgré la gravité des violations du droit international.

 

Le seuil de l’« exigence » a toutefois été franchi en de rares occasions[383] par l’Assemblée générale, notamment lorsqu’elle a traité de la politique d'apartheid en Afrique du sud et de ses répercussions, ou de la politique de l’Etat d’Israël[384].

 

Dans sa résolution 39/72 A du 13 décembre 1984, l’Assemblée exige que toutes les troupes du régime raciste d’Afrique du Sud soient immédiatement et inconditionnellement retirées de l’Angola, qu’il soit mis fin à l’occupation illégale de la Namibie et que l’Afrique du Sud respecte pleinement l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats indépendants ; Exige en outre que le régime raciste d’Afrique du Sud indemnise intégralement l’Angola, le Lesotho et les autres Etats africains indépendants des pertes humaines et matérielles causées par ses actes d’agression », « exige, qu’Israël renonce et mette fin immédiatement à toutes les formes de collaboration avec l’Afrique du Sud, en particulier dans les domaines militaire et nucléaire, et respecte scrupuleusement les résolutions pertinentes de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité »[385].

 

On peut encore citer le point G de cette même résolution, par lequel l’Assemblée générale « [ejxige que les autorités sud-africaines, [...] abrogent les lois discriminatoires [...], démantèlent les structures des Bantoustans, retirent immédiatement leurs troupes du sud de l’Angola et mettent fin à la déstabilisation des Etats de première ligne et d’autres Etats ... ».

 

Cette pratique s’est poursuivie par la suite à l’encontre de ces deux Etats, et s’est étendue dans certains cas à d’autres, l’Assemblée générale « exigeant » par exemple de l’Iraq qu’il libère les ressortissants étrangers qu’il détenait en décembre 1990. Cette pratique de l’Assemblée générale ne remet cependant pas fondamentalement en cause notre interprétation de l’article 2 § 7.

 

D’une manière générale, on remarquera que les formulations d’exigence restent limitées à des cas exceptionnels où les violations du droit international par l’Etat destinataire de la résolution sont particulièrement flagrantes. Dans l’immense majorité des cas, l’Assemblée ne s’estime pas habilitée à exiger, et c’est sur cette base qu’on peut conclure à une pratique interprétative de l’article 11 § 2 de la Charte.

 

A cet égard, on relèvera que les matières concernées ne relevaient assurément pas du domaine réservé de l’Afrique du Sud, d’Israël ou de l’Iraq. L’Assemblée n’exige que le respect de leurs obligations internationales par ces Etats ; on ne peut donc parler à ce sujet d’intervention illicite. Ensuite, il faut remarquer que cet organe ne formule pas de nouvelles obligations à l’égard des Etats déstinataires, mais ne fait qu’énoncer des obligations préexistantes : l’élément coercitif est dans ce contexte davantage rattaché à l’obligation préexistante qu’à l’acte qui constate celle-ci.

 

On se trouve dans une hypothèse toute différente des résolutions du Conseil de sécurité établissant un embargo, par exemple, qui sont, en elles-mêmes, la source de nouvelles obligations, et peuvent dès lors être assimilées de manière autonome à une contrainte. Enfin, à l’occasion des protestations de l’Afrique du sud qui avait accusé l’Assemblée générale d’intervention, un Comité a été créé dès 1953 pour examiner la compatibilité de l’action des Nations Unies en cette matière avec l’art. 2 § 7 de la Charte.

 

Or, il a conclu dans son rapport que l’Assemblée générale a le pouvoir de «procéder à tout examen, puis à formuler toute recommandation » dans le domaine des droits de la personne, sans formuler la possibilité d’émettre une « exigence » ; il a également décidé que l’usage de ces pouvoirs n’est pas une intervention au sens de l’art. 2 § 7 de la Charte.

 

Ses conclusions ont d’ailleurs été approuvées par l’Assemblée générale elle-même dans sa résolution 721 (VIII). L’Assemblée générale a donc reconnu elle-même qu’en vertu de la répartition de compétence avec le Conseil de sécurité, elle ne dispose pas du droit d’exiger quoi que ce soit. Le fait qu’elle ait, dans des cas exceptionnels, opéré en sens inverse, en énonçant des obligations préexistantes, ne modifie pas la règle de base. Cette règle de la répartition des compétences entre l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité est sans doute amenée à s’assouplir dans un proche avenir. L’Assemblée a ainsi, en octobre 1991, « exigé » le rétablissement immédiat du Gouvernement haïtien du président Aristide, qui avait été renversé par un putsch. Ce renversement était considéré par ailleurs comme contraire au droit international — et donc étranger au domaine réservé de cet Etat[386].

 

Quoi qu’il en soit, ceci ne peut évidemment modifier rétroactivement cette règle, de sorte que l’enseignement dégagé par la Cour dans l’affaire concernant Certaines dépenses reste valable à tout le moins pour la période pendant laquelle ont été édictées les résolutions examinées : une action assimilable à une exigence ou à un ultimatum est une action coercitive que l’Assemblée générale ne peut mettre en oeuvre elle-même.

 

Une conclusion similaire peut être tirée à propos de l’activité du Conseil économique et social de l’O.N.U. Cet organe n’est évidemment pas habilité à édicter des mesures coercitives. Or, en vertu de l’art. 62 § 2 de la Charte, ce dernier peut «... faire des recommandations en vue d’assurer le respect effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ».

 

Même si certains Etats ont soulevé à son encontre le principe de non-intervention, le C.E.S. a abondamment fait usage de cette possibilité en s’adressant à plusieurs Etats en particulier, dont quelques Etats non membres[387].

 

Ainsi, des recommandations ont été adoptées contre le Chili, et des rapports ont été établis sur le Kamputchea démocratique, l’Afghanistan, la Pologne, la Bolivie, le Guatemala, le Salvador, l’Iran, ... . Le Conseil a employé systématiquement des termes tels que « recommande », « invite », « propose », « demande instamment », « prie », ou encore « décide de recommander », ... Il s’est donc toujours limité à des formules exhortatoires et n’a pas exigé de ces Etats un comportement particulier.

 

On peut en dire autant des activités de la Commission des droits de l’homme, instituée par le C.E.S. en application de l’art. 68 de la Charte. Une fois de plus, on constate que la formulation de recommandations ou d’invitations est permise et ne doit pas être considérée comme coercitive. Le libellé même de l’art. 62 § 2 démontre d’ailleurs à suffisance que les Etats ont, en matière de droits de la personne, voulu étendre les pouvoirs de l’O.N.U., à condition toutefois que ceux-ci restent limités à des recommandations.

 

Pour reprendre les termes d’un commentaire autorisé des travaux préparatoires de cette disposition, « La question du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales était, dans l’esprit des rédacteurs de la Charte, un terrain d’intervention privilégié et prioritaire de l’organisation internationale : malgré le domaine réservé de l’article 2, paragraphe 7, on a clairement manifesté l’intention que le Conseil économique et social dispose de la compétence d’adresser des recommandations au-delà de ses partenaires habituels et naturels. L’intérêt porté au respect effectif des droits de l’homme était ainsi institutionnalisé dans la Charte »[388]. Cet enseignement représente un élément supplémentaire permettant de déterminer le caractère non contraignant de certaines réactions à une violation des droits de la personne. On peut en dire autant des discussions ayant porté sur le régime franquiste à l’O.N.U. en 1946.

 

L’examen de la question espagnole à 1’O.N.U. nous permettra de vérifier sur la base d’un cas concret les conclusions dégagées à partir d’un examen général des activités de l’Organisation.

 L’immédiat après-guerre constitue probablement la période qui présente le plus de similitudes avec la situation actuelle, dans la mesure où un consensus politique, fût-il minime, existait alors entre les Etats membres des Nations Unies. Dans ce contexte particulier, ces Etats avaient tenté de faire pression sur les régimes politiques qui ne cadraient pas avec la légitimité qui prévalait au sein de l’O.N.U. à l’époque, et ce alors qu’ils étaient soumis au respect du principe de non-intervention, particulièrement à l’égard d’un Etat non membre comme l’Espagne. La question espagnole fut ainsi la première à donner lieu à une controverse à propos de l’application de l’art. 2 § 7[389].

 

Dès 1945, les Etats-Unis, l’U.R.S.S. et la Grande-Bretagne affirment qu’ils s’opposeront à toute entrée de l’Espagne franquiste à l’O.N.U., déclaration d’intention déjà exprimée par l’ensemble des Nations réunies à San Francisco et réaffirmée à travers une résolution de l’Assemblée Générale lors de sa première session.

 

Le 4 mars 1946, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis rendent publique une déclaration dans laquelle on peut lire ; « ... tant que le général Franco continue à gouverner l’Espagne, le peuple espagnol ne peut pas espérer une collaboration cordiale et entière avec les nations du monde ...». Les trois puissances y « souhaitent » ensuite « ... le départ pacifique de Franco, l’abolition de la Phalange et l’établisse­ ment d’un gouvernement provisoire ou chargé de l’expédition des affaires courantes, sous la conduite duquel le peuple espagnol puisse avoir l’occasion de définir le type de gouvernement qu’il désire se donner et choisir ses représentants ... ».

 

Sur cette base, le Conseil de sécurité nomme le 29 avril 1946 un « sous-comité » chargé d’étudier la question espagnole. Celui-ci rendra un rapport destiné à servir de base à l’adoption de mesures par les Nations Unies. Ce rapport présente le plus haut intérêt pour la définition des mesures coercitives. Le sous-comité commence en effet par y affirmer qu’aucune mesure de coercition ne peut être ordonnée par le Conseil de sécu­ rité, aucune rupture de la paix, menace à la paix ou aucun acte d’agression n’étant démontré. Il se demande ensuite quelles sont les mesures, par hypothèse non coercitives, que peut prendre l’O.N.U.

 

Le sous-comité rappelle alors que « Le Conseil de sécurité a le pouvoir, ..., de recommander des procédures ou des méthodes d’ajustement appropriées à une situation de ce genre. II n’est pas doté de pouvoirs d’exécution comme il en est prévu au chapitre VII, mais il a le devoir de trouver les méthodes d’ajustement qu’appelle la situation dont il s’agit ... ».

 

Par ailleurs, « ... la Charte confère également à l’Assemblée générale le pouvoir de s’occuper de situations de cette nature ... [elle a le pouvoir] de formuler des recommandations visant les mesures propres à assurer l’ajustement pacifique de toute situation ... ».

 

Le sous-comité conclut dans son rapport que le Conseil de sécurité a « le droit de recommander » les mesures nécessaires. Il propose ensuite au Conseil de « ... faire siens les principes énoncés dans la déclaration des Gouvernements du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de la France, en date du 4 mars 1946 » et de « ... transmettre à l’Assemblée Générale la documentation au terme de laquelle, à moins que le régime de Franco ne soit aboli et que les autres conditions de liberté politique indiquées ne soient, au jugement de l’Assemblée générale, pleinement remplies, cette dernière vote une résolution recommandant que chaque membre des Nations Unies rompe immédiatement les relations diplomatiques avec le régime franquiste ».

 

L’affaire sera effectivement transmise à l’Assemblée générale, qui adoptera le 12 décembre 1946 la résolution 39 (I) par laquelle, « convaincue que le gouvernement fasciste de Franco en Espagne, ..., ne représente pas le peuple espagnol et rend impossible, tant qu’il restera au pouvoir en Espagne, la participation du peuple espagnol aux affaires internationales avec les autres peuples des nations Unies », elle « recommande que l’on empêche le Gouvernement espagnol franquiste d’adhérer ... [aux institutions spécialisées] ; « Recommande que, si, dans un délai raisonnable, il n’est pas établi un gouvernement tenant autorité du consentement des citoyens, qui s’engage à respecter la liberté de parole, de culte, de réunion, et à organiser sans délai des élections par lesquelles le peuple espagnol, libéré de toute contrainte ou intimidation, et sans considération de partis, puisse exprimer sa volonté, le Conseil de sécurité étudie les mesures adéquates à prendre pour remédier à cette situation, « Recommande, dès maintenant, à tous les Membres des Nations Unies, de rappeler les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires qu’ils y ont accrédités ».

 

Finalement, l’affaire en restera là, le début de la guerre froide ayant subitement raison de la détermination des Etats occidentaux de renverser le régime franquiste : l’Espagne est même admise aux Nations Unies en 1955.

 

Dans chacun des documents détaillés ici, on constate qu’est opéré une qualification, un jugement de valeur sur le régime visé, en ce compris des aspects internes. On va même jusqu’à formuler des souhaits quant à la forme d’un futur gouvernement et à la façon de diriger le pays.

 

Cependant, lorsqu’ils tirent les conséquences de leur qualification, les auteurs de ces résolutions se gardent bien de formuler un véritable ultimatum à l’encontre du régime franquiste, du moins explicitement. Il semble bien que ce soit cette limite qu’ils considèrent ne pas pouvoir dépasser.

 

Il faut à cet égard rappeler que, dès le début de l’examen de cette question, plusieurs Etats avaient mis en garde l’Organisation contre le danger d’une intervention dans les affaires intérieures de l’Espagne, Etat non membre. Le sous-comité confirme ce point de vue lorsque, après avoir affirmé que seules des mesures non coercitives pouvaient être mises en oeuvre, il limite ces dernières à des recommandations et exclut les actions assimilables à un véritable ultimatum. Il permet par ailleurs, en renvoyant à la déclaration des trois puissances, la formulation de jugements extrêmement sévères à propos du régime politique interne d’un Etat.

 

Au terme de cet examen sommaire des sources en matière d’intervention, nous sommes amenés à conclure à une interprétation plutôt extensive du droit souverain de chaque Etat de réagir à des événements qui se sont déroulés à l’intérieur d’un autre. Cette position découle d’abord de l’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies, qui ne peut s’interpréter que comme permettant toute réaction non coercitive.

 

La pratique des organes de l’O.N.U. légitime sur cette base des actes comme une discussion, une recommandation ou une demande publiques. Elle range par contre au rang des mesures coercitives les actes assimilables à un ultimatum, qui restent en principe l’apanagè du Conseil de sécurité. Les Etats agissent d’ailleurs quotidiennement en ce sens dans leurs relations bilatérales ou multilatérales ; ils mettent en oeuvre des moyens de pression dans tous les domaines, sans s’estimer habilités à exiger un comportement de l’Etât visé.

 

Enfin, le seul précédent jurisprudentiel décisif confirme totalement ce point de vue. Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, la Cour a qualifié les mesures nord-américaines prises contre le Nicaragua de non-contraignantes : la seule motivation possible semble être la prise en compte de leur formulation non impérative.

 

Ainsi, le principe de non-intervention, parfois énoncé en termes particulièrement larges, se trouve en pratique singulièrement réduit. La pratique examinée démontre un certain accord de base entre les Etats sur le contenu de cette règle, et en particulier sur celui de la notion de « contrainte » qui est systématiquement rappelée.

 

On nous rétorquera peut-être que certains Etats ont invoqué le principe de non-intervention dans de toutes autres circonstances. Le fait est indéniable, mais il ne remet pas en cause ces conclusions. D’abord, l’adoption de déclarations ne peut revêtir un certain sens que si elles s’accompagnent d’un comportement qui concorde avec elles. Or, il est indiscutable que tous les Etats effectuent ouvertement certaines pressions sur d’autres dans la conduite de leurs relations extérieures, pressions qu’ils qualifient souvent d’ingérence ou d’intervention illicite lorsqu’ils en sont eux-mêmes les victimes[390].

 

Ensuite, il est évident que la plupart des accusations relèvent non pas de l’interprétation d’une règle de droit, mais de l’utilisation d’arguments politiques dirigés en priorité vers l’opinion publique. Pour ces raisons, il y a lieu à notre sens de s’en tenir à la fois à la lettre de la règle de non-intervention et à la pratique unanime des Etats et des organisations internationales, qui n’interdisent ni les discussions, ni les prières, ni les recommandations, mais seulement les ultimatums.

 

On ne manquera probablement pas de se poser des questions sur la définition de ce que constitue un « ultimatum », afin d’affiner encore le contenu de la notion de contrainte. Un premier point est acquis : si un Etat exige, enjoint ou ordonne explicitement à un autre Etat d’adopter un comportement, il y a bel et bien ultimatum. Mais la situation est extrêmement rare, précisément parce que les Etats s’accordent pour reconnaître qu’il s’agit là d’une intervention.

 

Il existe cependant toute une série de situations où, sans exiger formellement qu’un autre Etat adopte un comportement qui relève de sa souveraineté, on exige, en fait, qu’il l’adopte. On peut ranger parmi elles le cas des mesures prises par l’O.E.A. contre Cuba, les Etats-Unis contre le Nicaragua ou certains trains d’austérité imposés indirectement par le F.M.I. Dans tous ces précédents, la contrainte se définit aussi par la référence à l’ultimatum, mais cet dernier, n’étant pas formulé explicitement, doit être déduit d’autres facteurs.

 

Cette pratique ne va pas à l’encontre de la définition de la contrainte par référence à l’ultimatum. Au contraire, on constate que lorsque les Etats veulent exiger quelque chose, ils n’osent pas le faire ouvertement : c’est donc bien qu’ils considèrent qu’il existe une obligation de ne pas formuler un ultimatum. La difficulté consiste plutôt à qualifier une action de contrainte implicite. Or, comme le relevait déjà Rougier en 1910, ... « la limite entre ces procédés de contrainte et les suggestions amicales restent extrêmement délicates à tracer »[391]. Plusieurs critères peuvent toutefois être relevés.

 

D’abord, il faut rappeler l’existence de ce qu’on appelle l’« intervention indirecte ». Si un Etat aide une force d’opposition qui, elle-même, adopte un comportement coercitif à l’encontre de son gouvernement, il pose évidemment un acte de contrainte. C’est sur cette base que les Etats-Unis ont été condamnés pour leur soutien aux contras : « La Cour considère qu’en droit international si un Etat, en vue de faire pression sur un autre Etat, appuie et assiste, dans le territoire de celui-ci, des bandes armées dont l’action tend à renverser son gouvernement, cela équivaut à intervenir dans ses affaires intérieures, et cela que l’objectif politique de l’Etat qui fournit appui et assistance aille ou non aussi loin »[392].

 

On ne peut donc fournir aucune aide à des forces opposition utilisant des moyens coercitifs. Une exception importante mérite toutefois d’être soulignée. La Cour précise en effet dans son arrêt qu’une aide strictement humanitaire, accordée sans discrimination « ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au droit international ». Une aide humanitaire n’est donc jamais, assimilée à une contrainte, quels que soient ses destinataires. Les autres types d’aide ne le sont en principe pas non plus si l’opposition agit de manière pacifique.

 

Ensuite, ces cas d’« intervention indirecte », la contrainte peut découler de la démonstration de l’intention coercitive de l’Etat agissant. La doctrine se réfère souvent à ce critère[393]. Cependant, des problèmes de preuve compliquent considérablement sa prise en compte : ce n’est pas sans raison que la Cour a préféré recourir à l’« intervention indirecte » pour condamner les Etats-Unis, en refusant d’examiner les déclarations d’officiels américains qui démontraient clairement une intention coercitive : « La Cour n’estime cependant pas nécessaire de chercher à établir si l’intention des Etats-Unis — obtenir un changement des politiques gouvernementales au Nicaragua — était telle qu’on puisse l'assimiler à un effort tendant à renverser le Gouvernement du Nicaragua »[394].

 

Dans le même arrêt, elle considère même que les mesures économiques prises par cet Etat n’étaient pas contraignantes, malgré les intentions apparemment claires des Etats-Unis de renverser le gou­ vernement sandiniste à l’aide de ces mesures. On peut en tout cas éliminer sur base du critère de l’intention les mesures prises par un Etat pour assurer, en priorité, sa propre sécurité. Ainsi, Dominique Carreau estime qu’en matière économique, « ... un embargo alimentaire de ‘protection’ pourra aisément être qualifié de licite s’il a pour but d’éviter une disette de la population locale ou une désorganisation du marché ; en revanche, il n’en ira pas de même en présence d’un « embargo de coercition » destiné à obtenir d’un pays déterminé un avantage ou une concession qu’il n’est pas disposé à accordé »[395].

 

Les problèmes de preuve ne seront certes pas totalement résolus, puisqu’il faudra démontrer que ces mesures sont bien justifiées de manière immédiate par le rétablissement d’une sécurité intérieure. Le critère de l’intention ne peut donc être utilisé qu’avec énormément de prudence.

 

C’est pourquoi, enfin, on peut aussi faire appel à d’autres indices plus tangibles. Ainsi, si un Etat profère des menaces à l’égard d’un autre s’il n’adopte pas un comportement, on peut présumer qu’il exige cette adoption et qu’il pose un ultimatum[396].

 

De même, les demandes insistantes, réitérées malgré le refus de l’Etat destinataire, démontrent une tendance à la coercition[397]. Enfin, il faut tenir compte du rapport de forces existant entre les deux Etats, qui peut dans certaines circonstances transformer une simple invitation en véritable exigence[398]. A cet égard, on peut aussi relever le critère de l’absence totale et absolue de choix réel du destinataire de la mesure : si tel est le cas, on doit assimiler cette mesure à un ulti­ matum, même s’il n’est pas formulé explicitement.

 

Par ailleurs, sur le plan de l’imputabilité, pour considérer qu’un Etat exige quelque chose d’un autre, il faut que l’auteur de l’ultimatum soit habilité à l’émettre cette exigence. Il ne saurait évidemment s’agir d’une personne privée, dont les actes n’engagent pas internationalement l’Etat. Dès lors, les accusations d’intervention dirigées contre des journalistes ou des médias qui critiquent le comportement d’un acteur de la politique interne d’un autre Etat sont sans pertinence.

 

La seule limite en la matière est l’obligation de « diligence due » pesant sur chaque Etat, en vertu de laquelle il est tenu d’empêcher, selon ses moyens, les particuliers sous son contrôle d’adopter un comportement assimilable à un ultimatum dirigé contre un autre Etat. On pense en particulier à des entreprises multinationales — dont chaque filiale reste soumise au contrôle de l’Etat sur le territoire duquel elle se trouve — qui pourraient mettre en oeuvre une politique directement dirigée contre le gouvernement d’un Etat étranger. Le précédent du Chili est là pour rappeler l’efficacité de pareils moyens de pression utilisés avec la complicité d’Etats puissants.

 

A cet égard, il faut rappeler que l’obligation de diligence est renforcée par l’existence de « codes de conduite » destinés aux entreprises et que les Etats s’engagent à faire respecter. Il doit donc s’agir d’un organe apte à engager l’Etat internationalement : Chef d’Etat, membre du Gouvernement, Ambassadeur, ... Quant aux organes qui n’ont que peu de rapports avec la politique étrangère, leurs déclarations engagent l’Etat en tant qu’acte, mais non en tant qu’engagement faisant naître une nouvelle obligation internationale.

 

Dès lors, un simple agent ne peut non plus exiger quoi que ce soit d’un Etat étranger. Cependant, en pratique, on pourrait considérer dans des cas particulièrement mineurs qu’il n’existe pas de véritable contrainte car la déclaration mise en cause serait manifestement en discordance avec la véritable politique de l’Etat.

 

On sera peut-être quelque peu déçu du degré de précision relativement faible atteint par l’ensemble de ces critères. Il reste difficile de définir rigoureusement l’« ultimatum », et donc la contrainte. Il est évident que les divergences de positions persistent ; elles ont déjà été évoquées à propos de certains sujets comme la conditionnalité dans le cadre du F.M.I. Elles témoignent du flou qui règne en ce domaine, imprégné de considérations politiques et qui se prête mal à une catégorisation juridique rigide. Tout semble à cet égard être question d’espèce, une généralisation restant extrêmement difficile à réaliser. Ceci ne doit pas ôter sa valeur au critère de l’ultimatum ». Il permet en effet d’écarter sûrement toute une série de réactions à des événements se déroulant à l’extérieur d’un Etat, notamment dans le domaine des droits de la personne.

 

On ne peut ainsi qualifier d’intervention une simple critique, fut-elle exprimée publiquement, mais aussi la formulation de demandes ou de recommandations, pourvu qu’on ne puisse les assimiler à des ordres. De même, la pratique permet en matière économique de nouer ou de rompre ses relations selon les critères qu’on juge opportuns, et même d’en avertir officiellement un Etat. Tous ces actes ne peuvent être qualifiés de contrainte et dès lors d’intervention illicite. Il est donc totalement inutile de parler dans cette hypothèse d’un « droit » ou d’un « devoir d’ingérence ». Mais, à l’inverse, toute contrainte n’est pas pour autant interdite.

 

Nous savons en effet que la règle de non-intervention suppose deux éléments distincts : la contrainte, ci-haut définie, mais aussi le « domaine réservé » dans lequel doit s’exercer cette contrainte.

 

A l’issue de ce qui précède, nous avons éliminé toute une série de mesures en raison de leur caractère non contraignant. Il faut encore déterminer, parmi les mesures contraignantes, lesquelles s’exercent dans le domaine réservé et sont donc assimilables à une intervention illicite.

 

Section 3. LA REGLE DE NON-INTERVENTION FACE A LA CONTRAINTE NE PORTANT PAS SUR LES DROITS SOUVERAINS DE L’ETAT.

 

Certains Etats ont invoqué implicitement ou explicitement l’obligation de non-intervention pour justifier leur passivité à l’égard d’autres Etats qui s’étaient rendus coupables de graves violations du droit international.

 

Les Etats ont fréquemment protesté contre ce qu’ils considéraient comme une intervention dans leurs affaires intérieures, dans les situations les plus diverses. Ce fut le cas à la suite d’actions extérieures qui visaient à renverser un gouvernement, à influer sur la composition de celui-ci, à infléchir la politique économique d’un Etat, à soutenir l’un ou Pautre protagoniste d’une guerre civile, ou, moins dramatiquement, d’une campagne électorale, à fournir une aide humanitaire à certaines populations ...

 

C’est aussi sur cette base que les anciennes métropoles s’opposaient à la mise en cause sur le plan international de la poursuite d’une domination coloniale. La France, par exemple, s’est opposée de 1955 à 1958 à ce que la question algérienne figure à l’ordre du jour de l’Assemblée générale car l’Algérie faisait partie de son territoire et la lutte qui s’y déroulait relevait donc essentiellement, selon elle, de sa compétence nationale[399].

 

C’est en invoquant pareillement l’intervention dans les affaires intérieures que de nombreux Etats rejettent les accusations qui sont portées contre leur politique en matière de droits de la personne. Ainsi, récemment encore, la Chine a exprimé « sa ferme indignation et son profond regret » à la suite du vote par le Parlement européen en avril 1989 d’une résolution portant sur la violation des droits de la personne par la Chine au Tibét, considérée par cet Etat comme une immixtion dans ses affaires intérieures.

 

Le gouvernement roumain a qualifié de la même manière une démarche effectuée début 1989 par la Coopération politique européenne qui visait à lui demander des informations sur la situation de citoyens roumains ayant protesté contre la politique gouvernementale[400].

 

De même, les accusations lancées par la presse belge concernant la situation des droits de la personne au Zaïre ont été en 1989-1990 à la base d’une crise importante entre la Belgique et son ancienne colonie, dont les autorités considéraient que pareilles accusations constituaient « une ingérence et une immixtion dans ses affaires intérieures »[401].

 

Le contenu donné par les Etats aux notions d’affaires intérieures ou de compétence réservée apparaît, sur base de ces déclarations, particulièrement variable. Il convient donc pour le préciser de confronter ces déclarations aux critères servant à déterminer le contenu du « domaine réservé », avant d’appliquer ces critères à la matière des droits de la personne.

 

1. Critères déterminant le contenu du « domaine réservé »

 

Les instruments internationaux qui prohibent l’intervention dans ces domaines n’en donnent aucune définition précise. Nous venons en effet de constater que l’intervention qu’interdit le droit international de la part des Etats est celle qui se fait dans les « affaires intérieures » (rés. 1514 (XV)) ou dans les « affaires intérieures ou extérieures » (rés. 2131 (XX), 2625 (XXV) et 36/103) d’un autre Etat, l’article 2 § 7 évoquant « des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ».

 

Quoique leurs destinataires ne soient pas identiques (les Etats dans le premier cas, l’Organisation internationale dans le second) et que la terminologie varie d’un type d’instrument à l’autre, il apparaît que l’étude de la pratique à laquelle a donné lieu l’application ou l’invocation de l’article 2 § 7 de la Charte permettra de préciser le contenu de ce que nous appellerons génériquement le « domaine réservé » de l’Etat.

 

Les buts poursuivis par les rédacteurs de l’article 2 § 7 de la Charte et par les promoteurs des résolutions susmentionnées de l’Assemblée Générale sont en effet identiques : il s’agit dans les deux cas de laisser « des objets de réglementation législative ou d’activité administrative [...] à la disposition des Etats souverains pour les traiter librement selon leurs conceptions nationales »[402].

 

Par ailleurs, il n’y a aucune raison de penser que les Etats aient une conception distincte des critères déterminant le contenu de la notion de « domaine réservé » dans et hors du cadre de l’O.N.U. : les différences ne pouvant éventuellement porter que sur le contenu même de ce domaine. C’est pourquoi nous déterminerons ces critères sur base de diverses sources, notamment dans le cadre de l’O.N.U.

 

Nous énoncerons d’abord le critère fondamental permettant de définir le « domaine réservé », avant d’examiner les conséquences de son application.

 

1.1. Le critère de l’engagement international

 

Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que c’est l’existence d’un engagement international qui constitue le critère fondamental en la matière. Cette constatation n’est pas nouvelle, puisque l’article 2 §7 reprend — en des termes plus extensifs — l’interdiction que faisait l’article 15 § 8 du Pacte de la S.d.N. au Conseil de ne « recommander aucune solution » aux différends portant « sur une question que le droit international laisse à la compétence exclusive » des Etats qui y étaient parties[403]. La C.P.J.I. a rapidement précisé que ces termes recouvraient « certaines matières qui, bien que pouvant toucher de très près aux intérêts de plus d’un Etat, ne sont pas, en principe, réglées par le droit international »[404].

 

La Cour ajoute qu’« en ce qui concerne ces matières, chaque Etat est seul maître de ses décisions ». Cette référence au droit international allait par la suite constamment être réaffirmée. Ainsi, les résolutions 1514 (XV), 2131 (XX), 2625 (XXV) et 36/103 de FAssemblée générale, si elles ne contiennent aucune définition précise, laissent entendre que cette notion recouvre en tout cas les « droits souverains » de l’Etat, droits qui, par définition, ne sont pas limités par un engagement international.

 

Dans son arrêt de 1986, la Cour internationale de Justice est plus explicite puisqu’après avoir affirmé que « l'intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d’eux de se décider librement », elle précise que les domaines visés sont ceux « où chaque Etat jouit d’une entière liberté de décision en vertu du principe de souveraineté ».

 

Plus loin, alors qu’elle est amenée à appliquer ces principes, elle définit on ne peut plus clairement le domaine réservé en énonçant que : « les orientations politiques internes d’un Etat relèvent de la compétence exclusive de celui-ci, pour autant, bien entendu, qu’elles ne violent aucune obligation de droit international ».

 

La Cour examine ensuite longuement si le Nicaragua a conclu des engagements internationaux dans les matières qui ont fait l’objet d’une intervention des Etats-Unis. C’est sur base d’une réponse négative qu’elle conclut à l’existence d’une intervention illicite. C’est donc ici aussi l’existence d’une obligation internationale pour un Etat dans une matière particulière qui fera sortir cette matière de ses affaires intérieures. L’examen de la pratique interétatique en dehors du cadre de l’O.N.U. confirme ce point de vue. Ainsi, à l’occasion de la crise de l’été 1991 en Union soviétique, la C.E.E. a mené une politique de pressions pour que cet Etat adopte une politique conforme à ses engagements internationaux et lui a demandé la « stricte application » de ceux-ci[405].

 

Au cours d’un entretien télévisé diffusé dans le même contexte, le Président Mitterrand a rejeté la qualification d’intervention donnée aux réactions occidentales en rappelant qu’il ne s’agissait que d’obtenir le respect des engagements internationaux souscrits par l’Union soviétique[406].

 

Enfin, la doctrine adopte la même solution. Selon Bindschedler, «le domaine réservé est celui des activités étatiques où la compé­ tence d’Etat n’est pas liée par le droit international»[407]. Comme l’exprimait récemment le professeur Bin Cheng, l’Etat « est libre d’agir comme il l’entend dans toute affaire qui relève de sa 'compétence nationale’, autrement dit pour tout ce qui ressort de sa souveraineté juridique, pourvu qu’il ne soit pas limité en son exercice par une règle du droit international général ou une obligation qui lui incombe, directement ou indirectement, en vertu d’un traité »[408].

 

Aucun auteur ne semble aujourd’hui soutenir une thèse contraire : la théorie classique, qui affirmait que certains domaines relevaient « par nature » du domaine réservé des Etats, ne fait plus guère d’émules depuis longtemps. De même, l’article premier de la résolution adoptée par l’institut de droit international en 1954 définit le domaine réservé comme « celui des activités étatiques où la compétence de l’Etat n’est pas liée par le droit international « et précise que « l'étendue de ce domaine dépend du droit international et varie suivant son développement ».

 

La solution est donc claire et la conséquence en est, aux termes de l’article 3 de la même résolution, que « la conclusion d’un engagement international dans une matière relevant du domaine réservé exclut la possibilité pour une partie à cet engagement d’opposer l’exception du domaine réservé pour toute question se rapportant à l’interprétation ou à l’application dudit engagement ».

 

Il ressort de ces considérations que toute action visant à contraindre un Etat à respecter ses obligations internationales ne constitue pas une intervention illicite. Dès lors, il est complètement erroné d’évoquer dans cette hypothèse l’existence d’un « droit d’ingérence ». Plusieurs questions concernant l’application de ce critère de l’engagement international restent toutefois à résoudre.

 

1.2. Les conséquences de l’application du critère de l’engagement international

 

La première conséquence de cette référence au droit international est le caractère essentiellement variable du domaine réservé. Le domaine réservé est d’abord variable dans le temps. On connaît le dictum de la C.P.J.I. qui a posé le principe fondamental du caractère évolutif du domaine réservé en soulignant que « la question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine exclusif d’un Etat est une question essentiellement relative : elle dépend du développement des rapports internationaux »[409].

 

Cette conclusion s’impose si l’on suit le raisonnement de Georges Scelle, selon lequel « la règle de droit étant l’expression de la solidarité sociale, l’ordre juridique international peut seul constater et définir le domaine de la solidarité internationale, déterminer la répercussion des rapports juridiques internes sur les rapports juridiques internationaux et, par la suite, déclarer à quel moment un rapport de droit cesse d’être national pour devenir international. [...] Il n’y a pas d’autre alternative pour un système juridique superposé que de régir ou de disparaître, car s’il abandonnait la délimitation des compétences des ordres juridiques intérieurs, il n’aurait plus de raison d’être[410]. Et l’éminent auteur de conclure qu’« il n’existe pas de domaine qui soient par nature réservés au droit interne et d’autres au droit international », ce qui nous paraît conserver toute sa pertinence, même si l’article 2 § 7, au contraire de son prédécesseur, ne se réfère plus expressément à une compétence qui serait laissée aux Etats par le droit international.

 

C’est d’ailleurs cette solution qui est consacrée par les travaux qui se sont déroulés au sein de l’O.N.U.[411] et par les résolutions de l’institut de droit international. Mais le domaine réservé est aussi variable « dans l’espace ». Il existe des matières que tous les Etats ont soustrait à leur domaine réservé, comme l’interdiction de l’agression, le droit à l’auto-détermination ou certains droits fondamentaux de la personne.

 

Cependant, toute une série d’autres domaines ne font l’objet d’engagements internationaux que de la part de certains Etats. Le domaine réservé de ces derniers s’avère donc plus restreint que celui des premiers. Mais il y a plus. Chaque Etat ne s’engage pas à l’égard de tous les autres dans certains domaines, mais choisit restrictivement les destinataires de ses obligations.

 

Autrement dit, il y a autant de corps de règles différents qu’il existe de relations entre sujets de droit international distincts. La conséquence logique de cette constatation est qu’il existe aussi autant de domaines réservés. En conséquence, un Etat pourra affirmer qu’une matière relève de son domaine réservé à l’égard de tel Etat mais pas à l’égard de tel autre. Dès lors, une intervention dans ladite matière sera ou non interdite selon son auteur. Mais, en tous les cas, «les critères sont juridiques, la délimitation est tranchée.

 

Dans toute situation donnée, vis-à-vis d’un Etat déterminé, une affaire relève ou non de la compétence nationale exclusive d’un Etat ». Ces principes ont été appliqués par la C.I.J. dans l’affaire que nous avons déjà citée. En effet, après avoir constaté que le Nicaragua n’avait souscrit qu’une simple promesse politique à l’égard de l’O.E.A. dans le domaine qui avait fait l’objet de l’intervention américaine, elle affirme que « à supposer même que cette promesse politique ait eu valeur d’engagement juridique, elle n’aurait nullement pu permettre aux Etats-Unis de réclamer la mise en oeuvre d’un tel engagement, pris non pas envers eux directement mais à l’égard de l’Organisation, seule habilitée à en vérifier l’exécution ».

 

Seule l’O.E.A. aurait donc pu exiger l’exécution d’une obligation internationale dont elle était l’unique destinataire. Ce passage démontre donc bien que le domaine réservé varie selon les rapports internationaux envisagés.

 

La deuxième conséquence de l’application du critère de l’engagement international pour déterminer l’étendue du domaine réservé est que cette détermination n’est pas laissée au seul jugement de l’Etat visé. A l’origine, il semble qu’on ait voulu laisser le soin à chaque Etat de délimiter unilatéralement son « domaine réservé ».   

 

Mais cette interprétation restrictive a été totalement abandonnée dans la pratique. Ainsi, la C.I.J. s’est à plusieurs reprises estimée habilitée à déterminer le contenu du domaine réservé de certains Etats qui prétendaient parfois unilatéralement en déterminer le contenu. Nous avons déjà évoqué la récente affaire des Activités militaires et 'paramilitaires au Nicaragua ; il faut y ajouter les affaires Interhandel et des Traités de paix où la Cour a affirmé que l’interprétation des clauses d’un traité « ne saurait être assimilée à une question relevant essentiellement de la compétence nationale. C’est une question de droit international ...».

 

La jurisprudence d’autres instances va en ce sens : la Cour de Strasbourg a rejeté à plusieurs reprises des exceptions d’incompétence fondées sur le domaine réservé. Enfin, dans la pratique des Nations Unies, jamais un Etat n’a pu soustraire une affaire à l’appréciation d’organes de l’O.N.U. sous prétexte qu’elle relevait selon lui de son domaine réservé.

 

La notion d’intervention n’échappe donc pas aux règles classiques du droit international relatives à la qualification : chaque sujet qualifie unilatéralement, mais sa qualification ne s’impose à personne, seule une instance de règlement de différend étant susceptible de régler une divergence d’appréciation. Rien n’empêche donc un Etat de réagir à une violation du droit international commise par un autre Etat, moyennant un contrôle ultérieur éventuel.

 

L’application du critère de l’engagement international pose enfin le problème suivant : une situation constitutive d’une menace à la paix sort-elle ipso facto du domaine réservé des Etats en cause ? Plusieurs auteurs répondent positivement à cette question. Par exemple, Alf Ross prétend que : « Dès l’instant où l’affaire prend une tournure telle qu’elle risque de compromettre la paix, il est exclu, par définition, de la considérer comme relevant de manière essentielle de la compétence d’un Etat donné »[412].

 

Cette solution ne saurait cependant être admise si on retient l’application du critère de l’engagement international. En effet, aucun Etat ne s’est engagé à ne pas créer une situation qui « risque » de « menacer la paix », le recours à la force — ou la menace d’y recourir — devant être effectif — ou effective — pour être illicite. Ceci n’a rien à voir avec les pouvoirs de l’O.N.U. de traiter de la question. La Charte permet aux organes de se saisir de certaines questions relevant des affaires internes des Etats, la pratique ayant démontré les possibilités de discussion ou de recommandation en ces matières. Quant aux pouvoirs de contrainte, ils sont expressément prévus dans l’article 2 § 7 qui reserve le cas des mesures de coercition prévues au chapitre VII. Cette exception n’a d’ailleurs de sens que si ces mesures peuvent concerner des domaines réservés puisque, dans l’hypothèse inverse, l’intervention serait de toute façon admise.

 

En conséquence, domaine réservé et menace à la paix sont deux notions distinctes. Le Conseil de sécurité s’est vu conférer par les Etats membres un droit d’action coercitive dans toute situation d’agression, de rupture de la paix mais aussi de menace contre la paix, peu importe que l’affaire relève ou non du domaine réservé d’un Etat. Si tel est le cas, on pourrait alors parler de « droit » ou même de « devoir d’ingérence » du Conseil de sécurité dans certaines conditions que nous examinerons ultérieurement. Ce pouvoir est d’autant plus discrétionnaire que la qualification de la situation est du seul ressort du Conseil de sécurité[413].

 

1.3. Application de ces critères aux droits de la personne

 

Les droits de la personne relèvent-ils du domaine réservé des Etats ? C’est souvent en ces termes que la question d’une réaction à des violations de droits de la personne a été discutée. A l’origine, la plupart des auteurs soutenaient que les droits de la personne relevaient de la compétence exclusive des Etats, et ce sur base d’une interprétation des travaux préparatoires de la Charte.

 

Pour reprendre les termes d’un auteur de l’époque ; « En bref, les Puissances invitantes consentaient bien à insérer dans la Charte des dispositions destinées à sauvegarder les droits de l’homme ; mais en déposant au même moment leur amendement relatif à la compétence exclusive, et en affirmant que l’ensemble des questions concernant les droits et libertés entrait dans le domaine de la compétence exclusive, elles annulaient leur promesse, et faisaient des dispositions visant le respect des droits de l’homme des sortes de maxime d’ordre moral, dénuées d’effectivité pratique »[414]. De multiples débats ont eu lieu par la suite à ce sujet, et les positions ont largement évolué.

 

Un de leurs derniers développements est l’adoption par l’institut du droit international d’une résolution portant sur « la protection des droits de l’homme et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures des Etats » lors de sa session de Saint-Jacques-de-Compostelle.

 

Ayant rappelé l’importance toujours croissante des droits de la personne dans l’ordre juridique international, la résolution énonce en son article premier que l’obligation de les respecter « incombe à tout Etat vis-à-vis de la communauté internationale dans son ensemble », ce qui a pour conséquence, aux termes de l’article 2, qu’« un Etat agissant en violation de cette obligation [...] ne peut se soustraire à sa responsabilité internationale en prétendant que ce domaine relève essentiellement de sa compétence nationale », et que les mesures que prendraient, individuellement ou collectivement, les autres membres de la communauté internationale pour réagir à ces violations « ne peuvent pas être considérées comme une intervention illicite dans les affaires intérieures de l’Etat » qui en est l’auteur[415].

 

La question ne semble cependant pas résolue définitivement, plusieurs auteurs continuant à affirmer que la protection des droits de la personne relèvent par nature de la seule compétence des Etats.

 

Mais il semble en réalité que la question ne doive pas être posée de cette manière. Si on applique le critère de l’engagement international tel que nous l’avons décrit ci-dessus, il est évident qu’aucune matière n’appartient, en soi, au domaine réservé. Il convient dans chaque cas d’examiner les relations entre les sujets de droit international afin de déterminer l’étendue respective de leur domaine réservé à un moment donné. C’est exactement de cette manière qu’a procédé la C.I.J. dans son arrêt concernant le Nicaragua lorsque les Etats-Unis ont prétendu n’agir que pour forcer ce pays à respecter les droits de la personne.

 

Nous avons déjà relevé que la Cour avait conclu à l’absence d’engagement du Nicaragua vis-à-vis des Etats-Unis : c’est en vertu de cette conclusion que les matières en cause ont été considérées comme relevant du domaine réservé de cet Etat, dans le cadre des relations bilatérales concernées. L’enseignement de l’arrêt est donc aussi qu’il existe une présomption d’appartenance au domaine réservé de toute matière, dont les droits de la personne.

 

Cette présomption est extrêmement large si on se réfère au paragraphe 263 du jugement : « Le Congrès des Etats-Unis a aussi dans sa conclusion, exprimé l’opinion que le Gouvernement du Nicaragua avait pris des « mesures révélant l’intention d’établir une dictature communiste totalitaire ». Quelque définition qu’on donne du régime du Nicaragua, Vadhésion d’un Etat à une doctrine particulière ne constitue pas une violation du droit international coutumier ; conclure autrement reviendrait à priver de son sens le principe fondamental de la souveraineté des Etats sur lequel repose tout le droit international, et la liberté qu’un Etat a de choisir son système politique, social, économique et culturel.

 

En conséquence, les choix politiques internes du Nicaragua, à supposer même qu’ils répondent à la description qui en est donnée dans la conclusion du Congrès, ne peuvent pas légitimer, sur le plan juridique, les diverses conduites reprochées au défendeur à son égard. La Cour ne saurait concevoir la création d’une règle nouvelle faisant droit à une intervention d’un Etat contre un autre pour le motif que celui-ci aurait opté pour une idéologie ou un système politique particulier »[416]. Il découle de ce passage fondamental de l’arrêt que l’établissement d’un régime interne assimilable à une « dictature communiste totalitaire » reste en principe dans le domaine réservé de l’Etat considéré[417].

 

Il existe donc toute une catégorie de droits de la personne qui continuent à appartenir au domaine réservé : ce sont ceux qui ne sont protégés que par des dispositions de droit interne, ou qui ne sont pas protégés du tout. L’Etat reste donc en principe lui-même le premier promoteur et défenseur des droits de la personne. Cette constatation n’est d’ailleurs pas propre à un groupe d’Etats particulier, même si elle a souvent été mise en exergue par les anciens pays socialistes.

 

C’est l’idée qui apparaît en filigrane des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires linguistique belge et Handyside lorsqu’elle « relève que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme ... La Cour confie en premier Heu à chacun des Etats contractants le soin d’assurer la jouissance des droits et libertés qu’elle consacre ».

 

En conclusion, les droits de la personne appartiennent, comme toute matière, au domaine réservé des Etats, sauf dans la mesure où ils sont protégés internationalement. Si l’on s’accorde à dire que l’existence d’obligations internationales fait sortir les droits sur lesquels ces obligations portent du domaine réservé de l’Etat, ce n’est qu’en déterminant l’étendue de ces obligations en matière de droits de la personne que l’on pourra préciser l’étendue du domaine réservé pour ces questions. On peut à cet égard distinguer les droits généraux de la personne, et d’autres droits plus spécifiques[418].

 

1.3.1. LES DROITS GENERAUX DE LA PERSONNE

 

La détermination des droits qui sont protégés internationalement montre la relativité essentielle de la notion, puisque les engagements des Etats varieront à l’évidence pour chacun d’entre eux. Il apparaît toutefois que l’ensemble des membres de la communauté internationale est lié par une règle coutumière qui impose le principe du respect des droits de la personne et qui trouve son origine dans les dispositions générales de la Charte des Nations Unies les concernant, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, les conventions de Genève sur le droit humanitaire ainsi que dans la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Quant au contenu de ces droits, deux groupes peuvent être distingués.

 

Certains droits ont acquis une valeur de coutume universelle et sortent donc du domaine réservé de tous les Etats[419]. Ces droits constituent le « noyau dur » des droits de la personne, que l’on qualifie aussi de droits « indérogeables ».

 

L’engagement souscrit par les Etats à leur égard est un engagement absolu et leur violation n’est en aucun cas excusable. Ainsi, la Cour affirme dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran que : « le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les soumettre, dana des conditions pénibles, à une contrainte physique est manifestement incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ».

 

Pareillement, la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, dont la valeur coutumière est incontestée, interdit le génocide, c’est-à-dire, « l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

 

a.     meurtre de membres du groupe ;

b.    atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c.     soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d.    mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e.     transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».

 

Enfin, l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, dont nous avons déjà relevé la valeur absolue, prévoit que : «... sont et demeurent prohibés en tous temps et en tout heu à l’égard des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités :

 

a.     les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;

b.    les prises d’otage ;

c.     les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;

les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendues par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés, ...»

 

On pourrait encore citer l’interdiction de la discrimination raciale, ou de la politique d'apartheid. Il paraît en conséquence radicalement impossible dans des situations telles que celles du Kampuchéa des Khmers rouges d’affirmer que les violations des droits fondamentaux de la personne dans un Etat ne concernent que les affaires intérieures de celui-ci. Comme le souligne Sicilianos, « le génocide n’est ni une ’idéologie’, ni un 'système socio-politique’ ou ’socio-économique’. C’est un crime contre l’humanité toute entière ».

 

D’autres droits n’ont été reconnus internationalement que par certains Etats et ne sortent donc de leur domaine réservé que dans leurs rapports respectifs. A l’inverse des précédents, ces droits peuvent faire l’objet de restrictions dans des circonstances exceptionnelles conventionnellement prévues. On peut d’abord citer des instruments à vocation universelle mais ratifiés par une partie seulement de la communauté internationale. Ainsi, le Pacte relatif aux droits civils protège notamment les droits d’association et de réunion, les libertés d’opinion, de pensée, de religion et de conscience mais aussi le libre accès à la fonction publique ou le droit de se marier et de fonder une famille, ...

 

De même, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît le droit au travail, la liberté syndicale, le droit à la sécurité sociale, à un « niveau de vie suffisant », à la santé physique et mentale, à l’éducation, ... Citons encore les conventions sur les droits de la femme, les droits de l’enfant, sur le statut des réfugiés ou les conventions élaborées dans le cadre de l’O.I.T.

 

D’autres droits de la personne ont une vocation plus limitée, mais sont souvent mieux protégés. Ce seront essentiellement les proximités géographiques, se confondant parfois avec les affinités idéologiques, qui permettront aux Etats d’arriver à un accord plus complet et plus étendu sur les droits à protéger. On pense en premier lieu à la Convention européenne des droits de l’homme qui introduit un mécanisme de recours ouvert aux particuliers, ou à la Convention interaméricaine des droits de l’homme.

 

1.3.2. LES DROITS DECOULANT DE L’ETABLISSEMENT D’UNE DEMOCRATIE LIBERALE

 

Il existe aussi des accords régionaux à vocation politique qui ne concernent pas directement les droits de la personne, mais qui peuvent influencer leur contenu. On sait, par exemple, que l’adhésion au Conseil de l’Europe ou à la C.E.E. est subordonnée à l’établissement d’un régime de démocratie libérale.

 

De manière plus précise, l’article 5 de la Charte de l’O.E.A. dispose que « la solidarité des Etats américains et les buts élevés qu’ils poursuivent exigent de ces Etats une organisation politique basée sur le fonctionnement effectif de la démocratie représentative ». Une décision des ministres des relations extérieures de cette organisation a donné à ce principe général un contenu plus concret : « séparation des pouvoirs et contrôle de la légalité des actes gouvernementaux par les organes juridictionnels de l’Etat, élections libres, liberté individuelle et justice sociale, intégration des droits de l’homme dans la législation des Etats américains et protection de ceux-ci par des moyens judiciaires efficaces, liberté de la presse, de la radio et de la télévision et liberté d’information et d’expression»... « élections libres et périodiques auxquelles participe, au scrutin secret, la population adulte du pays »[420].

 

Enfin, l’O.E.A. s’est récemment dotée d’un mécanisme de réaction automatique en cas de renversement d’un régime démocratiquement élu sur le continent. C’est sur base de celui-ci que l’Organisation a condamné la rébellion survenue en Haïti en septembre 1991 et « demandé le respect de la Constitution et du gouvernement issu de la volonté du peuple librement exprimée » lors des élections de décembre 1990.

 

C’est sur cette base aussi que l’Organisation a adopté à l’unanimité, moins d’une semaine après le coup d’Etat, une résolution prévoyant la rupture des relations diplomatiques, économiques et financières avec la junte qui avait pris le pouvoir.

 

De manière similaire, les Etats de la C.S.C.E. ont élaboré en novembre 1990 la « Charte de Paris pour une nouvelle Europe » qui proclame entre autres « la démocratie comme seul système de gouvernement ». Cette notion est précisée de la manière suivante : « Le gouvernement démocratique repose sur la volonté du peuple, exprimée à intervalles réguliers par des élections libres et loyales. La démocratie est fondée sur le respect de la personne humaine et de l’Etat de droit ... La démocratie, de par son caractère représentatif et pluraliste, implique la responsabilité envers l’électorat, l’obligation pour les pouvoirs publics de se conformer à la loi et l’exercice impartial de la justice ... ».

 

Ici aussi, seul un Etat partie à un de ces instruments peut donc exiger d’un autre Etat partie qu’il le respecte. Cependant, on peut se demander si la multiplication d’instruments régionaux de ce type ne témoigne pas de l’établissement progressif d’une « pratique générale acceptée comme étant le droit » (art. 38 du statut de la Cour)[421].

 

Plus particulièrement, les événements qui se sont déroulés depuis 1989 dans les anciens pays socialistes mais aussi dans plusieurs pays du Tiers monde ont accrédité l’idée d’une généralisation du modèle libéral de la démocratie[422]. Ceci aurait pour conséquence que toute une série de droits de la personne sortiraient du « domaine réservé » des Etats pour devenir des obligations internationalement reconnues.

 

Depuis quelques années, on constate que les Nations Unies accordent de plus en plus d’intérêt aux droits de la personne dans leur aspect libéral, c’est-à-dire principalement civil et politique. Une limite à la liberté des Etats de choisir leur type de régime est donnée par une résolution de l’Assemblée Générale du 16 décembre 1981 qui condamne « toutes idéologies et pratiques totalitaires ou autres, en particulier nazies, fascistes ou néo-fascistes, fondées sur l’exclusivisme ou l’intolérance raciaux ou ethniques, la haine, la terreur, le déni systématique des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou y conduisant »[423].

 

Mais on se rend bien compte que bien peu de régimes correspondent à cette définition. En outre, des « idéologies » sont seulement « condamnées » ; il n’y a donc là aucun engagement particulier. En réalité, le seul critère de légitimité est, selon la résolution du 9 décembre 1981 sur la non-ingérence, que le choix du système politique d’un Etat ait été effectué « conformément à la volonté de son peuple »[424].

 

Ici encore, cette formule est trop vague pour être efficace, surtout lorsqu’on se rend compte que des pays comme le Maroc de Hassan II, la Roumanie de Ceaucescu ou le Zaïre de Mobutu ont voté en faveur de cet instrument.

 

Cependant, des actions plus précises ont récemment été entreprises dans le cadre de l’O.N.U. L’Assemblée générale a ainsi promu la tenue d’élections libres dans certains Etats afin de résoudre les conflits qui les déchiraient depuis plusieurs années. On pense par exemple au Nicaragua ou à la Namibie[425].

 

A propos du Cambodge, une résolution du 16 novembre 1989 « souligne que le peuple cambodgéen doit pouvoir exercer son droit inaliénable à l’autodétermination par voie d’élections libres loyales et démocratiques, tenues sous surveillance internationale » (69).

 

Plus généralement, par la résolution 45/150 du 18 décembre 1990 « concernant le renforcement de l’efficacité du principe d’élections libres et honnêtes », l’Assemblée « déclare que pour déterminer la volonté du peuple, il faut un processus électoral qui donne à tous les citoyens des chances égales de devenir candidats et de faire valoir leurs vues politiques, ..., comme le prévoit la constitution et la législation nationales ».  

 

Cette résolution ne fait que préciser l’affirmation contenue dans l’article 21 § 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et fréquemment rappelée, selon laquelle « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».

 

On peut dire sur base de ces résolutions que les Etats se sont engagés internationalement à mettre en oeuvre un processus électoral. On peut aussi déduire d’un examen de l’activité de l’Assemblée générale certains critères permettant de préciser quelque peu la notion de processus électoral.

 

Par exemple, dans une résolution du 26 octobre 1988, celle-ci « Demande aux autorités de Pretoria de prendre des mesures concrètes en vue d’organiser des élections justes et libres au suffrage universel des adultes [...] et exige à cette fin :

 

a)    La libération immédiate et inconditionnelle de [...] tous les [...] prisonniers et détenus politiques ;

b)    La levée de l’interdiction frappant toutes les organisations politiques ; c) La levée de l’état d’urgence ;

c)     Le retrait des troupes du régime des townships noires ;

d)    L’octroi de l’amnistie à tous les exilés politiques [...][426].

 

On pourrait conclure sur base de cet instrument que les mesures exigées sont indispensables à la tenue d’élections selon les critères du droit international. Mais il est très difficile de généraliser un modèle d’élections à partir de cas particuliers où les considérations d’opportunité politique prédominent. Les Etats s’avèrent infiniment plus prudents lorsqu’il s’agit de définir théoriquement les mesures électorales à adopter.

 

Les critères libéraux de la tenue d’élections ne sont donc pas, pour l’instant en tout cas, sortis du domaine réservé de tous les Etats[427]. Même si la notion d’élections libres se voit précisée dans une certaine mesure, on est encore loin, par exemple, d’une formulation expresse d’un modèle basé sur le multipartisme.

 

D’ailleurs, la résolution 45/150, déjà citée, prend bien soin de rappeler qu’« il n’existe aucun système politique ni aucune méthode électorale qui puisse convenir également à toutes les nations et à tous les peuples », alors qu’une résolution adoptée le même jour, intitulée « respect des principes de souveraineté nationale et de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat en ce qui concerne les processus électoraux » affirme qu’« il n’existe pas de système politique unique ni de modèle unique de processus électoral convenant également à toutes les nations et à tous les peuples et que les systèmes politiques et les processus électoraux sont conditionnés par des facteurs historiques, politiques, culturels et religieux »[428].

 

La résolution du 17 décembre 1991, intitulée « Respect des prin­ cipes de souveraineté nationale et de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats en ce qui concerne les processus électoraux », confirme cette position[429].

 

Après avoir rappelé l’article 2 § 7 de la Charte, considéré que les principes de souveraineté nationale et de non-intervention doivent être respectés lors du déroulement d’élections et rappelé le considérant cité ci-dessus dans la résolution 45/150, l’Assemblée générale « Considère qu’il n’est pas toujours nécessaire que l’Organisation des Nations Unies apporte une assistance électorale aux Etats membres, sauf dans des circonstances spéciales, en cas par exemple de décolonisation, dans le cadre de processus de paix à portée régionale ou internationale à la demande de certains Etats souverains, sur base de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale dans chaque cas particulier et dans le strict respect des principes de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats », « Demande instamment à tous les Etats de respecter le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats et le droit souverain qu’ont les peuples de déterminer leur système politique, économique et social», et « Demande à la Commission des droits de l’homme de donner la priorité, lors de sa 48ème session, ) l’examen des facteurs fondamentaux qui nuisent au respect du principe de la souverainté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats en ce qui concerne leurs processus électoraux et de rendre compte à l’Assemblée générale à ce sujet On constate à la lecture de ces lignes que les processus électoraux sont loin d’être sortis du domaine réservé des Etats, en tout cas en principe.

 

La résolution 46/137, adoptée le même jour, montre l’ampleur du chemin restant en parcourir en la matière, l’Assemblée générale y « Réaffirmant que la déclaration universelle des droits de l’homme, qui dis­ pose que toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, [...] que la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics et que cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».

 

Les critères de la périodicité et du scrutin secret semblent donc revêtir encore un caractère indicatif. Dans la même résolution, l’Assemblée considère une fois encore qu’aucune méthode électorale ne peut convenir à toutes les nations et que « ... les efforts faits par la communauté internationale pour renforcer l’efficacité du principe d’élections libres et honnêtes ne doivent pas porter aheinte au droit souverain qu’a chaque Etat de choisir et de mettre en place librement, conformément àla volonté de son peuple, ses systèmes politique, social, économique et culturel, que ceux-ci correspondent ou non aux préférences d’autres Etats ».

 

Quant à la « Charte de Paris » que nous avons citée, il ne semble pas non plus qu’elle permettre d’extraire du domaine réservé de ses membres les matières qui y sont régies. En effet, les Etats y déclarent que les principes repris les « guideront vers cet objectif ambitieux [l’instauration de la démocratie] comme ils ont éclairé leur voie vers des relations meilleures au cours des quinze dernières années ».

 

Etant donné ce qui s’est passé dans certains de ces Etats depuis quinze ans, on doute qu’il s’agisse là de nouveaux engagements internationaux ; les Etats s’engagent généralement à « se conformer » à ces principes, qui restent au demeurant vagues. Il est à cet égard significatif de constater que le texte spécifie qu’il n’est « pas recevable pour être enregistré au titre de l’article 102 de la Charte des Nations Unies » ; il ne s’agit donc pas, selon ses propres signataires, d’un « accord international », mais plu­ tôt d’une sorte de « droit directif »[430].

 

C’est donc à notre avis à tort que certains Etats se sont fondés sur cette charte pour justifier leur réaction à l’égard du coup d’Etat en Union soviétique du 19$août 1991 au regard du principe de non-intervention. Il est en effet extrêmement difficile de constater, dans un cas comme celui-là, un véritable acte illicite au regard de cet instrument. En tout cas, exiger le rétablissement d’un dirigeant renversé dépasse le cadre de la Charte de Paris.

 

Ceci n’empêche pas, qu’à l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme, certains principes contenus dans la Charte de Paris — dont ceux relatifs aux élections — acquièrent éventuellement à l’avenir un statut de droit coutumier. Il semble d’ailleurs que certains événements récents montrent l’émergence progressive d’une opinio juris nouvelle au plan universel.

 

Ainsi, à la suite du coup s’Etat survenu en Haïti fin septembre 1991, le président du Conseil de sécurité des Nations Unies a émis une déclaration dans laquelle il « condamne fermement les graves événements » qui se sont déroulés dans le pays et les qualifie d’« usurpation par la violence de Yautorité démocratique légitime du pays »[431].

 

Le Conseil de sécurité lui-même s’est toutefois refusé à adopter une résolution en ce sens, en raison de l’opposition de certains de ses membres. Il n’en reste pas moins que la déclaration précitée constitue un précédent où le président d’un organe des Nations Unies qualifie une autorité de « légitime ».

 

Cette légitimité découle du caractère démocratique des élections qui avaient amené le président Aristide au pouvoir, caractère sur lequel l’O.N.U. pouvait d’autant plus insister qu’elle avait elle-même contrôlé la régularité du scrutin. La question a été transmise à l’Assemblée générale, qui a adopté sans vote, le 11 octobre 1991, une résolution par laquelle, après s’être déclarée « consciente que, conformément à la Charte des Nations Unies, l’Organisation s’attache à développer et encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous et que la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce que la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ». Elle :

 

1.     Condamne énergiquement tant la tentative de remplacer illégalement le Président élu d’Haïti que l’emploi de la violence, la coercition militaire et la violation des droits de l’homme dans ce pays ;

2.    Déclare inacceptable toute entité issue de cette situation illégitime et exige sur le champ le rétablissement du gouvernement légitime du Président Jean-Bertrand Aristide, ainsi qu’un retour à la pleine application de la constitution nationale et, partant, au respect intégral des droits de l’homme en Haïti ; [...]»[432].

 

L’Assemblée générale a réaffirmé cette prise de position le 17 décembre 1991, en se déclarant « profondément préoccupée par les événements graves survenus en Haïti depuis le 29 septembre 1991, qui ont causé une interruption brutale et violente du processus démocratique dans ce pays » et en condamnant énergiquement « le renversement du Président constitutionnellement élu Jean-Bertrand Aristide »[433].

 

Ces résolutions sont fondamentales dans la mesure où elles constituent le premier précédent où l’ensemble des Etats semble admettre qu'un coup d’Etat est contraire au droit international, et plus particulièrement aux droits de la personne. On pourrait ainsi considérer qu’une interprétation nouvelle de la déclaration universelle des droits de l’homme se dégage, en vertu de laquelle la « volonté du peuple » en tant que base de l’autorité publique prend une importance fondamentale et interdit la remise en cause d’élections librement et valablement effectuées.

 

De même, l’annexe 5 de l’accord de Paris du 23 octobre 1991 pour un règlement politique global du conflit du Cambodge énonce les principes de base que devra reprendre la constitution de cet Etat en matière de protection des droits de la personne. A côté de la mention des droits fondamentaux de la personne, on y trouve l’obligation pour cette nouvelle constitution de déclarer « que le Cambodge appliquera un système de démocratie libérale, fondé sur le pluralisme. Elle prévoira la tenue d’élections périodiques et authentiques ainsi que le droit de voter et d’être élu par le suffrage universel et égal. Elle spécifiera que le vote se déroulera au scrutin secret, avec l’exigence que les procédures électorales permettent, pleinement et de manière équitable, de s’organiser et de participer au processus électoral ».

 

Il s’agit donc là d’un ensemble complet de principes précis qui devront régir les élections au Cambodge. Cette énonciation est d’au­ tant plus importante qu’on la retrouve dans un accord international auxquels sont parties, à côté du Cambodge lui-même, près de vingts Etats, aussi différents que l’Australie, Brunéi, la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, les Philippines, la Thaïlande, l’U.R.S.S. ou le Vietnam. Il est toutefois difficile de conclure de manière définitive sur ce point. Ces précédents ne peuvent encore constituer à eux seuls une pratique démontrant un accord entre les Etats ; il faudra relever d’autres exemples similaires pour conclure à l’apparition d’une nouvelle norme internationale.

 

A cet égard, on peut rappeler le caractère politiquement marqué de résolutions adressées directement à un Etat en particulier : rien ne prouve que l’adoption d’une résolution théorique sur les élections, par l’Assemblée générale, reprendrait les critères énoncés à l’encontre des putshistes haïtiens. Cet exemple démontre en tout cas le caractère particulièrement évolutif du contenu des droits de la personne sur le plan international, et la diminution quasiment constante de l’étendue du domaine réservé des Etats.

 

Quoi qu’il en soit, c’est en vain qu’un Etat invoquerait une atteinte à ses droits souverains pour s’opposer à une demande ou à une action de son co-contractant visant à obtenir de sa part le respect de ses obligations internationales déjà reconnues. En s’engageant dans de tels liens conventionnels, il a précisément fait usage d’une faculté qui, comme l’a précisé la C.P.J.I. dans la première affaire dont elle a eu à connaître, constitue « un attribut de la souveraineté de l’Etat ».

 

Encore faut-il que pareille réaction vise bien in fine à amener l’Etat contre lequel elle est dirigée à respecter ses obligations internationales, et non à chercher à s’immiscer dans d’autres domaines, qui relèvent de ses affaires intérieures. Ce sera le cas toutes les fois où, prétextant d’atteintes aux droits de la personne ou de violations de ses engagements internationaux par un membre de la communauté internationale, un Etat se livrera sur celui-là à des pressions visant en fait à le contraindre à adopter des positions particulières en matière économique, de politique interne ou extérieure.

 

Comme le souligne fort justement Schachter, « While a government may impose economic measures against a human rights violator, it may not condition its action by demanding that a particular government or leadership be imposed upon the target State »[434]. Il faut donc bien que la mesure adoptée reste limitée à ce qui est nécessaire au respect des droits de la personne. On doit malheureusement constater que cela est loin d’avoir été toujours le cas dans le passé, les droits de la personne n’ayant souvent été que le prétexte à la mise en oeuvre d’une politique impérialiste. Il suffit de penser à cet égard à la politique des Etats-Unis à l’égard du Nicara­ gua sandiniste[435].

 

La crainte de semblable « détournement » explique le caneva que contient la résolution 36/103 de l’Assemblée générale à propos des droits de la personne. Selon le point II de celle-ci, les Etats ont le devoir « de s’abstenir d’exploiter et de déformer les questions relatives aux droits de l’homme dans le but de s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats, d’exercer des pressions sur des Etats, ou de susciter la méfiance ou le désordre à l’intérieur d’Etats ou de groupes d’Etats et entre eux ». Cette préoccupation est aussi à la base de l’article 3 — intitulé « non-intervention » — du deuxième Protocole de Genève relatif aux conflits armés non internationaux, en vertu duquel « aucune disposition [du Protocole] ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté » des Etats parties[436].

 

Cette limitation découle de la logique même de la règle de la non-intervention. A partir du moment où la mesure s’exerce au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer le respect d’une obligation internationale, elle dépasse la sphère régie par le droit international et pénètre en partie dans le domaine réservé de l’Etat[437].

 

En dehors d’une telle hypothèse, il ne saurait par contre être question dans ce cas d’« ingérence », ni par conséquent de « droit d’ingérence ». Mais la règle de non-intervention permet-elle à un Etat de mettre en oeuvre des mesures portant aussi atteinte à d’autres règles particulières de droit international, comme c’est le cas lorsqu’il suspend unilatéralement l’exécution d’un traité à l’encontre d’un Etat qui viole les droits de la personne ? C’est tout le problème de l’adoption de « contre-mesures ».

 

On a souvent évoqué l’existence d’un « droit » ou d’un « devoir » d’ingérence qui viserait à assurer le secours de populations en détresse situées sur le territoire d’un Etat qui refuserait l’envoi de secours strictement humanitaires.

 

La règle de la non-intervention ne fait pas concrètement obstacle à certains types d’opérations humanitaires. Tout d’abord, l’aide humanitaire ne peut dans son principe être assimilée à une intervention. Comme l’a souligné la C.I.J. dans l’affaire des Activités militaires ..., « il n’est pas douteux que la fourniture d’une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au droit international »[438].

 

En ce sens, l’article 5 de la résolution de l’institut de droit inter­ national déjà citée dispose : « L’offre, par un Etat, un groupe d’Etats, une organisation internationale ou un organisme humanitaire impartial tel que le Comité international de la Croix-Rouge (C.I.C.R.), de secours alimentaires ou sanitaires à un Etat dont la population est gravement menacée dans sa vie ou sa santé ne saurait être considérée comme une intervention illicite dans les affaires intérieures de cet Etat ... »[439].

 

Une opération de secours doit cependant répondre à certaines conditions : elle ne peut revêtir les apparences d’une menace d’intervention armée ou de toute autre mesure d’intimidation, elle doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire pour soulager les populations et elle doit être menée sans discrimination[440].

 

Mais le succès de telles opérations ne dépendent-il pas du consentement de l’Etat sur le territoire duquel se trouvent ces populations ? On remarquera tout d’abord qu’il est parfois possible de fournir une assistance par l’intermédiaire d’Etats voisins qui accordent leur consentement. Il faudra dans ce cas que des représentants de ces populations se rendent eux-mêmes dans cet Etat pour percevoir une aide qu’ils achemineront dans leur Etat d’origine. C’était d’ailleurs l’hypothèse appréhendée par la Cour dans l’arrêt cité, puisque l’aide humanitaire dont il était question était celle acheminée aux contras nicaraguayens via le Honduras.

 

Par ailleurs, il est fondamental de relever que le gouvernement dont une partie de la population est gravement menacée dans sa vie ou dans sa santé ne peut refuser arbitrairement l’acheminement de secours à sa destination. Cette interdiction est particulièrement évidente dans les situations de conflits armés. Ainsi, la IVème Convention de Genève l’énonce explicitement dans son art. 59 pour les populations des territoires occupés[441].

 

Israël, par exemple, ne pourrait refuser une mission humanitaire destinée à secourir les populations de Cisjordanie, de Gaza ou de Jérusalem Est. L’Assemblée générale a d’ailleurs condamné une puissance occupante pour violation de cette obligation dans sa résolution 45/170 par laquelle elle « condamne le refus par l’Irak d’accepter l’offre du gouvernement koweitien d’envoyer une aide humanitaire, en particulier des médicaments, au peuple koweitien assujetti à l’occupant ».

 

Par ailleurs, le second Protocole additionnel aux Conventions de Genève prohibe en son article 14 l’utilisation de la famine comme méthode de combat[442], et son article 18 prévoit que « lorsque la population civile souffre de privations excessives par manque des approvisionnements essentiels à sa survie, tels que vivres et ravitaillements sanitaires, des actions de secours en faveur de la population civile, de caractère exclusivement humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère favorable, seront entreprises avec le consentement de la Haute Partie contractante concernée ».

 

Ainsi que le souligne le commentaire de cette disposition, « le fait que le consentement de l’Etat soit requis ne donne pas un pouvoir discrétionnaire », ce qui implique que « l’Etat ne peut opposer un refus non fondé [qui] équivaudrait à transgresser l’interdiction d’utiliser la famine comme méthode de combat »[443].

 

Parallèlement, les articles 69 § 2 et 70 § 1 du premier Protocole prévoient que des « actions de secours [...] seront menées sans délai » ou « seront entreprises »[444]. L’interdiction d’un refus arbitraire de secours se justifie dans toutes les situations. Les organes de l’O.N.U. se sont certes prononcés de manière prudente pour ce qui concerne les situations non constitutives de conflits armés.

 

Ainsi, l’Assemblée générale, dans sa résolution 45/100 intitulée « assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre », après avoir réaffirmé le principe de la souveraineté des Etats, « invite tous les Etats dont les populations ont besoin d’une telle assistance à faciliter la mise en oeuvre par ces organisations humanitaires de l’assistance humanitaire, notamment l’apport de nourritures, de médicaments et de soins médicaux, pour lesquels un accès aux victimes est indispensable »[445].

 

Quant au Conseil de sécurité, dans sa résolution 688 édictée à la suite des événements du Kurdistan irakien, il « insiste pour que l’Irak autorise l’accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d’assistance dans toutes les régions de l’Irak et qu’ils mettent à leur disposition tous les moyens nécessaires à leur intervention». Enfin, la récente résolution sur le renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence de l’O.N.U. adoptée par l’Assemblée générale prévoit que «... l’aide humanitaire devrait être fournie avec le consentement du pays touché et en principe sur la base d’un appel lancé par ce dernier »[446].

 

Ces résolutions, tout en rappelant la nécessité de principe du consentement de l’Etat, semblent considérer que sa compétence en la matière n’est pas absolue. Dans ce contexte, un refus arbitraire pourrait être considéré comme un abus de droit. Son interdiction résulte aussi de l’obligation de respecter et de faire respecter les règles du droit humanitaire.

 

Nous avons relevé dans cette étude que cette obligation s’étendait à l’ensemble des droits fondamentaux de la personne, sur base notamment de la Charte des Nations Unies. On peut à cet égard rappeler l’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme en vertu duquel « toute personne a le droit à ce que règne sur le plan [...] international un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente déclaration puissent y trouver plein effet ».

 

Sur ces bases, les Etats sont amenés à collaborer de bonne foi aux opérations humanitaires, ceci étant valable a fortiori pour l’Etat sur le territoire duquel se trouvent les populations en détresse. L’Assemblée générale a adopté en ce sens une résolution sur les « principes fondamentaux touchant la protection civile en période de conflit armé » en vertu de laquelle « la fourniture de secours internationaux aux populations civiles est conforme aux principes humanitaires de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux dans le domaine des droits de l’homme » [447].

 

On peut d’ailleurs relever plusieurs précédents où, à l’occasion de situations d’urgence particulières, l’Assemblée a rappelé l’obligation qui pèse sur tout Etat de contribuer à l’assistance humanitaire.

 

Par exemple, l’Assemblée estime qu’« en raison des destructions massives dans les provinces septentrionales de la Somalie, la communauté internationale se doit de réagir immédiatement par un programme de secours d’urgence assurant vivres, eau et logement [...] »[448], et réaffirme que « la communauté internationale se doit de répondre pleinement aux demandes d’aide humanitaire d’urgence et d’assistance au relèvement de la Somalie »[449].

 

A propos d’une tout autre situation l’Assemblée considère de même que « la communauté internationale se doit d’apporter d’urgence une aide au redressement économique et social du Libéria »[450]. Ces résolutions montrent bien qu’une obligation d’assistance existe. Pour l’Etat sur le territoire duquel se trouve les populations « en détresse », cela ne peut signifier que le devoir soit de subvenir soi-même à ses besoins, soit de ne pas refuser arbitrairement les offres en provenance de l’étranger présentant les garanties requises.

 

C’est sans doute pourquoi l’article 5 de la résolution de l’I.D.I. énonce d’ailleurs en termes généraux que « les Etats sur le territoire desquels de telles situations de détresse existent ne refuseront pas arbitrairement de pareilles offres de secours humanitaires »[451]. Une partie de la doctrine abonde en ce sens[452], comme en témoigne notamment la résolution finale de la « Première Conférence internationale de droit et de morale humanitaire », intitulée « résolution sur la reconnaissance du devoir d’assistance humanitaire et du droit à cette assistance »[453].

 

La nécessité du consentement du gouvernement dont la population est menacée est donc loin de représenter un obstacle insurmontable à une action de secours, puisqu’on peut considérer que ce consentement est, en certaines circonstances, obligatoire.

 

A partir du moment où les circonstances le justifient, c’est-à-dire si, d’une part, l’Etat sollicité n’est plus apte à secourir une partie de sa population qui est menacée gravement dans sa vie et sa santé, et, d’autre part, les organisations humanitaires présentent a priori toutes les garanties d’impartialité et manifestent leur intention d’agir dans un but strictement humanitaire en acceptant le contrôle des opérations par l’Etat, ce consentement devra être accordé ; les organisations humanitaires pourront exiger qu’il en soit ainsi.

 

Si le refus arbitraire persiste, après négociations restées infructueuses, un autre Etat pourra réagir à cette violation du droit international en adoptant une « contre-mesure » légitime. Cette réaction pourrait consister en l’envoi sur le territoire de l’Etat civil d’une mission strictement humanitaire, non accompagnée d’une quelconque utilisation de la force, qui acheminerait des secours aux populations en détresse.

 

Dans cette hypothèse, toutes les conditions nécessaires à la légitimité des contre-mesures seraient réunies : qualité pour agir, utilisation de modes de règlement préalables, proportionnalité et respect des « obligations absolues ». Un exemple de ce type d’actions a pu être observé le 4 juin 1987, lorsque des appareil indiens ont violé l’intégrité territoriale du Sri Lanka pour parachuter des vivres et des médicaments à Jaffna, dans la zone Tamoul.

 

Toutefois, la licéité de l’opération reste sujette à caution puisque quatre Mirages de l’armée indienne escortaient les avions civils[454]. Rappelons par ailleurs que les O.N.G. elles-mêmes ne sont pas soumises aux règles du droit international, dont le principe de non- intervention, et que les principes que nous venons d’énoncer ne s’appliquent qu’aux Etats et aux organisations interétatiques[455].

 

Comme le souligne fort pertinemment Jean Combacau, « il doit être clair [...] que les notions de souveraineté et de non-ingérence sont parfaitement dénuées de pertinence dans les rapporta entre les Etats et les O.N.G. [...] le langage de la. souveraineté n’a de place que dans lea rapports interétatiqueB, et est inopposable aux particuliers ».

 

Dès lors, la seule limite aux actions humanitaires d’origine privées existant en droit international consiste en une obligation des Etats de ne pas laisser leur territoire être utilisé par des particuliers pour des actions transfrontières contraires aux droits de l’Etat voisin. Encore convient-il de préciser que cette obligation n’existe que si l’action transfrontière ne pourrait pas être menée par l’Etat lui-même, par exemple dans le cadre d’opérations assimilables aux contre-mesures dont nous venons de décrire les modalités.

 

On se trouve donc là dans des hypothèses exceptionnelles. En outre, cette obligation de « diligence due » varie en fonction des moyens de chaque Etat et, pour autant que les O.N.G. agissent discrètement, il sera extrêmement difficile de démontrer la responsabilité d’un Etat en particulier. Sur un tout autre plan, il est aussi toujours possible pour un Etat animé de motivations humanitaires de s’adresser au Conseil de sécurité, qui pourra entreprendre ou autoriser des mesures coercitives visant à secourir les populations en détresse en se passant de l’accord du souverain territorial, ceci pourvu qu’il estime que la situation ainsi créée constitue une menace à la paix ou à la sécurité internationales. Moyennant le respect de ces conditions, une opération humanitaire' non armée respecte pleinement le principe de non-intervention, et ne relève donc nullement de la mise en oeuvre d’un quelconque « droit » ou « devoir d’ingérence ».  

 

Section 4. FONDEMENT JURIDIQUE DU DROIT D’INGERENCE HUMANITAIRE

 

Ceci se fonde sur une interprétation de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies. Cette interprétation d’une disposition conventionnelle serait généralisable, dans la mesure où elle ne fait qu’exprimer l’existence d’une règle générale coutumière.

 

Ce dernier point est indiscutable : la C.I.J. elle-même a reconnu que l’article 2 § 4 représentait une coutume à portée universelle. Reste à examiner le premier. Il convient d’analyser cette argumentation au regard des règles générales d’interprétation codifiées aux articles 31 et suivants de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités : nous partirons donc du texte de l’article interprété et de la Charte dans son ensemble, avant de prendre en compte la pratique puis, en tant que moyen complémentaire, les travaux préparatoires.

 

L’article 2 § 4 de la Charte dispose : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace on à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance 'politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »[456]. Incontestablement, cette disposition n’interdit pas explicitement tout recours à la force dans les relations internationales. Ce fait a été reconnu par les plus fervents adversaires de la notion d’intervention d’humanité.

 

Pour être expressément interdit par l’art. 2 § 4, un recours à la force doit remplir une des trois conditions suivantes : être dirigé contre l’intégrité territoriale d’un Etat ; être dirigé contre l’indépendance politique d’un autre Etat, ou s’opérer de manière incompatible avec les buts de Nations Unies. On examinera ces trois conditions successivement.

 

On pourrait considérer que, si les critères relatifs à la définition du « droit d’ingérence » déjà examinés sont remplis, une intervention humanitaire est permise dans la mesure où elle ne peut être dirigée « contre l’intégrité territoriale d’un Etat ». L’intervention ne peut en effet consister qu’en un acte strictement limité au rétablissement des droits de la personne enfreints, mais ne peut se confondre avec l’appropriation de territoires[457].

 

Cependant, on pourra rétorquer que le passage de troupes armées à travers les frontières reconnues sur le territoire d’un autre Etat, sans le consentement de ce dernier, s’opère contre son intégrité territoriale. On pourrait rappeler en faveur de la première interprétation que les actions armées transfrontières sans acquisition territoriale ont souvent été qualifiées de violations de la souveraineté territoriale, notion qui serait différente de celle d’intégrité territoriale.

 

Tel a par exemple été le cas dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, où la Cour a parlé uniquement de souveraineté pour les violations des espaces aérien et maritime nicaraguayens. D’un autre côté, cette différence entre souveraineté et intégrité territoriale est loin d’être toujours opérée, notamment par la doctrine. Bien ne dit du reste que la C.I.J. a utilisé la première de ces expressions dans un sens intentionnel. En réalité, la disposition laisse la porte ouverte aux deux interprétations.

 

Le problème de savoir si une « ingérence humanitaire » est dirigée contre l’indépendance politique de l’Etat envahi est encore moins évident. Selon certains auteurs, tel ne peut être le cas puisque l’action n’a pas pour but une forme quelconque de domination[458]. D’un autre côté, le but avoué de l’intervention est de régler un problème de politique interne, de protéger une partie de la population contre une autre. Plus précisément, l’intervention s’opère toujours contre le gouvernement effectif de l’Etat visé et tend à limiter ses pouvoirs voire, si cela s’avère indispensable, à le renverser : c’est donc le pouvoir politique qui est visé.

 

Dans ces conditions, prétendre que l’indépendance politique de l’Etat en question n’est pas atteinte devient difficile. On peut cependant conclure que, ici encore, la lecture n’exclut pas expressément l’interprétation critiquée.

 

On ne peut pas en dire autant du dernier membre de la phrase qui interdit tout recours à la force qui s’opérerait, dans les relations internationales, « de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Les promoteurs d’un droit d’ingérence armée humanitaire rappellent qu’un des buts des Nations Unies est précisément la protection des droits de la personne. En effet, on peut lire dans le préambule de la Charte : « Nous, Peuples des Nations Unies, RESOLUS ... à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine ... »[459].

 

Dès lors, des auteurs comme Teson en concluent que « the use of force to remedy serious human rights deprivations, far from being ’against the purposes’ of the U.N. Charter, serves one of the main purposes. Humanitarian intervention is in accordance with one of the fondamental purposes of the U.N. Charter. Consequently, it is a distortion to argue that humanitarian intervention is prohibited by article 2 (4) »[460].

 

Un tel raisonnement ne peut être retenu, dans la mesure où un autre but de l’O.N.U. est le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Un examen de l’ensemble de la Charte, et en particulier des chapitres VI et VII, le confirme. Par ailleurs, une lecture du préambule dans son ensemble plaide incontestablement en ce sens. On y trouve en effet les termes suivants : « Nous, Peuples des Nations Unies, RESOLUS à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ».

 

Le recours à une action militaire, fût-il dans le but de protéger les droits de la personne, va incontestablement à l’encontre de ce but. Comme l*a remarqué généralement Michel Virally, « toute politique de force va à l’encontre de ces objectifs »[461].

 

Mais, la doctrine favorable au droit d’ingérence tente de contourner cette affirmation en prétendant qu’un but des Nations Unies, en l’occurrence le maintien de la paix, peut être enfreint par l’action, pourvu qu’un autre but — la protection des droits de la personne — soit satisfait. Il existerait une sorte de hiérarchie entre les différents buts, un certain équilibre qui pourrait être préservé dans l’hypothèse où les critères du caractère strictement humanitaire de l’opération seraient respectés.

 

En d’autres termes, la dernière expression de l’article 2 § 4 (« de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies ») renverrait à une énumération conjonctive et non alternative de ces buts. On rétorquera que rien dans l’article 2 § 4 ne permet d’affirmer qu’une action peut enfreindre un but des Nations Unies[462]. Rien ne l’interdit non plus explicitement, mais le principe générale d’interprétation restrictive en faveur de la souveraineté des Etats empêche ici de raisonner a contrario. On peut aussi opérer à ce sujet une démonstration par l’absurde.

 

Comme le remarquait Akehurst, une telle interprétation légitimerait dans certaines conditions une  action armée destinée à assurer une meilleure coopération économique, autre but des Nations Unies. Il y a donc tout lieu de penser que, pour respecter l’article 2 § 4, un recours à la force doit respecter tous les buts des Nations Unies. Cette affirmation se confirme si on lit l’interdiction du recours à la force en même temps que son corollaire, l’obligation de régler pacifiquement les différends.

 

La doctrine favorable au devoir d’ingérence se base exclusivement sur une interprétation de l’article 2 § 4 pour appuyer son raisonnement. Or, le § 3 du même article dispose : « Les membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ».

 

On rappellera la définition très large du « différend » comme tout « désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes »[463], définition qui recouvre indéniablement les cas de protestations face à des violations des droits de la personne comme celles qu-on rencontre dans la region des grands lacs africains.

 

Les termes de cette disposition indiquent clairement qu’une réaction à des violations, même massives, des droits de la personne, doit se faire de manière pacifique, et ne peut mettre en danger ni la paix ou la sécurité internationales, ni la justice. L’expression « ainsi que » est sans équivoque sur ce point. On ne pourrait donc se prévaloir d’une défense de la justice, ce que font souvent les puissances intervenantes, pour contourner l’obstacle de la menace à la paix.

 

Rappelons par ailleurs que l’article 33 de la Charte complète l’article 2 § 3 en énumérant les moyens pacifiques de règlement des différends. Ici encore, on ne trouvera aucune allusion à une exception relative à une intervention armée humanitaire. On peut en déduire que la Charte interdit expressément toute action armée unilatérale, dans la mesure où elle menace la paix ou la sécurité internationales, peu importe le but de cette action.

 

L’article 2 § 4 ne peut être lu que conjointement avec l’article 2 § 3. Celui-ci est, pour reprendre l’expression de Goodrich et Hambro un « corollaire logique » de celui-là. Cet examen de l’ensemble du texte de la Charte constitue à notre sens un élément décisif permettant d’infirmer totalement l’interprétation de la doctrine étudiée. Celle-ci fait complètement abstraction du cadre dans lequel se place l’article 2 § 4 et base son raisonnement sur une interprétation, par ailleurs fallacieuse, de quelques mots tirés de leur contexte.

 

De toute manière, même si on acceptait le principe selon lequel il serait permis d’enfreindre un des buts des Nations Unies pour en atteindre un autre, ce qui impliquerait une certaine hiérarchie entre les objectifs de l’Organisation, il faudrait conclure à la prééminence du maintien de la paix sur la protection des droits de la personne. La majorité de la doctrine le reconnaît.

 

C’est déjà évident à la seule lecture du préambule, dont le § 1 établit comme but principal le maintien de la paix. Dans le même sens, l’article 1 de la Charte, intitulé « buts et principes » cite comme premier but des Nations Unies « maintenir la paix et la sécurité internationales » (§ 1). Comme le remarque le juge Bedjaoui dans le commentaire de cette disposition, « le but des buts apparaît bien comme étant la paix ... En faisant tenir à la paix la tête de l’affiche, les Nations Unies ont répondu au souci d’afficher d’emblée leur idéologie et leur philosophie »[464].

 

D’ailleurs, le préambule indique aussi les moyens généraux qui devront être utilisés par l’O.N.U. pour atteindre les objectifs déjà énoncés : « ... et a ces fins à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bons voisinage, à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales, à accepter les principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun, à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples ».

 

On remarquera la prépondérance des moyens dirigés en faveur du maintien de la paix. Surtout, on ne trouve nulle part une quelcon- que référence à des moyens militaires pour faire respecter les droits de la personne : au contraire, seul est prévu un recours aux institutions internationales. Il faut rappeler à cet égard l’obligation générale de régler pacifiquement ses différends, ici encore ignorée par la doctrine favorable au droit d’ingérence.

 

On peut conclure sur ce point en citant les propos non-équivoques de la Cour internationale de Justice qui, dans son avis relatif à Certaines dépenses, a précisé qu’« il est naturel d’accorder le premier rang à la paix et à la sécurité internationales, car les autres buts ne peuvent être atteints que si cette condition fondamentale est acquise »[465].

