EPIGRAPHE
« Si l’homme est-ce que les structures font de lui, la question est de savoir ce qu’il fait à son tour de ce que les structures ont fait de lui. Cette question essentielle ouvre un champ immense qui constitue justement l’espace de la liberté »
JEAN PAUL SARTRE, cité par JEAN FRANCOIS KHAN,
Esquisse d’une philosophie de mensonge, 1989.
A nos regrettés parents
BOLITSI ISOMANYA Paul et NKOLO BOLIMA Mado, que cette dissertation doctorale vous immortalise à jamais.
A ma chère épouse
Francine KAPINGA BOLIMA
Pour tous les sacrifices
A mes enfants :
Morena MISENGABO BOLIMA ;
William BOLIMA BOLITSI, K, et;
Djamilah NKOLO BOLIMA.
Cette dissertation couronne la fin de notre cursus au doctorat. Elle constitue une modeste contribution dans la recherche de résolution des problèmes des populations rurales, principalement, en République Démocratique du Congo.
Exprimons ici toute notre reconnaissance au Professeur Lombeya Bosongo Likund’elio, qui a dirigé ce travail en dépit de ses multiples responsabilités. Il est aussi important de souligner les apports des Professeurs Albert Muluma Munanga et son collègue Alphin Kaba-Kaba, copromoteurs. Leurs sévères critiques, et rigoureuses recommandations, ont été d’une importance particulière. Dans cette liste, s’ajoutent les Professeurs Rémy Mbaya Mudimba, Emile Bongeli, Jeannot Mokili Danga, Pierre Gambembo Gawiya et Antoine – Thomas Bofambu Nkombe, tous membres du jury, pour leurs apports dans ce travail.
Nous sommes également reconnaissant à l’égard des Professeurs Sylvain Shomba Kinyamba, Gaston Mwene Batende, Mbela Hiza, Florentin Mokonda Bonza, Beaujolais Bofoya Komba et Jean Piere Mpiana, pour avoir accepté la lecture de nos multiples productions scientifiques. Nos mots de gratitude s’adressent aussi aux Professeurs Emmanuël Mukundi, Jody Ngongo, Willy Mbalanda, Remy Bolito, Mussa Galu, Payanzo, Joël Lisenga, Ntungila Nkama, Kalonda Mbulu, Katunda Mondundu, Mwabila Malela, Musau, Ngoma Ya Nzuzi, Tshishimbi, Biloso, Donat Olela, et Tomi Wuemba, etc., pour leurs encouragements. A cette liste, s’ajoutent les professeurs Kaminar, Nkwanzaka, Mukaba, Lubo, Ngondankoy, Ekongo Ndemba et Amisi Herady, pour qui, nous gardons de souvenir d’aides et de conseils éloquents. Nous ne pouvons pas clore cette liste sans citer les Doyens Mvudi Matingu, Tiker Tiker, Kamiantako, Luyinduladio, Nzita, les Professeurs Emina Jacques, Mangalu, Marie Nyange et Boleli, ainsi que Nsilu, Kituku et Solo.
Nous adressons égalemment nos mots de gratitude aux Honorables Patrick Bombelosanda, Jean-Paul Nemoyato Bagebola, Pacrance Boongo Nkoy, Jean - Lucien Bussa, Norbert Eholo, Gaston Musemena, Petronelle Iyefa, Samy Simene wa Simene, ainsi qu’à toutes les familles Lombeya, Bolitsi, Limbili, Lisembe, Bongima, Basosila, Tshibasu, P. Lokuli, Basele et Ali Kyamasa, pour leurs contributions multiformes. Au Général Sony Kafuta de l’Armée de l’Eternel et ses collaborateurs, dont Guy Kankwanda, Medard Ingomo, Felly Bekonda et Felly Osemwa, pour nous avoir acceptés comme compagnon dans l’œuvre de l’évangélisation. Que nos amis de la Chaire de la Dynamique Sociale (CDS) pour avoir, à tout moment, à travers la Revue MES, fait connaître nos idées par la publication de nos articles, et, vous, de l’Observatoire Interdisciplinaire du Religieux, avec les Cahiers Interdisciplinaire des Religions, Revue Semestrielle, qui nous permettez de nous exprimer en religiologue, et, les informaticiens Arbert Yakusu et Blaise Etana Lilanga, qui ont rendu définitive la forme de cette dissertation doctorale, trouvent leur place de choix dans notre cœur.
RESUME
La présente étude jette un regard critique sur l’impact de la pratique des projets de développement rural en République Démocratique du Congo. Elle prend en compte l’expérience de la Cacaoyère de Bengamisa (CABEN), projet logé dans «l’espace Bengamisa», dans la Province de la Tshopo, autrefois l’un des districts de l’ancienne Province Orientale. Ce projet visait, principalement, l’augmentation de la production de cacao et l’amélioration des conditions de vie des paysans. La CABEN devrait, en outre, être la solution aux problèmes posés par la dépendance de la vie de la nation à l’exportation seulement des matières prèmières, en occurrence, le cuire, le diament, l’or, la cassitérite, etc. Il a fallu encourager la diversification par la culture de cacao, en vue de rapporter des devises à la République.
En effet, avec la méthode dialectique et l’analyse contrefactuelle, l’étude révèle qu’en RD. Congo, la logique capitaliste[1] qui tracte ces projets de développement rural, détermine négativement leur action. Certes, « le capitalisme est un processus de production ayant une double dimension dans sa définition traditionnelle. La dimension destructrice et la dimension créatrice. Comme tel, il dépend profondément de son environnement, politique et juridique. Donc, si cet environnement est juste et équilibré, alors le capitalisme participera au développement de la société. Si, par contre, cet environnement est laxiste, injuste et déréglé ou dérégulé, alors le capitalisme peut basculer dans la pure logique de prédation. Il n’y a pas de barrière étanche entre capitalisme et prédation : tout dépend de l’environnement dans lequel ce processus de production évolue».[2]
Certes, cette étude, qui procède par la triangulation des techniques comme approche, démontre qu’en RD. Congo, la logique capitaliste, par la financiarisation des projets, ainsi que la faiblesse de la régulation étatique de la vie nationale, etc., bascule dans la logique de prédation.[3] Partant, la fonction émancipatrice des projets de développement rural, en général, et celle de la CABEN, en particulier, est mise en cause.[4] A coup sûr, la logique capitaliste[5], avec « la recherche d’intérêts à tout prix » comme principe qui guide les acteurs en interaction dans le procès de la production de la CABEN, ses gestionnaires, particulièrement, entretient des frustrations dans le chef de la population locale. Sa plantation, (Bloc Industriel) totalement abandonnée, quelques travailleurs qui tiennent encore, vivotent sous le regard indifférent de l’Etat congolais, au point que d’aucuns soutiennent que la pratique des projets de développement rural en RD. Congo, se veut plutôt un moyen de paupérisation des masses rurales.[6]
Il s’observe, cependant, que ces dernières années, le cacao connait un essor considérable avec des prix qui doublent presque. La culture de «cacao se présente donc, à l’heure actuelle comme l’une des sources de revenus et/ou des devises dans le monde. D’ailleurs, la filière cacao joue un rôle de locomotive de la croissance en Côte d’Ivoire,[7] alors que ce pays présente un espace cultivable moindre que celui de la RD. Congo. Nous sommes, ainsi d’avis, « sans vouloir opposer à l'optimisme exagéré du passé, un pessimisme de circonstance »[8] des résultats plutôt discutables du bilan fait sur des apports de la CABEN, que ce projet devrait être relancé en vue de la promotion de la culture de cacao à travers le pays. Puisque la RD. Congo présente des conditions agroécologiques très favorables à la culture de cacao, il est important que les acteurs impliqués dans la gestion de la Cacaoyère de Bengamisa, tirent des leçons du passé et réconcilient celle-ci avec les besoins présents de la République. Que l’Etat congolais réorganise la filière de cacao, en assurant un revenu attractif aux cultivateurs, qu’il faut encadrer. Pour ce faire, « la cacaoculture durable (CCD) », soutenue par la territorialisation des projets de développement rural (TPDR), le tout assis sur un « pouvoir service (PS) », qui doit être appuyé par « une gouvernance intelligente (GI) », fait l’objet de notre plaidoirie dans cette thèse, en vue de faire de la Cacaoyère de Bengamisa le « cœur »[9] de l’« économie cacaoyère durable » en République Démocratique du Congo.
LISTE DES ABREVIATIONS & ACRONYMES
AFDL : Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo
ARCC : Autorité de Régulation du Café et de CAcao
ANADER : Agence National d’Appui au Développement Rural
ANAR : Agence National d’Appui au Developpement
ASBL : Association Sans But Lucratif
BAD : Banque Africaine de Développement
BCEAO : Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
BDPA : Bureau de Développement de la Production Agricole
B I : Bloc Industriel
B F : Bloc Familial
B I T : Bureau International du Travail
B M : Banque Mondiale
BRACONGO : Les Brasseries du Congo
CABEN : Cacaoyère de Bengamisa
CACAOZA : Cacaoyère du Zaire
CAID : Cellule d’Aide au Développement
C C C : Conseil du Café-Cacao
C C D : Culture de Cacao Durable
C D S : Chaire de la Dynamique Sociale
C EI : Communauté des Etats Idépendants
C G F C C : Comité de Gestion des Filières de Café et Cacao
CICIBA : Centre International des Civilisations Bantues
CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
CONADER : Commission Nationale Desarmement, Demobilisation et Reinsertion
C P R K : Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa
C T B : Coopération Technique Belge
C N S : Conférence Nationale Souveraine
D E S : Diplôme d’Etudes Supérieures
DSCRP : Document Stratégique pour la Croissance et Réduction de la Pauvreté
DTS : Droit des Tirages Spéciaux
E A D : Entités Administratives Décentralisées
ECO. DEV : Economie de Développement
ECO. RUL : Economie Rurale
EU : Espace Urbain
FAD : Fonds Africain de Développement
FAO : Organisation des Nations- Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
FAP : Force d’Auto-défense Populaire
FAZ : Forces Armées Zaïroises
FED : Fonnds Européen de Développement
FMI : Fonds Monétaire International
GI : Gouvernance Intelligente
GIEC : Groupe International d’Experts sur le Climat
GVC : Groupement à Vocation Coopérative
IBW : Institutions de Bretton Woods.