 

Il reste à examiner un dernier argument de la doctrine étudiée. Certains auteurs ont en effet mis en évidence un lien qui existerait entre le respect des droits de la personne et le maintien de la paix. Dans cette optique, une intervention humanitaire respecterait en soi l’objectif du maintien de la paix puisque, en mettant fin à des violations massives des droits de la personne, elle interrompait une évolution historique qui mènerait inexorablement à une menace ou à une rupture de la paix provoquée par le pays dictatorial visé[466].

 

Un tel raisonnement ne peut évidemment être retenu tel quel. Sur le seul plan du fait, on ne peut que mettre en doute le caractère inexorable de l’évolution qui résulterait de violations des droits de la personne dans un Etat donné. L’histoire a révélé nombre de régimes dictatoriaux qui n’ont jamais eu une politique agressive à l’égard de leurs voisins ; il suffit de penser à l’Espagne de Franco, au Portugal de Salazar, ou encore au Chili de Pinochet. Sur le plan juridique, rien ne permet non plus de légitimer l’affirmation énoncée. La Charte a bien pour préoccupation première le maintien de la paix.

 

Il n’est pas envisageable de légitimer une rupture bien réelle de cette dernière en invoquant une rupture hypothétique et éventuelle. L’argument ne peut en tout cas trouver aucun fondement dans la lecture des dispositions pertinentes. Au contraire, l’Assemblée générale des Nations Unies a, dans sa résolution 2852 (XXVI) du 20 décembre 1971, affirmé que, « pour garantir effectivement le respect des droits de l’homme, il faudrait que tous les Etats s’efforcent de prévenir le déclenchement de guerres d’agression et de conflits qui violent la Charte des Nations Unies. C’est le maintien de la sécurité internationale qui constitue la meilleure garantie des droits de l'homme ».

 

On ne saurait trouver une position plus éloignée de celle de la doctrine favorable au « droit d’ingérence humanitaire »[467]. Il est vrai que, dans une résolution plus ancienne, l’Assemblée générale déclare « qu’il ne suffit pas, pour assurer une paix durable, de conclure des accords de sécurité collective contre les ruptures de la paix internationale et les actes d’agression, mais que le maintien d’une paix réelle et durable dépend aussi de l’observation de tous les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies [...] et qu’il dépend, en particulier, du respect effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, ainsi que du maintien de conditions favorables au bien-être économique et social dans tout le pays »[468].

 

On ne peut cependant déduire de cet instrument une quelconque autorisation de recourir à la force. Même si des rapports peuvent parfois exister entre la violation des droits de la personne et une menace à la paix, on ne peut consacrer ce lien de causalité en le posant en règle générale. En conclusion, le but principal des Nations Unies étant le main­ tien de la paix et l’article 2 § 4 de la Charte renvoyant à ce but, cette disposition interdit bien tout recours à la force dans les relations internationales, fût-il motivé par des considérations humanitaires. Nous allons vérifier si la pratique confirme ou non cette interprétation.

 

La plupart des auteurs favorables à l’existence d’un droit d’ingérence armée humanitaire basent leur argumentation juridique sur un examen de la pratique contemporaine des interventions armées. La position la plus en pointe à cet égard est certainement celle défendue par le professeur D’Amato et ses tenants. Selon le premier, il existe maintenant diverses « catégories of intervention that contradict the nonintervention theory, such as humanitarian intervention, antiterroriat reprisais, individual as well aa collective enforcement measures, and new uses of transboundary force such as the Israeli raid on the Iraqui nuclear reactor », ce qui l’amène à conclure qu’« it is hard to fashion a customary rule of nonintervention from ail these practices that are inconsistent with such a rule »[469].

 

D’Amato vise ici la pratique en tant qu’élé­ ment de la coutume, mais ses conclusions sont vraisemblablement généralisées à la pratique, en tant que moyen d’interprétation de l’article 2 § 4 de la Charte. Il existe une abondante pratique d’interventions armées unilatérales depuis la deuxième guerre mondiale. Comme l’a souligné Michel Virally, « la pratique ... fait apparaître un fait incontestable : c’est que la prohibition du recours à la force est encore très loin d’avoir pleinement imprégné les moeurs politiques internationales, même si elle a déjà fait évoluer le comportement des Etats »[470].

 

Ce constat ne peut cependant, en soi, démontrer un assouplissement de la règle du non-recours à la force. C’est ce qui a été formulé de manière assez claire par la C.I.J. dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua : « La Cour ne pense pas que, pour qu’une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette règle. Il lui parait suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières, que les Etats y conforment leur conduite de manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de reconnaissance d’une règle nouvelle.

 

Si un Etat agit d’une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu’un affaiblissement de la règle, et cela que l’attitude de cet Etat puisse ou non se justifier sur cette base »[471]. La pratique ne peut donc être prise en compte que si elle démontre un accord entre les Etats, qui constituerait à la fois une sorte d’interprétation authentique de l’article 2 § 4 et une opinio juris démontrant l’existence d’une règle coutumière.

 

Pour déterminer cette volonté des Etats, nous nous référerons d’abord aux accords, qu’ils soient informels à l’instar de certaines résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, ou formels, telles les conventions régionales de sécurité collective ou les traités de protection des droits de la personne (§127 et ss.).

 

Nous analyserons ensuite les cas particuliers d’intervention invoqués par la doctrine, afin de déterminer s’il s’agit véritablement de précédents permettant de conclure à la licéité des interventions d’humanité (§131 et ss.).

 

Les résolutions des Nations Unies abordant le problème du recours à la force sont nombreuses. Trois d’entre elles sont cependant particulièrement édifiantes pour notre sujet ; il s’agit de la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 sur les relations amicales, de la résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 portant définition de l’agression, et de la résolution 37/10 du 15 novembre 1982 sur le règlement pacifique des différends internationaux[472].

 

La résolution 2625 (XXV) constitue un instrument de base pour interpréter la Charte des Nations Unies : il se présente de la sorte, et a en outre été reconnu comme tel par la C.I.J.. Or, en vertu de cette résolution, « tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force pour violer les frontières existantes d'un autre Etat ... De même, tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force pour violer les lignes internatioTiales de démarcation ... ».

 

Les termes soulignés montrent que l’argument tendant à présenter une intervention armée humanitaire comme permise à partir du moment où elle n’entraîne pas une appropriation territoriale ne peut être retenu. La résolution 2625 écarte clairement ce raisonnement en interdisant toute violation de l’intégrité mais aussi de la souveraineté territoriale. Nous avons d’ailleurs déjà constaté que la C.I.J. avait condamné les Etats-Unis pour violation de la règle codifiée dans l’article 2 § 4 sans qu’il y ait eu appropriation territoriale .

 

Par ailleurs, la résolution interdit toute intervention, armée ou non armée, « pour quelque raison que ce soit ». Les raisons humanitaires sont donc également exclues. Enfin, on y affirme qu’un recours à la force « ne doit jamais être utilisé comme un moyen de règlement des problèmes internationaux ».

 

Ainsi, on ne pourrait prétendre qu’une réaction à de graves violations des droits de la personne ne constitue pas un « différend » auquel s’applique l’obligation de règlement pacifique. La résolution portant définition de l’agression est plus explicite encore. En effet, son article 1er prévoit que « l'agression est l’emploi de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu’il ressort de la présente définition ».

 

On a donc, à la requête des Etats les plus faibles, expressément rajouté un terme de caractère général à la définition contenue dans l’article 2 § 4. L’interprétation de ce dernier ne fait donc plus aucun doute. Comme le remarque Ronzitti, « such a statement puts an erid to any remaining doubt as to the meaning of political indépendance and territorial integrity. The addition of the term ’sovereignty’ ... represents an additional safeguard which could compel even a mere entry into foreign territory to be considered as an act of agression ; even if this is not aceompagnied by the incorporation of any part of the territory of the attacked State of by any change of régime. Armed action in a foreign territory does, therefore, violate the first part of the fourth paragraph of Article 2 of the Charters »[473].

 

D’ailleurs, l’article 3 de la résolution cite une série d’actes qualifiés a priori d’agressions et comprenant notamment :

 

a)    l’invasion ou l’attaque du territoire d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat ...

b)    le bombardement, par les forces armées d’un Etat, du territoire d’un autre Etat, ou l’emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d’un autre Etat ...

c)     L’attaque par les forces armées d’un Etat contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, ou la marine et l’aviation civiles d’un autre Etat ....

 

On remarquera l’extrême ampleur de la définition, qui n’exige pas qu’il y ait une quelconque appropriation territoriale, et ne fait aucune mention de circonstances spéciales propres à une intervention humanitaire. Au contraire, l’article 5 de la définition ôte définitivement toute force à une interprétation de la règle du non-recours à la force qui permettrait de telles interventions : « Aucune considération de quelque nature que ce soit, politique, économique, militaire ou autre, ne saurait justifier une agression ». Aucune considération humanitaire ne peut donc justifier une intervention armée constitutive d’agression.

 

L’interdiction absolue du recours à la force est encore réaffirmée a contrario dans la résolution de Manille, qui prévoit notamment que « tous les Etats doivent régler leurs différends internationaux exclusivement par des moyens pacifiques ». On ne peut que rappeler l’importance de l’article 2 § 3 pour l’interprétation de la règle du non-recours à la force.

 

A cet égard, cette résolution se prononce aussi sur un argument parfois évoqué par les tenants d’un droit unilatéral d’ingérence. Il s’agit de l’inefficacité du système de sécurité collective, qui légitimerait des initiatives unilatérales qui, en quelque sorte, s’y substitueraient[474].

 

On a même prétendu que les rédacteurs de la Charte n’avaient pu prévoir la situation de guerre froide et les blocages consécutifs au Conseil de sécurité. Cet argument est évidemment contestable sur le seul plan factuel : il semble aujourd’hui plus que douteux que, à San Francisco, on n’ait pas pu prévoir l’opposition entre l’Union soviétique et ses alliés une fois la guerre terminée. Sur le plan juridique, la C.I.J. avait condamné cette théorie dès son premier arrêt rendu au fond, en affirmant que « le prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé [...] que comme la manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les défi­ ciences présentes de l'organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international ».

 

L’Assemblée Générale a pris position en ce sens dans sa « résolution Acheson » : « Si le Conseil de sécurité manque à s’acquitter des fonctions qui lui incombent au nom de tous les Etats membres, ... il n’en résulte pas que les Etats membres soient relevés de leurs obligations »[475]. Le § 13 de la résolution de Manille met définitivement un terme à toute possibilité de controverse en disposant explicitement que « ni l’existence d’un différend ni l’échec d’une procédure de règlement pacifique d’un différend n’autorise l’un quelconque des Etats parties à un différend à avoir recours à la force ou à la menace de la force ». Ces termes, limpides, se passent de tout commentaire.

 

Ces résolutions de l’Assemblée générale ne sont du reste pas les seuls instruments par lesquels les Etats ont affirmé une interprétation stricte de l’article 2 § 4. On peut aussi citer certaines conventions à caractère régional. Ainsi, la Charte de l’O.E.A. dispose en son article 21 : « Les Etats Américains s’engagent dans leurs relations internationales à ne pas recourir à l’emploi de la force, si ce n’est dans le cas de légitime défense, conformément aux traités en vigueur, ou dans le cas de l’exécution desdits traités » On constate que, par rapport à l’article 2 § 4, l’expression relative à l’intégrité territoriale, à l’indépendance politique et les buts des Nations Unies a disparu. Les deux seules exceptions mentionnées sont la légitime défense et les mécanismes de sécurité collective. Pour le reste, tout recours à la force est interdit, quel qu’en soit le but.

 

A cet égard, l’article 27 de la même Charte confirme ce point de vue : « Toute agression dirigée par un Etat contre l’intégrité ou l’inviolabilité du territoire ou contre la souveraineté ou l’indépendance politique d’un Etat amé­ricain, ...». Ici, l’expression est reprise, mais est complétée pour recouvrir indéniablement tous les types de recours à la force, en l’occurrence constitutifs d’agressions. De même, l’article II de la Charte de l’O.U.A. érige en objectif des Etats membres de l’Organisation la défense de « leur souveraineté, leur intégrité territoriale, et leur indépendance ». Enfin, le Pacte de Varsovie interdisait généralement en son article premier « de recourir à la menace ou à l’emploi de la force ... », sans restriction autre que le caractère international dudit recours.

 

D’autres conventions régionales sont moins explicites et reprennent les termes de la Charte ou réaffirment l’obligation de règlement pacifique des différends. On peut cependant conclure que les Etats ont, à travers certaines conventions régionales, affirmé à plusieurs reprises leur conviction que le recours à la force est interdit d’une manière absolue dans les relations internationales.

 

Dans le même sens, on peut examiner le texte de certaines conventions protectrices des droits de la personne dont les puissances intervenantes prétendent vouloir assurer le respect. On peut en effet considérer qu’il s'agit d’une pratique précisant comment les Etats interprètent la mise en oeuvre des principes de non-recours à la force et de règlement pacifique des différends en matière de droits de la personne. Or, aucune résolution ni convention protectrice des droits de la personne ne permet, directement ou indirectement, le recours à la force armée pour faire respecter ces droits.

 

Au contraire, nous avons déjà relevé que les traités en question subordonnent toute réaction unilatérale à une série de conditions. Plus précisément, des mécanismes de règlement sont explicitement prévus et les Etats ont l’obligation de les utiliser dans la mesure où ils sont efficaces. Nous avons conclu que toute une série de contre-mesures non-armées étaient possibles moyennant le respect de certaines conditions.

 

En revanche, on ne peut interpréter cette pratique conventionnelle comme permettant, même dans des circonstances exceptionnelles, un recours à la force pour faire respecter des droits de la personne. Un tel acte irait donc totalement à l’encontre des conventions en question. Les Etats se sont d’ailleurs aussi prononcés d’une manière générale pour l’interdiction absolue des mesures de représaille armées.

 

Comme le remarque Sicilianos, « la prohibition des représailles militaires sous le régime de la Charte est la conséquence du caractère englobant, voire impératif que revêt son article 2 §4, ...»[476]. Or, ici encore, aucune exception n’a été prévue tenant au motif humanitaire de la puissance intervenante. Par exemple, la résolution 2625 (XXV) déjà examinée précise le contenu du non-recours à la force en énonçant, sans mentionner d’exception éventuelle, que « les Etats ont le devoir de s’abstenir d’actes de représailles impliquant l’emploi de la force ». Cette formulation générale « ne laisse pas d’échappatoire ». Elle est détaillée dans la résolution 36/103 de l’Assemblée générale qui réaffirme « le devoir d’un Etat de s’abstenir de recourir à toute intervention armée ... ou à tout acte d’ingérence militaire ... y compris les actes de représailles impliquant le recours à la force ». On la retrouve aussi dans certaines conventions régionales.

 

Le caractère absolu de l’interdiction a été relevé également par la Commission du droit international. Les Etats ont donc, en établissant par divers instruments l’illicéité des représailles armées, réaffirmé une fois de plus leur interprétation restrictive de l’article 2 §4.

 

Mais la doctrine favorable au droit d’ingérence armée unilatérale a, tout en ignorant superbement les enseignements des résolutions de l’Assemblée générale ou des conventions régionales de sécurité ou protectrices des droits de la personne, invoqué des cas particuliers d’interventions armées qui viendraient à l’appui de ses thèses. Comme nous l’avons déjà relevé, de tels précédents doivent être examinés avec énormément de prudence, dans la mesure où il est indispensable d’y déceler une véritable position juridique au-delà de considérations politiques[477].

 

La tâche est évidemment beaucoup moins aisée que dans le cas d’instruments élaborés dans le cadre des Nations Unies où chaque Etat exprime officiellement sa position sur un problème juridique déterminé. Le premier précédent à analyser à l’aune de ces critères est l’intervention de la Tanzanie en Ouganda, souvent évoquée par une partie de la doctrine. Les faits à la base de l’intervention peuvent être résumés comme suit.

 

En janvier 1979, les troupes tanzaniennes pénètrent sur le territoire ougandais. Le président Nyerere déclare alors que le gouver­ nement d’Amin Dada est un gouvernement de « voyoux » et que le peuple ougandais a le droit de le renverser. Quelques mois plus tard, les troupes tanzaniennes aidées par des rebelles ougandais, investissent la capitale et annoncent que le régime dictatorial a fait long feu. Un nouveau gouvernement est formé, qui affirme son intention de respecter les droits de la personne.

 

Ces événements ont été invoqués à l’appui de la doctrine de l’intervention d’humanité dans la mesure où une motivation affichée de la puissance intervenante était de lutter contre un régime tyrannique et sanguinaire. Il semble à cet égard que la population locale ait bien accueilli l’action tanzanienne. Par ailleurs, les réactions internationales sont restées faibles, voire inexistantes : l’O.U.A. n’a pas bougé, seuls quelques Etats ont protesté, et la majorité d’entre eux a reconnu immédiatement le nouveau gouvernement ougandais.

 

L’ensemble de ces éléments a mené Teson à prétendre que l’intervention tanzanienne constituait le précédent le plus clair et le plus absolu en faveur de l’existence d’un droit d’intervention armée unilatérale pour motifs humanitaires[478]. Mais l’action tanzanienne doit à notre sens être analysée d’une toute autre manière. En effet, loin de justifier juridiquement l’intervention armée en se référant à des motifs humanitaires, le président Nyerere a basé son argumentation sur la légitime défense, exception on ne peut plus classique à la règle du non-recours à la force.

 

Il faut à cet égard se souvenir qu’en octobre 1978, soit quelques semaines avant le début de l’intervention, les troupes ougandaises avaient pénétré sur le territoire tanzanien et occupé une partie de celui-ci, qu’elles allaient bientôt formellement annexer. La Tanzanie avait alors officiellement protesté, ce qui avait suscité diverses médiations, notamment de la part du Secrétaire général de l’O.N.U., et avait même manifesté son intention de riposter par la force.

 

C’est donc bien de légitime défense dont il s’est agi. Le président Nyerere a d’ailleurs établi un rapport présenté à une réunion de l’O.U.A. en juillet 1979 dans lequel on peut lire : « The war between Tanzania and ldi Amin’s régime in Uganda was caused by the Ugandan army’s aggresaion against Tanzania and ldi Amin’s claim to have annexed part of Tanzanian territory. There was no other cause for it »[479].

 

C’est sur cette base, et non pour des considérations de caractère humanitaire, que plusieurs Etats ont soutenu l’intervention tanza­ nienne en Ouganda. Les déclarations se référant à des considérations humanitaires ne peuvent donc être perçues comme l’expression d’une position juridique mais doivent être considérées comme la manifestation d’une position essentiellement politique. A cet égard, la considération selon laquelle l’argument de légitime défense est fondé ou non n’a aucune pertinence ; seul compte le fait qu’on s’y réfère comme cause de justification. Si on reprend les critères dégagés par la Cour pour analyser la pratique, on doit conclure que l’intervention tanzanienne confirme une interprétation restrictive de la règle du non-recours à la force mentionnée à l’article 2 § 4 de la Charte.

 

On peut presque en dire autant des autres précédents mentionnés par la doctrine. On peut ainsi évoquer l’intervention indienne au Bengladesh qui a rendu possible en 1971 l’indépendance de cet Etat. Cette action a parfois été présentée comme destinée à mettre fin aux massacres perpétrés par les forces pakistanaises à l’encontre de la population bengali. En ce sens, le représentant indien a déclaré lors de débats qui se sont tenus à l’Assemblée générale de l’O.N.U. : « the réaction of the people of India to the massive killing of unarmed people by military force has been intense and sustained ... There is intense sorrow and shock and horror at the reign of terror that has been let loose ... »[480].

 

On a remarqué que l’intervention armée de l’Inde n’a été condamnée que par quelques Etats, même si une résolution de l’Assemblée générale de l’O.N.U. a appelé de manière générale les deux parties à retirer leurs troupes sur leur propre territoire[481]. Cependant, il faut relever que, ici encore, la puissance intervenante a justifié son action en recourant principalement à l’argument de légitime défense.

 

 A cet égard, l’absence de condamnation de la part des autres Etats s’explique surtout par des raisons d’opportunité. Un autre précédent fréquemment invoqué est l’intervention française ayant mené au renversement de l’Empereur Bokassa en Centrafrique. On se souvient que plusieurs centaines de soldats français avaient aidé des rebelles à renverser l’Empereur. Les réactions de la communauté internationale étaient, ici encore, restées faibles : seuls quelques Etats avaient condamné l’action française[482].

 

Mais, il est difficile de tirer des enseignements décisifs de ce précédent. En effet, les autorités françaises sont restées assez discrètes sur la justification de leur intervention. Dans un premier temps, elles ont prétendu n’être arrivées dans le pays que lorsque le renversement de Bokassa avait déjà eu lieu, par le seul fait du peuple centrafricain (106)[483]. Ensuite, elles semblent être restées silencieuses sur le sujet. On ne peut donc prétendre déduire une interprétation quelconque de la règle du non-recours à la force sur cette base. Ici encore, ce sont sans doute des considérations d’opportunité politique qui expliquent notamment l’absence de condamnation par les Etats.

 

On peut terminer l’examen de cas particuliers par l’intervention armée des Etats-Unis à la Grenade, en 1983. En effet, Jeanne Kirpatrick, représentante américaine aux Nations Unies, a fait une déclaration au Conseil de sécurité selon laquelle, « l'interdiction de l’emploi de la force à laquelle se réfère la Charte doit être replacée dans le contexte. Elle n’est pas absolue. Sont prévues des justifications de l’emploi de la force [...] lorsqu’il s’agit de défendre d’autres valeurs, elles aussi énoncées dans la Charte, comme la liberté, la démocratie et la paix ... ». Par ailleurs, diverses déclarations d’officiels américains, dont le président Reagan, ont mis l’accent sur les motivations prétendument humanitaires de l’invasion[484]. Cependant, les Etats-Unis ont basé généralement leur défense sur d’autres arguments.

 

L’intervention a ainsi été justifiée par trois moyens distincts, dont aucun ne se réfère à la notion d’intervention d’humanité : il s’agit de l’appel du gouverneur général de la Grenade, de l’autorisation donnée par une organisation régionale des Caraïbes, et de la protection des ressortissants américains établis sur l’île[485].

 

Par ailleurs, il faut remarquer que l’invasion a fait l’objet d’une large condamnation internationale, principalement en Amérique latine[486]. L’Assemblée générale des Nations Unies a même condamné l’intervention dans sa résolution 38/7 (1983). Pour ces raisons, on ne peut invoquer l’invasion de la Grenade comme précédent établissant une pratique générale favorable au droit d’ingérence armée pour motifs humanitaires. Tout au plus peut-on y déceler l’expression d’une interprétation de l’article 2 § 4 particulière aux Etats-Unis. Un examen de l’invasion de la République du Panama mène, mutatis mutandis, aux mêmes conclusions.

 

Basée officiellement sur des considérations humanitaires, l’invasion de décembre 1989 a, de même, été motivée par d’autres considérations. Elle a par ailleurs aussi été condamnée par l’Assemblée générale. D’autres précédents pourraient encore être cités dans le même sens.

 

Que conclure de cet examen de la pratique en tant que mode d’interprétation de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies ? D’un côté, nous avons vu que, lorsque les Etats ont été amenés à se prononcer clairement sur la question, ils ont affirmé sans ambi­ guïté que cette disposition interdisait de manière absolue le recours à la force dans les relations internationales. Des résolutions telles que la résolution 2625 (XXV), par laquelle les Etats ont entendu préciser le sens de la Charte ou la résolution portant définition de l’agression, sont sans équivoque : elles rejettent toute possibilité d’invoquer des motivations humanitaires pour échapper à la prohi­ bition. La pratique conventionnelle confirme ce point de vue, que ce soit sur un plan régional ou universel. Il est à cet égard essentiel de rappeler que les représailles armées sont exclues tant de manière générale que par les conventions protégeant les droits de la personne. D’un autre côté, on peut, dans la pratique des relations internationales, relever quelques cas particuliers où les Etats se réfèrent à de telles motivations.

 

On ne peut cependant tirer aucune conclusion de ce constat Tout d’abord, les positions officielles exprimées par les puissances intervenantes sont loin de démontrer une position juridique claire des Etats en faveur d’un droit d’ingérence humanitaire. On peut en dire autant de l’absence de condamnation parfois constatée. Dans la plupart des cas, ces circonstances s’expliquent par des raisons essentiellement politiques et n’expriment en rien une position juridique déterminée.

 

On peut à cet égard remarquer que certains Etats ont rejeté explicitement la théorie de l’intervention d’humanité lors d’une intervention armée d’un autre Etat, et ont ensuite eux-même fait référence à cette théorie lors d’une de leurs propres interventions. Il suffit de comparer l’attitude des Etats-Unis à propos de l’intervention indienne au Pakistan et de leur action à la Grenade[487].

 

Par ailleurs, il faut remarquer qu’il existe une pratique abondante en sens inverse, c’est-à-dire démontrant que les Etats ne s’estiment pas fondés à intervenir militairement dans un autre Etat pour mettre fin à des violations des droits de la personne. Les exemples sont innombrables. Le cas du Kampuchéa dans les années 1970 est sans doute le plus remarquable. Aucun des Etats, au premier rang desquels il faut compter ceux qui se présentent aujourd’hui comme les défenseurs les plus acharnés des droits de la personne, n’a prétendu pouvoir intervenir militairement pour mettre fin au génocide dont a été victime le peuple cambodgien.

 

Lorsque l’intervention armée du Vietnam a eu lieu, en 1979, la quasi-totalité des Etats l’ont condamnée et ont réaffirmé avec vigueur le caractère absolu de la règle du non-recours à la force. Par exemple, selon le représentant de la France aux Nations Unies, « the notion that because a régime is detestable foreign intervention is justified and forcible overthrow is legitimate is extremely dangerous. That could ultimately jeopardize the very maintenance of international law and order and make the continued existence of various régimes dépendent of the judgment of their neighbors »[488].

 

De même, pour le représentant britannique, « whatever is said about human rights in Kampuchea, it cannot excuse Vietnam, whose own human rights record is deplorable, for violating the territorial integrity of Democratie Kampuchea ».

 

Quant au Vietnam lui-même, il n’a pas fondé juridiquement son action sur des considérations humanitaires. Ici encore, ce sont des exceptions classiques qui ont été évoquées, et en particulier la légitime défense[489]. Il n’y a donc pas lieu de fonder une interprétation de la règle du non-recours à la force sur une pratique d’une petite minorité d’Etats, qui ne révèle pas une position claire, et qui est contredite par une pratique abondante en sens inverse[490].

 

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler les propos de la C.I.J. qui s’est prononcée à deux reprises sur le sujet. Dans l’affaire du Détroit de Corfou, la Grande-Bretagne a adopté exactement l’argumentation tendant à présenter l’interdiction du non-recours à la force comme relative. Plus précisément, Sir Eric Beckett a affirmé dans sa plaidoirie que l’intervention armée britannique destinée à enlever les mines albanaises «... threatened neither the territorial integrity nor the political indépendance of Albania. Albania suffered thereby neither territorial loss nor any part of its political independence »[491].

 

La Cour a finalement condamné le Royaume-Uni pour violation de la règle du non-recours à la force, en réaffirmant l’importance de celle-ci dans les relations internationales. Elle a donc, dès son premier arrêt sur le fond, condamné sans nuance l’interprétation extensive de l’article 2 § 4[492].

 

De même, dans l’affaire des Activités militaires et 'paramilitaires au Nicaragua, la Cour s’est prononcée de manière générale sur l’existence éventuelle d’une pratique favorable à un droit d’intervention d’humanité, droit susceptible de fonder le comportement des Etats-Unis en l’espèce. En effet, une série de déclarations officielles américaines mettaient l’accent sur des motivations humanitaires qui auraient guidé la politique des Etats-Unis.

 

La Cour a donc examiné l’affaire sous cet angle : « En réalité la Cour constate ... que les Etats qui ont effectué des interventions n’ont pas justifié leur conduite en prenant argument d’un droit nouveau d’intervention ou d’une exception nouvelle au principe interdisant celle-ci. A diverses occasions les autorités des Etats-Unis ont clairement exposé les motifs qu’elles avaient d’intervenir et qui tenaient par exemple à la politique intérieure de ce pays, à son idéologie, au niveau de ses armements ou à l’orientation de sa politique extérieure.

 

Mais il s’agissait là de l’exposé de considérations de politique internationale et nullement de l’affirmation du droit international actuel. En particulier, à propos de leur conduite à l’égard du Nicaragua qui est mise en cause en l’espèce, les Etats-Unis n’ont pas prétendu que leur inter­ vention, ainsi justifiée sur un plan politique, l’était aussi sur le plan juridi­ que, au motif qu’ils mettraient de la sorte en oeuvre un nouveau droit d’in­ tervention qui, d’après eux, existerait actuellement en de telles circons­ tances ... les Etats-Unis ont expressément et exclusivement justifié leur intervention, sur un plan juridique, en faisant appel à dea règles 'classiques' à savoir la légitime défense collective ...»[493].

 

On pourrait appliquer ces conclusions, mutatis mutandis à l’en­ semble des cas particuliers que nous ayons examinés. Mais le même arrêt s’avère d’autant plus fondamental que, dans la suite de son raisonnement, la Cour examine, à titre surabondant, l’argumentation défendue par la doctrine favorable au droit d’ingérence armée unilatérale pour motifs humanitaires : « de toute manière, si les Etats-Unis peuvent certes porter leur propre appréciation sur la situation des droits de l’homme au Nicaragua, l’emploi de la force ne saurait être la méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect de ces droits. Quant aux mesures qui ont été prises en fait, la protection des droits de l’homme, vu son caractère strictement humanitaire, n’est en aucune façon compatible avec le minage des ports, la destruction d’installations pétrolières, ou encore l’entraînement, l’armement et l’équipement des contras. La Cour conclut que le motif tiré de la préservation des droits de l’homme au Nicaragua ne peut justifier juridiquement les Etats-Unis ... ». Cet arrêt constitue donc un précédent décisif puisque la Cour s’y prononce explicitement sur la question après avoir opéré un examen de la pratique[494]. L’interprétation restrictive de l’article 2 § 4 en sort une fois de plus confirmée.

 

1. L’argument de légitime défense

 

A priori, les hypothèses de légitime défense sont assez éloignées de ce qu’on entend généralement par interventions armées humanitaires. En effet, une « ingérence humanitaire » est par définition effectuée au nom de la défense des droits de la personne en général, et non pour riposter à une agression interétatique. Nous avons déjà relevé que l’argument de légitime défense avait été invoqué, comme dans le cas de la Tanzanie ou du Vietnam, lorsque la persécution interne s’était accompagnée d’une attaque d’un pays voisin. Ceci n’a évidemment aucun rapport avec les interven­ tions humanitaires : la validité de l’intervention tanzanienne ou vietnamienne dépendait uniquement de la satisfaction aux condi­ tions nécessaires pour légitimer une défense armée, quel que soit le sort des populations vivant à l’intérieur de l’Etat agresseur.

 

Certains auteurs ont toutefois lié les problèmes de la légitime défense et de l’intervention d’humanité. Selon eux, l’intervention militaire effectuée par un Etat pour protéger ses nationaux à l’étranger pourrait se justifier sur base de la légitime défense, dans la mesure où les violations des droits de la personne dont ils sont victimes seraient assimilables à une agression. C’est sur base de raisonnements similaires que les Etats-Unis ont tenté de justifier leurs actions en République Dominicaine (1965), au Liban (1976) ou à la Grenade (1983), ou que la Belgique est intervenue au Congo en 1960[495].

 

Tout d’abord, on remarquera que de telles interventions sont dif­ ficilement qualifiables d’« interventions d’humanité ». En effet, la protection de ses nationaux par un Etat ne peut être considérée comme revêtant une motivation essentiellement humanitaire, puisque le but de l’action est par définition la défense d’individus en raison de leurs liens avec un Etat. Il s’agit donc de cas relativement exceptionnels qui trouvent peu de place dans le cadre du sujet abordé.

 

De toute manière, la validité du raisonnement juridique suivi par cette tendance doctrinale est plus que sujette à caution. L'article 51 de la Charte subordonne l’exercice du droit de légitime défense à la constatation d’une agression armée préalable. Or, on ne peut assimiler la violation de droits de la personne, même si elle touche des nationaux d’autres Etats, à une agression. La définition de l’agression, adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 3314, énumère en son article 3 une série d’actes : on n’y retrouve nullement des atteintes à l’intégrité physique de simples particuliers nationaux d’un autre Etat[496].

 

L’attaque doit en effet être dirigée soit contre le territoire d’un autre Etat, soit contre les forces armées de celui-ci. Cette liste n’est pertes pas limitative, puisque l’article 4 de la définition permet au Conseil de sécurité de « qualifier d’autres actes d’agression conformément aux dispositions de la Charte ». Cependant, on nJa jamais qualifié des violations de droits de la personne d’actes d’agression, même lorsque l’occasion s’en présentait. Ainsi, Israël a prétendu justifier son opération à Entebbe sur base de la légitime défense. Selon le délégué des Etats-Unis au Conseil de sécurité, « inévitablement, le sauvetage des otages par Israël a nécessité une enfreinte temporaire de l’intégrité territoriale de l’Ouganda, qui aurait été inadmissible en temps normal aux termes de la Charte des Nations Unies. Toutefois, il existe un droit bien établi, celui du recours à la force limitée pour protéger ses ressortissants d’une menace imminente — mort ou blessure — lorsque l’Etat sur le territoire duquel ils se trouvent n’est ni désireux ni capable de les protéger. Le droit en question, qui découle du droit de légitime défense, est limité au recours à la seule force nécessaire et appropriée pour protéger les ressortissants en danger. Dans le cas d’Entebbe, il s’agissait de toute évidence de protéger ses ressortissants ».

 

La citation reproduite montre aussi les dangers de la tendance doctrinale étudiée, qui semble accepter la légitime défense préventive, puisqu’une « menace imminente » suffirait à fonder une action armée. Cette thèse n’a évidemment pas prévalu, et la majorité des Etats membres du Conseil de sécurité l’ont fermement condamnée, même lorsqu’il s’agissait d’Etats occidentaux comme la France ou le Royaume-Uni[497].

 

En réalité, on ne peut relever aucun précédent où l’argument de légitime défense a été accueilli en l’absence d’une attaque contre le territoire ou les forces armées d’un autre Etat.

 

Il reste à rejeter un dernier argument de la tendance doctrinale accordant une place exorbitante à l’exception de légitime défense. Certains auteurs prétendent que la référence au « droit naturel » de légitime défense contenue dans l’article 51 de la Charte permettrait de passer outre la condition de l’acte préalable d’agression. Selon eux, cette expression renverrait au droit coutumier qui, contrairement à la Charte, légitimerait une réaction armée à un acte non constitutif d’agression, notamment dans le but d’engager une opération humanitaire de protection de ses ressortissants[498].

 

A cet égard, les propos de Max Huber dans l’affaire des Biens britanniques au Maroc espagnol, datant du 23 octobre 1924, sont fréquemment rappelés : « il est incontestable qu’à un certain point l’intérêt d’un Etat de pouvoir protéger ses ressortissants et leurs biens doit primer le respect de la souveraineté territoriale, et cela même en l’absence d’obligations conventionnelles. Ce droit d’intervention a été revendiqué par tous lea Etats, ses limites seules peuvent être discutées »[499].

 

Une telle argumentation doit être rejetée à plus d’un titre. D’abord, il est inconcevable d’invoquer une absence d’interdiction coutumière pour contourner une interdiction conventionnelle ; et l’art. 2§ 4 interdit bien un recours à la force non justifié par les termes de l’art. 51[500]. Ensuite, la coutume prévalant actuellement ne rend nullement légitime une défense armée dirigée contre un recours à la force non constitutif d’agression.

 

Comme l’a reconnu expressément la C.I.J. en statuant sur base coutumière, « ce droit ne peut être exercé que si l’Etat intéressé a été victime d’une agression armée ». Il ne saurait donc être émis de doutes sur l’existence de cette exigence. En définitive, l’exception de légitime défence ne peut jamais être retenue dans le cas des interventions armées humanitaires, la violation des droits de la personne n’ayant aucun rapport avec un acte constitutif d’agression.

 

 

2. Les mécanismes de sécurité collective

 

L’exception la plus remarquable à la règle de l’interdiction du recours à la force est sans aucun doute constituée par les méca­ nismes de sécurité collective institués par la Charte.

 

En vertu de l’article 42 de la Charte, le Conseil de sécurité « peut entreprendre, au moyen des forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ». On le constate, une latitude extrêmement grande est laissée au Conseil de sécurité dans l’appréciation de l’opportunité et dans la mise en oeuvre d’actions armées[501].

 

Il suffit que, à son propre jugement, il existe une menace à la paix ou à la sécurité internationales. Si tel est le cas, l’Etat touché par l’action armée ne pourra pas invoquer le principe de non-intervention contenu à l’article 2 § 7 de la Charte qui, comme nous l’avons relevé, ne « porte en rien atteinte » aux mesures coercitives prises en vertu du chapitre VII. L’action décidée par le Conseil de sécurité sera donc justifiée par l’article 42 même si elle concerne des affaires relevant du domaine réservé d’un Etat membre.

 

Ainsi, de simples troubles internes, ou une guerre civile, dans lesquels n’interviendrait aucune violation du droit international, pourraient donner l’occasion au Conseil d’engager une action armée, pourvu qu’il qualifie la situation de menace à la paix ou à la sécurité internationales. Nous avons d’ailleurs souligné, dans le cadre de cette étude, qu’une situation constitutive d’une menace à la paix ne sort pas ipso facto du domaine réservé des Etats en cause. C’est donc à tort que certains ont prétendu que, dans le cadre de la crise yougoslave, il était nécessaire de reconnaître préalablement les républiques sécessionnistes pour rendre l’affaire « internationale », afin que l’O.N.U. puisse se saisir de la question et envoyer des forces militaires sur place[502].

 

Pour autant que l’on puisse qualifier la situation en cause de menace à la paix et à la sécurité internationales, le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives, même si le domaine visé relève des affaires internes yougoslaves. En tout état de cause, le raisonnement basé sur la reconnaissance préalable ne peut être retenu puisque la reconnaissance ne peut, en principe, avoir aucun effet constitutif, mais seulement déclaratif d’une indépendance qui doit s’observer sur le terrain[503]. Rien n’empêchait donc juridiquement le Conseil de sécurité de jouer son rôle dans la crise yougoslave.

 

 A titre d’exemple, il est intéressant d’exposer le texte de la résolution 713 du 25 septembre 1991 par laquelle « The Security Council [...] Deeply concerned by the fighting in Yugoslavia which is causing a loss of human life and material damage, and by the conséquences for the countries of the région, in particular in the border areas of neighbonring countries, Concerned that the continuation of this situation constitutes a threat to international peace. and security, Recalling its primary responsability under the Charter of the United Nations for the maintenance of international peace and security [...] 6. Décidés, under Chapter VII of the Charter of the United Nations that ail States shall, for the purposes of establishing peace and security in Yugoslavia, immediatly implement a général and complete embargo on ail deliveries of weapons and military equipment to Yugoslavia[...] 8. Décidés to remain seized of the matter until a peaceful solution is achieved ».

 

Les passages soulignés mettent en évidence que, même si la situation en Yougoslavie présentait déjà à cette époque certains aspects internationaux, comme la violation du droit de la guerre par certains des belligérants, le Conseil de sécurité base sa compétence sur les risques de rupture de la paix et sur sa responsabilité particulière en la matière. En tout état de cause, on imagine mal le Conseil de sécurité rester inactif devant une situation où aucune obligation internationale ne serait violée, comme dans le cas d’une guerre civile qui se déroule dans le respect du droit de la guerre, alors que la prolongation de ce conflit risque de menacer la paix et la sécurité dans toute une région.C*est le cas typique pour la region des grands lacs africains avec  la creation de la conference internationale sur la region des grands lacs africains. En ce sens,croyons nous aussi que certains gouvernants congolais devraient mettre un peu d*eau dans leurs vins comme ce fut le  cas avec  l’opposition de certains Etats à l’adoption d’une résolution traitant de la question haïtienne par le Conseil de sécurité sous prétexte qu’il s’agissait d’une affaire intérieure et   n’a pas de fondement juridique sérieux[504].

 

Si le Conseil estime qu’un coup d’Etat est de nature à menacer la paix et la sécurité internationales, rien ne lui interdit de mettre en oeuvre certaines mesures. De toute manière, le problème est souvent théorique dans la mesure où la plupart des situations de menace à la paix ou à la sécurité internationales sont nées ou s’accompagnent de violations du droit international.

 

A cet égard, il faut rappeler que le pouvoir de Conseil de sécurité de qualifier une situation de menace à la paix ou à la sécurité internationales est discrétionnaire. L’article 39 de la Charte est libellé très généralement et n’apporte aucune restriction à son pouvoir : « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Dans la pratique, le Conseil adopte d’ailleurs très souvent des résolutions sans procéder explicitement au constat requis formellement par l’article 39 de la Charte.

 

La validité de ces résolutions n’en est pas moins unanimement reconnue. De même, le pouvoir discrétionnaire concerne aussi le type d’action à entreprendre pour modifier la situation constatée. La liberté d’action du Conseil en matière de sécurité collective est donc presque sans limite. Seule la théorie de l’abus de droit ou de l’application arbitraire et contraire à l’esprit de la Charte devrait être démontrée dans un cas particulier. Aucun précédent n’existe à ce jour, même si on a parfois critiqué la manière dont le Conseil de sécurité a agi lors de la deuxième guerre du Golfe en 1991[505].

 

A cet égard, il faut espérer que les nouveaux rapports de force qui s’établissent à l’échelle mondiale ne se traduisent pas par un accroissement de l’activité répressive dirigée seulement vers certains Etats, à l’exclusion d’autres membres de la communauté internationale qui seraient responsables de violations du droit international d’importance équivalente.

 

Cette possibilité donnée au Conseil de sécurité peut s’analyser comme un véritable « droit d’ingérence », puisque l’action peut concerner les affaires intérieures d’un Etat. L’expression n’est évidemment pas tout-à-fait exacte puisque les Etats ont, en ratifiant la Charte, conféré au Conseil de sécurité le droit d’opérer de la sorte : ils ont par là même renoncé à se prévaloir de la règle d’intervention en pareille situation. Il reste que l’action du Conseil pouvant s’exercer dans tous les domaines, on peut par commodité utiliser l’expression « droit d’ingérence » à son propos. On peut même qualifier le mécanisme de sécurité collective de « devoir d’ingérence », dans la mesure où le Conseil de sécurité a une obligation d’en faire usage dans certaines conditions.

 

C’est ce qu’exprime l’article 24 de la Charte, en vertu duquel « ... les Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom ».

 

La responsabilité du Conseil de sécurité implique donc un devoir de réagir à certains événements, au besoin par la force, et éventuel­ lement dans un domaine relevant encore du domaine réservé d’un Etat. Plus concrètement, on peut rappeler que les droits de la personne ne relèvent, dans leur ensemble, plus du domaine réservé des Etats et que, si le Conseil de sécurité le juge opportun, il peut décider que leur violation massive constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales.

 

C’est à ce titre, et non pour fonder une action unilatérale d’un Etat, que la résolution 721 (VIII) édictée par l’Assemblée Générale à l’encontre de la politique sud-africaine d’apartheid mérite d’être rappelée. Selon ses termes, « ’il ne suffit pas, pour assurer une paix durable, de conclure des accords de sécurité collective contre les ruptures de la paix internationale et les actes d’agression, mais [...] le maintien d’une paix réelle et durable dépend aussi de l’observation de tous les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies [...] il dépend, en particulier, du respect effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, ainsi que du maintien de conditions favorables au bien-être économique et social dans tout le pays ».

 

Les articles 52 et 53 de la Charte prévoient aussi la possibilité pour certaines organisations régionales d’exercer des mesures coercitives. Mais les conditions d’application de ces articles s’avèrent relativement strictes, de sorte qu’on peut affirmer que le devoir d’intervention reste celui du Conseil de sécurité lui-même.

 

Deux propositions doivent êtres rappelées à cet égard. D’une part, la sécurité collective est invoquée à tort si l’action n’est pas véritablement exercée par l’organisation régionale Pour illustrer cette limitation par un exemple, lors de leur invasion de la république Dominicaine en 1965, les troupes nord-américaines ont, après plusieurs jours, été remplacées formellement par une « force interaméricaine de paix » envoyée par l’O.E.A[506]. Or, il est évident que l’article 53 de la Charte qui prévoit l’utilisation d’organismes régionaux n’est d’application que si les mesures armées ont été effectivement exercées par l’organisation, et ceci selon les formes prévues par ses statuts. A défaut, on se trouve en présence non d’un mécanisme de sécurité collective mais d’une action unilatérale masquée. D’autre part, la sécurité collective est invoquée à tort si l’action n’a pas été menée sous la tutelle du Conseil de sécurité Ainsi, lors de leur invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, les troupes du Pacte de Varsovie n’ont ni informé, ni obtenu l’autorisation du Conseil de sécurité[507].

 

Or, l’article 53 de la Charte exige explicitement une autorisation du Conseil pour ce type d’opérations, peu importent les considérations de la puissance intervenante sur la légitimité de son action. Le Conseil ne permettra à un organisme régional d’agir que s’il existe une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression, et que si lui-même est dans l’incapacité de réagir. En outre, l’article 54 oblige les organismes régionaux à tenir le Conseil de sécurité « pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée »[508].

 

A défaut, on se trouve devant un simple recours à la force opéré par un groupe d’Etats. Les mécanismes de sécurité collective sont donc strictement régle­ mentés par la Charte de l’O.N.U. et instituent le seul Conseil de sécurité en titulaire d’un éventuel devoir d’ingérence armée.

 

Le « devoir d’ingérence » revendiqué par certains auteurs, journalistes ou hommes politiques existe donc, sous la réserve technique déjà mentionnée. Mais il n’existe que dans le chef d’un organisme multilatéral, et non au profit d’Etats agissant individuellement. On peut d’ailleurs affirmer que, a contrario, les mécanismes de la Charte conférant un devoir d’ingérence au Conseil interdisent aux Etats d’agir unilatéralement.

 

Ainsi, la défense des valeurs universelles telles les droits fondamentaux de la personne reste réservée à un organisme universel ou quasi-universel, l’Organisation des Nations Unies. Il faut à cet égard rappeler que les créateurs du concept d’« intervention d’humanité » eux-mêmes n’envisagaient l’action armée destinée à mettre fin à des violations des droits de la personne que dans l’exercice d’un droit collectif. Amtz écrivait dès 1876, à une époque où aucune organisation internationale n’avait vu le jour, que «... en pareil cas un Etat isolé ne peut s’arroger le droit d’intervention.

 

Ce droit ne peut être exercé qu’au nom de l'humanité représentée par tous les autres Etats, ou tout au moins par le plus grand nombre des Etats civilisés qui doivent se réunir en Congrès ou en tribunal pour une décision collective. De cette manière on peut concilier le droit d’intervention avec la garantie de l’indépendance des Etats »[509].

 

De même, Antoine Rougier affirmait en 1910 que « ... les intérêts collectifs doivent faire l’objet de délibérations collectives. Le droit d’agir confre un gouvernement Inhumain appartient proprement à la société des nations, gardienne du droit humain, que les actes tyranniques  lèsent dans leurs prérogatives essentielles ; les puissances intervenantes sont ses représentants. Or la Société des nations ne peut être représentée que par une collégialité d’Etats. Un Etat Isolé, fut-il Ie plus civilisé du monde, ne saurait parler avec autorité en son nom ni en celui de l'humanité »[510].

 

Des auteurs plus anciens, comme Puffendorf, avaient aussi mis en évidence que la défense des droits de la collectivité ne pouvait être assurée, manu militari, que par une collectivité d’Etats. La tendance doctrinale actuelle, dans la mesure où elle étend ce droit aux Etats agissant individuellement, entre donc aussi en contradiction avec les pionniers du droit d’intervention pour motifs humanitaires.

 

Le droit international offre actuellement une solution technique adéquate à des violations graves des droits de la personne observées à l’intérieur d’un Etat en permettant au Conseil de sécurité d’y mettre fin. On a cependant souvent mis en évidence la disproportion entre les moyens techniques existants — les prérogatives du Conseil de sécurité — et l’absence d’utilisation pratique de ces moyens techniques — la passivité de ce même Conseil de sécurité dans nombre de situations[511].

 

On répondra tout d’abord que cette distortion entre théorie et pratique existera vraisemblablement quel que soit la méthode de sécurité collective envisagée. Nous avons déjà relevé que les précédents où les Etats se sont unilatéralement réclamés des intérêts de l’humanité correspondaient rarement aux hypothèses où une intervention armée de défense des droits de la personne était nécessaire.

 

Par ailleurs, l’inaction de ces mêmes Etats à de violentes répressions observées dans d’autres pays enlève toute crédibilité à un système basé sur l’appréciation individuelle. Il suffit à cet égard de rappeler l’attitude des pays occidentaux lors des événements qui se sont déroulés au Cambodge dans les années 70 : ils n’ont pas davantage bougé, même par la voie pacifique — en introduisant un recours devant la Cour internationale de Justice par exemple —, que le Conseil de sécurité.

 

Aussi, l’évolution récente des relations internationales est largement favorable à une diminution des blocages existant au sein même du Conseil. L’invasion du Koweït par l’Iraq a montré que, dans certaines circonstances, l’O.N.U. était désormais prête à réagir[512]. Les critères politiques sont certes loin d’avoir totalement disparu, puisque certains Etats comme Israël, l’Indonésie ou le Maroc continuent à occuper des territoires en contradiction totale avec la Charte et à violer les droits de la personne qui y résident[513].

 

A cet égard, le « nouvel ordre mondial » dont la réalité a été proclamée par plusieurs chefs d’Etats[514], n’est encore, au mieux, qu’une déclaration de bonnes intentions, au pire un concept destiné à masquer la poursuite d’une politique de domination[515]. Quoi qu’il en soit, on peut affirmer que la fin de la bipolarisation introduit une tendance générale à une plus grande capacité de réaction du Conseil de sécurité[516].

 

A cet égard, on peut relever une déclaration formulée le 16 juillet 1991 par le « G7 » par laquelle « les Sept » s’engagent « à rendre les Nations Unies plus fortes et plus efficaces en vue de protéger les droits de l’homme, de sauvegarder la paix et la sécurité pour tous et de dissuader l’agression»[517].

 

Au moment où l’Organisation des Nations Unies paraît la plus apte depuis sa création à assumer sa fonction, il est moins opportun que jamais de revendiquer en droit international l’introduction d’un droit d’ingérence armée qui pourrait être exercé unilatéralement par les Etats.

 

Cette revendication est d’autant moins justifiée que les Etats pourront éventuellement agir en pratique de manière unilatérale, pourvu qu’ils puissent se prévaloir d’une autorisation donnée par le Conseil de sécurité. On sait en effet que l’article 43 de la Charte, en vertu duquel les Etats membres s’engagaient à mettre des forces armées à la disposition du Conseil, n’a jamais été appliqué. Aucune « Force des Nations Unies » n’a donc jamais pu être mise sur pied pour mener des actions militaires[518].

 

Dès lors, à l’occasion des deux seuls précé­ dents où le Conseil de sécurité a mis en oeuvre une action militaire coercitive, il a procédé à une sorte de délégation de l’exercice de son droit, en « autorisant » les Etats membres à agir dans le sens de la résolution édictée. Ainsi, le Conseil de sécurité a, en 1950, recommandé aux Etats membres «... d’apporter à la république de Corée toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationales »[519].

 

De même, par sa résolution 678 du 29 novembre 1990, il «... autorise les Etats membres qui coopèrent avec le gouvernement du Koweit si, au 15 janvier 1991 l’Iraq n’a pas pleinement appliqué les résolu­ tions susmentionnées au paragraphe 1 ci-dessus, à user de tous les moyens nécessaires pour faire appliquer la résolution 660 (1990) du Conseil de sécurité et toutes les résolutions pertinentes ultérieures, ainsi que pour rétablir la paix et la sécurité internationales dans la région ». Ces deux précédents sont certes fondamentalement différents.

 

Dans le premier cas, l’action visait un Etat non membre de l’O.N.U., la Corée du nord, et on ne peut donc considérer l’action comme une application des mécanismes de sécurité collective contenus dans la Charte, qui, par définition, ne lie que les Etats membres.

 

En outre, la résolution 83 (1950) était le résultat de la politique de la « chaise vide » suivie à l’époque par FU.R.S.S., ce qui représente une circonstance exceptionnelle[520]. Par contre, le cas de l’Iraq est théoriquement plus classique puisque ce n’est qu’après avoir enjoint à plusieurs reprises à un Etat membre de respecter la Charte que le Conseil de sécurité a recouru à des moyens militaires.

 

Cependant, dans les deux situations, le Conseil de sécurité a décidé d’utiliser la force et, à cette fin, a recouru à la technique de la délégation de l’exercice de son droit. Encore convient-il de préciser que cette technique ne consiste nullement en une délégation du droit d’agir militairement lui-même. Seul le Conseil de sécurité peut prendre une décision, et l’action des Etats membres est strictement limitée aux termes de celle-ci. Leur responsabilité propre, et non celle du Conseil de sécurité, peut être engagée dans le cadre des opérations menées en vertu des résolutions[521].

 

Il n’en reste pas moins que la technique de la délégation assouplit les conditions nécessaires à la validité d’une intervention armée humanitaire. Cette délégation de l’exercice du droit de réaction rend essentielle l’interprétation des termes de la résolution la contenant. A cet égard, on a souvent lors de la deuxième guerre du Golfe caricaturé à l’extrême la résolution 678 précitée en considérant que le Conseil de sécurité avait autorisé les Etats à recourir à la force le 15 janvier 1991 de manière discrétionnaire.

 

En réalité, les Etats visés pouvaient seulement user de « tous les moyens nécessaires » au respect par l’Iraq des résolutions pertinentes précédentes[522], ces moyens incluant éventuellement un recours à la force[523]. Le terme « nécessaire » apparaît relativement important dans la mesure où il avait aussi été utilisé dans le cadre de la crise coréenne. Il pourrait encore l’être à l’avenir. Sans entrer dans le détail de ces résolutions particulières, il convient de souligner le caractère restrictif du terme en question.

 

Comme le Cour internationale de Justice l’a souligné à propos de l’interprétation d’une disposition conventionnelle contenant le terme en cause, «... la question de savoir si une mesure est nécessaire ... ne relève paa de l’appréciation subjective de la partie intéressée, ... le texte ne vise pas ce que la partie 'estime nécessaire’ ».

 

Cette distinction est d’autant plus justifiée dans le cas des mécanismes de sécurité collective que, comme nous l’avons relevé, l’article 42 de la Charte qui en constitue la base parle d’action que le Conseil de sécurité juge, nécessaires.

 

Quant à la signification du terme « nécessaire », elle doit elle aussi s’interpréter restrictivement. On peut à cet égard considérer que le caractère « nécessaire » d’une action par rapport à un but visé s’assimile à une action indispensable pour atteindre ce but. Le pouvoir discrétionnaire de mener des mesures militaires n’appartient donc qu’au Conseil de sécurité. Une délégation éventuelle ne peut s’interpréter que restrictivement selon les termes usités.

 

Il convient d’examiner au cas par cas si l’action menée par un Etat est bien « nécessaire » et donc conforme à la résolution. Une intervention humanitaire ne peut être validée que sur cette base. En conclusion, les mécanismes de sécurité collective prévus par la Charte, même interprétés restrictivement, confèrent un droit et même un devoir d’ingérence au Conseil de sécurité. Celui-ci apparaît aujourd’hui de plus en plus apte à assumer sa responsabilité en la matière. Il est donc non seulement dangereux mais aussi inutile de vouloir conférer ce droit aux Etats agissant individuellement.

 

La deuxième exception à la règle de l’interdiction du recours à la force ne peut donc être invoquée par les Etats qui voudraient se prévaloir d’un droit d’ingérence armée sur une base unilatérale.

 

 

 

 


 

2ème Partie :

RÉGIONALISATION DES FLUX MIGRATOIRES FACE AU DROIT HUMANITAIRE ET LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS

 

 


Chapitre I :

RÉGIONALISATION DES FLUX MIGRATOIRES

 

Section 1. CORRELATION ENTRE L’INSECURITE INTERNATIONALE, DEPLACEMENT DES POPULATIONS ET LE DROIT D’INTERVENTION HUMANITAIRE

 

La violation massive des droits de la personne et spécifiquement des violences sexuelles basées sur les gens a propulsé les débats politico – juridiques sur le fondement du droit d’intervention humanitaire par la communauté internationale. Ce droit se justifie par l’érosion des frontières interétatiques car il vise les conflits internationaux et intra – nationaux.

 

Quoi qu’il en soit, la finalité de débattre sur le droit d’intervention humanitaire a le mérite d’interpeller constamment la conscience humaine et la solidarité internationale.

 

La question fondamentale dans cette analyse est celle de présenter la corrélation, en relations internationales, qui existerait entre l’instabilité politique ou l’insécurité à l’Est de la République Démocratique du Congo, (les violations massives des droits des femmes, spécifiquement, les violences sexuelles basées sur le genre) et l’intervention humanitaire de la communauté internationale.

 

Cette recherche s’inscrit dans le champ des recherches et études des relations internationales concernant les acteurs, publics des relations internationales, à savoir les Etats, les organisations internationales gouvernementales et les organisations non gouvernementales. Elle constitue l’un des cas d’études pratiques des relations internationales contemporaines face aux défis de la souveraineté des Etats par rapport au multilatéralisme en relations internationales pour la paix mondiale.

 

1. Sur le plan du système international

 

Comme l’a si bien explicité Cisé dans « The responsability to protect ; Reseach, Bibliobackrounds, en précisant que lorsque la violation massive des droits humains est flagrante, cela constitue une menace contre la paix et la sécurité internationale, d’où le conseil de sécurité de l’ONU est censé s’impliquer sous le label des Nations – Unies.

 

Comprenons par-là, que la menace peut dorénavant être strictement interne, mais impliquer la communauté internationale.

 

De telles violations massives de droits d l’homme sont aussi assimilées aux crimes contre l’humanité.

 

En effet, le principe des relations internationales  « de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ; reconnait octroie aux Etats la liberté de choisir librement un système politique démocratique, ou régime politique, d’éditer des lois nationales, de s’occuper avec indépendance des affaires intérieures de l’Etat. La recherche de la paix et la sécurisation du territoire nationale en fait partie.

 

Donc un Etat doit être capable de protéger sa population contre la famine, contre l’insécurité et toute forme de violence. Sinon le devoir ou le devoir d’ingérence humanitaire est permis. C’est le cas du génocide Rwandais, qui a eu pour conséquence la catastrophe humanitaire pour le Rwanda, et la déstabilisation de toute la région des Grands lacs qui perdure à ce jour.

 

La guerre de 1996-1997 dite de « libération » menée par l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, avec à sa tête Laurent Désiré Kabila et ses alliés, ce conflit avait eu pour causes internes notamment le bilan du régime de Mobutu : l'institutionnalisation des anti valeurs, la violence généralisée, les arrestations arbitrales, les revendications identitaires et de la nationalité des Banyamulenge à l'Est du pays, l'abandon du régime de Mobutu par la Communauté Internationale et le Central Agency Intelligence (le CIA), la dégradation totale de la situation humanitaire, etc.

 

Sur le plan externe, ces conflits ont eu pour causes les raisons sécuritaires avancées par le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, l'ambition pour le Rwanda de redistribuer la carte géographique de l'Afrique Centrale, ainsi que l'exploitation illégale des richesses naturelles congolaises. Au plan international, il y a l'insécurité qui entourait le Centre National de Recherche Nucléaire de Kinshasa, l'embargo qui défaillait le régime de Mobutu, le soutien dudit régime aux rebelles soudanais du sud.

 

Le conflit de 1998 à 2002 appelé « guerre d'agression » conduite par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda, avec le soutien des grandes puissances, le conflit de 1998-2002 avait pour causes internes entre autres la tribalisation de l'appareil de l'Etat, de l'administration, des services publics, l'immaturité et l'inexpérience des cadres et politiciens, l'interdiction des activités politiques, l'arrestation des leaders politiques, la difficile gestion des soldats de Mobutu, les pillages des ressources du pays par certains dignitaires même du régime et par les alliés étrangers du régime de Laurent Désiré Kabila.

 

Quant aux causes externes, il y a les prétextes qui justifient les interventions armées rwandaise : celle d'effacer sur la face de la terre les Hutus extrémistes des ex-Forces Armées Rwandaises (FAR) et les interahamwe soutenus par l'armée congolaise présumés génocidaires d'une part, et assurer la sécurité des Tutsis sur le sol congolais d'autre part.

 

A ces causes s'ajoutent la stratégie des grandes puissances pour d'une part, annexer le Kivu au Rwanda pour l'exploitation économique de la région et d'autre part, installer à Kinshasa des substituts du Rwanda une sorte de gouvernement de façade destiné à gérer les intérêts étrangers.

 

Les conflits armés qui ont ravagé la République Démocratique du Congo ont produit des conséquences néfastes sur tous les plans. Ils ont bouleversé de manière fondamentales les conditions économiques, politiques, sociales, ... du pays et surtout causé plus de milliers pertes de vies humaines.

 

L’exode des réfugiés et les flux migratoires qui en découlèrent  avec la présence des  bandes armées (ADF NALU, FDLR, etc.)  à l’Est de la RDC, constituent une menace contre la sécurité et la paix internationale et de la sous – région des Grands lacs africains. Ces Etats se sont regroupés au sein de la conférence internationale sur la région des grands lacs Africains pour trouver des solutions durables. Telles qu’expliqué par Madame Malutama Lufuma. ,dans l »internationalisation de conflits récurrents dans cette région où dans la recherche de solutions durables signèrent l’accord cadre d’AddisAbbebapour y remédier.

 

La communauté internationale fut saisie et c’est le HCR qui devait intervenir, la Monusco, MSD, etc., bref toute la panoplie des organismes internationaux, dans un état souverain suite à l’affut des réfugiés et des violences y afférentes.

 

Les Etats souverains ont déjà songé au droit humanitaire, pour qu’il n’y ait pas de :

 

1.  Discrimination dans le secours et

2. Libre accès aux victimes ;

3. L’obligation pour la communauté internationale d’intervenir lorsque  des violations massives, flagrantes et systématiques des droits de l’homme sont constatées ;

4. Des technique de contrôles internationaux des droits de l’homme sont mis en place dès que des situations de violations massives sont constatées. Quatre conventions de Genève du 12 Août 1949 et deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 affirment ces principes ;

5. Concernant les violences basées sur les genres, plusieurs techniques sont développées :

 

-   Contrôle sur les rapports des gouvernements,

-   Contrôle sur la plainte individuelle,

-   Contrôle sur la plainte de l’Etat,

-   Contrôle par voies d’enquêtes internationales.

 

2. Sur le plan régional et sous régional

 

2.1. Niveau régional

 

a) L’organisation de l’Unité Africaine :

 

Concernant ce domaine, cette organisation était assez rigoureuse sur cette question. En effet, l’acte constitutif de l’union africaine de 2001 et l’ancienne charte de l’OUA de 1963 valorise les principes fondamentaux de la souveraineté des Etats, que la charte des Nations – Unies consacre, cependant la spécificité pour l’Union Africaine est l’emphase émise concernant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour eux aussi, la souveraineté implique aussi la responsabilité des Etats à s’occuper de sa population sur le plan des droits de l’homme que doit jouir ce peuple. Le gouvernement national doit agir et sécuriser d’abord son peuple : ne pas le laisser affamé par exemple, ni assister impuissant aux violes systématiques des femmes par exemple, comme à l’Est de la RDC par des fractions armées non identifiés.

 

Selon le prof Matangila Léon, les conséquences des conflits de 1996-2002 au Congo-Kinshasa ont provoqué des massacres et des pertes en vie humaine (au moins 4 millions), l'exode des populations, surtout civiles, les viols, les mutilations, diverses blessures dont psychologiques, les pillages des ressources naturelles du pays, pour ne citer que ceux-là. On estime à 67% le nombre des femmes et des enfants décédés.

 

Selon le rapport des Nations Unies au Congo-Kinshasa sur la situation en Ituri à l'Est du pays, les viols des femmes et des mineurs étaient devenus une arme de guerre. On sait par ailleurs que Human Rights Watch avait averti que plusieurs éléments armés étaient porteurs des maladies sexuellement transmissibles dont le Sida.

 

b)    La vision de l’Union Africaine :

 

Conformément à  l’Acte constitutif de l’Union Africaine, le fléau des conflits en Afrique constitue un obstacle majeur au développement socio-économique du continent et qu’il s’avère nécessaire de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité, conditions préalables à la mise en œuvre des programmes de développement et d’intégration.

 

Les déficits accumulés en matière de gouvernance et la faillite des processus de démocratisation constituent les principaux facteurs à l’origine des conflits dans la Région des Grands Lacs et que le respect des droits de l’homme garantit le maintien de la paix et de la sécurité dans la région des Grands Lacs.  

 

La Déclaration Universelle des droits de l’homme d’une part, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples d’autre part, proclament le droit de chacun de se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés consacrés, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

  

L’engagement solennel contenu dans la Déclaration de Dar-es-Salaam à construire une Région des Grands Lacs ouverte à d’autres régions du continent en établissant la coopération autour des axes prioritaires que sont : la paix et la sécurité, la démocratie et la bonne gouvernance, le développement économique et l’intégration régionale, les questions humanitaires et sociales.

 

Ainsi, les principes fondamentaux inscrits dans la charte des Nations Unies et dans l’Acte Constitutif de l’Union Africaine, notamment l’intégrité territoriale, la souveraineté, la non-ingérence et la non-agression, l’interdiction à tout Etat partie d’autoriser l’usage de son territoire par des groupes armés comme base d’agression et de subversion contre un autre Etat membre seront respectés, ainsi que la nécessité d’une volonté politique effective et durable de rechercher ensemble des solutions pacifiques et en particulier d’honorer les engagements des Etats membres dans un esprit de confiance mutuelle.

 

Le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes tel que consacré par la Charte des Nations Unies, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Plate-forme d’Action et la Déclaration de Beijing, les Objectifs du millénaire pour le développement, l’Acte constitutif de l’Union Africaine (UA), le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme, la Déclaration solennelle de l’Union Africaine sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique, soulignent l’engagement des Etats africains à assurer la pleine participation des femmes africaines au développement de l’Afrique comme des partenaires égaux.

  

La Déclaration de Dar-es-Salaam reconnaît que la discrimination à l’égard des femmes à tous les niveaux de prise de décision, dans les domaines de la paix et de la sécurité, de la démocratie et de la gouvernance politique, économique et sociale, exige un redressement volontariste, immédiat et durable.

  

2.2. Niveau sous régional

 

Durant les récents conflits à travers le monde, les déplacés continuent de subir des violences et des agressions d’un niveau sans précédent, donnant lieu à de graves conséquences sur leur santé ainsi qu’une possible stigmatisation et exclusion de leurs communautés.

 

Les personnes déplacées massivement qui deviennent des réfugiées à la suite du conflit font face à une grande insécurité qui vient à la fois du fait qu’elles sont isolées de leur système de soutien habituel et de l’insécurité physique additionnelle souvent présente dans les situations de déplacement forcé.

 

Dans les situations de conflit et de post-conflit, bon nombre d’entr’eux souffrent de l’insécurité économique qui vient de l’absence de moyens adéquats pour vivre et aussi du fait que beaucoup se retrouvent chefs de foyer, responsables de la survie de leurs enfants et de parents plus âgés.

 

La responsabilité des acteurs étatiques et le comportement des organismes internationaux concernant l’application des principes de non-ingérence et de la souveraineté des Etats face aux flux migratoires a pu justifier une attitude intermédiaire pour le juste milieu avec la coopération multilatérale.

 

Durant les conflits armés des années 1996 à 2003, ont été scellés des rôles traditionnellement reconnus aux femmes dans la gestion des conflits, dans la survie des ménages, dans la sexualité…mais ces conflits ont aussi été une opportunité d’impulser un réel changement social au niveau macro sociétal. Dans ce cadre, nous estimons que  l’intégration régionale pourrait réduire la vulnérabilité des Etats. Le cas de la région des grands lacs est vraiment un cas de figure.

 

Les processus d'Integration Economique Régionale (IER) se    différencient par leurs degrés d'institutionnalisation,  par  leurs  rythmes,  par leur  approfondissement  et/ou par  leur  élargissement.  Ils vont  des  coopérations sectorielles jusqu'aux unions politiques avec transferts de  compétences et de souveraineté. Le régionalisme de jure est plus ou moins portée par des institutions et par des arrangements commerciaux.

 

La régionalisation de facto peut résulter, au contraire, de pratiques d'acteurs constituant des réseaux commerciaux, financiers, culturels, technologiques sur des territoires régionaux. Elle peut également constituer une fragmentation de l'espace mondial liée à des stratégies de segmentation de la part des acteurs transnationaux.

 

La vulnérabilité, quant à elle, est au cœur des interdépendances entre les aléas, comme les mouvements massifs de populations d’un pays affectant ainsi toute la région des grands lacs. Des chocs endogènes ou exogènes des cycles de violences, et les capacités de résilience des économies nationales, des acteurs, des sociétés et des Etats.

 

Cette incapacité s’est avérée dans la sous-région et il y a vulnérabilité quand il y a fragilité, faiblesse d’organismes ou d’organisations, de personnes, de sociétés ou de zones géographiques face à des évènements aléatoires, anthropiques ou naturels, facteurs de risques  probabilisable ou d’incertitude jusqu’à la vulnérabilité extrême renvoyant  aux théories du chaos ou des catastrophes (Bresson, Geronimi, Pottier 2013, Hugon 2013).

 

Plus de vingt ans après, et suivant l’adoption de trois résolutions supplémentaires du Conseil de sécurité concernant les femmes dans les situations de conflit et post-conflit, la situation reste insatisfaisante. Seulement 21 des 192 Etats membres des Nations Unies ont jusqu’ici élaboré un Plan National d’Action (PNA) pour l’implémentation de la Résolution 1325.

 

Concernant les organisations internationales, l’UNESCO a une politique  de promouvoir les droits des femmes dans les situations de conflit et de post-conflit, et de faire avancer l’égalité des genres. Les experts rassemblés du monde entier - à la fois les femmes qui ont participé à la construction de la paix et aux activités de reconstruction post-conflit, et les experts des principales organisations intervenant dans ces pays et mettant en place l’agenda décisionnel pour permettre de mieux comprendre comment intervenir pour soutenir la participation des femmes dans les situations post-conflit. Un des obstacles à la pleine participation des femmes à la résolution des conflits qui a été identifié est leur insuffisante connaissance de leurs droits et des stratégies pour faire respecter ces droits.

 

Par conséquent, le travail de l’UNESCO dans le renforcement des capacités dans les situations de conflit et de post-conflit fait son possible pour contribuer de manière importante à la fois à l’avancée de l’implémentation de la Résolution sur les Femmes, la Paix et la Sécurité du Conseil de Sécurité et à l’avancée de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement, particulièrement OMD 3, c’est-à-dire de « promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes ».

 

Le programme de l’UNESCO de créer et de soutenir des centres de recherche sur les femmes dans les régions affectées par des conflits promeut la sécurité humaine et les droits des femmes dans ces régions et assure qu’il y ait une base de connaissances et de recherche orientée produites qui permettra aux femmes de participer à la résolution des conflits ainsi qu’à la reconstruction post-conflit.

 

L’UNESCO a déjà aidé à l’établissement de deux centres – Le Centre Palestinien de Recherche et de Documentation sur les Femmes à Ramallah, et le Centre Régional de Recherche et de Documentation sur les Femmes, le Genre, et la Construction de la paix dans la Région des Grands Lacs, situé à Kinshasa, République Démocratique du Congo.

 

En février 2013, 11 nations ont signé l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo (RDC) et la région, dans un nouvel effort pour mettre fin aux cycles récurrents des conflits ravageant l’est de la RDC, qui compromettent la stabilité et le développement de la région des Grands Lacs en Afrique. Le 31 janvier 2014, deux autres pays, le Kenya et le Soudan, sont devenus signataires de l’Accord-cadre. Cet accord a pour but de « remédier aux causes profondes du conflit et de mettre fin aux cycles de violence récurrents » dans l’est de la RDC et dans la région des Grands Lacs.

 

L’Accord-cadre définit les grandes lignes des principales mesures nationales, régionales et internationales requises pour mettre fin aux cycles de violence récurrents en RDC et dans la région. Il donne aux pays de la région, aux organisations régionales et à la communauté internationale un espace de collaboration pour s’attaquer de façon concertée aux causes structurelles de l’instabilité en RDC et dans la région.

 

L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs a notamment pour mandat :

 

-     D’entreprendre des missions de bons offices pour consolider les relations entre les signataires de l’Accord-cadre, encourager la conclusion de nouveaux accords pour revitaliser la mise en œuvre des accords existants visant à promouvoir l’intégration économique régionale, et favoriser la libre circulation des biens et des personnes.

-     D’inclure dans les missions de bons offices une démarche soucieuse d’égalité entre les sexes ainsi qu’un nouveau regard sur la problématique « femmes, paix et sécurité », s’agissant en particulier des abus sexuels liés aux conflits.

-     D’aider à formuler des options pour assurer la coordination stratégique de l’appui international aux signataires de l’Accord-cadre, en particulier le Burundi, l’Ouganda, la RDC et le Rwanda.

-     De coordonner l’engagement de la communauté internationale et de susciter l’intérêt du public à l’appui de la mise en œuvre de l’Accord-cadre, y compris en mobilisant des ressources.

-     D’appuyer le Mécanisme régional de suivi (11+4) prévu dans l’Accord-cadre.

 

Dans sa résolution 2098 (2013), le Conseil de sécurité s’est félicité de la signature de l’Accord-cadre et a invité l’Envoyé spécial, en coordination avec le Représentant spécial pour la RDC, à « diriger, coordonner et évaluer la mise en œuvre des engagements nationaux et régionaux pris dans l’Accord-cadre, … y compris l’établissement… de critères et de mesures de suivi appropriés.

 

a)  Principes de convergence constitutionnelle 

 

Les Etats membres au présent protocole s’engagent à respecter les  principes  constitutionnels communs ci-après :

 

-    La séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ;

-    lLaccession au pouvoir à travers des élections régulières, libres, honnêtes et transparentes ;

-    lLinterdiction de tout changement anticonstitutionnel et de tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ;

-    La participation populaire aux prises de décisions dans le strict respect des principes démocratiques ;

-    La décentralisation du pouvoir à tous les niveaux de gouvernement ;

-    La neutralité des forces de défense et de sécurité ;

-    La laïcité de l’Etat et de ses institutions ;

-    La promotion de l’unité nationale de l’Etat et de ses institutions ;

-    L’élimination de toute discrimination ethnique, religieuse, raciale, sexiste ou régionale ;

-    La parité entre les hommes et les femmes y compris au moyen de politiques de discrimination positive ;

-    Le pluralisme politique ;

-    La liberté d’association, de réunion et/ou de manifestation pacifique ;

-    La liberté de presse et d’expression ;

-    La liberté de circulation impliquant en particulier l’interdiction de l’exil forcé ou le maintien en exil.

 

 

b) Rôle des forces de défense et de sécurité dans un Etat démocratique 

Ø Missions des forces de défense et de sécurité

 

1. Les forces de défense et de sécurité sont républicaines. Elles sont au service du Pays membre auquel elles  appartiennent. 

2. Leur mission est de défendre l’indépendance, l’intégrité du territoire, de l’Etat et ses institutions démocratiques. Les forces armées peuvent être employées à des tâches de développement national. 

3. Les forces de sécurité publique ont pour mission de veiller au respect de la loi, d’assurer le maintien de l’ordre et la protection des personnes et des biens. 

   

Ø  Apolitisme et professionnalisme des forces de défense et de sécurité 

 

1. Les forces de défense et de sécurité sont apolitiques et sont soumises aux autorités civiles régulièrement établies. 

2. Les autorités civiles doivent respecter la neutralité des forces de défense et de sécurité. Toute activité ou propagande politique est interdite au sein des forces de défense et de sécurité. 

 

Ø Droits du personnel et usage de la force 

 

Le personnel des forces de défense et de sécurité bénéficie de tous les droits reconnus aux citoyens par la constitution sous les réserves édictées par son statut spécial. 

 

1.  L’usage de tout type d’armes pour la dispersion de réunions ou de manifestations non violentes est interdit.  

2.  En cas de manifestation violente, le recours à l’usage de la force minimale et/ou proportionnée est uniquement autorisé pour le maintien de l’ordre public et de la sécurité.

 

Ø  Interdiction de la torture et de l’arbitraire

 

1. La torture et tous autres traitements cruels, inhumains et dégradants sont absolument interdits. 

2. Les forces de sécurité publique, lors des enquêtes de police, doivent s’interdire d’inquiéter ou d’arrêter arbitrairement un parent ou allié de la personne  mise en cause. 

 

Ø  Education civique des personnels 

 

1. Les personnels des forces de défense et de sécurité doivent recevoir dans le cadre de leur formation, une éducation aux valeurs  constitutionnelles de leur pays, aux droits de l’homme, au droit international humanitaire et aux principes de la démocratie. 

2.  A cet égard, des séminaires et des rencontres périodiques seront organisés entre les éléments de ces forces et les autres secteurs de la société. 

3. De même, des formations communes seront organisées entre armées des Etats parties et entre les polices et les sociétés civiles.

 

Ø Position des Etats parties dans la lutte contre la pauvreté et Promotion du dialogue social 

  

Les Etats membres reconnaissent que la lutte contre la pauvreté et la promotion du dialogue social sont des facteurs essentiels de paix et de stabilité dans la région. 

 

Ø  Lutte contre la pauvreté 

 

1. Les Etats membres s’engagent à lutter efficacement contre la pauvreté dans leurs pays respectifs, en vue de son éradication. 

2. Les Etats membres  s’engagent à cet égard à satisfaire les besoins et à assurer les services essentiels de leurs populations notamment en : 

a) Mettant en place les instruments juridiques et politiques nécessaires à la promotion de l’emploi et au développement prioritaire des secteurs sociaux ;

b) Assurant une répartition équitable des ressources et des revenus visant à renforcer la cohésion, la solidarité et la stabilité nationales ;

 

c) Favorisant l’intégration des activités économiques, financières et bancaires par l’harmonisation des législations commerciales et financières ;

d) Créant un environnement propice à l’investissement privé et au développement d’un secteur privé dynamique et compétitif ;

e) Mettant en place des cadres juridiques et des politiques d’investissement nécessaires pour la promotion du commerce intra-régional et international et des investissements ;

f) Mettant en place des mécanismes de promotion et de protection de la démocratie et d’intégration pour la participation des femmes  dans les aspects cités ci-haut ;

g) Assurant la stabilité macro-économique pour la promotion de la croissance économique afin de lutter contre la pauvreté ;

h) Mettant en place des stratégies de réduction de la pauvreté qui constituent  le cadre de partenariat ;

i) Assurant l’obligation de transparence et de rendre compte à tous les niveaux. 

 

Ø  Promotion du dialogue social 

 

1. Les Etats membres doivent promouvoir le dialogue social à travers tous les secteurs de la société. 

2. A cet égard, les organisations de la société civile, de femmes, de jeunes, de personnes vivant avec un handicap, de syndicats et d’employeurs ainsi que les chambres de commerce et autres organisations connexes doivent être encouragées et renforcées au niveau de chaque Etat membre. 

3. Chaque Etat membre s’engage à mettre sur pied un environnement propice pour un dialogue régulier entre et parmi les syndicats des travailleurs, des employeurs, les Chambres de commerce et  les autres organisations concernées de la société civile, les associations des femmes et les autorités gouvernementales. 

4. Les Etats membres s’engagent à encourager le dialogue entre et parmi les différentes composantes du secteur informel en vue de leur permettre de s’organiser de façon à contribuer au développement de l’économie nationale. 

  

Ø  Décentralisation et participation populaire 

 

Les Etats membres s’engagent à adopter et à mettre en œuvre des politiques de décentralisation et de régionalisation en vue d’une pleine participation des communautés locales, de la société civile et du secteur privé au processus d’élaboration et d’exécution des politiques et des programmes nationaux de développement économique et social.  

 

Ø Reconnaissance du rôle de l’éducation,  de la culture et de la religion 

 

1. Les Etats membres reconnaissent que l’éducation, la culture et la religion sont des facteurs essentiels de paix, de stabilité et de développement dans chacun des Etats parties. 

2. Les Etats membres s’engagent à promouvoir, respecter et protéger le droit à l’éducation, à la diversité culturelle et à la liberté de culte dans la Région des Grands Lacs. 

  

Ø  Non discrimination en matière d’éducation 

 

Les Etats membres s’engagent à formuler et à mettre en œuvre une politique de nature à promouvoir l’éducation à tous les niveaux et dans tous les secteurs de formation sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l ‘origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, une attention particulière devant être attachée à l’éducation de la jeune fille.   

 

Ø Discrimination positive 

 

Les Etats membres s’engagent à mettre en place des politiques qui tiennent compte de la discrimination positive en vue de l’élimination des discriminations sociales, politiques, économiques, culturelles, historiques, et autres, qui ont privé la femme du même traitement et des mêmes opportunités que l’homme. 

  

Ø  Respect de la diversité culturelle 

 

Les Etats membres reconnaissent l’existence de diverses communautés avec des cultures et langues différentes. A cette fin, les Etats membres s’engagent à respecter et à promouvoir cette diversité culturelle.

                                           

Ø Tolérance religieuse

 

1. Les Etats membres  s’engagent à prendre des mesures pour promouvoir la tolérance religieuse et le dialogue inter-religieux afin de prévenir tout conflit religieux.  

2. A cette fin, les Etats membres encouragent l’institution de structures permanentes de concertation aux niveaux national et régional entre, d’une part, les représentants de chacune des religions, d’autre part, les différentes religions et les Etats membres.

 

Ø Engagement des Etats pour la Bonne gouvernance, l’Etat de droit et les Droits de l’homme 

 

Les Etats membres s’engagent à promouvoir la bonne gouvernance, l’état de droit et les droits de l’homme qui sont les fondements de la démocratie. 

  

Ø Bonne gouvernance

 

1. Les Etats membres reconnaissent que la bonne gouvernance est essentielle pour la sauvegarde de la justice sociale, la prévention des conflits, la sauvegarde de la stabilité politique et de la paix et le renforcement de la démocratie. 

2. Les Etats membres s’engagent à renforcer la protection de l’environnement par le renforcement des capacités institutionnelles en gestion et bonne gouvernance de l’environnement, à coordonner les activités environnementales relatives aux établissements humains dans la région par la sensibilisation tant au niveau gouvernemental qu’au niveau de la société. 

  

Ø État de droit et Droits de l’homme 

 

Les Etats membres reconnaissent que l’état de droit suppose non seulement l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi, mais aussi un système judiciaire indépendant et une administration publique efficace et transparente. 

  

 Les Etats membres reconnaissent que le respect des droits de l’homme est la meilleure garantie contre les atteintes à la paix, à la stabilité politique et au développement. 

  

Ø  Institutions et mécanismes nationaux et régionaux de protection des droits de l’homme. 

 

Les Etats membres s’engagent à mettre en place des institutions et des mécanismes nationaux et régionaux de protection des droits de l’homme et à leur fournir un appui nécessaire pour leur permettre de s’acquitter de leurs obligations.

 

Ø Protection des droits de la femme, de l’enfant, de la jeunesse et promotion des groupes vulnérables 

 

1. Les Etats membres reconnaissent que l’épanouissement de la femme et la promotion de ses   droits sont un gage de développement, de progrès et de paix dans la société. 

2.  Les Etats membres s’engagent en conséquence à mettre en place un mécanisme approprié et une politique régionale basée sur l’approche genre pour promouvoir les droits des femmes et éliminer toutes formes de pratiques préjudiciables, dégradantes et discriminatoires à leur encontre, conformément aux normes nationales, régionales et internationales en vigueur. 

  

3. Les Etats membres s’engagent à protéger les droits des enfants et à assurer leur bien-être, conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et à la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant. 

4. Les Etats membres doivent, à cet effet, garantir l’accès à l’éducation de tous les enfants et mettre en place un mécanisme et une législation au niveau national et régional de prévention et de répression du trafic des enfants.  

5. Les Etats membres s’engagent, en outre, à adopter les dispositions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur le travail des enfants et à prendre les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer l’enrôlement des enfants de moins de quinze (15) ans dans l’armée et/ou leur participation directe et/ou indirecte aux conflits armés. 

 

6. Les Etats membres s’engagent à adopter des règles pour l’encadrement et la promotion de la participation de la jeunesse dans tous les domaines du développement :

 

§  Les Etats membres s’engagent d’autre part à harmoniser leurs législations respectives en matière de prévention et de prise en charge de la délinquance juvénile aux niveaux national et régional. 

§  Les Etats membres s’engagent par ailleurs à mettre en place des politiques et des législations pour s’assurer de l’autonomie et de l’emploi de la jeunesse, de la protection de ses droits et de sa participation aux processus politiques.

 

7. Les Etats membres reconnaissent qu’étant donné les inégalités historiques, politiques et socio-économiques, certaines composantes de la société ont été défavorisées, et par conséquent ils s’engagent: 

§  1. à mettre en place des politiques et des programmes visant à combattre ces inégalités et à prendre des mesures de discrimination positive  pour s’assurer que les membres vulnérables de la société participent à la gouvernance et aux processus de développement, 

§  2. à prendre des initiatives visant à protéger les intérêts et les droits des groupes vulnérables tels que les minorités, les déplacés internes, les réfugiés, les personnes âgées, les personnes handicapées, les malades et notamment les personnes vivant avec le VIH/SIDA.   

 

Ø Mesures urgentes et Sanctions en cas de menaces ou de rupture de la démocratie 

  

1. En cas de menace ou de  rupture de la démocratie par quelque procédé que ce soit et en cas de violations massives des Droits de l’homme et des peuples dans un Etat membre, le Sommet se réunit en session extraordinaire aux fins d’adopter les mesures urgentes et appropriées pour mettre fin à la situation, y compris la prise des mesures et des sanctions prescrites à l’article suivant. 

    

2. La Conférence peut prendre une ou plusieurs des sanctions suivantes à l’encontre de l’Etat concerné:

 

a) Saisir l’Union Africaine  et l’Organisation des Nations Unies pour des actions appropriées conformément aux procédures établies ; 

b) Refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales ;

c) Refus de tenir toute réunion de la Conférence internationale dans l’Etat membre concerné ;

d) Suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la Conférence ; pendant la suspension, l’Etat concerné continuera d’être tenu au paiement des cotisations de la période de suspension ;

 

 3. Le Comité régional interministériel continuera de suivre, d’encourager et de soutenir tout effort mené par l’Etat membre concerné en vue du retour à la vie institutionnelle normale et du respect des droits de l’homme. 

 

Ø Modalités pratiques d’application 

 

1. Les Etats membres s’engagent à mettre en place aux plans national et régional des modalités pratiques en vue d’assurer l’effectivité de l’état de droit, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance. 

2. Les Etats membres s’engagent à assurer responsabilité, professionnalisme, compétence et transparence dans les secteurs public et privé.

 

Depuis que l’économie s’est mondialisée, il n’y a plus de tabou. Les frontières ne sont plus inviolables, l’autorité des Etats n’est plus souveraine, le droit international lui-même est sujet à distorsions. Quant aux ressources, elles sont désormais à prendre, par le plus rapide, le mieux armé, le plus proche … le monde entier est ainsi devenu un champ d’actions pour les multinationales à la recherche des profits à la Communauté internationale.

 

Des Etats tiers mais aussi des organisations interétatiques, des organisations non gouvernementales (ONG), des multinationales pèsent sur une entité en général, un Etat afin d’obtenir de cette entité telle ou telle mesure, tel ou tel comportement dans ce qui est considéré comme son domaine intérieur. Les formes de l’ingérence sont donc très larges à un extrême, elles peuvent être de simples conseils, des recommandations insistantes.

 

Dans le cadre du présent travail, nous pouvons conclure que l’ingérence humanitaire de la communauté internationale dans la région des grands lacs concerne plus le déplacement massif des populations. De ce fait, il existe une correlation entre l’insécurité dans la sous-région, la gestion des flux migratoires et la coopération multilatérale qui apparait comme un rempart dans la recherche des solutions éventuelles face au défi de la souveraineté des Etats.

 

 

 

Section 2. MECANISMES REGIONAUX DE RESOLUTION DES QUESTIONS TRANSFRONTALIERES

 

Cette étude s’est focalisée uniquement sur les impacts des conflits récurrents entre Etats de la Région des Grands Lacs Africains sur les autres Etats- apres les conflits ou post-conflits- qui sont egalement membres de la Conférence Internationale sur la Région de Grand Lacs (CIRGL).  

 

La présente étude se veut une analyse des conséquences diplomatiques entre les Etats membres de la Région de Grands Lacs africains consécutives aux conflits récurrents qui y sévissent et la quête des solutions durables. Spécifiquement, en prenant comme cas de figure de la région (qui s’est élargie à onze Etats membres dans le cadre de la CIRGL), la République Démocratique du Congo et le Rwanda.

 

Cette étude s’insère dans la logique des études des relations internationales, qui consistent à analyser les mécanismes, à la fois juridiques, économiques et politiques, mises en place sur le plan international aussi bien par l’organisation des Nations Unies (ONU) et l’Union Africaine (U.A), sur le plan régional, ainsi que par d’autres organisations sous-régionales, qui sont sensées prévenir, gérer et régler les conflits interétatiques ainsi que les déplacements des populations.

 

Par rapport aux enjeux de la mondialisation, une nouvelle dynamique globalisante, en termes d’intégration sous-régionale est nécessaire, dans la quête d’une paix et sécurité durables sous-régionale pour lutter contre les flux migratoires conçus en terme d’insécurité et de paix internationale.

 

Les enjeux économiques individuels des Etats, qui deviennent ensuite des enjeux de la sous-région et enfin ceux des multiples acteurs internationaux, interviennent dans ces guerres qui s’internationalisent : les conflits deviennent récurrents, comme c’est le cas à l’Est de la RDC, affectant ainsi toute la sous-région, avec des déplacements massifs des populations.

 

Soulevons le fait que les pays africains de la sous-région devraient fournir davantage d’efforts pour pallier aux problèmes liés à leur sécurité collective, comme étant la grande conséquence diplomatique de la sous-région, qui découlerait de la compréhension de notions des frontières dans la pratique et la maîtrise des rouages de la politique contemporaine d’observation de la paix.

 

Notre objectif est de démontrer que l’instauration de la CIRGL serait un leitmotiv pour ces pays africains des Grands Lacs de se doter d’une nouvelle dynamique globalisante, résultante parmi tant d’autres stratégies dans leur quête des solutions durables, en vue de leur sécurité collective, par le biais de cette union sous-régionale encore hypothétique.

 

Des modalités pratiques d'une politique étrangère doivent ~etre adaptées aux réalités de cette région à l'heure de la globalisation des économies. Une politique digne de ce nom, où le souci de la sécurité collective aurait sa place au même titre que la défense de l'intérêt national.

 

L’autre perspective est celle de la consolidation de l’Etat, pour que le progrès de la démocratie et l’essor de la nation soient fonction de la capacité des nouveaux élus, ayant désormais un pouvoir légitime sur ce pays continent, de relever le défi de la position géostratégique qu’occupe la RDC dans le concert des nations. De partout on entend dire : « la RDC doit jouer son rôle ». Celui-ci est, cependant perçu de différentes manières selon que l’on est congolais ou potentiel investisseur. Néanmoins, en prenant comme modèle l’Union Européenne au sein duquel les Etats sont unis par le même système politique démocratique. Cette démocratie a éliminé toutes leurs disparités depuis les deux guerres mondiales. De cette option peut découler l’intégration économique avec l’industrialisation régionale où tous les Etats seront bénéficiaires.

 

La dernière perspective est de soutenir les dispositions prises dans le cadre de la CIRGL et réaffirmer leur engagement au respect du pacte de la CIRGL, qui a été convoquée dans le souci de consolider la paix dans la région des grands lacs considérée comme le ventre mou de l’insécurité en Afrique, un véritable brasier éruptif des violences et conflits à répétition. Les quelques nations concernées en Afrique centrale ont décidé d’agir collectivement. Telle est la raison d’être de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs.

 

  L’Union africaine a également décidé d’appuyer cette initiative de gestion collective de conflits et de leurs consequences . Nous, de notre côté, nous trouvons que cette initiative cadre avec la thèse américaine telle qu’expliquée par Henry Kissinger qui me rattrape ou à qui je m’allie lorsqu’il s’interroge dans son ouvrage sur la diplomatie édité en 2004 en disant  que l'état du monde en ce début de siècle est le reflet de chacune des grandes régions de la planète. Lorsqu’on les saisit dans leurs contradictions, on peut les décrire dans leur contexte et leur histoire, à l'heure de l'affirmation de la nouvelle puissance américaine.

 

L'Amérique domine le monde, et sa puissance nouvelle la place devant un choix : soit céder à la tentation de l'unilatéralisme, soit travailler à l'équilibre des forces dans le cadre d'une politique d'action concertée à long terme. Hégémonie ou leadership ? Réalisme ! Henry Kissinger, on le sait, appartient à cette école. C’est de ce réalisme qu’on a tous besoin et surtout l´Afrique.

Section 3. PRECONISATION DE LA COOPERATION MULTILATERALE FACE AUX FLUX MIGRATOIRES ET AUX DEFIS DE LA SOUVERAINETE DANS LA SOUS-REGION

 

1. Les contraintes les plus urgentes 

 

La Région des Grands Lacs requiert un réseau plus conséquent d’infrastructures de transports terrestres, ferroviaires, fluviaux et lagunaires prioritaires, pour répondre à la préoccupation exprimée par les chefs d’Etats et de Gouvernements dans la Déclaration de Dar-es-Salaam adoptée en République unie de Tanzanie, le 20 novembre 2004, de créer un espace de coopération fondé sur des stratégies et des politiques de convergence (para 14), de promouvoir une vision partagée du développement économique et de l’intégration régionale qui appuie un développement global et durable (Para 37) et de promouvoir la coopération régionale dans les secteurs du commerce, du transport… (para 45

 

Les activités du projet sur la réhabilitation et la navigabilité du fleuve Congo résulteront nécessairement de la détermination du rôle exigible aux infrastructures de navigation sur le fleuve dans le cadre du  réseau d’infrastructures prioritaires retenues par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs. Ceci exigera une analyse succincte du réseau d’infrastructures prioritaires au regard des contraintes les plus urgentes à lever auxquelles la Région des Grands Lacs est actuellement confrontée. Il faudrait aussi examiner dans quelles mesures les institutions techniques opérant sur ce fleuve pourraient intervenir à la réalisation du projet et de prévoir, en conséquence, leur participation effective dans ce cadre.

  

La Région des Grands Lacs au centre de la Conférence internationale dégage quatre particularités critiques : 

 

La première particularité résulte du fait que dans cet ensemble régional, la RDC occupe une position géopolitique stratégique : son territoire partage neuf frontières avec les dix autres pays de la Région. Cette situation, très spécifique devrait, constituer un atout régional majeur dans un environnement qui favorise le développement économique et social de la Région, notamment dans la perspective de l’émergence des bassins transfrontaliers de développement aux aires périphériques de la RDC.  

 

La deuxième particularité découle du fait que parmi les dix pays qui partagent les frontières avec la RDC, cinq dont la RCA, au Nord, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, à l’Est et la Zambie, au Sud, sont des pays enclavés et que la RDC elle même, vaste de 2.345.000 km², est semi- enclavée. A l’Ouest, la RDC n’est pas un pays enclavé, mais toute la zone dite cuvette Congolaise est enclavée. Le Soudan ne l’est pas, mais toute la partie de son territoire frontalière à la RDC l’est. La Tanzanie ne l’est pas, mais la  partie de son territoire longeant le lac Tanganyika et frontalier à la RDC est enclavée. L’Angola ne l’est pas, seulement la partie de son territoire frontalière à la RDC l’est. L’enclave de Kabinda, partie du territoire angolais ceinturant entièrement le noyau central de la RDC est ainsi confrontée à une situation quasi permanente d’asphyxie économique résultant de son enclavement. 

 

La troisième particularité est que si la double situation d’asphyxié à  laquelle est confrontée la zone périphérique de la RDC n’est pas levée, cela peut  faire subir la même situation d’asphyxie au noyau Central de la Région des Grands Lacs. 

 

La quatrième particularité est que, paradoxalement, l’essentiel des ressources économiques de la Région des Grands Lacs est concentré dans cette zone périphérique et ce noyau central : ressources pétrolières et forestières dans la partie Ouest ( enclave du Kabinda, Congo Brazzaville, partie Ouest de la RDC) ; ressources forestières et minérales, pierres précieuses notamment au Nord de la RCA et au Sud-Ouest du Soudan; ressources agricoles à l’Est (Ouganda, Rwanda, Burundi, et Est de la RDC), véritable grenier de la Région confronté au taux le plus élevé de la pression démographique de la Région des Grands Lacs (densité de plus de 250 habitants au km² au Rwanda et au Burundi) ; ressources minérales et pétrolières les plus importantes de la Région des Grands Lacs dans la bande Ouest (cupper belt en Zambie et dans la partie Sud-Ouest de la RDC, diamant, pétrole en Angola) ; et les immenses potentialités économiques du noyau Central. 

 

De cette analyse succinte des contraintes les plus urgentes à lever, se dégage le rôle crucial du secteur de transport de la Région des Grands Lacs dont la priorité des priorités visera la mise en place d’un réseau d’infrastructures conçu obligatoirement dans l’objectif vital de détendre la Région de la triple situation d’asphyxie à laquelle sont  actuellement confrontées deux parties importantes de son territoire : le noyau central de la RDC et la zone périphérique au noyau Central.

 

2. Relations entre la navigabilité du fleuve congo et les differents corridors de transport de la région des grands lacs  

 

La réhabilitation et la navigabilité du fleuve Congo doivent être conçues en interrelation avec les autres projets d’infrastructures de transport proposés dans le cadre de la Conférence, à savoir :

 

-  la route transafricaine Lagos - Mombasa. Son tracé, tel que fixé par l’Autorité de cette transafricaine mise en place par la Commission Economique  pour l’Afrique dans le cadre du programme de la Décennie des Transports et Communications en Afrique, passe par Mombasa, Nairobi (Kenya), Kampala (Ouganda), Kisangani (RDC), Bangui (RCA) et Lagos. A cet égard elle constitue une voie d’intégration horizontale Est–Ouest et de désenclavement de la partie nord de la zone périphérique d’intervention prioritaire ; 

-  le réseau routier du Corridor Nord. Son axe unique bimodal (route, rail…) reliant Mombasa à Kampala est commun avec la route transafricaine Lagos - Mombasa. A partir de Kampala, il s’infléchit vers le sud et se déploie en réseau tri-modal  (route, lac, fer) pour drainer toute la partie sud de la zone périphérique. Son articulation au niveau de Kigali et Bujumbura, avec le Corridor central et notamment le bief supérieur du fleuve Congo et le Corridor Sud (Projet chemin de fer des Grands Lacs) en fait un système d’intégration verticale Nord-Sud, et de désenclavement de la partie Est de la zone périphérique. Ce déploiement en réseau tri-modal et sa multiple articulation avec d’autres corridors à ce niveau répondent aux exigences socio-économiques de cette partie Est de la zone périphérique, à savoir agriculture vivrière et d’exportation, agro-industrie, intense pression démographique ; 

-  le Corridor Sud (Projet chemin de fer des Grands Lacs). Il prolonge vers le sud le réseau du Corridor Nord de drainage de la partie Est de la zone périphérique. Son articulation au niveau de la Cupper Belt avec le Corridor Est, le Corridor de Lobito ainsi que la voie dite Nationale de la RDC (Lubumbashi – Ilebo – Kinshasa - Matadi) en fait en même temps un axe d’intégration Nord-Sud et de désenclavement de la partie Est de la zone périphérique et de la partie Sud de cette zone ; 

-  le Corridor Lobito. C’est un axe ferroviaire longeant toute la partie Ouest angolaise de la zone périphérique. Son prolongement vers l’Est au niveau de la Cupper Belt avec le système du Corridor central en fait un axe d’intégration horizontale Est-Ouest et de désenclavement de cette partie de la zone périphérique. Son articulation au même niveau avec la voie Nationale de la RDC et le Corridor Sud renforce sa capacité de désenclavement de la partie Ouest de la zone périphérique ; 

-  le chemin de fer Mombasa – Kisangani constitue une desserte supplémentaire de la partie Nord de la zone périphérique. Son articulation avec le fleuve Congo au niveau du port de Kisangani en fait un axe lourd de désenclavement du noyau central de la Région des Grands Lacs ; 

-  le fleuve Congo et ses quatre ramifications principales : l’axe principal Ouest l’Oubangui, relié au niveau de Bangui avec la transafricaine Lagos-Mombasa, draine en amont de Bangui la partie Nord de la zone périphérique et constitue en aval de Bangui, vers Kinshasa/Brazzaville, à la fois un axe d’intégration verticale Nord-Sud et de désenclavement de la partie Ouest de la zone périphérique ; l’axe principal Sud, Ilebo-Kinshasa/Brazzaville dessert la partie en RDC de la zone périphérique Sud et rejoint le Corridor Sud, le Corridor central par une double voie via Kalemie et via la Tanzanie-Zambie-Mailways (TAZARA) et le Corridor Nord via Kalemie ;  au niveau de Cupper Belt, l’axe principal du noyau central, Kisangani–Kinshasa/Brazzaville constitue d’abord le fondement de la desserte intérieure de ce noyau Central de la Région des Grands Lacs et, ensuite et surtout, l’infrastructure reliant entre elles les infrastructures de transport prioritaires de la Région des Grands Lacs.  L’axe principal Est constitué par les voies fluvio – lacustres (Kivu –Tanganyika, axe fluvial Kindu–Ubundu) est intégré aux Coordinations modales réseaux de chemin de fer des Corridors Nord, Central et Sud pour appuyer les pôles d’intégration verticale Nord/Sud, notamment, et de désenclavement de la partie Est de la zone périphérique.

3. Migration et développement

 

Les relations entre les pays d’origine et leurs ressortissants à l’étranger revêtent une importance clé au plan du développement. L’objectif de l’OIM dans ce domaine est d’exploiter le potentiel de développement de la migration pour les individus et pour les sociétés.

 

Ainsi , la promotion du dialogue politique international, la recherche et les programmes axés sur l’élaboration de politiques et capables de renforcer les capacités administratives et de gestion des gouvernements constituent  des activités déployées à cet effet.

il faut citer les efforts visant à renforcer le potentiel bénéfique des rapatriements de fonds, la constitution d’un capital humain par le biais de programmes de migration de main-d’œuvre, le retour et la réintégration de nationaux qualifiés, le renforcement des capacités institutionnelles des gouvernements et l’autonomisation des femmes migrantes.

 


Chapitre II :

DROIT D’INTERVENTION HUMANITAIRE

 

Section 1. LE DROIT D'INGERENCE ET LE PRINCIPE DE NON-INTERVENTION DANS LES AFFAIRES A COMPETENCE NATIONALE D’UN ÉTAT

 

En droit international, c'est plutôt le principe de non-intervention qui est reconnu depuis fort longtemps. Il comporte l’obligation fondamentale des États de ne pas intervenir dans les affaires intérieures et extérieures d’un autre État et s’applique également à toute menace d’une telle intervention. 

 

Par ailleurs, le paragraphe 2(7) de la Charte des Nations Unies[524] interdit également aux Nations Unies d’intervenir «[…] dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État» sous réserve, toutefois, de l’application des mesures coercitives prévues au Chapitre VII.

 

La Cour internationale de justice a d’ailleurs noté qu’il s’agissait d’un principe reconnu par la coutume internationale : « Le principe de non-intervention met en jeu le droit de tout État souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure;  bien que les exemples d’atteinte au principe ne soient pas rares, la Cour estime qu’il fait partie intégrante du droit international coutumier.  […] L’existence du principe de non-intervention dans l’opinio juris des États est bien étayée par une pratique importante et bien établie.  On a pu d’ailleurs présenter ce principe comme corollaire du principe d’égalité souveraine des États »[525].

 

Selon la Cour, il y aura intervention illicite si deux éléments sont rencontrés :

 

-    l’intervention porte sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des États permet à chacun d’entre eux de se décider librement ;

-    l’intervention prend la forme de moyens de contrainte tels que la force, que celle-ci soit directe ou indirecte.

 

Le principe de souveraineté des États constitue donc l’un des principaux fondements du principe de non-intervention. Cette souveraineté implique également certaines responsabilités, dont celle de protéger son peuple. 

Ainsi, même « […] chez les plus fervents partisans de la souveraineté des États, la défense de cette souveraineté ne saurait, pour l’État, aller jusqu’à prétendre qu’il dispose d’un pouvoir illimité de faire ce qu’il veut à sa population ».

En droit international public, la protection des minorités a connu des poussées sporadiques. À partir de 1649, le roi de France a proclamé son droit d'intervention au Liban pour protéger la minorité maronite. De plus, comme le soulignait déjà Vattel au milieu de XVIIIème siècle, « toute puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande son assistance »[526]. Avant lui, d’autres penseurs, comme Grotius et Puffendorf, avaient également soutenu que l’intervention armée était justifiée lorsqu’il s’agissait de protéger et de défendre les droits les plus fondamentaux de la personne humaine[527]

 

Au XIXème siècle, des traités reconnaissent un droit de regard à certaines puissances européennes sur la situation des minorités dans l'empire ottoman. Ces textes pouvaient couvrir des visées expansionnistes.  Toutefois, le Traité de Versailles, en 1919, marque le début d'un régime de protection des minorités en Europe caractérisé par la protection des droits des membres des minorités ethniques, linguistiques et religieuses, la protection des droits des travailleurs, la reconnaissance du statut de réfugié et la création d'une justice pénale internationale pour réprimer les crimes de guerre.

 

De plus, après la première guerre mondiale, plusieurs traités prévoyant la protection des minorités en Europe de l'Est ont été ratifiés; l'importance de ces traités réside surtout dans l'établissement d'un mécanisme de recours pour les membres de ces  minorités devant les instances de la Société des Nations.  Si ce régime a été de courte durée, il a néanmoins constitué un précédent pour les dispositions de la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les deux Pactes qui constituent la Charte internationale des droits de la personne.

 

Certaines grandes puissances ne se gênaient d’ailleurs pas pour intervenir militairement par considérations humanitaires, telles que la protection des minorités et, quelques fois, dans le but non avoué de faire avancer des projets colonialistes ou néocolonialistes. Il s’agissait, la plupart du temps, d’interventions unilatérales issues d’initiatives individuelles.

 

Ce n’est réellement qu’en 1987 que l’expression « droit d’ingérence » fera son apparition sous la plume de Bettati, professeur de droit international public à l’Université Paris II et Kouchner, homme politique français et l’un des fondateurs de Médecins sans frontières.  Ceux-ci voulaient s’opposer à « […] la théorie archaïque de la souveraineté des États, sacralisée en protection des massacres »[528].

 

L’assistance humanitaire constituerait à la fois un droit et un devoir. Dans les situations où une intervention est possible, ne pas mourir et avoir la vie sauve est un droit naturel inhérent à chaque être humain.

 

Deux principes sont donc en conflit : celui du devoir d’intervenir dans le but de sauvegarder les droits fondamentaux de la personne humaine et celui de respecter le principe de non-ingérence qui découle des principes de souveraineté des États et de leur égalité souveraine.

 

Cet important dilemme a ainsi été formulé par Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, dans le rapport du Millénaire qu’il avait présenté à l’Assemblée Générale : […] si l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica et devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains ?

 

De la même manière, pour plusieurs, la multiplication des interventions depuis la fin de la guerre froide témoigne d’une prise de conscience qui s’est finalement manifestée au niveau international, alors que pour d’autres, il s’agit d’un phénomène menaçant l’ordre international fondé sur la souveraineté des États et l’inviolabilité de leur territoire. Loin d'être purement académique, cette opposition vient d'être  rappelée dans une décision récente de la Cour internationale de justice. 

 

Dans sa décision du 14 février 2002 relative au mandat d'arrêt international émis par un tribunal belge contre le ministre des affaires extérieures de la République démocratique du Congo, la CIJ a reconnu, en vertu des règles de droit international coutumier, le droit à l'immunité juridictionnelle d'un ministre d'affaires extérieures en exercice. Selon la majorité, cette immunité existe malgré les nombreuses conventions internationales qui imposent aux États le droit et le devoir d'étendre leur juridiction nationale  afin de réprimer et de punir les crimes sérieux.  Selon la Cour, ces textes n'affectent pas le droit coutumier accordant l'immunité aux ministres des affaires extérieures, pendant leur terme d'office, car l'immunité est destinée à permettre aux États de poursuivre les relations internationales. 

 

Par contre, dans une opinion dissidente, la juge Van den Wyngaert pose clairement le conflit entre le respect des attributs classiques de la souveraineté et le besoin de renforcer la protection des droits en respectant le nouveau principe de compétence universelle pour éviter que les personnes soupçonnées de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ne trouvent d'abris.  Elle exprime le regret que la Cour n'ait pas fondé sa décision sur ce principe; selon cette juge, the case was about how far States can or must go when implementing modern international criminal law. It was about the question of what international law requires or allows States to do as 'agents' of the international community when they are confronted with complaints of victims of such crimes, given the fact that [an] international criminal court will not be able to judge all international crimes.  It was about balancing two divergent interests in modern international (criminal) law: the need of international accountability for such crimes as torture, terrorism, war crimes and crimes against humanity and the principle of sovereign equality of States, which presupposes a system of immunities[529].

 

En réponse à l'argument d'abus ou du chaos qui résulterait des poursuites non justifiées, la juge affirme que cet argument n'a pas été soulevé devant la Cour, une telle allégation étant de toute évidence non fondée. Malheureusement, la juge n’a pas saisi cette occasion pour motiver sa position sur la faiblesse des arguments fondés sur la stabilité et le bon ordre dans les relations interétatiques. La juge Van den Wyngaert évite d'approfondir cet aspect en se fondant sur la possibilité pour la Cour d'émettre un avertissement contre de tels abus.

Section 2. MIGRATION  ET DROITS HUMAINS

 

Les nouveaux cadres législatifs adoptés dans plusieurs pays africains ces dernières années ne sont pas toujours conformes aux textes internationaux. Leur contenu, interprétation et application ne permettent souvent pas de protéger efficacement les droits des migrants, déjà fréquemment en situation de grande vulnérabilité. Malgré le nombre d’instruments relatifs aux droits de l’homme et des personnes impliquées dans la migration, force est de constater que les migrants rencontrent encore des obstacles considérables pour accéder à leurs droits les plus élémentaires et vivre dignement.

 

Cette section se fixe aussi comme objectifs de passer en revue l’ensemble des instruments, tant internationaux que nationaux, qui régissent les droits des migrants  et de faire un état des lieux de la question des droits de l’Homme et des droits des migrants en Afrique centrale, en se focalisant fondamentalement sur la situation précaire des migrants, tout en insistant sur l’étendue des violations de leurs droits et sur les obstacles liées à leur protection dans la région. Il s’agit de repérer les vides et failles juridiques et mettre en exergue les principales contraintes et problèmes relatifs aux droits des migrants dans les pays de l’Afrique centrale ainsi que les défis à relever en matière de coopération régionale dans ce domaine.

 

L’analyse des logiques des Etats en matière d’harmonisation des diverses législations et les enjeux autour de la protection et du respect des droits des migrants dans une perspective d’intégration de cette problématique dans les politiques régionales de gestion des migrations est privilégiée. L’étude identifie les mesures et modalités spécifiques, avant de faire des recommandations pour une meilleure intégration des droits des migrants dans les politiques régionales de développement.

 

Partant de ces éléments d’analyse, l’étude abordera les principaux défis à relever en matière de coopération régionale en vue d’une meilleure promotion des droits des migrants, en établissant notamment le lien entre les entraves à la libre circulation des personnes et des biens et les incidences en matière de droits humains, tout en identifiant les lacunes d’ordre structurel et administratif au sein des Etats de la région et les contraintes liées à la mise en œuvre des protocoles régionaux.

 

Une attention particulière est portée sur les droits des travailleurs migrants et les positions parfois divergentes des pays . Nous examinerons les mesures et modalités spécifiques pour une prise en compte des droits des migrants dans les politiques régionales de gestion des migrations, et s’intéresser particulièrement aux logiques des Etats autour de la problématique de la protection et du respect des droits des migrants et la nécessité de leur promotion, en reprenant les recommandations formulées par les différents acteurs (société civile, universitaires, experts ministériels) pour orienter les politiques migratoires dans une perspective de développement.

 

1.  Etat des lieux de la question des droits de l’homme et des droits des migrants

 

1.1. Aspects fondamentaux relatifs aux droits de l’homme et des migrants.

 

Les droits humains sont une protection garantie par la loi aux individus et aux groupes contre les actes qui vont à l’encontre des libertés fondamentales et de la dignité humaine. Ils comprennent tout un ensemble de droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux et s’appliquent de manière universelle.

 

Pour de nombreux observateurs, les droits humains devraient faire partie intégrante de la conception, de la mise en œuvre, du suivi et de l’évaluation des politiques et des programmes de migration. Il existe plusieurs normes internationales et des recommandations politiques acceptées par les Etats africains de manière générale, et ceux de la région de l’Afrique centrale en particulier.

 

Le système des droits de l’homme à l’échelle internationale fournit une structure idéologique ainsi que des notions juridiques clairement structurées et largement acceptées, permettant d’apporter des réponses d’un point de vue législatif et pratique.

 

1.1.1. LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX RELATIFS AUX DROITS DE L’HOMME ET DES MIGRANTS

 

Le cadre juridique international relatif aux droits humains comporte un certain nombre de traités fondamentaux qui s’appliquent à toutes les personnes, y compris les migrants. Plusieurs normes internationales et recommandations politiques sont aujourd’hui acceptées par la plupart des Etats africains. Au nombre des sources universelles du droit international des droits de l’homme, trois instruments méritent d’être énoncés :

 

Ø  La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

 

L’instrument le plus fondamental en matière de droits humains est la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), adoptée le 10 décembre 1948. Le droit international reconnaît le droit à toute personne de quitter son pays. Toutefois, il n’existe pas d’obligation correspondante pour un Etat d’autoriser l’entrée sur son territoire. En conséquence, les visas permettant de quitter un territoire ont été éliminés dans presque tous les pays, tandis que, pour les ressortissants de certains pays, des visas d’entrée sont régulièrement introduits[530].

 

Il convient également de citer les articles 3, 4, 9, 13, l8 et 20 dont le contenu porte essentiellement sur la protection des libertés fondamentales. D’autres normes de la Déclaration cherchent surtout à établir les bases pour que chaque Etat puisse donner une protection juridique à la personne humaine, c’est-à-dire, établir des garanties judiciaires pour l’Etat de droit (notamment les articles 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12).

 

Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la Déclaration, sans distinction aucune, notamment d’origine nationale (article 2). Les droits humains fondamentaux énoncés dans cet instrument, y compris le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique et le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être (article 25) sont applicables aux migrants, y compris à ceux qui sont en situation irrégulière.

 

 

Ø  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

 

Ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion de l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 2200 (XXI) du 16 décembre 1966, le Pacte international aux droits civils et politiques (PIDCP) est entré en vigueur le 23 mars 1976. Ce Pacte reconnaît aussi plusieurs droits qui font partie intégrante de la réalisation du droit à la santé, tels que les droits à l’information, (article 19) à la vie privée (article 17), à la liberté de circulation (article 12) et à la sécurité de sa personne. Le PIDCP requiert des Etats qu’ils garantissent les droits reconnus dans le Pacte à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence, sans distinction aucune (article 6).

 

Le Pacte comporte aussi une disposition de vaste portée contre la discrimination fondée sur l’origine nationale ou sociale, la naissance ou toute autre situation sociale, outre une disposition prévoyant expressément la protection du droit à la non-discrimination. Faisant fond sur la Charte internationale des droits de l’homme, d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ont été axés soit sur des groupes ou catégories de population spécifiques tels que les femmes et les enfants, et plus récemment les travailleurs migrants, soit sur des questions particulières telles que la discrimination raciale.

 

Ø  Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

 

Ce Pacte international, dénommé PIDESC, est entré en vigueur le 3 septembre 1976. Les 148 Etats parties à ce pacte « reconnaissent le droit à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». En outre, ce Pacte inclut plusieurs autres droits qui sont essentiels à la réalisation de ce droit à la santé, y compris les droits à une nourriture (article 12) et à un logement suffisants, à la sécurité et l’hygiène du travail (article 7) et à l’éducation. Bien que ces droits doivent être exercés sans discrimination aucune quant à, notamment, l’origine nationale, le Pacte autorise spécifiquement les pays en développement à déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants (article 13).

 

Il convient de garder à l’esprit que le principe de réalisation progressive du plein exercice des droits humains impose aux Etats l’obligation d’agir, aussi rapidement et efficacement que possible, en vue de l’application de ces droits. Ce principe est par conséquent pertinent à la fois pour les pays les plus pauvres et les pays les plus riches, puisqu’il reconnaît les contraintes dues aux ressources disponibles tout en requérant de tous les pays qu’ils manifestent des progrès constants vers le plein exercice de ces droits.

 

Ø  La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

 

Elle s’applique à toutes les femmes, qu’elles soient ou non citoyennes des Etats Parties. La Convention comporte des dispositions visant à ce que les Etats Parties éliminent la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer les moyens d’accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille, et des services appropriés et, au besoin, gratuits pendant la grossesse, pendant l’accouchement et après l’accouchement, ainsi qu’une nutrition adéquate pendant la grossesse et l’allaitement.

 

Ø  La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

 

Elle s’applique à toute personne qui a été soumise à la torture dans un territoire sous la juridiction de tout Etat Partie. Aucune personne ne sera expulsée, refoulée ou extradée vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

 

Les Etats ont donc, selon les traités existants, l’obligation minimale de respecter et défendre les droits fondamentaux de tous les êtres humains, ce qui comprend le droit à la vie et à l’égalité devant la loi, ainsi que la protection contre les violations des droits humains telles que l’esclavage, la détention arbitraire prolongée, la discrimination raciale et la torture, de même que les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

 

Il sied de signaler qu’à ce jour, aucun Etat de la CEEAC n’a ratifié la Convention internationale sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de décembre 2006. En effet, la complexité de celle-ci, rend peu réceptifs les Etats. La question de la garantie des droits de l’homme est partie, progressivement, d’un ancrage dans le droit national à une prise en charge partagée par l’ordre interne et l’ordre internationale.

 

Les Etats se contentent des instruments internationaux relatifs comme la convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951 et les conventions sur l’apatridie, la nationalité, l’asile territorial et diplomatique pour traiter ces types de question. La ratification de cette Convention devait permettre aux Etats de la CEEAC d’être en conformité avec certaines normes internationales en matière de protection des migrants.

 

Sur les questions spécifiques aux droits des migrants, il existe un arsenal juridique  structuré autour des conventions pertinentes élaborées sous l’égide des Nations unies et de l’Organisation Internationale du Travail.

 

Ø  La Convention n° 97 sur les travailleurs migrants de 1949

 

Elle contient plusieurs articles pertinents par rapport aux problèmes actuels que rencontrent les migrants. Elle fournit les fondements pour une égalité de traitement entre les nationaux et les migrants réguliers dans des domaines tels que les procédures de recrutement, les conditions de vie et de travail, l’accès à la justice, les réglementations concernant les impôts et la sécurité sociale. Etant donné la date de la Convention et sa portée limitée, le nombre des Etats l’ayant ratifiée est extrêmement faible.

 

Ø  La Convention n° 143 de l’OIT sur les travailleurs migrants de 1975

 

Elle a été adoptée à une époque où les préoccupations concernant la migration irrégulière allaient croissantes. Elle se fixe pour objectif de réglementer les flux migratoires, d’éliminer les migrations irrégulières et de lutter contre les activités de trafic et la traite des personnes et faciliter l’intégration des migrants dans les sociétés d’accueil. Elle se compose de deux parties. La première traite de la migration dans des conditions abusives et a pour objectif de réduire les migrations clandestines et d’offrir une certaine protection aux immigrés clandestins. La deuxième partie vise à promouvoir l’égalité des chances et de traitements pour les travailleurs migrants en situation régulière.

 

Ø  La Convention des Nations unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990

 

C’est l’instrument international le plus complet sur les travailleurs migrants. Cette convention adoptée en 1990 par l’Assemblée Générale des Nations unies donne une définition complète des « valeurs de base » et fournit un fondement juridique en vue d’élaborer une politique nationale et de son application concernant les travailleurs migrants et les membres de leur famille. Elle sert d’outil pour encourager les Etats à concevoir leur législation nationale en accord avec les normes internationales. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2003 et étend ces droits de l’homme à tous les travailleurs migrants et aux membres de leurs familles dans tout le processus de migration.

 

L’une des idées maîtresses de cette Convention est que les travailleurs migrants ont droit à la protection de leurs droits humains fondamentaux quel que soit leur statut juridique.

 

Ø  Le Protocole additionnel à la Convention des Nations-unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants de novembre 2000

 

La dynamique qui a été à l’origine des négociations engagées par les Nations unies sur le premier traité multilatéral visant à combattre le crime organisé, -la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (2000)-, est venue de la prise de conscience, dans la période qui a suivi la guerre froide, du fait que de nombreuses formes de criminalité transnationale organisée représentaient une grave menace pour la démocratie.

 

La Convention, qui est entrée en vigueur le 29 septembre 2003 est complétée par le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, qui prévoit des mesures en vue d’assurer le rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite. Elle est également complétée par le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, qui comporte également des mesures relatives à la protection et à l’assistance que les Etats doivent apporter afin de protéger les droits de ces groupes de migrants particulièrement vulnérables.

 

1.1.2. LES INSTRUMENTS REGIONAUX

 

Il existe une panoplie des textes juridiques régionaux relatifs aux droits de l’homme et des migrants.

 

 

 

 

Ø  La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)

 

Elle a été adoptée le 28 juin 1981 à Nairobi par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA et est entrée en vigueur en 1986. Elle comporte un catalogue de droits (civils et politiques, économiques, sociaux et culturels) et incorpore une nouvelle génération de droits qualifiés de droits de solidarité dont le peuple est le principal bénéficiaire.

 

La Charte combine des aspects des droits et libertés qu’on retrouve dans les grands textes européens et américains tout en faisant preuve d’originalité. Elle instaure un équilibre entre droits de l’homme et droit des peuples; entre droits civils et politiques et droits économiques, sociaux et culturels.

 

L’une des particularités de la Charte est d’introduire une logique interactive entre droits et devoirs. Ensuite, la Charte contient des droits relevant des trois catégories ou générations de droits de l’homme. Elle insiste surtout sur les droits des peuples : droit à l’autodétermination, droit à la libre disposition des richesses et ressources naturelles, droit au développement économique, à la paix et à la sécurité, droit à un environnement satisfaisant et global.

 

Ø  Les Accords de Cotonou signés le 23 juin 2000 entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP)

 

Ces accords constituent une remise à jour des anciens accords de Lomé signés en 1975. Ils encadrent trois des principales mesures nécessaires pour atteindre les objectifs de lutte contre la pauvreté par un développement adapté à la fois aux conditions de la mondialisation et à l’état des pays : dispositions institutionnelles, stratégies de coopération et financement du développement. Parmi les autres objectifs importants de l’Accord de Cotonou figurent les droits de l’Homme et notamment la mobilité et son corollaire les migrations. Trois, parmi les cent articles de ces accords, concernent la migration et les migrants :

 

-    L’article 13 est consacré aux conditions des migrations. Il souligne, entre autres, la nécessité de « l’élaboration de stratégies de mise en œuvre de programmes de coopération nationaux et régionaux en faveur de l’amélioration des conditions de vie et de travail et de la création d’emplois, et du développement d’actions visant à l’insertion professionnelle des ressortissants des pays ACP dans leur pays d’origine ou dans un Etat membre de l’Union Européenne ».

 

-    L’article 79 alinéa 1 dispose que «la coopération technique doit aider les pays ACP à développer leurs ressources humaines nationales et régionales, à développer durablement les institutions indispensables à leur développement grâce, entre autres, au renforcement des bureaux d’études et d’organismes privés des ACP ainsi que d’accords d’échanges de consultants appartenant à des pays ACP et de l’Union européenne».

 

-    L’article 80 précise que « en vue d’inverser le mouvement d’exode des cadres des Etats ACP, la Communauté assiste les Etats ACP qui en font la demande pour le retour de leurs ressortissants ACP qualifiés résidants dans les pays développés par des mesures appropriés d’incitation au rapatriement ».

 

1.1.3. ETAT DE RATIFICATION DES CONVENTIONS INTERNATIONALES ET REGIONALES RELATIVES AUX DROITS DE L’HOMME ET DES MIGRANTS

 

Au regard de ce qui précède, la question que l’on se pose est celle d’établir le lien sur l’état de conformité des pays membres de la CEEAC avec les normes internationales et régionales régissant les droits de l’Homme et des migrants. En complément des conventions internationales, il existe en Afrique, des documents de droits et déclarations spécifiques qui visent à protéger les droits des migrants et à lutter contre la traite des personnes.

 

Une évaluation rapide des instruments régionaux et internationaux des droits de l’homme par les Etats de l’Afrique centrale révèle que les principaux instruments des droits de l’homme au niveau international et leurs protocoles connaissent diverses fortunes auprès de ces Etats en ce qui concerne les ratifications pour des raisons multiples et multiformes.

          

1.2.  La réalité des droits des migrants en Afrique centrale

 

1.2.1. LA SITUATION PRECAIRE DES DROITS DES MIGRANTS

 

Les manquements dans la protection des droits des migrants résultent de l’inadéquation de cadres légaux et l’implémentation inadéquate des protections légales formelles. Malgré le développement d’instruments internationaux relatifs aux droits des migrants, force est de constater que ces derniers sont confrontés à de nombreux problèmes et difficultés tels que : le racisme ou la xénophobie et autres formes d’intolérance, la traite en particulier de femmes et d’enfants, les salaires inférieurs aux minima établis, l’accès limité à certains droits sociaux, les conditions de travail dangereuses, les mesures administratives rendant difficile l’accès aux tribunaux. Ces violations flagrantes des droits des migrants sont nourries par l’intolérance et l’ignorance, qui ne peuvent être combattues et réduites en particulier, que si les Etats font preuve d’une volonté politique.

 

Les causes des violations des droits des migrants sont multiples. On note : l’hostilité, la discrimination et la crainte des étrangers, souvent considérés ou perçus comme des exploiteurs potentiels et des ennemis, l’absence de politique migratoire, les insuffisances des politiques nationales en matière d’insertion/réinsertion et de protection des migrants, et l’existence des cadres légaux et politiques inadéquats concernant les droits des migrants[531].

 

1.2.2. LES OBSTACLES LIES A LA PROTECTION DES DROITS DES MIGRANTS

 

Dans l’ensemble des Etats de la CEEAC les migrations actuelles semblent avoir comme toile de fond une plus grande discrimination et une hostilité empreinte de xénophobie à l’égard des migrants, ainsi que des politiques nationales qui rendent l’entrée, l’intégration sociale et le bien-être des migrants plus difficiles.

 

Aujourd’hui, de nombreux obstacles compromettent gravement la connaissance et le respect des droits des migrants : la pluralité et les contradictions entre les régimes juridiques nationaux, les lacunes dans les législations nationales et les politiques migratoires, la faiblesse des moyens financiers à disposition, le manque de données fiables sur lesquelles fonder des politiques de gestion des flux migratoires axées sur la protection des droits des migrants, la faible prise de conscience des populations et des institutions gouvernementales des réalités inhérentes aux mouvements migratoires, la persistance des pratiques comme la stigmatisation systématique des migrants face à la criminalité et autres délits punis par la loi, la discrimination subie par les migrants devant l’emploi, les traitements inhumains infligés aux catégories les plus vulnérables (femmes et enfants migrants), les conditions de vie dégradantes des réfugiés et des personnes déplacées internes, etc.

 

Il apparaît donc impératif d’élaborer et d’appliquer un corpus juridique sur le fondement duquel chaque Etat pourra assurer une gestion moins lacunaire des migrations axée sur la valorisation des instruments de protection des droits de l’homme et des migrants. Des efforts de coopération s’imposent aux Etats au niveau multilatéral, notamment dans le cadre de la CEEAC.

 

1.2.3. NATURE ET ETENDUS DES VIOLATIONS DES DROITS DES MIGRANTS

 

Les droits des migrants ne sont donc pas respectés. L’observation des droits de l’homme accordée à tous les migrants, notamment dans les situations d’afflux massifs et d’hébergement provisoire dans des camps où les conditions de vie sont épouvantables, exige de ceux qui sont supposés les protéger qu’ils soient bien conscients des principes pertinents en la matière. L’éducation dans le domaine des droits de l’homme fait donc partie intégrante de la formation du personnel confronté à de telles situations.

 

En dépit des principes de la libre circulation des biens et des personnes, on note dans l’espace de la CEEAC, une insuffisante intégration des dispositions des protocoles dans l’ordre juridique sur les questions migratoires. Certaines dispositions des législations ou réglementations nationales régulant l’afflux des migrants sont même quelquefois contraires ou à tout le moins non conformes aux protocoles régionaux.

 


2. Les problèmes relatifs aux droits des migrants en Afrique centrale

 

La question au centre des préoccupations nationales et politiques d’intégration sous régionale demeure celle des droits des migrants. Il est clair aujourd’hui que la protection efficace des droits économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement des migrants constitue une composante fondamentale de tout système de gestion globale et équilibrée de la migration. Or, la réalité sur le terrain présente un autre visage. La protection des droits des migrants implique l’application effective des normes contenues dans les instruments des droits de l’Homme de portée générale, ainsi que la ratification et le respect des instruments spécifiques à la protection des migrants. Quatre aspects nous paraissent importants.

 

2.1. Les entraves à la libre circulation des personnes et des biens

 

La CEEAC est caractérisée par l’absence d’une politique régionale en matière de protection des droits humains liés à la migration. Sur les questions migratoires, chaque pays membre applique sa réglementation dans le cadre de facilités accordées aux ressortissants des autres pays, souvent en contradiction avec les décisions communautaires prises par les Sommets des Chefs d’Etat et de Gouvernement. Par conséquent, la libre circulation, dans cette communauté, est plus un vœu qu’une réalité.

 

Tous les observateurs s’accordent sur le fait que tout citoyen a droit à la migration et à la mobilité intra-régionale et extra- communautaire. Il s’agit là d’une clause de la DUDH. Celle-ci se réfère fondamentalement au droit à l’intégrité physique, à l’intégrité morale, de circulation, de transit, de quitter son pays, de rapatriement, à la réadmission, au regroupement de la famille, et droit à la dignité humaine, etc. Même en situation irrégulière, le migrant a droit à un traitement humain et non dégradant.

 

En dépit des textes ratifiés par la CEEAC sur la libre circulation des personnes et des biens, il subsiste de nombreuses entraves liées à des tracasseries policières, douanières, administratives, carte de séjour, insécurité aux frontières, extorsions de fonds, etc. Les migrants sont souvent privés de leurs droits et victimes d’actes et de politiques discriminatoires et racistes, parmi lesquels l’exploitation, l’expulsion en masse, la persécution et d’autres abus.

 

Les pratiques administratives viennent conforter la tendance à élaborer des dispositions nationales particulières, contraires à l’esprit de la décision n° 03/CCEG/VI/90 du 26 janvier 1990 relative à la libre circulation de certaines catégories de ressortissants des Etats membres de la CEEAC à l’intérieur de la Communauté.

 

Dans le contexte de la CEEAC, les principales lacunes en matière de libre circulation des biens et des personnes peuvent être réunies en trois rubriques : la coordination inexistante des institutions qui interviennent dans les différents compartiments de la gestion des migrations, la dispersion des textes législatifs et réglementaires et leur non mise à jour par rapport aux instruments internationaux, et l’absence d’une véritable politique migratoire à la hauteur de l’importance de la population migratoire et de son apport économique et social.

 

En conséquence, les instruments juridiques protégeant les droits des migrants nationaux des Etats membres de la CEEAC et d’autres sous-régions ne sont pas encore effectivement mis en œuvre.

 

2.2. Les contraintes liées à la mise en œuvre des protocoles régionaux dans l’espace de la CEEAC

 

A ce sujet, trois constats peuvent être faits :

 

Ø  L’absence de politique migratoire dans la sous-région

 

La plupart des Etats d’Afrique centrale font face à des difficultés liées à la gestion des questions de migrations. Dans cet espace géographique, les pays stables et ceux qui connaissent une certaine prospérité économique sont devenus des pôles d’attraction de migrants venus de la sous-région ainsi que d’autres régions d’Afrique, notamment de l’Ouest, et d’autres régions du monde.

 

Cette situation peut s’expliquer dans une large mesure par le fait que, souvent, les pays d’origine et de destination des travailleurs migrants n’ont pas de politique migratoire ou ne les appliquent pas. Aussi, les migrants sont à la merci des pays hôtes. D’où la nécessité de mettre en place des unités nationales de gestion et collecte des données sur les questions liées à la migration.

 

Ø  L’absence de coordination

 

Dans la plupart des pays de la CEEAC, on note l’existence de nombreuses institutions qui interviennent dans les différents aspects des migrations, évoluant de manière séparée et sans coordination à l’échelle régionale.

 

Ø  La dispersion des textes législatifs et réglementaires

 

Les Etats ont légiféré sur la base de dispositions qui se sont superposées les unes sur les autres sans aucune cohérence d’ensemble et dans des domaines aussi variés que le travail, l’entrée et le séjour, la sécurité sociale, les affaires économiques, etc.

 

2.3. Les lacunes d’ordre structurel et administratif

 

En plus de l’absence de protection, adéquate des migrants, de la non reconnaissance de tous les droits des migrants et du non-respect, dans certains cas, des droits humains fondamentaux des migrants en situation irrégulière cités plus haut, nous pouvons ajouter la carence ou la pénurie des services gratuits d’information et d’assistance au profit des migrants aussi bien au niveau des Etats de départ que des Etats d’accueil.

 

2.4. Complexité des droits des travailleurs migrants et positionnement des Etats de la CEEAC

 

Le phénomène nouveau dans l’espace CEEAC est le changement de statut de certains pays liés à des évolutions économiques. Ainsi la Guinée équatoriale, le Tchad et les anciens pays exportateurs de la manne pétrolière (Angola, Gabon, Congo) sont devenus des pays importateurs de main-d’œuvre en provenance des différentes régions du monde. La migration portugaise en Angola constitue une illustration patente. La Guinée-équatoriale et le Gabon attirent de plus en plus des migrants à la recherche de l’emploi. L’instabilité politique en Centrafrique et dans la Région des Grands Lacs a transformé ces derniers en pôles d’émigration. La diversité régionale a produit des législations nationales variées, avec des incidences sur la protection des migrants[532].

 

Ø  Bref aperçu de certaines dispositions de la Convention

 

La Convention des droits des migrants couvre plusieurs aspects liés à la protection des migrants. Il s’agit de :

 

-    droit à la vie (art. 9),

-    droit de ne pas être sujet(te) à la torture ou à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants (art. 10),

-    droit de ne pas être réduit en esclavage ou en servitude, incluant le droit de ne pas être soumis à un travail forcé ou obligatoire (art. 11),

-    droit à la liberté de pensée, conscience et religion (art. 12),

-    droit à la liberté d’opinion et d’expression incluant le droit de chercher, recevoir et partager les informations et les idées de toutes sortes soumises seulement aux restrictions raisonnables et nécessaires fournies par la loi (art. 13),

-    droit à la vie privée (art. 14),

-    droit à détenir sa propriété privée soit individuellement soit en association avec d’autres et dans le cas d’expropriation d’une telle propriété, le droit à compensation (art. 15),

-    droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 16),

-    droit à être traité avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine lorsque privée de liberté (art. 17),

-    droit à l’égalité entre les migrant(e)s et les nationaux devant les cours ou tribunaux et à une audience équitable dans le jugement de toute charge criminelle retenue contre eux/elles ou de leurs droits et obligations dans un procès (art. 18),

-    droit de ne pas être jugé en application d’une loi ou d’un peine rétroactive (art. 19),

-    droit à ne pas être soumis à une peine d’emprisonnement pour violation d’une obligation contractuelle et de ne pas avoir son permis de séjour ou de travail retiré ou simplement expulsé(e) sur la base d’un manquement à une obligation survenant hors d’un contrat de travail à moins que l’exécution de cette obligation ne constitue une condition d’octroi du permis (art. 20),

-    droit à la sécurité sociale en des termes égaux à ceux des nationaux (art. 27),

-    droit au rapatriement et transfert des revenus et économies de même que les biens et effets personnels (art. 32).

 

Ø  Justifications de la non-ratification de la Convention par les Etats de la CEEAC

 

Les différents pays de la CEEAC en dehors de Sao-Tomé et Príncipe n’ont pas ratifié la Convention de l’ONU sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990. La plupart des Etats accordent la priorité au renforcement des contrôles aux frontières afin de mettre un terme à la migration irrégulière et ses abus et certainement pour le nombre de travailleurs migrants se trouvant sur leurs territoires.

 

Les raisons évoquées sont à la fois d’ordre économique, social et juridique, selon les Etats. Les aspects suivants peuvent être énumérés :

 

-    le refus manifeste de l’ouverture du marché du travail aux étrangers alors que les taux de chômage des nationaux est encore très important ;

-    la faiblesse démographique des pays avec pour conséquence, les contradictions entre allochtones et autochtones dans le marché du travail, dans le cas du Gabon et de la Guinée-équatoriale[533] ;

-    le développement des conflits à l’intérieur des États générant des milliers de réfugiés ;

-    la perméabilité des frontières terrestres et maritimes et l’impossibilité tant politique que matérielle de refouler des irréguliers et clandestins et l’inertie de l’appareil administratif.

 

3. Défis à rélever en matière de coopération régionale dans le domaine de la migration

 

La vulnérabilité et la marginalisation des travailleurs migrants dans l’espace CEEAC sont accentuées par la persistance des inégalités de droits et de traitement. Ceci engendre un déficit important dans la gestion optimale des migrations et la recherche de solutions mutuellement bénéfiques dans le respect des standards internationaux de droits de l’homme. Les efforts visant à aborder de manière simultanée les questions migratoires ne pourraient aboutir sans une mise en œuvre viable en fonction des ressources et des capacités techniques des Etats.

 

Plusieurs défis se présentent en matière de coopération régionale sur la thématique liée aux migrations et droits humains en Afrique centrale.

 

3.1. Le renforcement des capacités opérationnelles des institutions régionales en matière de protection des droits humains

 

Il existe aujourd’hui deux institutions dont l’importance ne saurait être démontrée en matière de protection des droits de l’homme et du renforcement de l’intégration régionale en Afrique centrale. Il s’agit du Centre sous régional des Nations unies pour les droits de l’homme et la démocratie basé à Yaoundé, ainsi que du Parlement sous régional de la CEMAC sise à Malabo. L’impact de ces institutions sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que dans le processus d’intégration humaine en Afrique centrale demeure controversé.

 

En effet, le Centre sous régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale a été créé en décembre 1999 à la demande de la CEEAC par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Il est entré en activité en mars 2001 et a été inauguré officiellement par le Haut-Commissaire en juin 2002.

 

Le Centre se concentre sur le renforcement des capacités, la promotion des droits de l’homme et la démocratie. Il vise le renforcement de la capacité des gouvernements, des députés, des forces armées, de la police, des organisations d’étudiants et de la société civile dans les Etats membres de la CEEAC. Ces dernières années, le Centre s’est efforcé d’orienter la programmation du développement sur les droits de l’homme et la sécurité humaine, de renforcer l’État de droit, de sensibiliser davantage à toute les formes de discrimination et de mettre en place des institutions nationales.

 

Le parlement de la CEMAC a été institué le 25 juin 2008 par un acte des chefs d’Etat. Il s’appuie sur les instruments de travail mis en place par la Commission interparlementaire et les autres institutions de la Communauté, conformément aux exigences du programme institutionnel initié par les dirigeants de la sous-région deux ans avant. L’institution compte trente (30) membres, soit cinq (05) par Etat. Il faut par ailleurs relever que l’un des premiers défis auquel l’institution est confrontée, est celui de l’intégration sous régionale. Au rang des autres défis figurent : le passeport communautaire, la mise sur pied de la compagnie aérienne Air CEMAC, la libre circulation des personnes et des biens dans cet espace.

 

3.2. Le respect des principes humanitaires de la migration et droits humains

 

On affirme généralement dans toutes les législations nationales des pays POST-CONFLITS  que les droits de l’homme s’appliquent dans leur intégralité à tous les migrants. Toutefois il y a certains droits liés au mouvement qui revêtent une importance particulière dans le contexte de la migration. C’est notamment le cas du droit à la libre circulation, à l’asile, à la nationalité, et au regroupement familial.

 

En tout état de cause, outre les droits reconnus par d’autres textes généraux ou spécifiques, les migrants peuvent jouir dans certains Etats, d’un nombre important de droits fondamentaux. C’est le cas notamment du droit de propriété, du droit de la liberté d’association, du droit de pratiquer librement sa religion, du droit d’ester en justice, du droit au travail,  du droit à l’éducation, du droit au logement, du droit à l’assistance sociale et publique, du droit au transfert des avoirs, du droit à la naturalisation, etc.

 

Tous les observateurs sont unanimes sur le fait que la discrimination à l’égard des migrants crée des tensions sociales dans les pays d’origine et d’accueil, empêche l’intégration des migrants dans les sociétés d’accueil et prive les migrants de la jouissance de leurs droits fondamentaux. La garantie du respect des droits des migrants est un aspect fondamental d’un système intégré et équilibré de gestion des migrations. Il y a nécessité de développer une approche basée sur les normes pour gérer la migration protégeant les droits fondamentaux de tous les migrants et luttant contre l’exploitation et la traite en association avec la justice, la dignité humaine et les valeurs démocratiques.

 

Si une politique de migration touche certes au cœur de la souveraineté, la reconnaissance de droits fondamentaux à tous les migrants est une obligation internationale qui s’impose à tout Etat. Ceci pour lutter contre certains traitements xénophobes des étrangers, les expulsions massives au niveau des frontières, la persécution des migrants en situation irrégulière, l’inaccessibilité aux services de base tels que la santé, l’éducation, etc.[534]

 

Il faut noter que ces difficultés vont à l’encontre des lois standards sur les droits humains telles que codifiées dans la plupart des instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur les droits de l’enfant, la Convention contre la torture et les droits des migrants. Ces instruments constituent pourtant, le point de départ de tout recensement des droits de l’homme applicables aux migrants.

 

En effet, tout individu impliqué dans la migration est titulaire de droits et obligations imprescriptibles. En fonction de son statut particulier, – étranger, apatride, travailleur migrant –, il bénéficiera de certains droits additionnels qui sont autant de strates successives s’accumulant sur la base constituée par le socle des droits inaliénables de la personne humaine.

 

Tous les Etats membres de la CEEAC devraient ainsi s’assurer que les droits des migrants sont protégés et évitent les expulsions massives et autres activités contraires aux principes et aux lois internationalement convenus.

 

3.3. La gestion concertée des frontières et les enjeux de la sécurisation

 

Compte tenu du développement des phénomènes comme la criminalité transfrontalière, la circulation des armes légères et le développement des mouvements et/ou bandes armés dans plusieurs zones, les pays de la sous-région d’Afrique centrale sont préoccupés par la sécurité interne et externe pouvant naître de la migration. Les migrants y paient surtout les frais des politiques sécuritaires.

 

Au nombre des problèmes et obstacles à l’intégration économique régionale, il y a la libre circulation des biens, des services et des personnes avec ses implications sur le plan sécuritaire et gestion des flux migratoires. Il y a nécessité de développer des programmes de promotion/protection des droits humains à l’intérieur même de la communauté pour une gestion plus efficiente de la migration en vue d’intégration régionale.

 

Au niveau régional, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, adoptée le 27 juin 1981, est le plus important des instruments de la première catégorie, traitant des droits de l’homme et droits des migrants. Elle protège les personnes contre la discrimination fondée sur différents motifs et interdit l’expulsion en masse de non-nationaux.

 

La gestion effective des frontières en conformité avec le respect des droits de l’homme devrait faciliter la migration légale tout en réduisant la migration illégale, le trafic et la contrebande83. Plusieurs défis demeurent en termes de renforcement des capacités des agents chargés des frontières, le développement à tous les niveaux des infrastructures physiques et la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination concernés dans la sous-région.

 

3.4.  L’intégration/réinsertion des migrants et refugie´s  dans les différents pays;

 

Il s’agit d’une question cruciale pour la plupart des Etats de la CIRGL        . Pour de nombreux observateurs, la gestion de la migration, centrée sur l’intégration des migrants dans les communautés d’accueil entraine un certain nombre d’avantages économiques. Les migrants ayant réussi à s’intégrer dans la société d’accueil ont plus de chance d’avoir un sentiment d’appartenance ce qui à son tour, leur permet de mener une vie sociale et économique productive tant au profit de leur Etat d’origine que de l’Etat d’accueil. Une priorité majeure doit donc être accordée par les décideurs aux politiques régissant les pratiques d’installation et d’intégration. Les Etats membres devraient développer des programmes et des projets de réinsertion des migrants axés sur l’orientation culturelle, l’accès aux services publics, la formation linguistique, etc.

 

L’Union Douanière et Economique de l’Afrique Centrale (UDEAC) a adopté en 1973 un accord qui posait le principe de la non-discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de l’emploi, de la rémunération et d’autres conditions de travail, sous réserve que les personnes qui migrent aux fins d’emploi soient déjà en possession d’une offre d’emploi.

 

Au niveau régional, il existe un certain nombre d’instruments, souvent peu connus et peu appliqués, qui traitent des problèmes posés par les migrations intra-régionales. Tout citoyen a le droit à la migration et à la mobilité intra-régionale et extra-communautaire. Il s’agit là d’un principe universel qui devrait être rappelée à tous, dirigeants, officiels agents commis aux services des migrations, citoyens.

 

Cette clause se réfère fondamentalement au droit à l’intégrité physique, droit à l’intégrité morale, droit de circulation, droit de transit, droit de quitter son pays, droit de rapatriement, droit à la réadmission, droit au regroupement de la famille, droit à la dignité humaine etc. Même en situation irrégulière, le migrant a droit à un traitement humain et non dégradant.

 

L’intégration réussie des migrants dans leurs communautés d’accueil et la réintégration dans leurs communautés d’origine contribuent à la stabilité et à la cohésion sociale, au respect mutuel et à la cohabitation des cultures.

 

3.5. Le renforcement des capacités et l’harmonisation des politiques sur la migration

 

La protection des droits des migrants nécessite non seulement le renforcement des capacités des organes en charge de la migration. Des cas de violation flagrante des droits humains des migrants sont observés dans certains Etats membres de la CEEAC. Ces violations sont générales, mais elles peuvent aussi apparaitre sous forme de tracasseries administratives et policières dont les migrants sont victimes dans les différentes étapes de leur parcours migratoire. Il convient de raffermir les capacités pour aborder les différents besoins des migrants, la gestion des frontières, le maintien de la sécurité interne.

 

Dans cette optique, la consolidation des capacités des agents commis aux services des migrations dans les différents pays sur la protection et la promotion des droits humains sont souhaitables.

 

La contribution des organisations de la société civile dans la vulgarisation et la sensibilisation des parties prenantes sur les droits de l’homme et des migrants devrait être valorisée et mise à profit. La non-ratification des instruments juridiques en matière des droits humains au profit des migrants constitue un obstacle majeur et un important défi à relever au niveau régional de la CEEAC. Il y a nécessité de présenter aux Etats membres tous les textes et documents fondamentaux relatifs à la protection et la promotion des droits de l’homme pour leur ratification.

 

Enfin, le recours aux médias pour appuyer le travail des organisations de la société civile de manière à sensibiliser les populations et les agents des administrations publiques, pour lutter efficacement contre les préjugés et les stigmatisations dont les migrants sont victimes, constitue une alternative importante.

 

4. Modalites spécifiques pour une meilleure intégration des droits des migrants

 

4.1. Logiques étatiques autour de la protection et du respect des droits des migrants

 

La diversité régionale au sujet des parcours migratoires a produit des législations nationales diversifiées, avec des incidences sur la protection des migrants et de leurs familles. À la lumière des obstacles relevés dans les diverses expériences mentionnées dans cette étude, il convient de remarquer que les facteurs limitant sont multiples et relèvent à la fois du sous-développement institutionnel des États nationaux et des institutions sous-régionales. Il est à remarquer que la plupart des initiatives en matière de protection des droits des travailleurs migrants sont le fait d’organisations internationales qui, dans le cadre de programmes, cherchent à impulser une dynamique au sein des organisations régionales africaines.

 

4.2. Nécessité de la protection des droits des migrants

 

Le foisonnement des textes internationaux et régionaux, qui de près ou de loin protègent les droits des migrants, est impressionnant. Ces instruments sont dispersés dans différentes branches du droit (droits de l’homme, droit humanitaire, droits des travailleurs migrants, droit des réfugiés). À ce jour, l’approche normative de la migration a surtout mis l’accent sur les droits des personnes concernées. Il est fréquemment fait référence aux principes et aux normes découlant de la souveraineté des Etats et ayant un impact direct sur la gestion des migrations : le droit à la protection des frontières, à l’octroi de la nationalité, à l’admission et à l’expulsion des étrangers, ou encore à la sauvegarde de la sécurité nationale.

 

Le problème crucial qui se pose dans l’ensemble des Etats de la CEEAC est celui de garantir à cette frange vulnérable que sont les migrants, le respect de ses droits fondamentaux, face à la montée des phénomènes d’exclusion, de xénophobie, des lois et règlements discriminatoires, etc. La sauvegarde des droits des migrants passe par une application effective des normes prévues dans les instruments des droits de l’homme de portée générale ainsi que par la ratification et la mise en œuvre d’instruments portant spécifiquement sur le traitement des migrants.

Pour mieux cerner l’état de conformité des pays de l’Afrique centrale avec les normes internationales et régionales régissant les droits de l’homme et des migrants, trois défis majeurs s’imposent : l’inventaire des textes internationaux – universels et régionaux– protégeant les droits des migrants ainsi que le pourcentage de ratification de ces instruments et, surtout, du degré de mise en œuvre ; l’établissement d’un inventaire des engagements politiques existant en matière de migration et leur inclusion dans les législations nationales, et enfin le recensement des éléments de la pratique des Etats, au niveau national comme au niveau international, en matière de respect et/ou protection des droits des migrants.

 

Au stade actuel de notre réflexion, il est impératif de formuler des recommandations en vue d’une meilleure prise en compte des droits des migrants dans les politiques régionales des migrations. Il s’agit notamment de renforcer le plaidoyer auprès des Etats membres de la CEEAC afin de ratifier et de mettre en œuvre les principaux instruments relatifs aux droits des migrants, notamment la Convention des Nations unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles.

 

Il est aussi souhaitable que ces Etats adoptent des mesures favorisant l’intégration des travailleurs migrants afin d’encourager la compréhension entre les cultures et la cohésion sociale, de s’assurer que les droits des migrants et de leurs familles sont respectés et protégés, et à cette fin, la signature d’accords bilatéraux entre les pays d’origine et de destination et la mise en œuvre des programmes et des structures appropriés qui garantissent aux migrants leurs droits.

 

L’harmonisation des législations nationales afin de favoriser l’intégration des migrants dans les différents Etats membres doit être ciblée, ainsi que la mise en place des mécanismes appropriés regroupant les centres et services nationaux chargés de la migration, pour un échange régulier d’informations pouvant favoriser le développement d’une vision commune basée sur les principes de partenariat, de solidarité et d’amitié.

 

Une autre suggestion consiste à promouvoir l’adhésion des Etats aux instruments régionaux et internationaux en matière de protection des migrants, ainsi que la coopération entre les services de sécurité notamment pour assurer un meilleur contrôle des frontières.  De telles mesures devraient être accompagnées par une rreconnaissance de l’importance des droits humains de tous les migrants dans les législations nationales relatives aux questions de migration.


 

Chapitre III :

SOUVENAITÉ DES ÉTATS FACE À L’INGÉRENCE HUMANITAIRE

 

Section 1. DE L’INGERENCE

 

La lumineuse ambiguïté que cette expression de « droit d’ingérence » comptant sans conteste parmi les expressions les plus discutées en droit international. Elle prend, en quelque sorte, le contre-pied d’un principe expressément mentionné dans la Charte des Nations Unies (1945) : le principe de non-ingérence. L’article 2 §7 de celle-ci stipule en effet qu’« aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni n’oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ».

 

L’ingérence constitue donc « l’immixtion sans titre d’un Etat ou d’une organisation intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d’un Etat tiers ». Erigée en interdiction formelle par les Etats, elle reflète toute l’importance que ceux-ci accordent à la prééminence du principe de la souveraineté en droit international.

 

Selon le Professeur P. VERHOEVEN, « ce que la règle entend sauvegarder, c’est en réalité la libre décision de l’Etat dans les matières qui l’intéresse le plus directement, fussent-elles l’objet de règles internationales impliquant des droits dans le chef d’autres Etats. Elle protège son autonomie contre toute ingérence « abusive », celle-ci fût-elle en soi licite parce qu’elle est l’expression d’un droit reconnu par l’ordre international. En ce sens, la règle de non-intervention n’exprime pas autre chose que le droit des Etats à disposer d’eux-mêmes. »

 

De ce point de vue, le principe de non-ingérence (ou de non-intervention) ne peut comporter aucune exception : il y a ingérence ou pas selon les circonstances. Il est toutefois assorti de deux tempéraments : l’assistance en cas d’intervention sollicitée et l’intervention dite d’humanité. Celle-ci étant entendue comme l’intervention d’un Etat visant à protéger ses ressortissants ou certaines minorités chrétiennes. Concept très équivoque, ce dernier type d’intervention est néanmoins toujours présent et suscite des remous au plan international.

 

S’inscrivant dans un cadre colonialiste prononcé, il est également souvent perçu comme un soutien au régime en place ou une manœuvre de déstabilisation de celui-ci. Cependant, les Nations unies se trouvant parfois en défaut de pouvoir protéger efficacement les droits fondamentaux des individus, « il demeure hasardeux de prohiber radicalement toute intervention dite d’humanité sous le prétexte qu’elle poursuit nécessairement, au moins marginalement, d’autres intérêts où qu’elle expose à des abus. »

 

La Charte des Nations Unies poursuit en précisant : « toutefois, ce principe ne porte pas atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII ».

Si l’ingérence y est donc, au départ, expressément proscrite (sans quoi la Charte n’aurait jamais vu le jour), cette interdiction comporte un tempérament qui se réfère au chapitre VII, concernant les mesures de coercition adoptées en cas d’atteinte à la paix et à la sécurité internationales.

 

Cependant, le concept même « d’ingérence » ne semble pas pouvoir être utilisé ici puisqu’il s’agirait, a priori, de la mise en œuvre de la fonction de police internationale du Conseil de sécurité, exercée dans le but d’aplanir un différend ou de faire cesser une agression. Il n’y aurait donc pas d’ingérence au sens strict, l’action qui serait décidée dans ce cadre n’étant pas illicite mais résulterait de l’affirmation de l’« Etat de police » contenu dans la Charte.


 

 

 

 

 

3ème Partie :

GESTION DES FLUX MIGRATOIRES EN AFRIQUE POST-CONFLIT ET VALIDATION DE L’INTERVENTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE


Chapitre I :

TENDANCES ET DÉTERMINANTS DES CONSÉQUENCES DES MIGRATIONS DANS L’ESPACE DE LA CIRGL

 

Section 1. MIGRATIONS ET VIOLENCES SEXUELLES BASEES SUR LE GENRE

 

1. Migration et relations de genre

 

La migration a longtemps été perçue comme un phénomène concernant surtout de jeunes hommes à la recherche d’un travail. Pourtant, les femmes ont toujours participé aux migrations, qu’elles soient internes ou internationales. On dénombre plus de 215 millions de migrants dans le monde en 2011 dont 48% sont des femmes (DP NU, DAES, OCDE, 2013).

 

Ces données sur l’importance des femmes dans les flux migratoires suggèrent de considérer aussi, spécifiquement, les facteurs qui sous-tendent leur déplacement tant au niveau des pays de destination que d’origine.

 

Dans les pays de destination, le regroupement familial et les opportunités professionnelles pour les femmes, notamment dans les secteurs des soins domestiques et personnels, semblent jouer un rôle déterminant.

 

Dans les pays d’origine, les progrès en matière d’éducation des femmes, le recul de l’âge moyen au premier mariage, la baisse de la fécondité, la participation accrue au marché du travail, le renforcement du pouvoir des femmes, la persistance ou la recrudescence des conflits sont autant de facteurs à considérer (Lututala, 2006 ; CARIM, 2011).

 

En Afrique centrale, l’analyse des migrations a longtemps mis en relief les hommes en âge de travailler et les étudiants partis en formation ; la femme migrante étant souvent traitée comme une simple accompagnatrice de l’homme uniquement dans le cadre du regroupement familial.

 

Mais cette perception a considérablement évoluée ces dernières années, du fait que les femmes migrent également de manière individuelle et pour des raisons purement économiques, au même titre que les hommes. Cette migration féminine de travail met en exergue le rôle clef de la femme, en tant qu’actrice et par son implication au processus de décision et de financement de la migration.

 

Ce double rôle de la femme dans les dynamiques migratoires suggère de réinterroger réellement les rapports femme/homme au sein de la société et dans le processus migratoire (Ndione et al, 2010). A cet égard, quels sont les enjeux autours des relations de genre dans les dynamiques migratoires en Afrique Centrale?

 

Cette contribution examine les tendances récentes des migrations internationales et tente de mieux cerner le rôle et la place de la femme dans les mouvements de, vers et à travers les pays de la CEEAC. Après une description du cadre d’analyse, de l’approche méthodologique et du contexte de la migration féminine en Afrique centrale, le papier met l’accent sur les grandes tendances des migrations internationales féminines.

 

Il se focalise ensuite sur l’appréhension des migrations féminines dans les pays de la CEEAC et ses implications socioéconomiques. Une attention particulière est accordée à l’analyse de la relation migration, genre et développement en Afrique centrale, en considérant plus singulièrement l’impact de la migration féminine sur le développement durable des pays de la région. Avant de conclure, le papier analyse les défis relatifs aux migrations internationales féminines en Afrique centrale et à la problématique d’intégration du genre dans les politiques de gestion des migrations par les pays membres de la CEEAC.

2. Genre et migration : cadre d’analyse et approche méthodologique

 

Pour mieux cerner la migration féminine, nous nous appuyons sur les principales théories migratoires qui ont ouvert des perspectives relatives à l’intégration du genre dans l’analyse du comportement migratoire. De fait, la migration féminine a fait l’objet de nombreux travaux de recherche depuis la fin des années 1980 (Vause, 2009).

 

Ces travaux ont notamment remis en question la masculinité jusque-là au cœur des études sur le phénomène migratoire. La publication de l’article « Birds of passage are also women » (Morokvasic, 1984), qui se présentait comme une réponse à la métaphore utilisée par Piore (1979) relative à l’immigration entendue comme la seule mobilité des hommes, marque une certaine rupture avec les analyses précédentes.

 

Morokvasic se concentre sur la mise en lumière de la problématique de la femme immigrée. Pour elle, l’invisibilité de la migration féminine trouve ses racines dans le modèle familial patriarcal, qui considère la femme comme dépendante de l’homme, principal support économique et détenteur de l’autorité dans l’unité domestique.

 

Son analyse a permis de mettre en relief la diversité des destins des femmes migrantes à travers le monde, en ce qui concerne notamment les nombreux cas d’exploitation de cette main d’œuvre. Selon cet auteur, la migration féminine peut être positive car, elle permet à la femme de s’émanciper et d’avoir une autonomie financière ; mais elle peut aussi renforcer les inégalités de sexe.

 

Quoiqu’il en soit, il faut dépasser la dichotomie des migrations à des fins matrimoniales contre les migrations autonomes. A ce titre, plusieurs travaux suggèrent que certaines femmes migreraient de façon autonome. Cela est particulièrement le cas en Afrique où l’augmentation des migrations féminines est souvent associée à des migrations autonomes (Findley, 1997). Pour Morokvasic (1984), compte tenu de leur intensité migratoire, les femmes africaines représentent désormais une réserve certaine de main d’œuvre.

 

Cette hypothèse est renforcée par d’autres analyses plus récentes. Au Burkina Faso par exemple, une étude a permis de noter une recrudescence des migrations de femmes célibataires du milieu rural vers le milieu urbain (Findley, 1997), ce qui va dans le sens d’une thèse de l’augmentation des migrations féminines autonomes.

 

Pessar (1984) a également montré que la migration peut entraîner une augmentation de l’indépendance et de l’autonomie de la femme, du fait d’une plus grande insertion dans les activités rémunératrices en pays d’accueil, d’un contrôle sur les ressources économiques ainsi que d’une participation plus importante aux décisions prises dans le cadre du foyer.

 

Le rôle de la femme immigrée comme agent économique, qui participe au développement dans les sociétés d’origine et dans les sociétés d’accueil, ne va pas toujours de pair avec une reconnaissance de ce rôle et avec une amélioration du statut de la femme. Les femmes immigrées sont des agents du développement ; elles participent à l’économie dans les sociétés d’origine et d’accueil, et effectuent des transferts monétaires (Andall, 2003).

 

Dans une étude empirique portant sur divers pays en développement, Chant (1992) montre que le genre est présent dans tout le processus migratoire. L’auteur dégage plusieurs points caractéristiques qui décrivent les liens entre les relations de genre et les comportements migratoires. Parmi ces points, il y a lieu de citer : la forte indépendance des hommes par rapport aux femmes, la vulnérabilité des femmes migrantes, l’inégalité d’accès au travail à l’étranger, l’attachement des femmes au pays d’origine à travers les transferts.

 

De plus, certains auteurs comme Tahdani et Todaro (1984) et Pedraza (1991) considèrent que les femmes ne migrent pas dans les mêmes conditions que les hommes. Leur mobilité spatiale est souvent soumise à des contraintes socioculturelles. Elle n’est valorisée que lorsqu’elle se passe dans un contexte socialement acceptable, alors que les hommes bénéficient des faveurs de la société et sont encouragés à migrer.

 

Par contre, George Simmel (2004) examine les rapports entre identités de genres et processus migratoires. Il relève que les formes des migrations internationales vers l’Occident (volume et composition des flux, chronologie des départs, itinéraires empruntés) sont structurées autour du genre.

 

Ainsi, la participation au processus migratoire affecte la répartition des tâches et des espaces, les rapports de pouvoir et les identités de genre et ce, en partant du cadre privilégié qu’est l’institution familiale. Aussi le genre devient-il un élément structurant l’ensemble du contexte migratoire.

 

D’autres études se sont attachées à accompagner les migrantes dans leurs déplacements, à les suivre sur leurs lieux de travail, et à les découvrir dans leur foyer et dans leurs relations avec les institutions (Boyd et Grieco 1998). Ces travaux ont ainsi donné une certaine visibilité des migrantes dans la recherche. La littérature s’intéresse aux rapports sexo-spécifiques qui sont en jeu tout au long du processus migratoire. A cet égard, le genre définit en partie qui migre, comment, pourquoi et pour quelle destination finale.

 

C’est sous cet angle qu’il faut considérer la contribution de Grieco et Boyd (1998) car ils apportent leur expertise à l’intégration du genre dans l’analyse des migrations féminines en proposant une approche en trois phases : la pré-migration, la migration et la post-migration. La première phase concerne les conditions pré migratoires dans lesquelles ces auteurs suggèrent la prise en compte d’une multitude de facteurs à la fois individuels et familiaux.

 

Parmi ces facteurs, les relations de genre, le rôle et le statut de chaque membre de la famille sont déterminants notamment dans le pouvoir de décision, la propension à émigrer relative des hommes et des femmes, seul(e) ou en association, ainsi que les motifs de migration. La deuxième phase porte sur l’acte migratoire lui-même, considéré comme une phase intermédiaire entre le départ et l’arrivée du migrant ou de la migrante en territoire d’accueil. Durant cette étape, les auteurs évoquent les lois nationales comme facteurs d’influence des courants migratoires, des stéréotypes et des rapports de sexe.

 

Ces lois nationales tout comme les pratiques de contrôle de frontières jouent un rôle déterminant dans la composition des flux migratoires, pouvant ainsi favoriser ou décourager la migration féminine. Enfin, la troisième phase est relative à la société d’accueil dans laquelle il faut tenir compte de la discrimination sexuée sur le marché du travail et des changements dans le statut de la femme suite à la migration.

 

Cette démarche en trois étapes fournit des éléments d’analyse sur les relations de genre dans les pays de la CEEAC durant tout le processus migratoire. Ensuite, elle illustre clairement que l’intégration du genre dans les théories migratoires est une nécessité et devrait se faire à toutes les étapes, peu importe les arguments et les niveaux d’analyse privilégiés.

 

Ce texte s’appuie sur la littérature existante sur les migrations et sur l’analyse des sources de données disponibles. Les principales sources utilisées sont les données issues des informations sur les migrations internationales, notamment les données de la Division de la population des Nations Unies (DP NU), de la Banque mondiale, de l’Organisation de Coopération, de Développement Economique (OCDE) et du Development Research Centre (DRC) on Migration de l’Université de Sussex (Royaume Uni).

 

La technique d’analyse de contenu a été privilégiée pour le décryptage et l’exploitation des données obtenues à partir de la littérature et des sources statistiques. Deux aspects ont été privilégiés : Comment évaluer les migrations féminines et l’importance du genre dans l’analyse des migrations ; quelles sont les pistes de réflexion permettant de mettre en exergue l’analyse des relations de genre et l’impact des migrations féminines sur les pays de la région Afrique centrale en vue d’une prise en compte dans les politiques de gestion des flux migratoires.

 

3. Contexte de la migration feminine en Afrique centrale

 

La capacité des femmes d’agir de façon indépendante et de faire leurs propres choix, combinée à leur position défavorisée, mais aussi l’absence de droits et de libertés, les conflits armés, les violences, l’oppression patriarcale et l’existence de meilleures opportunités économiques, sociales et culturelles dans d’autres pays sont parmi les causes majeures de leur migration.

 

Les femmes comptent parmi les êtres les plus vulnérables aux violations des droits humains à la fois comme migrantes et en tant que femmes. Bien qu’en général le regroupement familial soit souvent évoqué comme un facteur principal de migration féminine, en Afrique centrale la conjugaison d’un ensemble d’éléments liés au contexte géographique, démographique, socioéconomique et politique concourent à l’amélioration du capital humain des femmes à travers l’éducation, leur participation accrue au marché du travail etc., et favorisent leur mobilité.

 

La situation socioéconomique et politique qui prévaut en Afrique centrale a eu un impact sur l’émancipation et l’autonomie des femmes ainsi que sur leur indépendance et leurs responsabilités. De fait, les perspectives économiques et les difficultés politiques y compris les conflits armés expliqueraient en grande partie le phénomène de migration en général, et celle des femmes en particulier. Parallèlement les pays qui jouissent d’une prospérité économique attirent les travailleurs migrants des autres pays de la région (OIM, 2012).

 

L’Angola, le Congo, le Gabon, le Cameroun, la Guinée Equatoriale et le Tchad produisent le pétrole. La République Démocratique du Congo qui exploite les gisements de cuivre, d’or, de bauxite, de diamant, de cobalt, d’uranium, de manganèse, de fer, etc. possède également des gisements de pétrole dont l’exploitation n’est pas encore très développée.

 

Le Cameroun, le Gabon et le Congo sont traversés par la forêt équatoriale dense, ce qui fait d’eux de grands exportateurs d’essences forestières. Ces ressources ont souvent été à la base de guerres, notamment celle de la République démocratique du Congo, qui a entraîné d’importantes migrations forcées (Lututala, 2006). En général, il semble que le niveau de développement d›un pays favorise sa capacité à attirer et à absorber la main d›œuvre étrangère ou à exporter cette main d›œuvre étant donné que les migrants se déplacent essentiellement des zones pauvres vers les zones relativement prospères.

 

En outre, les guerres ont ensanglanté plusieurs pays de l’Afrique centrale au cours des dernières décennies. Les femmes et les enfants sont les grandes victimes de ces « désordres ». On comprendrait donc qu’ils aient été contraints, en très grand nombre, de chercher refuge à l’étranger. Comme le souligne certains auteurs, les conflits restent une cause majeure de la migration dans la région, car ils sont à l’origine de déplacements forcés massifs des populations (Ndione et Pabanel, 2007).

 

En 2010, le Tchad a accueilli un nombre important de réfugiés, de même que la RDC, le Cameroun et le Congo (DP NU, 2009). Aussi, les conflits résultant de l’exploitation minière, de la mauvaise gouvernance, de l’insuffisance des réseaux routiers transnationaux, etc. entravent le bien-être des populations, faisant de la CEEAC une région politiquement et socio économiquement instable.

 

Somme toute, en Afrique centrale, les migrations se divisent en deux catégories majeures: la migration forcée et la migration pour le travail (OIM, 2005). La migration forcée pousse les populations à quitter leur pays pour échapper aux persécutions, aux conflits, aux catastrophes naturelles et humaines, aux répressions ou autres situations mettant en danger leur vie, leur liberté ou leurs moyens de subsistance.

 

Ces migrants sont presque toujours des femmes et des enfants car, ils constituent la classe la plus vulnérable en temps de crise socio-politique ou environnementale. La plupart des violences auxquelles les femmes et les jeunes filles sont confrontés en cas de troubles sociopolitiques ont pour objet ou pour conséquences de les reléguer au rang d’objet sexuel (Indai Lurdes, 1999).

 

De plus, lorsque des villages sont la cible de bombardements, les femmes et les enfants sont les premières victimes, tous les hommes étant au front. Cette sous-représentation d’homme dans les villages est aussi source de précarité pour ces femmes qui se trouvent ainsi à la merci de civils peu scrupuleux. On estime que 75% des personnes déplacées sont des femmes et des enfants et ce chiffre peut atteindre les 90% pour certaines populations de réfugiés (ONU, 2000).

 

Par ailleurs, il faut rappeler que pendant la période post- coloniale, les migrations internationales de l’Afrique centrale étaient effectuées principalement vers les pays colonisateurs et pour des raisons d’études ou de préparation à la vie administrative et politique. De nos jours, les migrations interafricaines sont majoritaires (Bucyalimwe Mararo, 2006) ; en 2010, 64% de la migration subsaharienne était intra-régionale et liée à l’emploi. (OIM, 2011).

 

L’absence de femmes au sein des données sur la migration est plus due à l’invisibilité des femmes dans la recherche avant les années 1980 que l’indication que les femmes n’ont pas migré. Le phénomène de féminisation de la migration aurait été rendu visible grâce notamment à des investigations scientifiques accrues après cette période.

 

 

 

 

Section 2. FLUX MIGRATOIRES ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

 

1. Migration, environnement et changement  climatique

 

L’espace de la CEEAC est qualifié dans le résumé exécutif du Plan d’Action Sous Régional pour l’Afrique centrale (PASRAC, 2007) de l’Initiative Environnement du NEPAD comme étant la région la plus riche en ressources environnementales d’Afrique. Car, elle compte plus de 60% de la diversité biologique du continent et abrite le second principal bastion de forêt dense humide de la planète. Il s’agit de la forêt du Bassin du Congo qui couvre près de 227 millions d’hectares (COMIFAC, 2009).

 

D’une part, l’extrême richesse en espèces de groupes taxonomiques et de centres d’endémisme, l’abondance des terres cultivables, les variétés d’espèces animales et végétales, l’abondante diversité des ressources minières…, sont autant de ressources environnementales qui font de l’Afrique Centrale une région d’attractivité internationale, puis d’une importante dynamique de migration intra-régionale.

 

D’autre part, la dégradation de l’environnement (déforestation, désertification, changement climatique, éruption volcanique, émanation des bulles de gaz toxique…etc.) constitue un autre aléa de déplacements des populations dans l’espace communautaire.

 

Cette double causalité environnementale conduit au recentrage de la définition de la migration liée à l’environnement comme tout déplacement d’un individu de son lieu de résidence habituel, causé directement ou indirectement par l’exploitation ou la dégradation de l’environnement, pour une durée d’au moins six mois et un jour.

 

Lorsque la migration liée à l’exploitation est initiée dans une perspective d’enrichissement et d’amélioration des conditions de vie, la migration liée à la dégradation par contre intervient dans un but de refuge et de survivance.

 

Par ailleurs, les dynamiques de migration environnementale en Afrique centrale ne sont pas organisées, ni maitrisées par les pouvoirs publics. Elles ont des répercussions sociales, économiques, politiques et écologiques jusqu’ici méconnus tant par les hommes de sciences que par les politiques. La présente étude pose dès lors le problème de l’impact de l’interaction migration/environnement sur le développement de l’Afrique centrale.

 

D’après l’hypothèse de départ, cette interaction est simultanément un levier de développement humain et un pertinent défi pour l’environnement en Afrique centrale. L’enjeu ici est d’optimiser ce statut de développeur tout en relevant durablement les défis écologiques imputables à cette interaction migration/environnement dans la région.

 

Pour y parvenir, l’objectif fixé est d’analyser la relation migration, environnement et développement en insistant sur les effets des phénomènes émergents comme le changement climatique, dans le but d’améliorer les cadres programmatique, institutionnel et décisionnel de la gouvernance de la migration dans la région.

 

La restitution de l’étude s’articule sur l’évaluation des répercussions de l’environnement sur le phénomène migratoire et l’élaboration d’une écologie humaine du migrant environnementale, afin de cerner l’impact structuré de la migration environnementale sur le développement de l’espace communautaire.

 

2. L’environnement : un déterminant du phénomène migratoires a´´ l’échelle sous-régionale

 

2.1. L’exploitation économique de l’environnement : un déclencheur des dynamiques migratoires

 

L’exploitation écologiquement dommageable de l’environnement en Afrique centrale est partiellement liée au fait migratoire. En guise de rappel, si l’exploration du continent ne s’est pas directement accompagnée d’une exploitation des richesses naturelles découvertes en lieu et place, elle a cependant révélée au monde l’existence d’un gisement de matières premières de toute nature. Par conséquent, elle a motivé et a préparé le terrain à un mouvement de migration d’exploitation internationale de l’environnement de l’Afrique centrale, de l’époque  coloniale à nos jours.

 

L’un des facteurs cardinaux de cette migration était économique : la recherche des matières premières pour l’industrie européenne. La colonisation a été caractérisée par l’arrivée des populations occidentales dans les colonies où plusieurs ont élu domicile, et au fil du temps, ont obtenu des droits de propriété et d’exploitation de diverses ressources.

 

Cette exploitation connaitra une intensification remarquable dans le temps avec la multiplication des exploitants internationaux, la diversification des secteurs d’exploitation et la création de nouvelle entreprise d’exploitation. Parallèlement, elle déclenchera des migrations internes des travailleurs de plus en plus importantes à l’échelle régionale.

 

D’une manière générale, la hiérarchisation des facteurs de migration (internationale, sous régionale ou nationale) révèle que le facteur économique est prioritaire dans un contexte unique : la recherche d’une amélioration des conditions de vie ou du mieux-être. Ce facteur est déterminé par une matrice très extensive de variables.

 

Ainsi, l’exploitation de la biodiversité végétale de l’Afrique Centrale a depuis longtemps enclenché des dynamiques migratoires. En guise d’illustration, la coupe et l’exportation du bois de grume est resté pendant près d’un siècle une exclusivité d’abord des exploitants forestiers immigrés d’outre-mer. L’investiture du secteur par les exploitants nationaux date d’une trentaine d’années en moyenne. Cette exploitation commerciale et même industrielle de la forêt est un vecteur des dynamiques de migration interne des chercheurs d’emploi : c’est la migration des travailleurs.

 

L’exploitation de la biodiversité animale est un autre déterminant des dynamiques migratoires dans la région même dans les aires protégées à l’exemple des réserves du Dja de Campo-Ma’ane (Cameroun),… Car, le trafic du gibier est une activité bien lucrative dans les zones forestières de la région (Cameroun, République Démocratique du Congo, République Centrafricaine, Guinée Equatoriale, Gabon…).

 

Par exemple, le système de transepts de 200 pièges à câbles et même plus, détenus par une personne a été signalé par Mogba, Z. et Freudenberger, M. (1998) dans la réserve de Dzanga-Sangha en République Centrafricaine. Ce système de transepts est développé à des fins non plus de subsistance seulement, mais aussi et surtout, à des fins de commercialisation de la viande de brousse très prisée dans les villes. Si les transepts appartiennent aux autochtones, leur mise en place est cependant motivée et entretenue par des migrants commerçants de la viande de brousse de plus en plus rare et économiquement rentable.

 

Par ailleurs, l’exploitation des terres à des fins agro-industrielles attire une main d’œuvre locale. Elle exacerbe donc le phénomène migratoire interne et transfrontalier. L’agriculture de rente ainsi pratiquée représente à elle seule 44% de l’économie de la région. Cette activité d’exploitation des sols est pratiquée par 70% de la population active de la région sous forme d’agriculture soit de subsistance soit de marché (Eba’a Atyi, 2010).

 

Le caractère très lucratif de l’exploitation minière est aussi à l’origine de dynamiques migratoires relativement importantes au sein de la région. Les permis d’exploitation minière sont délivrés à plus de 90% aux firmes étrangères (migration internationale) qui disposent justement de moyens utiles et nécessaires à cet effet. Les migrations internes et intra-régionales sont aussi déclenchées par cette exploitation en termes de migration des travailleurs vers les sociétés minières ou en termes d’exploitation clandestine et illicite.

 

L’exploitation de l’or dans la région de Bétaré Oya à l’Est du Cameroun, du diamant dans la réserve de Dzanga-Sanga par exemple, sont les principaux facteurs de migration dans ces régions minières (Freudenberger et Mogba, 1997, Mogba, et al., 1996).

 

La guerre civile tributaire des conflits de contrôle des ressources minières est le mobile prépondérant du phénomène migratoire à l’Est de la République démocratique du Congo et plus précisément dans les Provinces du Nord et du Sud Kivu, dans les districts de l’Ituri, du Haut-Uélé et du Bas-Uélé en Province Orientale. L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (2011) signale que les crises foncières et les querelles d’exploitation minière constituent les principaux motifs de prêt de 533 conflits recensés par la MONUSCO.

 

Plus de 64% desdits conflits se localisent au Katanga et dans les deux Kasaï faisant plus de 1,7 millions de déplacés en 2011. La recherche du contrôle de l’exploitation des ressources minière est l’une des causes majeures des guerres civiles induisant des déplacements de millions d’habitants dans la région. Au total, l’exploitation de l’environnement a des enjeux politiques avérés, et est depuis longtemps un facteur prépondérant de migration en Afrique centrale. Cette interférence à dominance conflictuelle fait que le politique est indissociable au fait migratoire lié à l’environnement dans la région.

 

2.2. L’exploitation sociale de l’environnement entre crise foncière, dislocation des foyers de peuplements et migration foncière

 

L’environnement ne fait pas seulement l’objet d’une exploitation économique. Il est aussi sujet d’une exploitation subsistancielle ou sociale, en tant que grenier naturel (produits de ramassage, de pêche, de cueillette et de chasse) des populations rurales, et comme support des activités agraires de subsistance.

 

Les régions considérées comme des foyers de peuplement telles que l’Extrême Nord et l’Ouest-Cameroun, les Provinces du Kivu et Orientale en République démocratique du Congo par exemple, sont caractérisées par une inadéquation entre les populations et les terres disponibles.

 

L’inadéquation entre la demande et l’offre foncière est le fondement d’une pression foncière qui se complexifie dans le temps avec la croissance démographique. La crise foncière se hisse en un invariant structurel de ces sociétés humaines.