ICCO : Organisation Internationale de Cacao
IDH : Indice de Développement Humain
IFA : Institut Facultaire Agronomique (de Yangambi)
INEAC : Institut National d’Etudes Agronomiques du Congo
INERA : Institut National d’Etudes et de Recherches Agronomiques
INSS : Institut National de la Sécurité Sociale
IRES : Institut de Recherches Economiques et Sociales
ISEA : Institut Supérieur d’Etudes Agronomiques
ISDR : Institut Supérieur de Développement Rural
M D P : Mécanisme de Développement Propre
MES : Mouvements et Enjeux Sociaux
MLC : Mouvement de Libération du Congo
MPME : Micros, Petites et Moyennes Entreprises
MPME : Ministère de Petites et Moyennes Entreprises
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de Communication
OIT : Organisation Internationale du Travail
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
O N A : Organisation des Nations Africaines
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONGD : Organisation Non Gouvernementale pour le Développement
O.N.U : Organisation des Nations Unies
PAM : Programme Alimentaire Mondial
PALMEZA : Palmeraie du Zaire
PAS : Programmes d’Ajustement Structurel
P D E : Pays en Voie de Développement
PEV : Programme Elargi de Vaccination
PLC : Plantations Levers au Zaire
PME : Petites et Moyennes Entreprises
PMI : Pétite et Moyenne et Industrie
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
PNR : Programme National Riz
PRODEKI : Projet de Développement de Kiri
P S : Pouvoir Service
RDC : République Démocratique du Congo
SENASA : Service National des Statistiques Agricoles
SNHR : Service National d’Hydrogaulique Rurale
SNIR : Service National d’Informations Rurales
SNV : Service National de Vulgarisation
SOCITURI : Société de l’Ituri
SSPA : Sciences Sociales Politiques & Administratives
TM : Tiers - Monde
TPD : Térritorilisation des Projets de Développement
UE : Union Européenne
UEMOA : Union Economique, Mométaire Ouest Africain
UNIBRA : Union des Brasseries du Congo
UNIKIN : Université de Kinshasa
URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques
USA : Etats - Unis d’Amérique
USAID : Agence des Etats- Unis pour le Développement International
USD : Dollard des Etats- Unis
Tableau II. Quelques critères sélectionnés de définitions de la pauvreté
Tableau VI. Financements initiaux de la CABEN exprimés en USD et en pourcentage.
Tableau VII. Financements révisés de la CABEN en DTS et en pourcentage.
Tableau VIII. L’échantillon et ses éléments constitutifs.
Tableau IX. Point de vue des enquetés sur les attentes de la population de la CABEN.
Tableau X. Opinion des enquêtés sur l’impact social visible de CABEN dans « l’espace Bengamisa »
Tableau XIII. Opinion des enquêtés sur les rapports gouvernement et CABEN
Tableau XIV. Opinion des enquêtés sur le bilan de la CABEN
Tableau XV. Point de vue des enquetés sur des raisons de l’échec de la CABEN
Tableau XVII. Point de vue des enquetés autour des projets que la Tshopo a connus
Tableau XXV : Esquisse des axes d’intervention des plans de développement rural
Figure 5. Financements initiaux de la Cacaoyère de Bengamisa exprimés en pourcentage.
Figure 6. Financements révisés de la CABEN exprimés en DTS et en pourcentage
Figure 11. La répartition des enquêtés selon leur opinion sur les rapports gouvernement et CABEN
Photos : 2, 3, 4 et 5. Le paysage de la plantation de la CABEN à 36 Km de la ville de.
Graphique n° 3. Evolution des prix des cacaos au niveau du marché mondial (de 2008 à 2017.
Schéma n°1 : Cycle du projet selon le Schéma de Rondinelli
Le propre de l’esprit humain est de questionner. En effet, Gilbert Kuyunsa Bidum et Sylvain Shomba Kinyamba soutiennent que « le rôle de la science se résume à résoudre des problèmes, à répondre à des interrogations, à expliquer, et à démontrer des réalités méconnues, corriger et réorienter les connaissances déjà acquises ».[10] Face aux problèmes posés par rapport au devenir historique des sociétés, plusieurs interrogations se posent aux esprits avertis et impliquent des recherches scientifiques.
Point n’est besoin de rappeler qu’il ne peut y avoir une recherche ou une étude scientifique sans un objet et un objectif. C’est ainsi que, dans une recherche scientifique, l’objet d’étude indique ce sur quoi l’esprit s’applique. Nous faisons nôtre l’affirmation de Loubet, selon laquelle : « … A ne pas savoir ce que l’on cherche, on risque de ne pas savoir ce que l’on trouve ».[11] Précisons ainsi que l’objet de notre étude consiste à l’analyse de l’impact de la logique capitaliste dans l’action des projets de développement rural, pris pour l’instrument de transformation de l’espace rural congolais à travers un projet particulier. Il s’agit de la Cacaoyère de Bengamisa (CABEN), dans la Tshopo, autrefois l’un des quatre districts de l’ancienne Province Orientale, aujourd’hui Province.