 

Le registre socio-relationnel dans les foyers de peuplement est caractérisé par des distanciations, des tensions et des conflits sociaux autour des questions foncières. Les conflits fonciers se transforment parfois en fratricide et s’inscrivent dans une dynamique trans-générationnelle. Ce registre socio-relationnel marqué par une insatisfaction foncière croissante proportionnellement à l’accroissement démographique, est précurseur des dynamiques d’émigration foncière des Bamiléké, des Bamoun, des Haoussa…etc., dans les principaux foyers de peuplement au Cameroun.

 

Les conflits entre éleveurs et agriculteurs en RDC (Hema et Lendu en Ituri; Banyamulenge et Bashi au Sud-Kivu) puis entre les communautés de pêcheurs à Kungu, (Equateur) toujours en RDC ont été dénoncés comme facteur de migration par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (2011). Il en résulte une dislocation des foyers de peuplement. Les individus en provenance desdits foyers se sédentarisent dans tous les coins du pays.

 

Par ailleurs, la migration liée à l’insuffisance des terres n’est pas une réalité des foyers de peuplement en exclusivité. Elle est aussi enregistrée dans les régions à démographie modérée. Plusieurs familles sont confrontées à des conflits fonciers contraignant certains à migrer.

 

Ce type de migration est observé à l’Ouest du Cameroun par exemple. Si les foyers de peuplement connaissent une dynamique d’émigration liée à l’insuffisance des terres, les zones à faible densité de population sont plutôt transformées en espaces d’accueil préférentiel. Les migrants s’installent et développent des activités socioéconomiques, agropastorales… etc. Ils s’intègrent dans la communauté à travers une participation aux activités d’intérêt communautaire et contribuent dès lors au développement local.

 

Les Bamiléké de l’Ouest du Cameroun peuvent une fois de plus être évoqués en guise d’illustration. Ils se retrouvent dans tous les coins du pays. Des stratégies d’intégration communautaire telles que l’apprentissage des langues locales, la courtoisie, la générosité, la coexistence pacifique…, sont garantes de leur installation durable, généralement définitive après l’acquisition d’un lopin de terre. Enfin, la crise foncière peut conduire à une « déconnexion territoriale » chez plusieurs émigrés fonciers qui finissent par recourir à la migration internationale.

 

2.3. La dégradation de l’environnement : un déterminant majeur des dynamiques migratoires des prochaines décennies en Afrique centrale

 

La dégradation de l’environnement est de plus en plus indissociable de la matrice des facteurs de migrations dans la sous-région. En guise d’illustration, Mogba et Freudenberger (1998) font état de la disparition de toute une agglomération de plus de 2000 habitants (le Camp Zaïre) dans la réserve forestière de la Dzanga-Sangha en République Centrafricaine, suite à la migration des populations victimes de la dégradation de leur cadre de vie, objet d’exploitation diamantifère.

 

Les catastrophes telles que la libération des bulls de gaz toxique par le Lac Nyos en 1986, le lac Monoun en 1993 et les éruptions volcaniques du Mont Cameroun en 1999-2000, ont provoqué d’importants mouvements migratoires des populations au Cameroun.

 

Ce même type de migration a été enregistré lors de la libération des bulls de gaz toxique par les lacs Tanganika et Kivu, l’éruption volcanique à Goma en 2002, lors du tremblement de terre de 2009 à Bukavu et Kalemie, et des coulée de boue du Nyiragongo en 2010 (Goma), lors des trois orages dévastateurs de 2010 à l’Équateur, au Katanga et dans la province orientale.

 

La dégradation de l’environnement naturel se présente comme un déterminant privilégié des dynamiques migratoires des prochaines décennies en Afrique centrale. La situation actuelle de cette dégradation fait par exemple état d’un recul de 0,44%, soit 934 000 hectares de forêt du Bassin du Congo par an ; d’une destruction systématique de 532 000 et 220 000 hectares de forêt par an liée à l’exploitation forestière en République Démocratique du Congo et au Cameroun respectivement (Plan d’Action Sous Régional pour l’Afrique Centrale - PASRAC, 2007 ; Réseau des Aires Protégées d’Afrique Centrale - RAPAC, 2007).

 

La consommation du bois énergie à Kinshasa (ville cosmopolitaine, de plus de 11 millions d’habitants) représenterait 5 000 000 km² de bois par an, collecté dans un rayon de 200 km (Eba’a Atyi, 2010).

 

Les effets de la désertification sont de plus en plus manifestes dans les zones de savanes (Nord du Cameroun et de la République Centrafricaine, Nord-est et Sud-Est de la République Démocratique du Congo), provoquant les déplacements des agriculteurs et des éleveurs (Mvondo Awono et Beyegue Djonko, 2002).

 

La dégradation des sols et des eaux de surface et souterraines s’est accentuée avec la montée en puissance de l’utilisation des engrais chimiques et des Produits Organiques Persistants (POP) par les agriculteurs indépendants et surtout les agro-industries ; l’industrie productrice des déchets inorganiques industriels, les substances radioactives, les métaux lourds… Une estimation partielle effectuée sur le secteur agricole et le secteur forestier révèle que la dégradation des terres a un coût minimum de 3 milliards de dollars US en Afrique Centrale (Eba’a Atyi, 2010).

 

D’une manière générale, la dégradation de l’environnement est croissante avec l’intensification d’une exploitation des ressources naturelles peu soucieuse de la protection du milieu. L’enclenchement des dynamiques de migration écologiques de plus en plus significatives est donc à prévoir dans ce contexte de crise écologique non régulée. Le risque d’aggravation de la migration écologique dans les prochaines décennies est davantage certain dans la sous région avec le phénomène de réchauffement climatique à enjeu planétaire.

 

3. Ecologie humaine du migrant environnemental entre exposition et vulnérabilité

 

3.1. Profil sociodémographique du migrant environnemental 

 

L’Afrique centrale a deux principales typologies de migrants dont la causalité migratoire est liée à l’environnement. Il s’agit des migrants d’exploitation de l’environnement et des migrants de dégradation de l’environnement encore appelé migrant écologique.

 

Lorsque le migrant d’exploitation s’inscrit dans une logique d’amélioration des conditions de vie, et donc, de nécessité, le migrant écologique par contre est dans une logique de survie, et donc, d’indispensabilité. Dans la première logique de nécessité, l’individu peut se passer du déplacement, d’où le caractère volontaire de son déplacement. Par contre, dans la deuxième logique d’indispensabilité, ce dernier est contraint de se déplacer, d’où l’indispensabilité. La présente analyse s’articule sur la reconstitution du profil du migrant de la dernière typologie qui se veut plus exposée et vulnérable en Afrique centrale.

 

La vulnérabilité par essence de tout être humain indépendamment de son genre est justiciable de l’exposition de toute personne (homme ou femme) à la migration écologique. Néanmoins, les femmes, les enfants, les personnes âgées et handicapés sont plus vulnérables en situation d’urgence écologique à l’exemple des éruptions volcaniques. Les hommes tentent de sauver autant de biens du ménage que possible.

 

Cette tentative de résistance a été menée par plusieurs chefs de famille pendant les dernières éruptions du Mont Cameroun, du Mont Goma en République Démocratique du Congo....etc. Elle a vainement été observée dans l’intention d’évacuer le bétail ou de sauver le maximum de récolte agricole malgré les risque de gazéification mortelle lors des catastrophes du Lac Nyos en 1986, du lac Monoun en 1993 au Cameroun, lors des dernières catastrophes aux lacs Tanganika et Kivu en République démocratique du Congo.

 

Les hommes opposent plus de résistance dans des situations d’urgence écologique à l’exemple de l’avancée de la désertification dans les écosystèmes de savane du Nord Cameroun et de la République Centrafricaine, au Nord-Est et au Sud-Est de la République Démocratique du Congo (Mvondo Awono et Beyegue Djonko, 2002). Ces résistances se caractérisent par diverses formes d’adaptation développées par les populations vulnérables. L’arboriculture de résistance à la désertification est ainsi développée pour réguler l’avancée du désert à l’extrême Nord du Cameroun, au Tchad…

 

Le système de drainage est utilisé par les agriculteurs pour approvisionner les exploitations agricoles en eau et résister le mieux à la migration dans les zones arides ou en proie à la sécheresse dans la région. Les éleveurs des zones de savane pratiquent « la jachère de pâturage ». Il s’agit d’un système rotatif dans l’exploitation des parcelles de pâturage. Le passage d’une parcelle à une autre permet à la première de se régénérer et d’être à nouveau exploitable quelque temps plus tard.

 

Les systèmes de maisons sur pilotis et de construction en matériaux provisoires sont promus dans les zones volcaniques et inondables en guise d’adaptation au risque écologique. Néanmoins, ces formes d’adaptation restent très limitées face à la persistance des crises écologiques qui finissent toujours par contraindre à un déplacement des résistants par fois au prix de leur vie.

 

Toutes les catégories sociodémographiques sont donc concernées par la migration écologique dans la région. L’individu qui migre suite à une crise environnementale n’appartient non plus à une quelconque et exclusive catégorie socioprofessionnelle. Car, si certaines situations écologiques laissent le choix de migrer aux individus (crise de l’environnement en milieu urbain, pression foncière dans le cadre de vie initial,…etc.), d’autres par contre n’offrent pas cette opportunité (tremblement de terre, éruption volcanique, émission des bulls de gaz toxiques…etc.).

 

Néanmoins, la migration écologique entraine une mutation de statut socioprofessionnelle. Certains migrants écologiques qui jadis travaillaient, peuvent devenir des chômeurs suite à la perte d’emploi tributaire du déplacement généralement soudain (éleveurs, agriculteurs, commerçants, artisans…etc.).

 

D’autres, à l’exemple des migrants écologiques des espaces urbains, développent des formes d’adaptation socioprofessionnelle en changeant d’emploi, en développant des activités dans le secteur informel. Quel que soit la terre d’accueil, les migrants dynamiques créent des activités génératrices de revenus quelconques en fonction des opportunités offertes par la terre d’accueil… etc.

 

Plusieurs migrants qualifiés s’insèrent dans des structures nécessiteuses de leur qualification. D’une manière générale, la nouvelle insertion socioprofessionnelle du migrant à l’issu d’une crise environnementale est extrêmement difficile.

 

3.2. Exposition et vulnérabilité sociale des migrants et populations déplacées suite à une crise environnementale

 

Le profil sociologique des migrants et personnes déplacées à la suite d’une crise environnementale en Afrique Centrale est dominé par un arrière fond d’exilé écologique. Un arrière fond de stigmatisation, de marginalisation et de reniement du rôle contributeur ou précurseur du développement jusqu’ici attribué au migrant économique. Un arrière fond qui considère ces derniers comme des éléments de discorde sociale, des intrus, des personnes de trop dans un contexte d’insuffisance de satisfaction des besoins essentiels des autochtones…

 

Un clivage qualitatif émerge dès lors entre les migrants, au mieux, entre la migration développementaliste et la migration anti-développementaliste pour l’espace d’accueil. Ces impacts précarisent et vulnérabilisent le fait migratoire qui pourtant, est un vecteur incontestable de développement.

 

Les dynamiques migratoires inhérentes à l’exploitation et à la dégradation de l’environnement en Afrique centrale sont génératrice d’une grille particulière de problèmes qui iront croissants dans l’espace et dans le temps. Déjà, l’émulsion vers le statut de pays émergent observée dans la région (Guinée Equatoriale, Cameroun, Gabon, République Démocratique du Congo, République du Congo…) a pour moteur un décollage socioéconomique basé sur l’intensification de l’exploitation des matières premières.

 

Cette ruée génère plusieurs autres problèmes à l’exemple de la migration forcée des populations locales dans des conditions pas toujours respectueuses de la réglementation en vigueur. Le migrant se trouve ainsi vulnérable et continuellement vulnérabilisé par un manque de prise en charge. Il est en proie aux problèmes de santé, d’emploi ou de réinsertion socioprofessionnelle, de scolarisation des enfants, de nutrition…

 

Les migrants et personnes déplacées à la suite d’une crise environnementale vivent dans un climat social de conflictualité permanente avec les populations locales. Les conflits fonciers entre les agriculteurs, la spéculation foncière sont exacerbés par la raréfaction des terres cultivables même pour les autochtones sous l’effet du changement climatique.

 

Les conflits entre éleveurs puis entre agriculteurs et éleveurs sont vécus au quotidien dans les zones de savane de la région. Les migrants sont parfois en proie à la famine, à des querelles fratricides, à des coups de vol, à des humiliations et à des discriminations permettant de soulever un problème de fond, celui des droits des migrants dans le cadre de la migration interne. Si le migrant ordinaire est acceptée dans la société rurale, le migrant écologique par contre est de plus en plus persécuté, stigmatisé et perçu comme un imposteur qui vient chercher ce que son milieu de départ ne parvient plus à lui offrir.

 

Cette dynamique de tension socio-relationnelle a pour élément précurseur, les modifications et mutations environnementales qui ne garantissent plus suffisamment la satisfaction des besoins même des autochtones. L’action lente des politiques en matière de régulation de la crise environnement prédispose à une intensification non plus seulement des mouvements migratoires, mais aussi desdites tensions et autres problèmes sociaux inhérents.

 

3.3. Exposition et vulnérabilité juridique des migrants et populations déplacées suite à une crise environnementale

 

A l’échelle régionale, les migrations internes et transfrontalières liées à l’environnement souffrent d’un manque d’encadrement législatif et juridique. Si le droit international des réfugiés tend à résorber la question de migration transfrontalière se rapportant aux catastrophes écologiques, cette résorption se heurte à l’absence d’un statut juridique de réfugié environnemental dans les textes régissant l’espace communautaire de la CEEAC. Car, aucun pays de la région ne dispose d’un cadre législatif et juridique national clarifiant le statut des migrants et personnes déplacées issus des crises environnementales.

 

Pourtant, cette forme de migration est en pleine essor avec la dégradation croissante de l’environnement (Mvondo Awono et Beyegue Djonko, 2002 ; Mogba et Freudenberger, 1998). La persistance de ce vide juridique est révélatrice d’un sérieux problème de gouvernance de la migration liée à l’environnement.

 

Les logiques de gouvernance en vigueur se fondent sur la perception de cette forme de migration comme un fardeau et non comme une opportunité de développement humain. En définitive, la non clarification dans les législations des statuts juridiques de migrant et de refugié de l’environnement rend compte de leur exposition et de leur vulnérabilité sociale.

 

4. L’interaction migration/environnement : un lévier de développement à optimiser et à inscrire dans la durabilité en Afrique centrale

 

4.1. Une contribution incontestable de la migration liée à l’environnement aux mutations socioéconomiques et à l’amélioration des conditions de vie des populations dans les Etats de l’Afrique centrale

 

S’il est établi que la migration d’exploitation de l’environnement contribue à la dégradation écologique en Afrique centrale, elle reste aussi un facteur important des mutations socioéconomiques enregistrées dans la région. Il a été signalé plus haut que les multiples entreprises d’exploitation des ressources naturelles de la région sont créées et gérées par des migrants internationaux et nationaux.

 

De même, les travailleurs sont généralement des migrants auxquels s’associent quelques non migrants compétents. Cette exploitation encourage le développement local dans les différentes localités concernées à travers la création d’emplois, l’appui financier aux collectivités territoriales autonomes par le biais du paiement des impôts et taxes communautaires, la construction des écoles, des centres de santé, la participation à la lutte contre les endémo-épidémies… etc., par les exploitants.

 

En outre, les économies des Etats de la région dépendent de l’exploitation des ressources naturelles. Les grands projets structurants ont été initiés à cet effet au Cameroun, en Guinée Equatoriales, au Gabon, en RDC… et sont mis en œuvre par des équipes mixtes d’ingénieurs étrangers et nationaux, des techniciens et manœuvres installés sur le site d’exploitation à partir du début des travaux.

 

La migration liée à l’environnement permet aux populations d’échapper aux effets néfastes et parfois fatals des crises environnementales dans la région. Elle offre aux migrants une autre opportunité de se reconstruire pour s’épanouir et de donner à nouveau un sens à leur devenir. Plusieurs reconversions dans les petits métiers ont été signalées plus haut malgré les multiples discriminations et la non-protection civile.

 

En clair, cette forme de migration est potentiellement une opportunité de survie, un mécanisme d’amélioration des conditions de vie et un facteur de développement humain par généralisation. La migration liée à l’environnement peut alors constituer un levier de développement qui malheureusement reste non valorisé par les politiques.

 

4.2. Synthèse des problèmes inhérents à la relation migration/environnement en Afrique centrale

 

La migration écologique souffre tout d’abord d’une stigmatisation et d’une banalisation en tant que forme spécifique du phénomène de migration dans la région. Cette situation est une réponse à la persistance des vides juridiques qui caractérisent le migrant issu d’une crise de l’environnement. Cet état de fait compromet la gestion pratique de cette forme de migration tant au niveau nationale que régional.

 

Dans ce contexte, l’exposition et la vulnérabilité sociale du migrant de l’environnement, qui vit déjà dans un climat de conflictualité socio-relationnelle, de crise d’intégration sociale et d’exclusion sociale sont prévisibles.

 

La crise de gouvernance de l’interaction migration/ environnement se hisse dès lors en un pertinent problème de développement humain dans l’espace communautaire de la CEEAC et de la CIRGL. Cette crise est entretenue par la quasi absence d’une caractérisation scientifique du phénomène de migration lié à l’environnement dans sa globalité (typologies, causes, acteurs, mécanismes, gestion, impacts, prévision…etc.).

 

L’absence d’études et de recherches scientifiques aptes à produire des modèles explicatifs et analytiques sur cette forme de migration et la non implication voir l’absence d’organisations de la société civile spécialisées dans la thématique migration/environnement…, sont autant de facteurs limitant la persuasion et la conscientisation des politiques par rapport aux risques et enjeux.

 

4.3. Pour une prise en compte de l’interaction migration/environnement pour le développement

 

L’interaction entre migration, environnement, changement climatique et développement humain est une réalité en Afrique centrale. Cette relation est altérée par une matrice de contraintes agissant en toute simultanéité.

 

Les défis sont importants, au regard du risque d’intensification de la migration liée à la dégradation de l’environnement et surtout aux effets de plus en plus perceptible du changement climatique dans la région. A cet effet, ce texte prescrit l’adoption de mesures adaptées face aux menaces écologiques, en termes de prévention des catastrophes et de gestion des migrations provoquées par la dégradation de l’environnement en Afrique centrale.

 

L’importance des migrations de populations liées à l’environnement renvoie à la nécessité de leur prise en compte dans des cadres législatif, juridique et réglementaire aux niveaux national et communautaire.

 

A ce titre, la mobilisation des politiques, des hommes de sciences, de la société civile et des populations locales, est encouragée. C’est dans cette optique que nous formulons des conclusions et recommandations spécifiques au Secrétariat Général de la CEEAC, aux états-membres et à la société civile.

 

L’analyse des données empiriques et des données de la littérature existante a permis de constater que, lorsque l’exploitation de l’environnement attire les populations d’ailleurs (facteur d’immigration), sa dégradation provoque des déplacements des populations (facteur d’émigration). La migration liée à la dégradation de l’environnement est un moyen de survie et d’amélioration des conditions de vie des personnes déplacées.

 

L’interaction migration et environnement s’est révélée comme étant simultanément un levier de développement humain et un défi environnemental en Afrique centrale. Sa prise en compte dans les politiques de développement nécessite une implication de trois principaux acteurs : les Etats, la société civile et l’organisation interétatique de l’Afrique Centre (la CEEAC).

 

Dans cette optique, il est recommandé aux Etats membres de la CEEAC de créer des cadres institutionnel, législatif et juridique, puis programmatique en matière de gouvernance nationale de la migration liée à l’environnement, et de considérer cette forme de migration comme un moteur de développement à intégrer dans toute stratégie de réduction de la pauvreté.

 

Il est également suggéré aux états de promouvoir et renforcer les capacités institutionnelles en matière de veille et de surveillance des risques et catastrophes écologiques ; de promouvoir l’expertise nationale en matière d’études, de recherche-action dans la perspective de créer une base de données nationale sur les risques environnementaux et climatiques susceptibles de provoquer des déplacements de populations, sur les activités de protection de l’environnement et d’adaptation au changement climatique des migrants issus des crise écologiques.

 

Enfin, il est suggéré aux Etats de promouvoir la formation et le recyclage d’une ressource humaine nationale en matière de gouvernance de la migration liée à l’environnement ; de promouvoir la coopération et le partenariat public/privé dans ce domaine, en relation avec les collectivités territoriales autonomes.Nous osons croire que toutes ces sugetions seraient benefiques aussi pour toute la region des grands lacs car un bon nombre de ces Etats en font aussi partie.

 

Les recommandations destinées à la société civile concernent la création d’organisations dynamiques œuvrant dans l’encadrement de la migration liée à l’environnement et leur fédération en réseaux d’organisations de la société civile poursuivant la même cause ; et le plaidoyer pour la ratification de tous les accords internationaux, continentaux et communautaires sur l’environnement et la protection civile du migrant écologique.

 

Il est également suggéré à la société civile d’œuvrer pour l’adoption d’une loi communautaire sur les minorités écologiques, d’un instrument législatif et juridique de protection sociale du migrant environnemental et de viabilisation sociale de la migration liée à l’environnement ; de développer des programmes d’Information, d’Education et Communication pour la migration liée à l’environnement dans les zones à risque écologique potentiel.

 

 Il est aussi recommandé à la société civile de mener des actions de terrain en matière d’intervention d’urgence et d’assistance des déplacés suite à des catastrophes environnementales, de dénoncer et de lutter contre la stigmatisation, l’exclusion sociale et toute forme d’abus perpétrée sur le migrant issu des crises écologiques ; et de promouvoir l’insertion sociale des migrants et déplacés écologiques.

 

Il est suggéré au secrétariat général de la CEEAC de  renforcer les capacités et compétences institutionnelles de l’organisation interétatique en matière de recherche sur l’interaction Migration, Environnement et Changement climatique dans la région puis en matière de gouvernance de la migration liée à l’environnement ; d’insérer l’encadrement de la migration liée à l’environnement dans les cahiers de charge de tous les organismes interétatiques sous régionaux ainsi que dans tous les programmes de développement au sein de l’espace communautaire.

Il est également recommandé au secrétariat général de la CEEAC de promouvoir et encadrer la société civile sous régionale spécialisé sur les questions de migration liée à l’environnement ; doter la communauté d’une charte interétatique sur les minorités écologiques (migrants issus des crises écologiques) ; d’amener les états-membres à s’approprier de cette nouvelle vision de la migration liée à l’environnement entend que pivot d’intégration sous régionale et de développement communautaire à intégrer dans toute stratégie nationale de réduction de la pauvreté ; de doter la communauté des Programmes interétatiques de gestion anticipative des migrations liées à l’environnement et au changement climatique, fondés sur un système sous régional de veille et de surveillance des dynamiques migratoires liées à l’environnement suivant une approche tridimensionnelle : les composantes alerte-réponse, analyse et intervention d’urgence.

 

Section 3. FEMINISATION DES MIGRATIONS INTERNATIONALES

 

1. Tendances des migrations internationales feminines

 

Les analyses récentes des migrations internationales ont fortement contribuée à la visibilité de la diversification des flux migratoires, en ce qui concerne notamment la présence des femmes parmi les populations migrantes, mais aussi l’intérêt croissant porté à l’analyse du genre dans les dynamiques migratoires (Anthias, 2012).

 

En effet, tandis que la plupart des femmes émigrent traditionnellement pour se marier ou pour rejoindre leur famille, les dernières décennies ont vu augmenter le nombre de femmes mariées ou célibataires qui émigrent seules ou en compagnie d’autres femmes ou d’autres migrants à l’extérieur de leur cercle familial (ONU, 2005).

 

Les femmes sont de plus en plus en mouvement dans toutes les parties du monde car elles sont poussées par les possibilités offertes et les forces de la mondialisation. S’il existe une demande pour les migrants des deux sexes, les hommes ont une meilleure chance d’occuper des emplois plus qualifiés et mieux payés.

 

Les femmes, de leur côté, sont souvent limitées aux occupations traditionnellement «féminines» dans certains secteurs des services (domestique, soins infirmiers, soins personnels, éducation, restauration, etc.) et l’industrie du sexe, emplois fréquemment instables et caractérisés par de bas salaires, des conditions de travail médiocres et l’absence de services sociaux (ONU, 2005).

 

Néanmoins, ces types d’emploi traditionnel ont favorisé le développement de flux migratoires féminins à travers des mécanismes officiels et non officiels conçus pour satisfaire à la demande du personnel féminin dans la plupart des grands pays d’accueil. Cependant, même quand elles émigrent légalement, les femmes sont souvent reléguées dans des emplois où elles sont exposées à la discrimination, à des conditions d’emploi arbitraires et à des sévices.

 

Ce n’est pas seulement parce qu’elles répondent à la demande mondiale des services, mais aussi sous l’effet d’une série de facteurs qui entrent en jeu dans les pays d’origine que les femmes prennent la décision de partir à l’étranger. Ces facteurs sont les obligations familiales, le chômage, les bas salaires, le sous-emploi, la pauvreté, la limitation des perspectives sociales et économiques et le désir d’élargir leurs horizons.

 

Les femmes affrontent généralement des restrictions plus marquées que les hommes (manque d’autonomie dans la prise de décisions, absence de ressources financières), ce qui peut créer des obstacles à leur liberté de mouvement. Mais la possibilité de gagner un revenu hors du pays est susceptible de relâcher les contraintes qui s’opposent traditionnellement à la mobilité des femmes.

 

Un bouleversement économique et social peut aussi les pousser à partir. Par exemple, des évènements historiques comme la colonisation au 18ème siècle, la dévaluation du franc CFA en 1994, ont laissé des empreintes très visibles sur les pays du sahel car ces évènements historiques ont été à l’origine d’une importante vague de migration en général, et de migration féminine en particulier (Ba, 1998).

 

En Asie, la crise financière de 1997 a de même déterminé l’émigration de nombreuses femmes dans les pays pauvres (Tunjevic, 2002). Pour les femmes instruites qui ne sont pas en mesure de surmonter la discrimination en matière d’emploi dans leur propre pays, la migration offre une occasion de trouver un travail où leurs compétences seront probablement mieux appréciées.

 

Les femmes émigrent aussi pour fuir des conjoints violents et des traditions patriarcales qui limitent leurs perspectives d’avenir et leur liberté (Piper, 2005).

 

La discrimination dont sont victimes certains groupes de femmes mères célibataires, femmes non mariées, veuves ou divorcées en pousse également beaucoup à s’établir ailleurs. Pour mieux éclairer ces hypothèses, nous allons examiner les grandes tendances des migrations internationales féminines.

 

D’après les données statistiques publiées par les Nations Unies, les femmes représentent 48% de l’effectif mondial de migrants en 2013, mais cette proportion varie considérablement d’une région à l’autre. C’est en Europe que la plupart des femmes parmi les migrants est la plus élevée (51,9%), puis en Amérique latine et aux Caraïbes (51,6%), en Amérique septentrionale (51,2%), en Océanie (50,2%), en Afrique (45,9%) et enfin en Asie (41,6%) où dans l’Asie de l’Ouest, les pays producteurs de pétrole exercent une forte demande de travailleurs masculins (DP NU, OCDE, 2013).

 

Jusqu’aux années 1980/90, il était difficile d’obtenir des données globales et complètes permettant d’apprécier correctement l’étendue des migrations internationales féminines. Cette absence d’information sur les femmes migrantes était en partie imputable à la rareté des données classifiées par sexe (Zlotnik, 1995). C’est seulement en 1998 que la Division de la Population des Nations-Unies a réalisé les premières estimations (United States, 2006) ; et il est désormais possible de retracer l’évolution du nombre approximatif de migrants et leur répartition par sexe à travers le monde et pour certaines régions et pays.

 

Les statistiques révèlent qu’en 2010, sur 213 943 800 migrants internationaux estimés dans le monde, 60% résident dans les pays les plus développés contre 40% dans les pays les moins développés. Environ 9% de migrants internationaux vivent en Afrique subsaharienne, les pays de la CEEAC abritent une proportion similaire de migrants internationaux.

 

Dans cette région, la République Démocratique du Congo et le Tchad se distinguent, avec le Gabon, le Cameroun et le Congo, par leur important stock de migrants internationaux.

 

Des études montrent que le pourcentage de migrants internationaux féminins a augmenté de seulement deux pour cent entre 1960-2000 (de 46,6% à 48,8%) (Zlotnik, 2005). Cette augmentation modeste ne semble pas proportionnelle à la croissance exponentielle de la littérature sur les femmes et la migration depuis la 1980 et a contribué à la perception erronée d’une féminisation croissante de la migration.

 

Par ailleurs, environ 49% des migrants internationaux dans le monde sont aujourd’hui de sexe féminin. Cette proportion est plus élevée dans les pays développés (51%) que dans les pays en développement (46%).

 

L’Afrique subsaharienne a connu un accroissement de l’effectif de femmes dans les migrations internationales au cours de la période 1960-2000. Ainsi, la forte augmentation de la migration féminine observée au niveau mondial serait donc en grande partie imputable à l’évolution de la migration féminine en Afrique sub-saharienne. il faut aussi mentionner que ces chiffres montrent qu’au niveau mondial, la proportion n’a guère bougé et que déjà en 1960, 40% des migrants en Afrique subsaharienne étaient des femmes, et que ce chiffre peut être trop bas, car on comptaient moins souvent les femmes que les hommes migrants.

 

2. Appréhension des migrations féminines dans les pays de la CEEAC de 1990 à 2010

 

Les flux migratoires féminins ont longtemps été dominés par les femmes parties rejoindre leur conjoint à l’étranger. Mais aujourd’hui, les femmes migrent de plus en plus seules et de façon autonome à la recherche d’un meilleur statut économique et social. On est ainsi passé du modèle de migration féminine passive basée sur le regroupement familial à un modèle de migration individuelle active pour des raisons économiques.

 

2.1. Evolution de la proportion de migrantes par région et par pays de la CEEAC

 

Dans le cas de l’Afrique subsaharienne globalement caractérisée par une circulation migratoire fortement masculine, des données fragmentaires indiquent un accroissement de la migration féminine, contrairement à l’idée très répandue selon laquelle les femmes africaines restaient au foyer tandis que les hommes se déplaçaient à la recherche d’un emploi rémunéré pour subvenir aux besoins de la famille. Ces migrations féminines sont observées aussi bien en Afrique qu’en dehors du continent (Ndione et al, 2010) et font intervenir les rapports de genre dans tout le processus migratoire.

 

De cette observation, la proportion de migrantes Subsahariennes a atteint 47,2% en 2000. Au niveau de la CEEAC, on note également une part croissante des femmes dans les stocks de migrants internationaux pour tous les pays, à l’exception du Congo.

 

Les plus importantes hausses des migrations féminines semblent être observées en Angola et au Burundi, qui constituent avec la République Démocratique du Congo, les pays où la migration internationale des femmes est plus importante que celle des hommes. Ce phénomène pourrait s’expliquer par les guerres dont ces pays ont été victimes et qui ont contribué au départ massif des femmes pour échapper aux conséquences des conflits.

 

A l’opposé, le Gabon et le Cameroun affichent les plus faibles proportions relatives de migrantes internationales ; et ces proportions sont restées relativement stable sur la période considérée. En outre, les relations de genre sont souvent présentent durant tout le processus migratoire en général, et notamment dans les pays de la CEEAC.

 

Nous en voulons pour preuve le cas des migrations internationales camerounaises. Dans ce pays les femmes se déplacent plus pour des motifs familiaux tandis que chez les hommes, les études et les motifs économiques sont prioritaires. Les hommes décident et financent leur migration tandis que chez les femmes, les autres personnes, membres du ménage ou non s’impliquent davantage (INS, ECAM 3, 2007).

 

Comparativement aux hommes, les femmes semblent plus nombreuses à retourner au pays (Wado Kenne, 2011). Quel que soit le sexe, environ 30% de migrants internationaux envoient des biens ou de l’argent à leurs familles restées au Cameroun. L’émigration internationale tend à augmenter avec l’âge, aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

 

Le Burundi s’afficherait comme étant le pays à fort potentiel de migration féminine. Par contre, au Cameroun, au Gabon, en République Centrafricaine et au Tchad, les migrations masculines sont plus observées. L’Angola et la Guinée Equatoriale se distinguent par une forte représentation des femmes parmi les migrants de moins de 20 ans, respectivement 62,3% et 61,4%.

 

Comme indiqué précédemment, le Gabon se présente comme le principal pays d’immigration en Afrique centrale avec 25,3% (respectivement 13,2% et 9,9%) de sa population résidente âgée de 20-64 ans (respectivement 0-19 ans et 65 ans et plus) qui est étrangère. Ce pays possède l’IDH le plus élevé de l’Afrique centrale et compte tenu de sa population relativement faible et de son potentiel économique, de nombreux travailleurs de pays voisins et même lointains s’y installent pour de meilleures conditions d’emploi et de rémunération.

 

Schachter (2008) a montré que les immigrants dénombrés au Gabon proviennent principalement des pays voisins de l’Afrique centrale (Guinée équatoriale, Cameroun et République du Congo), de l’Afrique de l’ouest (Bénin, Mali, Sénégal, Nigéria, Togo et Burkina Faso) et de la France.

 

Dans la plupart des pays de la CEEAC, les données statistiques officielles sur l’immigration irrégulière sont rares. Certaines études mentionnent la perméabilité des frontières, l’insuffisance des capacités des agents d’immigration et l’absence d’une police des frontières formée et équipée comme étant les principaux facteurs justifiant ces lacunes (OIM, 2009a). A cet égard, la fraude et/ou la falsification des documents d’immigration et l’inefficacité de contrôles ont une influence non négligeable (BIT, 2003).

 

Cette même source affirme qu’un grand nombre de Congolais de la RDC résidant dans les pays voisins tels que la Zambie, le Burundi, le Congo ou l’Angola, y vivent de manière irrégulière. Par ailleurs, la migration intra-régionale en Afrique centrale reste faible comparée aux autres régions du continent, en partie à cause des obstacles naturels et des mauvaises liaisons routières.

 

Selon des estimations récentes, 21% des migrants restent en Afrique centrale alors que les autres pays d’Afrique et les destinations hors continent en attirent respectivement 20,8% et 58,2% (Shimeles, 2010). En fait, dans certains pays de la région depuis longtemps terre d’émigration pour les citoyens d’Afrique de l’Ouest, ces derniers sont plus nombreux que les migrants d’Afrique centrale. Enfin, la CEEAC constitue aussi désormais une zone de transit pour les migrants d’Afrique de l’Ouest en route vers des pays du sud du continent (Bâ, 1996).

 

2.2. Origines et destinations des femmes migrantes de la CEEAC

 

En 2010, les tendances de la migration internationale féminine ne semblent pas s’écarter de celles de la migration internationale pour l’ensemble des deux sexes (Nations Unies, 2010). Cette situation se confirme dans les pays de l’Afrique centrale où les origines et les destinations des flux révèlent une forte présence de femmes migrantes.

 

Dans les principaux pays d’émigration angolaise que sont la République démocratique du Congo, la Zambie, le Portugal et la Namibie, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes. Selon l’origine, les migrantes internationales résidant en Angola proviennent de la République démocratique du Congo, du Portugal, du Cap Vert, d de Sao-Tomé et Principe et de l’Afrique du Sud.

 

Pour ce qui est des émigrantes internationales burundaises qui représentent 48,8% de l’ensemble des migrants de ce pays, le principal pays d’accueil est la Tanzanie, avec environ deux tiers des migrantes, suivi du Rwanda et de la République démocratique du Congo. Ces pays constituent dans le même ordre, les principaux pays d’origine de migrants et migrantes résidant au Burundi.

 

 Les immigrantes au Cameroun proviennent du Nigéria, de la France, du Tchad et de la République Démocratique du Congo. Le nombre d’émigrées camerounaises en 2007 était de 170 363.

 

Pour ce qui est de la République Centrafricaine, près de 80% de ses ressortissantes émigrent vers et Tchad et l’Allemagne. Les migrantes vivant en République Centrafricaine viennent surtout du Tchad, de la République démocratique du Congo et dans une moindre mesure, du Cameroun, de la France, du Soudan, du Sénégal et du Nigéria.

 

Par ailleurs, près de la moitié des Congolaises choisissent la France comme pays de destination. Viennent ensuite l’Afrique du Sud et le Gabon avec 10% de migrantes pour chacun de ces deux pays. Selon les lieux de provenance, la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine, l’Angola sont les plus présents sur le territoire congolais.

 

En outre, la République Démocratique du Congo s’affiche comme le pays à plus fort potentiel migratoire en Afrique centrale. Ses populations se déplacent beaucoup plus vers l’Afrique de l’Est, notamment au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda. Les principaux pays d’émigration en Afrique centrale sont le Congo, l’Angola et la République Centrafricaine. Les ressortissants de la RDC émigrent également vers l’Europe (Belgique, France et Allemagne) et vers le Canada. Plus de 60% des immigrantes de la République Démocratique du Congo sont originaires de l’Angola et du Rwanda.

 

 

De plus, la moitié des émigrantes internationales Gabonaises vont vers la France. Le Gabon dont 15% de la population est constituée d’immigrantes accueille les ressortissantes de l’Afrique centrale et de l’Ouest, notamment les Equato-guinéennes, les Maliennes, les Béninoises, les Camerounaises, les Sénégalaises, les Nigérianes et les Togolaises.

 

 A Sao-Tomé et Principe, les immigrantes sont surtout de nationalité soudanaise, angolaise, congolaise (République Démocratique du Congo) et rwandaise.

 

De cette analyse, il se dégage que les migrations des pays de la CEEAC sont diversifiées et surtout internes au continent. En effet, comme l’atteste le tableau 2,75% d’émigrantes partent des pays de la CEEAC pour des pays africains. Les migrantes qui circulent à l’intérieur des pays de la région représentent environ un quart.

 

Les statistiques des Nations Unies (DP NU) suggèrent en général que les femmes migrantes se retrouvent majoritairement dans le secteur des services domestiques, des soins infirmiers, des soins personnels, de l’éducation, de la restauration, etc. Du cas camerounais il est à retenir que les jeunes femmes (20-29 ans) émigrent principalement vers les pays occidentaux pour des raisons d’études, de formation ou encore pour rejoindre un conjoint. Pour les 30-39 ans, par contre, la migration est davantage dirigée vers les autres pays africains et pour des questions d’emploi (Shimeles, 2010).

 

2.3. Migration et genre en Afrique centrale

 

L’analyse du processus migratoire des femmes dans les pays post-conflits est beaucoup plus générale à cause de l’indisponibilité de données fiables au sein des pays de la région. Nous recourrons aux statistiques de la Division de la Population des Nations Unies (DP NU) pour l’année 2010 d’une part, et sur notre analyse sur les migrations féminine en Afrique centrale d’autre part. Nous nous interrogeons ici sur la façon dont les femmes partent en migration et dans quel contexte familial.

 

Ainsi, le rôle de la famille en amont et en aval du processus migratoire est primordial en Afrique centrale. La famille participe à la prise de décision migratoire, notamment quand il s’agit de migrations féminines (Bazonzi, 2010). Ces migrations, souvent motivées par des évènements liés à la vie de couple, sont associées à une décision impliquant le conjoint ou les parents en pays de destination.

 

L’hypothèse serait relative à l’évolution des structures sociales : les ménages et les familles afficheraient une plus grande tolérance vis-à-vis des migrations féminines. Comme paradoxe et en conformité avec la fonction de stratégie de survie, la migration est à la fois rupture et facteur de cohésion. Historiquement la migration des femmes a été contrôlée le plus souvent pour des fins de cohésion sociale.

 

Les pouvoirs de décision traditionnellement détenus par les aînés, seraient donc en mutation tout comme l’ensemble des rapports de dépendance au sein des familles et/ou des ménages. Le niveau de prise de décision devient variable et distribué dans l’espace migratoire, rompant ainsi avec l’emprise traditionnelle des aînés dans les milieux de départ. Les relations tendraient vers une gestion plus concertée des décisions de migrer (Bazonzi, 2010).

 

En effet, les femmes sont de plus en plus impliquées dans la décision de migrer, mais généralement en concertation avec les membres de leur famille d’accueil en lieu de destination, en particulier leurs conjoints ou parents. La famille participe au financement de la migration. Cette implication est plus importante d’un côté pour les jeunes générations, et de l’autre pour les femmes.

 

Les jeunes hommes recourent aux parents ou financent eux-mêmes leur migration. Quant aux femmes, leur départ est aujourd’hui financé soit par elles-mêmes, soit par les conjoints ou à défaut par les parents. Contrairement aux hommes chez qui on observe un schéma relativement identique selon les pays, la situation des femmes présente des différences très substantielles.

 

En Guinée Equatoriale, en Angola, au Burundi et en République du Congo, la migration féminine autofinancée est relativement la plus importante ; les migrantes sont plus jeunes dans les trois premiers pays.

 

 

 

De plus, s’agissant de la migration féminine autofinancée, conformément à la logique de l’organisation traditionnelle des milieux ruraux, elle s’inscrit difficilement dans le cadre d’une stratégie familiale. Elle est plutôt conforme à une stratégie individuelle. Lorsqu’il s’agit de plus jeunes femmes, on peut penser qu’elles migrent pour cause de travail, d’études, ou pour toute autre raison.

 

S’il s’agit de femmes plus âgées, elles seraient probablement divorcées ou veuves et migreraient pour le remariage ou pour le travail. Toutefois, le statut des personnes qui décident et financent la migration a plus d’influence sur le déplacement des femmes.

 

Les réseaux migratoires sont davantage requis dans la migration des femmes, et l’autonomisation des migrations féminines est un processus continu. Mais les migrantes sont souvent victimes d’exploitation, spécialement celles qui travaillent dans le secteur des services domestiques et dans l’industrie du sexe où le trafic des migrants est très courant, d’où la nécessité de leur protection dans le cadre de la gestion de la migration.

 

Cependant, l’insuffisance, voire l’absence de données statistiques fiables sur le phénomène ne permet pas d’évaluer ses impacts réels sur les rapports de genre. Pour le cas du Cameroun (INS, ECAM 3, 2007) et de la RDC (Bazonzi, 2010), l’influence du statut des personnes qui décident et financent la migration diffère selon le sexe. Chez les hommes, ceux dont la migration est décidée et financée par une personne extérieure au ménage s’opposent à tous les autres : ils ont relativement 3,3 fois plus de chances d’émigrer à l’international.

 

Par rapport aux femmes qui décident et financent elles-mêmes leurs départs, celles qui décident de partir en s’appuyant sur l’aide financière des personnes vivant hors du ménage et celles dont la migration est décidée par des personnes vivant hors du ménage ont respectivement 3,6 et 5,7 fois plus de chances d’émigrer à l’international.

 

Ce résultat déjà obtenu par Wado Kenne (2011) pour le cas des migrations féminines camerounaises pourrait relever de l’influence des réseaux migratoires. Il a d’ailleurs été démontré qu’en raison des risques encourus lors de la migration internationale, plus importants pour la femme, les réseaux migratoires sont très déterminants pour leur déplacement. Il reste cependant nécessaire de mieux connaître ces personnes qui s’engagent à faire partir les femmes à l’étranger.

 

Il est possible que ce soient d’anciens membres de ménage déjà installés à l’étranger qui décident et financent le départ des femmes, les accueillent et les soutiennent à leur arrivée en pays de destination, pour faciliter leur adaptation au milieu et leur insertion socioprofessionnelle.

 

Ce résultat suggère aussi que l’autonomisation des migrations féminines serait un processus encore en cours, étant donné la faible influence décisionnelle et financière des femmes quant à leur propre déplacement. Cependant, les femmes migrantes peuvent apporter un plus au développement de l’Afrique.

 

Par ailleurs, le rôle de la famille en aval du processus migratoire se situe au niveau de l’accueil et de l’insertion des migrants dans leur nouveau cadre de vie. Ainsi par exemple au moment de leur installation en ville, la plupart des migrants sont aidés. Ce soutien fourni principalement sous forme d’hébergement, d’aliments ou encore de l’argent, provient surtout des connaissances déjà installée et des parents.

 

L’appui du réseau familial existe aussi chez les hommes, mais il diminue rapidement quand l’âge de l’homme augmente. Le soutien familial à la migration des jeunes hommes peut en revanche être rapproché de celui dont bénéficient les femmes. On est tenté de le considérer dans les deux cas, comme l’expression du contrôle exercé par les aînés sur les « cadets sociaux » que sont les jeunes hommes et les femmes.

 

3. Implications socio-économiques de la migration des femmes en Afrique centrale

 

3.1. Les transferts monétaires et des dons en nature

 

L’entrée des femmes dans la migration internationale semble avoir fortement contribué à l’augmentation de leurs responsabilités sociales. De fait, l’argent transféré par les migrantes contribuerait à l’amélioration des conditions de vie des familles restées au pays. Ces envois de fonds constituent l’un des éléments régulateurs de la crise et un des facteurs de réduction de la pauvreté.

 

Les transferts financiers expriment la réussite sociale et économique des migrants et des migrantes. Une femme migrante qui envoie régulièrement ou irrégulièrement des fonds vers sa famille témoigne du succès de son départ et de son installation dans un pays étranger. Les transferts des femmes migrantes participent ainsi à l’amélioration des conditions de vie familiale et de leur statut économique et social.

 

Il est très difficile d’évaluer le volume des transferts monétaires car cet aspect n’est pas assez documenté en Afrique centrale, quand il s’agit notamment des transferts sud-sud. Malgré l’absence de données fiables, une chose est claire : l’argent que les femmes migrantes envoient dans leur pays peut tirer de la pauvreté des familles, voire des communautés entières.

 

L’absence de données statistiques désagrégées par sexe en Afrique centrale nous empêche de pouvoir distinguer les transferts des femmes de ceux des hommes. En 1980, les pays de la CEEAC ont reçu de la part de leurs migrants internationaux une somme de 36 millions de dollars qui ne représentent que 2,5% de l’ensemble des transferts des migrants internationaux vers l’ensemble de l’Afrique Subsaharienne (Tchapda, 2010). Ce chiffre a depuis lors constamment évolué vers la baisse (Banque Mondiale, 2008).

 

En 2003, les pays de la CEEAC ont reçu officiellement une somme de 24 millions de dollars de la part de leurs migrants internationaux, soit 0,4% des montants reçus au titre des transferts des migrants par l’ensemble des pays de l’Afrique Subsaharienne (Tchapda, 2010).

 

La même année, le Sénégal et le Mali ont reçu respectivement 344 et 138 millions de dollars de la part de leurs migrants internationaux (Tchapda, 2010). Ces chiffres indiquent donc que les pays de la CEEAC ne sont pas des récepteurs importants des transferts monétaires des migrants internationaux, comparés aux pays de la région Afrique de l’Ouest.

 

Au Cameroun, le taux de croissance annuel moyen des flux entrants sur la période 2002-2006 est de 57% contre 11% pour les transferts sortants. Par ailleurs, la contribution des transferts entrants au PIB du Cameroun en 2008 est faible (0,7%) (Banque mondiale, 2009).

 

Ces transferts reçus par le Cameroun proviennent principalement de l’Afrique centrale et de l’Europe. Pour la République démocratique du Congo, selon les données disponibles auprès de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), on a enregistré un flux global de transferts entrants de 130 millions de dollars contre 68 millions de dollars de transferts sortants en 2007.

 

Le flux net positif de 63 millions de dollars pour cette année, représente le double des transferts de 2006 et le triple de ceux de 2005 (OIM, 2010). Comme elles reçoivent ordinairement un salaire moindre pour un travail égal (ou sont employées dans des secteurs qui n’offrent qu’une faible rémunération) à ceux des hommes, on pourrait penser que le montant total des transferts monétaires par les femmes peut être plus faible que celui des hommes.

 

La communauté internationale examine elle aussi de plus près la question des transferts monétaires effectués par les femmes migrantes afin de déterminer le meilleur moyen d’en maximiser les contributions pour le développement socioéconomique.

 

En raison du manque d’opportunités sur le continent et des différences de rémunération entre l’Afrique et les pays industrialisés, des millions de personnes tentent leur chance dans les pays riches pour trouver des emplois. En 2008, la Banque Mondiale estime à 20 milliards de dollars les envois de fonds des migrants africains vers leurs familles restées au pays.

 

Somme toute, les migrations peuvent représenter une source vitale de revenus pour les femmes migrantes et leurs familles; et leur donner une plus grande autonomie, plus d’assurance et un meilleur statut social. A cet effet, les transferts monétaires auraient encore un plus grand rôle dans la réduction de la pauvreté et le développement si les femmes n’affrontaient pas une discrimination en matière de salaire, d’emploi, de crédit et de propriété et si elles n’étaient pas exclues de la prise de décisions dans la société et au sein de leur famille.

 

Les transferts d’argent des migrants tant internes qu’internationaux peuvent représenter un poids économique très important pour les ménages récipiendaires, mais également pour les pays d’origine des diasporas. Les transferts d’argent des migrants constituent certainement l’apport le plus visible des migrants pour le développement de leurs familles et pays d’origine.

 

3.2. Forger des réseaux de solidarité, promouvoir l’égalité de sexe et le développement

 

Au-delà des transferts monétaires, les envois sociaux des femmes migrantes (idées, compétences, attitudes, connaissances, etc.) peuvent aussi stimuler le développement socioéconomique et promouvoir les droits humains et l’égalité des sexes. Les migrantes jouent également un rôle s’agissant de promouvoir les droits des femmes restées au pays. En Belgique, les Congolaises expatriées ont soutenu leurs compatriotes dans la lutte pour accroître la représentation des femmes à l’Assemblée Nationale lors des premières élections libres qui se soient jamais tenues en République démocratique du Congo (Bouwen, 2006).

 

Par ailleurs, à mesure que davantage de femmes émigrent, elles sont de plus en plus nombreuses à créer leurs propres réseaux de migrantes qui transfèrent compétences et ressources et suscitent un changement des notions qui avaient traditionnellement cours sur les rôles sexospécifiques appropriés (ONU, 2005).

 

Par l’entremise du programme «Migration pour le développement en Afrique» de l’OIM, les Guinéennes établies à l’étranger aident les femmes pauvres restées au pays à créer des micro-entreprises (OIM, 2005).

 

Depuis 1993, les Africaines qui vivent en France ont formé un réseau d’associations migrantes qui vise à faciliter l’intégration dans les sociétés hôtes et à améliorer la qualité de vie dans les pays d’origine (OIM, 2005). Aujourd’hui, grâce au développement de leurs migrations, les femmes ont, à l’instar des hommes, forgé des réseaux pour encourager l’émigration d’autres femmes (Sow, 2006). Elles organisent des réseaux pour réussir à quitter le pays, et dans leurs pays de destination, elles exercent souvent leurs activités dans des secteurs bien spécifiques.

 

Dans le cas de l’émigration congolaise, Ngoie Tshibambe (2007) démontre que lorsqu’il s’agit de migrations vers des pays lointains d’Europe ou d’Amérique, les hommes contrôlent les réseaux, tandis que dans le cas des migrations vers les pays voisins, les femmes disposent de leurs propres réseaux. Ainsi, les Etats membres de la CEEAC doivent militer pour une intégration du genre dans l’analyse des processus migratoires et la gestion des flux.

 

4. Pour une meilleure prise en compte du genre dans l’analyse et la gestion des migrations en Afrique centrale

 

La migration féminine au sein des pays de la cirgl entraîne une foule de problèmes, tous aussi bouleversants les uns que les autres. De la perte du tissu social originaire aux difficultés d’accession au marché du travail en passant par la méconnaissance des mœurs, le parcours migratoire est jalonné d’embûches. Les défis à relever sont nombreux.

 

 

 

4.1.  Défis relatifs aux migrations internationales féminines  et à l’intégration du genre dans les politiques de gestion des migrations par les pays post-conflits .

 

L’accroissement du nombre des femmes migrantes, aussi bien en Afrique subsaharienne qu’au niveau des pays de la CEEAC est une nouvelle tendance importante dans le paysage actuel de la migration, avec de plus en plus de femmes qui se déplacent sans leur conjoint ou partenaire.

 

Cette féminisation croissante de la migration est le reflet des changements de la demande de types particuliers de compétences dans les pays africains, notamment les travailleurs domestiques, les infirmiers, les enseignants et d’autres professions typiquement dominées par les femmes.

 

Cependant, ces femmes sont souvent confrontées à un certain nombre de problèmes. Comme l’a affirmé l’Union Africaine lors de la réunion des experts sur la migration et le développement tenue à Alger en 2006, les femmes migrantes sont souvent victimes d’exploitation, spécialement celles qui travaillent dans le secteur des services domestiques et dans l’industrie du sexe où le trafic des migrants serait plûtot courant.

 

Dans le cas particulier des pays de l’Afrique centrale, à cause des conflits qui sont souvent à l’origine de déplacements massifs de populations, les femmes migrantes sont vulnérables et parfois exposées au viol, et sont confrontées à des difficultés, notamment à l’exclusion sociale et à la violation de leurs droits fondamentaux ; leur condition de femmes les rendant encore plus vulnérables que leurs partenaires hommes.

 

En clair, tout au long de la route migratoire, les femmes africaines sont exposées à des violences de plusieurs natures: les violences liées aux conditions du voyage, c’est à dire au fait migratoire lui-même, les violences émanant des groupes de passeurs, les violences exercées par les forces de l’ordre, notamment dans les pays de transit et/ou de destination et les membres des réseaux de trafic de femmes.

 

Arrivées dans les pays d’accueil, les conditions de beaucoup de femmes migrantes semblent ne pas s’améliorer ; les cruelles atteintes aux droits humains peuvent se poursuivre, encouragées souvent par des politiques de lutte contre l’immigration irrégulière qui ne prennent, presque pas, en compte, le statut particulier des femmes en tant que catégorie vulnérable. En conséquence, une attention particulière doit être accordée à la sauvegarde de leurs droits dans le cadre de la gestion de la migration.

 

Or, il est reconnu que la migration internationale des pays membres de la CIRGL peut être un outil efficace de lutte contre la pauvreté à travers  le renforcement de l’autonomisation des femmes, l’amélioration du partenariat entre pays développés et pays en développement, etc. En même temps, les mauvaises conditions de vie peuvent susciter les départs, surtout de jeunes bien formés et de femmes.

 

Le développement n’étant pas plus de la responsabilité des hommes que de celle des femmes, les migrantes autant que les migrants, contribuent au développement tant de leur pays de destination que de leur pays d’origine.

 

Toutefois, les données utilisées pour l’élaboration de ce texte comportent des limites car, elles se focalisent sur les stocks de migrants essentiellement produits par la Division de la Population des Nations Unies (DP NU). Les recensements généraux de population qui constituent pour de nombreux pays la principale source de données, ne fournissent que peu d’information sur les migrants.

 

La contribution des instituts nationaux de statistiques et des organismes chargés de la collecte des données devient urgente afin de pallier au manque de données et faire ressortir les rapports de genre dans la migration et mieux cerner le rôle et la place des femmes dans les processus migratoires.

 

Pour cela, il est nécessaire de favoriser un partenariat robuste entre utilisateurs et institutions de statistiques sur la production de données migratoires ventilées selon le sexe, de promouvoir une collaboration étroite entre institutions spécialisées en genre et migration et institutions de statistique pour la prise en compte des questions de genre dans la conception des outils de collecte.

 

De ce qui précède, le manque de règles spécifiques aux femmes migrantes en matière de protection des personnes vulnérables, du droit d’asile et de la lutte contre les discriminations prouve l’insuffisance de la prise en compte de l’approche genre en matière migratoire dans la région de la CEEAC. Compte tenu de la particulière vulnérabilité de la femme migrante, il convient d’en tenir davantage compte dans la réglementation des questions migratoires.

 

L’accent doit être mis sur le renforcement de la protection de la femme migrante, aussi bien dans son pays d’origine, dans les pays de transit que dans ceux d’accueil. La coopération bilatérale et multilatérale doit être mise à profit. Un véritable partenariat entre les différents Etats concernés tenant compte des spécificités des femmes migrantes serait beaucoup plus salutaire.

 

 

 

4.2. Opportunités de la migration féminine en Afrique centrale

 

La migration féminine présente beaucoup d’opportunités pour le développement des pays de la CEEAC, à condition que les migrantes ne soient pas marginalisées dans les pays d’accueil. Les migrations qu’elles soient internes ou internationales ont des effets positifs à travers notamment, les transferts d’argent, de biens et de compétences. Il a été souligné plus haut le rôle joué par les migrations en tant qu’activité génératrice de revenus favorisant la réduction de la pauvreté.

 

Aussi, les transferts monétaires constituent une opportunité pour le développement à condition toutefois que des conditions soient réunies pour promouvoir ces transferts et leur orientation vers des investissements productifs et que l’esprit d’entreprise soit développé chez les migrants, hommes et femmes.

 

L’un des préalables à l’exploitation de ce potentiel est d’abord la reconnaissance du rôle joué par les migrations, notamment féminines, dans le développement du pays.

 

Par ailleurs, les mouvements de population renforcent l’interdépendance des pays et des communautés et accroissent la diversité. De même qu’elle favorise une meilleure allocation de la main-d’œuvre en permettant aux travailleurs de s’installer là où ils sont productifs.

 

Aussi, l’importance des échanges migratoires entre les pays de la CEEAC constitue une composante essentielle de l’intégration régionale. La prise en compte du rôle de la femme devient une donnée incontournable de ce processus d’intégration régionale des populations de la région.

 

De plus, les transferts monétaires et les aménagements sociaux des femmes migrantes constituent une importante contribution dont profitent les familles et communautés du pays d’origine, et leur travail est la source de bénéfices socioéconomiques tant pour le pays hôte que pour le pays d’origine.

 

Cependant, les politiques migratoires tiennent rarement compte des relations de genre. Cela est dû en grande partie à l’absence d’une analyse concernant le caractère différent des chances, risques, contributions et expériences propres aux femmes et aux hommes et pourrait faire perdre une occasion de tirer parti des avantages de la migration sur les plans économique et social.

 

Une meilleure collecte des données et des recherches plus approfondies permettraient de mieux comprendre, par exemple, comment la migration des femmes et les transferts monétaires contribuent à la réduction de la pauvreté et au développement. Suite à cela, une meilleure compréhension des processus de migrations féminines pourrait contribuer à élaborer une vision stratégique susceptible d’endiguer les effets collatéraux engendrés par les mouvements migratoires clandestins.

 

La migration internationale féminine constitue un sujet politique sensible notamment à cause des effets négatifs qui lui sont attribués. Les migrantes sont des groupes vulnérables durant leur déplacement et pendant leur installation, et elles sont régulièrement exposées au trafic, à l’exploitation et au déni de leurs droits les plus élémentaires. On continue d’observer des discriminations à l’emploi et au salaire dans les pays d’accueil où les femmes sont cantonnées dans leurs compétences traditionnelles domestiques.

 

De nos jours, la migration est de plus en plus structurée autour de la question du genre. La formulation du projet migratoire, l’identification des réseaux qui interfèrent dans la migration et les modes de circulation déterminent qui émigre, les raisons de la migration et les destinations choisies. Cette féminisation met en exergue le rôle clef des femmes dans les migrations, en tant qu’actrices et par leurs implications aux processus de décision et de financement de la migration dans les pays de la CEEAC.

 

Ce double rôle des femmes dans le processus migratoire suggère de réinterroger réellement les rapports femme/homme au sein de la société et les enjeux autour des relations de genre dans le processus migratoire.

 

En Afrique centrale, la carence en données statistiques fiables sur le phénomène migratoire ne permet pas d’évaluer ses impacts réels sur les rapports de genre. En plus l’absence de données statistiques désagrégées par rapport au sexe fait défaut, pour une analyse plus fine des migrations féminines et de leur impact sur le développement.

 

Au vu des résultats de l’analyse des relations de genre dans le processus migratoire en Afrique centrale, un certain nombre de recommandations doit être pris en compte. Ainsi, pour favoriser une meilleure intégration du genre dans les politiques migratoires, la coopération internationale peut jouer un rôle important, notamment dans la facilitation de la migration féminine et l’élaboration des textes y relatifs.

 

Une coopération bilatérale et multilatérale accrue entre pays d’origine, pays de transit et pays d’accueil est essentielle dans une phase où le dossier de l’émigration féminine suscite de plus en plus l’attention des institutions internationales et des différentes instances nationales. A ce titre, on peut retenir comme une nécessité pour les Etats membres de la CEEAC d’intégrer la dimension « Genre » dans leurs politiques nationales de gestion des migrations, en partenariat avec la communauté internationale.

 

Dans le même sillage, les instituts nationaux de statistiques devraient collaborer à la prise en compte de l’intégration du genre dans la conception des outils de collecte de données afin de recueillir les données ventilées par âge et par sexe.

 

De plus, les pays membres de la CEEAC peuvent aider à offrir des solutions de rechange à la migration en mettant en place des politiques et programmes visant explicitement à réduire la pauvreté, éliminer la discrimination entre les sexes et élargir les perspectives offertes aux femmes dans leur pays d’origine.

 

Par ailleurs, en supprimant les dispositions discriminatoires et en faisant en sorte que les femmes aient des possibilités d’émigrer légalement, les pays membres de la CEEAC peuvent aider à amoindrir la migration irrégulière, à réduire le passage en fraude et la traite des êtres humains, et à permettre aux femmes de subvenir aux besoins de leur famille sans courir des risques excessifs.

 

En outre, les gouvernements peuvent faire en sorte que les migrantes reçoivent avant le départ une orientation et une information concernant leurs droits, les risques courus et les personnes à contacter en cas d’urgence ou de violence. Ces informations doivent être diffusées sous une forme de dépliants ou d’affiches dans des lieux accessibles aux hommes comme aux femmes.

 

Des accords bilatéraux entre les pays de départ et d’accueil peuvent aider à mieux protéger les femmes migrantes, les aider à chercher un recours judiciaire et faciliter leur rapatriement. Outre cela, la CEEAC devrait s’assurer que la coopération internationale favorise un meilleur dialogue et une plus grande coopération entre les pays d’origine et de destination au niveau bilatéral, régional et inter-régional sur la prise en compte du lien entre genre et migration.

 

Pour analyser et renforcer les effets positifs de la migration sur le développement des pays de la CEEAC, il est nécessaire de disposer d’études approfondies relatives aux transferts de fonds des hommes et des femmes migrants. Ceci suppose également la mise en place des mesures d’encadrement au niveau des services publics de chaque Etats.

 

La CEEAC devrait également s’assurer que toute migrante jouisse de ses droits. D’où, la nécessité d’élaborer des textes spécifiques pour la protection des droits des femmes migrantes, le renforcement des capacités des femmes migrantes par une formation sur leurs droits, l’intégration de l’approche genre dans les politiques migratoires, l’élimination de toutes formes de discrimination envers les femmes migrantes et l’apport d’un soutien psycho-social et médical aux femmes migrantes victimes de traumatismes et de violences.

 

 
Chapitre II :

IMPLICATION DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET LEURS IMPACTS

 

Section 1. L’ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS

 

1. Aperçu général

 

Créée en 1951, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est la principale organisation intergouvernementale active sur la scène migratoire. Notre croissance est rapide et nous comptons aujourd’hui 127 Etats Membres. Viennent s’y ajouter 17 Etats qui ont le statut d’observateur, tout comme de nombreuses organisations internationales et non gouvernementales.

 

Le budget des programmes de l’OIM pour 2009 dépasse les 1 milliard de dollars E-U, cette somme devant servir à financer plus de 2,360 programmes en cours de réalisation et à rémunérer quelque 7,000 membres du personnel déployés dans plus de 460 bureaux extérieurs couvrant plus d’une centaine de pays.

 

L’OIM s’efforce de promouvoir des migrations humaines et ordonnées dans l’intérêt de tous. Pour cela, elle offre des services et prodigue des conseils aux gouvernements et aux migrants. Son mandat est de contribuer à faire en sorte que les migrations soient gérées de manière humaine et ordonnée, de promouvoir la coopération internationale en matière migratoire, de faciliter la recherche de solutions pratiques aux problèmes de migration, et enfin de fournir une aide humanitaire aux migrants dans le besoin, qu’il s’agisse de réfugiés, de personnes déplacées ou d’autres personnes déracinées.

 

La Constitution de l’OIM reconnaît explicitement le lien entre la migration et le développement économique, social et culturel, de même que le respect du droit à la liberté de mouvement des êtres humains. L’OIM déploie son action dans les quatre grands domaines de gestion des migrations qu’elle a elle-même définis: le couple migration et développement, la migration assistée, la migration régulée et les mesures à mettre en place face à la migration forcée.

 

Parmi les activités transversales, il faut citer la promotion du droit international de la migration, le débat politique et l’effort d’orientation sur la scène migratoire, la protection des droits des migrants, la santé dans le contexte migratoire et la dimension sexospécifique de la migration. L’OIM travaille étroitement avec ses partenaires gouvernementaux, intergouvernementaux et non gouvernementaux.

 

2. Activités politiques

 

La recherche et l’analyse revêtent une importance essentielle pour comprendre le phénomène migratoire, mettre au point de nouvelles politiques efficaces et concevoir des approches pratiques viables. Fournir des informations sur les tendances, les opportunités et les défis relatifs aux migrations est l’une des fonctions clés de l’Organisation.

 

Le travail de recherche et les publications de l’OIM favorisent la compréhension des questions migratoires. Le rapport bisannuel sur la migration dans le monde donne un aperçu d’ensemble des grandes tendances migratoires et des questions que cela pose au plan politique à l’échelle mondiale. 

 

Le rapport de 2005, met l’accent sur les coûts et les avantages de la migration internationale. L’OIM renforce son rôle dans le domaine du droit international de la migration en mettant spécialement l’accent sur la compilation, la diffusion, l’effort de compréhension et l’application des éléments qui le composent. Plus largement, elle assure de vastes programmes de formation et de renforcement de capacités en faveur des gouvernements et autres partenaires, dans le cadre de structures globales de gestion des migrations. La prise en compte des droits et des obligations des migrants, de la dimension sexospécifique et des implications au plan de la santé publique est au centre de chacune de ces activités.

 

Les consultations régulières entre gouvernements confrontés à des défis migratoires communs revêtent désormais une importance particulière. Grâce au soutien que l’OIM est en mesure d’apporter sur le plan logistique mais surtout quant au fond, des processus de consultation régionaux se sont mis en place dans les Amériques, en Europe, en Afrique et dans la région Asie-Pacifique. Ces mécanismes renforcent la coopération internationale, favorisent l’échange d’informations et d’expériences et contribuent à l’instauration d’un climat de confiance et à la mise en place de partenariats à propos de questions qui sont devenues une source de préoccupation commune.

 

Au niveau mondial, le Dialogue international du Conseil de l’OIM sur la migration constitue la principale tribune internationale de débats intergouvernementaux sur la politique migratoire, favorisant la compréhension et la coopération dans ce domaine.

 

Section 2 : Activités du Haut Commissariat aux Réfufiés (HCR) en Afrique post-conflit

 

Section 2. ETAT DES LIEUX DE LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS DE LA CEEAC

 

De prime abord, il convient de préciser que, si certaines régions du monde sont bien documentées et dotées d’une structure institutionnelle capable d’exploiter des politiques orientées vers les transferts de fonds, d’autres, par contre, ne le sont pas du tout. C’est le cas de l’Afrique centrale, dont les pays, regroupés au sein de la Communauté Economique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC), sont caractérisés par une stabilité politique et économique relatives, des conflits armés intermittents, et une gouvernance autoritaire.

 

Ces paramètres ont été à la base de mouvements migratoires survenus dans la région au cours des décennies écoulées. Eu égard à ce qui précède, et ainsi que le souligne Lututala (2007), la maîtrise des stocks et des flux de migrants de cette région reste une tâche ardue.

 

1. Une difficile appréhension des migrations intra-régionales et de la constitution des diasporas Sud-Sud

 

1.1. Migrations intra-régionales

 

Avec une population estimée à plus de 146 millions d’habitants, l’Afrique centrale est l’une des régions pourvoyeuses de migrants à l’échelle tant continentale qu’internationale. Elle comporte trois sous-systèmes migratoires : le sous-système lusophone (Angola, Sao-Tomé et Principe), celui des Grands Lacs africains (RDC, Burundi et Rwanda) et celui du Golfe de Guinée (Tchad, RCA, Cameroun, Congo, Gabon et Guinée Equatoriale).

 

Ce profil migratoire esquissé à partir des données de la Banque mondiale (2011) révèle la situation des différents pays, en termes de population migrante. Dans le sous-système migratoire des Grands Lacs africains (RDC, Rwanda, Uganda, Congo, Burundi, Zambie, Tanzanie, RCA), les flux des migrants circulent dans la région entre pays voisins, avec un noyau dur RDC-Rwanda.

 

Les principaux pays d’émigration en dehors de la région sont l’Afrique du Sud, la Belgique, la France, le Canada, la Grande Bretagne et les Etats-Unis. Dans le sous-système migratoire du Golfe de Guinée, les flux des migrants circulent dans la région entre le Gabon, le Cameroun, le Tchad et le Congo, et, en dehors de la région, vers le Nigeria, le Soudan, le Mali, le Sénégal, le Benin, le Canada, les Etats-Unis, la Belgique, le Royaume Uni et l’Allemagne.

 

Le sous-système migratoire lusophone, quant à lui, relie la plupart des pays lusophones (Portugal, Angola, Cap Vert, Mozambique, Sao-Tomé et Principe, Brésil), aux pays voisins (RDC, Zambie, Congo, Guinée Equatoriale) et aux pays du Nord (France, Royaume Uni, Etats-Unis).

 

Dans les stocks d’immigrants de la région, on trouve une prédominance des ressortissants de la CEDEAO dans la plupart des pays, excepté la RDC dont l’origine d’immigrants est plus diversifiée.

 

Il est vrai qu’à cause des conflits récurrents, la RDC reçoit de moins en moins d’immigrants sur son sol, et de nombreux immigrants s’installent préférentiellement dans les zones minières. C’est le cas du Katanga où la ville de Lubumbashi comptait selon KankuMukengeshayi (2007) 1.149.621 habitants dont 10.557 étrangers, soit 1% de la population lushoise. Parmi ces immigrants, les Africains, surtout Zambiens et Angolais, constituaient 90,5% des étrangers. Le reste était composé de 6,8% d’Européens, de 2,4% d’Asiatiques et de 0,3% d’Américains. En outre, en raison d’un réseau d’institutions universitaires plus dense que ceux de ses voisins, la RDC constitue un point de convergence des flux migratoires en provenance des pays limitrophes, notamment de l’Angola (Ndione et Pabanel, 2007), mais aussi du Congo et même du Cameroun.

 

D’après les données issues du recensement de 1987, le Cameroun compte 257.689 immigrants (Ndione et Pabanel, 2007) qui proviennent essentiellement des pays limitrophes : Nigeria (58%), Tchad (22%), Guinée Equatoriale (4%), République Centrafricaine (2%) (DRC, 2007). Les données partielles compilées par la Direction des affaires africaines du Ministère camerounais des relations extérieures révèlent qu’environ 300.000 Camerounais vivaient dans les pays du golfe de Guinée entre 2000 et 2004, principalement en raison d’une aire ethnique et géographique commune (Chouala, 2004).

 

Après la guerre civile meurtrière qui a sévi en Angola entre 1975 et 2002, ce pays est devenu un pays de forte immigration : plus de 75.000 réfugiés Angolais vivant en RDC ont été rapatriés entre 2001 et 2008 sous l’égide du HCR et plus de 200.000 Portugais ont, au cours de la décennie écoulée, émigré vers l’Angola (Le Figaro International, août 2012).

 

Avec la restauration de la paix, l’Angola est devenu le 2ème plus important producteur de pétrole du continent et un grand exportateur de diamants, et partant, un pays d’immigration. Dans la zone située autour du lac Tchad (aux frontières du Niger, du Nigeria, du Cameroun et du Tchad), on observe une dynamique migratoire caractérisée par un afflux de populations d’origines diverses attirées par des ressources naturelles certes abondantes mais pas illimitées pour autant (eau, poisson, pâturages, terres agricoles) ; ce qui constitue un facteur de tension. Et depuis les années 1980, on note l’installation massive de populations déplacées du centre tchadien sur les rives sud du lac (Magrin et al., 2009). Enfin, le conflit au Soudan a eu un impact direct sur la stabilité au Tchad et en République centrafricaine, en termes de flux et de stocks d’immigrants (Tolentino et Peixoto, 2011).

 

1.2. Constitution des diasporas sud-sud

 

La constitution des communautés de diasporas au niveau de la région s’est opérée sur le filon des primo-migrants et suivant les créneaux développés par ces derniers dans le pays d’accueil. C’est ainsi que, en prenant l’exemple du Gabon, qui est essentiellement un pays d’immigration dans la région, on trouve des communautés de diasporas spécialisées dans les activités ci-après : Maliens (petit commerce de proximité), Béninois (restauration rapide), Ghanéens (chauffeurs de taxi), Nigérians et Camerounais (commerce général au grand marché), Sénégalais (habits de luxe, chaussures, or, diamant, restauration, enseignement), Congolais (enseignement, religion), Equato-guinéens (artisans, petit commerce), Libanais (commerce de produits de luxe, électroménagers).

 

Dans le Golfe de Guinée, tout comme dans le reste de la région, le phénomène migratoire a une historicité. Il a une dimension coloniale qui remonte aux déplacements des populations par les différentes administrations coloniales (espagnole, française, belge …) pour la réalisation des travaux de viabilisation des colonies. Cette circulation coloniale des individus a eu pour conséquence la formation de communautés de diasporas dans les pays d’accueil.

 

Toutefois, il convient de souligner que ce type de circulation s’inscrivait elle-même dans des aires migratoires précoloniales. C’est ainsi que les Espagnols, suivant en cela les mouvements précoloniaux de populations tout le long du Golfe de Guinée, avaient fait appel aux Sierra- Léonais, aux Libériens, aux Camerounais et aux Nigérians pour travailler dans les exploitations agricoles en Guinée Equatoriale (Chouala, 2006).

 

En outre, la donne diasporique actuelle dans le Golfe de Guinée s’inscrit plus particulièrement dans les politiques migratoires de certains Etats, comme le Gabon et la Guinée Equatoriale. En effet, ces deux pays avaient mis en œuvre, au lendemain des indépendances, des politiques d’importation de la main-d’œuvre étrangère. Le Gabon, par exemple, pour pallier à sa pénurie de main-d’œuvre, avait fait appel à la force de travail des Sénégalais, des Maliens, des Camerounais, etc. Le quartier « Lalala-Dakar » à l’Ouest de Libreville était initialement le lieu d’installation des 5.000 travailleurs sénégalais transférés au Gabon au courant des années 1970 (Chouala, 2006).

 

Le Cameroun pour sa part accueillait de nombreux Nigérians dans les vastes exploitations agricoles de la Cameroon Development Corporation (CDC). L’importance actuelle des migrants dans certains Etats du Golfe de Guinée comme le Gabon et la Guinée Equatoriale dérive d’une part de l’accroissement démographique et de la montée du chômage dans certains Etats comme le Cameroun et le Nigeria, et d›autre part, de la découverte et de l›exploitation des richesses minières dans ces Etats faiblement peuplés. La Guinée Equatoriale est plus récemment devenue une terre privilégiée de destination des migrants, particulièrement en provenance du Nigeria et du Cameroun.

 

Dans la région des Grands Lacs africains, des migrations ont été planifiées par les autorités coloniales belges en vue de répondre au besoin crucial de main-d’œuvre dans les plantations, les mines et les industries du Congo. Ces migrations organisées concernent essentiellement des populations rwandaises et burundaises à l’est du Congo, dans le cadre d’un programme spécial de recrutement de main-d’œuvre indigène (1950-1959) et de la Mission d’Immigration des Banyarwanda (MIB) entre 1937 et 1956 (Bazonzi, 2008).

 

Ces recrutements de main-d’œuvre ont débouché à la constitution des communautés diasporiques rwandaises et burundaises en RDC, lesquelles sont impliquées dans les activités commerciales et agricoles (élevage) à l’est de ce pays. Par ailleurs, les diasporas Ouest-africaines installées en RDC sont très anciennes, vestige de l’appel de main-d’œuvre opéré durant l’époque coloniale lors des travaux du chemin de fer Matadi-Léopoldville (Kinshasa).

 

A ce jour, les principales communautés diasporiques installées dans ce pays sont, avec leurs domaines de spécialisation : Maliens (commerce de vêtements et chaussures, alimentation), Sénégalais (habits de luxe, chaussures, or, diamant), Guinéens (petite restauration), Nigérians (pièces de rechange pour auto), Angolais (vivres, couture, mécanique), Libanais (appareils électroménagers, restauration rapide, panification), Indiens et Pakistanais (produits pharmaceutiques et cosmétiques), Chinois (commerce général), Grecs (restauration).

 

Au Congo, la genèse des diasporas sud-sud est quasi semblable à celle de son voisin, le Congo-Kinshasa (RDC), excepté la dynamique décrite pour sa partie orientale. En effet, les communautés diasporiques qui se sont formées en RDC se rencontrent également au Congo-Brazzaville, les deux pays entretenant des échanges culturels et commerciaux très étroits depuis longtemps. Il s’agit notamment des Libanais, des Maliens, des Sénégalais, des Béninois, des Togolais, des Ghanéens et des Guinéens qui sont très actifs dans les secteurs ci-après : pêche, quincailleries, transports urbains, habillement.

 

1.3. Mobilité extrarégionale et constitution de diasporas extra-communautaires

 

Bien que la principale destination des migrants d’Afrique centrale soit le continent africain, on trouve toutefois 39% de ces migrants dans les pays développés (Banque mondiale, 2011). C’est pourquoi il est nécessaire d’analyser la mobilité extrarégionale et la constitution de diasporas extra-communautaires en deux temps, d’abord celles installées dans les pays du sud (diasporas sud-sud intra ACP), ensuite celles résidant dans les pays développés, même si les données récentes concernant les stocks et les flux des migrants constituant les diasporas sud-sud intra ACP ne sont pas disponibles pour de nombreux pays de la région.

 

1.3.1. LES DIASPORAS SUD-SUD INTRA ACP

 

En dehors de la CEEAC, les diasporas sud-sud intra ACP originaires d’Afrique centrale constituent des communautés actives dans les autres régions du continent. On rencontre les plus grandes communautés en Afrique de l’ouest (Nigéria, Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal, Mali), en Afrique australe (Afrique du Sud, Zambie, Namibie), en Afrique du nord (Maroc) et en Afrique de l’est (Kenya, Tanzanie, Ouganda). Les données disponibles concernent la RDC et le Cameroun : les émigrés congolais sont estimés à 821.057, alors que les émigrés camerounais sont au nombre de 170.363 (DRC, 2007).

 

En dehors de la région, les principales destinations des émigrés congolais se trouvent sur le continent africain : l’Afrique du Sud (18,2%), la Zambie (9,2%), le Zimbabwe (8,7%) et l’Ouganda (8,5%), tandis que la principale destination extrarégionale des émigrés camerounais est le Nigeria (9,9%). Selon la Banque mondiale (2011), les principales destinations des émigrés des autres pays d’Afrique centrale se présentent de la manière suivante : Angola (Namibie, Zambie, Brésil), Burundi (Tanzanie, Ouganda, Rwanda), Congo (Tanzanie, Zambie, Mali), Gabon (Mali), Guinée Equatoriale (Nigeria), RCA (Mali), Sao Tomé-et-Principe (Cap vert), Tchad (Soudan, Nigeria, Arabie Saoudite).

 

1.3.2. LES DIASPORAS DES PAYS DEVELOPPES

 

Les données sur les diasporas installées dans les pays développés existent, mais elles sont parfois discordantes selon les sources. Bien que les périodes d’estimation des migrants ne soient pas les mêmes, nous avons pris le cas de la RDC et celui du Cameroun pour illustrer cela. Selon le Service Public Fédéral belge de l’Intérieur, environ 22.000 Congolais et 2.000 Burundais vivent actuellement en Belgique. Si l’on tient compte des résidents belges d’origine congolaise et burundaise ainsi que des migrants sans papiers, le nombre total des personnes appartenant à ces diasporas dépasserait nettement les 30.000 personnes (De Bruyn et Wits, 2006).

 

En raison de l’instabilité politique et économique qui régnait dans la région des Grands Lacs, les flux migratoires commencèrent à s’intensifier et à se diversifier à partir de la fin des années 1980 et même après les années 1990 (Sumata et al, 2004 ; Kagné et Martiniello, 2001). Les statistiques officielles indiquent que le nombre de Congolais résidant officiellement en Belgique est passé de 2.585 en 1961 à 5.244 en 1970, 8.575 en 1981 et 11.828 en 1991. D’autres pays, parmi lesquels la France, le Royaume-Uni, la Suisse, les Etats-Unis d’Amérique, le Canada et l’Afrique du Sud, sont devenus par la suite les principaux pays d’accueil (Sumata et al, 2004).

 

L’étendue précise de la diaspora congolaise en Belgique semble difficile à estimer. D’après les chiffres publiés par l’Office belge des étrangers (2006), 40.301 résidents en Belgique – dont 31.253 nés à l’étranger, c’est-à-dire issus de l’immigration – possèdent la nationalité congolaise. Ce chiffre représente 2,5% de la population étrangère. Ces migrants congolais constituent le 2ème groupe après les Marocains (249.623), devant les Algériens (19.949), les Tunisiens (11.965), les Rwandais (8.635), les Ghanéens (4.935) et les Camerounais (4.914) (Schoonvaere, 2010).

 

Les statistiques sur le nombre total des Congolais de l’extérieur diffèrent donc selon les sources consultées. D’après les estimations du Centre sur la migration, la globalisation et la pauvreté (DRC) basées sur les recensements de la période 1995-2005, le stock d’émigrants congolais était de 821.057, parmi lesquels 6,1% en Belgique, 3,3% en France et 2,4% en Allemagne (DRC, 2007).

 

Tandis que pour le Cameroun, cette même source indique que sur un total de 170.363 émigrés camerounais, 22,6% sont installés en France, 7,5% aux Etats-Unis, 5,4% en Allemagne et 2,0% au Royaume-Uni. D’après les chiffres du Rapport sur le Développement humain du PNUD (2009) basés sur les estimations du Centre sur la migration, la globalisation et la pauvreté, pour 2000-2002, en pourcentage du stock total d’émigrants, 79,7% des émigrants de la RDC résidaient en Afrique et 15,3% en Europe ; 2,6% d’entre eux se trouvaient en Asie, 2,2% en Amérique du Nord et 0,2% en Amérique latine ou dans les Caraïbes (OIM, 2010a).

 

Par contre, selon Bahoken (2005), les flux de migrants camerounais sont beaucoup plus importants en direction de l’Europe de l’ouest, l’Amérique du Nord et le Canada, et le Recensement Général de la Population (RGP) réalisé en mars 1999, a dénombré 32.541 Camerounais, soit 1% des 8% d’étrangers installés en France et qui représentent 3.263.186 individus. De même, le recensement des Noirs Africains effectué en Grande Bretagne en 2001 a dénombré 6.869 Congolais (RDC), 2.556 Congolais (Congo), 2.021 Camerounais, 1.184 Burundais, 121 Centrafricains, 98 Tchadiens et 69 Gabonais (Werbner, 2010). La discordance des données sur les diasporas extra-communautaires est illustrée par les cas de la RDC et du Cameroun.

 

Durant la longue période des conflits armés, de nombreux Angolais ont quitté leur pays pour s’installer dans les pays voisins (RDC, Zambie, Congo) ou lointains (Portugal, Brésil), en raison des affinités linguistiques. Toutefois, il existe une petite communauté angolaise en France (9.125 en 2010). L’Angola et Sao-Tomé et Principe appartiennent à la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP), mais en matière de migration internationale, on note de fortes disparités entre ces deux pays lusophones de l’Afrique centrale quant aux stocks de migrants, aux pays de destination des émigrants, ainsi qu’aux flux financiers générés.

 

L’Angola se caractérise, abstraction faite de la période qui a suivi l’indépendance, par une émigration relativement limitée; ce pays s’est mué aujourd’hui en pays d’immigration et attire de plus en plus des migrants d’Afrique et d’ailleurs (Tolentino et Peixoto 2011). Par contre, Sao-Tomé et Principe se distingue par des flux migratoires importants en valeur relative, mais minimes en valeur absolue, en raison de sa faible démographie.

 

Comme souvent, dans les pays en situation de conflit ou de post-conflit, les flux migratoires se révèlent instables. Ce constat vaut particulièrement pour l’Angola, entre l’indépendance et la fin de la guerre civile, dont une grande partie des réfugiés séjourne encore en RDC. Le système migratoire des pays lusophones implique des incessants va-et-vient entre le Portugal et le Brésil, et les autres pays ayant un lien colonial avec le Portugal.

 

Les flux à destination du Portugal sont principalement enregistrés après la décolonisation (années 1970), d’abord pour des raisons politiques (l’apogée fut atteint avec les retornados, venant essentiellement d’Angola et du Mozambique), puis économiques. Aujourd’hui, l’Angola, le Cap Vert et Sao-Tomé et Principe entretiennent entre eux des relations migratoires étroites, qui ont débuté sous la période coloniale ; les flux de l’Angola vers le Portugal ont régressé, alors que les flux du Portugal vers l’Angola ont sensiblement cru ces dix dernières années (Baganha, 2009).

 

En raison des liens historiques, économiques, culturels et politiques, l’émigration des ressortissants des pays de la CEEAC se fait souvent préférentiellement suivant la liste ci-après, mais certainement pas uniquement, dans l’ancienne puissance coloniale : Belgique (Burundi et RDC), Espagne (Guinée Equatoriale), France (Cameroun, Gabon, Congo, Tchad et RCA), Portugal (Angola, Sao-Tomé et Principe). Des diasporas d’Afrique centrale se sont également constituées dans d’autres pays développés, dont principalement : Angola (France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Etats-Unis) ; Burundi (Canada, Pays- Bas, Royaume-Uni, France, Australie, Etats-Unis) ; Cameroun (Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Etats-Unis) ; Congo (Etats-Unis, Pays-Bas, Italie, Royaume-Uni, Belgique) ; Gabon (Etats-Unis, Canada, Allemagne, Belgique, Espagne) ; Guinée Equatoriale (Etats-Unis, Allemagne, France, Portugal) ; RCA (Pays- Bas, Royaume-Uni, Etats-Unis, Canada, Italie, Belgique) ; RDC (France, Allemagne, Canada, Royaume-Uni, Pays-Bas) ; Sao-Tomé et Principe (Espagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Etats-Unis, Allemagne, Italie) ; Tchad (Canada, Etats-Unis, Allemagne).

 

Avec une population estimée à 146 millions d’habitants, l’Afrique centrale regorge près de 3 millions d’émigrés, soit 2% de sa population, et près de 1.676.000 d’immigrants, soit 1,14% de cette population. C’est donc une région d’émigration essentiellement; ce qui représente un potentiel de développement considérable. Les migrants installés dans la région, notamment les communautés Ouest-africaines ainsi que celles de la région, contribuent, par leur avoir et leur savoir- faire, à la réduction de la pauvreté dans les différents pays.

 

De même, les diasporas extracommunautaires, tant celles résidant dans les pays du sud intra ACP que celles installées dans les pays développés, ont leur part dans cette tâche. Bien que les données précises sur les stocks des migrants intra-régionaux ne soient pas disponibles pour chacun des pays de la région, les flux globaux des migrants, par contre, sont identifiés : ils sont plus extra-africains qu’intra-régionaux ou intra-africains. En effet, selon la Banque mondiale (2011), 39% d’émigrés d’Afrique centrale sont installés hors du continent contre 23% dans la région, 26% en Afrique de l’est, 9% en Afrique australe et 3% en Afrique de l’Ouest.

 

 Or, les effets positifs de l’ensemble de diasporas constituées dans la région ou en dehors de celle-ci sont notamment évalués en fonction des transferts opérés en faveur de leurs pays d’origine et de la région. D’où la nécessité de recherches approfondies sur la question des diasporas d’Afrique centrale pour une meilleure connaissance des différents types de diasporas (intra-régionales, sud-sud et extra-communautaires), et de leur potentiel réel de contribution au développement des pays de la région.

 

2. Les envois de fonds des migrants d’Afrique centrale

 

Il est difficile d’obtenir des données fiables sur le montant exact des fonds transférés vers les pays de la région. Les statistiques disponibles concernent les transferts empruntant les canaux officiels, alors que les transferts de fonds passant par les canaux informels pourraient atteindre des sommes bien plus élevées (Banque mondiale, 2006).

 

Toutefois, les chiffres disponibles permettent d’avoir une idée sur les flux financiers en jeu, quoiqu’ils concernent le plus souvent les flux financiers nord-sud, et qu’il ait été constaté au niveau mondial que les transferts financiers internationaux des migrants constitueraient l’une des sources de financement externes des pays en développement (Muteta, 2005).

 

Ainsi, l’analyse de ces fonds permet non seulement d’évaluer leur utilisation dans les pays et les sociétés d’origine, mais également d’examiner les problèmes liés aux différents circuits utilisés pour effectuer les transferts. Il faut aussi noter que les transferts s’opèrent en trois directions (nord-sud, sud-sud et sud-nord), car certains membres de la diaspora reçoivent des fonds en provenance de leurs pays d’origine. Enfin, les transferts créent des inégalités dans les zones de destination des fonds envoyés.

 

2.1. Analyse des flux de transferts financiers sud-sud intra-régionaux

 

Selon la Banque mondiale (2011), les enquêtes auprès des foyers en Afrique montrent que ceux recevant des fonds disposent d’un meilleur accès à l’enseignement secondaire et universitaire, aux services de santé, aux technologies de l’information et de la communication et aux services bancaires par rapport à ceux qui ne reçoivent pas de fonds.

 

Ces mêmes enquêtes révèlent également que le montant moyen des envois de fonds provenant de l’extérieur de l’Afrique et reçus par les ménages est supérieur à celui des transferts financiers intra-régionaux et domestiques. Toutefois, les données désagrégées sur les transferts sud-sud des diasporas d’Afrique centrale ne sont pas disponibles. Or l’analyse de ces données devrait permettre de mettre en évidence leur apport réel au développement de la région.