Notre préoccupation majeure est de savoir : alors qu’à l’heure actuelle, le cacao demeure un produit d’exportation faisant l’objet d’un intérêt majeur à l’échelle mondiale, et que plusieurs pays en tirent dividende, pourquoi la RD. Congo, qui présente des conditions agroécologiques largement favorables au développement de la culture de cacao, avec sa Cacaoyère de Bengamisa, n’est pas présente dans les differnts marchés de cacao ? Voilà, ce sur quoi notre rêflexion va se focaliser tout au long de développement de cette dissertation.
2. PROBLEMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
La question des projets de développemet rural comme stratégie de la réduction de la pauvreté, mieux, de la pauvreté rurale fait appel à la problématique de développement rural. Il s’observe qu’avec la montée de la mondialisation, le procès de développement fait face aux défis de ce que certains considèrent comme de « l’américanisation ».[12] Beaucoup de gouvernements à travers le monde pensent et repensent sans cesse leurs politiques de développement et multiplient des stratégies porteuses en faveur de leurs populations, singulièrement, les populations rurales.
Cependant, en République Démocratique du Congo, dans les villes comme dans les campagnes, les effets pervers de la pauvreté[13] prolifèrent quotidiennement. En dépit de la multiplication des projets de développement rural, la pauvreté s’impose comme une réalité de taille et elle entraine la misère qui touche toutes les couches et catégories sociales. Il s’observe que de la décennie 60 jusqu’à ces jours, la situation en milieu rural congolais se caractérise par des politiques publiques en matière de la santé, de l’éducation, de l’habitat, etc, qui n’ont pas donné des résultats attendus.[14] L’agriculture, avec ses unités de production frappées par la zaïrianisation de 1973, a disparu avec l’exode rural et les déplacements dus à des guerres à répétition.[15] Il s’y observe également une dégradation continuelle des voies de communication qui bloque les échanges entre la ville et la campagne. Il faut, en outre, noter que la politique d’ajustement structurel, prônée vers les années 80, n’a accouché que d’une souris.
Aujourd’hui encore, il se remarque que les guerres de « libération », ainsi que des guerres d’agression par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, etc., sont venues achever la destruction du monde rural dans les provinces et/ou les territoires autrefois occupés : les forêts, les parcs nationaux, les réserves naturelles, la faune et flore ont été profondément affectés par la prédation, et les prélèvements anarchiques[16] aggrave la pauvreté[17] rurale. Certes, il nous revient l’obligation de soutenir que les populations rurales de la RD. Congo ont réellement subi les désastres des conflits armés : les infrastructures de base (les ponts sur les rivières et les outils de production) détruites, les hommes habiles emportés et tués, etc.[18] Les entreprises et les sociétés qui y étaient installées, ont été forcées, si pas de fermer, mais, de réduire leurs activités à cause de l’insécurité. Ces territoires ruraux à vocation agricole principalement, se sont vus abandonnés, non seulement par leurs fils et filles, à la suite de l’exode rural qui culmine, mais aussi, par les pouvoirs publics, au point que la situation entretient ce qui peut être qualifié de culture de la pauvreté.
Le recul de l’Etat congolais, c’est-à-dire, des pouvoirs publics, dans l’accomplissement de ses fonctions de sécurité, de satisfaction des besoins sociaux de base et des aspirations sociales, etc., maintient sa population, en général, et celle rurale, en particulier, dans une situation de permanente dépendance, de sous-développement et de pauvreté. En effet, cette «… pauvreté qui frappe plus de 80% de la population»[19] congolaise, doublée des maladies et de la désintégration des familles, fait intervenir d’autres agents régulateurs, et, de partout : les organismes internationaux, particulièrement, l’Organisation des Nations Unies, (O.N.U),[20] les organisations non gouvernementales (les O.N.G), les partis politiques, les Eglises, les personnalités de toutes sortes, les associations locales de développement, etc. Tous ces intervenants, y compris les pouvoirs publics, procèdent, aussi et, surtout, par des projets, dits de développement rural, en vue de la transformation de l’espace rural et de la réduction de la pauvreté.