 

 

 

2.2. Analyse des flux financiers issus des transferts Nord-Sud

 

La difficulté soulevée ci-haut est réelle car les chiffres de la Banque mondiale proviennent des estimations des statistiques de la balance de paiements du Fonds Monétaire International, et concernent donc l’ensemble des transferts essentiellement opérés du nord vers le sud ; en outre, certains pays de la CEEAC ne déclarent pas leurs mouvements de fonds.

 

Ce tableau montre clairement la difficulté liée à l’absence des données sur les transferts des fonds effectués par les migrants d’Afrique centrale. Sur les dix pays membres de la CEEAC, seuls trois disposent des données à jour en cette matière : il s’agit du Burundi, du Cameroun et de Sao-Tomé et Principe, qui ont respectivement reçu 34,121 et 2 millions de dollars US au titre de « migradevises ». Ce qui, pour besoin d’analyse, ne nous empêche pas d’explorer d’autres sources, quoique peu récentes.

 

Les chiffres des transferts de fonds officiels présentés par les Banques Nationales de la RDC et du Burundi révèlent que ces deux pays ont reçu respectivement 97 et 4 millions de dollars US en 2004 (De Bruyn et Wits, 2006). Cependant, au Cameroun, les transferts des migrants ont atteint 103 millions dollars US en 2005, soit 2,5% de l’Aide publique au développement. Ce montant est en constante augmentation, passant de 11 millions en 2000 à 103 millions en 2005 et à 167 millions en 2008, soit 0,8% du PIB en 2008 (Banque mondiale, 2009).

 

L’Angola est devenu l’une des destinations de choix de la main-d’œuvre de la région, un statut qui était autrefois réservé au Cameroun en Afrique centrale et à l’Afrique du Sud en Afrique australe. Cette situation se reflète dans l’évolution des flux financiers générés par ce pays. Les flux entrants proviennent des émigrés installés en Europe, au Brésil et dans d’autres pays, tandis que les flux sortants résulteraient des bénéfices élevés du secteur de l’extraction, engrangés par des travailleurs européens qualifiés, récemment immigrés en Angola (Melde et Schicklinski, 2011).

 

D’après l’Observatoire portugais de l’émigration (2009), le montant envoyé en Angola par des Angolais installés au Portugal s’élève à 12,3 millions d’euros, alors que celui envoyé au Portugal par des Portugais installés en Angola est de l’ordre de 103,5 millions d’euros, soit environ 8 fois plus (il s’agit d’un flux financier Sud-Nord, non concerné par notre analyse, quoique fort révélateur).

 

Selon le Fonds international de développement agricole, l’Afrique centrale a reçu de sa diaspora près de 3 milliards de dollars US, soit 7% du montant total des fonds envoyés vers l’Afrique, alors que pour la même période, l’Afrique du nord, l’Afrique de l’ouest et l’Afrique australe ont respectivement reçu 46, 27 et 5% de cette somme (FIDA, 2007). Ces chiffres montrent dès lors la faiblesse relative des montants transférés vers la région (Nkoa, 2005). Il faut tout de même signaler que l’une des difficultés majeures concernant l’analyse des flux financiers générés par les migrants d’Afrique centrale est que l’origine géographique des fonds n’est pas connue avec précision. En outre, les données des transferts Sud-Sud notamment ne sont pas disponibles.

 

2.3. Utilisation des transferts dans les pays d’origine

 

D’une manière générale, les transferts de fonds opérés par la diaspora en faveur de l’Afrique centrale peuvent être individuels ou collectifs, officiels ou informels, monétaires ou en nature, ou purement financiers. Les transferts monétaires comprennent le plus souvent des sommes d’argent que les migrants versent auprès des tiers en guise d’investissement personnel, d’aide familiale ou amicale, ou de dons pour des organisations caritatives. Les transferts en nature concernent souvent des marchandises et des biens d’équipement convertibles en argent liquide.

 

Les usages les plus courants des fonds rapatriés sont la consommation personnelle, l’achat d’un terrain ou la construction d’un logement, l’épargne sur des comptes bancaires dans le pays d’origine, l’achat d’obligations ou le développement d’affaires. L’aide familiale sert à résorber le déficit budgétaire créé par les besoins liés à des événements familiaux (mariage, baptême, funérailles), à l’éducation, aux soins de santé et à la nourriture et dans une moindre mesure aux vêtements.

 

Ces transferts sont d’autant plus réguliers qu’ils sont motivés par les sentiments de solidarité, d’altruisme, voire d’orgueil ou par accomplissement d’un accord tacite entre le migrant et sa famille ou tout simplement par intérêt personnel du migrant (Mangalu, 2011).

 

2.4. Diagnostic des circuits de transferts financiers en Afrique centrale

 

Les modes de transfert effectués par voie bancaire et les modes informels de rapatriement faisant appel à des transporteurs individuels et à des agences informelles de transferts monétaires sont indifféremment utilisés. La voie bancaire comprend les dépôts bancaires des émigrés, les transferts bancaires (approvisionnement net des comptes des émigrés), les transferts postaux (mandats et virements) dans les pays où la Poste fonctionne correctement, et les transferts par réseaux rapides (Western Union, Money Gram, Ria Envia, Money Express, WorldWide Services).

 

Dans certains pays, des sociétés de transfert ayant une couverture nationale travaillent en partenariat avec des opérateurs internationaux (cas de Soficom Transfert en RDC qui opèrent des transferts internationaux via Travelex et Western Union). On trouve aussi de plus en plus des opérateurs régionaux : c’est le cas d’Express Union qui opère en RDC et qui couvre l’Afrique centrale (Congo, Cameroun, Tchad) et une partie de l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Côte d’Ivoire). Les transferts par réseaux rapides (Western Union, Money Gram) jouent un rôle primordial dans le circuit de transferts financiers, quelle que soit la direction du flux (Sud-Sud, Nord-Sud ou Sud-Nord).

 

Mais pour beaucoup de migrants, les systèmes de transfert informel sont habituellement rapides, discrets et ne nécessitent qu’un minimum de formalités écrites. Ils sont généralement moins chers que les systèmes formels soumis à la réglementation et à la taxation, et souvent disponibles dans des zones non couvertes par des prestataires formels (banques, sociétés de transfert d’argent ou institutions de microfinance). Mais ils ne sont pas sécurisants pour autant.

 

Toutefois, le risque encouru par le migrant peut être inhibé par le capital de confiance dont jouit le porteur – qui est souvent un proche – ainsi que le gain que le migrant tire de l’opération de transfert par porteur (pas de coût, pas de contrainte légale). Quoique de moins en moins utilisée à cause de l’augmentation des opérateurs de transfert de fonds, la modalité de transfert par porteur reste valable tant pour les transferts intra-communautaires que pour les transferts Nord-Sud. Elle est surtout utilisée pour le transfert de petites sommes d’argent et de fonds non urgents, et pour le transfert des biens.

 

Enfin, l’un des défis majeurs relatifs aux transferts financiers en Afrique centrale réside dans le fait que les migrants ne font pas beaucoup confiance au système bancaire. De nombreux facteurs sont à la base de cette situation : frais de transaction relativement élevés, statut juridique des immigrés sans-papiers, etc. De ce fait, les flux financiers transférés par ce canal sont loin de refléter la réalité.

 

En effet, alors que les banques américaines prélèvent une commission d’environ 5% quel que soit le montant transféré (AFD, 2004), les banques européennes prélèvent environ 10% pour les transferts d’au moins 100 € et environ 5% pour les transferts d’au moins 300 € (De Bruyn et Wets, 2006). Aux Etats-Unis, les coûts des transferts d’argent des migrants d’Amérique latine vers leurs pays d’origine ont sensiblement diminué, passant de 20 à 15%, puis maintenant à près de 5%, essentiellement pour les raisons suivantes : la forte concurrence entre les sociétés de transfert (Western Union ayant perdu son monopole depuis les années 1980), les actions de lobbying des associations de ressortissants, et le succès auprès des migrants du service de cartes de paiement « prépayées » mis en place par les banques (AFD, 2004).

 

Dans la région, les coûts des transferts entre pays sont encore sujets à plusieurs entraves fiscales, et donc élevés : au-delà de 10% pour un transfert de moins de 100 dollars US. En définitive, il semble urgent de lever tous les obstacles relatifs au transfert de fonds, en vue de favoriser l’impact des transferts sur le développement de la région.

 

2.5. Les obstacles à la diffusion des données sur le transfert des fonds

 

Les flux de transferts d’argent sont induits par l’accroissement de l’émigration, et ces flux ont augmenté en Afrique durant la dernière décennie, excepté l’Afrique centrale et l’Océan Indien (PMC, 2010). La tendance et l’importance de ces flux varient selon le niveau de développement des pays, la taille et le niveau de vie de leurs diasporas. L’analyse de ces transferts à l’échelle mondiale révèle que l’Afrique a reçu près de 39 milliards de dollars américains de ses diasporas, soit environ 13% des flux mondiaux (FIDA, 2007).

 

Cette part est certes faible, mais il faut noter que plusieurs obstacles restent encore à lever quant à la diffusion des données fiables sur le transfert de fonds vers le continent. Ces obstacles se situent à deux niveaux. En amont, le migrant est parfois confronté à l’insécurité juridique, l’empêchant ainsi d’utiliser les canaux officiels de transfert d’argent. En outre, les banques et les sociétés de transfert d’argent pratiquent des coûts quelque peu prohibitifs. En Afrique centrale en particulier, la faible concurrence dans ce secteur ne permet pas encore à ce jour de faire baisser sensiblement les coûts des transferts.

 

En aval, le statut et la faible bancarisation des bénéficiaires des transferts de fonds constituent un obstacle majeur à la diffusion des données sur les transferts de fonds. De même, la faible implication des acteurs du secteur de transfert d’argent (les banques, les postes, les sociétés de transfert d’argent, les institutions de microfinance, les messageries financières, les sociétés de téléphonie cellulaire), l’absence de développement du secteur financier dans les pays de la région ainsi que le manque d’assainissement de ce secteur dans certains pays sont également des obstacles de taille à la diffusion des données sur les transferts de fonds.

 

De ce point de vue, le manque d’accès aux statistiques bancaires ou à celles des opérateurs de transfert d’argent est un handicap majeur en Afrique centrale. De ce fait, le transfert de fonds dans la région est encore confronté aux défis de la traçabilité, de la technologie et de l’accessibilité au prix des services financiers.

 

 

3. Transferts de compétences et de savoir-faire des diasporas : un important potentiel pour le développement des pays de la région

 

L’Afrique centrale dispose de diasporas dans la région, à travers le continent et le reste du monde. Et l’observation montre que les contributions des diasporas d’Afrique centrale reflètent autant la diversité que la richesse de leur composition.

 

Les intellectuels, les artistes, les musiciens, les sportifs, les femmes commerçantes et les jeunes membres de ces diasporas, pour ne citer que ces catégories, participent au développement culturel, littéraire, politique et économique de leurs pays d’origine. Toutefois, ces diasporas disposent d’autres compétences et savoir-faire qui pourraient utilement être davantage mis à profit pour le développement de leurs pays d’origine.

 

3.1. Diasporas intra-régionales et potentiel de contribution au développement de la région

 

En considérant l’ensemble des stocks d’immigrants en Afrique centrale, on s’observe que les ressortissants de la CEDEAO sont la première communauté des populations migrantes, suivie par les ressortissants asiatiques et européens, puis par ceux de l’Afrique du nord et de l’Amérique (DRC, 2007).

 

Cependant, la circulation dans la région reste peu intense, les flux étant orientés vers les pays jouissant actuellement d’une stabilité économique et politique et ceux offrant de réelles opportunités économiques (mines, pétrole, services, etc.). C’est ainsi que des pays comme le Gabon (pétrole et bois), le Tchad (pétrole), la Guinée Equatoriale (pétrole) et l’Angola (pétrole et diamant) voient leur profil migratoire transformé en pays d’immigration.

 

Ce qui favorise la constitution et la consolidation des diasporas au niveau des différents pays de la région. Selon des données de la Banque mondiale (2011), en termes de circulation intra-régionale, les ressortissants des pays d’Afrique centrale émigrent préférentiellement vers les pays ci-après : Angola (Congo), Burundi (RDC, Congo), Cameroun (Tchad, Gabon, RCA), Congo (Gabon), Gabon (Congo, Sao-Tomé et Principe, Tchad), Guinée Equatoriale (Gabon, Congo, Sao Tomé-et-Principe, RCA), RCA (Tchad, Congo), RDC (Congo, Angola, RCA, Burundi), Sao-Tomé et Principe (Angola), Tchad (Cameroun, RCA, Congo).

 

Toutes ces communautés migrantes constituent un important potentiel de développement pour les pays de la région. Et en matière de migration, les pays de la région sont à la fois des pays de départ, de transit et d’accueil, et suivant les réalités spécifiques de différents pays, ces derniers offrent diverses opportunités de travail pour les migrants internes, saisonniers, circulaires et internationaux, particulièrement dans les secteurs commercial, minier, pétrolier, agricole et éducatif.

 

3.2. Diasporas extra-communautaires et diversification des compétences

 

L’émigration des ressortissants d’Afrique centrale est motivée, selon les pays, par diverses raisons. Il peut s’agir des opportunités économiques, de l’instabilité politique, des conflits armés ou des raisons personnelles (études à l’étranger, soins de santé, meilleures conditions de travail, …). Le choix des pays de destination reste fortement influencé par des paramètres comme les liens historiques avec le pays d’origine, les opportunités de travail dans le pays de destination, l’existence de réseaux transnationaux (liens avec des primo-migrants, etc.).

 

Le continent africain était en 2005 la destination privilégiée, suivie de l’Europe, pour la majorité des ressortissants de la région, à l’exception des Sao-Toméens – environ 69% des émigrants – pour qui l’Europe était la destination principale (DRC, 2007). D’après les données de l’OCDE, une proportion considérable des migrants originaires de l’Afrique centrale résidant dans cette partie du globe ont un niveau d’instruction tertiaire ; les six pays les plus concernés de la région sont le Tchad (42%), le Cameroun (41%), le Gabon (36%), la RDC (36%), le Congo (35%) et la République centrafricaine (33%) (OCDE, 2009).

 

Les ressortissants d’Afrique centrale établis en Afrique et dans le reste du monde ont acquis de grandes compétences dans des domaines variés : santé, éducation, commerce, culture (musique), sports (football), agriculture, spiritualité (religion), artisanat, littérature, ingénierie, etc. Toutes ces compétences constituent un réel potentiel de développement pour les pays de la région.

 

Pour rentabiliser ce potentiel, des programmes spéciaux comme le MIDA1818 de l’OIM ou le TOKTEN1919  du PNUD visent à définir et rendre opérationnelles les modalités de transfert de compétences et de savoir-faire des migrants d’Afrique centrale en vue de leur utilisation judicieuse pour le développement des pays de la région. En effet, tirant les leçons concrètes des programmes exécutés en Amérique latine, l’OIM a lancé en 2001 l’initiative MIDA, axée sur la contribution des membres hautement qualifiés de la diaspora à leurs communautés d’origine à la faveur de retours répétés de courte durée ou de retours virtuels (OIM, 2010b).

 

C’est dans ce contexte que le programme MIDA a été lancé dans plusieurs pays africains, pour tenter de remédier à la pénurie de compétences due en partie à l’exode des cerveaux. Ayant comme objectif de mobiliser le potentiel de développement des diasporas à la faveur d’affectations continues de courte durée dans leur pays d’origine, ainsi que par le transfert et l’échange de connaissances et de compétences au moyen des technologies modernes disponibles, ce programme visait également à encourager l’investissement des fonds rapatriés.

 

Mais, en tout état de cause, ces différentes initiatives ont été d’une courte portée et ont jusqu’ici eu des effets limités en Afrique centrale. Dans la région des Grands Lacs, par exemple, le programme MIDA, conçu comme un programme de transfert de compétences entre la diaspora des Grands Lacs en Europe et les institutions locales burundaise, congolaise et rwandaise, a été exécuté en quatre phases (2001-2003, 2005-2006, 2006-2008, 2008-2012), mais son bilan semble mitigé à cause de plusieurs facteurs, dont les principaux semblent l’ampleur limitée de ce type de programmes et l’instabilité politique et économique des pays concernés.

 

Ce programme concernait le secteur sanitaire au Burundi et le secteur agricole en RDC. Parmi d’autres causes, on peut également évoquer l’absence ou l’insuffisance de dialogue franc entre les membres des différentes diasporas, quoiqu’organisés en associations, et les autorités nationales dans les pays d’origine et de résidence, et le manque ou l’insuffisance des partenariats entre le secteur privé et ces diasporas.

 

Comme mentionné ci-haut, les diasporas d’Afrique centrale se caractérisent par une grande diversité, au regard du nombre important d’organisations et d’associations dans lesquelles les ressortissants des pays membres de la CEEAC sont impliqués. Cette diversité organisationnelle, sans doute bonne et utile peut toutefois avoir des effets pervers et néfastes, comme par exemple l’émiettement des efforts ou la poursuite des objectifs qui se contredisent et qui se neutralisent par conséquent, à l’absence de toute structuration efficiente et de toute coordination rationnelle. C’est pourquoi, les différentes organisations et associations des diasporas devraient mieux se connaître les unes les autres, pour créer des synergies entre elles afin d’aboutir à des résultats plus efficaces.

 

Ainsi, à titre indicatif, nous signalons ici les noms de quelques associations et organisations ainsi que leur rayon d’action. Si certaines associations se sont spécialisées dans l’intégration socioprofessionnelle et le réseautage (Africa Positive, CPS, CASA-NET, CSAC ou AECC, JAMI Burundi), d’autres, par contre s’intéressent à la promotion artistique et culturelle (JAMI Burundi, ADI, FOCODI), ou dans la lutte pour une meilleure gouvernance politique (CAMDIAC, CDG, FOCODI) ; d’autres encore se sont structurées autour d’enjeux identitaires et d’entraide d’essence mutualiste (CAC, CDN.G, ACF, ACE)[535].

 

4. Quelles politiques et initiatives pour une gestion plus éfficace des ressources des diasporas ?

 

Aujourd’hui, le rôle des diasporas d’Afrique centrale au développement des pays de la région n’est plus à démontrer. Toutefois, pour que ce rôle soit beaucoup plus efficace, il s’avère urgent d’organiser ces diasporas et de promouvoir les transferts officiels et les investissements. C’est pourquoi, malgré les multiples défis auxquels les Etats de la CEEAC sont confrontés, nous plaidons pour que ces derniers soit dotés des politiques migratoires favorables au développement, au regard d’énormes potentialités et opportunités de développement qu’ils regorgent.

 

4.1. Organisation des diasporas des pays membres de la cirgl

 

L’Afrique centrale dispose des diasporas formées et dotées de compétences diversifiées, susceptibles de jouer un rôle important dans le développement des pays de la région. L’action des associations des diasporas en faveur de la région est remarquable dans les activités d’économie sociale (transport urbain, développement des micro-financements, bâtiments sociaux, coopératives …) et dans le renouvellement des infrastructures socio-économiques de base : écoles, centres de santé, etc.

 

Cette action est parfois couplée en synergie avec des ONG du Nord agissant comme partenaires clés pour le financement des projets. C’est le cas des opérateurs d’accompagnement en Afrique centrale comme « Entreprendre CEDITA » (RDC), « CCEY-CA » (Cameroun) et « Forum des Jeunes Entreprises du Congo » (Congo), membres du réseau GAME (France) dont la mission est de mettre en commun les réflexions et les compétences pour encourager l’émergence et faciliter la réalisation de projets économiques portés par les individus migrants.

 

Ces initiatives sont certes louables et encourageantes, mais il manque encore cruellement l’organisation de ces diasporas au sens d’une entité dotée de conscience et d’une identité spécifique en tant que communautés rattachées à une région d’origine et redevables des actions concrètes en vue du développement des pays de la région.

 

4.2. Promotion des transferts officiels

 

Aujourd’hui plus qu’hier, nous disposons d’indications théoriques et empiriques qui montrent que la migration aurait des liens positifs avec le développement, pourvu que les conditions politiques et économiques dans les sociétés d’origine soient favorables. La diaspora peut engendrer des transferts monétaires destinés à l’épargne et à l’investissement, et peut contribuer à la réalisation des objectifs tant sociaux (éducation, santé, logement, etc.) qu’économiques (unités de production, PME, PMI). De la sorte, elle peut à juste titre être considérée comme un agent de développement. En effet, un des grands avantages de l’émigration est justement le rapatriement des fonds par les émigrés vers leur pays et région d’origine.

 

Selon Tchouassi (2010), ces fonds sont énormes lorsqu’on jette un regard sur la balance des paiements des pays à forte émigration ou sur les statistiques financières du Fonds Monétaire International. La création des richesses à l’aide de ces fonds peut être facilitée si des mesures concrètes sont prises au niveau des opérateurs des transferts financiers, en concertation avec les gouvernants, pour protéger les droits des migrants et baisser les coûts des transferts. Il s’agit en réalité d’un pacte citoyen, tant pour les membres de la diaspora que pour les gouvernants et le secteur privé.

 

4.3. Vers des politiques migratoires  pro-développements au sein des Etats

 

Au-delà des discours sur le rôle des migrants dans le développement, il faut avouer que les contributions de ces derniers sont souvent méconnues, et les actions pour valoriser ces contributions sont plutôt rares ou timides. Qui plus est, les associations de migrants sont le plus souvent exclues des politiques les concernant et elles ne sont pas considérées comme des partenaires au développement. Elles n’ont pas souvent les mêmes facilités en matière d’accès au financement, à l’instar des ONG.

 

Ainsi, afin de mieux canaliser la participation des diasporas au développement des pays de la région, les mesures ci-après devraient être intégrées dans les politiques migratoires des Etats de la CEEAC :

 

-    favoriser la migration régulière entre les pays de la CEEAC et vers d’autres régions du monde, y inclus l’Europe (personnes, biens et services) ;

-    améliorer les conditions de vie et de travail des immigrants dans les pays d’accueil ;

-    valoriser les transferts de fonds et protéger les droits des migrants ;

-    appuyer les initiatives des migrants tant dans les pays d’accueil que ceux d’origine ;

-    créer des partenariats avec les associations des diasporas en vue de favoriser leur implication effective dans le développement des pays de la région ;

-    constituer une interface entre les diasporas et le secteur privé et en garantir la coopération ; et,

-    mettre en place des programmes chargés de gérer les préoccupations des diasporas.

 

4.4. Défis et opportunités pour les Etats membres de la CIRGL

 

Les principaux défis des pays de la CIRGL peuvent être déclinés en quatre volets :

 

Ø  Au plan politique et sécuritaire :

 

-entraves à la libre circulation des personnes, des biens et des services,

-instabilité et crises politiques récurrentes,

-démocraties balbutiantes,

-conflits armés et ethno-politiques récurrents ;

 

Ø  Au plan économique :

 

-insuffisance d’infrastructures de communication au niveau de la région,

-absence de mesures incitatives concrètes pour mieux attirer les investissements des diasporas,

-faible taux d’échanges commerciaux intra-régionaux ;

 

Ø  Au plan juridique :

 

-absence d’un instrument communautaire de politique migratoire ;

 

Ø  Au plan socioculturel :

 

-absence d’une politique de promotion de la mobilité intra-régionale et des échanges culturels,

-de la valorisation de la circulation des compétences et du savoir-faire dans l’espace communautaire et insuffisance d’allocation optimale des ressources.

 

A contrario, en termes d’opportunités, cette région regorge d’importantes ressources humaines formées et compétentes (y compris dans la diaspora), d’abondantes ressources naturelles (mines, pétrole, gaz …), hydrauliques, éoliennes et forestières, un grand potentiel agricole (cours d’eau et terres arables) et une position géostratégique au cœur du continent (à cheval entre toutes les régions du continent).

 

Toutes ces opportunités intrinsèques à la région, ainsi que celles liées à l’environnement international (financement public et privé, « migradevises », aides diverses) sont susceptibles d’être capitalisées pour que la mobilité totale des facteurs humains et technologiques profite au mieux aux pays de la région. Au bout du compte, l’espace CIRGL devrait être doté d’un service spécialisé chargé des questions de migration et développement.

 

 Du point de vue du nombre, l’Afrique centrale dispose d’environ 3 millions de migrants internationaux, ce qui constitue un potentiel de développement pour la région. Contrairement à d’autres régions, ces migrants sont installés plus en dehors de l’Afrique (39 %) que dans le continent (38 %) ou dans la région (23 %). Ceci dénote la persistance d’entraves à la circulation des personnes dans la région.

 

Selon les sources officielles, l’Afrique centrale a reçu de sa diaspora près de 3 milliards de dollars américains (FIDA, 2007), la majeure partie de ces fonds étant utilisée pour des besoins sociaux. A noter que le vrai montant est beaucoup plus élevé à cause des transferts informels. C’est dire que le montant de ces transferts pourrait encore s’accroître s’ils étaient mieux canalisés vers des circuits formels via des opérateurs de transfert d’argent compétitifs qui assurent la traçabilité de fonds rapatriés.

 

La question du transfert des compétences et savoir-faire des diasporas d’Afrique centrale reste ouverte, car insuffisamment explorée par les pays de la région ainsi que les institutions régionales telle la CEEAC, la CEMAC ou la CEPGL ET LA CIRGL.

 En outre, les pays de la CEEAC devraient aider leurs diasporas à contribuer activement, grâce à leur avoir, compétence et savoir-faire, au développement de la région. A ce sujet, ce papier a essayé d’examiner les principaux défis qui empêchent la région de bénéficier pleinement des retombées de la migration ainsi que les opportunités et autres astuces pour renverser la vapeur.

 

C’est pourquoi les Etats de la cirgl sont invités à prendre les mesures draconiennes qui s’imposent pour une meilleure prise en compte des questions relatives aux diasporas dans les politiques régionales de gestion des migrations.

 

Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, les gouvernements des Etats membres de la CIRGL devraient reconnaître la migration comme une stratégie de mobilisation des ressources et des savoir-faire des diasporas. Pour Ce faire, des mesures courageuses devraient être prises, et des actions concrètes menées pour favoriser la circulation des personnes et des biens et services dans la région, moteur de l’intégration régionale. Une des mesures clés concerne la création de structures nationales abritant une banque des données et ayant pour mission la gestion des questions de la diaspora en rapport avec le développement des pays et de la région, en collaboration avec les partenaires internationaux et régionaux impliqués dans la gouvernance de la question migratoire.

 

A cet égard, une étroite collaboration entre la CIRGL, les gouvernements des Etats membres et les acteurs du secteur financier (banques, postes, sociétés de transfert d’argent, etc.) devrait permettre d’obtenir une baisse sensible des coûts des transferts financiers vers et dans la région. De ce point de vue, il sied d’encourager la concurrence dans ce secteur, accroître le taux de bancarisation des populations, et mettre en confiance les membres de la diaspora, en soutenant les projets de développement local à leur initiative.

 

Si on veut maximiser l’apport des diasporas au développement de la région, il faut tout mettre en œuvre pour sécuriser, valoriser et optimiser leur épargne, notamment en créant un environnement institutionnel favorable à l’investissement, et en prenant des mesures incitatives pour attirer leurs capitaux et savoir-faire.

 

L’entrepreneuriat régional devrait aussi être encouragé, en tenant compte des ressources et des compétences disponibles dans la région. A ce titre, l’organisation régulière d’activités foraines thématiques régionales pourrait favoriser la promotion de la culture de l’économie créative, de la paix, de la sécurité, et de la solidarité régionales.

 

A cela il faut ajouter la nécessité de favoriser la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux et la non-discrimination des migrants au niveau régional, ce qui pourrait faciliter le potentiel développemental de la migration. Enfin, les Etats membres devraient, au regard des gains potentiels générés par la mobilité humaine, appuyer la recherche sur la thématique « migration et développement » à l’aide des financements conséquents.

 

Section 4. LIBRE CIRCULATION  DES PERSONNES  ET DEFIS  DE L’INTEGRATION

 

 L’engagement des dix Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres de la CEEAC22 en vue de promouvoir la libre circulation des personnes au sein de cet espace communautaire est permanent depuis la signature du Traité instituant cette entité régionale en 1983. Le Traité constitutif de la CEEAC contient des dispositifs juridiques rappelant l’importance de la libre circulation des personnes.

 

Les Articles (4.1.) et (4.2.) de ce Traité énoncent comme but de la Communauté de « promouvoir et renforcer une coopération harmonieuse et un développement équilibré et auto-entretenu dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, en particulier dans le domaine (…) du mouvement des personnes… » (Article 4.1) et annoncent parmi les objectifs, « la suppression progressive, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et au droit d’établissement » (Article 4.2).

 

Outre le Traité, ces dispositifs juridiques s’adossent au protocole relatif à la libre circulation et au droit d’établissement des ressortissants des Etats membres, un document adopté en 1983 (annexe 7 du Traité). Ce protocole prévoit un schéma volontariste selon lequel des mesures devant promouvoir la libre circulation et le droit d’établissement devraient être appliquées dans un délai de quatre à douze années (respectivement) à compter de l’entrée en vigueur du Traité.

 

Sept ans après la création de la CEEAC, du fait d’un surplace constaté dans ce domaine, la décision n° 03/CCEG/VI/90 du 26 janvier 1990 relative à la libre circulation de certaines catégories de ressortissants des Etats membres à l’intérieur de l’espace communautaire est adoptée. A l’orée du trentième anniversaire de cette organisation, la libre circulation des personnes dans l’espace communautaire est encore et toujours à l’état de projet non accompli totalement, se faisant sous une configuration de la géométrie variable avec des avancées au sein de quelques pays tandis que des freins se manifestent dans d’autres tant ces derniers adoptent des mesures restrictives limitant les perspectives de sa réalisation.

 

Sans doute, c’est la raison pour laquelle l’antienne de la libre circulation des personnes a été renouvelée lors du XVème sommet de la CEEAC tenu en 2012 à Ndjamena : il y a été demandé aux Chefs d’Etat et de Gouvernements des Etats membres de considérer davantage la convention sur la libre circulation des personnes et des biens. A cette occasion, les chefs d’Etat et de Gouvernements ont appelé « les Etats membres à appliquer toutes les décisions et les règles relatives à la libre circulation des personnes », et à « créer systématiquement des couloirs d’entrée CEEAC dans les aéroports et postes frontaliers » fixant « au 1er juillet 2012 le démarrage de la mise en œuvre de la zone de libre-échange de la CEEAC pour qu’elle soit effective en 2014 »[536].

 

En fait, la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC butte sur un déficit en matière de gouvernance globale et cohérente, et à l’existence de discontinuités d’actions entre le niveau communautaire et le fonctionnement au quotidien au sein des Etats membres. De ce fait, la CEEAC accuse un retard considérable en matière de libre circulation, par rapport aux autres Communautés Economiques Régionales (CER) de l’Afrique ; l’Afrique de l’Ouest fait figure de ‘’bon élève’’ en la matière, au regard de ce qui se passe ailleurs.

 

A ce propos, le constat est alarmant quand on se réfère au rapport sur le suivi de la mise en œuvre des recommandations de la troisième Conférence des Ministres Africains en charge de l’Intégration publié en mai 2009 par la Commission de l’Union africaine. Selon ce rapport : « le retard dans la mise en œuvre de la libre circulation des personnes, c’est le constat qui se dégage de l’observation comparée, faite sur cette question au sein de la zone communautaire de l’Afrique centrale, par rapport à d’autres zones communautaires de l’Afrique ».

 

Les conclusions du rapport montrent que les Etats membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont sensiblement en avance (du fait de l’existence d’un passeport communautaire), par rapport aux Etats membres du Marché Commun d’Afrique Orientale et Australe (COMESA) et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), où les protocoles de libre circulation n’en sont qu’au stade de la ratification »[537].

 

Que le XVème sommet de la CEEAC de 2012 ait été considéré comme un « sommet de la libre circulation des personnes », tant il y a été insisté sur l’urgence pour un engagement plus soutenu en faveur de cette politique, est illustratif à la fois de la détermination communautaire sur cette question et de la prise de conscience au niveau des décideurs politiques de l’avancée lente dans sa mise en œuvre. Ce retard dans le domaine de la libre circulation des personnes provient des goulots d’étranglement non pas tellement au niveau de la CEEAC, le niveau communautaire, mais bien au niveau de certains Etats membres au sein desquels, au quotidien, des pratiques des agents publics et des structures d’administration obstruent par des rackets la mobilité des populations.

 

Ces pratiques, si elles sont reconverties, peuvent laisser s’éclore la libre circulation des personnes à laquelle aspirent les populations vivant dans cet espace communautaire. Par ailleurs, au sein d’autres Etats membres, des obstructions se lisent dans la crainte qu’en éprouvent les dirigeants politiques qui, par leur état d’esprit, jugent qu’ils ont plus à perdre qu’à gagner de la libre circulation des personnes. Pour ces Etats, concilier le principe de la souveraineté nationale et celui de l’intégration régionale relève du défi pédagogique qu’il est de bon aloi d’inscrire comme un axe d’action dans cet espace.

 

Ce texte part du constat de ce faible niveau de mise en œuvre des mesures destinées à promouvoir la libre circulation des personnes pour (i) situer l’état des lieux de la production des normes relatives à cette question au sein de la CEEAC, (ii) analyser les législations nationales en matière d’entrée, de séjour, d’établissement et de résidence dans les pays membres et faire un diagnostic des obstacles à une harmonisation des politiques en vue de l’intégration régionale, (iii) déterminer les avantages et les inconvénients de laisser circuler les personnes librement au sein de la zone CEEAC, et (iv) proposer des mesures et des modalités spécifiques pour une application efficace des accords concernant la libre circulation des personnes.

 

Le texte est essentiellement basé sur la recherche documentaire. Des rapports publiés par les organisations internationales (l’UA, la CEDEAO et la CEEAC), des ouvrages de source secondaire ainsi que des informations tirées de certains sites de l’internet constituent la source principale d’information. A ceci, il sied d’ajouter des observations de terrain que nous avons à la suite des différents voyages effectués dans la région.

 

Dans un premier temps, nous allons analyser les dynamiques migratoires à l’intérieur de la communauté, avant de présenter les législations nationales relatives à l’entrée et au séjour des étrangers dans les pays de la CEEAC. Ensuite, nous ferons l’état des lieux des législations communautaires sur la libre circulation des personnes afin de mieux comprendre l’avancée tortueuse d’une telle politique, et sur cette base, dégager des réflexions sur les enjeux autour des entraves à cette libre circulation. Enfin, nous procéderons à une analyse normative plaidant pour une nouvelle gouvernance de valorisation des politiques soutenant la libre circulation des personnes de manière effective.

 

1.  Les dynamiques migratoires intracommunautaires : le triomphe de la libre circulation des personnes par le bas

 

La libre circulation est une réalité qui se vit au quotidien, « par le bas »[538] à travers le forcing que des populations au sein de cet espace communautaire sont amenées à faire dans le déploiement des pratiques et des activités informelles pour leur survie. « Le système migratoire »[539] en Afrique centrale démontre qu’il y a d’intenses migrations « non documentées » qui s’effectuent à l’intérieur de la région et ce, pour deux raisons. La première raison est liée à la mobilité commerciale qui pousse les gens à se déplacer constamment vers certains espaces d’attraction à la recherche d’une rente et autres avantages dans le cadre de l’économie informelle (agriculture familiale, commerce de détail et économie populaire urbaine) dont ils vivent[540].

 

Plus de 80 % de la population de la région de l’Afrique centrale vit dans une précarité sociale, l’indice de développement humain dans cette région logeant la plupart des pays dans la frange des espaces de pauvreté malgré les ressources naturelles détenues par certains pays comme le Gabon, la Guinée équatoriale, la RDC et l’Angola, etc.[541].

 

Le commerce informel est important et constitue une source de revenus pour une grande partie de la population notamment dans les zones transfrontalières. La deuxième raison est liée à la récurrence de la conflictualité (conflits politiques, guerres civiles, violence politique, massacres, famine) qui règne dans la région. Cette situation belligène pousse ainsi les populations vers la migration forcée à l’intérieur et au-delà des frontières étatiques. Les flux de réfugiés et de déplacés internes constituent un phénomène permanent dans cet espace surtout dans des pays traversés par des crises et des conflits comme dans l’Est de la RDC, en République centrafricaine ou au Burundi[542].

 

Les effets de cette migration forcée se lisent dans des pays limitrophes à ces foyers de conflits ; différents pays en deviennent, par le gré des circonstances, des pays récepteurs de flux importants de migrants forcés, créant ainsi un continuum brouillant la distinction entre pays de départ, de transit et d’accueil, ou encore entre pays d’émigration et d’immigration.

 

Dans cette région, on peut rappeler l’existence de dynamiques migratoires spécifiques donnant lieu à des chevauchements de multiples espaces dont la configuration renvoie à (i) la zone des Grands Lacs (l’Est de la RDC avec le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie), (ii) au bassin du Tchad (carrefour de peuples, de civilisations et d’échanges commerciaux dominés par la culture islamique) et (iii) au Katanga, une région minière située à l’extrémité sud de la RDC, qui attire des populations à la recherche de l’emploi et des opportunités des affaires liées à la dynamique du secteur minier, tandis que les solidarités transfrontalières donnent un incessant va et vient migratoire incontrôlé entre les Etats[543].

 

L’attraction minière de l’aire du Katanga ne doit pas se réduire seulement à cette province congolaise ; il importe d’y insérer l’Angola dans son espace du nord où l’on trouve le diamant. Cet espace ‘‘gemmocratique’’[544] a constitué un lieu de prédilection et d’attraction de l’imaginaire migratoire de la jeunesse de la République démocratique du Congo en quête d’horizons pour se réaliser ailleurs[545].

 

Ces mouvements migratoires se déroulent en grande partie sous le régime informel, non contrôlé. Il s’agit ainsi essentiellement des migrations dans les interstices desquelles la forme régulière chevauche avec la forme irrégulière et dans la dynamique desquelles apparaissent de plus en plus les femmes et les jeunes[546].

 

Pour une intégration rationnelle, il sied de capter ces mouvements migratoires en les canalisant sous des formes qui en augmentent des positivités dans le secteur de l’économie formelle.

 

A côté de cette première configuration des aires de migration, d’autres représentations des systèmes donnent de voir des espaces au sein desquels la mise en œuvre de la libre circulation des personnes se déroule à des vitesses différentes. Il existe ainsi l’espace segmenté de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) à l’intérieur de laquelle un groupe de quatre pays, en l’occurrence le Congo, le Cameroun, la Centrafrique et le Tchad, ont des pratiques incitatives soutenant la libre circulation des personnes.

 

Un autre espace est celui constitué par les pays membres de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), soit le Burundi, la République Démocratique du Congo et le Rwanda entre lesquels existent des accords de libre circulation des personnes. Un troisième espace est créé à la suite des pratiques d’un groupe d’Etats qui adoptent des ‘’manières de faire’’[547] limitant sérieusement la libre circulation des personnes avec l’exigence des visas d’entrée et de séjour de la part des ressortissants d’autres Etats membres de la CEEAC. On peut citer à cet égard le Gabon, la Guinée équatoriale et l’Angola.

 

Les dynamiques migratoires intracommunautaires ainsi décrites dans leur caractère non documenté et dans leur aspect où les femmes et les jeunes sont importants ne sont pas néanmoins bien appréhendées par des données tangibles. L’indisponibilité de données fiables, sinon l’insignifiance des chiffres ne permettent pas de saisir la mobilité des populations ente les Etats membres ainsi que nous pouvons le lire en examinant les statistiques publiées par la Division de la Population des Nations Unies[548].

 

A considérer un pays comme l’Angola par exemple, les informations sur les ressortissants des autres Etats  pour l’année 2011 ne sont disponibles que pour le Congo (4.352 individus), la République Démocratique du Congo (140.835), Sao-Tomé et Principe (507) et la RCA (26).

 

Si on prend le cas du Cameroun pour la même année 2011, les estimations ne portent que sur cinq pays de la région : Centrafrique (2.817), Tchad (16.772), Congo (1.145), Guinée Equatoriale (115) et Gabon (12.972). En considérant la République Centrafricaine, les données n’existent que pour la RCA (66), le Congo (180), le Gabon (22.428) et Sao-Tomé et Principe (84). Pour la Guinée Equatoriale, les données portent sur les ressortissants de Sao-Tomé et Principe (623 individus), le Cameroun (333) et le Gabon (107).

 

En ce qui concerne la République Démocratique du Congo, les migrants enregistrés proviennent de l’Angola (9.012), de la RCA (9.799), du Tchad (139), du Congo (29.337), du Gabon (2.088) et de Sao-Tomé et Principe (171). Ces effectifs de migrants intra-régionaux sont vraisemblablement sous-estimés, et il est important dans le contexte actuel des Etats de l’Afrique centrale de développer des outils de collecte et d’analyse de ces dynamiques pour une meilleure appréhension des échanges migratoires intra-communautaires.

 

Par ailleurs, la répartition par âge et par sexe de la population migrante dans la zone CEEAC donne un pourcentage relativement important des femmes dont l’âge oscille entre 0 et 19 ans, avec 62.3 pour l’Angola, 61.4 pour la Guinée Equatoriale, 52.4 pour le Congo, 51.6 pour la République Démocratique du Congo, 50.2 pour Sao-Tomé et Principe tandis que pour les autres pays (Cameroun, RCA, Tchad et Gabon), le pourcentage tourne autour de 45 (UN DP, 2011).

 

Cette importance des femmes et des enfants dans les flux migratoires montrent combien il est aussi crucial d’inscrire les thématiques « genre et migration » et « trafic et traite des personnes » dans les politiques nationales et régionales de gestion des migrations.

 

2. Les législations nationales en matiere de migration

 

Chacun des pays membres de laCIRGL dispose de sa propre législation en matière d’entrée, de séjour et d’établissement des étrangers sur son territoire. A ce jour, il n’y a pas d’harmonisation formelle des législations nationales en matière migratoire entre les Etats membres . Et pourtant, ces derniers se sont engagés au niveau communautaire depuis lors, en érigeant le processus de la libre circulation des personnes en une loi en vue de la promotion de l’intégration régionale.

 

En fait, il sied de noter qu’il est possible d’inférer une timide mise en œuvre de « l’harmonisation des législations nationales et de l’amélioration des capacités des personnels évoluant dans les services d’Immigration » (article 3 de la décision numéro 04/CEEAC/CCEG/X/02 de la CEEAC) définies comme des objectifs de la Réunion des Responsables des Services d’Immigration des Etats membres comme ce fut le cas pour la CEEAC[549].

 

Cette timide harmonisation concerne la régulation de la libre circulation de certaines catégories des ressortissants des Etats membres à l’intérieur de la CEEAC dont la décision numéro 03/CCEG/VI/90 du 26 janvier 1990 constitue l’armature juridique de départ. Quoiqu’il en soit, les différentes législations nationales se fondent sur deux socles.

 

Le premier socle est celui qui participe au renforcement de la souveraineté nationale de chaque Etat : sur ce socle, les législations nationales dans le domaine des migrations sont fondées sur le contrôle de l’entrée, de la sortie, du séjour et de l’établissement des ressortissants des autres Etats membres de la CEEAC. Le contrôle des migrations permet aux services d’immigration concernés et aux fiscs des Etats membres d’engranger beaucoup de recettes.

 

A l’intérieur du territoire national de chaque Etat, les étrangers sont soumis à un régime juridique de contrôle sous la supervision des services du ministère des affaires intérieures et de la sécurité nationale à la section de la Police des étrangers. Les officiers chargés du contrôle aux frontières et aux postes frontières exécutent quotidiennement la tâche de contrôler le mouvement des populations, ceci renvoie ainsi aux conditions d’entrée et de sortie.

 

De même pour le séjour et l’établissement, il y a des exigences auxquelles doivent se soumettre les étrangers résidant dans le pays. Les documents de séjour ne sont pas gratuits. Ils sont renouvelables selon une périodicité donnée, soit trois mois, soit six mois, soit une année.

 

En République Démocratique du Congo, le régime juridique régulant l’entrée, la sortie, le séjour et l’établissement de l’étranger utilise la seule catégorie d’étranger sans distinction introduite qui concernerait, par exemple, « l’étranger ressortissant de la CEEAC» et « autre étranger ». Cette non-distinction constitue un élément structurant porteur d’un blocage à la dissémination de l’esprit de la libre circulation des personnes au sein des Etats membres de la CEEAC.

 

En fait, si sur le plan juridique, on distingue bien « l’étranger ressortissant de la CEEAC» de l’« autre étranger », on introduirait un traitement différentiel qui va jouer à coup sûr un rôle propagateur de l’esprit de libre circulation. Il y a lieu de faire observer que la loi n° 2/07 du 31 mai 2007 portant régime juridique des Etrangers en République d’Angola[550], dans sa version en Français, présente deux éléments sur lesquels il sied d’attirer l’attention.

 

Primo, il est utilisé une expression qui apparait bien cosmopolite de « citoyen étranger » et non « d’étranger » tout court comme il en est le cas dans les législations de plusieurs pays de la CEEAC (en RDC, au Cameroun, par exemple, on utilise le terme d’étranger). Secundo, la République de l’Angola fait une référence explicite aux conditionnalités induites « des lois spéciales, des accords bilatéraux ou traités internationaux dont la République d’Angola fait partie » (voir article 2 alinéa 1 de la loi portant régime des étrangers en Angola). Une telle mention n’est pas faite dans les législations de la RDC ou du Cameroun.

 

Le deuxième socle, dans les législations nationales, est celui de la libre circulation des personnes qui est favorisée au profit des frontaliers pour leur entrée pour un bref séjour et leur sortie lorsqu’ils traversent la frontière de leur pays vers un autre. Le statut de l’étranger frontalier bénéficie d’un traitement particulier presque dans toutes les législations nationales relatives au régime des étrangers.

 

Dans la loi camerounaise n° 1997/012 de 1990 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers, la catégorie d’étrangers frontaliers est considérée à part. L’Article 9 énonce ce qui suit : « Les étrangers frontaliers sont les nationaux des pays voisins qui, sans résider au Cameroun, sont établis dans une zone frontalière sur le territoire d’un pays voisin dont ils sont ressortissants, et sont amenés par la nature des liens prévalant dans les zones frontalières, à effectuer de fréquents déplacements par-delà la frontière terrestre nationale » (Loi camerounaise n° 1997/01240). Cette libre circulation des personnes qui se vit lentement au profit des frontaliers repose sur la dynamique du « transnationalisme communautaire »[551].

 

La gestion des espaces transfrontaliers, soit « les pays-frontières »[552], s’est imposée auprès des Etats membres de la CEEAC et les a conduits à imaginer des politiques particulières pour favoriser le va-et-vient des populations. En fait, les espaces transfrontaliers sont constitués de populations qui appartiennent à des mêmes groupes ethniques ou apparentés, séparés par des frontières héritées de la colonisation.

 

Ces populations vivant dans des franges frontalières traversent les frontières au gré de leurs activités et des différents enjeux économiques et sociaux. Ceci donne lieu à la libre circulation des personnes qui se manifeste sous le mode des migrations clandestines ou irrégulières pour lesquelles des statistiques ne sont pas disponibles.

 

Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’entrée gratuite : les bureaucraties des Etats membres étant portées à percevoir, même sous forme de rackets, des revenus auprès de la population, imposent le paiement de sommes d’argent, si minimes soient-ils, pour le visa d’entrée. De même, les conditions de séjour, court ou long, sont bien fixées et nécessitent la détention de documents qu’il importe de renouveler régulièrement moyennant paiement des frais.

 

Il est important de noter que l’administration des mouvements des populations étrangères par les services publics au sein de chaque Etat membre se fait dans une logique nationaliste et non communautaire. Cette logique nationaliste se résume en ceci :

 

-    distinction entre nationaux et ressortissants étrangers, ces derniers étant tous indistinctement placés dans une même loge, en tant que population dont la présence et l’établissement constituent une source des revenus pour le Trésor public ;

-    contrôle régulier de cette population étrangère qui peut subir à tout instant les ressacs de la xénophobie ou de l’hystérie sécuritaire.

 

Ces pratiques    donnent lieu à des expulsions ou des violences ciblées, selon les cas, soit sur une catégorie d’étrangers, soit sur tous les étrangers. En ce qui concerne la RDC, les services publics chargés des migrations reçoivent des instructions de leur hiérarchie (de Kinshasa) concernant des dispositions particulières à mettre en œuvre au profit des étrangers avec tous les aléas propres à la lourdeur de l’administration publique[553].

 

3. Les législations communautaires dans le domaine de la libre circulation des personnes

 

Les dispositifs juridiques de la CEEAC en matière de libre circulation des personnes en vue de renforcer l’intégration régionale découlent d’une part du Traité constitutif et du Protocole sur la libre circulation et au droit d’établissement des ressortissants des Etats membres (Annexe 7 du Traité), et d’autre part d’un certain nombre de décisions prises par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement au cours de certaines sessions au sommet.

 

Dans les documents fondateurs, on trouve des dispositifs qui concernent la définition et les conditions d’adhésion à la CEEAC au regard du mouvement, de l’entrée/la sortie et le séjour des ressortissants ainsi que d’autres catégories de personnes (Article 2 du protocole), la libre circulation des travailleurs (Article 3), la liberté de circulation, de séjour et d’établissement des ressortissants de la CEEAC dans n’importe quel Etat membre (Articles 4 et 40 du traité constitutif).

 

La mise en œuvre de la libre circulation est soutenue par différentes décisions prises au sein de la CEEAC. Ces décisions qui sont censées prendre effet une fois publiées dans le Journal officiel de la CEEAC, peuvent être considérées comme des normes impératives dans le champ fonctionnel des Etats membres. L’armature juridique de ces dispositifs est appuyée par la signature solennelle de la Convention de coopération et d’entraide judiciaire lors de la 12e conférence des chefs d’état et de gouvernement de mars 2005.

 

Cet arsenal juridique en rapport avec la libre circulation des personnes s’articule autour d’une toile constituée d’un noyau dur avec des mesures juridiques de mise en œuvre et de facilitation de la libre circulation et d’un autre noyau mou fait de mailles connexes relatives aux mesures d’encadrement des secteurs dont l’incidence sur la circulation des personnes ne peut être négligée. Le noyau dur est constitué de : i) la Décision n° 03/CCEG/VI/90 du 26 janvier 1990, ii) la Décision n° 01/CEEAC/CCEG/X/02 du 17 juin 2002, iii) la Décision n° 02/CEEAC/CCEG/X/02 du 17 janvier 2002, iv) la Décision n° 03/CEEAC/CCEG/X/02 du 17 janvier 2002, v) la Décision n° 04/CEEAC/CCEG/X/02 du 17 janvier 2002, vi) la Décision n° 12/CEEAC/CCEG/XIV/09 du 24 octobre 2009 et vii) la Convention sur la coopération et l’assistance judiciaire.

 

Le noyau mou est constitué des décisions prises dans le domaine de transports intracommunautaires et de la gestion des frontières intracommunautaires.

 

La Décision n° 03/CCEG/VI/90 du 26 janvier 1990 est relative à la libre circulation de certaines catégories de ressortissants au sein de la CEEAC. Dans la vie fonctionnelle de la CEEAC, cette décision constitue le premier acte juridique adopté exprimant la mise en marche de la libre circulation des personnes car dans son article premier, il est écrit : « A compter du 1er janvier 1991, la circulation est libre à l’intérieur de la CEEAC… » et il y est défini les catégories des ressortissants des Etats membres bénéficiant de cette liberté repartis en touristes, professionnels, élèves, étudiants, stagiaires, chercheurs et enseignants et frontaliers.

 

Les catégories des ressortissants bénéficiaires de la libre circulation ont le droit d’entrer dans le territoire de l’un quelconque des Etats membres sans visa, droit d’entrée ou obligation équivalente, de se déplacer à l’intérieur de ce territoire, d’y séjourner pendant une période n’excédant pas trois mois à l’exception des enseignants, chercheurs, stagiaires, étudiants ou élèves dont la durée de séjour sur le territoire de l’Etat d’accueil dépend du cycle des études, de recherche entreprise ou de stage suivi et d’en sortir à tout moment (Article 2 de la Décision 03).

 

La Décision n° 01/CEEAC/CCGE/X/02 du 17 juin 2002 porte modification de certaines dispositions de la Décision n° 03/CHSG/VI/90 ci-haut citée. Les amendements découlant de la Décision n° 01/CEEAC/CCGE/X/02 concernent la date d’entrée en vigueur de la libre circulation effective, qui passe de 1er janvier 1991 au 1er janvier 2003 ; la jouissance des « Touristes » comme bénéficiaires de la libre circulation est reportée au 1er janvier 2004 ; la précision des documents de voyage à produire, notamment un passeport en cours de validité ou tout autre document en tenant lieu, le carnet ou la carte de libre circulation, le carnet sanitaire international tandis que la carte d’identité nationale n’est plus acceptée comme un document de voyage.

 

Il est précisé qu’il faut entendre non pas hommes d’affaires seulement mais bel et bien hommes et femmes d’affaires. Une autre modification concerne la définition de la zone frontalière qui n’est plus réduite à la précision d’une bande de terrain de 5 kilomètres de part et d’autre de la frontière commune à deux Etats membres, mais devient un espace où il y a des résidences de part et d’autre de la frontière commune à deux Etats membres.

 

La Décision n° 02/CEEAC/CCGE/X/02 du 17 juin 2002 adopte la mise en circulation des documents de voyage de certaines catégories de ressortissants des Etats membres à l’intérieur de la CEEAC, ces documents de voyage étant le carnet de libre circulation et la carte de libre circulation. La carte de libre circulation est le document de voyage des frontaliers, le carnet de libre circulation étant réservé aux autres catégories des ressortissants.

 

Les catégories des ressortissants bénéficiaires du carnet de libre circulation sont les hommes et femmes d’affaires, les fonctionnaires des Etats membres en mission, les fonctionnaires et agents de la CEEAC, les experts au service de la CEEAC ou d’un Etat membre de la CEEAC, des élèves, étudiants, stagiaires, enseignants et chercheurs, journalistes, sportifs, artistes et ministres du culte et membres des congrégations.

 

La Décision n° 03/CEEAC/CCEG/X/02 du 17 janvier 2002 décide de la création des couloirs CEEAC dans les aéroports, les ports et aux postes frontaliers des Etats membres de la CEEAC. La création de ces couloirs participe à la visibilité de la libre circulation des ressortissants de la communauté.

 

La Décision n° 04/CEEAC/CCEG/X/02 du 17 janvier 2002 adoptée à Malabo institutionnalise la réunion des Responsables des Services d’Immigration des Etats membres de la CEEAC. Cette réunion devant se tenir deux fois par an ou plus en cas de nécessité a pour objectifs le renforcement des liens de coopération en vue d’échanges périodiques d’informations, d’harmonisation des législations et l’amélioration des capacités des personnels y évoluant, selon l’Article 3 de cette décision.

 

La Décision n°12/CEEAC/CCEG/XIV/09 adoptée le 24 octobre 2009 à Kinshasa est relative au calendrier de démantèlement des entraves administratives à la libre circulation des ressortissants des Etats membres à l’intérieur de la CEEAC. Il est mis en œuvre un ‘’visa de circulation CEEAC’’ pour un séjour n’excédant pas 90 jours pour celui qui en est bénéficiaire. Les catégories des ressortissants bénéficiaires de la libre circulation sont notamment les membres du gouvernement, les parlementaires en mission, les présidents des institutions juridiques en mission et leurs familles, les fonctionnaires et agents du Secrétariat Général en mission, les experts des Etats membres en mission et les experts des Etats tiers invités par la CEEAC.

 

D’autres catégories bénéficiaires de la libre circulation en cet espace sont les professionnels, les hommes et femmes d’affaires, les sportifs et artistes, les enseignants et chercheurs agréés, les étudiants, les élèves, les stagiaires et les frontaliers. Il est officialisé des postes frontières homologues au niveau desquels se trouvent des facilites et des couloirs pour la libre circulation des ressortissants de la CEEAC.

 

La convention sur la coopération et l’assistance judiciaire adoptée en janvier 2007 par la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC est un outil de renforcement de la confiance entre les Etats membres pour mieux contrôler les mouvements des populations. Il importe de noter que dans la mise en œuvre des mesures pour encourager l’effectivité de la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC, cette dernière s’est résolue à s’ouvrir à coopérer avec la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), la Communauté Economique des pays des Grands-Lacs (CEPGL) et la Communauté des Pays de Langue portugaise (CPLP). Avec la CEMAC, il est décidé de travailler dans des réunions conjointes en vue du suivi et de l’évaluation des mesures concernant la libre circulation au sein de l’espace communautaire.

 

A côté de ce noyau dur des dispositifs juridiques relatifs à la mise en œuvre de la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC, il y a lieu de faire cas d’autres dispositifs connexes que cette Communauté a adoptés et qui ont un impact sur la libre circulation des personnes. Ces dispositifs sont pris dans le cadre des transports. Il suffit de citer le lancement d’un Plan Directeur Consensuel des Transports en Afrique Centrale (PDCT-AC) qui vise à court terme de permettre à l’horizon 2010 de circuler sur une route bitumée d’une capitale à une autre, à moyen terme d’avoir un cadre consensuel pour les négociations en vue de mobiliser les investissements dans le domaine des infrastructures de transport, et à long terme de doter la région d’un système de transport (tous modes confondus) dont les infrastructures et les services bien fournis favorisent la libre circulation des personnes[554].

 

De même, il a été adopté le Programme Frontière de la CEEAC (PF-CEEAC) validé en mai 2009 par les délégations des Etats membres au niveau ministériel. L’un des objectifs de ce Programme est de sécuriser la gestion et la traversée des frontières et ce, au bénéfice des populations pour les déplacements transfrontaliers.

 

Ce programme fait partie d’un vaste programme conçu par l’Union africaine de manière à faire des frontières du continent non pas des barrières qui enferment des populations, mais bien des lignes de partage qui favorisent la libre circulation des personnes[555].

 

Si ces dispositifs juridiques existent formellement pour la mise en œuvre de la libre circulation des personnes, il y a lieu de faire remarquer deux critiques à ce sujet. Premièrement, les instruments juridiques relatifs à la libre circulation des personnes adoptent une approche discriminatoire dès lors qu’ils ont cherché à dresser des catégories devant bénéficier d’un régime spécial de libre circulation au sein de la communauté. Cette catégorisation entraine une vision binaire qui aligne les bénéficiaires et exclut les autres. Cette vision binaire favorise des catégories visibles tandis que les peuples qui sont invisibles, ceux qui vivent sur la marge n’étant pas alignés sont discriminés.

 

Les catégories alignées sont trop formelles, rentrant dans les canons de l’économie formelle. Or, dans la plupart des pays membres de la CEEAC, il n’y a pas que des activités du secteur formel qui font vivre les gens, il y a également les activités informelles. Les acteurs, disons les actants, pour reprendre cette expression de Bertrand Badie[556], qui sont partie prenante de cette économie populaire, sont ainsi exclus du bénéfice de la libre circulation des personnes.

 

Ainsi, cette libre circulation des personnes n’est pas populaire ; elle est sélective, favorisant les gens d’en haut. La deuxième critique concerne la lenteur dans l’effectivité du vrai vécu de la libre circulation des personnes sur le terrain. Les entraves à la libre circulation des personnes sont tels que ce concept devient comme un opium : à force d’être répété, ce concept devient un cauchemar que l’on vit car à chaque point de frontière, on doit laisser des sous, on est l’objet des rackets de toutes sortes surtout pour les populations qui se déplacent par la voie terrestre, celle-ci étant la voie la plus empruntée par les populations migrantes notamment dans des espaces où il y a d’intenses interactions commerciales[557].

 

4. Les obstacles à la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC

 

Avant de dégager les obstacles à la libre circulation des personnes dans l’espace régional de la CEEAC, il est important de souligner les avancées et les enjeux de celle-ci. Les avancées dans la voie de la libre circulation des personnes, bien que timides, se déploient progressivement. Ces avancées se lisent à travers des différents engagements et dispositifs juridiques tels que les Etats membres de la CEEAC les ont déjà progressivement pris.

 

A l’issue de la 13ème Conférence, tenue à Brazzaville en octobre 2007, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC se sont engagés à « faire de la CEEAC, d’ici 2025, un espace de paix, de prospérité, de solidarité, et un espace économique et politique unifié ». L’espace de paix, de prospérité et de solidarité que l’on entend réaliser exige l’atténuation du poids des frontières qui séparent les Etats membres.

 

De leur rôle de barrière, les frontières doivent être perçues comme des passerelles capables d’imprimer une nouvelle dynamique à la réalisation de l’horizon de ce nouvel espace économique et politique unifié[558].

 

Les mesures promouvant la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC encouragent le droit d’aller et de venir, c’est-à-dire la liberté de se déplacer ou la liberté de circulation à l’intérieur de la communauté régionale ; le droit de résidence et le droit d’établissement. Le droit de résidence est envisagé par rapport au séjour de différentes catégories de ressortissants bénéficiaires de la libre circulation. Quant au droit d’établissement, il comprend l’installation matérielle, stable et permanente d’une personne physique ou morale ressortissant d’un Etat membre sur le territoire d’un autre Etat membre.

 

Trois engagements juridiques pris par les Etats membres, l’un sur l’institutionnalisation de la réunion des Responsables des services d’Immigration des Etats de la CEEAC, l’autre sur la coopération et l’assistance judiciaire de 2007 et le troisième sur la création des couloirs CEEAC dans des aéroports et postes frontaliers méritent d’être considérés. Mais au-delà de ces avancées, il sied de prendre la mesure des limites de tous les différents dispositifs juridiques élaborés au sein de la CEEAC en rapport avec la libre circulation des personnes comme nous allons le montrer par la suite.

 

Les enjeux de la libre circulation des personnes dans cet espace se lisent aisément eu égard aux faiblesses structurelles des Etats et à la position géographique de la région de l’Afrique centrale dans l’économie politique internationale. Trois axes des enjeux peuvent être dégagés :

 

-    cette région est frappée par la récurrence des conflits qui induit l’affaiblissement des institutions étatiques et la mise à rude épreuve de la cohésion sociale des populations ; d’où la question de la sécurité est importante. Il s’agit des enjeux stratégiques et politiques, dans le contexte de la mondialisation, de la recomposition et de la reconstruction des « Etats débordés », selon l’expression de Philippe Hugon[559] ;

-    les enjeux économiques sont liés aux exigences économiques de la recherche de la compétitivité et d’attraction des investissements dans un espace économique, politique et social intégré, prospère et ouvert, ces exigences économiques rendant incontournable la libre mobilité des facteurs de production ; et enfin,

-    la recherche de l’arrimage des économies de la région dans la mondialisation.

 

Cet arrimage n’est possible que si ces économies sont capables de se positionner sur le marché international ; mais avant de se positionner sur le marché international, il importe que celles-ci soient capables de commercer avec elles[560].

 

A l’évidence, il est admis que le commerce intra-régional, pour se développer, devrait s’adosser à la mobilité humaine. Et justement, les performances de la région d’Afrique centrale en ce qui concerne le commerce intra-régional sont insignifiantes.

 

L’annuaire statistique 2009 BAD/CEA/ACBF confirme ainsi, pour 2007, le caractère marginal des échanges intra-communautaires CEEAC, déjà constaté pour les exercices précédents. En fait, entre 2006 et 2007, les exportations intra-CEEAC représentent de 0,5 à 0,6% des exportations totales de ses Etats membres[561], un pourcentage bien insignifiant qui loge la CEEAC dans l’enseigne de ‘’parents pauvres’’ du commerce intra-africain.

 

Parmi les principaux facteurs explicatifs de cette médiocre performance, on cite entre autre la non-opérationnalisation du tarif préférentiel CEEAC, la faiblesse des infrastructures de transport et la persistance des obstacles à la libre circulation des personnes et des biens[562].

 

Au-delà de l’importance énonciative qu’occupe la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC et de l’ingénierie politique enclenchée au niveau communautaire, la politique de la libre circulation n’est pas bien assumée au niveau des Etats membres. Nous voulons considérer ceci comme des limites –et non des obstacles – que nous allons relever maintenant. Les limites découlent de l’interprétation des significations et des sens que nous dégageons dans l’ordonnancement juridique de divers textes que les Etats membres de la CEEAC ont adoptés.

 

Les différentes législations nationales sur l’étranger et les décisions communautaires régulant la libre circulation des personnes sont conçues en tant que des dispositifs de contrôle portés à retracer le mouvement des populations par les Etats. Ces derniers semblent bien réticents devant les flux des « étrangers ».

 

Dans aucun document national ou communautaire on ne parle de la politique de l’intégration en tant qu’une série des mesures prises pour favoriser l’insertion sociale et économique des étrangers devenus partie prenante du paysage démographique de pays de résidence. Enfin, les Etats membres de la CEEAC ne parlent pas d’horizon d’accès à l’emploi qui est bien fermé. Ces trois déficits bloquent le sens de la libre circulation des personnes au sein de cet espace.

 

Quant aux obstacles, ils sont de plusieurs ordres. Parmi les plus importants, nous pouvons citer les tracasseries administratives le long des couloirs et corridors de transport que prennent les populations en mouvement, les tracasseries routières, le nombre élevé de barrages érigés par les forces de l’ordre et de barrières illégales érigées à la sauvette ainsi que les problèmes d’insécurité routière. Cette première série d’obstacles est l’expression de l’effritement de l’autorité qui est contournée et retournée à certains niveaux où les agents de l’Etat abusent de leur position et s’adonnent à la corruption.

 

La deuxième série d’obstacles provient de la non disposition des documents de voyage communautaires et de la non généralisation de la suppression des contrôles pour l’entrée, le séjour et la sortie. Le fait que les documents de voyage communautaires ne sont pas encore opérationnels et qu’il n’y a pas de passeport communautaire de la CEEAC constitue un obstacle à la libre circulation des personnes. Si il y a des obstacles à l’entrée, d’autres s’érigent quant au séjour et à l’établissement.

 

En fermant les options de l’emploi aux étrangers, qu’ils soient communautaires de la CEEAC ou non, cela ne facilite pas l’horizon de séjourner longtemps et encore moins de s’établir pour une longue durée. A ce point, le manque d’harmonisation des législations nationales du travail fait que le migrant originaire d’un autre Etat de la CEEAC n’accédant pas facilement au marché du travail dans un autre pays est toujours un ‘’étranger’’ tandis que la perspective de l’intégration du migrant n’est pas à l’ordre du jour.

 

Enfin, le dernier obstacle découle du fait que l’espace CEEAC est strié par trois organisations économiques sous-régionales : la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) et la Communauté des Pays de langue portugaise (CPLP) ; celles-ci créent subrepticement des dynamiques particulières encourageant la libre circulation des personnes dans le micro-espace particulier tout en obstruant celle- ci au niveau du grand espace de la CEEAC. C’est la prise en compte de cet obstacle qui pousse la CEEAC à rationaliser les relations avec les autres organisations sous-régionales.

 

Le réflexe de la protection sécuritaire conduit au renforcement des mesures de contrôle. Entre certains pays, la libre circulation n’existe même pas. Certains pays de la région demandent l’obtention d’un visa pour entrer sur leurs territoires, à savoir, le Gabon, la Guinée Equatoriale, Sao Tomé et Principe, l’Angola, la République Démocratique du Congo. Ces pays évoquent la sécurité comme principale raison pour le retard de la mise en œuvre des décisions prises au niveau régional.

 

Le manque de volonté politique en vue de résoudre le problème de la libre circulation des personnes est la principale raison du retard de mise en œuvre du protocole. Dans le court terme, aucune action n’est envisagée pour rendre la circulation des personnes dans la région plus fluide et libre. L’engagement pris et déclaré à l’issue du XVème sommet de la CEEAC à Ndjamena relance certes le débat, mais nécessite une nouvelle dynamique à la base, auprès des administrations chargées de gérer les migrations internationales (les services des migrations et la police des frontières) qui sont en contact avec les populations au quotidien pour créer un environnement de moins d’obstructions et de barrières à la libre circulation des personnes.

 

Les textes relatifs à la mise en place de la libre circulation sont déjà en place. Il suffit maintenant de passer de la parole à l’acte. Le manque de volonté politique devrait s’entendre mieux comme le manque de la cohérence des politiques au sein des Etats membres. Le déficit de cohérence se manifeste par la non-prise en compte dans la formulation des politiques nationales des acquis et attentes formulés au niveau de la communauté pour appuyer la mise en œuvre effective de la libre circulation des personnes.

 

5. De la gouvernance pour la valorisation de la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC

 

Entendue comme la gestion consciente et organisée des structures du régime dans le but de renforcer la légitimité de la sphère publique, le régime est au centre de la gouvernance. Un régime n’est pas un ensemble d’acteurs politiques (même si souvent, on les associe avec de tels dirigeants), mais plutôt une série de règles fondamentales portant sur l’organisation de la sphère publique.

 

A ce compte, la libre circulation des personnes nécessite un régime spécial assis sur une démonstration de volonté politique affirmée et soutenue dans le temps, concrétisée par la mise en œuvre des moyens techniques, humains et financiers nécessaires, l’acceptation d’une plus grande transparence et d’un partage d’informations dans la gestion des flux et mouvements migratoires et une détermination à structurer et formater les services de gestion des migrations entre les Etats membres.

 

La libre circulation des personnes est un instrument important qui appuie le processus de l’intégration régionale. Il est établi dans la littérature scientifique que le commerce intra-régional est fortement corrélé à la mobilité humaine. En facilitant la libre circulation des personnes au sein d’un espace économique, on encourage la mobilité de l’un des facteurs de production les plus importants, le capital humain. Les avantages de la libre circulation des personnes sont d’ordre économique, politique et stratégique.

 

Du point de vue économique, la libre circulation des personnes conduit à la mobilité du facteur humain, qui s’accompagne de la mobilité des autres facteurs comme les capitaux, les biens et les services. Le nouvel espace étant devenu un peu plus grand conduit à un grand marché. Les opportunités sur un grand espace sont immenses en ce qui concerne l’emploi, la création des niches des affaires et les échanges d’expérience.

 

Du point de vue politique, la compréhension mutuelle et l’émergence d’une nouvelle citoyenneté offrent l’occasion de créer un grand espace avec des pouvoirs chevauchant entre le niveau local/national et le niveau communautaire.

 

Du point de vue stratégique, la libre circulation des personnes est un instrument qui consolide l’intégration. En favorisant la libre circulation des personnes au sein de la CEEAC, on encourage la compréhension mutuelle entre les peuples, gage de l’établissement des rapports entre Etats qui soient portés vers la paix.

 

En fait, la non-application de la libre circulation des personnes a des effets pervers sur le processus d’intégration. Lorsque des personnes ne circulent pas librement, il va de soi de subsumer que d’autres facteurs de production (comme le travail et les capitaux) ne circulent pas aussi facilement. Etant un pilier de l’intégration, la non-circulation des personnes traduit à l’horizon l’échec du processus d’intégration.

 

C’est au 1er juillet 2012 que les responsables politiques de la CEEAC ont fixé le démarrage de la mise en œuvre de la zone de libre-échange de la CEEAC pour qu’elle soit effective en 2014. Pour atteindre cette échéance, il faut encore plus de volonté et de respect de la parole donnée. Au-delà de la volonté et du respect de la parole donnée, il y a lieu de considérer la coordination des directives communautaires et des politiques nationales en matière de la migration.

 

Le concept de cohérence des politiques publiques communautaires et nationales doit être mis en œuvre pour plus d’efficience dont les dividendes des résultats sont collatéralement avantageux. Les administrations publiques nationales au niveau de différents Etats doivent être amenées à tenir compte des engagements communautaires et réajuster leurs pratiques en vue de faciliter la libre circulation des personnes.

 

Cette gouvernance doit être assumée et mise en œuvre à deux niveaux. Le premier niveau est celui de la CEEAC. A cet égard, il importe que le renouvellement de l’engagement des Etats membres conduise à élaborer des directives en vue de la création des couloirs et espace CEEAC aux différents postes frontaliers (terrestres et aériens). Dans ces couloirs et espace CEEAC, la priorité sera accordée aux ressortissants des Etats membres pour faciliter les formalités d’enregistrement pour l’entrée, le séjour et la sortie à l’intérieur de la région. Un protocole peut être signé sur la citoyenneté communautaire CEEAC.

 

En raison de la souveraineté (fiscale) que les Etats africains affichent, nous pensons que l’option de l’établissement d’un passeport communautaire n’est pas une priorité. Chaque Etat membre peut émettre des passeports pour ses ressortissants ; mais les passeports des ressortissants des Etats peuvent valoir comme des identifiants dont la détention donne lieu à un traitement de faveur et de priorité pour l’entrée, la sortie, le séjour, l’établissement et/ ou le transit. Des arrangements particuliers intracommunautaires peuvent être convenus pour harmoniser les conditions de travail des ressortissants des Etats de la CEEAC.

 

Le secteur de l’enseignement supérieur et universitaire nécessite une attention particulière ; des dispositions spéciales concernant les équivalences des titres, la mobilité et les échanges des étudiants et du personnel académique constituent des éléments qui peuvent attirer la catégorie des jeunes ressortissants de différents Etats membres pour explorer la possibilité d’étudier ailleurs au sein de la communauté.

 

Un « programme Erasme » de type communautaire conçu pour la région CEEAC serait un outil d’incitation à la mobilité intracommunautaire de la jeunesse qui est le fer de lance de la construction de cet espace de paix et de prospérité. Les effets positifs découlant de la libre circulation des personnes au sein d’un espace communautaire en voie d’intégration dépendent des aptitudes et des qualités professionnelles, intellectuelles, managériales et du potentiel d’entrepreneuriat des personnes en mouvement.

 

La coopération douanière, policière et judiciaire devrait être renforcée. Celle-ci est un outil important tant que les Etats membres au sein d’un grand espace entendent libéraliser la circulation des personnes. En fin de compte, la CEEAC devrait s’appuyer sur des acquis communautaires qu’il ne faut pas négliger. Il s’agit ainsi du « programme frontière CEEAC », des initiatives pour la construction des infrastructures routières et de la mise en œuvre de la zone de libre-échange.

 

Le niveau communautaire peut être vu comme un point ayant une vertu législative. Les bonnes lois ne valent que ce qu’en font les hommes qui les mettent en œuvre, dit-on. Cette vertu législative doit être complétée par les qualités qui se décèlent et sont mises en œuvre par chaque Etat membre. Les Etats membres constituent le niveau exécutif. Il importe donc qu’ils procèdent à l’harmonisation des politiques migratoires d’entrée, de sortie, de transit et de séjour.

 

La suppression du visa d’entrée et de transit et d’autres documents d’autorisation de séjour est d’une importance capitale sur cette voie de la libre circulation des personnes. Les pratiques anormales de corruption et des tracasseries administratives devraient être bannies tant que cela concerne les migrations intracommunautaires. La législation du travail au sein de chaque Etat membre devrait être harmonisée et des fenêtres d’opportunités pour l’emploi de la main d’œuvre étrangère sans discriminations sont des créneaux auxquels il convient d’accorder toute importance.

 

Par ailleurs, certaines dispositions qui relèvent du protectionnisme dans le domaine des activités économiques devraient être revues en tenant compte de l’exigence de la libre circulation des personnes. A titre d’exemple, en République démocratique du Congo, une disposition du droit économique interdit aux étrangers d’exercer des activités commerciales de détail.

 

En élargissant la citoyenneté aux ressortissants des Etats membres, on permet aux populations provenant des autres Etats membres aussi longtemps qu’elles sont en mouvement, de s’adonner à la création des activités économiques dans l’économie formelle. La modernisation des administrations publiques en charge des migrations internationales avec l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et des communications est un pas important.

 

La libre circulation des personnes au sein de la CEEAC est déjà inscrite comme une politique à réaliser. Pour appuyer cette politique, des dispositifs juridiques sont déjà adoptés ou devraient l’être au niveau communautaire. Certains des dispositifs adoptés attendent d’être ratifiés par des Etats membres. Cette ratification conduirait à lier les Etats membres pour qu’ils transposent aisément les engagements internationaux en politiques nationales. Au niveau national des Etats membres, les populations frontalières bénéficient des régimes spéciaux qui favorisent effectivement la libre circulation des personnes.

 

Par ailleurs, les populations se déplacent dans le cadre de la mobilité commerciale sur un fond de migration irrégulière. Cette prépondérance de la migration irrégulière est une conséquence directe de la non- application des accords de libre circulation. Mais globalement, il y a des obstacles de tous ordres. Le manque des infrastructures de transport intracommunautaire quels qu’en soient les modes, les tracasseries dont les populations en mouvement sont objet, la corruption des services publics qui s’en suit et le manque d’harmonisation des acquis communautaires avec les politiques nationales sont autant d’obstacles.

 

La volonté politique est souvent considérée comme la variable la plus importante pour la mise en œuvre effective des mesures favorisant la libre circulation des personnes. Elle existe à travers les engagements que les Etats membres ne cessent de prendre au niveau de la CEEAC. Les différentes mesures juridiques prises le prouvent. Mais cette volonté bute au niveau des politiques nationales où il manque la cohérence par rapport à ce qui se passe au niveau communautaire. Il importe ainsi que des Etats membres de la CEEAC incorporent dans leurs politiques nationales pour une mise en œuvre effective les objectifs régionaux d’encouragement à la libre circulation des personnes en harmonisant leurs politiques migratoires.

 

Les Etats membres ont pris des initiatives en vue de la facilitation de la libre circulation des personnes au sein de cette Communauté. Le programme Frontière de la CEEAC par exemple entend résoudre tous les problèmes liés à la gestion des frontières intercommunautaires et à la problématique de la mobilité des populations en résolvant les préoccupations sécuritaires pour lesquelles les Etats membres de la CEEAC sont frileux quant à encourager la libre circulation des personnes. Le succès de ce programme va constituer un pas important sur la voie de la libre circulation des personnes.

 

Pour donner un nouvel élan à la libre circulation des personnes dans cet espace, il y a lieu d’attirer l’attention des décideurs sur les pistes d’action suivantes que nous distinguons en volets administratif et humain. Sur le volet administratif, les Etats doivent urgemment :

 

-    rendre opérationnelle la Cour de Justice de la CEEAC tel que prévu dans le Traité afin de contraindre les Etats qui n’appliquent pas les décisions communautaires,

-    décider de l’adoption d’un passeport communautaire,

-    alléger sinon supprimer les contrôles aux frontières et postes frontières en ce qui concerne les ressortissants de la CEEAC,

-    moderniser et équiper les services des administrations publiques en technologies de l’information et de communication,

-    imposer l’installation, dans des aéroports et des postes frontaliers des posters/pancartes, affichant clairement les différentes mesures et conditions au bénéfice des populations membres de la CEEAC.

 

Sur le volet humain, il importe que les Etats :

 

-    accordent une priorité à la signature des accords de coopération bilatérale et multilatérale en matière académique et universitaire de manière à favoriser les échanges interuniversitaires au sein de la communauté et envisager la mise en place de programmes de bourses CEEAC pour soutenir la mobilité des étudiants de la CEEAC, de telles initiatives devenant comme un programme Erasme de la CEEAC et

-    programment l’organisation d’ateliers de renforcement des capacités des agents des services publics commis à la migration au sein des pays et entre les pays membres.

 

Faire circuler l’élite et les agents des administrations publiques chargées des migrations au sein de la CEEAC peut enclencher une nouvelle culture propice à l’application des mesures facilitant la libre circulation des personnes. Un Observatoire des pratiques anormales (OPA) doit être créé sous les auspices de la CEEAC pour collecter des informations sur des pratiques non conformes au niveau des couloirs, des corridors et des voies de circulation entravant la libre circulation des personnes, que ces pratiques soient l’œuvre des services publics ou des forces de sécurité. Il n’y a pas de raccourci dans ce domaine et c’est aux Etats membres d’agir pour accélérer le succès de cette politique de la libre circulation des personnes.

 

 

 


Chapitre III :

L’UNION AFRICAINE ET SES POLITIQUES MIGRATOIRES

 

Section 1. LA QUESTION MIGRATOIRE EN AFRIQUE PAR L’UA

 

Vu la rareté des études dans ce domaine, on serait tenté de croire que la migration, qu’elle soit interne ou externe à la région, est un phénomène marginal. Pourtant, à l’observation, la réalité est tout autre.

 

En effet, l’espace africaine se caractérise par de fortes dynamiques migratoires intra-régionales, entre les Etats membres des regroupements régionaux africains et à l’intérieur même de ces Etats, qui s’articulent avec d’autres systèmes migratoires, en provenance ou orientés vers l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Australe, l’Afrique de l’Est, les autres régions ACP et les pays du Nord.

 

Selon les estimations de la Division de la Population des Nations-unies, l’Afrique centrale accueille près de 1.676.000 migrants internationaux en 2010, soit 8,7% de la population migrante du continent africain (DP NU, 2011)[563].

 

Les migrants intra-régionaux sont les plus difficiles à dénombrer à cause notamment de la porosité des frontières et de la rareté des sources de données fiables. De ce point de vue, les statistiques les plus élaborées concernent les populations réfugiées fuyant les conflits récurrents dans les pays de la région.

 

Globalement, les réfugiés originaires de l’Afrique centrale représentent près de 78% du total des réfugiés dans le monde et proviennent essentiellement de la RDC (68%) et de la République Centrafricaine (23%)[564]. A cela s’ajoutent les mouvements de migration interne des campagnes vers les villes.

 

Le taux d’urbanisation actuel de la région (40,4%) dépasse la moyenne de l’Afrique subsaharienne (37,2%) pour l’année 2010 (DP NU, 2011).

 

Les ressortissants des Etats membres de la CEEAC établis en dehors de leur pays sont au nombre de 2 830 000 environ en 2010 (DP NU, 2011 ; Banque mondiale, 2012)[565]. La répartition de ces émigrés par pays d’origine montre une prédominance en valeur absolue de la RD Congo dans les effectifs (32%) suivie de l’Angola (19%), du Burundi (12,6%), du Cameroun (10%), du Tchad (8,6%) et du Congo (7,4%). Les autres pays figurent dans des proportions relativement marginales (RCA : 4,6% ; Guinée Equatoriale : 3,6% ; Sao-Tomé et Principe : 1,3% ; Gabon : 0,89%).

 

Mais en rapportant le nombre d’émigrés à la population totale de chaque pays d’origine, nous avons une meilleure idée du poids relatif de l’émigration internationale. Ainsi, Sao-Tomé et Principe et la Guinée Equatoriale deviennent les premiers pays d’émigration de la région puisque leurs émigrés représentent 20% et 15% respectivement de leur population. Ces deux pays sont suivis de très loin par le Congo (5%), le Burundi (4%), la RCA (3%), l’Angola (3%) et le Tchad (2%). Les émigrés du Gabon représentent environ 1,6% du total de la population de ce pays, tandis que ce ratio est de 1,5% pour la RD Congo et de 1,3% pour le Cameroun.

 

Ce phénomène d’émigration internationale semble fortement ancré en Afrique : la proportion des émigrants originaires des pays de l’Afrique centrale résidant dans le continent africain (et les autres pays du Sud) en 2010 est de 94% pour le Burundi, 92% pour le Tchad, 87% pour la RCA, 77% pour la RDC, 75% pour la Guinée équatoriale, 50% pour le Congo, 49% pour le Cameroun, 38% pour l’Angola, 29% pour le Gabon et 27% pour Sao-Tomé et Principe.

 

Dans cette optique, on assiste à la constitution de diasporas d’Afrique centrale résidant particulièrement en Afrique, mais également dans les pays développés du Nord, avec une forte présence de cadres hautement qualifiés qui ont quitté leur pays en raison notamment de la pauvreté, de l’instabilité politique et de la recrudescence des conflits qui ont animé la région au cours de ces dernières années.

 

A ce titre, les données de l’OCDE (2010) indiquent un pourcentage élevé de ressortissants de la région résidant dans les pays membres de l’organisation[566], et ayant un niveau d’instruction tertiaire6 : Tchad (42%), Cameroun (41%), Gabon (36%), RDC (36), Congo (35%) et RCA (33%)7.

 

Ces dynamiques d’immigration et d’émigration s’accompagnent d’une implication des femmes et des enfants dans les flux. Les estimations de la Division de la Population des Nations Unies pour l’année 2010 indiquent une proportion de femmes migrantes de l’ordre de 48% des immigrants internationaux de la région (DP NU, 2011).

 

A cet égard, le mouvement de trafic et de traite des migrants portant particulièrement sur les femmes et les enfants, constitue une autre variable des processus migratoires en Afrique centrale.

 

Les migrations transfrontalières seraient également intenses, de même que le phénomène de la transhumance qui pose un problème d’insécurité puisqu’occasionnant souvent des rapports tendus entre les nomades et les populations autochtone, sans occulter les situations de catastrophes qui engendrent d’importants flux de personnes déplacées.

 

Si en Afrique centrale les mouvements de population sont régis par des accords bilatéraux et par des traités des communautés économiques, le phénomène de la migration n’en demeure pas moins complexe et difficile à gérer. Il constitue un enjeu majeur et pose de réels défis aux gouvernements des pays de la région et aux institutions régionales. Les défis opérationnels soulevés par les migrations nécessitent l’élaboration d’un cadre politique global au niveau régional de la CEEAC. Ce cadre devrait intégrer les différents aspects suscités par les questions de migration et développement et apporter des solutions durables à ces questions.

 

La population africaine migre majoritairement à l’intérieur du continent, 52% des flux étant intracontinentaux. Les migrations ouest-africaines représentent 65% de ces flux, et la population de cette région est la plus mobile dans le monde.

 

Les migrations africaines peuvent être divisées en quatre catégories principales :

 

-    la migration du travail vers et au sein de l’Afrique de l’Ouest ;

-    la migration des réfugiés en Afrique de l’Est ;

-    la migration du travail de la région Sud-Africaine vers l’Afrique du Sud ; ainsi que

-    la migration irrégulière transfrontalière en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Une grande partie des migrations sub-sahariennes est circulaire, les migrants se déplaçant vers les pays frontaliers ou au sein même de leur pays, selon les saisons et les opportunités de travail.

 

La question migratoire est essentielle à l’échelle du continent africain et devrait ainsi être prise en compte dans les politiques de l’Union Africaine (UA), qu’il s’agisse des migrations internes ou entre différents pays africains.

 

Il sied de signaler qu’il existe en théorie un cadre politique en matière de migration au sein de l’Union Africaine. Ce qui pose problème est la mise en application réelle et efficace des principes adoptés par les Etats membres de la communauté continentale.

 

1. Libre circulation et intégration régionale

 

Le Traité d’Abuja, signé en 1991 et instituant la Communauté Economique Africaine, fait directement référence à la libre circulation des personnes, considérée comme essentielle dans l’intégration régionale. Le Chapitre VI du Traité d’Abuja, en son Article 43 sur la libre Circulation des Personnes, Droits de Résidence et d’Etablissement stipule :

 

1.     Les Etats membres s’engagent à prendre, individuellement, aux plans bilatéral ou régional, les mesures nécessaires à la réalisation progressive de la libre circulation des personnes et à assurer la jouissance des droits de résidence et d’établissement à leurs ressortissants à l’intérieur de la Communauté.

2.    Les Etats membres conviennent de conclure, à cet effet, un Protocole relatif à la Libre Circulation des Personnes, aux Droits de Résidence et d’Etablissement.

 

Le Traité d’Abuja a défini six étapes d’intégration, sur une période maximale de 40 ans. La libre circulation des personnes et leurs droits de résidence et d’établissement fait partie de la sixième étape, suite à la création d’un Marché Commun Africain (cinquième étape).

 

Le Programme Minimum d’Intégration prend aussi en compte la liberté de circulation et s’appuie sur les Communautés Economiques Régionales (CER) pour une mise en application concrète de la libre circulation des personnes, en parallèle avec celle des biens, des services et des capitaux.

 

Ce programme vise à favoriser l’intégration africaine en mettant en lien les Etats membres, les CER ainsi que la Communauté de l’Union Africaine (CUA), tout en tenant compte des différents niveaux d’intégration régionale des CER.

 

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD), la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC) et le Marché Commun de l’Afrique Australe (COMESA) ont déjà mis en place des zones de libre-échange.

 

L’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD) est encore à un niveau de coordination et d’harmonisation des activités. La Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) a quant à elle déjà mise en place une Union douanière.

 

2. La libre-circulation totale des personnes dans les régions et partielle entre elles (Objectif 6)

 

L’article 43 du Traité d’Abuja stipule que « les Etats s’engagent à prendre les mesures nécessaires à la réalisation progressive de la libre circulation des personnes et à assurer la jouissance des droits de résidence et d’établissement à leurs ressortissants à l’intérieur de la Communauté ».

 

L’IGAD est la seule CER n’ayant pas élaboré un protocole relatif à la libre circulation des personnes, aux droits de résidence et d’établissement alors que le COMESA et la CENSAD font face à de sérieux problèmes à faciliter la circulation des personnes dans leurs régions puisque leurs protocoles ne sont pas encore entrés en vigueur à cause de leur non ratification par les Etats membres.

 

Ainsi, l’élaboration et la ratification par les CER et les Etats membres, qui ne l’ont pas encore fait, de protocoles relatifs à la libre circulation des personnes, aux droits de résidence et d’établissement, dans les CER constituent une priorité du PMI.

 

Certaines actions prioritaires au niveau continental comme l’exemption de visa pour les africains détenteurs de passeports diplomatiques et de service et la reconnaissance des passeports communautaires entre CER, peuvent faciliter la libre circulation des personnes en Afrique.

 

En outre, d’importants instruments dans les domaines de la coopération sécuritaire et judiciaire et de lutte contre le terrorisme intra et interrégionale doivent être mis en place pour accompagner le processus de libéralisation de circulation des personnes. Ces instruments constituent des garanties pour les Etats membres.

 

La libre circulation des personnes est perçue comme un facteur de développement économique, jouant en faveur de la réduction de la pauvreté, ainsi que de l’intégration politique. L’UA établit une distinction entre la migration volontaire, considérée positive, et la migration forcée ayant au contraire un impact négatif sur l’intégration régionale.