Sans être exhaustif, nous citons à titre d’exemple : la Cacaoyère du Zaïre (Cacaoza) et la Palmeraie du Zaïre (PALMEZA) (dans le Sud-Ubangi), la Sucrière de Lotokila à Yalotsa, la Cacaoyère de Bengamisa (la CABEN) dans la Tshopo, qui fait l’objet de la présente dissertation, le Parc Agro-industrielle de Bukanga Lonzo dans le Kwango, le Projet de développement de Kiri (le PRODEKI) dans le Mai- Ndombe, etc. En outre, en dépit des témoignages de Patrick Makala Nzengu, qui cite la FAO, la BM et l’UE, etc.,[21] et rapporte que le Congo-Kinshasa, dans le domaine de l’agriculture, au regard de son espace rural, «… est l’un des pays les plus riches de l’Afrique subsaharienne, en termes de potentialité agricole. Certaines estimations faites par la FAO sur les potentialités agricoles dans le monde avancent que, sous l’hypothèse d’un haut niveau d’intrants, le pays peut produire suffisamment pour alimenter 2,9 milliards de personne, soit presque la moitié du monde».[22] L’hiatus entre les potentiels géologiques de la RD. Congo, sa riche biodiversité attirant des multiples projets de développement rural, financés et exécutés à travers la République et les conditions de vie des masses se confirme. Autrement dit, en République Démocratique du Congo, jusque là, la pratique des projets de développement rural n’assure pas la réduction de la pauvreté et n’améliore pas les conditions de vie des populations rurales.[23] Leurs échecs à répétition font que certains observateurs trouvent dans cet outil de gestion entre les mains des acteurs socio-économico-étatiques, l’instrument de paupérisation des masses paysannes.
En ce qui concerne la Cacaoyère de Bengamisa, particulièrement, la littérature socio-économique sur le cacao parcourue par nous et tant d’autres sources, renseignent que le marché de cacao connait un essor considérable ces dernières années, avec des prix qui doublent presque.[24] Cette demande du cacao au niveau mondial, laisse donc augurer, à tout égard, de bonnes perspectives pour les pays producteurs. Nous évoquons particulièrement, les pays de l’UEMOA, singulièrement, la Côte d’Ivoire, où « la culture de cacao représente entre 15% à 20% du PIB. La filière de cacao y emploie près de 600 000 planteurs et fait vivre près du quart de la population, soit environ 6 millions de personnes. A coup sûr, pour la Côte d’Ivoire, la cacaoculture demeure non seulement un élément de la stabilité macro-économique, mais aussi et surtout, un instrument de l’équilibre social.[25] Cet intérêt croissant pour le cacao au niveau mondial, parait, du point de vue socio-économique, être une opportunité de revenus pour la RD. Congo, pays en crise multiforme, et le canal pour se procurer des devises à travers le projet CABEN, sans pour autant qu’il soit l’unique.
Ainsi, de ces préoccupations, des interrogations suivantes nous viennent à l’esprit :
Ø qu’est- ce qui fait que, de manière générale, la multiplication des projets de développement rural en République Démocratique du Congo n’assure pas l’amélioration des conditions de vie dans ses milieux ruraux ?
Ø est-ce la logique capitaliste qui les tracte, fait de la pratique un mécanisme d’expropriation et/ou de la paupérisation de la population rurale congolaise ?
Ø quelle est la situation qui prévaut dans le cas de la CABEN à Bengamisa dans la Province de la Tshopo ?
Ø que doivent ainsi faire les gouvernants congolais, ainsi que sa population rurale, particulièrement, pour que la pratique des projets de développement rural, de manière générale, participe au développement du pays, et, que le projet CABEN, particulièrement, devienne le « cœur » de l’économie cacaoyère durable en RD. Congo ?
C’est à cet ensemble de questions que nous tentons de répondre de manière positive.
2.2. Des objectifs de la recherche
Ø Objectif général
L’objectif général poursuivi par cette étude, est celui de démontrer que le projet CABEN n’est pas différent des autres projets capitalistes qui visent la rentabilisation de gain à tout prix.
Ø Objectifs spécifiques
A coup sûr, en ce qui concerne les objectifs spécifiques, nous soulignons que l’étude tient à :
- l’identification des acteurs, mais surtout, des enjeux concourant à la dynamique des projets de développement rural en RD. Congo, en général, dans son espace rural, en particulier, et, singulièrement, dans la Province de la Tshopo, sans la réduction de la pauvreté ;
- l’intégration de la compréhension de la prolifération des projets de développement rural en RD. Congo, à travers le cas concret de la CABEN dans la dynamique générale des mécanismes de la paupérisation des masses par le capitalisme[26] pour y apporter des solutions réalistes ;
- la plaidoirie pour la substitution de l’agriculture d’exportation par celle qui doit d’abord être au service des agriculteurs eux-mêmes, en esquissant des stratégies allant vers « la territorialisation des projets de développements rural» en République Démocratique du Congo ;
- faire de la pratique des projets de développement rural un véritable instrument de l’élévation des populations rurales en consacrant la territorialisation la règle de gestion ;
- promouvoir la « cacao culture durable » par la conscientisantion de la population rurale à s’autoprendre en charge en vue d’une « économie cacaoyère durable » en République Démocratique du Congo.
Au regard du questionnement ci-haut soulevé, nous pensons que la manière utile d’y répondre est celle d’analyser les projets de développement rural à travers l’expérience de la Cacaoyère de Bengamisa, dans les circonstances de sa conception, de son élaboration, etc. L’accent sera mis surtout sur la logique marginaliste qui a guidée ce projet, de sa création à ce jour. Certes, notre l’hypothèse principale se formule en ces termes : la pratique des projets de développement rural serait l’un des outils utile à la disposition des acteurs socio-étatiques pour la transformation, non seulement de l’espace rural congolais, mais, aussi et surtout, de l’ensemble de l’espace national. Cependant, ces projets, souvent, fonctionnent comme toute micro-entreprise capitaliste. Basés sur la logique d’action marginaliste, c’est-à-dire la liberté de propriété individuelle étant la règle, ils s’intéresseraient plus à la recherche du profit de l’investisseur. Ainsi, dans la pratique, avec l’insouciance des acteurs socio-économiques Congolais et la faiblesses des mécanismes de la régulation étatique, les projets de développement rural passeraient pour être un mécanisme d’expropriation et/ou de paupérisation de la population congolaise, en général, de sa population rurale, particulièrement, au point que nous proposions la térritorialisation des projets de développement rural comme mode de gestion RD. Congo.
Pour ce qui est des hypothèses secondaires, nous retenons que :
Þ l’accélération de la production des projets de développement rural en RD. Congo, par leur financiarisation procède plus des enjeux politico-financiers. Ils tiennent compte des intérêts des bailleurs de fonds et certains politiques prédateurs impliqués dans leur gestion ;
Þ tel est le cas avec la CABEN, un projet agricole logé à Bengamisa, dans la Tshopo, qui serait arrêté avec le tarissement de son financement, en dépit des atouts environnementaux qui l’entourent. Ainsi, le financement étranger doit laisser la place à l’autofinancement ;
Þ tout cela se justifie suite à l’ insouciance des acteurs socio- économiques et politico- étatiques à la situation misérabiliste à laquelle se trouve plongée la population congolaise et à l’absence de la bonne gouvernance, ainsi que d’une politique budgétaire volontariste, soutenues par des institutions étatiques et des services spéciaux capables de soulager des populations rurales des effets dévastateurs de la politique de saupoudrage des projets de développement rural, en instituant la territorialisation comme mode de gestion.
4. REVUE DE LA LITTERATURE EN RAPPORT AVEC LE SUJET
De nos jours, la littérature sur la problématique de développement rural, en particulier, et, sur le développement,[27] en général, est abondante. En ce qui concerne la RD. Congo, depuis les années 60, l’on a observé une hypertrophie de l’activité politique qui rime aussi bien avec la pauvreté[28] rurale qu’urbaine. Cette situation misérabiliste des masses rurales suscite et entretient des nouvelles pratiques sociales de survie. Elle mobilise beaucoup d’acteurs et accélère la multiplication des productions scientifiques. Historiens, anthropologues, politologues, philosophes, théologiens, économistes, démographes, médecins, géographes, sociologues, psychologues, juristes et autres chercheurs se sont préoccupés de réfléchir sur les différentes modalités et/ou stratégies de l’amélioration des conditions de vie des populations rurales.
Face aux divers débats que soulève le mode de vie des ruraux en RD. Congo, en particulier, et, en Afrique, en général, la sociologie, singulièrement, offre une littérature éloquente. Celle-ci, généralement, tourne autour des généralités sur le mode de vie dans le monde rural, sur sa logique, sur les rapports entre les ruraux et les milieux urbains, sur la mondialisation et son impact dans les campagnes, sur l’intervention des Institutions de Breton Wood et d’autres partenaires au développement et sur la problématique de la réduction de la pauvreté rurale, etc. D’autres, s’occupent de son économie, mieux, de son développement. Les lignes qui suivent en citent quelques unes à titre indicatif.
Il siède d’entrée de jeu, que nous precisons que l'accent sera mis plus sur des écrits en rapport avec "la politique des projets de développement rural." Nous évoquons : Houée Paul dans « les politiques de développement rural».[29] Il soutient que les politiques de développement rural n’ont jamais cessé de se différencier dans leurs sources et leurs objectifs, leurs modalités et leurs applications. Il prend l’exemple de la France et révèle qu’en 1950, un Etat très centralisé pouvait promouvoir une politique nationale de modernisation technique, face à des pouvoirs territoriaux subalternes, démunis et à des situations régionales relativement homogènes à cet égard. Mais, depuis un certain temps, face aux contraintes économiques nées de la surproduction et de la compétition mondiale, les requêtes écologiques et les nouvelles demandes de groupes sociaux qui deviennent de plus en plus distincts, il considère que l’Etat devrait faire de bons choix. Entre la volonté de l’unité nationale et les disparités croissantes parmi les territoires nécessitant des traitements spécifiques compte tenu de leurs réalités historiques, l’Etat doit considérer les décisions de l’UE, l’affirmation des collectivités territoriales et des nouvelles organisations de la société actuelle.
Houée Paul nous intéresse en ce qu’il souligne qu’en matière de politique de développement rural, les Etats doivent retenir qu’«à l’uniformité a succédé la diversité, à la cohérence affichée le compromis entre des orientations contrastées, aux directives venues du sommet l’efflorescence d’initiatives locales en quête de reconnaissance ».[30] Il propose que les politiques agricoles et rurales s’adaptent au contexte d’une économie globalisée, aux exigences environnementales et du développement durable.