 

Aucune politique concrète n’a cependant été mise en place pour permettre aux Africains de se déplacer librement à l’échelle continentale. Le Plan de Bourses Mwalimu Nyerere a été créé en 2007, facilitant l’inscription des étudiants africains dans d’autres universités du continent. La même année, le Programme Frontière de l’UA a été mis en place, facilitant le développement d’initiatives locales transfrontalières.

 

De plus grandes avancées en matière de libre circulation existent au niveau des CER (du moins en théorie, une réelle mise en application des textes, qui dépend de la volonté des Etats, étant parfois difficile) :

 

-    La CEDEAO et son Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement. Le protocole permet aux Ouest-africains de rester dans un autre pays de la région sans visa pendant 90 jours.

-    La COMESA et son Protocole sur la libre circulation des personnes, du travail, des services, le droit d’établissement et de résidence en 2001. Le Protocole n’a pas été ratifié par tous les Etats.

-    La SADC et son protocole sur la libre circulation (initialement lancé en 1997 mais signé en 2005), qui permet d’entrer dans un autre pays de la région sans visa pour 90 jours. Le Protocole n’a pas été ratifié par tous les Etats.

-    La CAE a mis en place un Marché Commun en 2010 qui contient une annexe sur la libre circulation des personnes, instaurant le droit d’entrée sans visa. Un passeport de la CAE a été instauré. Le Kenya et le Rwanda ont aboli le permis de travail.

-    L’IGAD et la CENSAD n’ont pas encore mis en place de Protocole de libre circulation. Le rôle de l’UA à ce niveau est d’aider ces deux communautés régionales à atteindre progressivement le niveau des autres CER en matière de libre circulation.

 

3. Les textes de l’Union Africaine sur les migrations

 

L’idée de mettre en place une politique migratoire commune en Afrique est assez récente : des discussions ont eu lieu dans les années 1990 sur ce sujet. C’est en 2006 que deux projets ont vu le jour, reflétant la vision de l’UA sur la migration à l’échelle continentale : le Cadre d’orientation pour les migrations et la position commune africaine sur les migrations et le développement.

 

3.1. Cadre d’orientation pour les migrations 

 

Ce document traite de neuf thématiques : la migration du travail, le contrôle des frontières, la migration irrégulière, le déplacement forcé, les Droits humains des migrants, la migration interne, la collecte de données en matière de migration, la migration et le développement ainsi que la coopération et les partenariats internationaux.

 

A travers ce texte les Etats membres affirment leur volonté de favoriser la libre circulation des personnes à l’échelle régionale et continentale, en liant migration, sécurité, stabilité, développement et coopération. Ils considèrent aussi que les migrants devraient être pris davantage en compte dans le développement de leurs pays d’origine.

Pour ce faire, l’UA planifie, entre autres, l’établissement de politiques migratoires panafricaines, un meilleur contrôle des frontières, une harmonisation des politiques migratoires sous régionales, la lutte contre le trafic d’êtres humains, une meilleure prise en compte des réfugiés et de leurs droits ainsi que des migrants de manière générale, la promotion de l’intégration des migrants dans le pays d’accueil et le renforcement des relations avec la diaspora africaine.

 

3.2. Position commune africaine sur les migrations et le développement

 

La même année, une réunion a été organisée afin de définir une position africaine commune sur la migration et le développement.

 

Les thématiques prioritaires à l’échelle continentale abordées lors de cette réunion ont été les suivantes : la lutte contre la migration illégale, la création d’accords de coopération pour une meilleure gestion de la migration, la promotion de la liberté de mouvement pour les migrants légaux et pour les migrants qui ont besoin de protection humanitaire, la mise en place d’un contrôle efficace des frontières et une plus grande participation de la diaspora.

 

A travers cette position commune, l’UA demande à l’Union Européenne (UE) de reconnaitre les qualifications académiques et professionnelles obtenues en Afrique, de faciliter l’obtention des visas (et ainsi de limiter la migration clandestine), de mettre en place le Plan d’Action du Caire et de ratifier la convention onusienne de Protection des Droits des Migrants Travailleurs, ainsi que de réduire les coûts d’envoi d’argent.

 

Les Etats membres de l’UA rappellent que la migration est facteur de développement, la migration du travail étant positive à la fois pour le pays d’origine et pour le pays d’accueil, tout en tenant compte du fait que la fuite des cerveaux est au contraire un handicap. Lors du processus migratoire, les droits de l’homme doivent être respectés. Une meilleure prise en compte de la diaspora serait bénéfique pour le continent africain. Les Etats membres établissent un lien fort entre la migration irrégulière, la paix, la sécurité et la stabilité. Enfin ils se disent favorables à la mise en place de politiques migratoires régionales communes ainsi qu’à la coopération dans le domaine de la migration du travail.

 

Il s’agit de deux documents de référence, qui n’obligent pas les Etats membres ou les CER à respecter les engagements pris mais seulement à appliquer les politiques qu’ils considèrent pertinentes, selon le contexte national ou régional. Ils peuvent décider d’ignorer ces documents et leurs recommandations puisqu’aucun mécanisme de mise en application n’est prévu.

 

Ainsi, les Etats membres ne remettent pas en cause leur souveraineté nationale au niveau des politiques migratoires. Chaque Etat membre ou CER peut établir lui-même les politiques à mettre en place et les ressources à allouer. Les organisations internationales sont invitées à apporter une aide technique pour la mise en application des politiques.

 

Les réunions organisées lors de visites de la CUA au niveau des différents CER pourraient être considérées comme faisant partie du mécanisme de suivi auquel le cadre d’orientation fait référence. Ces réunions ont permis aux Etats membres, aux CER et à la CUA de partager des informations, de produire des rapports et d’identifier les priorités en matière de politiques migratoires.

 

4. La question des réfugiés

 

Dès 1969 l’UA avait adopté une Convention spécifique à la question des réfugiés, la Convention de l’OAU sur les Réfugiés, qui reconnait le devoir des Etats de recevoir et d’accompagner les réfugiés, de leur fournir des documents de voyage, ainsi que de respecter leurs droits de s’installer dans un autre pays ainsi que de retourner dans leur pays d’origine.

 

Concernant les réfugiés, les migrants de retour et les personnes en déplacement interne, l’UA a adopté en 2009 la Convention Kampala, ou Convention pour la protection et l’assistance des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, ces migrants constituant la majorité des migrants forcés en Afrique.

 

L’objectif de cette Convention est d’élaborer des politiques afin d’éviter que le déplacement des populations à l’intérieur du pays soit une des conséquences des conflits de préserver les populations des exactions commises à leur encontre par les groupes armés, qui les forcent à migrer ou violent leurs droits, tout en tenant leurs membres responsables des actions commises à l’encontre des personnes déplacées.

 

Cette Convention n’a pas été ratifiée par un nombre suffisant d’Etats pour être mise en application. Un Plan d’Action a cependant été mise en place en 2010, suivi par des réunions en 2011, proposant des plans d’action nationaux et régionaux.

 

4.1. La question de la diaspora

 

L’Union Africaine a depuis le début accordé une place importante à la diaspora. En 2003 a été ajoutée une clause dans l’Acte Constitutif encourageant une plus grande participation de la diaspora à l’intégration continentale. Un Plan d’Action a été lancé sur la période 2004-2007, contenant le Programme « Citoyens d’Afrique ».

 

Des réunions ont été organisées par l’UA, en Afrique et à l’extérieur, ainsi que la première Conférence Ministérielle de la Diaspora Africaine en Afrique du Sud en 2007. Un sommet de la Diaspora africaine a été organisé en 2012 à Johannesburg.

 

Un projet concernant l’envoi de fonds a été lancé en 2010 en partenariat avec la Banque Mondiale, avec pour objectif la mise en place d’un Institut Africain sur les Envois de Fonds. Cet institut permettrait aux Etats membres de développer des stratégies pour mieux inclure l’envoi de fonds dans les programmes de développement et de réduction de la pauvreté.

 

4.2. Politiques migratoires Afrique-UE

 

La première rencontre entre l’UA et l’UE concernant la question de la migration s’est tenue au Caire en 2000, dont est issu le Plan d’Action du Caire. Dans ce cadre l’UA et l’UE se sont mis d’accord sur le nécessaire soutien de l’UE à la mobilité intra-Africaine, sur sa collaboration pour déterminer les causes de la migration et de la demande d’asile, sur sa collaboration autour de la question de l’intégration des migrants, du respect de leurs droits et de leur réadmission, sur la nécessaire mise en place de mesures pour combattre le racisme et la xénophobie et assurer aux migrants le respect de leur dignité.

 

En 2006 a été adopté le Plan d’Action de Ouagadougou pour Combattre le Trafic d’Etres Humains,particulièrement des Femmes et des Enfants, focalisé sur la prévention, la sensibilisation ainsi que la protection et l’assistance aux victimes. L’Initiative de la CUA Contre le Trafic a été lancée en 2009, avec pour objectif l’opérationnalisation du Plan d’Action à l’échelle régionale, auprès des différentes CER. L’initiative vise à renforcer la protection des victimes et des témoins, ou encore à développer des campagnes de sensibilisation sur le trafic, ainsi que l’élaboration de stratégies nationales autour de ces questions.

 

La Déclaration Jointe Afrique-UE sur la Migration et le Développement a été adoptée en 2006 à Tripoli. Cette déclaration engage l’UA et l’UE dans « un partenariat entre les pays d’origine, de transit et de destination pour une meilleure prise en compte de la migration, d’une manière compréhensive, holistiques et équilibrée, dans l’esprit d’une responsabilité partagée et de coopération ».

 

La Déclaration porte sur les thématiques suivantes : la migration et le développement, les challenges de la gestion de la migration, la paix et la sécurité, les ressources humaines et la fuite des cerveaux, les droits de l’homme et le bien-être des individus, le partage de bonnes pratiques, les opportunités de la migration régulière, la migration illégale ou irrégulière, la protection des réfugiés.

 

Auparavant focalisée sur l’Afrique du Nord, l’UE est aujourd’hui concernée par la migration subsaharienne. Elle développe principalement des partenariats avec les Etats de l’UA autour de la question de la migration irrégulière. Les propositions pour faciliter la migration du travail visent majoritairement les migrants hautement qualifiés.

 

Section 2. L’AFRIQUE CENTRALE FACE AUX DEFIS MIGRATOIRES

 

1. Migration et developpement : un nouveau paradigme

 

La relation entre migration et développement est un thème récurrent des sciences sociales et des politiques. Mais l’intérêt porté sur ce lien a considérablement évolué au cours de ces dernières années. Si l’existence de cette relation est bien établie, le travail scientifique réalisé jusqu’à présent n’a pas produit de modèles analytiques permettant de saisir ce lien de manière claire et opérationnelle, en vue notamment de développer des politiques efficaces[567].

 

 Tous les textes de référence sur la migration et le développement soulignent l’insuffisance des connaissances sur le phénomène migratoire et son interaction avec le développement, notamment en ce qui concerne les flux migratoires Sud-Sud. C’est dire combien il est à la fois complexe et difficile de cerner les contours et les dimensions de cette interaction. Cette difficulté est accentuée notamment par le fait que le terme « développement » n’est pas toujours défini de façon unanime et opérationnelle.

 

Il n’existe pas non plus de définition unique de la « migration », le phénomène étant multiforme et multidimensionnel, recouvrant multiples catégories entre lesquelles il n’est pas souvent aisé de tracer des frontières de façon claire et précise. Il est donc utile de fouiller davantage dans la dynamique d’interaction entre migration et développement, tant ce paradoxe apparent crée un dilemme pour les décideurs politiques.

 

Pour autant, il semble aujourd’hui y avoir une sorte de consensus sur une nouvelle vision positive sur le lien entre migration et développement. Comme le remarque certains auteurs, ce débat a connu une évolution étonnante : d’un optimisme développementaliste dans les années 1950 et 1960, il a basculé en arrière comme un pendule, d’abord vers un pessimisme néo-marxiste dans les années 1970 et 1980, et ensuite vers une vision plus optimiste dans les années 1990 et 2000[568].

 

Cette nouvelle position optimiste est centrée autour d’une réflexion théorique et d’un débat politique basés sur l’idée de « maximiser les bénéfices de la migration pour un développement durable ». Cette vision renouvelée des interactions entre migration et développement s’éloigne de l’approche par les « causes profondes » - tendant à faire de la pauvreté et/ou du manque de développement les principaux facteurs explicatifs des migrations - pour reconnaître le potentiel des migrations en termes d’opportunités pour le développement et la lutte contre la pauvreté.

 

Ce nouveau paradigme relève notamment d’un ensemble de textes et de décisions prises au plus haut niveau, faisant référence à la nécessité de prendre en compte les questions migratoires dans les politiques de développement.

 

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) s’inscrivent dans cette dynamique, de même que l’Accord de Cotonou (Articles 8 et 13) signé en 2000 entre l’Union Européenne et les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), sans oublier la Déclaration de Bruxelles sur l’asile, la migration et la mobilité adoptée par les ministres ACP chargés de ces questions lors de leur réunion d’avril 2006 et de son Plan d’Action, qui prend en compte la nécessité d’appréhender les questions migratoires de façon globale, le rôle à jouer par les diaspora pour le développement, les questions de la mobilité des ressources humaines et celles de l’intégration régionale, la lutte contre la criminalité et les réseaux organisés.

 

L’approche de la Facilité s’inscrit dans ce « nouveau paradigme » sur les relations entre migration et développement. Cette nouvelle approche conduit à une redéfinition des politiques publiques qui cherchent moins à contrôler les flux migratoires qu’à en optimiser les bénéfices et à en atténuer les coûts. L’objectif d’intégration des questions migratoires dans les politiques de développement découle de cette vision rénovée des interactions entre migration et développement.

 

2. Enjeux et defis migratoires en Afrique Centrale

 

La complexité des dynamiques migratoires et la circulation des personnes constituent aujourd’hui une préoccupation majeure pour la CEEAC et ses Etats membres. La non prise en compte des interactions entre les différentes composantes de l’espace migratoire intra-régional et extra-communautaire pourrait constituer à cet égard un grand handicap pour une meilleure connaissance du phénomène migratoire dans toutes ses dimensions. Celle-ci reste liée à la persistance de la vision dualiste qui considère la migration comme une relation simple entre pays d’origine et pays de destination.

 

Une telle approche ne permet certainement pas de cerner le processus migratoire dans sa globalité. Le terrain des interactions semble être un révélateur pertinent des dynamiques économiques et sociales entre les pays de départ, les pays de transit et les pays d’accueil.

 

La complexité et l’intensification des mouvements circulatoires de personnes, de biens, de cultures, de savoir-faire reconfigurent sans cesse les champs migratoires, tout en mettant en exergue des logiques de comportement et de stratégies qui jouent dans la complémentarité et/ou dans la dépendance.

 

Dans un tel contexte, une gestion méthodique et concertée des flux migratoires est jugée profitable aux populations migrantes et non migrantes, ainsi qu’aux Gouvernements des pays de la région. Partant du fait que la migration est devenue une composante de l’interpénétration des marchés et des économies, mais qu’elle constitue en même temps une résultante de l’interdépendance des nations, son fonctionnement en tant que système devrait être en harmonie avec les besoins émergents et en rapport avec la totalité des exigences du système, afin de consolider et de renforcer les politiques pour mieux faire face à ces exigences.

 

Or, si l’on s’en tient aux traités et protocoles de la CEEAC qui préconisent la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et du droit d’établissement entre les Etats membres, on note une absence d’intégration des questions de migration dans les stratégies et politiques de développement au niveau régional.

 

Globalement la gestion des migrations et le cadre des politiques migratoires connaissent plusieurs problèmes et ce, bien que les Etats membres reconnaissent l’importance primordiale du lien entre migration et développement et la nécessité de renforcer les politiques, les structures et les lois pour l’intégration de la migration dans les politiques de développement aux niveaux national et régional.

 

A titre d’exemple, le protocole sur la libre circulation des personnes entre les Etats membres de la CEEAC tarde à être effectif, malgré l’arsenal des Décisions communautaires prises par les Chefs d’Etats et de Gouvernement. De même, le rôle que jouent les diasporas dans le développement des économies des pays d’origine et de destination de la région n’est pas souvent pris en compte dans les politiques migratoires des Etats.

 

Malgré ces insuffisances, la CEEAC et les pays membres sont pour l’essentiel à la recherche d’une véritable politique migratoire conforme aux sensibilités nationales et aux exigences du processus d’intégration régionale, en vue d’une prise en compte des besoins des populations migrantes et non migrantes, pour une affirmation des droits de l’homme, des droits des minorités, des droits sociaux, etc.

 

L’élaboration d’une politique migratoire régionale viable ne nécessite pas seulement une harmonisation des législations nationales en vue de l’intégration régionale du marché communautaire. Elle implique également une meilleure compréhension de l’impact que la migration a sur le développement socio-économique des pays de la région, mais aussi et surtout le développement des capacités régionales de gestion de cette mobilité.

 

Il faut dire qu’il y a une réelle prise de conscience de l’importance des dynamiques migratoires en Afrique centrale et de la diversité des flux, de l’influence directe ou indirecte de ces migrations sur la situation économique et sociale des pays de départ et d’accueil de la région, et de la nécessité d’encadrer ces migrations par des politiques idoines.

 

Cette volonté de formuler des politiques globales et concertées pour maximiser les bénéfices de la migration pour le développement durable s’est renforcée ces dernières années, l’objectif étant qu’on puisse y arriver dans le cadre d’un partenariat entre les pays membres de l’espace communautaire, en conciliant le principe de la souveraineté nationale avec celui de l’intégration régionale, en étroite collaboration avec les organisations de la société civile, sous l’égide du Secrétariat Général de la CEEAC.

 

3. Strategie d’approche

 

L’approche de la Facilité Intra-ACP pour les Migrations en Afrique centrale se décline à travers l’organisation de la concertation régionale sur la relation migration et développement, sous l’égide de la CEEAC.

 

Le principe consiste à impulser le dialogue régional sur cette thématique, sur la base de l’identification des besoins en termes de données nécessaires à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de développement, d’axes prioritaires de travail, de stratégie et de plan d’action au niveau régional, et de création de créneau institutionnel en vue de la prise en compte du thème migration et développement. A cela, il faut ajouter la mise en œuvre de mesures spécifiques de renforcement des capacités conçues selon les besoins prioritaires identifiés.

 

Cette stratégie s’appuie sur la création de cadres de concertation fonctionnels à plusieurs niveaux : mise en place de groupes de travail au niveau institutionnel et au niveau de la société civile, organisation d’ateliers régionaux pour développer le dialogue au niveau technique sur la thématique migration et développement, organisation de forums régionaux conçus pour élaborer des propositions et stratégies en migration et développement, les faire remonter vers les décideurs pour leur inclusion dans les politiques de développement, mais aussi pour harmoniser les approches, partager les bonnes pratiques et capitaliser les acquis.

 

A ce titre, la CEEAC a initié la mise en place de deux groupes de travail à caractère régional : un groupe de travail institutionnel au sein du Secrétariat Général de l’institution régionale et un groupe de travail des Organisations de la société civile pertinentes dans le domaine migration et développement au sein des Etats membres.

 

Ces groupes de travail sont des cadres de réflexion et de formulation de recommandations pour la prise de décision. Ils réunissent l’ensemble des parties prenantes, afin que l’intégration des questions migratoires dans les politiques de développement s’appuie sur un socle de compréhension commune, permettant ainsi de stimuler la mise en place d’un processus de capitalisation des expériences et savoir-faire au niveau régional.

 

Le groupe de travail institutionnel de la CEEAC regroupe tous les experts des différents départements et services concernés ou appelés à être impliqués dans la gestion des questions de migration et développement, de par leur expertise, mais aussi de l’interdépendance directe ou indirecte de leurs secteurs d’activités en relation avec la thématique migration et développement : commerce, industrie, paix et sécurité, éducation, emploi, économie et finance, droit et protection sociale, infrastructures de transport, agriculture et développement rural, environnement et changements climatiques, santé, genre, etc.

 

Par ailleurs, ceux qui pilotent/coordonnent l’adoption et la revue des différents documents stratégiques ciblés par la Facilité pour le processus de mainstreaming (généraux et sectoriels) sont engagés dans le processus.

 

Quant au groupe de travail régional de la société civile, il regroupe les acteurs non étatiques pertinents dans le domaine migration et développement au sein des pays membres de la CEEAC. La notion de «pertinence» s’entend tout à la fois au sens de connaissance de la thématique migratoire par les organisations de la société civile au sens large, d’activités effectivement réalisées en cette matière, de représentativité, de structuration et de capacité financière.

 

Ces représentants de la société civile ont été identifiés par une mission d’expertise, par le biais d’une enquête d’identification de base, en vue de leur implication au processus de dialogue sur l’intégration des questions de migration et développement dans les politiques régionales, sous l’égide de la CEEAC.

 

Dans cette mission d’identification, l’attention est portée tant sur les organisations déjà concrètement impliquées dans des activités directement relatives à la problématique de la migration en lien avec le développement que sur celles qui, œuvrant dans des secteurs et auprès de populations directement concernées par les phénomène migratoires, ont vocation à davantage intégrer cette problématique dans leurs plateformes et dans leurs actions, dans la mesure où elle affecte les groupes et individus qu’elles servent.

 

Une priorité a été accordée aux organisations de la société civile de dimension régionale dans l’intervention (couverture de plusieurs pays de la sous-région).

 

De ce point de vue, le rôle attendu des acteurs non étatiques est à la fois un rôle d’accompagnement de l’institution régionale et des gouvernements des Etats membres dans leurs efforts en matière de gestion des migrations, mais aussi de développement d’activités spécifiques qui ciblent les migrants et leurs communautés d’origine, notamment dans des domaines où l’intervention des acteurs institutionnels est insuffisante.

 

A ce titre, la stratégie de la CEEAC se fonde sur le principe de solidarité et de capitalisation de l’apport des migrants dans le développement des pays de la région. Cette stratégie consiste à formuler et à mettre en œuvre des politiques globales et concertées, basée sur un esprit de partenariat dynamique entre les pays de la communauté, les organisations de la société civile pertinentes, les partenaires au développement concernés par les questions de migration et développement et les autres parties prenantes.

 

4. Processus de conception, d’élaboration et d’adoption du document d’orientation régionale de la CEEAC en matière de migration et développement

 

L’analyse sur l’état des lieux des connaissances et de la prise en compte de la thématique migration et développement est l’un des éléments de l’évaluation des capacités de la CEEAC, permettant de cerner les besoins, de définir des priorités et de proposer des mesures adéquates de renforcement des capacités. Sur la base de ce diagnostic de base, les réunions des groupes de travail ont permis de consolider les priorités régionales et mesures adéquates de renforcement des capacités.

 

Ainsi, la formulation d’un Document d’orientation régionale, qui définit clairement la manière de tirer les meilleurs bénéfices de la migration pour le développement durable de la région, a été retenue comme une priorité fondamentale pour le renforcement des capacités institutionnelles de la CEEAC, dans le cadre de la mise en œuvre de la Facilité.

 

A cet effet, les groupes de travail ont initié un processus de conception, d’élaboration et d’adoption du Document d’orientation régionale de la CEEAC en matière de migration et développement dont les principales étapes s’articulent autour de :

 

-    l’identification des axes d’orientation stratégique centrés sur les thèmes « Diaspora et développement », « Libre circulation des personnes et défis de l’intégration », « Migration transfrontalière et coopération régionale », « Migration et droits humains », « Recherche et gestion des données migratoires », « Réfugiés et personnes déplacées », « Migration et relations de genre », « Trafic et traite des personnes », « Migration, environnement et changements climatiques », « Migration et santé » et « Migration et commerce » ;

-    l’élaboration de papiers thématiques par des experts spécialisés sur les thèmes retenus et audition de ces papiers thématiques lors d’un atelier régional de planification de politique stratégique en matière de migration et développement ;

-    l’élaboration d’un projet de Document d’orientation régionale de la CEEAC en matière de migration et développement sur la base des conclusions et recommandations de l’atelier régional, et soumission de ce projet aux groupes de travail ;

-    l’organisation d’un forum régional regroupant toutes les parties prenantes pour finaliser le projet de Document d’orientation régionale de la CEEAC en matière de migration et développement ;

-    le suivi et la mise en œuvre des conclusions du forum régional par la CEEAC : soumission du Document d’orientation régionale en matière de migration et développement aux instances de décisions communautaires ; intégration d’une Direction « migration et développement » dans l’organigramme de la CEEAC ; lancement des mécanismes d’information et de consultations avec les gouvernements des pays membres pour la mise en œuvre des recommandations du forum.

 

Suite à l’atelier régional organisé en janvier 2013, l’Assistant technique régional a élaboré un projet de Document d’orientation régionale (version 1) qui a été soumis aux deux groupes de travail (institutionnel et de la société civile). Cette réunion de groupe de travail mixte, tenue en mars 2013, a permis de consolider le Projet de Document d’orientation régionale de la CEEAC en matière de migration et développement (version 2). Ensuite, le document a été porté à l’attention de toutes les parties prenantes à l’occasion d’un forum régional organisé en octobre 2013, en vue de sa finalisation (version 3), avant d’être soumis aux instances de décisions communautaires (Conseil des Ministres sectoriels des Etats membres) pour adoption.

 

Section 3. LA QUESTION DE LA DIASPORA ET LE DEVELOPPEMENT

 

De solides arguments scientifiques attestent qu’il puisse exister une relation vertueuse entre la migration et le développement. Par exemple, le volume des transferts de fonds issus de la migration dépasse largement le montant de l’aide publique au développement pour de nombreux pays.

 

Bien qu’ils ne puissent se substituer à cette aide, ces transferts constituent une source croissante de capitaux peu influencés par la conjoncture économique, et ont la particularité d’être alloués à de nombreux individus, permettant ainsi d’améliorer leurs conditions de vie.

 

Par ailleurs, la problématique des transferts de compétence des migrants constitue un autre aspect fondamental de la relation migration et développement, suscitant ainsi un intérêt grandissant en termes de mobilisation de leur savoir-faire, en vue d’une utilisation judicieuse dans le développement.

 

En Afrique centrale, comme dans la plupart des régions du continent, la question de l’impact des transferts de fonds et de compétences de la diaspora est au centre du débat sur la relation entre migration et développement.

 

La migration génère à l’évidence d’importants flux monétaires, humains et matériels en retour, et il existe aujourd’hui un consensus largement partagé sur l’importance du potentiel de la diaspora et sa capacité à apporter une contribution substantielle au développement économique et social des pays de la région.

 

Toutefois, cette question suscite à la fois des espoirs et des inquiétudes. Si les espoirs sont permis et justifiés, à cause notamment des effets positifs avérés sur les économies des pays d’origine et d’accueil, les inquiétudes, par contre, sont légion et semblent persister dans l’opinion régionale.

 

Le mythe de l’invasion démographique, de la spoliation économique et de la « délinquance » d’origine étrangère (Loungou, 2010), les stéréotypes relatifs à l’insécurité associée à la présence des migrants ainsi que la persistance des tracasseries administratives et policières aux frontières, malgré l’existence d’instruments juridiques communautaires sur la libre circulation des personnes et des biens, sont souvent évoqués.

 

Pour dissiper ce malentendu, il nous faut relever les nombreux atouts liés au phénomène migratoire, mais aussi les multiples enjeux que regorge cette question, tout en mettant en évidence les défis qu’elle soulève, défis auxquels les Etats d’Afrique centrale sont réellement confrontés.

 

Le présent texte se propose donc d’approfondir la question sur les transferts de fonds et de savoir-faire des diasporas d’Afrique centrale, afin d’en dégager des éléments de politique pour leur prise en compte dans les stratégies régionales de développement. Il vise à cerner les enjeux liés aux flux de transferts financiers, humains et matériels des diasporas des pays de la région, les articulations à établir réellement entre migration et développement, de même que les limites opératoires à fixer, en fonction de la diversité des profils migratoires, des pays de destination et des motivations de départ.

 

Il s’agit aussi sur la base de ces éléments d’appréciation, d’inciter la réflexion autour des réponses spécifiques à apporter sur le plan politique, afin de mieux orienter les ressources financières, humaines et matérielles de la diaspora, en vue d’une utilisation plus judicieuse dans le développement de la région.

 

Dans cette perspective, nous entendons par diasporas d’Afrique centrale, « des personnes originaires de la région et vivant en dehors de leur pays d’origine, indépendamment de leur citoyenneté, de leur nationalité ou de la cause de leur migration, et qui sont désireuses de contribuer au développement de la région et à sa construction »[569].

 

1. Liens entre migration et développement : avancées théoriques et preuves empiriques

 

Les migrations constituent l’un des objets de recherche ayant suscité une riche réflexion et de nombreux travaux en sciences sociales depuis les cinq dernières décennies. La recherche dans ce domaine a subi une fragmentation qui discrimine autant les causes de la migration de ses effets que les politiques migratoires elles-mêmes. Nous allons examiner tour à tour les théories liés aux origines et aux causes de la migration, ainsi qu’à ses effets. Dans cette optique, nous mettrons l’accent sur les analyses qui, de manière intrinsèque, ont essentiellement orienté la réflexion sur l’impact des migrations sur le développement des pays d’accueil et/ou d’origine.

 

 

 

1.1. Approches théoriques et cadre contextuel d’analyse des liens entre migration et développement

 

Les tentatives théoriques d’intelligibilité du phénomène migratoire, du point de vue de ses origines et de ses causes, incluent des approches micro-individuelles, macro-structurelles, par le genre et par les réseaux. Nous allons brièvement parcourir ces différents courants de pensées théoriques, en vue de poser le cadre conceptuel d’analyse des liens entre migration et développement.

 

La théorie économique classique des migrations a été élaborée par Lewis[570] en 1954 et améliorée par Ranis et Fei[571] en 1961. Elle repose sur une approche macroscopique du phénomène migratoire qui résulte de la comparaison de deux secteurs (agricole et industriel), avec comme outils d’analyse des variables démographiques et économiques.

 

Lewis s’est surtout inspiré des transformations industrielles qui ont marqué les pays développés de l’Europe au 19ème siècle pour expliquer la migration. Selon cet auteur, la migration est déclenchée par un excédent de main-d’œuvre rurale qui quitte la campagne pour être naturellement absorbé par les industries urbaines. Il considère que le secteur manufacturé est plus productif que le secteur agricole, et que son expansion constitue la condition primordiale du développement des pays.

 

Par cette expansion, le salaire urbain va se fixer à un niveau qui serait attrayant pour le travailleur rural sous-employé, et qui permettrait en même temps au secteur manufacturé de dégager des profits, et donc de nouveaux investissements. L’industrie ferait alors appel à un nouveau flux de migrants ruraux. Et c’est ainsi que migrations et salaires s’autorégulent pour assurer le transfert et l’absorption progressive de la main-d’œuvre rurale excédentaire par le secteur moderne productif.

 

Estimant que le secteur agricole a été négligé par Lewis, Ranis et Fei (1961) ont repris le modèle classique en ajoutant l’idée d’un accroissement de la production agricole induit par le développement du secteur industriel. Selon ces auteurs, l’expansion du secteur moderne devrait s’accompagner d’une mécanisation de la campagne.

 

Cette hypothèse repose sur l’idée qu’à un moment donné, lorsque la main-d’œuvre rurale ne serait plus excédentaire du fait de son absorption permanente par le secteur industriel, la productivité marginale croîtrait dans le secteur agricole et la mécanisation des campagnes empêcherait la baisse de la production agricole. A cela, il faut ajouter l’idée développée par Sjaastad (1962) qui considère la migration comme un  investissement qui augmente la productivité des ressources humaines.

 

Dans l’approche de Sjaastad, la notion de capital humain est fondamentale dans l’analyse des coûts et bénéfices de la migration, en ce qui concerne notamment les migrations volontaires qui, dans une économie concurrentielle, conduisent à une répartition « optimale » des ressources.

 

C’est Todaro (1969) et Harris et Todaro[572] (1970) qui ont réagi en premier à l’hypothèse de main-d’œuvre rurale excédentaire exprimée par la théorie classique. En soulevant le paradoxe d’une urbanisation massive malgré un haut niveau de chômage urbain, ces auteurs soulignent que le surplus de main-d’œuvre agricole n’est pas aussi important pour déclencher des migrations de grande ampleur. Ils partent alors de prémisses différentes de celles qui ont inspiré Lewis pour formuler un modèle individualiste fondé principalement sur deux variables : le revenu et le chômage.

 

Selon ce modèle néoclassique, la migration relève d’une évaluation faite par l’individu, de la différence de revenus entre la ville et la campagne. Cette différence de revenus n’est pas celle qui existe en réalité, mais celle perçue au départ par le migrant potentiel. Il s’agit du différentiel de revenus attendu, « escompté » (et non réel). A ce facteur, s’ajoute l’hypothèse d’un calcul économique fait par le migrant potentiel, fondé sur la probabilité de trouver un emploi en ville. C’est la perception que le migrant a sur la probabilité de trouver un travail mieux rémunéré qui explique que la migration des zones rurales continue malgré l’existence d’un taux élevé de chômage urbain.

 

Le modèle néoclassique a reçu de vives critiques qui s’appuient fondamentalement sur deux éléments : son caractère réducteur des facteurs qui entourent la décision de migrer et sa non pertinence dans le cadre des migrations africaines. Ricca (1990) rappelle que la migration ne peut manifestement pas se réduire à un calcul portant sur deux variables, le revenu et le chômage.

 

Selon lui, il n’existe pratiquement pas d’enquête qui ne fasse état d’autres mobiles de migration. En plus, l’analyse de la migration comme une réponse à la seule différence des revenus entre le milieu rural et urbain, malgré la situation de crise de l’emploi en ville, apparaît insuffisante.

 

De plus récentes études ont montré que lors de son établissement en ville, le migrant bénéficie de tout un ensemble de réseaux d’insertion : réseaux sociaux, parentaux, culturels d’accès au logement et à l’emploi (Ouédraogo et Piché, 1995 ; Antoine et al., 1998).

 

Par ailleurs, certains auteurs comme Zelinsky (1971) estiment que selon les époques, chaque société développe des stratégies de reproduction démographique en combinant les mécanismes reproductifs (fécondité, mortalité, migration). Un tel modèle associe les schémas de variation de différents types de mobilité spatiale avec la phase de la marche vers la modernisation dans laquelle se situe chaque société. Ce schéma explicatif a l’avantage de prendre en compte l’existence de plusieurs types de migrations.

 

En outre, pour plusieurs chercheurs, les décisions de migrer ne peuvent pas entièrement se comprendre en dehors d’un contexte plus global. Une première approche apparaît avec Akin Mabogunje (1970); elle consiste à inscrire les mouvements migratoires dans un système impliquant la circulation de divers flux entre les lieux d’origine et de destination : flux de personnes, de biens, de services et d’idées.

 

Le schéma analytique de Mabogunje tente d’identifier tous les éléments de l’environnement susceptibles d’affecter les mouvements migratoires (environnement économique, social, politique, technologie, information, réseaux sociaux et familiaux, transferts monétaires). Ce schéma permet d’appréhender la migration non plus comme un mouvement linéaire et unidirectionnel, mais comme un phénomène circulaire imbriqué dans un système de variables interdépendantes.

 

Bien que l’opérationnalité de cette approche systémique ne soit pas aisée à mettre en œuvre empiriquement à cause de la multiplicité des facteurs identifiés, elle permet toutefois de révéler les liens étroits entre la migration internationale et la mondialisation, suggérant même l’idée d’un marché du travail global dans une économie globalisée (Petras, 1981 ; Simmons, 2002). Cette perspective est à relier avec les réseaux transnationaux (Schiller et al., 1992, Vertovec, 2009).

 

Une deuxième approche macro-structurelle concerne la circularité (Burawoy, 1976). La double contribution de Burawoy tient d’abord au fait qu’il a élargi le modèle de la circulation en le généralisant à toutes les formes de migrations circulaires (surtout internationales), puis au fait qu’il a illustré ses hypothèses par une approche comparative impliquant trois cas (Mexique, Etats-Unis, Afrique du Sud).

 

Remettant en question le postulat néoclassique de l’acteur rationnel maximisant ses intérêts sous l’effet des forces du marché, Burawoy introduit dans la théorie migratoire des facteurs politiques et structurels. La notion clé de sa théorie repose sur le principe de la séparation géographique des fonctions de reproduction (renouvellement) et d’entretien de la force de travail. C’est en fait l’articulation de ces deux fonctions qui est à la base du système circulaire. Ce modèle remet en question l’interprétation classique liant développement et migration, selon laquelle le développement engendre l’émigration en détruisant la société préindustrielle et en libérant la main-d’œuvre pour le travail dans les nouveaux marchés de travail urbains (Massey, 1988).

 

Ceci a aussi pour fondement le mythe des sociétés paysannes immobiles, paisibles, non-migratoires (Skeldon, 1997). Ce faisant, on s’attend à ce qu’avec le temps, la migration, considérée comme un mécanisme de réallocation des ressources, rétablisse l’équilibre entre les zones de départ et d’arrivée (Todaro, 1969).

 

La notion de circularité suggère que la société préindustrielle, caractérisée par le mode de production domestique, n’est pas détruite mais plutôt transformée puisqu’elle doit continuer à assurer la subsistance des membres restés sur place et une sorte de sécurité « sociale » des individus qui ont émigré (Gregory et Piché, 1983).

 

Le modèle de Burawoy demeure encore pertinent de nos jours, à cause de la persistance de la pratique du recours aux travailleurs temporaires dans les pays développés, limitant ainsi les coûts d’entretien liés à l’intégration socioéconomique de ces travailleurs, ainsi que l’accès de ces derniers aux droits de citoyenneté. Mais de manière plus générale, pour maints auteurs, la migration répond d’abord et avant tout à la demande de main-d’œuvre.

 

Saskia Sassen (1988) présente les formulations les plus explicites des facteurs qui influent sur la demande de main-d’œuvre immigrante. Selon cette auteure, l’immigration est un phénomène essentiellement urbain et concerne en particulier les grands centres urbains du monde développé. Elle a développé le concept de ville mondiale, à partir de laquelle la production industrielle se réorganiserait, comme en témoigne en particulier la prolifération des ateliers exploitant une main-d’œuvre clandestine ainsi que le travail à domicile, source de l’explosion du secteur économique informel.

 

La littérature migratoire a longtemps ignoré les femmes. Mirjana Morokvasic a, en 1984, rappelé l’existence de la migration féminine, en insistant sur la diversité des destins des femmes migrantes à travers le monde et en illustrant les nombreux cas d’exploitation de la main-d’œuvre féminine. Selon Morokvasic, la migration féminine peut être positive (émancipation, autonomie financière) ou négative (renforcement des inégalités liées au sexe).

 

Pour plusieurs auteurs, la position marginale des femmes sur le marché du travail résulte d’arbitrages familiaux qui maintiennent les inégalités entre les sexes (Tienda et Booth, 1991 ; Bazonzi, 2010b ; Bazonzi 2012). Toutefois, les femmes sont présentes sur le champ migratoire à l’échelle continentale, et particulièrement en Afrique centrale (Bazonzi, 2012).

 

D’autres auteurs fondent leur argumentation sur l’idée selon laquelle dans beaucoup de sociétés, notamment en Afrique, les actes, même individuels, sont le plus souvent posés dans un contexte familial (Stark, 1980 ; Harbison, 1981 ; Stark, 1984 ; Gregory et Piché, 1981 ; Gregory et Piché, 1986 ; Root et De Jong, 1991). L’intervention de la famille se fait à la fois au moment de la décision d’émigrer et au moment de l’insertion du migrant en zone d’accueil. Il faut en outre tenir compte des contraintes économiques et du contexte socio-historique qui sous-tendent le processus migratoire.

 

Ainsi, certains auteurs proposent des approches explicatives des migrations internes et internationales africaines, en introduisant le concept de stratégies collectives : la stratégie familiale et la stratégie de survie. Les théories qui soutiennent cette analyse partent du principe que la migration repose sur une stratégie collective au sein de laquelle l’individu est intégré.

 

Du fait qu’en Afrique la famille (ou le ménage) fonctionne comme une unité de production, de consommation et de socialisation, elle jouit d’une rationalité économique et constitue en même temps un centre de décisions stratégiques. Dans ce cadre, le groupe familial peut décider de la migration d’un ou de plusieurs de ses membres, à la recherche de revenus complémentaires, pour les besoins d’amélioration de ses conditions de vie.

 

Mais, les éléments explicatifs de la stratégie collective ne sont pas seulement économiques. Beaucoup d’auteurs font état de facteurs non économiques pour expliquer la migration. Ces aspects non économiques permettent moins de comprendre les causes initiales du phénomène que la persistance de la migration. Deux modèles ont particulièrement influencé les recherches récentes. Le premier place le réseau migratoire au centre de l’analyse.

 

Ce réseau joue sur la migration en offrant aux autres membres de la famille ou de la communauté d’appartenance au sens large, les moyens de réaliser leur projet migratoire, notamment en apportant de l’aide pour le voyage et en fournissant de l’information et de l’assistance pour trouver du travail et un logement en destination. Sa fonction principale est de minimiser les coûts et les risques de la migration (Boyd, 1989 ; Fawcett, 1989 ; Kritz et al., 1992 ; Zlotnik, 1992 ; Guilmoto et Sandron, 2000).

 

Le réseau migratoire constitue à cet égard une forme de « capital social » sur lequel les membres d’une même communauté s’appuient pour accéder à un emploi à l’étranger.  Ce « capital social » peut être défini comme l’ensemble des ressources dont disposent les individus sous forme de relations sociales au sein de groupes (Coleman, 1988).

 

Le second modèle, celui des causes cumulatives (cumulatives causations), stipule qu’une fois impulsé, le processus migratoire modifie les conditions économiques et sociales du lieu d’origine (Massey et al., 1993 ; Massey et al., 1998). Dans la localité d’origine, les migrations internationales se répercutent notamment sur les structures sociales et économiques et sur la répartition des revenus, suivant le degré d’engagement de la communauté dans le processus migratoire.

 

Avant qu’une région ne commence à participer au système migratoire international, les inégalités de revenu et, partant, le sentiment de privation relative, peuvent être limités. Durant le processus migratoire, les transferts de fonds effectués par les premiers migrants accentuent les inégalités de revenu et intensifient le sentiment de privation des membres de la communauté restés sur place. Cette situation tend à favoriser la migration future (Massey et al, 1993 ; Massey et al, 1998).

 

Par ailleurs, l’expérience que les migrants accumulent dans les pays d’accueil peut modifier les goûts et les motivations, créant une véritable « culture de la migration » dans certaines sociétés si la migration est intégrée dans le système de valeurs d’un groupe donné (Schoorl et al., 2000).

 

Comme on peut le voir, quelle que soit la posture théorique adoptée, la migration tisse toujours des liens étroits avec le développement (mobilité du facteur humain, échanges de biens et services, et d’idées).

 

1.2.  Les effets de la migration sur le développement

 

Dans les pays en développement et notamment en Afrique, le débat sur le lien entre la migration et le développement se focalise sur les transferts de fonds et leur impact sur les régions d’origine des migrants. C’est ainsi que certains auteurs considèrent les liens entre les émigrants et leurs régions de départ à travers la notion de transferts monétaires qui constitue selon eux l’un des facteurs clés de l’impact de l’émigration dans les pays en développement (Oberai et Manmohan, 1980).

 

Ces auteurs notent qu’en règle générale, les migrants commencent à envoyer des fonds assez rapidement. Dans le même ordre d’idée, Portes (2009) conclut au terme de ses recherches que la migration temporaire est celle qui produit le plus d’effets positifs. Ce n’est pas, comme c’est souvent le cas dans les pays développés, la situation des régions/pays d’immigration qui préoccupe les chercheurs, mais plutôt le lien entre émigration et développement dans les régions/pays de départ.

 

Ces travaux ont ouvert la voie à un vaste programme de recherche, notamment en ce qui concerne l’importance du volume des transferts monétaires ainsi que le phénomène du transnationalisme (Vertovec, 2009). Plusieurs chercheurs ont tenté d’estimer les flux monétaires à l’échelle planétaire.

 

Selon Ratha et Silwal (2012), les transferts monétaires vers les pays en développement ont totalisé en 2011 la somme de 372 milliards de dollars US, soit une augmentation de 12,1% par rapport à 2010, et avec un taux de croissance de 7 à 8% par an, cette somme pouvant atteindre 467 milliards de dollars en 2014.

 

Le courant transnational consacre le maintien des liens entre les milieux d’origine et les milieux de résidence puisque la vie des migrants traverse les frontières nationales et réunit deux sociétés dans un seul champ social.

 

Aujourd’hui, il est établi que les fonds générés par les transferts opérés par les migrants vers leurs pays d’origine – les « migradevises » – constituent une source importante de financement extérieur pour les pays en développement. Les études indiquent clairement que les migrations internationales peuvent générer des gains substantiels pour le bien-être des migrants, leurs pays d’accueil ainsi que leurs pays d’origine.

 

Selon les estimations de la Banque Mondiale (2011), les flux financiers générés par les migrations internationales seraient passé de 160 milliards de dollars américains en 2004 à 300 milliards de dollars américains en 2011. Mais en réalité, ces chiffres, quoiqu’exorbitants, ne reflètent pas entièrement la réalité, car il est difficile de saisir le volume réel des flux financiers générés par les migrants à travers le monde, à cause notamment de l’opacité des circuits officiels de transfert d’argent et surtout de la panoplie de canaux informels de transfert de fonds.

 

Ainsi, à cause du fait que d’importants flux ne sont pas enregistrés tant au niveau des canaux formels qu’informels, la Banque Mondiale estime que la taille réelle des « migradevises » devrait être 50% plus élevée que ce qui est mesuré actuellement (c’est-à-dire autour de 450 milliards de dollars américains pour l’ensemble du globe, ce qui se rapproche des estimations de Ratha et Silwal).

 

Par ailleurs, l’impact économique de la migration dépend de plusieurs facteurs, parmi lesquels on peut noter les compétences et les qualifications des migrants, l’existence d’une diaspora nombreuse et organisée, les secteurs dans lesquels sont investis les fonds transférés, les modèles de production et d’échanges, le climat des affaires (investissements), la taille et la situation géographique des pays concernés.

 

En effet, il est reconnu aux transferts des effets macroéconomiques et microéconomiques. A partir du moment où ces transferts dépassent un certain seuil du PIB des pays concernés, des effets macroéconomiques sont perceptibles sur l’économie de ces derniers : il s’agit principalement des effets directs sur le taux de change extérieur, le taux d’intérêt domestique et la balance des paiements.

 

Les transferts d’argent peuvent être contrecycliques, c’est-à-dire en contre-courant du cycle normal de l’économie du pays récepteur. Mais ils peuvent aussi être utiles en cas de baisse de l’économie ou d’un choc macroéconomique (crise financière exogène par exemple), ou lorsque le pays récepteur est frappé par une calamité naturelle (famine, sécheresse, épidémie) ou un conflit politique (guerre civile, etc.). C’est ce qui arrive lorsque les migrants, mus par un élan de solidarité, envoient d’importantes sommes d’argent à leurs proches durant les périodes difficiles.

 

Les transferts d’argent opérés par les migrants peuvent également contribuer à stabiliser l’économie du pays récepteur par un effet de compensation de la perte du taux de change extérieur due à des chocs macroéconomiques[573]. Par ailleurs, les transferts auraient un effet positif sur la croissance économique à long terme : ils peuvent alléger les contraintes de crédit au niveau de la communauté réceptrice et aiguillonner l’activité entrepreneuriale (Funkhouser, 1992, Yang, 2004, Woodruff et Zenteno, 2004, in World Bank, 2006).

 

En outre, les transferts corrigent les imperfections du marché financier (Faini, 2002) et permettent aux ménages des migrants d’accumuler des avoirs et des capitaux (Stark et Lucas, 1988; Taylor, 1994, in World Bank, 2006). Cependant, de nombreuses études ont aussi démontré qu’il sera naïf d’attendre que les transferts peuvent résoudre des problèmes économiques et politiques de nature structurelle.

 

Par contre, les effets microéconomiques concernent principalement le soutien que les transferts d’argent apportent aux ménages par la réduction du manque de biens et/ou d’argent, et donc par la réduction d’une certaine forme de pauvreté.

 

Les transferts favorisent la consommation au niveau des ménages et renforcent le pouvoir d’achat de ces derniers ; ils permettent aux ménages de répondre positivement aux chocs (manque d’emploi, maladie, mauvaise récolte, etc.) et peuvent aider à constituer une petite épargne individuelle par un effet d’accumulation.

 

Enfin, les transferts peuvent participer au développement local par la mise en route des activités économiques rentables. En effet, ils mettent à la disposition des individus des microcapitaux de départ qui rendent possible l’investissement local après accumulation préalable. Cette assertion doit cependant être assortie d’une condition de faisabilité, à savoir la régularité et la constance des transferts ainsi que leur allocation optimale.

 

Dans la mesure où la triade consommation des ménages, épargne individuelle et investissement local dans des secteurs productifs permet d’induire le développement local, nous pouvons alors en déduire que les transferts favorisent à terme la croissance économique. D’ailleurs, dans son rapport annuel sur le développement humain, le PNUD (2009) reconnaît le rôle fondamental de la liberté incrustée dans la mobilité humaine internationale.

 

Partant du constat de l’existence d’un monde inégalitaire, ce rapport réaffirme que la mobilité humaine peut avoir des effets très positifs sur les revenus des migrants et de leurs familles, sur l’éducation ou sur la participation à la vie politique et sociale ; il brosse en outre les différents bénéfices de la migration tant pour les sociétés de départ que celles de destination, et étudie comment des politiques plus propices à la mobilité internationale peuvent stimuler le développement humain.

 

1.3. Contrastes des résultats des recherches empiriques

 

Selon certains auteurs, la migration découle d’une nécessité structurelle en réponse aux besoins du capital et du patronat (Castles et Kosack, 1972), ce qui permet d’expliquer plusieurs formes de migration, en particulier la migration d’individus moins qualifiés, la migration irrégulière et la migration temporaire dans des secteurs comme l’agriculture, la restauration et la construction.

 

A la suite de ces travaux, des études d’inspiration marxiste ont eu tendance à insister sur les effets négatifs de la migration. Cette perception négative a eu une influence sur certaines recherches sur la thématique migration et développement. C’est le cas des études sur les effets économiques de l’immigration (au niveau macro), indiquant des résultats pour le moins contradictoires et incertains (Héran, 2002, Piché 2013). Toutefois, on note que la limite la plus importante de ces travaux reste d’ordre méthodologique.

 

La plupart des chercheurs admettent que les techniques d’analyse existantes ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. Cela explique aussi la grande divergence dans les résultats, ceux-ci variant entre des effets positifs, négatifs ou indéterminés. Deux raisons principales permettent d’expliquer cela : d’abord, la limite méthodologique, du fait que le nombre de paramètres dont il faudrait tenir compte dans les modèles est considérable et défie toute tentative empirique ; ensuite, les études évaluatives considèrent le court terme alors que les pleins bénéfices ne se manifestent qu’à moyen et long terme (Goldin et al., 2011).

 

Concernant le transnationalisme, qui est souvent associé à une perception positive de la migration, plusieurs critiques ont tenté de relativiser l’engouement pour les capacités développementalistes des transferts monétaires, et du rôle du migrant comme agent de changement socioéconomique.

 

De nombreuses revues de la littérature portant sur les impacts des transferts monétaires suggèrent que les situations sont très hétérogènes et que les transferts monétaires ne peuvent, à eux seuls, avoir un impact significatif sur le développement économique d’une région ou d’un pays, à condition de mettre en place de réelles possibilités d’investissement dans les localités où vivent les ménages bénéficiaires des transferts (Skeldon, 2008 ; De Haas, 2010).

 

Quant à l’insertion socioprofessionnelle des immigrants, il sied de noter que des travaux plus récents ont tenté de remettre en question l’approche de « l’enclave ethnique ». Dans sa critique, Waldinger (1993) conclut que la notion d’enclave conduit à une impasse conceptuelle et empirique, et suggère d’abandonner ce concept au profit de celui d’économie ethnique.

 

Les débats suscités par les travaux de Portes concernent surtout les effets positifs ou négatifs de l’enclave du point de vue de l’insertion économique. A contrario des tenants de cette approche, plusieurs chercheurs ont remis en question le fait que l’enclave ethnique serait avantageuse pour les immigrants (Sanders et Nee, 1992).

 

Mais dans un texte publié en 2006, Portes et Shafer sont revenus sur ces critiques en concluant sur la validité de l’approche par l’enclave ethnique, qui, à notre avis, permet tout de même d’expliquer certains comportements observés dans le monde entrepreneurial des immigrants et sur le marché des natifs.

 

Enfin, dans une étude portant sur le rôle de la gouvernance dans la relation entre transferts de fonds et croissance économique dans les pays d’Afrique subsaharienne, Alban Alphonse Ahoure (2008) montre, à partir des données échantillonnées sur la période allant de 2002 à 2006, que ces transferts, l’une des retombées positives de la migration, voient leur impact annihilé lorsque dans le pays d’accueil, les conditions de bonne gouvernance (corruption, instabilité politique) ne sont pas remplies.

 

Section 4. MIGRATIONS TRANSFRONTALIERES ET COOPERATION  REGIONALE

 

Depuis la fin du 20ème siècle, le volume des migrations internationales a presque triplé. La plupart des régions du monde sont concernées par ces mouvements de population. Dans cette mouvance, les Etats-nations perdent généralement une partie de leur souveraineté nationale en libérant leurs frontières et en adhérant aux processus d’intégration régionale engagés dans plusieurs parties du monde ; intégration considérée comme une composante fondamentale des stratégies de développement.

 

En Afrique centrale, si ce processus est bien mené et effectif, on assistera à plusieurs situations avantageuses dans la région. Comme le souligne  Hugon (2001), la libre circulation des populations de part et d’autre des frontières permet de constituer de vastes marchés. Les pays peu peuplés ont ainsi la possibilité d’améliorer leurs capacités de négociation face aux grandes puissances. A cet égard, les effets d’apprentissage et les échanges économiques, culturels et politiques représentent un facteur de stabilité institutionnelle.

 

C’est dans ce contexte et pour cette raison que les dirigeants des pays africains se sont engagés au lendemain des indépendances dans le processus d’intégration régionale. Une des étapes nécessaire à sa réussite était la mise en œuvre effective du protocole sur la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.

 

Ainsi sous l’égide de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue plus tard de l’Union Africaine (UA), les dirigeants politiques africains se sont fixés entre autres objectifs l’accélération de l’intégration politique et socio-économique du continent. Cette tâche est confiée aux Communautés Economiques Régionales (CER) qui doivent notamment s’accorder sur un cadre continental de coordination, de convergence et de collaboration entre leurs Etats membres. Dans cette optique, les CER et la Commission de l’Union Africaine (CUA) ont pour rôle de mener à bien ce processus d’intégration régionale et continentale. Pour se faire, ils ont défini un « Programme Minimum d’Intégration (PMI) » dont les activités prioritaires retenues sont entre autres la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ; la paix et la sécurité ; les infrastructures et l’énergie ; etc. Ce programme est perçu comme un mécanisme de convergence entre les CER, un cadre dans lequel elles peuvent renforcer leur coopération et bénéficier des avantages comparatifs et des bonnes expériences de chacune d’elles dans le domaine de l’intégration (CUA, 2010).

 

Dès sa création en 1983, la CEEAC, comme toutes les autres CER, s’est engagée à mettre en œuvre le processus de la libre circulation des personnes. L’un des buts poursuivis par les Etats membres étant l’optimisation des bénéfices de la mobilité des personnes d’un pays à un autre ou dans les espaces transfrontaliers. Car, il est établi qu’une bonne gestion des flux migratoires pourrait constituer un catalyseur de l’intégration régionale.

 

Ainsi, le problème majeur est de savoir comment gérer ces mouvements de population dans la région CEEAC afin de faire de la migration un outil de renforcement de l’intégration régionale dans cet espace communautaire. Vue sous cet angle, la présente étude a pour objectifs d’identifier les problèmes relatifs à la gestion des migrations transfrontalières dans la région CEEAC en rapport avec les législations nationales et régionales en matière de migration ; de définir les enjeux et défis politiques liés à la gestion des dynamiques migratoires transfrontalières entre les pays membres de la CEEAC et en matière de coopération régionale ; d’identifier les mesures spécifiques à mettre en œuvre et de faire des recommandations pour une meilleure prise en compte des migrations transfrontalières dans les politiques régionales de gestion des migrations.

 

1. Approche méthodologique et cadre d’analyse

 

Plusieurs théories ont montré qu’il peut exister un lien positif entre la migration internationale et le développement. A la conférence internationale sur la population et le développement tenue au Caire en 1994, il est ressorti des conclusions que les migrations internationales ordonnées peuvent avoir des incidences favorables sur les collectivités d’origine à travers les transferts des fonds des émigrés et sur les collectivités d’accueil avec l’arrivée des ressources humaines et des compétences dont elles ont besoin (Nations Unies, 1994).

 

Ainsi, les flux migratoires biens ordonnés peuvent avoir des effets positifs tant pour le pays de départ que pour le pays d’accueil. Considéré dans un espace régional plus élargi, ces effets seront positifs pour l’ensemble de la région.

 

On peut constater aujourd’hui par exemple que les régions dans lesquelles les pays partageant les mêmes frontières, ont pris des initiatives multilatérales efficaces pour la gestion des flux migratoires dans leur espace régional sont celles où le processus d’intégration économique est le plus avancé (Pellerin, 2003).

 

L’Union Européenne (UE) est souvent cité comme un exemple de réussite de l’intégration régionale. En Afrique, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) bien que confrontée encore à des obstacles dans son implémentation est également souvent citée. C’est partant de ces exemples que s’est développée l’approche régionale de gestion des migrations internationales qui tire ses sources dans la tendance globale de l’économie à la régionalisation (Pellerin et Overbeek, 2001).

 

Cependant on constate que plusieurs pays refusent encore de libérer leurs frontières du fait des effets négatifs probables de cette ouverture des frontières (Nations Unies, 1994). On peut dès lors s’interroger sur les effets des interrelations ou des relations entre migration internationale et processus de l’intégration régionale qui suppose une libre circulation des populations entre les différents pays de l’espace régional. Plusieurs auteurs (Hass, 1958 ; Geddes, 2003 ; Callovi, 1992 ; Stetter, 2000 ; Mattli, 1999 ; Overbeek et Pellerin, 2001 ; Simmons, 1995 et 2002 ; Castles 2002 ; Pellerin, 2004), partant des modèles inspirés de l’intégration européenne, ont théorisé ces relations en élaborant plusieurs approches qu’il convient d’examiner.

 

1.1. L’approche néo-fonctionnaliste

 

S’inspirant du cas de l’Union Européenne, Hass (1958) montre que l’intégration économique a débuté par la création d’une union douanière et d’un marché commun ; et progressivement par « effet de débordement », par l’incorporation des politiques migratoires à la structure de l’Union. De ce point de vue, la régionalisation de la gestion migratoire serait donc la résultante de l’intégration préalable du marché commun. Pour Geddes (2003), les logiques économiques qui sous- tendent l’instauration de ce marché commun entre les Etats membres de l’Union constituent la principale motivation des politiques migratoires dans le processus de l’intégration économique.

 

Cette politique migratoire porte généralement sur la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union et est très souvent accompagnée de mesures supplémentaires pour le contrôle de ses frontières externes (Callovi, 1992).

 

1.2. L’approche intergouvernementale

 

Contrairement à l’approche néo-fonctionnaliste qui met un accent sur la cération d’une union douanière et d’un marché commun, Stetter (2000) met en avant la nature sélective de l’expansion des compétences supranationales au sein de l’Union. De ce fait, en dépit de la logique économique en faveur d’une liberté de circulation des personnes, les Etats membres de l’Union ont toujours tendance à résister à un transfert des compétences au niveau supranational. Il revient alors aux Etats membres de l’Union la décision du transfert de pouvoir à un niveau supranational.

1.3. L’approche basée sur une combinaison des facteurs institutionnels et économiques

 

Pour Mattli (1999), la réussite d’un processus d’intégration régionale doit avant tout être basée sur la combinaison des facteurs institutionnels et économiques. Cependant, il y a nécessité d’avoir un pays leader qui devra coordonner et jouer le rôle de médiateur afin d’assurer la réussite d’un tel processus.

 

Par ailleurs, un autre défi serait qu’il faudrait une forte pression du marché, et que la complémentarité des économies des pays membres et la taille élargie du marché laissent entrevoir un gain significatif d’un marché commun régional. Ce qui suppose une liberté de circulation totale pour les citoyens de la communauté.

 

 

1.4. La nécessité de l’interconnexion entre la gestion des migrations  et le processus de globalisation

 

Pour Overbeek et Pellerin (2001), la tendance à la régionalisation qui en fait est issue du processus de mondialisation créée et renforce un cadre de consolidation et de l’intensification des réseaux migratoires régionaux. Ce cadre sera également par ailleurs renforcé par une série de facteurs spécifiques à la migration tels que la proximité géographique, les affinités culturelles et les liens historiques entre les différents pays membres partageant les mêmes frontières.

 

Pour ces deux auteurs, cette tendance à la régionalisation contribuera à élargir et à redéfinir la fonction économique des frontières, et va de ce fait créer et renforcer la consolidation et l’intensification des réseaux migratoires régionaux ainsi que la convergence des intérêts économiques et sécuritaires dans la gestion migratoire. Ces faits ont été observés dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE).

 

Dans ces pays, on y a une tendance claire vers une convergence et une coopération croissante des politiques migratoires entre les Etats (Zolberg, 1993). Cette coopération régionale en matière de gestion des migrations a revêtu souvent deux aspects, soit la coopération technique en matière de contrôle et de restriction des migrations ; soit la promotion de mécanismes facilitant la mobilité de catégories spécifiques de migrants (Pellerin, 2004).

 

Cette approche théorique suggère donc que les évolutions actuelles de la migration et sa gestion doivent être analysées en tant que partie intégrante « d’un processus mondial de transformations économiques, culturelles et politiques » qu’est la globalisation (Simmons, 2002). Ce processus de globalisation aura pour effet la formation des blocs régionaux et la fragilisation de la capacité de l’Etat à gérer unilatéralement les migrations internationales (Castles, 2002) et de ce fait les migrations transfrontalières.

 

1.5. L’exemple de la CEDEAO

 

Parmi les huit CER que compte l’Afrique, la CEDEAO est souvent cité comme un bon exemple de réussite de l’intégration régionale. Dans cet espace communautaire, la promotion du lien entre migration et développement est souvent mise en avant par les Etats pour limiter l’émigration, même si l’hypothèse que le développement réduira l’émigration est fortement contestée par certaines études qui montrent que ce lien est complexe et même souvent positif.

 

La CEDEAO privilégie le contrôle et la restriction des migrations inte-rrégionales, notamment vers l’Europe au détriment de la consolidation de la liberté de circulation intra-régionale (Kabbanji, 2011). La CEDEAO tout comme l’Union Européenne met un accent particulier dans sa politique externe en matière d’immigration sur des mesures sécuritaires axées sur la coopération transfrontalière pour réduire l’immigration irrégulière.

 

Ainsi, la gestion des migrations telle que perçue dans la présente étude renvoie à la gestion des flux et des populations migrantes. Il s’agit d’un ensemble des documents politiques (déclarations, plans d’actions), des dispositions légales et des pratiques administratives élaborés en vue de contrôler la migration (Baldi et Cagiano de Azevedo, 2006). La gestion des flux migratoires renvoie à l’ensemble des mesures visant à réguler l’entrée, la circulation et la sortie des migrants du territoire national ou régional. Par contre, la gestion du stock de migrants renvoie à l’ensemble des mesures visant à réguler les conditions de résidence et d’établissement des migrants sur le territoire national ou régional. Il s’agit en fait des mesures à mettre en œuvre à travers les politiques migratoires pour la réussite du processus de l’intégration régionale, à savoir la régulation de la mobilité des personnes entre les pays et dans l’espace communautaire.

 

C’est ce cadre conceptuel qui sera utilisé dans cette étude. En effet, les Articles 4 et 40 du Traité et du Protocole instituant la CEEAC prévoient la libre circulation des personnes et le droit d’établissement, et établissent les cartes et les livrets de libre circulation dans cet espace communautaire pour certaines catégories de personnes. Le Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC), institution qui compte six Etats membres (le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, La Guinée Equatoriale et le Tchad) appartenant également à la CEEAC prévoie aussi la libre circulation des personnes et fixe les conditions de gestion et de délivrance du passeport de la CEMAC.

 

2. Etat des lieux de la migration transfrontalière dans la région CEEAC

 

Avant de faire un état des lieux de la migration transfrontalière dans la région CEEAC, il convient de faire un bref aperçu de la question des frontières dans cette région en rapport avec le phénomène migratoire.

 

2.1.  La question des frontières en Afrique centrale

 

La notion de frontière a un contenu pluridimensionnel. Il s’agit entre autres d’une ligne de discontinuité spatiale ou d’une zone qui s’étend des deux côtés d’une ligne de démarcation entre plusieurs territoires et, ou vivent des gens qui communiquent. Pour (Bibata, 2000), la frontière délimite une aire territoriale à l’intérieur de laquelle s’applique le droit positif de l’Etat. Elle joue un rôle de filtre en ce sens qu’elle a pour dessein de surveiller les hommes et les biens qui la franchissent par l’instauration des mesures d’exclusion et d’intersection.

 

En Afrique centrale, les frontières internationales sont le reflet d’une grille spatiale héritée des compétitions internationales. Si dans l’Afrique précoloniale, la notion de frontière n’existait presque pas, les colonisateurs ont brisé l’organisation spatiale antérieure en imposant des frontières arbitraires aux africains sans tenir compte des particularités socioculturelles et des disparités de ressources entre les territoires obstruant de ce fait la mobilité des populations. Cette instauration des frontières a créé de fortes inégalités entre les ressources matérielles et humaines de certains territoires aggravant de ce fait ces disparités, facteurs déterminants des migrations internationales (Bennafla, 1999).

 

Depuis le début des années 90, avec les tentatives de démocratisation observées dans plusieurs pays du continent ayant conduit ces pays a être plus prédisposés à adhérer aux initiatives communautaires, les frontières héritées de la colonisation semblent ne plus garantir la souveraineté nationale. En Afrique centrale, l’intégration régionale, étape préalable à l’Union africaine, est l’une des voies privilégiée devant garantir la stabilité et le développement de cette partie du continent. Cette intégration doit dépasser les limites territoriales et se traduire par une meilleure utilisation des ressources communes, par une extension des échanges commerciaux et par un accès des marchés plus vastes.

 

2.2. Sources de données

 

Les migrations transfrontalières sont encore très peu documentées dans la région CEEAC. Les quelques données qui sont disponibles pour ce qui est de la migration internationale sont très parcellaires et ne permettent pas toujours d’assurer la comparabilité entre les pays (Tabutin et Schoumaker, 2004). Les principales sources de données existantes sont la base de données des Nations Unies sur les migrations (2012) et celle de la Banque mondiale (2011). Ces données permettent d’avoir un aperçu des flux migratoires dans la région, ainsi que la variation de ces flux entre 1990 et 2010.

 

A noter que ces données sur le nombre de migrants sont obtenus à partir des estimations faites, sur la base des recensements nationaux des populations, soit à partir de l’effectif de la population née à l’étranger en prenant en compte les réfugiés, soit exclusivement à partir de l’effectif de la population née à l’étranger, ou alors exclusivement à partir de l’effectif des étrangers résidants dans le pays ou la région. Ce type de données semble peu utile à l’appréhension des migrations transfrontalières entre les Etats membres de la CEEAC. Mais à défaut de sources plus fiables, elles permettent de donner une indication sur les échanges migratoires intra-communautaires.

 

2.3.  La migration, un phénomène ancien en Afrique centrale

 

Le phénomène migratoire a été toujours partie intégrante de l’histoire de l’humanité. En Afrique, si l’on s’en tient à la période 1990-2010, des migrants résidants dans les 10 pays membres de la CEEAC a connu des variations importantes : estimé à près de 1 789 000 migrants en 1990, ce stock est passé à 1 469 000 en 2000, soit une baisse en valeur absolue de 320 000 du nombre de migrants ; ensuite, cet effectif a connu une nouvelle hausse puisqu’en 2010, on dénombre près de 1 676 000 migrants dans la région.

 

Durant la même période, l’effectif total de la population a nettement évolué passant de 75 606 000 habitants en 1990 à 130 446 000 habitants en 2010. La proportion de migrants parmi cette population a régulièrement baissé durant cette période passant de 2,4% en 1990 à 1,5% en 2000 et à 1,3% en 2010. Cette tendance globale à la baisse cache des disparités importantes suivant les pays.

 

2.4. L’importance de la migration intra régionale

 

En Afrique centrale, la migration intra régionale reste faible comparée aux migrations en direction des autres régions du continent. En effet en 1990, seulement 49,7% de migrants résidants dans cet espace communautaire étaient originaires d’un pays membre de la CEEAC. En 2010, cette proportion a considérablement baissé à 41,0%. Cette baisse peut être imputable à plusieurs facteurs : la recherche de nouvelles possibilités d’insertion ailleurs dans d’autres régions, l’instabilité politique que connaissent certains pays, les comportements xénophobes des populations observés dans certains pays, l’insécurité persistant observée au niveau de certaines frontières et le manque d’infrastructures routières.

 

L’analyse suivant le pays montre qu’entre 1990 et 2010, certains Etats abritent majoritairement des migrants originaires d’un autre pays de la CEEAC du fait entre autres de la proximité. C’est le cas de la RCA ou plus de 75% de migrants résidants dans ce pays sont originaires d’un pays de la CEEAC. C’est également le cas du Congo et dans une moindre mesure de la RDC. Par contre, la Guinée Equatoriale, le Burundi, le Cameroun et le Gabon abritent majoritairement des migrants originaires des pays non membres de la CEEAC.

 

2.5. Le poids des migrations transfrontalières dans les migrations intra régionales

 

Hormis Sao-Tomé et Principe qui a enregistré entre 2000 et 2010 une faible proportion de migrants en provenance d’un pays limitrophe notamment du fait probablement de son caractère insulaire, les migrations intra régionales dans la région CEEAC s’effectuent pour l’essentiel entre pays limitrophes.

 

Dans les autres pays de la région, la majorité des migrants de la région CEEAC enregistrés sont originaires d’un pays limitrophe. Ainsi, entre 1990 et 2010, tous les migrants originaires d’un pays membre de la CEEAC enregistrés au Cameroun, au Burundi et en RDC sont originaires d’un pays limitrophe. Pour les pays tels que l’Angola, la RCA, le Tchad et le Congo, la proportion de ces migrants originaires d’un pays limitrophe se situe au-delà de 70%. Si en 1990, la Guinée Equatoriale n’enregistrait que 41,4%, depuis 2000, tous les migrants originaires d’un pays membre de la CEEAC enregistrés dans ce pays sont originaires d’un pays limitrophe. A noter que ces dynamiques migratoires intra-régionaux sont fortement influencés par les flux de réfugiés qui fuient les conflits récurrents dans certains pays de la région.

 

2.6.  Des origines et des destinations diversifiées

 

Dans les différents pays membres de la CEEAC, les immigrés résidants dans les pays membres de la CEEAC proviennent d’origines diverses. Ils sont soit originaires d’un pays limitrophe et membre de la CEEAC, soit d’un pays non limitrophe et membre de la CEEAC, soit d’un pays limitrophe et non membre de la CEEAC. Ils viennent également des pays membres d’une autre Communauté Economique Régionale (CER) autre que la CEEAC à laquelle adhère leur pays d’origine.

 

Pour ce qui est des principales destinations des émigrés originaires des pays membres de la CEEAC, il est démontré qu’en plus du choix porté sur les pays occidentaux, les pays limitrophes à leur pays d’origine sont également les destinations privilégiées de ces derniers.

 

2.7. Une région caractérisée par d’importants flux de réfugiés

 

L’Afrique centrale se distingue des autres régions du continent par d’importants flux de réfugiés. En 2010, leur nombre était estimé à 628 000 personnes. En dehors de Sao-Tomé et Principe et de la Guinée Equatoriale qui n’abritent presque pas cette catégorie de personnes, tous les autres pays membres de la CEEAC sont affectés par ces déplacements forcés de populations.

 

Dans les pays comme le Tchad, la RDC, le Burundi et le Congo, ces flux de réfugiés se sont amplifiés avec les crises et les conflits politiques et ethniques auxquels la région est confrontée depuis les indépendances. On peut citer entre autres le génocide rwandais de 1994, la guerre civile au Burundi, la désintégration de l’autorité de l’Etat en RDC suivi des incursions intermittentes de la rébellion armée à l’Est du pays, et les troubles politiques répétitifs en RCA. Ces migrants forcés, en fuyant les conflits récurrents dans la région, s’établissement dans les pays limitrophes et dans la plupart des cas en zone frontalière. Ce qui constitue une autre donne de l’importance de la migration transfrontalière et la nécessité d’élaborer des outils de gestion des espaces frontaliers en Afrique centrale.

 

2.8. Les facteurs socio-économiques incitatifs

 

Les importants gisements miniers et pétroliers que regorgent la région CEEAC et le boom économique qu’ont connu certains pays de cette région ont été les facteurs attractifs pour les migrants internationaux (Lututala, 2006).

 

Selon cet auteur, l’axe RDC-Congo-Gabon-Guinée Equatoriale est l’une des zones privilégiées par les travailleurs migrants. Pour pallier à l’absence ou à l’insuffisance des compétences dans certains secteurs de l’économie, les pays faiblement peuplés comme le Gabon, la Guinée Equatoriale et Sao-Tomé-Et-Principe ont intégré la migration des travailleurs migrants dans leur stratégie de développement économique (Observatoire ACP, 2011).

 

Ceux ouverts à la mer et pourvus de beaucoup de ressources naturelles comme le Cameroun, le Congo, le Gabon et la Guinée Equatoriale accueillent aussi des flux de migrants à la recherche d’un travail. Par ailleurs, les pays de la région ayant un indice de développement humain (IDH) élevé tels que le Gabon et la Guinée Equatoriale (PNUD, 2013) sont également les plus attractifs. En revanche, les pays enclavés et en retard de croissance économique par rapport aux autres pays de la région comme le Tchad et la RCA sont moins attractifs pour les travailleurs migrants et accueille de ce fait moins de migrants de ce type.

 

3. Politiques migratoires et processus d’intégration régionale dans la zone CEEAC

 

3.1. Les instruments juridiques de la CEEAC : le protocole relatif à la libre circulation et au droit d’établissement des ressortissants des pays membres de la CEEAC

 

La liberté de circuler dans un pays est un droit humain fondamental reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 adoptée par les Nations Unies et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnue comme étant « la libre circulation ». Cependant, les Etats ont toutes les prérogatives de sélectionner des personnes qui entrent dans leur territoire. S’inspirant de ce principe, les pays membres de la CEEAC ont signé plusieurs accords bilatéraux et multilatéraux relatifs aux questions de liberté de circulation des personnes, de droit de résidence et d’établissement, notamment au niveau communautaire.

 

Le principal protocole adopté en 1983 lors de la création de la CEEAC est relatif à la libre circulation et au droit d’établissement des ressortissants des Etats membres. Ce Protocole stipule que les « ressortissants d’un État membre ont le droit d’entrer librement sur le territoire d’un autre Etat membre, d’y voyager, d’y établir leur lieu de résidence et d’en sortir à tout moment.

 

En outre, les ressortissants d’un Etat membre de la Communauté qui voyagent, séjournent où sont établis dans un autre Etat membre jouissent des mêmes droits et libertés, exception faite des droits politiques. Le Protocole précise également les documents de voyage ayant validité à l’intérieur de la Communauté tel que la carte d’identité nationale, le laissez-passer, le passeport et le carnet sanitaire international ».

 

Dans ce protocole, plusieurs articles définissent les droits relatifs à la circulation et aux mouvements des citoyens membres de la communauté. Il s’agit entre autres :

-    des Articles 4 et 40 du Traité qui disposent du droit des ressortissants de la CEEAC de circuler et de séjourner librement dans n’importe quel Etat membre de la CEEAC ;

-    de l’Article 2 qui précise la définition et les conditions d’adhésion à la CEEAC en ce qui concerne le mouvement, l’entrée/sortie et le séjour des ressortissants ainsi que d’autres catégories de personnes ;

-    de l’Article 3 sur la libre circulation des travailleurs ;

-    d e la Décision n°03/CHSG/VI/90 relative à la libre circulation de certaines catégories de ressortissants au sein de la CEEAC ;

-    de la Décision relative à la libre circulation de certaines catégories de ressortissants des Etats membres à l’intérieur de la CEEAC adoptée en janvier 1990 et amandée en juin 2002 par les Décisions n°1/CEEAC/CCGE/X/02 et n°2/ CEEAC/CCGE/X/02 du 17 juin 2002. Décisions devenues effectives après la signature solennelle de la Convention de Coopération et d’entraide judiciaire lors de la 12ème conférence des chefs d’Etats et de Gouvernement de mars 2005.

 

Cette disposition relative à la libre circulation des personnes devrait entrer en vigueur 4 ans après sa signature. Les dispositions relatives au droit d’établissement devraient également entrer en vigueur huit ans après leur signature. Ce qui semble n’avoir pas été le cas du fait notamment de la réticence certains des Etats membres dans la mise en œuvre effective de ce processus.

 

3.2. Réticences des Etats membres dans la mise en œuvre des instruments juridiques

 

Durant la période transitoire qui a été accordée aux différents pays membres pour la mise en œuvre effective du protocole de la libre circulation des personnes dans l’espace communautaire et des dispositions relatives au droit d’établissement, il a été recommandé à chaque Etat d’éliminer progressivement tous les obstacles pouvant entraver ce processus, de coordonner et d’harmoniser leurs législations sociales et commerciales en vue de mettre en œuvre des politiques communes dans ces domaines et de faciliter aux personnes l’accès et le libre exercice des activités professionnelles. Cette échéance a été repoussée à plusieurs reprises et on peut noter que près de 30 ans après la signature des textes fondateurs, plusieurs pays, comme par exemple l’Angola, le Gabon, la Guinée Equatoriale, et Sao-Tomé et Principe continuent d’exiger un visa pour les citoyens des autres Etats membres.

 

Certains pays ont instauré des contrôles intensifs à leurs frontières internes dans le but de limiter au maximum les déplacements des ressortissants communautaires. Or, l’un des objectifs majeurs assigné à ce regroupement d’Etats souverains qu’est la CEEAC, s’il faut le rappeler, est la création d’un espace intégré se traduisant entre autres par la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Cette rhétorique intégrationniste est généralement évoquée durant toutes les rencontres des Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres de cette institution. Cependant, dans plusieurs pays, l’application des politiques discriminatoires entravent encore la libre circulation des personnes ainsi que leurs droits de résidence et d’établissement.

 

3.3. Des difficultés dans la mise en œuvre des instruments juridiques

 

Plusieurs difficultés sont souvent soulignées pour justifier la réticence des Etats membres à appliquer le protocole sur la libre circulation des personnes dans l’espace communautaire. La principale difficulté est d’ordre sécuritaire notamment dans les zones frontières. La peur de voir se rompre les équilibres ethno démographiques du fait des remembrements qu’occasionnerait l’effacement des frontières nationales (Schulders, 1990) est également souvent citée.

 

Ainsi, le Gabon où la stabilité repose depuis toujours sur le respect des équilibres ethno-régionaux (Ogoula, 1998) semble par exemple voir dans l’immigration d’origine sous-régionale une source potentielle de déstabilisation de son corps social.Par ailleurs, la Guinée Equatoriale et le Gabon hésitent à ouvrir leurs frontières aux flux migratoires étrangers, qu’ils soient intracommunautaires ou non du fait des constructions imaginaires plus ou moins entretenues par les pouvoirs politiques locaux (Loungou, 2010). Cet auteur relève également l’attitude ouvertement xénophobe des populations de ces pays à l’égard des populations de la région et qui résulterait de la peur de l’invasion démographique.

 

Les contraintes sur les dynamiques transfrontalières observées dans la région découlent aussi d’un besoin de construction et de préservation des identités nationales. Les Etats membres conçoivent leurs limites territoriales pour la plupart héritées de la colonisation, comme des cadres spatiaux ayant vocation à formater et à protéger les consciences nationales (Rétaillé, 1991).

 

Une autre difficulté non moins importante est l’adhésion des Etats membres de la CEEAC aux processus d’intégration parallèles dans la région. Le tableau 6 ci-dessus montre que chacun des 10 pays membres de la CEEAC est au moins membre d’une CER reconnu par l’UA ou d’une autre communauté régionale autre que la CEEAC. Les pays comme le Burundi, la RDC et la RCA sont membres d’au moins trois communautés y compris la CEEAC. Ces pays en raison des adhésions multiples éprouvent des difficultés à s’acquitter de leurs obligations financières ou alors entravent la mise en œuvre des programmes.

 

3.4. Des migrants en situation irrégulière de part et d’autre des frontières

 

Les entraves à la libre circulation des personnes ou sa mise en œuvre partielle ont pour conséquence entre autres l’accroissement des migrations transfrontalières irrégulières dans la région. Jordan et Duvelle (2002) définissent cette migration irrégulière comme la traversée des frontières sans autorisation ou la violation des lois applicables à l’entrée et au séjour dans un pays. Il s’agit des personnes migrantes qui excèdent la durée de séjour qui leur était légalement accordée ou les personnes migrantes qui travaillent dans le pays d’accueil sans autorisation légale de le faire. La frontière entre ce type de migration et la migration régulière n’est pas toujours nette.

 

La plupart des migrants devenue à un moment donnée clandestins entre dans le pays de destination de façon légale, puis y reste à l’expiration de leur visa et devienne de ce fait irrégulier. Certains y entrent et y résident de façon irrégulière et obtiennent par la suite un droit de séjour légal en trouvant par exemple un travail ou en régularisant leur situation (De Haas, 2007).

 

Cette forme de migration est très difficile à quantifier. Les pays membres de la CEEAC ne disposent pas d’administrations et d’outils fiables pour quantifier ce phénomène. Par ailleurs, sa nature illégale représente la plus grosse difficulté pour sa saisie.

 

Ce phénomène de migrants en situation irrégulière est souvent qualifié par les autorités angolaises « d’invasion silencieuse qui menace l’ordre publique et la sécurité nationale » (Human Rights Watch, 2012). Il est reconnu qu’en Afrique centrale, la plupart des frontières sont poreuses et très perméables. De même, les insuffisances observées dans la régulation gouvernementale sur le trafic transfrontalier conduisent très souvent les populations à éviter les postes frontières officiels en empruntant des sentiers de brousse.

 

Face à ce phénomène, les pays comme l’Angola, le Gabon et la Guinée Equatoriale ont opté pour des expulsions de ces migrants en situation irrégulière hors de leurs frontières. On peut citer entre autres les expulsions des travailleurs ressortissants de la RDC par l’Angola (Human Rights Watch, 2012) ; et durant la dernière décénie, les expulsions répétitifs des travailleurs ressortissants du Cameroun et du Gabon par la Guinée Equatoriale, les expulsions des travailleurs ressortissants du Cameroun par le Gabon.

 

Les communautés frontalières se retrouvant entre plusieurs pays partageant généralement les mêmes coutumes et la même langue ont conservé le reflexe des échanges entre eux. C’est le cas par exemple des Haoussa qui se retrouvent au Nord du Cameroun et au Sud du Tchad ; ou des Fang qu’on retrouve au Sud du Cameroun, au Gabon et en Guinée Equatoriale.

 

3.5. Des réponses institutionnelles

 

Pour faire face aux difficultés relatives à la mise en œuvre effective du protocole de libre circulation des personnes, les Etats membres ont adopté en 2006 une convention en matière de coopération et d’entraide judiciaire. Dans le même sens, en 2009, lors de la 15ème Session Ordinaire, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont instruit les services d’immigration des Etats membres à appliquer les Décisions en matière de libre circulation, et d’accorder aux ressortissants de ces Etats un traitement non moins favorable que celui accordé aux ressortissants d’Etats tiers au titre de préférences convenues dans le cadre d’autres CER. Le Secrétariat Général a reçu le mandat de suivre l’exécution de ces mesures et d’évaluer les pratiques adoptées par chaque Etat.

 

En janvier 2012 lors de la 15ème session ordinaire tenu à N’Djamena, les Etats membres ont été à nouveau invités à ratifier les dits instruments notamment en :

 

-    délivrant effectivement les cartes de circulation et les carnets de libre circulation aux personnes vivant dans les zones frontières ;

-    systématisant la création de couloirs d’entrée « CEEAC » aux postes frontières et à assurer leur bon fonctionnement ;

-    signant l’accord de coopération en matière de police criminelle et la Convention CEEAC en matière de coopération et d’entraide judiciaire ;

-    informant les autres États membres et le Secrétariat Général des dispositions juridiques et réglementaires en vigueur aux postes frontières officiels nationaux.

3.6. Des initiatives d’activités et de coopération transfrontalières entre les Etats membres

 

Au niveau bilatéral, des initiatives d’activité et de coopération transfrontalières sont parfois prises par des Etats afin d’encadrer les mobilités transfrontalières. Ces accords visent à fluidifier la circulation de la migration de travail dans des conditions où sont à la fois impliquées les autorités d’origine et les autorités gabonaises.

 

Entre le Cameroun, la RCA, le Congo et le Tchad, le protocole de libre circulation des personnes est effectif. Mais cette effectivité semble résulter plutôt de l’application de la même disposition prévue dans le cadre de la CEMAC. Cette institution, est plus petite et plus homogène et les 6 Etats membres qui le composent se partagent une devise et une langue communes.

 

Il faut mentionner l’émergence des zones transfrontalières animées par des flux commerciaux et organisées autour de villages ou ville-marché. C’est par exemple le cas du marché de Mbaiboum, lieu de rencontre des commerçants centrafricains, tchadiens et camerounais ou du marché de KyeOssi qui dessert les populations du Cameroun, du Gabon et de la Guinée Equatoriale. Le développement du port fluvial entre le Congo et la RDC facilite également la mobilité des commerçants des deux pays. De même, le Rwanda a entrepris de valoriser sa centralité au cœur des grands lacs, en dotant la ville frontière de Cyangugu d’équipements lui permettant de remplir une fonction de relais pour tous les courants d’échanges entre l’Est du Congo et l’Océan Indien.

 

Cependant, ces différentes initiatives sont confrontées à un certain nombre de problèmes et d’entraves qu’il convient de souligner. A titre illustratif, une étude réalisée par Titeca et Kimanuka (2012) a montré que le commerce transfrontalier dans la région des Grands Lacs (RDC, Burundi et Rwanda) est miné par des lourdeurs administratives, le manque de coordination entre les agents de l’Etat de part et d’autre des frontières. Cette étude révèle également que les installations inadéquates pour les agents de l’Etat au niveau de ces postes frontières expliqueraient en partie le phénomène de corruption et de violence dont sont victime ces commerçants transfrontaliers.

 

4. Enjeux et défis de la gestion des migrations transfrontalières dans la région

 

Il ressort des analyses précédentes que les mouvements transfrontaliers de personnes sont un phénomène très complexe et difficile à gérer notamment dans un contexte de discrimination et de xénophobie à l’égard de « l’étranger » et d’insécurité. Ceci dans un environnement caractérisé par la non application des instruments juridiques communautaires.

 

4.1. Enjeux de la gestion des migrations transfrontalières dans la région CEEAC

 

La frontière est source d’émulation et de mise en valeur des potentialités locales en vue d’échange avec l’autre. Bennafla (1999) en étudiant le rôle commercial des zones frontières et des marchés frontaliers montre que les frontières et leurs créations sont enracinées dans les réalités sociales. Pour cette géographe, si ces espaces sont des lieux d’échanges, ils ne sont pas abandonnés par les Etats et ne constituent pas non plus des fabrications autonomes. De ce fait, les migrations si elles sont effectuées au sein d’un espace communautaire intégré, ne doivent pas être considérées comme des fuites de cerveaux, mais doivent être considérées comme résultant des stratégies raisonnées en fonction des opportunités économiques.

 

L’intérêt porté sur les flux transfrontaliers est motivé par le fait que les frontières, structures spatiales correspondent à une limite de souveraineté nationale. Par frontière, on entend aussi les lieux d’entrée et de sortie de territoire ou s’exercent les fonctions régaliennes de l’Etat. Les fonctions frontalières sont principalement d’ordre légal, fiscal, militaire, de surveillance et de contrôle (Rosière, 2006).

 

Dans le contexte de mondialisation et d’intégration, les frontières auraient changé de fonction. Autrefois, des barrières, les frontières exerceraient aujourd’hui des fonctions de trait d’union, au point de devenir la base de constructions régionales originales (Renard, 1997).

 

Dans la région CEEAC, les relations entre les populations au travers des frontières existent depuis leur création du fait des liens familiaux, amicaux, économiques et culturels entre ces populations vivant de part et d’autre de la frontière. Dans cette région, les zones frontalières constituent des espaces de vie dont les spécificités ne doivent pas être oubliées des politiques publiques menée au niveau régional, national et local.

 

Dans cette perspective, les enjeux de la coopération transfrontalière dans cette partie du continent africain revêtent une importance toute particulière. Elle constitue à la fois un vecteur de paix, de stabilisation des zones frontalières et est considérée comme un facteur de développement économique et social. Si le processus est bien mené, cette coopération aboutira à terme à une intégration économique et politique effective de l’ensemble des pays de la région. Cet objectif est loin d’être atteint.

 

Pourtant, dès leur accession à la souveraineté nationale, les Etats de l’Afrique centrale ont engagé des politiques communes afin de gérer les effets-barrières découlant des frontières tracées lors de l’époque coloniale. A cet effet, ils se sont dotés de cadres de concertation pour la réalisation des objectifs communs de développement basés sur une solidarité entre les Etats. C’est d’ailleurs dans ce contexte s’il faut le rappeler que l’Union africaine et la CEEAC ont été créées.

 

L’enjeu était bien de passer des zones d’affrontements à des zones d’échanges. Cet enjeu n’est pas aujourd’hui atteint. L’intégration dans la région CEEAC doit avant tout passer par une forte intégration des territoires, des politiques et des économies aux frontières. Or, un état des lieux réalisé en 2008, sur un échantillon des frontières des pays membres de la CEEAC a permis de faire un certain nombre de constats susceptibles d’entraver tout le processus d’intégration de la région qu’il convient de relever. Il s’agit entre autres : de la mauvaise définition et délimitation des frontières, de l’insécurité persistante dans certaines frontières, du déficit des infrastructures et des services de coopération transfrontalière, et du déficit des infrastructures et des services de gestion des frontières.

 

Face à cette situation et dans l’optique de consolider l’intégration régionale, plusieurs programmes ont été mis en œuvre afin de gérer efficacement les zones frontières. Il s’agit entre autres :

 

-    du Programme Indicatif Régional (PIR) du 9ème Fonds Européen de Développement (FED) qui a identifié la prévention des conflits comme un axe prioritaire d’intervention ;

-    du Programme d’Appui aux actions de la CEEAC en matière de Paix et de Sécurité (PAPS) dont l’objectif global est de réduire les conflits et l’insécurité dans la région ;

-    du Programme Frontières qui s’inscrit dans le cadre plus large du Programme Frontière de l’Union Africaine et qui appuie les capacités de la CEEAC dans les domaines de la matérialisation et de la démarcation des frontières, ainsi que celles de leur gestion et leur sécurisation. Il met par ailleurs l’accent sur la prévention de l’insécurité transfrontalière et aide à vulgariser les dispositions applicables à la circulation transfrontalière des biens et des personnes ;

-    de la Facilité Intra ACP pour les Migrations qui en fait vient renforcer les capacités institutionnelles et techniques de la CEEAC pour intégrer la migration dans les stratégies de développement.

 

4.2. Défis de la gestion des migrations transfrontalières dans la région

 

La mise en œuvre des protocoles et accords sur la libre circulation des personnes devant contribuer à réguler et à faciliter les migrations transfrontalières entre les Etats membres continuent d’être confrontées à un certain nombre de défis parmi lesquels les défis sécuritaires. Car l’insécurité continue à sévir dans certaines zones frontalières de la région du fait des troubles politiques et ethniques qu’ont connu et que connaissent certains pays.

 

Un autre défi majeur à relever est l’harmonisation des législations nationales par les Etats membres de la CEEAC en vue de mettre en œuvre des politiques communes pour la gestion des flux transfrontaliers. Enfin le défi social afin d’enrayer les comportements xénophobes dont font montre certaines communautés dans certains pays. Pour ce faire, il faudrait intégrer les populations dans le processus de prise de décision en mettant en place par exemple des mécanismes de sensibilisation de ces populations. Car, il est reproché au processus d’intégration de la CEEAC tel que conçu d’être trop politique.

 

Sur le plan économique, le défi majeur à relever pour l’intégration économique est celui de la convergence macro- économique entre les différents Etats (Jian Zhang, 2012). A cet effet, l’existence d’un marché commun est une étape majeure pour relever ce défi. L’existence réelle de ce marché commun passe par la levée de tous les obstacles à la mobilité entre autres des personnes entre les différents Etats membres. Avec la liberté totale de mobilité y compris des travailleurs au sein de l’espace communautaire associé à la mobilité des capitaux, il y aura une allocation des ressources plus efficientes dans cet espace communautaire.

 

On ne peut nier les interrelations qui pourraient exister entre la gestion des migrations transfrontalières et le processus de l’intégration régionale. Dans le cas de la CEEAC, il était question dans la présente étude d’examiner tous les aspects liés à la gestion des espaces transfrontaliers afin de faire des recommandations pertinentes allant dans le sens de l’optimisation des bénéfices de la migration pour le développement de la région.

 

Après analyse, il est ressorti que dans la région CEEAC, la gestion des migrations transfrontalières est confrontée à un certain nombre de problèmes du fait entre autres de l’absence de mise en œuvre effective du protocole relatif à la libre circulation des personnes dans cet espace communautaire. En effet, depuis près de 30 ans, la recommandation faites aux Etats membres et portant sur l’harmonisation des législations nationales afin de les arrimer aux préoccupations communautaires et textes juridiques encadrant la CEEAC n’est pas atteint.

 

Chaque pays définit sa politique migratoire nationale sans tenir compte des préoccupations communautaires. La plupart des pays privilégient les accords bilatéraux pour gérer les mouvements de population au niveau de leurs frontières, sans tenir compte de l’intérêt des dispositions prévus par la CEEAC en la matière. Un autre problème majeur qu’il convient de noter est que le processus de l’intégration régionale tel qu’il est mené dans la zone CEEAC est très politique et n’intègre pas toujours les préoccupations des populations à la base. C’est la raison pour laquelle les comportements xénophobes sont parfois observés dans certains pays du fait de la méconnaissance des textes encadrant les migrations transfrontalières par les populations.

Si l’accent est généralement mis sur les migrants de travail, l’importance des refugiés du fait des troubles politiques et ethniques que connait la région mérite une attention particulière. En effet, la gestion de ce type de mouvements des populations est parfois problématique du fait de l’absence des textes spécifiques encadrant leur gestion dans le pays d’accueil.

 

Faire de la migration un facteur d’intégration dans la région CEEAC n’est pas chose facile. Premièrement les Etats membres doivent d’abord relever le défi sécuritaire. Car l’insécurité continue à sévir dans certaines zones frontalières. Ensuite, il faut harmoniser les législations nationales des Etats membres de la CEEAC en vue de mettre en œuvre des politiques communes pour la gestion des flux migratoires transfrontaliers. Par ailleurs, il faut éduquer les populations afin d’enrayer les comportements xénophobes dont font montre certaines communautés dans certains pays. Dans cette perspective, le rôle de la société civile sera primordial. Enfin le défi lié à la convergence macro-économique entre les différents Etats doit être relevé en facilitant ou en accélérant la création d’un marché commun dans la région.

 

Pour relever ces défis, un certain nombre de mesures spécifiques doivent être mises en œuvre tant au niveau des Etats membres que de l’institution CEEAC. D’abord au niveau des Etats membres de la CEEAC, il faudrait mettre en place un système d’observation des flux migratoires au niveau des zones frontières. Un tel système devrait se faire au niveau des postes frontières de chaque pays pour aider à la prise de décision.

 

Une fiche de collecte de données contenant un minimum d’information sur le migrant devrait être conçue à cet effet. Ensuite, il faudrait harmoniser les législations nationales afin de les arrimer aux instruments et textes juridiques encadrant les migrations dans la CEEAC avec un accent particulier sur les législations du travail, tout en identifiant les priorités indiquées par les acteurs locaux afin de réaliser des projets transfrontaliers concrets, par la mise en place par exemple de marchés transfrontaliers, de postes de santé communs et d’écoles, sans oublier le développement d’activités de micro crédit. On pourrait également développer des projets d’accueil, d’orientation et d’accompagnement des migrants transfrontaliers.

 

De ce point de vue, il faudrait impliquer les populations dans ce processus en mettant en place des mécanismes de sensibilisation dans les espaces transfrontaliers. L’apport de la société civile serra d’une grande importance dans cette sensibilisation qui permettra aux populations d’avoir une meilleure connaissance des textes qui encadrent les migrations transfrontalières.

 

Au niveau régional , il serait judicieux de concevoir un système de collecte et de gestion de données/informations sur les migrations transfrontalières dans la région. Il s’agirait ici de compiler les données collectées au niveau des postes frontières de chaque pays membres, en vue de la création d’une base de données pour l’aide à la prise de décision.

 

Les tracasseries routières, les politiques répressives et les abus des agents de l’Etat au niveau des zones frontières pour les citoyens de la communauté devraient également être ciblées par les politiques régionales au sein de la Communauté. Ces tracasseries seraient l’une des causes de la migration irrégulière, et l’une des mesures à prendre à cet effet est le renforcement régulier des capacités du personnel des postes frontières.

 

Par ailleurs, la    CIRGL devrait concevoir des mécanismes de prévention de la criminalité dans les espaces frontaliers. Dans ce sens, les Etats membres pourraient adopter des politiques de coopération appropriées pour la gestion de leurs frontières afin d’assurer la sécurité dans les espaces frontaliers. Car la sécurité et la stabilisation des zones frontières sont considérées comme un facteur de développement économique et social et à terme comme un outil d’intégration économique et politique de la région. C’est d’ailleurs dans ce sens que le Programme frontière a été créé.

 

La création d’un cadre contraignant pour obliger les Etats membres de la CEEAC à appliquer et à mettre en œuvre les instruments et les textes juridiques encadrant la migration transfrontalière est aussi souhaitable. Il faudrait dans ce cas élaborer une législation d’actions frontalières et constituer des unités transfrontalières dans les pays où elles n’existent pas. Une telle action faciliterait la coopération en vue de réduire les migrations irrégulières : des politiques de plus en plus restrictives de contrôles aux frontières entraînent davantage de migration irrégulière qui, à son tour, accroît la pression visant à faire adopter des politiques encore plus strictes s’éloignant de ce fait de l’idéal de la libre circulation des personnes. Il convient donc d’assouplir ces politiques.

 

Dans le même ordre d’idées, la coopération transfrontalière en matière judiciaire et policière contre la traite des êtres humains est fortement suggérée. Cela passe par la coordination des actions des forces de sécurité des pays membres, en établissant notamment une organisation transfrontalière avec des groupes de travail institutionnels et opérationnels au sein de la CEEAC et de ses pays membres afin d’obtenir un maximum de coordination en matière de traite des êtres humains.

 

En outre, les pays membres de la CEEAC doivent accélérer la libre circulation des marchandises et des facteurs de production que sont le capital et la force de travail (main d’œuvre) au sein de l’espace communautaire. Des accords bilatéraux entre pays limitrophes pourraient également être envisagés afin d’accélérer ce processus. Ces mesures si elles sont effectivement mises en œuvre pourraient contribuer à mieux gérer les migrations transfrontalières, et à terme, renforcer l’intégration économique et politique de la région.

 

Section 5. RECHERCHE ET GESTION DES DONNEES  MIGRATOIRES

 

La mobilité humaine est un marqueur important dans la vie des Etats, en particulier dans cette ère de la mondialisation. Au sein ou entre les Etats, les migrations internes et internationales sont des signes de transactions à travers lesquels les populations entendent négocier les termes de leur vie.

 

En Afrique centrale, les migrations prennent une ampleur importante notamment en raison de la précarité sociale et économique des populations, des conflits récurrents, mais aussi des opportunités de travail dans certains pays de la région. Cependant, l’ampleur de ces migrations n’est pas particulièrement large (comparé aux autres régions) selon les données officielles au moins, et cet argumentaire néglige le fait que la précarité peut justement prévenir la migration – surtout internationale.

 

Toutefois, l’augmentation du potentiel migratoire s’inscrit dans un contexte économique, politique et social en pleine mutation. Mais les flux migratoires entrainent des réactions de la part de certains Etats d’accueil qui se ferment, parfois expulsent et durcissent les lois concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

 

Comme le note bien à ce propos Babacar Ndione : « Dans un tel contexte, les réseaux migratoires se développent et participent au renforcement des systèmes migratoires et à la diversification des espaces migratoires et des territoires circulatoires. S’érigeant en stratégies de contournement des politiques migratoires (restrictives), ces réseaux favorisent la migration clandestine et augmentent le nombre de migrants illégaux, en situation irrégulière, en asile politique, en plus des réfugiés et des migrants régulièrement établis »[574].

 

En fait, les populations africaines migrent davantage au sein du continent, ceci donnant lieu à une augmentation de la circulation migratoire et à une recomposition des espaces de migration. Selon certains auteurs, on reconnait un changement important dans l’origine géographique et la nature des flux migratoires, ainsi que l’apparition de nouvelles modalités de circulation qui rendent plus difficile la distinction entre pays de départ, de transit et de destination, ces paramètres évoluant constamment au gré des circonstances (Ndione, 2012 ; Ndione et Pabanel, 2007).

 

Quelles que soient leur ampleur et leur direction, les migrations intra-africaines prennent souvent la forme irrégulière. Mais peu d’études mettent en évidence cette réalité. Ainsi, il est difficile d’apprécier correctement toutes les configurations/mutations en perpétuelle évolution dans ce domaine à cause notamment du déficit des sources statistiques fiables.

 

A cet égard, la place et l’importance de l’information comme source essentielle pour les gouvernements qui souhaitent se doter d’une politique migratoire ressortent comme une donnée incontournable. Sans données fiables, il est difficile d’avoir une connaissance précise de cette réalité et par ricochet, de prendre des décisions éclairées.

 

Face au défi de la rareté des données statistiques, on peut louer certains efforts consentis ces dernières années dans le domaine des migrations en Afrique centrale. Le soutien financier de l’Union européenne (UE) a conduit à l’élaboration de deux profils migratoires nationaux, un pour le Cameroun[575] et un autre pour la République Démocratique du Congo[576], tandis qu’un profil migratoire régional a été réalisé en 2007 pour la Communauté Économique et Monétaire de l´Afrique Central (CEMAC)[577].

 

L’objectif essentiel de ces profils migratoires était de fournir aux décideurs de la sous-région des informations sur les enjeux économiques et sociaux des migrations, les différents profils des migrants (réguliers, demandeurs d’asile, refugiés, clandestins), et les politiques, stratégies et programmes définis ou à définir, mis en œuvre ou à mettre en œuvre, pour renforcer les liens entre la migration et le développement.

 

Ces profils migratoires ont permis de renforcer l’évidence manifeste de l’indisponibilité des données migratoires à jour et la nécessité de planifier une politique de collecte et de gestion de telles données. Ce problème se pose avec acuité au niveau de chaque pays de la région, d’où la nécessité d’un travail de coordination et d’harmonisation au niveau régional.

 

Dans l’ensemble, les efforts des Etats membres de la CEEAC sont bien timides en matière de collecte et de mise en place de bases de données sur les migrations internationales, qu’elles soient intra-régionales ou extra-communautaires.

 

Ce texte part du constat de la volonté de la CEEAC de formuler des politiques globales et concertées pour maximiser les bénéfices de la migration pour le développement durable. Il s’agit d’intégrer les questions de migration dans les politiques de développement permettant de (i) analyser les données disponibles en faisant l’état des lieux de la recherche, de la production et du traitement des données migratoires ; (ii) cerner les problèmes de recherche et de gestion des données migratoires ainsi que les défis à relever en matière d’échange et de partage d’informations en vue de la prise de décision pour la CEEAC et les gouvernements des pays membres ; (iii) identifier les lacunes dans la recherche et la diffusion de données, ainsi que les insuffisances en matière de collecte, d’analyse et de partage d’informations de manière à améliorer les données migratoires et combler le déficit en données qualitatives et quantitatives au niveau national et régional de la CEEAC. Ce travail est essentiellement basé sur la recherche documentaire.

 

Nous partons de l’état des lieux de la production des données migratoires au sein de l’espace CEEAC pour voir quelles sont les différentes sources statistiques disponibles permettant de comprendre la configuration récente et/ou actuelle des dynamiques migratoires intra-régionales et extra-communautaires. Ensuite, nous mettrons l’accent sur les lacunes en matière de collecte et d’analyse des données, avant de proposer des recommandations pour une meilleure prise en compte de la recherche et de la gestion des données migratoires dans la région.

 

1. Source des données migratoires dans la région CEEAC

 

Les dynamiques migratoires dans la région CEEAC peuvent être mieux appréhendées si l’on dispose davantage de données et d’informations fiables sur leurs différents aspects. Dans une certaines mesures, ces données existent ; mais elles sont encore éparses, d’accès fort limité et non encore documentées.

 

Les sources de données migratoires sont d’abord nationales. Mais elles sont également les produits des analyses de synthèse effectuées par des réseaux et centres de recherche situés en dehors de l’Afrique, même si des études de cas ont été développées par les chercheurs de la région pour certains pays de manière spécifique.

 

Au niveau national, il est possible d’obtenir des données migratoires à travers certaines sources d’information dont les plus courantes sont les recensements nationaux de population, les sources administratives, les enquêtes nationales et les études locales.

 

L’importance et la qualité des informations relatives aux migrations vont varier selon ces sources, notamment en ce qui concerne les modalités de saisie de la variable migratoire lors de ces opérations de collecte.

 

Rappelons que le recensement est la source fondamentale de données sur l’état de la population d’un pays. Selon une définition de l’Organisation des Nations Unies, le recensement est « l’ensemble des opérations consistant à recueillir, à grouper, à évaluer, à analyser et à publier des données démographiques, économiques et sociales se rapportant, à un moment donné, à tous les habitants d’un pays ou d’une partie déterminée d’un pays89 ».

 

Certaines questions posées sur des variables migratoires dans le recensement permettent de saisir les caractéristiques sociodémographiques des populations migrantes. Les informations issues des recensements généraux de la population, couplées avec les données d’enquêtes nationales et/ou locales et d’autres sources administratives peuvent conduire à l’élaboration des profils migratoires nationaux.

 

Les recensements au sein des pays membres de la CIRGL sont rares, sinon bien anciens. Au Congo, le dernier recensement date de 1984, en RDC de 1983, en Centrafrique de 2003. Au Cameroun, ce sont les résultats du recensement de 1987 qui servaient de référence jusqu’en 2010, date de la publication du dernier recensement réalisé en 2005. La RDC avait envisagée d’organiser un recensement en 2013, mais à ce jour, cette opération de collecte n’a pas encore commencé.

 

Les sources administratives collectent des données migratoires destinées à l’utilisation de l’institution publique sans pour autant servir à des fins d’analyse statistiques et de diffusion publique. De manière générale, les relevés administratifs les plus courants comprennent les registres administratifs des polices des frontières, les fichiers des étrangers résidant dans le pays et les fiches d’immatriculation des émigrés recueillies par les missions diplomatiques et/ou consulaires établies à l’étranger.

 

Pour chaque pays, ce sont les services de l’immigration qui détiennent les deux premiers fichiers tandis que le troisième relève des services chargés de la gestion des ressortissants vivant à l’extérieur. Des données sur les travailleurs migrants peuvent être aussi détenues par les services de l’emploi et de la sécurité sociale. Ces sources de données sont encore rarement exploitées lorsqu’on étudie les migrations dans la région de l’Afrique centrale. Elles sont d’accès fort limité et en fait, ne sont pas mises à la disposition des chercheurs pour analyse et diffusion.

 

Les enquêtes nationales sont une source importante de données. Ces types d’enquêtes existent, mais elles sont rarement consacrées de manière spécifique aux migrations. A cet égard, la situation de l’Afrique centrale contraste avec celle de l’Afrique de l’Ouest qui est bien lotie à ce sujet.

 

Dans cette dernière région, non seulement il existe des structures de recherche ayant mené des enquêtes nationales pertinentes, mais il y a déjà une tradition qui permet d’avoir des informations systématiques sur  la dynamique migratoire[578].

 

Dans ce domaine, certains pays de l’Afrique centrale font bonne figure alors que d’autres sont à la traîne. Au Cameroun par exemple, on peut citer une série d’enquête de ce genre : Enquête sur la pression démographique et l’exode rural dans le Nord et l’Ouest du Cameroun (IFORD, 1982-1983), Enquête sur les migrations de retour (IFORD-CEPED), Enquête sur les migrations scolaires (Timnou), Enquête qualitative sur le retour possible des migrants maliens au Cameroun, Enquête sur les Professionnels de santé (OMS, 2004), etc.

 

Au Congo, on peut noter l’Enquête qualitative sur les histoires de vie auprès de migrants à Paris (2000, et l’Enquête auprès de 200 migrants congolais en France (2003).

 

En République Démocratique du Congo, on peut citer l’Enquête sur les migrations dans le contexte familial (MICOFA, 1984), l’Enquête sur les migrations vers les villes secondaires : cas d’Inkisi et de Kikwit (1987-1988), l’Enquête sur les Congolais de la diaspora, l’Enquête sur les migrants congolais à Paris, l’Enquête sur les migrations internes et le comportement démographique des femmes à Kinshasa (2002), l’Enquête sur les migrations dans la ville de Matadi (2005), l’Enquête sur les migrations internationales en RDC à partir de Kinshasa (2007) et l’Enquête sur les migrations internationales à partir de Lubumbashi en 2008-2009.

 

Les études locales se font de manière sectorielle. Elles sont peu systématiques et leur diffusion est restreinte. Dans les facultés des sciences économiques et sociales au sein des universités, des recherches sur les questions migratoires sont réalisées. En RDC, de telles études sur les migrations sont entreprises par des étudiants en démographie et en sociologie[579].

 

Il y a aussi lieu de citer les publications de synthèse telles que les profils migratoires nationaux  de la RDC réalisés par l’OIM en 2009, ou le profil migratoire régional de l’Afrique centrale élaboré en 2007 dans le cadre d’un partenariat entre l’UE et la CEMAC.

 

Sur le Web, il est possible d’accéder à des sources de données sur les mouvements migratoires en termes de stocks et de flux. Ainsi, l’Eurostat publie des informations sur des ressortissants d’Afrique centrale résidant dans des pays de l’Union européenne

 

Le site de la Central Intelligency Agency (www.cia.gov/library/ publications/the-world-factbook/) et celui de la Division de la Population des Nations Unies (www.unmigration.org et http://esa.un.org/ migration fournissent également des données mises à jour sur les migrations dans cette région de l’Afrique centrale comme ailleurs dans le monde.

 

Certains centres des recherches dans des universités occidentales ont des sites contenant des bases de données sur les migrations. On peut citer à cet égard le Development Research Centre on Migration, Globalization and Poverty (Migration DRC) de l’Université de Sussex en Grande Bretagne.

 

Quoi qu’il en soit, outre la rareté de données, l’Afrique centrale souffre aussi de l’absence d’une structure régionale qui prenne en charge la réalisation d’études régionales ou nationales comparatives, pour la mise à la disposition des résultats de recherches aux décideurs politiques.

 

De ce point de vue, les pays de la région pourraient s’inspirer de ce qui se fait en Afrique de l’Ouest où le Centre d’Etudes et de Recherches sur la Population et le Développement (CERPOD) du Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS) a joué un rôle important pour une meilleure compréhension du phénomène migratoire et de l’urbanisation dans cette région, et a fait un plaidoyer auprès des décideurs pour des politiques appropriées[580].

 

2. Dynamiques, systèmes migratoires et catégories de migrants

 

En exploitant les données disponibles pour analyser la dynamique, les systèmes migratoires et les catégories des migrants, il y a lieu de noter qu’à l’intérieur de la région, les migrations irrégulières et non documentées sont importantes dans un contexte de la fluidité des frontières étatiques que les populations, ayant des affinités socioculturelles, mais séparées par des découpages territoriaux, ne considèrent pas comme des barrières.

 

Il se dégage une variation du rôle et des fonctions des territoires qui jouent simultanément plusieurs fonctions d’espace de départ, de transit et de destination. Certains pays de la sous-région sont des pôles attractifs, ce qui s’explique en garde partie par leur stabilité politique, le niveau de développement de leur économie et les possibilités ouvertes par leurs richesses/ressources naturelles.

 

L’Angola est un pays riche en diamant, la République Démocratique du Congo est riche en toutes sortes de ressources du sol et du sous-sol.  Le Cameroun devient un territoire de transit important pour les migrants qui veulent se rendre en Afrique du Nord pour des destinations multiples, soit l’Europe, les Etats-Unis, la Nouvelle Zélande ou l’Afrique du Sud.

 

En raison de la prévalence de l’économie informelle dans les Etats de la région, la migration de travail se décline non pas sous la forme de la recherche de l’emploi dans le secteur formel, mais bien sous la forme du déploiement et du redéploiement des activités de l’économie souterraine dans les interactions desquelles il se multiplie des niches d’affaires avec la multiplication de l’offre et la demande des opportunités.

 

A ce compte, tous les Etats de la région sont des espaces d’immigration et d’émigration car des populations cherchent et trouvent des niches d’affaires qui leur permettent de se mouvoir dans l’espace régional globalisé. Le vouloir circuler des hommes qui, dans leur sillage, font circuler des biens et des services ainsi que toutes sortes de flux matériels et immatériels constituent des facteurs explicatifs de la mobilité dans la région.

 

Les mouvements de populations et leurs configurations spatiales sont importants à l’observation empirique, le défi étant la mesure de ces dynamiques migratoires dans leur complexité. La distinction classique entre migrants « volontaires » et migrants « forcés » peut être retenue quoi qu’elle soit l’objet de remise en cause.

 

Dans la première catégorie, on trouve des migrants durée de vie, des migrants saisonniers, des migrants clandestins, des migrants transfrontaliers et des migrants mobiles. Les migrants forcés sont essentiellement des réfugiés et des demandeurs d’asile. Les définitions de ces catégories des migrants nécessitent de clarification ; elles ne sont pas clairement dégagées à travers les données migratoires disponibles pour cette région. La capacité de comparabilité des données pourrait augmenter les perspectives de définitions homogènes de ces catégories des migrants dans cette région.

 

3. Effectifs de migrants selon les données disponibles

 

Comme souligné ci-haut, les estimations de la Division de la population des Nations Unies permettent de fournir une estimation sur le nombre d’immigrés résidant dans la région Afrique centrale et sur le nombre de ressortissants des pays de la région vivant à l’étranger. A noter que ces estimations sont basées essentiellement sur les projections à partir des données issues des recensements généraux de population. Or, comme souligné plus haut, ces opérations de collecte sont rares dans les pays de la région et ne permettent pas dans la plupart des cas de fournir des informations fiables sur certaines catégories de migrants, en particulier les ressortissants des pays vivant à l’étranger. Ces données globales cachent donc une réalité migratoire probablement plus dense, en ce qui concerne notamment les flux d’échanges migratoires entre les pays membres de la REGION.

 

L’analyse des effectifs de migrants au sein des pays membres  n’est pas aisée du fait du manque et/ou de la non actualisation des données. Si on considère un pays comme l’Angola par exemple, les informations sur les ressortissants des autres Etats ne sont disponibles que pour le Congo (543 individus), la RDC (17 727), Sao-Tomé et Príncipe (4 119) et Tchad (16) pour l’année 2011.

 

Les données sur le Cameroun présentent les mêmes lacunes : seul le nombre de Tchadiens est connu (82 221 personnes). La Guinée équatoriale présente les mêmes faiblesses en termes de disponibilités des données, etc.

 

Au regard de ces lacunes dans la disponibilité des données, il est difficile de concevoir des politiques de gestion des migrations dont les fondements devraient, il faut le reconnaitre, être basés sur des données fiables et actualisés. Des efforts commencent à peine et timidement, grâce à des soutiens de partenaires internationaux, mais il reste encore beaucoup à faire pour disposer de données migratoires fiables et régulièrement actualisées au sein des pays .

 

S’agissant des informations sur les ressortissants des pays de l’Afrique centrale résidant dans l’Union européenne, les sources de données des pays développés sont plus élaborées et fournissent des informations régulièrement actualisées. Dans ce dernier cas, la difficulté majeure concerne le dénombrement des migrants en situation irrégulière qui, en général, échappent au système de gestion des données migratoires de ces pays.

 

4. Les critiques et les déficits des sources des données migratoires

 

Les données migratoires pour la région CEEAC nécessitent des recherches de compilation à effectuer méticuleusement au sein des Etats et au niveau régional. Ces recherches in situ devraient amener à explorer l’exploitation des données des sources administratives telles qu’elles peuvent être trouvées dans chaque pays. Cela manque actuellement. Les sources administratives sont constituées des registres des services publics retraçant des flux ou des stocks des populations en migrations.

 

Par ailleurs, il importe de mettre en œuvre des politiques concertées au niveau régional pour encourager l’harmonisation statistique de manière à faire de l’information statistique un outil capable d’éclairer les prises de décisions pertinentes en matière de migration.

 

Deux types de critiques et des déficits peuvent être relevés en ce qui concerne les données migratoires. Il s’agit des contraintes des organes producteurs de données et des décalages et déficits dans le système d’information actuel.

 

A ce sujet, notons que les statistiques produites par les organes spécialisés sont des données collectées sans faire l’objet d’analyses approfondies. Les rapports disponibles font état d’analyses descriptives, basées sur le simple croisement des variables migratoires avec les caractéristiques socio-démographiques des individus.

 

En fait, des recensements et en particulier des enquêtes nationales offrent des possibilités d’analyses détaillées des mouvements migratoires sous plusieurs aspects, mais ces possibilités ne sont pas encore exploitées à fond. Des enquêtes auprès des ménages effectuées en RDC présentent encore des limites et n’explorent pas toutes les variables sur les questions stratégiques liées aux migrations.

 

Par ailleurs, les données collectées ne sont pas suffisamment exploitées à des fins statistiques et encore moins à des fins de diffusion. Les structures chargées de la gestion des informations recueillies n’ont pas la compétence requise en matière de technique d’exploitation et d’analyse de données quantitatives. Car le plus souvent, elles ne disposent pas de ressources financières suffisantes et techniques pour la saisie, le traitement et l’analyse des données collectées.

 

Il est évident qu’elles se trouvent ainsi dans des conditions telles qu’elles ne peuvent pas mettre à la disposition des utilisateurs et décideurs potentiels des statistiques élaborées. Les différents pays membres de la CEEAC disposent, chacun, d’un Institut National de Statistique, mais ces Instituts fonctionnent avec des aléas divers, un de leurs déficits saillants étant le manque des moyens et des ressources humains, matériels et financiers pertinents.

 

En ce qui concerne les décalages et les déficits dans le système d’information, il suffit de noter que le potentiel relativement important des sources de données bute sur le problème de la fiabilité des données recueillies, de leur représentativité, de leur cohérence, de leur comparabilité et de leur accessibilité.

 

L’absence de données actualisées et suffisamment fiables se ressent au niveau des relevés administratifs et des organes centraux de certaines institutions publiques spécialisées.

 

Par ailleurs, les données sur les statistiques aux frontières terrestres ne font pas l’objet de saisie informatique de manière à enregistrer les flux migratoires. Les fiches d’embarquement et de débarquement à l’aéroport et au port ainsi que les registres d’entrée et de sortie aux postes frontaliers terrestres sont en général stockés sans être archivés, ni surtout exploités. Et pourtant elles devraient, si elles sont bien exploitées, constituer une mine d’informations sur l’ampleur, l’orientation et bien d’autres aspects importants des mouvements migratoires.

 

Le problème de fiabilité découlant des données des organes centraux de collecte se lit à travers le fait que les recensements sont rares dans les pays de la région. Les quelques recensements réalisés dans les années 1980-90 ne permettent pas d’avoir une mesure et une analyse fine des migrations tant il est admis qu’à partir d’une telle opération de collecte, il est particulièrement difficile d’obtenir des indications fiables sur les stocks et les flux d’émigrants internationaux.

 

Ce problème concerne également les enquêtes nationales. Or, à ce niveau et pour la région de l’Afrique centrale, les enquêtes spécialisées sur la migration au niveau nationale sont beaucoup plus rares, sinon inexistantes. Les enquêtes disponibles, comme celles spécialisées sur les niveaux de vie et les enquêtes Démographie et Santé (EDS) ne se font pas régulièrement en raison de l’insuffisance des ressources financières qui auraient permis aux pays de la région de mettre en œuvre de manière autonome des programmes d’enquêtes auprès des ménages avec intégration de questions de migration.

 

Encore faut-il souligner que la plupart, sinon la totalité des enquêtes menées en Afrique centrale (cas de la RDC) ont été réalisées à l’aide de méthodes archaïques (crayon et papier), bon nombre d’entre elles n’existant toujours pas en format électronique. De même, les questions liées à la propriété de l’enquête ont empêché certains de mettre à disposition des copies des instruments d’enquête.

 

Comme le note Schatchter, « le recensement des données concernant certaines enquêtes est incomplet, étant donné l’insuffisance (voire le caractère inexact) des informations disponibles sur certaines enquêtes. Une attention toute particulière est prêtée aux enquêtes susceptibles de faire l’objet d’une vérification, l’accent étant mis sur les enquêtes nationales, plutôt que sur celles d’envergure régionale (infranationales).

 

Le déficit des ressources financières a manifestement entravé l’aptitude dans la région à procéder à des enquêtes auprès des ménages, les reprises prévues pour nombre d’entre elles n’ayant jamais vu le jour. Le traitement et la diffusion des données apparaissent aussi comme une source de préoccupation dans la région »[581].

 

La représentativité des données collectées sur les migrants est une préoccupation. Les services administratifs d’immigration et de gestion des nationaux expatriés ont un niveau de couverture relativement faible des personnes ciblées. Dans la plupart des pays de la région de l’Afrique centrale, l’enregistrement direct des migrants à la frontière se fait de manière systématique uniquement aux entrées aériennes et maritimes.

 

Cette source, bien que saisissant à la fois les entrants (flux d’immigrants) et les sortants (flux d’émigrants) est assez incomplète à cause de la perméabilité des frontières et de l’importance des entrées et des sorties par voie terrestre. Par ailleurs, la délivrance des cartes d’identité ne touche qu’une fraction de la population, qui évolue généralement en milieu urbain et dans le secteur moderne.

 

En outre, les permis de travail et de séjour ignorent les immigrés sans papiers qui composent les plus forts contingents de population étrangère d’origine africaine. Les données collectées par les missions diplomatiques et/ou consulaires ne sont pas non plus représentatives de la population émigrée à l’étranger. Elles ne couvrent que les personnes enregistrées, laissant de côté la majorité des migrants (notamment ceux en situation irrégulière qui sont probablement les plus nombreux).

 

La cohérence des informations sur les migrations dans cette région devient une faiblesse qu’il sied de relever. A n’en point douter, il n’y a pas encore de consensus sur la définition de la migration, chaque pays adoptant ses propres critères, qui ne coïncident pas forcément avec ceux des autres pays. Ce constat a déjà amené à des premières tentatives d’approche de normalisation dans les définitions des concepts importants liés à la migration. Cela s’est manifesté dans les tâches imposées aux rédacteurs des profils migratoires nationaux de deux pays de l’Afrique centrale, le Cameroun et la RDC.

 

Il y a plusieurs périodes de référence dans la définition des concepts ou absence de précision commune en ce qui concerne la durée dans la définition et la catégorisation des migrants. Cette question renvoie à la nécessité d’harmoniser les définitions pour avoir la même compréhension du phénomène et les mêmes possibilités de comparaison au niveau national et régional. 

 

Par exemple, une période de 10 ans sépare généralement la réalisation des recensements dans un pays ; les enquêtes spécifiques sur les migrations ne sont pas renouvelées périodiquement. Ainsi, le dernier recensement en RDC a été réalisé en 1984 ; en RCA, le recensement fait l’a été en 2003. Au Gabon, le recensement est une activité que l’on n’inscrit pas à l’agenda politique. Les enquêtes spécialisées comme l’enquête démographie et santé (EDS) faites en RDC le sont de manière irrégulière.

 

Par ailleurs, si on considère les migrations internationales et particulièrement les aspects liés à l’emploi des migrants, on constate que beaucoup d’informations font défaut, du fait de la non prise en compte ou tout simplement de la non exploitation de plusieurs variables relatives à la main-d’œuvre de la population migrante.

 

D’une manière générale, les statistiques existantes ne sont pas exploitées de manière satisfaisante pour l’étude et la gestion des migrations, et cela surtout dans le cadre des politiques migratoires. On a tenté de relever ce défi lors de l’élaboration des profils migratoires nationaux au Cameroun et en RDC en constituant des groupes techniques de travail nationaux constitués des agents et fonctionnaires de certains services publics impliqués dans la collecte des données statistiques. Mais la tâche à faire est encore immense.

 

La comparabilité des statistiques sur les migrants est une question à envisager dans la région. Généralement, l’utilisateur de données cherche à réaliser deux types de comparaison : une comparaison diachronique (avec d’autres opérations de collecte antérieures concernant le même territoire) et une comparaison synchronique (avec des opérations de collecte réalisées dans d’autres pays à des dates voisines).

 

Or, la comparaison des données soulève de nombreuses questions méthodologiques. Pour comparer plusieurs sources de données, il faut s’assurer que les champs des opérations de collecte sont identiques (même échelle d’observation), et que les sujets traités obéissent aux mêmes critères de définition et de sélection.

 

À ce niveau, il est fréquent que les unités géographiques varient d’un pays à un autre, mais aussi d’une date à une autre pour un même pays. Du fait que les données statistiques ne sont pas produites de manière régulière dans la région, il y a lieu d’encourager des initiatives de régionalisation de l’harmonisation statistique pour assurer la comparabilité.

 

L’accessibilité des informations sur les migrants devient un déficit majeur dans la région. Au sein des Etats de la région, ces informations ne sont pas d’accès facile car les données collectées par les services publics et des institutions spécialisées ne sont pas portées sur la place publique.

 

De même, des enquêtes réalisées à la suite des financements de certaines institutions internationales (Banque mondiale et USAID) ne circulent pas aisément dans les milieux scientifiques et ne sont pas disponibles ou d’accès facile pour le chercheur.

 

Les migrations internationales étant dynamiques et variables d’une période à une autre, la non mise à jour des données sur ces questions renvoie à détenir des informations aléatoires, dépassées qui ne permettent pas d’éclairer des décisions qui seraient pertinentes à être prises dans le cadre de politiques migratoires.

 

En fin de compte, il y a une inaccessibilité des informations à partir des sources locales/nationales/régionales publiées par des instances in situ. Les informations dont on dispose et qui nous ont permis de présenter des données sur les migrations dans la région d’Afrique centrale proviennent certes des publications régionales, mais ces publications régionales reproduisent des données des sources extérieures au continent, les principales sources étant celles de la Division de la Population des Nations Unies, de l’Eurostat, du site de la CIA, du WB migrant stock databases are missing here ou de Development Research Centre on Migration, Globalization and Poverty (Migration DRC) de l’Université de Sussex.

 

A ce compte, ces données ne permettent pas de renseigner sur les détails stratégiques concernant les migrations comme le volume des migrants, les profils des migrants, les activités professionnelles auxquelles s’adonnent les migrants dans les pays de destination et les flux des transferts monétaires que les migrants envoient dans leurs pays d’origine.

Les migrations en Afrique centrale sont une réalité complexe et dynamique. Elles sont enclenchées dans le contexte particulier de la région marqué par l’enchaînement de plusieurs facteurs : économiques, sociaux, familiaux, commerciaux, liés à l’histoire, aux conflits, aux changements climatiques et autres catastrophes naturelles. Il y a des pays d’immigration et des pays d’émigration. Les migrations intracommunautaires sont denses ; les migrations de la région vers d’autres régions sont aussi importantes.

 

Les pays de la région sont marqués par la prédominance de l’économie informelle ; cela induit la multiplication des activités qui relèvent de la logique de la débrouille, la migration devenant ainsi partie prenante de la stratégie de survie. Les migrations irrégulières sont importantes au sein de la région. Les sources des données d’accès facile sont rarement celles des services publics et des institutions nationales.

 

Des initiatives louables tendant à créer des groupes techniques de travail nationaux ont relevé à la fois les défis dans ce domaine et les déficits structurels et culturels qui limitent la mise en œuvre de la traçabilité des données statistiques. Les différentes publications en matière des migrations dans la région présentent des données tirées des sources externes. Il s’agit des données de la Division de la Population des Nations Unies, de la banque mondiale, de l’OCDE et de DRC de l’Université de Sussex. Cette liste n’est pas exhaustive.

 

Les données issues des sources internationales présentent généralement des informations sur des stocks de migrants. Mais les informations sur les détails fins et subtils comme les profils des migrants, les caractéristiques socio-démographiques et intellectuelles et les transferts des revenus des migrants vers les pays d’origine manquent encore, notamment en ce qui concerne les migrations sud-sud intra-ACP. Si ces informations manquent, c’est que des instruments capables de nous aider à saisir ces réalités ne sont pas mis en œuvre au sein de chaque pays membre.

 

Des recensements des populations sont rares dans la région. Des enquêtes polyvalentes avec des questions stratégiques sur les migrations auprès des ménages sont des instruments qui se font rarement aussi. Lorsqu’ils sont faits, c’est par ailleurs à la suite des financements des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et l’USAID. Maintenant que la demande de la mise en œuvre des politiques migratoires s’impose de plus en plus au sein de la CEEAC, et par ricochet au sein des Etats membres, il faut une double action par le haut et par le bas pour avoir une politique de gestion des données migratoires.

Par le haut, il faut impulser des politiques d’harmonisation régionale de la gestion des données migratoires. Il s’agit de la création des institutions communautaires avec implications des acteurs non étatiques comme des universités et des centres de recherche des différents pays membres qui puissent avoir comme objectifs la collecte et la diffusion des données sur les migrations. La création d’un Observatoire régional des migrations est un premier pas important sur cette voie.

 

Par le bas, il faut amener les Etats à s’engager dans la réactivation des capacités fonctionnelles de leurs institutions de collecte de données migratoires pour qu’elles fassent bon usage de ces données en les orientant vers leur centralisation, en décloisonnant des informations de leurs services respectifs. Les différents instituts nationaux de statistique qui tournent sans des moyens humains et financiers devraient être revitalisés.

 

Des ateliers entre les agents des services commis à la collecte des données migratoires devraient être organisés au sein des Etats avec des fenêtres d’opportunités pour des échanges avec les officiels des autres Etats membres de la CEEAC de manière à maintenir actualisée leur formation aux nouvelles techniques d’information et de communication.

 

Il importe également de considérer l’urgence de la mise en œuvre de réseautage entre les chercheurs, les institutions administratives de collecte des données (instituts de statistiques et services chargés des immigrés et des émigrés), et les décideurs politiques.

 

Devant l’urgence de doter les Etats membres de la CEEAC d’outils statistiques pour éclairer leurs politiques migratoires, il faut faire sauter le goulot d’étranglement relevant de la faiblesse des administrations publiques découlant de la perte des habitudes administratives qui consistent dans la consignation et la sauvegarde des archives et des données chiffrées, cette culture insufflée dans les administratives coloniales devant être revitalisée. En partant de ce fait, le dispositif prescriptif suivant mérite l’attention des parties prenantes face au défi politique en matière de statistiques migratoires.

1°) Les Etats membres de la C      irgl doivent doter la communauté d’un Fonds spécial. Celui-ci, appuyé par les partenaires au développement, pourrait devenir une instance de financement au niveau communautaire de toutes les initiatives pertinentes en vue de :

 

-  soutenir la création d’un Observatoire des migrations dans la région,

-  inscrire à l’agenda la rédaction et/ou la mise à jour des profils migratoires dans les Etats membres,

-  apporter un soutien technique et financier et/ou mobiliser les financements auprès des partenaires pour le renforcement des capacités des structures productrices de données sur les migrations (acquisition d’équipements appropriés, formation sur les questions relatives aux statistiques migratoires et en matière de traitement et d’analyse de données), et la collecte, l’analyse, le stockage et la diffusion des données.

 

2°) Au sein de chaque Etat membre de la CEEAC, il importe de créer un mécanisme institutionnel de coordination en vue de l’harmonisation des données et statistiques migratoires.

 

Ø      Au plan national, un tel mécanisme permettrait :

 

-  d’établir un réseau entre les différents services administratifs, les centres/ instituts de recherche et les partenaires au développement sur la collecte, l’analyse et la diffusion des données et statistiques sur les migrations, en relation avec le développement ;

-  de promouvoir la mise en place d’un système standardisé de collecte et d’information sur les migrations régulières et irrégulières dans les pays membres et au niveau régional de la CEEAC ;

-  d’adopter des politiques nationales de publications, sur une base régulière, des données statistiques sur les migrations, en vue de leur centralisation et de leur partage entre toutes les parties prenantes.

 

Ø      Au niveau communautaire, il s’agirait de :

 

-  promouvoir l’harmonisation et la régionalisation des statistiques migratoires ;

-  organiser des rencontres périodiques entre utilisateurs et producteurs de statistiques relatives aux migrations en vue d’aplanir les liens entre les besoins des utilisateurs et les capacités des producteurs de données, et

-  établir des liens organiques fonctionnels entre les différentes structures concernées par les questions de migration (administration centrale, secteurs publics et parapublics, organisation de la société civile, Institutions de recherche, partenaires au développement, etc.).

 


Section 6. REFUGIES ET  PERSONNES  DEPLACEES

 

Les réfugiés et les personnes déplacées sont numériquement importants en Afrique centrale, une région caractérisée par une recrudescence des conflits. Les questions qu’on se pose à leur sujet, notamment en termes de  développement, influent sur les dynamiques sociales des pays et des régions d’origine, de transit ou d’accueil. Or, les migrations forcées constituent une thématique peu consacrée dans les politiques des Etats de la région. Avant d’engager une réflexion approfondie sur cet état de fait, il convient de préciser la signification et l’orientation données aux concepts de réfugié, de personne deplace´e.

 

Dans la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, le réfugié est une personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner (article 1er, al. 2, §2). Néanmoins, une telle définition revêt une charge d’arbitraire. Elle dépend des déterminations juridiques et politiques. Eu égard à la difficulté de séparer les facteurs écolo-climatiques des facteurs politiques et économiques, l’usage de nouvelles catégories de réfugiés (réfugiés environnementaux, réfugiés climatiques ou écologiques) peut être perçue comme un effort de dépolitiser le débat. Une bonne partie des pratiques et des représentations sociales se fait par et au travers du droit légiférant les activités des réfugiés classiques. La définition conventionnelle de réfugié ne sera pas par conséquent amendée dans ce travail. Quoique cette catégorisation soit trop déterministe et réductrice pour être défendue au plan scientifique, les acteurs sociaux l’endossent et vivent en conséquence.

 

La définition de personne déplacée utilisée, dans l’étude, a été consacrée par la Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (encore appelée Convention de Kampala), à savoir : les déplacés sont de personnes ou de groupes de personnes ayant été forcées ou obligées de fuir ou de quitter leurs habitations ou lieux habituels de résidence, en particulier après, ou afin d’éviter les effets des conflits armés, des situations de violence généralisée, des violations des droits de l’homme et/ou des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, et qui n’ont pas traversé une frontière d’Etat internationalement reconnue (Observatoire ACP sur les Migrations, 2011 ; UNHCR, 2007 ; Deng, 1993).

 

La posture d’analyse ainsi défendue conduit à une rupture avec le présupposé qui informe les prises de position dominantes relayées par des Etats comme les Etats-Unis, et des organismes internationaux tels que le HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés), l’IDMC (Centre de Surveillance des Déplacements Internes), à savoir : la disqualification des déplacées fuyant les catastrophes naturelles, de la catégorie usuelle de personne déplacée (Castles & Van Hear, 2005 ; Cohen, 2009).

 

Le terme de développement est plurivoque (Légoué, 2001). L’on fait référence au développement humain, qui est un processus par lequel les individus en situation de précarité, de vulnérabilité et d’insécurité- à l’exemple des réfugiés et des personnes déplacées d’Afrique centrale, développent leurs potentialités et prennent confiance en eux-mêmes, pour avoir une plus grande maîtrise de l’incertitude et de satisfaire à leurs besoins fondamentaux. Une telle approche ne doit pas seulement être envisagée à partir des transferts de fonds, mais aussi des transferts de compétence ou de savoir-faire (De Haas, 2007 ; Pondi, 2007). Le développement humain englobe ainsi tous les facteurs (social, culturel, économique, etc.) qui peuvent accroître les capacités et niveaux de résilience des populations vulnérables (PNUD, 2012). Cela va par conséquent dans le sens contraire des approches étatiques, qui mettent l’accent sur la croissance (Produit Intérieur Brut) et l’investissement du capital financier.

 

Les crises politiques dans la plupart de pays membres de la CIRGL et de la CEEAC (Congo, RCA, RDC, Tchad, Burundi, Angola) ont contraint de millions de personnes à l’exil, soit dans une partie de leur territoire national ou dans d’autres pays de la région.

 

Les conséquences d’autres crises relativement plus anciennes telles que celles du Rwanda, du Burundi et du Soudan y ont causé des déplacements d’un grand nombre de populations. L’on est face à un défi humanitaire (Mvie Meka, 2006 : 71), en dépit de la part résiduelle qu’ont toujours occupée les réfugiés et les personnes déplacées d’Afrique centrale dans la hiérarchie des priorités des gouvernements de la CEEAC et de leurs partenaires au développement. Les réfugiés et les personnes déplacées sont généralement pensés en termes de menace voire de risque pour les pays en situation de fragilité.

 

Les initiatives publiques entreprises, entre la CEEAC et l’ONU, pour formater un plan de paix et de sécurité à l’échelle régionale font de la réduction du nombre de réfugiés et de personnes déplacées, le préalable à l’équilibre et à la stabilité des pays d’Afrique centrale109 (CEEAC, 2007). Mais, à moins d’être fondée au plan logique, cette façon de penser ne prend pas suffisamment en compte le fait que ces populations développent aussi des compétences spécifiques, qui peuvent contribuer au développement. L´ONU en fait de m~eme pour la CIRGL.

 

Les changements sociaux survenus depuis la fin de la Guerre froide n’ont pourtant pas changé les situations dans lesquelles vivent les migrants forcés en Afrique centrale. L’identification de difficultés liées au statut et au traitement des réfugiés et des personnes déplacées permet de saisir les contradictions entre les discours politiques célébrant les vertus de solidarité et d’hospitalité des peuples, et l’accès aux ressources de toutes espèces soumis aux fluctuations du marché.

 

La prise en considération des problèmes spécifiques des populations étrangères est davantage annoncée qu’effectuée. Il importe de réfléchir à la fois sur les nouveaux environnements induits par les activités de ces populations, et les solutions qu’elles apportent elles-mêmes à leur vie sociale. Il convient d’être davantage prudent dans la manière d’appréhender la relation entre migration et développement (migration-development nexus).

 

L’idée-force défendue dans ce travail est celle du caractère hétérogène des interactions entre migration forcée et développement humain, et de l’impossibilité d’envisager un tel développement en l’absence d’une réforme sociale et économique dans les sociétés d’accueil et/ou d’origine. Cela se justifie, au moins, à deux niveaux. En premier lieu, les activités déployées par les migrants forcés ne sont pas une panacée aux problèmes structurels du développement. Elles permettent toutefois à ces populations de démontrer leur capacité de résistance ou d’adaptation face à un environnement contraignant (et parfois hostile) ainsi que leur potentiel à contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les sociétés d’accueil. En second lieu, l’activité engendrée par la présence des réfugiés et personnes déplacées se traduit souvent par des créations d’emplois pour les populations locales grâce aux offres de service et divers dons. Ces biens et services ne profitent pas exclusivement aux personnes dites vulnérables. La région d’accueil tire parti de cet état de fait pour viabiliser et valoriser les zones enclavées de son territoire.

 

En prenant pour cadre d’investigation les pays membres , le présent document porte sur les liens entre la thématique de la migration forcée et celle du développement humain, afin de faciliter une action collective. Il importe de mettre en perspective trois principaux axes de recherche : la problématique des réfugiés et personnes déplacées (1) ; les enjeux et défis liés aux solutions d’évidence (2) ; et les modalités d’intégration de la thématique de réfugié et de personne déplacée dans les politiques régionales de gestion des migrations (3).

 

1. Problématique des réfugiés et personnes déplacées

 

Les travaux portant sur les réfugiés et personnes déplacées dans un ou plusieurs pays d’Afrique centrale convergent vers deux points essentiels :

 

(1) le migrant forcé vit une pluralité de situations, difficilement saisissable au plan conceptuel ;

(2)l’oubli et l’urgence sont ainsi érigés en mode de gouvernance publique des catégories problématiques, au double sens scientifique et social.

 

1.1. Figure multiple du migrant forcé

 

Les réfugiés et les personnes déplacées sont généralement décrits, soit sous le mode humanitaire (Ebolo, 2004 ; Fomekong, 2006 ; Lututala, 2007), soit sous le mode politico-militaire (Sindjoun, 2002 ; Bazenguissa-Ganga, 2004), ou sous celui économique (Saïbou, 1994).

 

Les tensions entre ces façons de penser les migrations forcées, qui se recoupent souvent, traduisent trois figures du migrant forcé : la victime, le héros et le criminel. Ces prises de position sont en apparence distinctes. Mais elles se rejoignent d’autant plus que, à chaque situation sociale dans laquelle le réfugié ou le déplacé se trouve pris, se profile l’une ou l’autre de ces figures (Cambrezy, 2001 ; Guichaoua, 2004).

 

En fait, le phénomène de réfugiés et personnes déplacées entraîne dans les régions d’Afrique centrale des configurations sociales inédites, qui se traduisent en un tiraillement entre deux approches : l’humanitarisme, et l’opportunisme politique (Olinga, 2007). Dans un premier temps, il s’agit de la volonté de porter secours ou de venir en aide aux personnes en détresse. Dans un second temps, il est question de la méfiance face à un phénomène qui risque de se transformer en fardeau accablant surtout dans les discours politiques et médiatiques.

 

Le HCR produit des chiffres permettant d’avoir une idée sur les flux de réfugiés dans les pays de la région. L’analyse des données annuelles sur les réfugiés et les demandeurs d’asile entre 2006 et 2011 selon le pays d’origine montre à quel point la région est marquée par une recrudescence des conflits lors de ces dernières années.

 

La Convention de 1951 relative au statut de réfugié est généralement perçue comme le référentiel. Tous les textes de loi s’y référant, les chiffres, les symboles, les discours, et les images contribuent à vulgariser l’image du réfugié comme victime. La Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux réfugiés en Afrique (1969) et la Déclaration du Caire du 30 juin 1993 ordonnent et hiérarchisent la manière de penser ou de traiter les populations victimes des exactions (Oucho, 1996).

 

À chaque fois, des instruments juridiques servent à accréditer l’idée que les migrants forcés sont contraints de fuir leur région d’origine. Le critère de la protection est mis à rude épreuve. Mais, les experts et les autorités politico-administratives s’accordent sur la nécessité de ne pas faire l’amalgame entre réfugiés et « faux réfugiés ». Ils insistent sur la présence de ceux qui instrumentalisent les procédures du droit d’asile alors qu’ils n’ont besoin ni de protection, ni d’assistance. Ce critère de distinction est à la base du classement destiné à orienter les actions humanitaires. L’intervention publique en direction de la victime est fondée sur des informations relatives aux caractéristiques sociales (l’âge, le sexe, la profession, etc.) des migrants.

 

La production de ces informations n’est pas l’objectif poursuivi. Elle est pourtant au cœur des luttes sociales, d’autant plus qu’elle fournit des indications sur l’état des droits de l’homme ou de la sécurité dans les pays d’origine, de transit et d’accueil (HCR, 2014).

 

L’intervention publique en direction de la victime est fondée sur des informations relatives aux caractéristiques sociales (l’âge, le sexe, la profession, etc.) des migrants, sans que la production de ces informations soit l’objectif poursuivi. Il constitue également un indicateur de l’état des droits de l’homme ou de la sécurité dans les pays d’origine, de transit et d’accueil. Or, l’idée de protection des individus, essentielle dans la sécurité régionale et nationale, est plurivoque : elle est porteuse d’un idéal ; d’où l’hypothèse de « sécurité humaine » acquise à bon compte par nombreux auteurs (Oucho, 1996 : 183 ; Mvie Meka, 2006 : 95 ; Zeïni Moulaye, 2007 : 86). Elle révèle par ailleurs la crise de l’Etat, crise dévoilant l’incapacité de celui-ci à honorer les engagements internationaux pris en faveur des populations sous sa responsabilité ; c’est ce qui est au cœur du  témoignage sur la situation des réfugiés dans l’espace régional de la CEEAC (Uwimana, 2007 : 115-124).

 

L’intention subjective -nourrie par la prise en considération du réfugié ou de la personne déplacée comme victime- est d’établir une autonomie des migrations, dont la portée est paradoxalement de rendre évidente l’imposition d’un « droit global sans Etat » (Tebner cité par Lardeux, 2009), un droit des migrants dépouillé des ressorts politiques. De ce point de vue, la figure de la victime est centralement du politique. Or, les personnes reconnues réfugiées ou déplacées ne sont pas de pures victimes d’un sort qui les dépasse, mais les acteurs qui s’efforcent de réagir à des conditions difficiles en s’appuyant sur les ressources sociales et culturelles qui sont à leur disposition (Monsutti, 2008).

 

Le réfugié ou le déplacé est directement mis en cause dans l’instabilité politique de certains Etats de la CEEAC (Sindjoun, 2002). Cela est en partie confirmé par les faits : les réfugiés se situent souvent en amont des crises sociopolitiques en Afrique centrale, en ce sens qu’ils constituent un vivier pour les migrations de retour de conquête (Lututala Mumpasi, 2007 : 14). Il en a été ainsi de plusieurs migrants internationaux d’origine congolaise qui, en grossissant les rangs de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL), ont chassé le Président Mobutu du pouvoir.

 

On comprend aisément pourquoi la migration forcée est très vite devenue un important paramètre de l’ordre politique régional (UA, 2006 : 19), et une forte contrainte pour la politique étrangère de nombreux pays (Chesnais, 1994 : 658). Par ailleurs, l’Etat d’accueil est souvent confronté aux soulèvements des réfugiés, qui tendent à bousculer ses attributs fondamentaux : l’autorité, la légitimité, l’efficacité, etc.

 

D’aucuns qualifient ces mobilisations de « collectifs cosmopolitiques des réfugiés urbains en Afrique centrale » (Lardeux, 2009). Les manifestations en faveur de l’amélioration de leurs conditions de vie, à l’exemple des grèves de réfugiés congolais à Bangui (RDC) et de réfugiés tchadiens à Maltam (Cameroun) pour revendiquer une réinstallation collective, est loin d’être a-politique.

 

L’on observe un glissement linguistique, dans les textes officiels à partir de la guerre du 2 août 1998 en RDC, qui tend à faire croire qu’il n’y aurait plus de réfugié rwandais. Au terme de « réfugié » ont été en effet substituées les expressions de « groupes armés », « Interahawé », « ex-combattants rwandais » ou « forces négatives » (Guichaoua, 2004).

 

De manière consensuelle, les sujets rwandais sont présumés en bloc coupables de génocide. Les réfugiés tchadiens établis à Bangui ont été victimes d’actes d’hostilité de la population locale, qui les a parfois considérés comme des « forces d’invasion » (Rapport du Secrétaire des Nations Unies, 2003)113. Il y a souvent une inflation des prix de biens et services dans les zones d’accueil, mais rien ne démontre que cela soit exclusivement dû à l’arrivée massive des réfugiées et/ou des personnes déplacées (CEEAC/FAO, 2011).

 

La prise en charge institutionnelle des nouveaux venus n’augmente pas toujours l’inflation. Le placement de certains produits dans le marché local, en surplus, renforce l’économie de ces régions. L’effet de la migration est généralement faible (moins de 9%), voire nul, sur le salaire moyen de la population locale (PNUD, 2009).

Les migrants forcés sont certainement stigmatisés voire marginalisés en région d’accueil, mais cela ne les empêche pas de mettre leur force de travail au service des populations locales.

 

 

I.2. Réfugié et personne déplacée : entre oubli et urgence

 

Autant par réticence que par incapacité matérielle et financière à gérer l’urgence et à déployer les moyens logistiques nécessaires, les Etats d’Afrique centrale font largement appel au HCR pour assurer l’accueil et la protection des réfugiés, en négociant âprement les modalités d’intervention des organisations humanitaires (Cambrezy, 2007 : 15).

 

Les réfugiés et les personnes déplacées sont confrontés à plusieurs problèmes au quotidien en pays d’accueil, parmi lesquels figurent les besoins de première nécessité : la nourriture, le logement, les soins de santé primaire, l’eau potable, etc. Les réfugiés sont regroupés dans des camps, généralement aménagés à proximité des frontières de leur pays d’origine. L’installation de plus d’un million de réfugiés rwandais (Hutu) dans des camps du Kuvu (RDC), depuis les années 1990 (Pourtier R., 1999), et celle de réfugiés soudanais dans un camp au Sud de la ville d’Abeché (Tchad) à compter des années 2000 en sont des illustrations. Beaucoup de réfugiés s’installent également de façon spontanée (Bakewell, 2000 ; 2007).

 

Malgré les efforts des organisations humanitaires, une sorte de « service minimum » tient lieu de politique d’assistance à ces catégories vulnérables : distribution parcimonieuses de l’eau et des rations alimentaires ; abris rudimentaires ; propreté et hygiène menacées ; sécurité non assurée ; etc. Le camp de réfugiés ou de personnes déplacées est une étape décisive d’un type particulier de mouvements liés à des conflits armés ou des catastrophes naturelles.

 

Ainsi, l’évolution des processus de migration forcée vers les villes s’apprécie rétrospectivement, de deux manières (Pérouse de Montclos, 2010 : 12). D’abord, ces organisations tendent à consigner, en dépit de leur nombre croissant, les personnes déplacées dans des camps plus ou moins fermés qui, suivant les cas de figure, évoquent des ghettos ou des embryons de villes. Ensuite, les agglomérations n’étant plus aussi fragiles qu’autrefois, elles se repeuplent rapidement en cas de destructions.

 

Dans de nombreux pays, les problèmes spécifiques des personnes déplacées et a fortiori ceux des réfugiés ne figurent pas dans l’ordre de priorité des programmes publics. Or, le pourcentage de ces populations en 2011 par rapport à la population totale est élevé (IDMC and NRC, 2011). 2,5% de Congolais de la RDC sont des personnes déplacées de l’intérieur. 6% de Centrafricains constituent ces catégories de populations ou vivent à proximité d’un camp de réfugiés. 1,1% de Tchadiens sont des personnes déplacées contre 0,9% de Burundais. Le stock d’immigrants au Tchad est de 388 251 en 2010, soit 3,47% de l’ensemble de la population ; la même année, le stock d’émigrants est de 243 300, représentant 2,1% de la population.

 

Dans de nombreux pays, les problèmes spécifiques des personnes déplacées et a fortiori ceux des réfugiés ne figurent pas dans l’ordre de priorité des programmes publics, alors que le pourcentage de ces populations en 2011 par rapport à la population totale est élevé : 2,5% de Congolais de la RDC sont des personnes déplacées de l’intérieur ; 6% de Centrafricains constituent ces catégories de populations ou vivent à proximité d’un camp de réfugiés ; 1,1% de Tchadiens sont des personnes déplacées contre 0,9% de Burundais (IDRC and NRC, 2011).

 

Certains Etats de la CEEAC, à l’exemple de la Guinée équatoriale et du Cameroun, sont confrontés à une urbanisation galopante. D’autres Etats, comme l’Angola et le Burundi, en sus de cette urbanisation, doivent faire face à la fois à une croissance démographique et à une poussée migratoire sans précédent en zones urbaines ; d’où des choix publics de traiter en priorité les problèmes des nationaux ou des citoyens, et d’accorder à la question des migrants forcés une attention au mieux résiduelle.

 

En dépit de l’assistance accordée à des populations sous leur compétence, les organisations humanitaires continuent de faire face à de nouvelles situations d’urgence, impliquant des besoins budgétaires et opérationnels supplémentaires : pour ses programmes annuels en Afrique, le budget total du HCR en 2013 s’établit en 1,82 milliards de dollars E. U. ; ses besoins d’assistance et de protection émanant des situations en RCA et en RDC l’ont conduit à lancer trois appels de fonds supplémentaires pour un total de 158,1 millions de dollars E.-U.

 

En 2012, le nombre de personnes déplacées internes est en augmentation par rapport à 2011 : Tchad (126 000), RCA (105 000), République du Congo (au-dessus de 7 800), RDC (1 710 000), Angola (au-dessus de 20 000), et Burundi (78 800) (IDMC and NRC, 2012). En RDC, la plupart des personnes déplacées est établie à l’Est du pays, au Nord et au Sud-Kivu. En Angola, bon nombre de personnes déplacées sont installées dans la province de Cabinda.

 

La cause du déplacement des populations à l’intérieur de ce pays est non seulement le conflit armé et la violence généralisée -comme dans d’autres pays de la région-, mais aussi l’inondation115. Au Burundi, de nombreux déplacés identifiés sont établis dans les provinces du Nord et du Centre. L’estimation de ces populations est approximative : plusieurs déplacés sont dans des familles d’accueil, et non enregistrés, d’autres sont installés dans des régions difficiles d’accès.

 

Par ailleurs, ils ont un profil différencié, qui rend l’opération de dénombrement complexe : profil gouvernemental et profil onusien. Cependant, entre 2011 et 2012, le nombre de personnes déplacées dans les pays d’Afrique centrale est loin d’atteindre le chiffre le plus élevé déjà obtenu : 800 000 au Burundi (1999) ; 212 000 en RCA (2007) ; 185 000 au Tchad (2007) ; et 3 400 000 en RDC (2003) en l’occurrence.

 

Les manifestations organisées par les migrants forcés dans de nombreux pays d’Afrique centrale, dont l’objectif principal est l’amélioration des conditions d’accueil, arrivent à rendre ces personnes visibles. Elles mettent aussi en évidence trois problèmes majeurs. L’augmentation en qualité et en quantité de la ration alimentaire d’abord : elle est fondée sur les cas avérés de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans dans les familles de réfugiés ou de personnes déplacées.

 

Le rapport ainsi établi entre alimentation et santé n’est pas anodin. Les agences en charge de la gestion des migrations reprennent d’ailleurs les perceptions sociales des migrants forcés, en de termes administratifs ou techniques, pour fixer des priorités. Ensuite, ce sont les problèmes de logement corrélés à celui des difficultés financières. La solution d’évidence à la misère collective, qui frappe, comme une fatalité, tous ceux qui sont dotés d’un capital social faible, oblige les réfugiés et les personnes déplacées à résider, pour la plupart, dans des bidonvilles ou des taudis.

 

Il est à noter que les agents politico-administratifs interviennent dans quatre secteurs principaux : la protection, l’éducation, le social et les microprojets. Or, les charges liées à ces secteurs ne sont pas suffisamment prises en compte, dans la phase opérationnelle. Enfin, il y a un écart considérable entre les objectifs affichés ou les moyens alloués, dans le cadre des politiques sociales, et les résultats obtenus. À telle enseigne que les échecs de quelques politiques en direction des migrants forcés semblent programmés voire souhaités, avant leur réalisation.

 

Malgré l’absence d’une problématique consacrée exclusivement à la question de réfugié et personne déplacée, les préoccupations y relatives sont transformées en enjeux collectifs. Cela est susceptible de poser de nombreux défis, notamment aux solutions « durables » apportées à cette catégorie de populations.

 

2. Enjeux et défis liés aux solutions d’évidence

 

Les agences de protection et d’assistance des réfugiés et personnes déplacées proposent en règle générale, trois solutions d’évidence (communément désignées sous le label de « solutions durables ») à leur situation « problématique », à savoir : l’installation sur place ou l’intégration locale, caractérisant le fait que l’autorité publique permet aux migrants forcés de s’intégrer ; le retour ou le rapatriement volontaire, renvoyant à la situation où ces populations peuvent retourner dans leur pays ou région d’origine parce que leur vie ou leur liberté n’est plus en danger ; et la réinstallation dans un autre pays tiers, envisagée dès lors que le rapatriement est dangereux et que le pays ou la région d’accueil refuse l’intégration locale. Au regard de la quasi-absence de réinstallation dans les échanges migratoires entre les pays d’Afrique centrale, seuls l’installation sur place (1) et le retour (2) feront l’objet d’un traitement systématique dans cette partie.

 

2.1. Installation sur place

 

Des perspectives en termes d’installation sur place se font jour en Afrique centrale pour trouver une solution adéquate aux situations des refugiés « prolongés ». Face à l’ambigüité des solutions durables, les populations orientent leur choix vers le séjour plus ou moins prolongé en pays ou région d’accueil. L’intention dissimulée de rester et la prétention à partir montrent néanmoins jusqu’où les migrants forcés peuvent aller pour gérer le risque encouru durant l’installation sur place.

 

Le migrant forcé contrôle et diffuse une certaine image de lui-même ; d’où une posture ambivalente par rapport à son statut. Sa vie quotidienne en zone d’accueil devient une occasion pour faire voir ou faire croire à sa détermination de retourner chez lui, au mieux d’être réinstallé. L’on est face à un séjour permanent par ruse. En analysant les façons dont ces populations manient l’information qu’elles émettent à propos d’elles-mêmes ou de leurs corps, l’on considère aussi, nécessairement, comment elles se préparent à se jouer des autorités établies.

 

A partir du cas du rejet latent ou partiel du rapatriement « volontaire », il est possible de mettre en évidence la volonté affichée de rentrer dans son pays ou sa région d’origine, et le besoin/désir refoulé de s’installer hors de chez soi. Les réfugiés et les personnes déplacées, dans leurs modes de vie ou prises de parole, affichent ainsi la volonté de « rentrer ».

 

L’intention de rester n’est pas toujours un objectif clair et encore moins un projet cohérent. Il est illusoire et faux de considérer ce comportement comme toujours réfléchi, c’est-à-dire médiatisé par un agent calculant, en fonction d’objectifs d’installation préalablement fixés au départ. L’agent, qui prétend manifestement partir ou rentrer, est toujours contraint et limité par les réalités sociales.

 

Les revirements des réfugiés et personnes déplacées, candidats au retour, observés dans les séquences de rapatriement librement « consenti » en Afrique centrale, brouillent l’analyse en termes de moyens et de fins : est-ce au départ, en localité d’accueil, à l’arrivée en zone d’origine ou en chemin, entre les deux espaces, que le migrant forcé décide de rejeter (partiellement) le rapatriement « volontaire » ? La réponse à cette question n’est pas simple et oblige à tenir compte de trois paramètres : le début, le déroulement de l’opération de rapatriement, la fin ou la terminaison de la politique migratoire.

 

On écarte les types de rejet total des institutions sociales. Quels que soient les motifs de départ, les nouveaux venus des villes d’Afrique centrale tendent à se rassembler et à instaurer ensemble des liens affectifs pour faire face aux processus d’éviction urbaine dont ils font régulièrement l’objet. Si les organisations internationales véhiculent une image dramatique de millions de victimes de conflit armé ou de dégradation de l’environnement, elles occultent le fait que ces populations sont aussi actrices de leur vie et développent des stratégies et des pratiques d’adaptation.

 

Les migrants forcés apparaissent ainsi comme des figures saillantes de la dynamique « éviction urbaine-recomposition sociale » (Lardeux, 2011 : 11). Dans un élan de survie, certains migrants forcés en complicité avec les acteurs locaux opèrent dans les régions d’accueil où ils s’adonnent à l’extraction de minerais précieux, l’or et le coltan (Chechabo Baloko, 2007).

Une étude environnementale menée par le HCR, en 2004, préconise le déplacement des camps de réfugiés ou de déplacés pour éviter la dégradation de l’environnement et/ou les tensions avec les populations locales, consécutives à la présence d’un grand nombre de migrants forcés dans les sociétés d’accueil. Si l’aide apportée à ces migrants par les organisations internationales crée souvent des tensions avec les populations locales démunies, la déforestation est également source de conflits.

 

Le risque de destruction de l’environnement est devenu un prétexte à la menace d’expulsion des réfugiés et personnes déplacées. Pour les pays hôtes, la protection de l’environnement est un alibi pour accélérer le processus de rapatriement (Lassailly-Jacob, 2009). Les réfugiés sont ainsi accusés en bloc d’être des principaux destructeurs et gaspilleurs des ressources d’un environnement qui leur est étranger (Black, 1998 ; Chechabo Baloko, 2007 ; Lonergan, 1998).

 

 Cependant, au même titre que les populations établies depuis longtemps, les réfugiés et les personnes déplacées sont souvent obligés, pour survivre, de porter atteintes à l’environnement. Ils espèrent ainsi trouver une satisfaction à leurs besoins fondamentaux, notamment en eau, en bois de chauffage et en nourriture, disponibles dans et autour des sites d’accueil. D’où la déforestation, la mort des espèces végétales vulnérables et menacées, et le braconnage. En fait, les arbres sont abattus à des fins de consommation, de construction ou de commercialisation. La fabrication et le commerce du charbon de bois prospèrent.

 

Transformés en braconniers, les populations se livrent impunément au commerce des pointes d’ivoire, des cornes de rhinocéros et à l’exportation des espèces animales protégées telles que la tortue et le crocodile. Le déplacement forcé, l’exploitation des ressources naturelles et la corruption s’auto-entretiennent (Pourtier, 2009).

 

Les solutions mises en œuvre par les organisations internationales en partenariat avec les Etats ou régions d’accueil (en termes de collecte et de distribution du bois mort, essais ponctuels de foyers améliorés et de cuiseurs solaires, plantations d’arbre) ne suffisent pas à répondre à toutes les attentes.

 

Il convient de découvrir les ressources d’allocation que le réfugié et la personne déplacée possèdent, et la marge de manœuvre dont ils disposent. Même si le rapatriement volontaire peut être vécu comme une expulsion dissimulée, le réfugié ou la personne déplacée reste connectée aux institutions par un fil presque invisible.

 

En juin 2012, au moment où les clauses de cessation du statut de réfugié sont entrées en vigueur pour les réfugiés angolais, bon nombre d’entre eux ont trouvé leur compte, en s’installant sur place. Les anciens réfugiés de ce pays -soit 70 000- se sont définitivement installés en RDC. Le gouvernement de la République démocratique du Congo a procédé à l’octroi de permis de séjour à 6500 d’entre eux. Par ailleurs, le HCR prévoit d’encadrer le retour de quelques 6 000 réfugiés congolais (RDC) accueillis en République centrafricaine (HCR, 2014). Le rejet partiel et l’acceptation font partie de la règle du jeu.

 

Durant leur séjour en pays ou région d’accueil, plusieurs réfugiés et personnes déplacées vivent dans des conditions d’insécurité économique et sociale. La grande majorité d’entre eux construisent dans des espaces de relégation sociale, des abris de fortune- par exemple dans des zones marécageuses de Bangui, les contreforts des collines de Yaoundé ou les terrains sablonneux et glissants à la périphérie de Brazzaville (Lardeux, 2010). Si cette identité sociale marquée par la carence et l’imprévu les réduit à l’état de précarité, il n’en demeure pas moins que ces personnes quittent peu ou prou la localité d’accueil à cause de cette situation de vulnérabilité ou de fragilité.

 

L’idée s’affirme que le travail précaire de ces personnes est une illusion fondant leur séjour sous le mode du provisoire. Leur état de précarité est une situation dans laquelle basculent non seulement ceux qui ont un travail à faible capital économique et culturel, mais surtout ceux qui, en raison de ce travail et faute de capitaux de tous genres, ne peuvent faire face à leur existence en résistant au déclassement social. Pour sortir de l’ambiguïté dans laquelle leur condition sociale les plonge généralement, ils utilisent un corpus qui n’est pas éloigné de cette expression : « Si un jour ça change chez moi, je rentre ».

 

Les réfugiés et les personnes déplacées ne peuvent pas être de travailleurs traditionnels étant donné la nature et la situation précaires de leur identité sociale. Ils ne bénéficient pas toujours, malgré les discours de circonstance, des mêmes droits sociaux que les nationaux dans la plupart des pays d’Afrique centrale, bien que ceux-ci soient aussi frappés par le chômage. La migration forcée finit souvent par devenir, en fonction des conjonctures particulières, une migration de travail au point où la situation de crise peut se normaliser sans entraîner une migration de retour.

 

Le fait de travailler ou de se loger dans des conditions misérables illustre comment les réfugiés et les personnes déplacées participent à la construction d’une société plus résiliente. La marque des migrants forcés tient ainsi au maniement des corps et des objets qu’ils mobilisent pour s’ajuster aux conditions d’accueil. La présence massive de ces nouveaux venus dans le secteur de l’emploi informel les rend indispensables au fonctionnement de l’économie locale.

 

Par ailleurs, les migrants tissent des réseaux transnationaux, contribuent à une redistribution spatiale des ressources monétaires, diffusent notamment des pratiques religieuses et culturelles, participant à l’émergence de nouvelles formes de sociabilités (Pourtier, 2003). Ces nouveaux liens sociaux favorisent la formation de solidarités micro-communautaires, qui protègent les réfugiés des risques d’exclusion et encouragent le développement d’activités collectives (Lardeux, 2009).

 

C’est donc par l’activation des identités que ces populations se constituent ou se reconstituent comme des êtres sociaux à part, et à part entière.

 


2.2. Retour

 

L’Afrique centrale a une certaine expérience du retour des réfugiés et des personnes déplacées. Certains pays de la région comptent un grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées rapatriés (RDC, Burundi, RCA, Tchad) et de départs de migrants (RDC, Burundi, RCA, Tchad, Angola), bien que d’autres ne dénombrent pas ou peu de rapatriés (Guinée équatoriale, Sao-Tomé et Principe, Gabon, Congo) à une phase spécifique de leur histoire.

 

En raison de cette pratique habituelle du retour des migrants forcés, l’idée de rapatriement y a évolué, au point où elle n’implique plus seulement le retour du réfugié dans son pays, ou le retour du déplacé dans sa région ou sa ville, mais le retour au sein de leurs foyers et sur leurs terres d’origine, ainsi que la possibilité de reprendre le contrôle de leurs biens : c’est le processus de restitution des logements et des biens (Handbook on Housing and Property Restitution for Refugees and Displaced Persons : 10).

 

Il est largement admis, dans bon nombre de pays d’Afrique centrale, que le retour sans restitution n’apporte pas une solution durable (complète) au problème du déplacement.

 

Les opérations coordonnées de retour et de rapatriement librement consenti, ainsi que les accords qui les régissent, incluent des dispositions explicites sur la restitution des logements et des biens pour les personnes rentrées au pays : les accords de rapatriement librement consenti garantissent des variantes des droits à restitution des logements et des biens, à plus d’un titre.

 

C’est dans cet ordre d’idées que, en juillet et août 2013, des réunions tripartites ont eu lieu avec des représentants du gouvernement angolais, du HCR et de la RDC en l’occurrence en vue de créer les conditions légales et techniques pour garantir le retour dans la sécurité des Angolais établis en Afrique centrale et australe (Rapport de l’Assemblée Générale AG/SHC/4086).

 

Les retours de 205 réfugiés vers l’Angola se sont effectués, quoique à un rythme lent, durant le dernier trimestre de l’année 2013, avec cette dynamique de restitution des ressources aux rapatriés. Dans la Province de l’Equateur, en RDC, c’est la même logique institutionnelle qui a présidé au retour de quelques 100 000 ressortissants de la République du Congo, entre mai 2012 et août 2013, et à celui des 10 000 réfugiés supplémentaires, avant la clôture de l’opération du rapatriement librement « consenti » en décembre 2013 (Regional update-Africa, 2013 : 3).

 

Le retour des réfugiés et des personnes déplacées recouvre une pluralité de sens. Il peut être spontané, engagé par le migrant forcé lui-même, ou organisé par les agences humanitaires. Dans les opérations organisées, qui s’inscrivent dans le cadre des programmes d’action publique, un modèle de management participatif est mis en place.

 

Ainsi, les migrants forcés sont impliqués à toutes les étapes des politiques de réinstallation « volontaire » qui les concernent : de la formulation à la mise en œuvre. Or, ceux-ci prennent souvent des distances dans la phase de réalisation des programmes de retour, bien que leur consentement semble acquis au départ.

 

Il convient de voir ces désistements comme des manières de réagir face à l’ambigüité du rapatriement « volontaire ». En cela, le retour dans une partie de son pays ou de sa région doit être envisagé comme étant distinct du retour chez soi. Saisir le retour dans une partie de son pays sous le mode de l’inachèvement, c’est déconstruire la catégorie juridique de rapatriement librement consenti. Le programme de rapatriement « volontaire » est parfois plus un risque qu’une occasion offerte au migrant forcé.

 

L’année 1992 a été désignée comme début de la « décennie du rapatriement volontaire ». Cette consécration formelle ne devrait pas faire croire que le passage du statut de réfugié à celui de citoyen, ou de celui de personne déplacée au statut de population établie, s’effectue sans difficultés. Les dispositions du retour conduisent à confondre l’idée de retourner dans son pays ou sa région, au sens employé de séjour dans un espace du territoire national, et celle de retourner chez soi. Ces deux notions sont désormais admises comme différentes, du moins en Afrique centrale. La situation sécuritaire dans la plupart des régions ou des pays d’origine des populations, en particulier en provenance de la République Centrafricaine, du Tchad et de certaines parties de l’Est de la RDC, rend toutefois celles-ci réticentes à l’idée de rentrer chez elles.

 

Dans de nombreux cas, des informations supplémentaires, notamment les visites de reconnaissance et les meilleurs dispositifs de retour, les encouragent davantage à rentrer vers les lieux où la sécurité existe. Nonobstant le caractère inachevé de l’opération, le retour dans une partie du pays ou de la région est sans conteste la solution privilégiée par les agences humanitaires, pas forcément par les migrants eux-mêmes.

 

Il y a une division internationale du travail  à l’œuvre dans le rapatriement librement consenti. Les autorités publiques en zone d’accueil accompagnent les personnes concernées jusqu’à la frontière internationale ou à la limite de leur circonscription administrative. Les autorités du pays et/ou de la région d’origine continuent l’opération de rapatriement.

 

Les populations sont généralement acheminées dans un site d’hébergement, en attendant qu’on leur trouve un abri ou une place dans leur terroir. La destination finale vers les villes ou les villages de résidence est souvent hypothétique. Les réfugiés et les personnes déplacées sont confrontés à un ensemble de contraintes structurelles : enregistrement, attribution des lots, etc. À travers la question du retour des réfugiés et des personnes déplacées se jouent des rapports de pouvoir globaux et locaux, en zone CEEAC.

 

Depuis plusieurs années, les autorités instituées formulent les politiques de retour, en se tournant résolument vers des formes d’arbitraire. Ce qui laisse planer un doute sur l’opération menée, sur la consultation et le libre arbitre des réfugiés volontaires au retour organisé. Le HCR ne mesure pas toujours les risques que fait courir l’encouragement au retour. Le retour prend parfois la forme d’un « refoulement déguisé ».

 

L’agence onusienne propose par conséquent des demi-solutions, dont la durabilité n’est que nominale. Ses agents reconnaissent néanmoins que leur service fait l’objet de pressions constantes pour soutenir des retours qui ne sont ni vraiment consentis, ni vraiment sûrs.

 

La sécurité qui règne dans le pays ou la région d’accueil ne peut souvent être garantie, du fait d’un conflit armé ou de l’insécurité qui règne. Le pouvoir local est parfois moins disposé à continuer d’héberger les nouveaux venus.

 

Cela induit la difficulté d’inscrire la thématique de réfugié et personne déplacée dans les politiques locales ou nationales, et à forte raison dans les politiques régionales de gestion des migrations.

 

3. Modalités d’intégration de la thématique dans les politiques

 

Sans volonté politique, les obstacles aux solutions durables ne pourront être levés (HCR, 2012 : 13). La politique volontariste a également pour ressort, la mobilisation des groupes sociaux concernés.

 

3.1. Mobilisation des groupes sociaux

 

Pour être inscrite dans les politiques régionales de gestion (concertée) des migrations, la problématique des réfugié et des personne déplacée doit être portée par des groupes sociaux, les représentants des Etats membres  et les associations de migrants forcés notamment.

 

Une telle implication aura pour effet de révéler l’ensemble des préoccupations relatives aux réfugiés et personnes déplacées, et de donner par conséquent à celui-ci une dimension régionale. En Afrique centrale, les décideurs et les groupes de réfugiés ou de personnes déplacées semblent s’être accordés pour éviter le débat public sur les questions de migration forcée.

 

L’inscription de cette problématique dans l’agenda formel de la région résulte d’un processus voulu de « dépolitiser » la thématique ; la transformation des problèmes spécifiques des réfugiés et personnes déplacées en enjeux publics ayant été écartée de manière consensuelle par les différents groupes d’intérêt, soit comme coûteuse, soit comme improductive voire contreproductive.

 

Dans ce cas, l’inscription de ces problèmes dans les politiques régionales de gestion des migrations ne pourra se faire que de deux façons possibles : en « arène fermée », c’est-à-dire entre différents administrations et les groupes d’intérêt concernés (membres de la société civile, experts et universitaires) ; ou en « arène semi-ouverte », dans le cadre de rencontres de dialogue régional entre toutes les parties prenantes comme par exemple le Forum migration et développement en Afrique centrale tenu en octobre 2013 dans le cadre de la mise en œuvre de la Facilité Intra-ACP pour les Migrations, avec pour objectif de finaliser le document d’orientation stratégique en matière de migration à l’échelle régionale.

 

La problématique peut certainement s’imposer directement dans les instances de décision de la CEEAC (conférence des chefs d’Etat et conseil des ministres), son émergence peut aussi se faire progressivement, par des canaux multiples.

 

L’implication des acteurs issus de la société civile dans ce processus pourra néanmoins se faire de deux manières complémentaires :

 

-    promouvoir le thème du « respect des droits des migrants », par l’animation des campagnes de sensibilisation et la mutualisation des efforts déployés, du moment où la réponse apportée dépendra en grande partie du caractère saillant de la problématique et de sa diffusion ;

-    et entreprendre des actions de lobbying auprès des Etats membres  de se mettre du côté du droit international, en ratifiant les principaux instruments juridiques relatifs aux réfugiés et aux personnes déplacées, et en favorisant la traduction des conditions de fait en de termes (bureaucratiques) qui le rendent traitable par les autorités publiques.

 

Comme l’atteste la formulation du document de politique migratoire en Afrique centrale, l’inscription de la problématique de migration forcée appelle l’intervention (active) des décideurs, qui doivent mettre en œuvre des conditions favorables au développement.

 

3.2. Intervention publique

 

La prise en compte de l’ensemble des préoccupations des réfugiés et des personnes déplacées par les décideurs n’est pas acquise à l’abord, d’autant plus que différents groupes sociaux concernés ont des intérêts divers voire contradictoires. Fort de cette considération, et du fait de l’incapacité des autorités à répondre à toutes les sollicitations, l’intervention publique passe ainsi par une série de sélection des problèmes à aborder ou à occulter.

 

Les acteurs publics sont confrontés à une multitude de problèmes concernant les réfugiés et personnes déplacées (maîtrise des flux migratoires, accueil, insertion sociale, retour ou réintégration). Les difficultés rencontrées par les migrants forcés accèdent au système politico-administratif de la CEEAC dans des formes très variées. La coopération en matière de gestion de la migration forcée constitue l’une d’entre elles. L’importance des mobilisations institutionnelles est déjà perceptible à plusieurs niveaux, à savoir :

 

-    l es accords de coopération technique signés entre l’OUA et le HCR, entre les Etats d’Afrique centrale et le HCR, ou entre les Organisations de la société civile de ces pays et l’agence onusienne ;

-    les accords de partenariat entre le HCR et le PAM pour le traitement et la protection des catégories spécifiques de migrants forcés, entre le HCR et l’OIM en matière de retour ou de réinstallation dans un pays tiers, entre l’UNICEF et les ministères des pays d’Afrique centrale pour l’éducation et la santé des enfants migrants ;

-    la mission PNUD/BIT réalisée pour faire le point avec les gouvernements des pays d’origine sur le statut et l’avenir des populations réfugiées burundaises, rwandaises, ou congolaises (anciennement appelées zaïroises) ;

-    le programme d’appui à l’éduction des réfugiés financé par la GIZ (Agence de Coopération Technique Allemande), etc.

 

Dans la continuité du régime de coopération internationale, l’imposition de la thématique du réfugié et de la personne déplacée pourra se faire par des mécanismes institutionnels, au niveau du Secrétariat Général de la CEEAC et celui des Etats membres. D’abord, l’organisation régionale devrait entreprendre trois actions :

 

-    étendre le champ de ses interventions, en procédant à la mise en place d’un programme régional d’assistance permanent aux réfugiés et aux personnes déplacées pour les Etats membres et en favorisant l’apparition de nouveaux enjeux et la formation des nouvelles solidarités locales ou transnationales, promptes à obtenir l’engagement politique des décideurs en faveur de ces collectifs ;

-    promouvoir la coopération avec les agences onusiennes spécialisées (UNHCR, OCHA, CICR), afin de les faire partager ses vues et options stratégiques ;

-    faire le plaidoyer auprès des Etats membres pour respecter leurs engagements vis-à-vis des réfugiés et des personnes déplacées, de manière à structurer l’activité potentielle des migrants forcés.

 

Ensuite, les Etats membres pourraient déployer cinq types de stratégies offensives :

 

-    mettre la question des réfugiés et des personnes déplacées au centre des stratégies et préoccupations en termes de coopération décentralisée (entre collectivités territoriales décentralisées), en facilitant l’intégration de ces collectifs vulnérables dans la politique régionale en matière de migration et développement et en offrant de bonnes conditions d’accueil aux retournés ou aux réfugiés de retour ;

-    institutionnaliser l’assistance et la protection en direction du réfugié et de la personne déplacée, au moyen de la ratification de la Convention de Kampala en l’occurrence, de manière à les rendre contraignante pour les autorités chargées de leur application ;

-    accorder une priorité à la prévention et à la résolution pacifique des conflits armés, qui ravagent l’Afrique centrale depuis plusieurs décennies, et qui constituent notamment la principale cause de production des réfugiés et des personnes déplacées ;

-    faire également face au pillage et à l’exploitation des ressources naturelles, propices pour produire à court terme davantage de victimes que les conflits armés, au travers de l’adoption et/ou de l’application des lois en matière de gestion desdites ressources ;

-    et, enfin, engager une lutte implacable contre la corruption généralisée, dont sont aussi victimes les collectifs de réfugiés et de personnes déplacées, dans le cadre du blanchiment en tous genres ou de la criminalité financière qui tire profit des espaces de non droit.

   

Cette intervention publique est susceptible de conduire à l’expression de nouvelles demandes sociales jusque-là délaissées, dans le secteur de la migration.

 

Les pays de la CEEAC sont confrontés à une double contrainte. D’abord, ils doivent prendre en charge les migrants internationaux, spécifiquement les réfugiés, alors qu’ils éprouvent en même temps des difficultés à apporter l’assistance et la protection à leurs populations (Makwala Ma, 1999).