Le même Houée Paul, dans un autre ouvrage intitulé « Quel avenir pour les ruraux ? »,[31] jette un regard critique sur les réalisations secrétées par le courant réformateur et leurs limites dans une société qui ne reconnait et ne soutient que ce qui est rentable. Les propositions contenues dans cette étude sont globales et sortent du corporatisme des notables. Il souligne que dans un procès de développement, les paysans comme les commerçants et les artisans sont incapables de s’en sortir seul. Pour lui, le développement doit être l’œuvre de toute une population et de toutes les institutions qui l’organisent. A cet effet, il plaide pour des projets mobilisateurs, qui font de tous les habitants d’un pays des acteurs de leur développement.
Dans « Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social »,[32] Jean-Pierre Olivier de Sardan aborde les processus et les phénomènes sociaux associés à ce qu’il appelle, en référence aux pays du Sud, développement, politiques de développement, opérations de développement, dispositifs de développement, et des projets de développement.[33] Il considère le développement comme « une forme particulière de changement social, qu’un ensemble complexe d’intervenants (ONG, agences nationales ou internationales, experts, coopérants, techniciens,…), cherche à impulser auprès de « groupes-cibles » eux-mêmes divers et évoluant selon les dynamiques propres. A partir des matériaux observés auprès des pays africains, Jean-Pierre Olivier de Sardan fait le constat selon lequel : depuis 1960, année de leur indépendance, ces pays, après plusieurs décennies de « développement», les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances. En effet, en dépit des flux « d’aide » et de « projets » de tous ordres, le mot développement a besoin lui-même d’approches fondées sur l’analyse et le doute, soutient-t-il.
Répondant à la question de : « comment décrire et comprendre les relations multiples qui existent entre les institutions de développement (publiques ou privées) et les populations locales auxquelles elles s’adressent ? », Jean- Pierre Olivier de Sardan condamne toute anthropologie au rabais, enfermée dans le ghetto de l’expertise et de la consultance. Il propose, la socio-anthropologie du développement. Celle-ci, pourrait améliorer la qualité des services que les institutions de développement proposent aux populations, en permettant une meilleure prise en compte des dynamiques locales. Il insiste, ici, sur la nécessité de considérer à tout moment, les réactions et les attitudes des destinataires finaux et des utilisateurs réels ou potentiels du développement face aux opérations de développement mises sur pied à leur intention.
De son coté, Marc Dufumier, dans son ouvrage « Les projets de développement agricole, manuel d’expertise »,[34] reste très sévère vis-à-vis des politiques des projets de développement appliquées dans les pays du Tiers-Monde. Pour lui, les efforts déployés dans le cadre des projets de développement ont été en vain, avec même parfois, des résultats négatifs sur la croissance économique des pays et l’environnement écologique des populations. Il se demande même si les Etats des pays du Sud devraient encore intervenir dans les transformations de leur agriculture ou ils doivent abandonner les paysanneries aux seules "lois" du marché ?
Force est de souligner que l’auteur retient de nombreux méfaits des projets de développement agricole : équipements surdimensionnés, techniques inappropriées, paysanneries démobilisées, désastres écologiques, etc. Il insiste sur le fait que « le désengagement des Etats, consécutif aux programmes de " stabilisation " et aux plans d'ajustement structurel prônés par les Institutions de Bretton Woods a aussi des effets pervers : paupérisation des agriculteurs les plus défavorisés, exode rural accéléré, chômage chronique, déséquilibres régionaux, insécurité alimentaire, etc. Il poursuit en insistant sur le fait que les errements et gaspillages trop souvent observés ne proviennent pas seulement de malversations de telle ou telle classe au pouvoir. Ils résultent aussi fréquemment des maladresses commises par de nombreux ingénieurs et économistes qui ignorent les conditions de travail réelles des agriculteurs et méprisent leurs pratiques techniques et sociales. Ainsi, Dufumier Marc nous intéresse, car, il propose la mise en œuvre de nouvelles formes d'interventions plus respectueuses des intérêts et des savoirs- faire paysans.
Poursuivons l’exploration de la littérature avec l’étude de Marielle Berriet-Solliec et Aurélie Trouvé intitulée : « développement des territoires de projet : quels enjeux pour les politiques rurales ? ».[35] L’étude concerne la question de renforcement des formes de territorialisation dans le domaine du développement rural, en particulier, des territoires de projet, dont le programme européen (avec la France en tête). Elle en propose une grille d’analyse des objectifs et des modalités d’intervention, qui reposent sur les deux critères d’efficacité : économique et d’équité. Elle croise une littérature théorique et empirique sur la territorialisation des politiques et des travaux de recherche en cours sur l’analyse des politiques de développement rural.[36]
L’étude démontre que ces territoires de projet apparaissent comme des vecteurs de renouvellement de l’efficacité économique, mais également de remise en cause de la fonction distributrice de l’Etat. Ainsi, ils considèrent que la territorialisation est marquée par le renforcement des politiques dites « de territoires projet ». En Europe, principalement, en France, depuis les années 80, ces politiques permirent la modernisation des interventions publiques, en dépit des réticences de la part de certains acteurs institutionnels. Ainsi, l’analyse débouche sur la nécessité de l’intervention publique en milieu rural. En effet, sur le plan économique, l’intervention publique en faveur des espaces ruraux se justifie par deux principaux arguments : - l’équité ou logique redistributrice, afin de répondre à des inégalités sociales issues de la localisation rurale, puis, - l’efficacité économique ou logique allocative, en ceci que la présence d’activités en milieu rural devrait contribuer à l’amélioration de l’intérêt général défini par un optimum social. Donc, il est utile que les autorités centrales, pour des raisons de l’efficacité économique, favorisent la dispersion des activités, à partir d’un certain niveau d’agglomération, concluent-ils.