 

Ensuite, s’ils se sont engagés à accueillir formellement les réfugiés dans leur territoire en se mettant du côté du droit international, ils sont moins favorables à l’arrivée de nouveaux flux. Il y a un consensus sur la nécessité de mettre en œuvre une politique globale et concertée sur les questions de réfugié et personne déplacée.

 

La part résiduelle voire marginale qu’occupent ces populations dans la hiérarchie des priorités en matière d’intégration régionale ou de développement contraste fortement avec la réalité. D’où la nécessité d’engager une éducation publique sur l’apport des réfugiés et des personnes déplacées, afin d’aller au-delà des représentations négatives des migrants forcés comme une charge supplémentaire pour les pays en situation de fragilité.

 

Ceci d’autant plus que la potentialité des réfugiés, au-delà les représentations du migrant forcé comme « charge », peut être convertie en facteur de croissance, d’innovation et de développement dans les pays d’accueil, et que dans le long terme, cette potentialité peut contribuer au développement économique, social et politique dans les pays d’origine.


CONCLUSION GÉNÉRALE

 

Nous voici arrivée au terme de notre étude portant sur « Les flux migratoires dans la Région des Grands Lacs Africains post-conflits : de l’applicabilité des principes de l’intagibilité des frontières internationales et de la non intervention dans les affaires intérieures d’un Etat face au droit humanitaire ».

En guise de conclusion générale, nous disons que la problématique de notre recherche avait une première interrogation majeure, à savoir : « Comment analyser la problématique des flux migratoires dans les Etats Africains post-conflits et quels enjeux représentent, à ce jour, ces mouvements des populations dans la politique internationale ?

La deuxième interrogation subsidiaire était celle de rechercher « Quels sont les différents mécanismes établis en droit international humanitaire pour la protection des populations et pour la responsabilité des acteurs étatiques et non étatiques (les organismes internationaux), concernant l’application des principes de non ingérence ainsi que la souveraineté des Etats ?

En guise d’hypothèses, il nous a semblé opportun de présenter d’abord le contexte politique des différents conflits et leur impact pour bien cerner la quintessence de déplacements de populations et ensuite nous avons spécifié les différentes sortes de déplacements de populations qui sont l’émanation de la souffrance et la quête de survie.

 

Comme hypothèse subsidiaire à la première hypothèse, nous pensons que l’importance de ces mouvements de populations en politique internationale, demeure de taille dans la mesure où les mouvements massifs ou flux de population s'ajoutent toujours aux tensions économiques et sociales, aux questions ethniques et aux problèmes de gouvernance. Les experts du GIEC estiment que la chute de la production agricole sur le continent africain se produira aux environs de 2020.

 

Tous les pays seront concernés par la réduction des surfaces cultivées et par la généralisation de la malnutrition, et beaucoup d'entre eux, par la montée du niveau de la mer. La désertification entraînera des crises sociales et politiques. Or celles-ci interviendront dans des pays faibles, (comme la Somalie, en proie à des guerres civiles, comme le Soudan), ou devant déjà affronter une crise de réfugiés, comme le Tchad. L’Afrique de la Region des Grands Lacs n’en sera certainement pas epargnée.

 

Comme perspectives de la recherche, il s’avère que parmi les grands problèmes politiques internationaux contemporains, l’on compte le rechauffement climatique dont les conséquences  peuvent être dans un premier temps moderées, cependant, l'arrivée massive de réfugiés peut entraîner une baisse des capacités des pays développés à gouverner. Selon les experts, un réfugié sur deux sera un réfugié climatique dans trente ans.

 

Aujourd’hui, les flux migratoires sont encore une réalité mondiale, un phénomène toujours croissant, entrainant des conséquences diverses pour la communauté internationale.

 

Pour appréhender la complexité des phénomènes migratoires, il faut analyser les causes à l’origine des flux. Il s’agit :

 

1)   De la pauvreté et l’absence des perspectives économiques, les disparités qui en découlent en termes de manque d’emplois et de protection sociale ;

2)  De l’absence de bonne gouvernance et la dictature ;

3)  Des violations des droits de l’homme et les discriminations dans les pays d’origines des migrants ;

4)  Les conflits armés, et

5)  Les catastrophes naturelles.

 

Concernant la deuxième hypothèse sur la question de  la réglementation internationale en la matière, plusieurs instruments juridiques internationaux existent et sont assistés aussi par les instances judiciaires internationales, régionales et sous-régionales. Il existe même des organisations qui s’occupent de ces questions comme le H.C.R (le Haut-Commissariat de Réfugiés), l’O.I.M. (l’Organisation Internationale des Migrations), La commission internationale des Nations unies pour les droits de l’homme etc. ... En cas de crime contre l’humanité, la Cour Pénale Internationale peut aussi agir.

 

L’hypothèse subsidiaire à cette deuxième hypothèse serait le fait que malgré  l’établissement de ce cadre institutionnel international sur cette scène de la vie internationale, qui est régit par le droit international,l’on observe, cependant, une certaine réticence de la part des acteurs étatiques qui, au nom de la souveraineté des états, contestent énergiquement certains rapports que ces organismes attitrés présentent.  

 

Certains Etats refuseraient même de l’aide humanitaire en avançant comme motif que les agents humanitaires complotaient avec leurs ennemies pour les attaquer sous « la couverture  humanitaire ».

 

Avec une telle attitude, la responsabilité aussi bien des états que des organismes internationaux est mise en cause, alors que cette question demeure vitale pour le peuple du monde et des africains en particulier.

 

Conformement à l’intitulé de la recherche, nous avions plus visité le cadre institutionnel de la gestion  de la politique migratoire en afrique subsaharienne et plus spécifiquement, celle des pays membres de la C.I.R.G.L. Tel est l’apport de notre thèse qui s’est vérifié.

 

En effet, l’intérêt de ce sujet est manifeste dans la mesure où les flux migratoires dans la region des grands lacs africains constituent une clé de voûte à la question de la paix et sécurité internationale, concommitamment à celle des droits de l’homme.

 

Les déplacements massifs des populations impliquent souvent des violations graves et à une large échelle des droits de la personne. Face à de telles violations, nul ne saurait aujourd'hui s'abriter juridiquement derrière le principe de non-intervention dans les affaires qui relèvent de la juridiction interne des États. Il reste néanmoins à établir les contours juridiques des éventuelles réactions unilatérales et collectives des États et des organisations internationales.

 

Si jusqu'à ce jour, le débat portait sur le droit d'ingérence, afin d'acheminer l'aide humanitaire à des populations en détresse sans le consentement de l'État concerné, la discussion porte maintenant sur l'emploi de la force comme moyen de mettre fin à de telles violations.

 

Dans les années 1980, entre autres dans un ouvrage coécrit avec le professeur Mario Bettati, Bernard Kouchner théorise le « devoir d'ingérence », ou obligation, selon lui, pour les États qui le peuvent, principalement les démocraties occidentales, d'intervenir, pour raison humanitaire, dans tout État où la population souffre et où les droits de l'homme, considérés dans cette optique comme universels, seraient bafoués. Il s'agit d'une extension, du concept de droit d'ingérence (le droit est transformé en devoir moral) qui est parfois invoqué, mais se heurte, d'un point de vue juridique, au principe de souveraineté des États, garanti par la Charte de l'Organisation des Nations unies.

 

Cette contradiction paradigmique a suscité en nous un interêt  majeur dans le choix de cette recherche dans la mesure où ce « devoir » est fortement critiqué comme étant un possible « néo-impérialisme », notamment par Jean-Pierre Chevènement qui argumente qu'on ne voit jamais le faible s'ingérer chez le fort mais toujours le fort chez le faible.

 

L’intérêt scientifique reside  d’une part, du fait que cette étude fait partie de l’analyse des grands problèmes politiques internationaux contemporains. Ayant trait au système international, elle permettra eventuellement à enrichir la littérature classique sur toute modification et transformation de ce système.  

 

D'autre part,elle s’inscrit dans le domaine de l’application des règles du droit international. Car la connaissance des actions et reactions sur la question de l'emploi de la force dans les relations internationales, est  celle de la réponse à donner.

 

L’autre interêt majeur est cette contribution de notre recherche dans le nouveau paradigme migratoire qui est « la mondialisation des flux migratoires », notre apport est celle de la regionalisation des flux migratoires qui viennent changer fondamentalement la donne concernant les roles des migrations  dans les sociètés actuelles, mieux dans le système international actuel.

 

Le défi dans ce domaine migratoire, selon les conclusions des textes fondateurs des théories migratoires, reste d’expliquer les tendances actuelles qui consisterait à inclure dans les paramètres de politique internationale, ceux du droit international et des droits humanitaires, ce dont nous nous sommes attellé dans cette recherche. C’est cela la spécificité de cette recherche.

 

Pour atteindre ces objectifs, nous avons recouru à la méthode historique dans un premier temps afin de saisir la sociologie des conflits qui sont à la base de déplacements des populations à l’aide de deux approches que sont la diachronie et la genèse qui consiste à remonter jusqu’aux origines des faits pour en identifier les causes profondes. Le suivie de l’évolution des événements dans le temps et dans l’espace s’effectuera quand à lui par la diachronie à cause du dynamisme des faits sociaux comme facteur explicatif des éléments déterminants du changement post-conflictuel.

 

Deuxièmement, nous avons recouru à la méthode dialectique. Cette dernière nous a aidé à analyser les contradictions qui sous-tendent le droit international et les droits internes. Elle nous a permis de faire une lecture de différentes attitudes des différents acteurs internationaux vis-à-vis du droit humanitaire, du droit des déplacés de guerres par rapport aux réactions des nations au nom de la souveraineté étatique.

 

La dialectique nous a aidé également à éclairer la façon dont le déplacement de populations est conçu au niveau mondial et comment s’effectue cette nouvelle gouvernance mondiale à travers le déplacement des populations. Cette méthode nous a conduit à l’apréhension des contradictions existants entre le neolibéralisme qui faisait la promotion de la libre circulation des biens et services et du capital humain et le nouveau modèle protectioniste qui parle de la gestion migratoire axée sur la flexibilité et la circularité (déplacement temporaire ou à court terme).

 

La méthode structuro-fonctionnaliste nous a aidé à cerner les différentes structures et fonctionnement des organisations internationales impliquées dans la gestion des populations déplacées et celles qui interviennent pour la gestion de la paix et sécurité dans le monde, dans ce secteur précis pour nos données en matière de déplacement des populations.

 

 

Pour arriver à cette fin, nous avons subdivisé ce travail en trois grandes parties. La première concerne l’approche théorique avec trois chapitres sur les définitions des concepts et contours de la thématique ainsi que sur les théories des relations internationales et migratoires. Le second chapitre concerne le principe d’intagibilité des frontières internnationales. Il s’agit des droits de peuple à l’autodémermination et à la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles sous l’angle des droits humains. Ensuite intervient le mécanisme de contrôle en cas de violation. Au troisième chapitre, nous avons parlé du principe de la non intervention dans les affaires intérieures d’un Etat. Il s’agit des possibilités d’action visant à assurer le respect des droits de la personne face à ce principe. Deuxièmement le principe d’une réaction non armée.

La deuxième partie concerne la régionalisation des flux migratoires face aux droits humanitaires et la souveraineté des Etats. Le premier chapitre concerne la régionalisation des flux migratoires. Il s’agissait de relever la corrélation entre l’insécurité internationale, le déplacement des populations et les droits d’intervention humanitaire. Nous avons trouvé des mécanismes régionaux des résolutions des questions transfrontalières qui existent. Et nous avons préconisé la coopération multilatérale face aux flux migratoires et aux défis de la souveraineté dans la sous-région. L’intervention humanitaire passe facilement dans le cadre d’une coopération multilatérale, plutôt qu’une intervention multilatérale.

Le deuxième chapitre de cette deuxième partie concerne les droits d’intervention humanitaire. Il y a dans ce cadre, le droit d’ingérence d’une part et le principe de non intervention dans les affaires à compétence nationale d’un Etat d’autre part. Il était question de décortiquer la migration et les droits humains.

Le troisième chapitre concerne la souveraineté des Etats face à l’ingérence humanitaire.

Enfin, la troisième partie concerne la gestion des flux migratoires en Afrique post-conflit et la validation de l’intervention de la   communnnauté internationale. Il était question d’analyser les tendances et déterminants des conséquences de migration dans l’espace de la CIRGL. Nous avons analysé les migrations face aux violences sexuelles basées sur le genre, face aux changements climatiques et face à la féminisation. Le second chapitre de cette troisième partie concerne l’implication des organisations internationales et leurs impacts. Il s’agissait de passer en revue les activités de l’OIM, le HCR, l’UA et ses politiques migratoires, la CIRGL et enfin, nous avons clôturé avec la coopération régionale vis-à-vis des flux migratoires transfrontaliers. L’apport de la recherche se valide par le concept de régionalisation des flux migratoires avec des nouvelles tendances consistant à inclure dans les paramètres de politique internationale, ceux du droit international et des droits humanitaires.    

 

 

 


TABLE DES MATIERES

 

INTRODUCTION GENERALE. 2

1. PRESENTATION DE LA RECHERCHE. 2

2. PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE. 4

3. HYPOTHESES. 5

4. CHOIX ET INTERET DU SUJET. 7

5. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE. 9

5.1. Méthodes de travail 9

5.2. Techniques utilisées. 10

6. DELIMITATION DU TRAVAIL. 10

7. REVUE DE LA LITTERATURE. 11

Ière Partie : 21

APPROCHE THÉORIQUE. 21

Chapitre I : 22

DÉFINITIONS DE CONCEPTS CLÉS ET CONTOUR DE LA THÉMATIQUE. 22

Section 1. DEFINITION DES CONCEPTS CLES. 22

1. Définitions et concepts de base. 22

1.1. Délimitation du concept de migration. 22

1.2. Le transnationalisme. 32

1.3. Conséquences diplomatiques. 37

1.4. Conflit, Guerre, Crise. 37

1.5. Définition et contenu du droit à l’autodétermination. 61

1.6. Définitions de la contrainte. 68

1.7. La définition du droit d’ingérence armée humanitaire. 75

Section 2. CONTOURS DE LA THEMATIQUE. 77

1. Présentation des Etats-membres de la CIRGL post-conflits. 77

1.1. Région des Grands Lacs. 77

Section 3. LES THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES ET MIGRATOIRES. 83

Les théories des relations internationales. 83

1.1. Le champ des relations internationales. 83

1.2. Théories et systèmes. 94

2. Théories migratoires. 107

2.1. Les approches micro-individuelles. 109

2.2. Les approches macro-structurelles. 114

2.3. L’approche par le genre. 117

2.4. Les réseaux migratoires. 118

2.5. Les effets économiques de l’immigration : approche macro-structurelle dans les pays développés  120

2.6. Migration et développement : le cas des pays en développement 122

2.7. Les effets micro-économiques de l’immigration. 124

2.8. Les effets politiques : le cas des migrations de refuge. 127

2.9. Les effets sociaux de la migration : minorités versus majorités. 128

Chapitre II : 135

PRINCIPE DE L’INTENGIBILITÉ DES FRONTIÈRES INTERNATIONALES. 135

Section 1. LE DROIT DES PEUPLES A L’AUTODETERMINATION ET A LA SOUVERAINETE PERMANENTE SUR LEURS RESSOURCES NATURELLES SOUS L’ANGLE DES DROITS HUMAINS. 135

1. Le droit des peuples à l’autodétermination. 135

2. Textes pertinents relatifs au droit à l’autodétermination. 137

3. Exercice du droit à l'autodétermination. 146

4. Obligations des états et mise en oeuvre au niveau national 155

5. Exemples de mise en œuvre au niveau national 158

6. Enjeux et obstacles actuels à l’exercice du droit à l’autodétermination. 163

Section 2 : MÉCANISMES DE CONTRÔLE DISPONIBLES EN CAS DE VIOLATION.. 200

1. Au niveau national 201

2. Au niveau régional 204

2.1. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. 205

2.2. La Cour africaine des droits de l’homme. 207

2.3. La Commission interaméricaine des droits de l’homme. 208

2.4. La Cour interaméricaine des droits de l’homme. 211

3. Au niveau international 213

3.1. La Cour internationale de justice. 214

3.2. Le Comité des droits de l’homme. 216

3.3. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. 217

3.4. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. 219

3.5. Le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation. 220

3.6. Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones. 222

3.7. L’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme. 223

Chapitre III : 226

PRINCIPE DE LA NON-INTERVENTION DANS LES AFFAIRES INTÉRIEURES D’UN ÉTAT. 226

Section 1. LES POSSIBILITES D'ACTION VISANT A ASSURER LE RESPECT DES DROITS DE LA PERSONNE FACE AU PRINCIPE DE NON-INTERVENTION.. 226

Section 2. PRINCIPE D’UNE RÉACTION NON ARMÉE. 232

1. Moyens principaux d’interprétation. 240

1.1. Le texte de la Charte. 240

1.2. La pratique des Nations Unies. 244

Section 3. LA REGLE DE NON-INTERVENTION FACE A LA CONTRAINTE NE PORTANT PAS SUR LES DROITS SOUVERAINS DE L’ETAT. 266

1. Critères déterminant le contenu du « domaine réservé ». 268

1.1. Le critère de l’engagement international 269

1.2. Les conséquences de l’application du critère de l’engagement international 272

1.3. Application de ces critères aux droits de la personne. 276

Section 4. FONDEMENT JURIDIQUE DU DROIT D’INGERENCE HUMANITAIRE. 299

1. L’argument de légitime défense. 322

2. Les mécanismes de sécurité collective. 326

2ème Partie : 338

RÉGIONALISATION DES FLUX MIGRATOIRES FACE AU DROIT HUMANITAIRE ET LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS. 338

Chapitre I : 339

RÉGIONALISATION DES FLUX MIGRATOIRES. 339

Section 1. CORRELATION ENTRE L’INSECURITE INTERNATIONALE, DEPLACEMENT DES POPULATIONS ET LE DROIT D’INTERVENTION HUMANITAIRE. 339

1. Sur le plan du système international 340

2. Sur le plan régional et sous régional 343

2.1. Niveau régional 343

2.2. Niveau sous régional 345

Section 2. MECANISMES REGIONAUX DE RESOLUTION DES QUESTIONS TRANSFRONTALIERES  359

Section 3. PRECONISATION DE LA COOPERATION MULTILATERALE FACE AUX FLUX MIGRATOIRES ET AUX DEFIS DE LA SOUVERAINETE DANS LA SOUS-REGION.. 362

1. Les contraintes les plus urgentes. 362

2. Relations entre la navigabilité du fleuve congo et les differents corridors de transport de la région des grands lacs. 364

3. Migration et développement 367

Chapitre II : 368

DROIT D’INTERVENTION HUMANITAIRE. 368

Section 1. LE DROIT D'INGERENCE ET LE PRINCIPE DE NON-INTERVENTION DANS LES AFFAIRES A COMPETENCE NATIONALE D’UN ÉTAT. 368

Section 2. MIGRATION  ET DROITS HUMAINS. 372

1.  Etat des lieux de la question des droits de l’homme et des droits des migrants. 374

1.1. Aspects fondamentaux relatifs aux droits de l’homme et des migrants. 374

1.2.  La réalité des droits des migrants en Afrique centrale. 382

2. Les problèmes relatifs aux droits des migrants en Afrique centrale. 385

2.1. Les entraves à la libre circulation des personnes et des biens. 385

2.2. Les contraintes liées à la mise en œuvre des protocoles régionaux dans l’espace de la CEEAC  386

2.3. Les lacunes d’ordre structurel et administratif 387

2.4. Complexité des droits des travailleurs migrants et positionnement des Etats de la CEEAC  388

3. Défis à rélever en matière de coopération régionale dans le domaine de la migration. 390

3.1. Le renforcement des capacités opérationnelles des institutions régionales en matière de protection des droits humains. 391

3.2. Le respect des principes humanitaires de la migration et droits humains. 392

3.3. La gestion concertée des frontières et les enjeux de la sécurisation. 393

3.4.  L’intégration/réinsertion des migrants et refugie´s  dans les différents pays; 394

3.5. Le renforcement des capacités et l’harmonisation des politiques sur la migration. 395

4. Modalites spécifiques pour une meilleure intégration des droits des migrants. 396

4.1. Logiques étatiques autour de la protection et du respect des droits des migrants. 396

4.2. Nécessité de la protection des droits des migrants. 397

Chapitre III : 400

SOUVENAITÉ DES ÉTATS FACE À L’INGÉRENCE HUMANITAIRE. 400

Section 1. DE L’INGERENCE. 400

3ème Partie : 402

GESTION DES FLUX MIGRATOIRES EN AFRIQUE POST-CONFLIT ET VALIDATION DE L’INTERVENTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE. 402

Chapitre I : 403

TENDANCES ET DÉTERMINANTS DES CONSÉQUENCES DES MIGRATIONS DANS L’ESPACE DE LA CIRGL  403

Section 1. MIGRATIONS ET VIOLENCES SEXUELLES BASEES SUR LE GENRE. 403

1. Migration et relations de genre. 403

2. Genre et migration : cadre d’analyse et approche méthodologique. 405

3. Contexte de la migration feminine en Afrique centrale. 409

Section 2. FLUX MIGRATOIRES ET CHANGEMENT CLIMATIQUE. 411

1. Migration, environnement et changement  climatique. 411

2. L’environnement : un déterminant du phénomène migratoires a´´ l’échelle sous-régionale  413

2.1. L’exploitation économique de l’environnement : un déclencheur des dynamiques migratoires  413

2.2. L’exploitation sociale de l’environnement entre crise foncière, dislocation des foyers de peuplements et migration foncière. 416

2.3. La dégradation de l’environnement : un déterminant majeur des dynamiques migratoires des prochaines décennies en Afrique centrale. 418

3. Ecologie humaine du migrant environnemental entre exposition et vulnérabilité. 420

3.1. Profil sociodémographique du migrant environnemental 420

3.2. Exposition et vulnérabilité sociale des migrants et populations déplacées suite à une crise environnementale. 422

3.3. Exposition et vulnérabilité juridique des migrants et populations déplacées suite à une crise environnementale. 424

4. L’interaction migration/environnement : un lévier de développement à optimiser et à inscrire dans la durabilité en Afrique centrale. 425

4.1. Une contribution incontestable de la migration liée à l’environnement aux mutations socioéconomiques et à l’amélioration des conditions de vie des populations dans les Etats de l’Afrique centrale. 425

4.2. Synthèse des problèmes inhérents à la relation migration/environnement en Afrique centrale  426

4.3. Pour une prise en compte de l’interaction migration/environnement pour le développement 427

Section 3. FEMINISATION DES MIGRATIONS INTERNATIONALES. 430

1. Tendances des migrations internationales feminines. 430

2. Appréhension des migrations féminines dans les pays de la CEEAC de 1990 à 2010. 434

2.1. Evolution de la proportion de migrantes par région et par pays de la CEEAC. 434

2.2. Origines et destinations des femmes migrantes de la CEEAC. 436

2.3. Migration et genre en Afrique centrale. 439

3. Implications socio-économiques de la migration des femmes en Afrique centrale. 442

3.1. Les transferts monétaires et des dons en nature. 442

3.2. Forger des réseaux de solidarité, promouvoir l’égalité de sexe et le développement 445

4. Pour une meilleure prise en compte du genre dans l’analyse et la gestion des migrations en Afrique centrale. 446

4.1.  Défis relatifs aux migrations internationales féminines  et à l’intégration du genre dans les politiques de gestion des migrations par les pays post-conflits . 446

4.2. Opportunités de la migration féminine en Afrique centrale. 449

Chapitre II : 454

IMPLICATION DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET LEURS IMPACTS. 454

Section 1. L’ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS. 454

1. Aperçu général 454

2. Activités politiques. 455

Section 3. ETAT DES LIEUX DE LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS DE LA CEEAC. 456

1. Une difficile appréhension des migrations intra-régionales et de la constitution des diasporas Sud-Sud  457

1.1. Migrations intra-régionales. 457

1.2. Constitution des diasporas sud-sud. 459

1.3. Mobilité extrarégionale et constitution de diasporas extra-communautaires. 461

2. Les envois de fonds des migrants d’Afrique centrale. 466

2.1. Analyse des flux de transferts financiers sud-sud intra-régionaux. 467

2.2. Analyse des flux financiers issus des transferts Nord-Sud. 468

2.3. Utilisation des transferts dans les pays d’origine. 469

2.4. Diagnostic des circuits de transferts financiers en Afrique centrale. 470

2.5. Les obstacles à la diffusion des données sur le transfert des fonds. 472

3. Transferts de compétences et de savoir-faire des diasporas : un important potentiel pour le développement des pays de la région. 473

3.1. Diasporas intra-régionales et potentiel de contribution au développement de la région  473

3.2. Diasporas extra-communautaires et diversification des compétences. 474

4. Quelles politiques et initiatives pour une gestion plus éfficace des ressources des diasporas ?  477

4.1. Organisation des diasporas des pays membres de la cirgl 477

4.2. Promotion des transferts officiels. 478

4.3. Vers des politiques migratoires  pro-développements au sein des Etats. 479

4.4. Défis et opportunités pour les Etats membres de la CIRGL. 480

Chapitre III : 514

L’UNION AFRICAINE ET SES POLITIQUES MIGRATOIRES. 514

Section 1. LA QUESTION MIGRATOIRE EN AFRIQUE PAR L’UA. 514

1. Libre circulation et intégration régionale. 518

2. La libre-circulation totale des personnes dans les régions et partielle entre elles (Objectif 6) 519

3. Les textes de l’Union Africaine sur les migrations. 521

3.1. Cadre d’orientation pour les migrations. 521

3.2. Position commune africaine sur les migrations et le développement 522

4. La question des réfugiés. 523

4.1. La question de la diaspora. 524

4.2. Politiques migratoires Afrique-UE. 525

Section 2. L’AFRIQUE CENTRALE FACE AUX DEFIS MIGRATOIRES. 526

1. Migration et developpement : un nouveau paradigme. 526

2. Enjeux et defis migratoires en Afrique Centrale. 528

3. Strategie d’approche. 530

4. Processus de conception, d’élaboration et d’adoption du document d’orientation régionale de la CEEAC en matière de migration et développement 533

Section 3. LA QUESTION DE LA DIASPORA ET LE DEVELOPPEMENT. 535

1. Liens entre migration et développement : avancées théoriques et preuves empiriques. 537

1.1. Approches théoriques et cadre contextuel d’analyse des liens entre migration et développement 538

1.2.  Les effets de la migration sur le développement 545

1.3. Contrastes des résultats des recherches empiriques. 549

Section 4. MIGRATIONS TRANSFRONTALIERES ET COOPERATION  REGIONALE. 551

1. Approche méthodologique et cadre d’analyse. 553

1.1. L’approche néo-fonctionnaliste. 554

1.2. L’approche intergouvernementale. 555

1.3. L’approche basée sur une combinaison des facteurs institutionnels et économiques. 555

1.4. La nécessité de l’interconnexion entre la gestion des migrations  et le processus de globalisation  555

1.5. L’exemple de la CEDEAO.. 556

2. Etat des lieux de la migration transfrontalière dans la région CEEAC. 558

2.1.  La question des frontières en Afrique centrale. 558

2.2. Sources de données. 559

2.3.  La migration, un phénomène ancien en Afrique centrale. 559

2.4. L’importance de la migration intra régionale. 560

2.5. Le poids des migrations transfrontalières dans les migrations intra régionales. 561

2.6.  Des origines et des destinations diversifiées. 561

2.7. Une région caractérisée par d’importants flux de réfugiés. 562

2.8. Les facteurs socio-économiques incitatifs. 562

3. Politiques migratoires et processus d’intégration régionale dans la zone CEEAC. 563

3.1. Les instruments juridiques de la CEEAC : le protocole relatif à la libre circulation et au droit d’établissement des ressortissants des pays membres de la CEEAC. 563

3.2. Réticences des Etats membres dans la mise en œuvre des instruments juridiques. 565

3.3. Des difficultés dans la mise en œuvre des instruments juridiques. 565

3.4. Des migrants en situation irrégulière de part et d’autre des frontières. 567

3.5. Des réponses institutionnelles. 568

3.6. Des initiatives d’activités et de coopération transfrontalières entre les Etats membres  569

4. Enjeux et défis de la gestion des migrations transfrontalières dans la région. 570

4.1. Enjeux de la gestion des migrations transfrontalières dans la région CEEAC. 570

4.2. Défis de la gestion des migrations transfrontalières dans la région. 573

Section 8. RECHERCHE ET GESTION DES DONNEES  MIGRATOIRES. 577

1. Source des données migratoires dans la région CEEAC. 580

2. Dynamiques, systèmes migratoires et catégories de migrants. 585

3. Effectifs de migrants selon les données disponibles. 586

4. Les critiques et les déficits des sources des données migratoires. 587

Section 9. REFUGIES ET  PERSONNES  DEPLACEES. 598

1. Problématique des réfugiés et personnes déplacées. 601

1.1. Figure multiple du migrant forcé. 602

I.2. Réfugié et personne déplacée : entre oubli et urgence. 605

2. Enjeux et défis liés aux solutions d’évidence. 609

2.1. Installation sur place. 610

2.2. Retour. 615

3. Modalités d’intégration de la thématique dans les politiques. 618

3.1. Mobilisation des groupes sociaux. 618

3.2. Intervention publique. 620

TABLE DES MATIERES. 631

 



[1] GNANGUENON, A.,

[2] International Crisis Group, Cameroun : mieux prévenir que guérir, in Briefing Afrique de Crisis Group, n° 101, 4 septembre 2014.

[3] International Crisis Group, « La face cachée du conflit centrafricain », in Crisis Group Briefing Afrique, n° 105, 12 décembre 2014.

[4] SONIA LE GOURIELLEC, Régionalisme, régionalisation des conflits et construction de l’Etat : l’équation sécuritaire de la corne de l’Afrique, Thèse de doctorat en sciences politiques, Université Paris Descartes, Novembre 2013.

[5] NSIBULA, R., Le conflit de la région des Grands Lacs : les causes, implications sociales, économiques, politiques et les perspectives, Note de présentation de la CIRGL, Mars 2013.

[6] LUTUTALA, M.B., Les migrations en Afrique centrale : caractéristiques, enjeux et rôles dans l’intégration et le développement des pays de la région, …………………………….

[7] CAMBREZ, L., « Espace, environ et développement. Du bon usage des populations réfugiés : l’accueil des exilés soudanais en Ouganda », in Martin, J-Y, le développement durable : doctrines, pratiques, évaluations, IRD Editions, Paris, 2002.

[8] BETTATI, M., Le droit d’ingérence, mutation de l’ordre international, O. Jacob, Paris, 1996, p. 12.

[9] VERHOEVEN, P., Droit international public, Larcier, Bruxelles, 2000, pp. 145-146.

[10] PICOUET, M., « Les migrations », ORSTOM, Cahiers des Sciences humaines, vol. VIII, n° 1, p. V.4.

[11] Dictionnaire démographique multilingue, ONU, ST/SOA/Série A, p. 29

[12] Courgeau, D., Migrations et territoire, Colloque National de Démographie du C.N.R.S., 2-3-4, Avril 1973.

[13] Courgeau, D., Migrations et découpages du territoire,  Population, n° j, Mai-Juin 1973.

[14] Roussel, L., Turlot  et  Vaurs, La  mobilité  de  la  population  urbaine  en  Afrique  noire, Deux  essais  de  mesure,  Abidjan  et Yaoundé, Population  n°  2, Mars-Avril 1968.

[15] Roussel, L., Déplacements  temporaires et migrations, Démographie Comparée en Afrique noire, Madagascar et Comores, INSEE – INED,  Tome II,  Paris  1967, p. V-6.

[16] Lacombe  B.,  Etude  Démographique  des  migrations et  des  migrants,  Cahiers ORSTOM,  Série  Sciences  Humaines,  Vol.  IX  n°  4,  Sénégal, 1972.

[17] Lacombe B., Groupe de migrants, Enquêtes rurales (1968 à 1970) et urbaines (1969) au Sénégal, Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines,  Vol. IX n°  4, 1972.

[18] MARTINIELLO M., « Transnationalisme et immigration », Les mots de l’immigration, Ecarts d’identité, n° 111, Université de Liège, Belgique, 2007, p. 76.

[19] MARTINIELLO M., op.cit, p. 77.

[20] MARTINIELLO M., op.cit, p. 78.

[21] Le Petit Larousse illustré, Paris, 2007, p.238.

[22] Idem. P. 324.

[23] ZINDA MUNDA, D., Transplantation des conflits identitaires à l’Est de la RDC. Cas de la province du Sud-Kivu. Tensions locales et dynamiques transfrontalières, DEA, Chaire Unesco, Unikin, 2006-2008, p. 16.

[24] LAROUSSE, Le petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2007, p. 218.

[25] MBELA HIZA, M., La sociologie de conflits. Introduction générale, FSSAP, Département de Sociologie et Anthropologie, Université de Kinshasa, 2011-2012, p. 4.

[26] LABANA LASAY’ABAR, cité par MBELA HIZA, idem.

[27] SIMMEL, G., Le conflit, Paris, Cirée poche, 1995, cité par MUPENDANA, P.Cl., Analyse multidimensionnelle des conflits africains, Goma, Août 2002, p. 14.

[28] MUPENDANA, P.Cl., cité par ZINDA MUNDA, D., op.cit, p. 17.

[29] MBELA HIZA, M., cité par ZINDA MUNDA, D., op.cit., p. 19

[30] MBELA HIZA, M., op.cit.

[31] THUAL, F., Les conflits identitaires, Paris, Editions Ellipses, 1995, p. 10.

[32] THUAL, F., op.cit, p. 163.

[33] MAALOUF, A., Les identités meurtrières, Paris, Ed. Grasset et Fasquelle, 1998, pp. 12-14.

[34] SHYAKA, A., Le conflit rwandais : origines, développement et stratégie de sortie, Kigali, Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation, Sd, p. 12.

[35] SHYAKA, A., Idem.

[36] THUAL, F., cité par SHYAKA, A., op.cit., p. 12.

[37] ZINDA MUNDA, D., op.cit, p. 36.

[38] MAALOUF, A., cité par ZINDA MUNDA, D., Idem, p. 37.

[39] LABANA LASAY’ABAR, Le Conflit, stratégies, prévention, gestion et modes de résolution, Chaire UNESCO, Kinshasa, 2007, p.21.

[40] Père EKWA, Discours prononcé lors des consultations au temple du centenaire protestant octobre 1998.

[41] Plusieurs pays ont organisés les CNS dont la RDC, cependant toutes les décisions sont restées lettre morte.

[42] MUPENDANA, P.C., cité par ZINDA MUNDA, D., op.cit., p. 20.

[43] BRAECKMAN, C., Les nouveaux prédateurs politiques des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003, p. 215.

[44] Les migrations de Mbororo dans les provinces Orientale et de l’Equateur posent déjà le problème de l’intégration et de terres. Les autorités doivent prendre une décision conséquente pour endiguer ce fléau qui, à la longue sera source d’affrontements entre eux (éleveurs)  et les populations locales autochtones.

[45] L’histoire socio-politique du Rwanda-Urundi est un des exemples probants d’une lutte effrénée entre deux communautés hutu-tutsi qui a pris une allure ethnique et jusqu’à contaminer les tribus de la RDC (hema et lendu en Ituri, par exemple).

[46] VANSINA, J., Le Rwanda ancien, le Royaume Nyiginya, Paris, Karthala, 2001, pp. 211-220.

[47] RWABUGIRI a mené plusieurs incursions au Bushi mais sans avoir réussi à conquérir les territoires. La tradition locale évoque même qu’il est mort entre 1896-1897 par noyade sur le Lac Kivu en fuyant les représailles du MWAMI KABARE.

[48] MUPENDANA, P.C., Les nations de sujet de droit international et de souveraineté appliquées au Rwanda précolonial, Kigali, 1993, pp. 118-119.

[49] MUPENDANA, P.C., cité par ZINDA MUNDA, D., op.cit., p. 29.

[50] ZINDA MUNDA, D., op.cit., p. 30.

[51] JOKSIMOVICH, V., Kosovo Crisis. A Study in Foreign Policy Mismanagment, Los Angeles/California, Graphics Management Press, 1999, p. 44.

[52] BRAECKMAN, C., L’enjeux congolais. L’Afrique central après Mobutu, Paris, Fayard, 1999, pp. 40-44.

[53] HUMAN RIGHTS WATCH, Ce que Kabila cherche à dissimuler, New York, Novembre 1997 ; KINTU, R., « Tutsi invasion of Congo. A report of a visit to Congo », Uganda Democratic Coalition, Washington, September 1998 ; NGOLET, F., “African and American Connivance in Congo-Zaïre”, Africa Today, Vol. 47, n° 1, Winter 2000, pp. 64-85; CHOSSUDOVSKY, M., “Le genocide économique au Rwanda, in Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial, Montréal, Editions Ecosociété, 2004, pp. 117-135.

[54] Lire Politique africaine : « Politiques internationales dans la région des Grands Lacs », n° 68, décembre 1997, pp. 3-92.

[55] Idem, p. 24.

[56] LABANA LASAY’ABAR, op.cit, pp. 11-12.

[57] MBELA HIZA, M., op.cit., p. 24.

[58] UNYON VAKPA, K., op.cit., p. 21.

[59] MBELA HIZA, M., op.cit., p. 44.

[60] MBELA HIZA, M., op.cit., p. 48.

[61] SAMUEL P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, Editions Odile Jacob, 1997, pp. 16-23.

[62] MBELA HIZA, M., op.cit., p. 8.

[63] CLAUSEWITZ, cité par ARON, R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Levy, 1984, p. 35.

[64] Idem, p. 36.

[65] MBELA HIZA, M., op.cit., p. 6.

[66] Idem.

[67] UNYON VAKPA, K.O.I., Le conflit armé en Ituri. La problématique de sa prévention et de sa gestion, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 22.

[68] De VILLIERS, G., « Les crises chroniques et leurs causes. Le cas du Zaïre », in Conflit en Afrique, analyse des crises et pistes pour une prévention, p. 58.

[69] MBELA HIZA, M., op.cit., p. 7.

[70] MELIK, Ö. et CHRISTOPHE, G., Le droit des peuples à l’autodétermination, Collection du Programme Droits Humains du Centre Europe - Tiers Monde, CETIM, 2008, p. 12.

[71] Voir note 14 § 268.

[72] Nous nous référons ici essentiellement au sens du terme « peuple », donné par les instances onusiennes.

[73] Cf. Observation générale VIII concernant l’interprétation et l’application des paragraphes 1 et 4 de l’article 1er de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée en 1990.

[74] Voir note 14 § 279.

[75] « Aucune des dispositions de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme autorisant une quelconque activité contraire aux buts et principes des Nations Unies, y compris à l'égalité souveraine, à l'intégrité territoriale et à l'indépendance politique des Etats ».

[76] Cf. § 4 de l’Observation générale n°23 : Article 27 (Droits des minorités), adoptée par le Comité des droits de l’homme en 1994.

[77] Chargé de la surveillance de la mise en œuvre par les Etats parties du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[78] Voir note 21, § 5.2.

[79] Allocution prononcée le 12 février 1979 lors de la 4ème réunion ministérielle du G77 à Arusha, publiée intégralement dans Le dialogue inégal : Ecueils du nouvel ordre économique international, CETIM, Genève, 1979.

[80]www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/les-dates-cle-de-l-affaire-ioukos_852976.html#xtor=AL-447;  www.continentalnews.fr/actualite/economie,4/energie-le-gaz-l-arme-fatale-des-russes,7495.html

[81] Cour internationale de Justice, Anglo-Iranian Oil Co., Arrêt du 22 juillet 1952.

[82] Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Centre for Minority Rights Development (Kenya) et Minority Rights Group International au nom de l’Endorois Welfare Council c. Kenya, communication no 276/2003, décision rendue en mai 2009.

[83] La résolution 523 (VI) est la première résolution de l’Assemblée générale de l'ONU sur cette question à être adoptée, 12 janvier 1952.

[84] MELIK, Ö. et CHRISTOPHE, G., op.cit., p. 15.

[85] Résolution 1803 (XVII) de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 14 décembre 1962.

[86] Résolution 3201 (S-VI) de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée le 1er mai 1974.

[87] Résolution 3281 (XXIX) de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée le 12 décembre 1974.

[88] Cf. Résolution 46 (III) de la CNUCED intitulée « Mesures à prendre pour réaliser une plus large entente sur les principes devant régir les relations commerciales internationales et les politiques commerciales propres à favoriser le développement », adoptée le 18 mai 1972.

[89] Cassese, A., Le droit international dans un monde divisé, Paris, Berger-Levrault, 1986, p. 135.

[90] C.I.J., Recueil 1986, p. 124, § 240.

[91] CAVARE, L., Le droit international public positif, tome II, Paris, Pedone, 1902, 2ème édition, pp. 646-547.

 

[92] Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paria, Sirey, 1960, pp. 347-348.

[93] SCHASHTER, O., « Les aspects juridiques de la politique américaine en matière de droits de l’homme », A.F.D.I., 1977, p. 61.

[94] A.G.D.I., 1979, II, 2ème partie, p. 103.

[95] C.I.JT., Recueil, 1973, p. 34.

[96] CORTEN, O. et KLEIN, P., Droit d’ingérence ou obligation de réaction ?, Editions Bruylant, Editions de l’Université de Bruxelles, 1992, pp. 66-69.

[97] Idem.

[98] C.I.J., Recueil, 1973, p. 14, §24.

[99]  BETTATI, M., « Un droit d’ingérence ?» R.G.D.I.P., 1991, pp. 639-644.

[100] : http://www.icrc.org/icrcfre.nsf/a311dd822130b194c125670600391e90/56add04dd4e2bac1412568a30046c2 ab?OpenDocument.

[101] ELIKIA, M., op.cit.

[102] ZINDA MUNDA, D., op.cit., p. 42.

[103] ELIKIA, M., cité par ZINDA MUNDA, D., Idem.

[104] Lire LACOSTE, Y., « Géopolitique d’une Afrique médiane » in Hérodote, n° 86/87, 3ème – 4ème trimestre 1997, p. 4 et MURHOLA, F., op.cit., pp. 38-39.

[105] Extrait de l’allocution du président français Nicolas SARKOZY devant les deux chambres au Palais du Peuple, in Grands Lacs, Magazine International, n° 72, Avril-Mai, 2009, p. 13.

[106] Le petit Larousse illustré, Paris, 2007, p. 796.

[107] ELIKIA, M., cité par ZINDA MUNDA, D., op.cit., p. 44.

[108] MUSILA, C., Instrumentalisation des conflits et paix dans la Région des Grands Lacs, RDC, 1997-2000, p. 3.

[109] Idem.

[110] Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la Région des Grands lacs, chapitre I, dispositions générales, article 1.

[111] A l’issue de ces consultations, il s’est dégagé quatre thématiques arrêtées qui devraient faire l’objet de préoccupation de cette conférence : paix et sécurité, démocratie et bonne gouvernance, développement économique et intégration régional et quelques questions sociales et humanitaires. A ce sujet, lire MINANI, B.R., Du pacte …, op.cit., p. 30.

[112] ROCHE, J.J., Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 2ème édition 1997.

[113] THIERRY de Montbrial, Réflexions sur la théorie des relations internationales, in politique étrangère, 1999, p. 1.

[114] WALT, S.M., « International Relations: One World, Many Theories », Foreign Policy, n° 110, Spring 1998, pp. 29-46.

[115] ARON, R., Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1ère édition, 1962.

[116] WALT, S.M., op.cit., p. 40.

[117] ROCHE, J.J., op.cit., p. 23.

[118] WALTZ, K.N., Theory of International Politics, Reading, Addison Wesley, 1997, p. 95.

[119] SMOUTS, M.C. (sous la direction de), Les nouvelles relations internationales, Pratiques et théories, Presses de Sciences Po, Paris, 1998.

[120] KEOHANE, R. O. et NYE, J. S., Transnational Relations and World Politics, Harvard University Press, Cambridge, 1972, p. 2.

[121] Contribution de D. DAVID, « Violence internationale : une scénographie nouvelle », RAMSES 2000, Ifri/Dunod, Paris, 1999.

[122] BOURDIEU, P., Contre-feux, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1998, p. 46.

[123] WAEVER, O., «  Societal Security : The Concept », in O. Waever, et al., Identity, Migration and the New Security Agenda in Europe, Pinter, Londres, 1993, pp. 17-40.

[124] RUELLE, D., Hasard et chaos, Odile Jacob, Paris, 1991, pp. 156-157.

[125] Cette remarque ne prétend pas résumer les trois volumes de Braudel, L’identité de la France, Arthaud- Flammarion, Paris, 1986.

[126] NYE, J. S., Bound to lead. The Changing Nature of American Power, Basic Books, New York, 1990.

[127] Voir par exemple  Th. de MONTBRIAL, Mémoire du temps présent, Flammarion, Paris, 1996, ch. IV et M.C. Smouts, op.cit., p.12.

[128] Dans sa thèse sur le Congrès de Vienne, publiée en français sous le titre Le Chemin de la paix, Denoël, Paris, 1972.

[129] COSTE, R., Théologie de la paix, Editions du Cerf, Paris, 1997, pp. 138 à 151.

[130] WALT, S.M., article cité.

[131] BUZAN, B., People, States and Fear. An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold War Era, Lynne Rienner Publisher, Boulder Colorado, 2ème édition, 1991.

[132] ARON, R., op.cit.

[133] Voir par exemple l’article « Global Governance » du dictionnaire Penguin cité.

[134] Th. de Montbrial, « L’ingénieur et l’économiste »,  Les grands systèmes des sciences et de la technologie. Ouvrage en hommage à Robert Dautray, Masson, Paris, 1994, pp. 621 à 631.

[135] Th . de Montbrial, article cité, p. 24.

[136] SMOUTS, M.C., op.cit.

[137] WALTZ, K.N., op.cit., p. 71.

[138] ARON, R., « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? »,  Revue française de science politique, Vol. XXVII, n°5, octobre 1967, pp. 837-861.

[139] Presses Universitaires de France, Paris, 1989-1992.

[140] KARL POPPER, Conjectures et réfutations, Payot, Paris, 1985

[141] Th. de MONTBRIAL, La science économique ou la stratégie des rapports de l’homme vis-à-vis des ressources rares. Méthodes et Modèles, Presses universitaires de France, Paris, 1988, p. 6.

[142] BRECHER, M., « Système et crise en politique internationale », dans B. Korany, Analyse des relations internationales, Approches, concepts, données, Gaëtan Morin, Montréal, 2ème édition, 1987, p. 6.

[143] AUYANG, S.Y., Foundations of Complexity - System Theories in Economics, Evolutionary Biology, and Statistical Physics, Cambridge University Press, Cambridge, 1998.

[144] ROSENAU, J.N., op.cit.

[145] Th. de MONTBRIAL, op.cit., p. 33.

[146][146] ALEXIS de Tocqueville, L’Ancien régime et la révolution, Gallimard, Paris, 1953.

[147] HOSLTI, K.J., The State, War and the State of War, Cambrige University Press, Cambridge, 1996.

[148] POINCARE, H., Science et méthode, 1908, chap. 4 (« le Hasard »), cité par D. Ruelle, op.cit., p. 63.

[149] RUELLE, D., op.cit., p. 89.

[150] THIERRY de Montbrial, op.cit, p. 16.

[151] THIERRY de Montbrial, op.cit, p. 17.

[152] PICHE, V., Les théories migratoires contemporaines au prisme des textes fondamentaux, Ined, Paris, 2013, p. 153.

[153] PICHE, V., Les théories de la migration, Paris, Ined, Les Manuels/Textes fondamentaux, 536 p.

[154] SIMMONS, A., « Explaining migration: Theory at the crossroads », in Duchêne J. (ed.), Explanation in the Social Sciences: The Search for Causes in Demography, Louvain-la-Neuve, Belgique, Université catholique de Louvain, Institut de démographie, p. 73-92.

[155] SJAASTAD, L. A.,  « The costs and returns of human migration », Journal of Political Economy, 70(5), partie 2, 1962, p. 80-93.

[156] raVenstein e. g.,  1885, « The laws of migration », Journal of the Royal Statistical Society, 48, p. 167-227.

[157] RAVENSTEIN, E. G.,  « The laws of migration (revised) », Journal of the Royal Statistical Society, 52, 1889, p. 241-301.

[158] MASSEY, D.,  « Social structure, household strategies, and the cumulative cau- sation of migration », Population Index, 56(1), 1990, p. 3-26.

[159] Pour une exception dans le domaine de la fécondité et la santé, voir Riley et McCarthy (2003).

[160] Pour un tour d’horizon sur l’état du trafic des êtres humains dans le monde, voir Laczko et Gozdziak (2005).

[161] PICHE, V., Les théories migratoires contemporaines au prisme des textes fondamentaux, Ined, Paris, 2013, p. 163.

[162] PICHE, V., op.cit., p. 164.

[163] PICHE, V., op.cit., p. 166.

[164] La République de Chypre du Nord par la Turquie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud par la Russie, etc.

[165] Le Kosovo par des puissances occidentales principalement.

[166] THEODORE, C., Le droit à l’autodétermination en dehors des situations de décolonisation, Centre d’Etudes et de Recherche Internationales et Communautaires (CERIC), Université d’Aix-Marseille III, Paris, 1999.

[167] www.un.org/fr/members/about_members.shtml

[168] Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de l’ONU, adoptée le 14 décembre 1960.

[169] Cf. Daniel Thürer et Thomas Burri, Self-Determination, Max Planck Institute for Comparative Public Law and International Law, Heidelberg and Oxford University Press, 2010, § 9.

[170] Préambule de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.

[171] Ratifiés à ce jour, respectivement, par 160 et 166 Etats.

[172] Cf. résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, adoptée le 24 octobre 1970.

[173] Cf. résolution 2542 (XXIV) de l’Assemblée générale de l'ONU, adoptée le 11 décembre 1969.

[174] Adoptée le 4 décembre 1986 par l’Assemblée générale de l’ONU.

[175] Le droit au développement, CETIM, 2007, p. 22 : www.cetim.ch/fr/publications_ddevelep.php. Voir aussi Quel développement ? Quelle coopération internationale ? CETIM, 2007.

[176] Adopté en juin 1993 à Vienne à l'issue de la 2ème Conférence mondiale sur les droits de l’homme.

[177] Cf. § 221 de l’étude intitulée Le droit à l’audodétermination : développement historique et actuel sur la base des instruments des Nations Unies, élaborée par Aureliu Cristescu, Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, 1981.

[178] I. Egalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté ; II. Non-recours à la menace ou à l'emploi de la force ; III. Inviolabilité des frontières ; IV. Intégrité Territoriale des Etats ; V. Règlement pacifique des différends ; VI. Non-intervention dans les affaires intérieures ; VII. Respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction ; VIII. Egalité de droits des peuples et droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ; IX. Coopération entre les Etats ; X. Exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international.

[179] Adoptée le 8 mars 1996.

[180] Cf. Ioana Cismas, “Secession in Theory and Practice: the Case of Kosovo and Beyond”, Goettingen Journal of International Law, Vol. 2, No.2, 2010, pp. 531-587

[181] Cf. Cour internationale de justice, Sahara occidental, avis consultatif du 16 octobre 1975, § 162.

[182] Cf. Cour internationale de justice, Namibie, avis consultatif du 21 juin 1971.

[183] Cf. Communiqué de l’UNESCO sur la journée internationale de la langue maternelle : www.unesco.org/fr/languages-in-education/advocacy/international-mother-language-day-21-february-2009/

[184] Région autonome de la République populaire de Serbie, jusqu'en 1989, dans le cadre de la République fédérale socialiste de Yougoslavie (RFY) qui est devenue en 2000 République fédérale de Yougoslavie. Avec l’indépendance du Monténégro, la RFY a pris le nom de Serbie. Cette dernière considère le Kosovo comme une des ses provinces.

[185] Cf. Résolution 1244 du Conseil de sécurité, adoptée le 10 juin 1999.

[186] Cour internationale de Justice, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet 2010.

[187] Cf. § 4 de la Recommandation générale n°21 : Le droit à l’autodétermination du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, adoptée le 8 mars 1996.

[188] Cf. Assemblée générale de l'ONU, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, A/61/306, 1er septembre 2006, §§ 41-44.

[189] « Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

[190] « Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes. »

[191] Cf. résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale de l'ONU, adoptée le 24 octobre 1970.

[192] En 2008, la Bolivie s'est déclarée pays « libre d'analphabétisme », cf. Libération du 21 décembre 2008 : www.liberation.fr/depeches/0101307041-l-analphabetisme-pratiquement-elimine-en-bolivie-selon-morales.

[193] Cf. Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, sur sa mission en Bolivie, A/HRC/7/5/Add.2, 30 janvier 2008. Ainsi, que tous ses autres rapports en tant que Rapporteur spécial. Voir également Jean Ziegler, La Haine de l’Occident, Livre de poche, 2010.

[194] Cf. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2009, New York.

[195] Cf. Reporters sans frontières, Rapport annuel 2008 : La liberté de la presse dans le monde en 2008, Paris, 2008.

[196] Cf. Transparency International, Annual Report 2009, Berlin, 2010.

[197] Le premier fonds souverain d’investissement a été créé par le Koweit en 1953, pour investir les immenses profits tirés de l’exportation du pétrole. En 2009, la valeur cumulée des fonds souverains d’investissement créé par les différents Etats était estimée à 3'000 milliards de dollars américains – dont les deux tiers provenaient de l’exportation du pétrole.

[198] Cf. Norvegian Ministry of Finance, Government Pension Fund Global. Responsible Investment, 2010 : www.regjeringen.no/upload/FIN/brosjyre/2010/spu/english_2010/index.htm Cf. également Cédric Paulin, La stratégie d’investissement éthique du fonds pétrolier norvégien et les entreprises d’armement, Notes de la Fondation pour la Recherche Stratégique, 2006 : www.frstrategie.org/barreCompetences/DEFind/fond    norvegien.pdf

[199] Cf. exemple de la compagnie minière russe Norilsk, exclue du fonds de pension norvégien en 2009 : www.regjeringen.no/en/dep/fin/aktuelt/nyheter/2009/utelukkelse-av-metall--og-gruveselskap.html? id=586655, et exemple des deux compagnies israéliennes impliquées dans la construction de colonies dans les territoires palestiniens occupés, exclues du fonds de pension norvégien en 2010 : www.regjeringen.no/en/dep/fin/press-center/Press-releases/2010/three-companies-excluded-from- the-govern.html?id=612790

[200] Cf. note 14, étude déjà citée, § 687.

[201] Les analyses dans ce sous-chapitre sont tirées de Dette et droits humains, CETIM, Genève 2007 et Menons l'enquête sur la dette ! Manuel pour les audits de la dette du Tiers Monde, co-édition CETIM/CADTM, Genève, 2006

[202] Cf. § 11 du Rapport du Secrétaire général, E/CN.4/Sub.2/1995/10, daté du 4 juillet 1995, 47ème session de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités.

[203] Facilité d’ajustement structurel renforcée - FASR, initiative en faveur des pays pauvres très endettés - PPTE, Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté - CSLP, etc.

[204][204] Cf. Banque du Sud et nouvelle crise internationale, CADTM/Syllepse, 2008.

[205] Cf. Les chiffres de la dette 2009 : www.cadtm.org/IMG/pdf/TAP_les_chiffres_de_la_dette-2.pdf

[206] Cf. entre autres : www.cadtm.org/Grece-le-CADTM-condamne-le-plan-d, http://bruxelles.blogs. liberation.fr/ coulisses/2010/05/gr%C3%A8ce-leurozone-et-le-fmi-signe-un-ch%C3%A8que-de-110-milliards-deuros.html, www.france.attac.org/spip.php?article11325 et www.cadtm.org/Dette-publique-de-la-necessite-a

[207] Pour de plus amples informations, se référer à la brochure Sociétés transnationales et droits humains, CETIM, Genève, 2005 : www.cetim.ch/fr/documents/bro2-stn-A4-fr.pdf

[208] Cf. Résolution 3202 (S-VI) portant sur le Programme d’action concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international, adoptée en mai 1974.

[209] Voir note 69.

[210] Voir note 68.

[211] Il en est de même pour les médicaments essentiels. De nos jours, ces accords sont également utilisés abusivement pour les droits de propriété intellectuelle sur les médicaments et entraînent des violations du droit à la santé (cf. Les traités internationaux, régionaux, sous-régionaux et bilatéraux de libre-échange, CETIM, Cahier critique n°7, Genève, 2010 : www.cetim.ch/fr/documents/cahier- 7.pdf., Le droit à la santé, CETIM, Genève, 2006 : www.cetim.ch/fr/publications_sante-bro4.php et Dévelopement et santé dans les pays pauvres : le rôle des organisations internationales et de la Suisse, Centrale Sanitaire Suisse Romande, Genève, 2010.

[212] Voir Dette et droits humains, CETIM, brochure déjà citée, note 62.

[213] Actuel membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, ancien Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation et Professeur honoraire à l’Université de Genève, il a siégé pendant 18 ans au Conseil national (Parlement suisse)

[214] Cf. Les nouveaux maîtres du monde, Fayard, septembre 2002.

[215] Cf. L’impact du mercenariat sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Fact sheet n°28, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Genève, 2002.

[216] Cf. Le Nouvel Observateur du 6-12 mai 2010.

[217] Cette question fera l’objet d’une publication du CETIM en décembre 2010.

[218] « Exploitation de la mine d’or de Porgera en Papouasie-Nouvelle-Guinée, commerce de coton en Ouzbékistan, gestion d’infrastructures militaires en Irak par la société KBR ou élimination de déchets toxiques par la firme Trafigura en Côte d’Ivoire: autant d’activités qui ont donné lieu à des violations documentées des droits humains et, comme nos recherches le montrent, ont toutes bénéficié d’un financement octroyé par l’une des deux grandes banques suisses, UBS ou Credit Suisse. La Déclaration de Berne [ONG Suisse] a pu mettre en évidence des situations où les projets financés au Sud par les grandes banques suisses menacent la vie de populations locales, de travailleurs ou d'activistes. Elle montre également que des entreprises ayant recours au travail forcé, se moquant du droit à la santé de leurs employés ou élaborant des projets bafouant le droit des minorités, sont en relation d'affaires avec des banques helvétiques, sans que ces dernières se soucient de leurs forfaits ». (cf. Grandes banques suisses : les droits humains à crédit, Déclaration de Berne, 2010, ainsi que http://bankenundmenschenrechte.ch/fr)

[219] Cf. Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Pocket, Paris, 1971.

[220] Montesquieu, dans les Lettres persanes publiées en 1721, dénonce l’absurdité de cette situation : « Il n'y a rien de si extravagant que de faire périr un nombre innombrable d'hommes pour tirer du fond de la terre l'or et l'argent ; ces métaux d'eux-mêmes absolument inutiles, et qui ne sont des richesses que parce qu'on les a choisis pour en être les signes. »

[221] Cf. notamment Peace Brigade International, Metal Mining and Human Rights in Guatemala. The Marlin Mine in San Marcos, 2006. Lire également l’étude indépendante commandée par l’entreprise Goldcorp, Human Rights Assessment of Goldcorp’s Marlin Mine, mai 2010 : www.hria-guatemala.com/en/docs/Human%20Rights/ OCG_HRA_Marlin_Mine_May_17.pdf

[222] Le taux de 1% est prévu dans la loi sur les mines de 1997.

[223] Avec des produits intérieurs bruts comparables, la Jamaïque et l’Equateur ont un pourcentage d’enfants malnourris respectivement dix fois et deux fois moins élevés que le Guatemala. Cf. Center for Economic and Social Rights, Guatemala, Country Fact Sheet No. 3, 2008, www.cesr.org. Cf. également Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, sur sa mission au Guatemala, E/CN4/2006/44/Add.1, 18 janvier 2006.

[224] FIAN International, Human Rights violations in the context of large-scale mining operations, étude soumise lors de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme du Ghana, mai 2008

[225] FIAN dénonce notamment le cas de la mine d’or à ciel ouvert exploitée par l’entreprise sud-afri- caine AngloGold Ashanti, sur le site minier d’Iduapriem. Cf. Ute Hausmann and Mike Anan, « Turning land and water into poisonous gold in Ghana », in FIAN International, Right to Food Quarterly, 2008, p. 9.

[226] Cf. www.publiceye.ch.

[227] Voir note 88.

[228] « Rapport final du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo », Conseil de sécurité, 2002.

[229] On entend par Est du Congo les régions de l’Ituri, Nord et Sud-Kivu, Maniema et par extension le Katanga même s’il est situé dans le Sud du pays.

[230] Voir notamment les rapports d’IPIS, “Cartographie des motivations derrière les conflits, le cas de l’Est de la RDC”, mars 2008; Rapport d’International Alert, “Etude sur le rôle de l’exploitation des ressources naturelles dans l’alimentation et la perpétuation des crises à l’Est de la RDC, octobre 2009 ; Rapport de Pole Institute, « Les minerais de sang, Un secteur économique criminalise à l’est de la RD Congo », novembre 2010.

[231] « Les principes directeurs de L'OCDE. A L'intention des entreprises multinationales : recommandations pour une conduite responsable des entreprises dans le contexte international », 25 Mai 2011, http://www.oecd.org/dataoecd/43/30/48004355.pdf.

[232]  « Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque », OCDE, Décembre 2010 http://www.oecd.org/dataoecd/62/33/46741124.pdf.

[233] La résolution 1952 (2010) du Conseil de sécurité « demande à tous les États de prendre les mesures voulues pour faire connaître les lignes directrices sur le devoir de diligence susmentionnées, et de prier instamment les importateurs, les industries de transformation et les consommateurs de produits minéraux congolais d’exercer la diligence requise en appliquant lesdites lignes directrices, ou d’autres directives  équivalentes ».

[234] Résolution 1906 (2009) du Conseil de Sécurité.

[235] Le secteur minier : Etat des lieux après la réouverture des activités à l'est de la RDC”, Pole Institute, 16 Avril 2011.

[236] Arrêté Ministériel n° 705 du 20 septembre 2010 portant suspension des activités minières dans les provinces du Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu, Ministère des Mines RDC, 20 Septembre 2010.

[237] Arrêté Ministériel n° 0034 du 01 mars 2011 portant levée de la mesure de suspension des activités minières dans les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, Minières des Mines RDC, 01 Mars 2011.

[238] Rapport Pole Institute Op.Cit ; “Congo’s ‘Terminator’ and the Mining Ban”, Enough Project, 16 février 2011.

[239] Cf. notamment Gilles Labarthe, avec François-Xavier Verschave, L’or africain. Pillages, trafic & commerce international, Agone, Marseille, 2005.

[240] Cf. Sociétés transnationales et droits humains, CETIM, Genève, 2005.

[241] Human Rights Watch, Well Oiled. Oil and Human Rights in Equatorial Guinea, New York, 2009 ; Center for Economic and Social Rights, Equatorial Guinea, Country Fact Sheet n°9, 2009.

[242] Cette situation a notamment été dénoncée par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies. Cf. Comité des droits de l’enfant, Observations finales. Guinée Equatoriale, CRC/C/15/Add.245, 3 novembre 2004, par. 13 et 14.

[243] Center for Economic and Social Rights, Equatorial Guinea, Country Fact Sheet n°9, 2009.

[244] Cf. La crise alimentaire et le droit à l’alimentation, CETIM, Cahier critique n°3, 2008.

[245] L’ONG GRAIN a été parmi les premières organisations à dénoncer le phénomène en 2008. En 2010, elle a créé un site internet sur lequel plus de 800 études, rapports, articles sur l’accaparement des terres dans le monde sont répertoriés : http://farmlandgrab.org

[246] Des compagnies transnationales comme la United Fruit ont possédé jusqu’à 42% des terres d’un pays – le Guatemala – dans les années 1940, mais ce phénomène n’était alors pas répandu à tous les continents. Cf. Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, sur sa mission au Guatemala, déjà cité, § 16

[247] Cf. Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter. Additif. Acquisition et locations de terres à large échelle : ensemble de principes minimaux et de mesures pour relever le défi au regard des droits de l’homme, A/HRC/13/33/Add.2, 28 décembre 2009, § 12. Cf. Carin Smaller and Howard Mann, A Thirst for Distant Lands: Foreign investment in agricultural land and water, International Institute for Sustainable Development, 2009.

[248] Idem, § 11.

[249] Pain pour le prochain, Action de Carême, L’accaparement des terres. La course aux terres aggrave la faim dans le monde, Collection Repères 1/2010 : http://farmlandgrab.org/wp-content/uploads/2010/05/BFA _EinBlick_fr.pdf

[250] Cf. Commission des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, sur sa mission en Ethiopie, E/CN.4/2005/47/Add.1, 8 février 2005.

[251] Cf. Lorenzo Cotula, Sonja Vermeulen, Rebeca Leonard et James Keeley, Land grab or development opportunity? Agricultural investment and international land deals in Africa, FAO, IIED, IFAD, 2009.

[252] Cf. notamment Cédric Gouverneur, « En Indonésie, palmiers à huile contre forêt », in Le Monde diplomatique, décembre 2009.

[253] Cf. Fidel Mingorance, Le flux de l’huile de palme Colombie-Belgique/Europe. Approche sous l’angle des droits humains, Human Rights Everywhere, Coordination Belge pour la Colombie, 2007, et Luchas campesinas ; propuestas, redes y alianzas, EHNE/Mundubat, Bilbao, 2010.

[254] Cf. Assemblée générale, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, A/62/289, 22 août 2007, § 39.

[255] Idem.

[256] Cf. Déclaration finale de la Conférence internationale sur les droits des paysans, Djakarta, 24 juin 2008, disponible sur le site internet de la Vía Campesina : www.viacampesina.org. Sur le besoin de renforcer la protection des droits des paysans en droit international, lire Christophe Golay, Les droits des paysans, CETIM, Cahier critique n°5, Genève, 2009.

[257] Cf. « Principles for Responsible Agricultural Investment that Respects Rights, Livelihoods and Resources » : www.donorplatform.org/component/option,com_docman/task,doc_view/gid,1280. La FAO a également lancé un processus d’élaboration de Directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres et des autres ressources naturelles, qui doivent être élaborées par ses Etats membres, avec la participation des organisations de la société civile.

[258] Tribune publiée sur The Project Syndicate (www.project-syndicate.org), 4 juin 2010 : www.srfood.org/images/stories/pdf/medias/2010_04_06_op_ed_comment_detruire_la_paysannerie.pdf Lire également la pétition lancée par la Vía Campesina, FIAN, GRAIN et LRAN en avril 2010, intitulée « Pour un arrêt immédiat de l’accaparement des terres ! Disons NON aux principes promus par la Banque mondiale en vue d’investissements 'responsables' de la part des entreprises agroalimentaires ! » : www.pfsa.be/IMG/pdf NON_aux_principes.pdf

[259] Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter. Additif. Acquisition et locations de terres à large échelle : ensemble de principes minimaux et de mesures pour relever le défi au regard des droits de l’homme, déjà cité, note 100.

[260] Cf. Déclaration orale conjointe d’ONG, présentée par le CETIM à la 13ème session du Conseil des droits de l’homme (mars 2010) : www.cetim.ch/fr/interventions_details.php?iid=342

[261] Une jurisprudence très riche sur les violations des droits consacrés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – contenant plus de 80 affaires – est présentée sur le site internet du réseau sur les droits économiques, sociaux et culturels : www.escr-net.org.

[262] Cf. Christian Courtis, « Socio-Economic Rights before the Courts in Argentina » in Justiciability of Economic and Social Rights. Experiences from Domestic Systems, Fons Coomans (ed), Antwerpen, Oxford, Intersentia, Maastricht Center for Human Rights, 2006, pp. 309-353.

[263] Cf. Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, sur sa mission en Bolivie, A/HRC/7/5/Add.2, 30 janvier 2008.

[264] Cour suprême de l’Inde, S. Jagannath Vs. Union of India and Ors, 1996.

[265] Cour suprême de l’Inde, Samatha Vs. State of Andhra Pradesh and Ors, 1997.

[266] Cf. Sandra Liebenberg, « Enforcing Positive Socio-Economic Rights Claims: The South African Model of Reasonableness Review » in The Road To A Remedy. Current Issues in the Litigation of Economic, Social and Cultural Rights, John Squires, Malcolm Langford, Bret Thiele, Australian Human Rights Centre, Sydney, 2005, pp. 73-88.

[267] Afrique du Sud, Haute Cour de la Province de Cape of Good Hope, Kenneth George and Others v. Minister of Environmental Affairs & Tourism, 2007.

[268] Comme nous venons de le voir, les pays dans lesquels le droit à l’autodétermination et à la libre disposition des richesses et ressources naturelles est directement invocable sont peu nombreux et les mécanismes de contrôle au niveau national sont donc souvent inexistants ou paralysés en cas de violations de ce droit. Dans de nombreux cas, les victimes pourront donc se retourner rapidement vers les mécanismes de contrôle au niveau régional.

[269] La communication originale est disponible : http://cesr.org/downloads/nigeriapetition.pdf

[270] Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, SERAC, Center for Economic and Social Rights v. Nigeria, 2001, § 44.

[271] Idem, §§ 65-66.

[272] Idem, § 49.

[273] Idem, conclusive part, § 1.

[274] Commission des droits de l’homme de l’ONU, Rapport du Groupe de travail d’experts de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les populations/communautés autochtones, E/CN.4/Sub.2 /AC.5/2005/WP.3, 21 avril 2005, pp. 19-20.

[275] La liste de ces Etats est disponible sur le site : www.africa-union.org/root/au/Documents/Treaties/ treaties_fr.htm

[276] Sur l’utilisation du droit à la propriété pour protéger les droits économiques et sociaux des peuples indigènes, lire Christophe Golay et Ioana Cismas, Avis juridique : le droit à la propriété sous l’angle des droits humains, Droits et Démocratie, ADH, 2010 : www.dd-rd.ca/site/_PDF/publications/droitshumains-fr.pdf

[277] Sur ces affaires, lire Christophe Golay, Droit à l’alimentation et accès à la justice : exemples au niveau national, régional et international, FAO, 2009 : www.fao.org/righttofood/publi_en.htm

[278] Commission interaméricaine, Brazil, Case 7615, Resolution 12/85, 5 mars 1985.

[279] Commission interaméricaine, Enxet-Lamenxay and Kayleyphapopyet (Riachito) v. Paraguay, 1999.

[280] Voir note 133, §§ 2 et 3.

[281] Idem, conclusive part, § 2.

[282] Commission interaméricaine, Report on the Situation of Human Rights in Brazil, 29 septembre 1997, §§ 63-73.

[283] Pour une affaire similaire, dans laquelle l’Etat chilien s’est également engagé à inscrire les droits des peuples indigènes dans la Constitution et à ne plus entreprendre des projets d’envergure sur la terre des peuples indigènes, voir Commission interaméricaine, Mercedes Julia Huenteao Beroiza y otros, 2004

[284] Commission interaméricaine, Enxet-Lamenxay and Kayleyphapopyet (Riachito)/Paraguay, 1999, §§ 3 et 5.

[285] Op.cit, §§ 13-15.

[286] Cf. www.cidh.org/medidas/2010.eng.htm

[287] Cf. www.miningwatch.ca

[288] Sur ces affaires, lire Christophe Golay, Droit à l’alimentation et accès à la justice : exemples au niveau national, régional et international, FAO, 2009 : www.fao.org/righttofood/publi_en.htm

[289] Cf. également Cour interaméricaine des droits de l’homme, Comunidad Indígena Yakye Axa/Paraguay, 2005.

[290] Cour interaméricaine des droits de l’homme, Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community/Nicaragua, 2001, §§ 153, 164, 173.4.

[291] Idem, §§ 167, 173.6.

[292] Idem, §§ 138, 164, 173.3.

[293] Cour interaméricaine des droits de l’homme, Sawhoyamaxa Indigenous Community/Paraguay, 2006.

[294] Idem, §§ 3, 145

[295] Idem, § 164.

[296] Idem, §§ 204-230.

[297] Cf. Le droit au travail, CETIM, Genève, 2008 : www.cetim.ch/fr/publications_droitautravail.php.

[298] Articles 36 et 37 du Statut de la CIJ.

[299] Article 96 de la Charte des Nations Unies et articles 65-68 du Statut de la CIJ.

[300] Cour internationale de Justice, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), Arrêt du 27 juin 1986.

[301] Comité des droits de l’homme, Observation générale n°23. Les droits des minorités (Art. 27), CCPR/C/21/Rev.1/Add.5, 8 avril 1994, § 7.

[302] Comité des droits de l’homme, Länsman et al. v. Finlande, 1994, § 9.5.

[303] Cf. Pour un protocole additionnel au PIDESC, CETIM, Genève, 2006 : www.cetim.ch/fr/publications_pidesc-bro3. php et également Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, CETIM, Cahier critique n°2, Genève, 2008 : www.cetim.ch/fr/documents/cahier_2.pdf

[304][304] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales. Guatemala, E/C.12/1/Add.93, 12 décembre 2003.

[305] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales. Madagascar, E/C.12/MDG/CO/2, 16 décembre 2009, § 12.

[306] Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), Recommandation générale n°23. Peuples autochtones, 18 août 1997.

[307] Par exemple pour protéger l’accès aux ressources des peuples indigènes au Venezuela, des Dalits et des populations tribales en Inde et des Dalits au Népal. CERD, Observations finales. Venezuela, CERD/C/VEN/CO/18, 1er novembre 2005, § 17 ; Observations finales. Inde, CERD/C/IND/CO/19, 5 mai 2007, § 24 ; Observations finales. Népal, CERD/C/64/CO/5, 28 avril 2004, § 12.

[308] Pour une explication de cette situation, lire Theo Van Boven, « CERD and Article 14 ; The Unfulfilled Promise » in International Human Rights Monitoring Mechanisms. Essays in honour of Jackob Th. Möller de Gudmundur Alfredsson, Jonas Grimheden, Bertrand G. Ramcharan and Alfred de Zayas (eds), The Hague, Martinus Nijhoff Publishers, 2001, pp. 153-166.

[309] Jean Ziegler a créé un site internet pour présenter ses rapports aux Nations Unies et ses différentes activités de Rapporteur spécial : www.righttofood.org

[310] Olivier de Schutter a créé un site internet pour présenter ses rapports aux Nations Unies et ses différentes activités de Rapporteur spécial : www.srfood.org

[311] Toutes les informations utiles pour envoyer une plainte au Rapporteur spécial sont disponibles sur : www2.ohchr.org/french/issues/food/complaints.htm

[312] Cf. Assemblée générale, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, A/60/350, 12 septembre 2005, § 17-34. En octobre 2010, Olivier de Schutter a présenté un rapport à l’Assemblée générale sur le droit à la terre, qui comprend une partie importante sur le droit à la terre des peuples indigènes : www.srfood.org.

[313] Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter. Additif. Acquisition et locations de terres à large échelle : ensemble de principes minimaux et de mesures pour relever le défi au regard des droits de l’homme, déjà cité, note 100.

[314] Les rapports de missions de Jean Ziegler au Brésil en 2002, en Inde en 2005, au Guatemala en 2005 et en Bolivie en 2007, et ceux d’Olivier de Schutter au Guatemala et au Brésil en 2009 sont disponibles sur leurs sites (déjà mentionnés) et sur celui du Haut-Commissariat aux droits de l’homme : www2.ohchr.org/english/issues/ food/visits.htm

[315] Cf. par exemple, Human Rights Council, Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Jean Ziegler. Addendum. Communications sent to Governments and other actors and replies received, A/HRC/4/30/Add.1, 18 mai 2007.

[316] Un bilan du mandat de Rodolfo Stavenhagen a été réalisé avec le titulaire du mandat, publié par Droits et Démocratie, Les droits des peuples autochtones. Le Rapporteur spécial des Nations Unies. Bilan et défis, Copenhague, 2007.

[317] Informations sur le mandat disponible sur : www2.ohchr.org/french/issues/indigenous/rapporteur

[318] Cf. Commission des droits de l’homme, Droits de l’homme et questions autochtones. Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des popula- tions autochtones, Rodolfo Stavenhagen, E/CN.4/2003/90, 21 janvier 2003.

[319] Les rapports de missions du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones sont disponibles sur : www2.ohchr.org/french/issues/indigenous /rapporteur/visits.htm

[320] Cf. Le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes, CETIM, Cahier critique n°1, 2008 : www.cetim.ch/fr/documents/cahier_1.pdf

[321] CODDH, CECIDE, Global Rights, Dégradation de la situation des droits de l’homme en Guinée, Rapport conjoint d'organisations de la société civile à l’examen périodique universel, mai 2008.

[322] Center for Economic and Social Rights, Center for Economic and Social Rights individual submission to the Office of the High Commissioner for Human Rights on the occasion of the sixth session of the Universal Periodic Review December 2009. Equatorial Guinea. A selective submission on compliance with economic, social and cultural rights obligations : www.cesr.org/downloads/CESR-individual%20submission-Equatorial%20Guinea-December%202009.pdf

[323] Rencontre pour la Paix et les Droits de l’Homme, Commission Justice et Paix, Global Rights, Exploitation du Pétrole et Les Droits Humains au Congo-Brazzaville, Rapport conjoint d'organisations de la société civile à l’examen périodique universel, novembre 2008.

[324] FIAN International, Human Rights violations in the context of large-scale mining operations, déjà cité, note 88.

[325] Voir note 174.

[326] Cf. Sortir le droit international du placard, CETIM, Genève, 2008 : www.cetim.ch/fr/publications_details. php?pid=162

[327] GBOTTOS, Le droit de la guerre et de la paix, Livre II, Chapitre XXV, VIII, 2.

[328] VATTEL, Le code diplomatique de l'Europe, vol. II, p. 279.

[329] Putfendorf est plus réticent que Grotius et n’admet qu'avec réserve qu’on puiaee « entre­ prendre une guerre en faveur des sujets d’un autre prince, pour les délivrer de l’oppreasion de leur souverain » ; Du droit de la nature, et des gens, VIII, C., V.

[330] SUABEZ, De, BELLO, S.5, n° 5-8.

[331] Selon de VITTORIA ; « quiconque peut remédier au péril ou au malheur du prochain est tenu de le faire a ; De Jure Beüi, 1, 22,. 26 ; voy. aussi Saint Augustin qui écrivait plus générale­ ment : « on appelle ordinairement justes les guerres qui ont pour but la punition d’une injustice » ; Décret, causa XXIII, Q.2, c.2.

[332] ROUU-JACQTJEMYSS, G., Note sur la théorie du droit d’intervention, R.D.I.L.C., 1876, p. 67.

[333] PEREZ-VERA, E., « La protection d’humanité en droit international », R.B.D.I., 1969, pp. 401-424, et, plus récemment ; Teson, Fernando R., Hurnanitarian Intervention. An Inguiry into Law and Morality, New York, Transnational Publisher, 1988, xv et 272 p.

[334]  DAVID, E., «Droit ou devoir d'ingérence humanitaire ? », Journal des Juristes démocrates, Bruxelles, N° 80, juin-juillet-août 1991, p. 1, §1.

[335] BETTATI, M. et KOUCHNER, B., Le devoir d’ingérence, Paris, Denoël, 1987, 300 p.

[336]  PAYE, O., « Du droit à l’assistance humanitaire à l'ingérence humanitaire : un dérapage conceptuel dangereux », Journal des Juristes démocrates, Bruxelles, N° 80, juin-juillet-août 1901, p. 8, note 4.

[337] BETTATI, M., « Le devoir d’assistance à peuples en danger », Le Monde diplomatique, avril 1980, p. 11.

[338] LEBRUN, M., Président du groupe PSC à la Chambre, rapporteur de la mission parlementaire à l’ONU, L’O.N.U. : une évolution indispensable, carte blanche, Le Soir, 6 juin 1991.

[339]  CHEBON, M. et MARAEL, J., Communiqué de presse d’Ecolo, Bruxelles, 8 avril 1991.

[340] FONTAINE, A., « La Ingerencia », El Pais, 24 juillet 1991, p. 9 ; Hadas-Lebel, Raphaël, «Ingérence. Un droit en marche», Le Monde., 20 avril 1991 ; «Violation des droits de l'homme et droit d’ingérence », communiqué de l’Association belge des juristes démocrates, Bruxelles, n° 79, mai 1991, p. 11.

[341] MARK, E., Le Soir, 10 avril 1991, p. 1.

[342] Les débats de la Commission des Relations extérieures de la Chambre des Députés belge du 11 avril 1991.

[343] BETTATI, M., « Un droit d’ingérence ? », R.G.D.I.P., 1991, p. 640.

[344]  Conclusion de la carte blanche ; Zaïre : « droit d’ingérence » de Pierre Grega dans Le Soir du 3 mai 1991.

[345] « Nous, peuples des Nations Unies, résolus ... à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme ... avons décidé d’associer nos efforts pour réaliser ces desseins ... » ; DAVID, E., op.cit., p. 1, § 4.

[346] Le préambule reprend le libellé de l’article 55 de la Charte ; MOBIN, J.Y., RIQALDIEA, F., TTMP, DANIEL, Droit international public. Notes et documents, tome I, Montréal, Thémis, 1987, pp. 489 et as.

[347]  JEAN-BEMARD et QUESTIAUX, N., « Article 55 al. c », in Cot & Pellet, La Charte des Nations Unies, Paris, Economica, 2“ éd., 1991, pp. 869 et ss.

[348] BOISSON DE CHAZOURNE, L. et COÏJDORELLÏ, L., « Quelques remarques à propos de l’obligation des Etats de 'respecter et de faire respecter’ le droit international humanitaire ‘en toutes circonstances’ », in Mélanges Pictet, Genève-La Haye, CICR-Nijhoff, 1984, pp. 17 à 36.

[349] LEVRAT, N., « Les conséquences de l’engagement pris de ‘faire respecter’ les conventions humanitaires», in Mise en oeuvre du droit international humanitaire, Frita Kalshoven et Yves Sandoz éd., Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1989, pp. 269 et ss.

[350] DAVID, E., Eléments de droit des conflits armés, Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles, 1991-1992, 2ème éd., pp. 76 et 77.

[351]  COBTEN, O. et DAEMS, A., «Compte-rendu des travaux », in Revue internationale de droit contemporain, 1990-1991, p. 111.

[352] KOUOHNER, B., Le malheur des autres, Paris, Editions Odile Jacob, 1991, pp. 92, 221.

[353]  BETTATI, M., « Un droit d’ingérence humanitaire '? », in Le devoir d'ingérence, Paris, Denoel, 1987, p. 24.

[354] Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

[355] DAVID, E., « Le seuil de l’illicité dans le principe de non-intervention », in Réalités du droit international contemporain, Actes de la septième rencontre de Reims, 1987, pp. 122-174.

[356] ROUSSEAU, C., « Chronique des faits internationaux », B.G.D.I.P., 1990, p. 779.

[357] Le Monde, 4 octobre 1991, p. 4.

[358]  BETTATI, M., «Un droit d’ingérence humanitaire», in Le devoir d’ingérence, Paria, Denoël, 1987, p. 24.

[359] NOËL, J., Le principe de non-intervention. Théorie et pratique dans les relations interaméricaines, Bruxelles, Bruylant, U.L.B., 1981, p. 75.

[360]  David, Eric, « Portée et limite du principe de non-intervention », B.B.D.I., 1990, § 7.

[361] VERHOEVEN, JOE, La reconnaissance internationale dans la pratique contemporaine, Paris, Pedone, 1975, p. 586.

[362] DAVID, ERIC, op.cit. § 9.

[363]  SCHWARZ, URS, Confrontation and intervenlion in the Modem World, Dobbs-Feriy, Oceana, 1970, p. 84.

[364] BERTHOUD, PAUL, «La compétence nationale des Etats en l’Organisation des Nations Unies ; l’article 2, paragraphe 7 de la Charte de San Francisco », Ann. Suisse Dr. Int., 1947, vol. IV, p. 41.

[365] Vbrhoeveït, Joe, « Communautés européennes et sanctions internationales », R.B.D.I., 1984-1985, p. 85.

[366]  KLEIN, P. et SCHATJS, A., «Deux poids, deux mesures ? », in Entre les lignes. La guerre du Golfe et le droit international, Bruxelles, Créadif, 1991, p. 59-78.

[367] C.I.J., Recueil, 1962, p. 163.

[368]  C.I.J., Recueil, 1962, p. 295.

[369]  DAVID, ERIC, «Les sanctions économiques prises contre l’Argentine dans l’affaire des Malouinea », R.B.D.I., 1984-1985, p. 155.

[370] Le Monde, 5 octobre 1991, p. 7.

[371]  Akehukst, M., « Enforcement Action by Régional Agencies, with Special Reference to the Organization of American States», B.Y.B.I.L., 1967, p. 175-227.

[372] N.R.C., Handelsblad, 7 novembre 1991.

[373] Le Monde, 4 octobre 1991, p. 3.

[374] Idem.

[375]  O.N.U., Répertoire de la pratique, vol. 1, p. 56.

[376]  Résolution 272-III.

[377] Résolution 294-IV.

[378] Résolution 385V.

[379] Résolution 509-VI (plainte pour activités hostiles dirigées contre la Yougoslavie par le gouvernement de l’U.R.S.S., les gouvernements de la Bulgarie de la Hongrie de la Roumanie et de l’Albanie ainsi que les gouvernements de la Pologne et de la Tchécoslovaquie).

[380] Résol. 41/157 du 4 décembre 1986, adoptée sans aucune voix d’opposition ; voir aussi les résol. 35/192 du 15 décembre 1980, 36/155 du 16 décembre 1981, 37/185 du 17 décembre 1982, 38/101 du 16 décembre 1983, 30/119 du 14 décembre 1984 et 40/139 du 13 décembre 1985.

[381]  Résol. 38/100 du 16 décembre 1983 ; voir aussi la résol. 37/184 du 17 décembre 1982.

[382]  Résol. 41/159 du 4 décembre 1986.

[383] COBTEN, O. et KLEIN, P., « Droit d’ingérence ou obligation de réaction non armée ? », S.B.D.I., 1990-II, p. 385, § 15.

[384] Résolution 39/14 du 8 novembre 1984.

[385]  La résolution est intitulée « Sanctions globales contre le régime d’apartheid et soutien à la lutte de libération Bn Afrique du sud ».

[386] Résolution 46/7 du 11 octobre 1991.

[387]  JEAN-PIERRE et PELLET, A. (eds.), La Charte des Nations Unies, Paris, Economica, 1991, 2ème éd., p. 952.

[388] RUEZ, CLAUDE, op.cit., 1ère éd., p. 956.

[389]  BERTHOUD, PAUL, «La compétence nationale des Etats en l’Organisation des Nations Unies ; l'article 2, paragraphe 7 de la Charte de San Francisoo », Ann. Suisse Dr.Inl., 1947, vol. IV, p. 71.

[390] R ousseau, Charles, «Chronique», R.G.D.I.P., 1975, p. 817.

[391] R otjgier, «La théorie de l’intervention d’humanité», R.G.D.I.P., 1910, p. 512.

[392]  C.I.J., Recueil 1986, p. 124, § 241.

[393] ALAM, SHAH, « Indian Intervention in Sri Lanka, and International Law», N.I.L.R., 1991, pp. 351.

[394]  C.I.J, Recueil 1986, § 241.

[395]  CAKREATJ, D., «Les moyens de pression économique au regard du F.M.I., du G.A.T.T. et de l'O.C.D.E. », R.B.D.I., 1984-1985, p. 22.

[396]  STOWELL, ELLERY G., Intervention in International Law, Washington D.C., John Byme & Co, 1921, p. 318,

[397]  BHEAM, C.G., Intervention short of Armed Force in Latin America, Chicago, 1945, p. 316.

[398]  SCKWAHZ, URA, Confrontation and Intervention in the Modem Law, New York, Oceana Publ., 1970, p. 91.

[399] FLORY, M., « Algérie et droit international », A.F.D.I., 1959, pp. 819 à 824.

[400] CASSESE, A., CLAPHAM, A. et WEILER, J. (Ed.), Human Eighta and the European Community : Methods of Protection, Baden-Baden, Nomoa, 1991, p. 518.

[401] KLEIN , P., « Le contentieux belgo-zaïrois — Développements récents », R.B.D.I., 1991.

[402] VERZIJL, JAN H.W., « Le domaine réservé de la compétence nationale exclusive », Mélanges Perassi, Milan, Giuffrè, 1957, p. 391.

[403] ERMACORA, F., « Human Rights and Domeatic jurisdiction », R.C.A.D.I., 1968, T. II, vol. 124, pp. 377 à 379 et 384.

[404] C.P.J.I., Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, Série B, n° 4, p. 23.

[405] Le Monde, 22 août 1991, p. 6.

[406] Journal télévisé de 20 heures d’Antenne 2, lundi 19 août 1991.

[407] BINDSCHKDLER, R.L., «La délimitation des compétences des Nations Unies», R.G.Â.D.I., 1948, t. 108, p. 395.

[408] BIN CHENG, « La jurimétrie : Sens et mesure de la souveraineté juridique et de la compétence nationale», J.D.I., 1991, p. 585.

[409] C.P.J.I., Affaire du décrets de nationalité, loc.cit., p. 24.

[410] SCELLE, G., « Critique du soi-disant domaine de compétence exclusive », R.D.I.L.C., 1933, p. 308, n° 2.

[411] O.N.U., Répertoire de la pratique, 1955, vol. I, p. 127.

[412] ROSS, ALF, « La notion de « compétence nationale » dans la pratique des Nations Unies — Une rationalisation a posteriori », Mélanges Rolin, Paris, Pedone, 1964, p. 299.

[413] JEAN-PIERRE et PELLET, ALAIN, La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Paria, Economica, 1985, pp. 651.

[414] BRUNET, RENE, La garantie internationale des droits de l'homme, d’après la Charte de San francisco, Genève, 1947, p. 158.

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[423] Réaolution 30/102.

[424] Résolution 36/103.

[425] Résolution 45/2 du 10 octobre 1990.

[426]  Résolution 43/13.

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[444]  DAVID, E., op.cit., p. 195.

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[451] DAVID, E., op.cit., p. 190.

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[479]  RONZITTI, N., op.cit., p. 105.

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