Des Congolais (RD. Congo) se sont intéressés aussi à la problématique de développement rural. Citons, entre autre, L., Lombeya Bosongo qui propose, pour sa part, le développement rural par le moyen de l’ « … organisation coopérative… ».[37] Il soutient que, pendant les décennies du développement, les méthodes basées sur l’industrialisation ont été appliquées surtout à partir des centres urbains et leurs régions avoisinantes. Il note que ces « pôles de développement » n’ont pas produit des effets de développement attendus. De manière générale, le fossé entre les villes et campagnes ressemble à celui séparant les pays industrialisés des pays non industrialisés : il s’élargit chaque jour davantage. Alors qu’il y a progrès d’un côté, il y a recul de l’autre.[38] Ainsi, sans pour autant proposer d’abandonner l’industrialisation, il préconise de limiter son rôle et son importance dans le chemin qui conduit au développement. Il pense qu’il faut plutôt donner à la campagne un rôle plus grand dans les efforts de développement, ensuite, augmenter dans la même mesure, sa part dans la consommation de biens et services. Il doit être aménagé de manière telle qu’elle retienne les ruraux sur place.
Toutefois, il y a lieu de soutenir que jusque là, l’expérience de développement rural par les coopératives n’a pas aussi donné le résultat attendu en RD. Congo. Notons que la coopération ne demeure pas un remède miracle. Certes, comme toutes les idées, la coopération ne pourrait prendre corps que si les règles qu’elle propose sont appliquées dans le respect de leurs exigences.
Dans la recherche des voies de sortie de la pauvreté dans laquelle étaient plongés les paysans zaïrois, aujourd’hui congolais, Muluma Munanga Albert, écrivit : la « Politique agricole et le développement rural. Analyse sociologique du développement de quelques expériences agricoles au Zaïre. Cas des institutions de recherches et formation agricoles : INERA, IFA, ISEA et ISDR».[39] Son étude s’inscrit dans les domaines de sociologie rurale et du développement en ceci que, la crise économique était surtout ressentie avec ampleur par les masses paysannes qui vivaient et restent encore dans la misère la plus totale. Ne pouvant pas aborder tous les aspects de ce secteur, elle s’est limitée à l’analyse de quelques institutions de recherches et de formation agronomiques, dont : l’INERA, IFA, ISEA et ISDR), qui devraient booster le développement rural à partir de l’agriculture.
Pour Muluma Munanga Albert, ces institutions devraient logiquement, soutenir l’agriculture congolaise (zaïroise à l’époque) pour son extension, en vue de propulser le développement national. Mais, sous le regard systémique, l’étude révèle l’échec de ce secteur. Ceci serait la conséquence de certaines contradictions dans l’ensemble des mesures prises par les instances du Département de l’Agriculture et Développement rural dénommées « politique agricole ». La conclusion est que, la non prise en charge financière de ces institutions de recherches et de formation agronomiques par les pouvoirs publiques a été à la base de leur inefficacité, au point qu’elles ne pouvaient pas donner le résultat voulu.
Dans le même ordre d’idées, Augustin Mambulu Ndofula, dans l’«Analyse critique des outils conceptuels du développement dans le milieu rural »,[40] souligne que la République Démocratique du Congo est un vaste pays aux potentialités naturelles diverses et immenses qui, malheureusement, contrastent avec la misère dans laquelle croupit sa population. L’auteur révèle qu’après la politique d’ajustement structurelle prônée par la Banque Mondiale et les Fonds monétaires International dans les années 1980,[41] la RD. Congo ne connait toujours pas une situation socio-économique reluisante. Plusieurs initiatives sont envisagées, notamment par les ONG tant nationales qu’internationales dans l’objectif de faire face à la pauvreté.
Bien sûr, l’auteur renchérit en soutenant que dans les milieux ruraux, les effets des actions de développement telles que la sensibilisation, la participation, la communauté de base, l’initiative de base, l’aide, l’information, la formation, la vulgarisation, l’animation rurale, n’induisent aucun impact positivement significatif sur la population cible. Bien au contraire, l’expérience sur terrain présage que tout semble être orienté vers les intervenants extérieurs qui empêchent le trois quart des financements destinés à ces milieux. Ainsi, cet analyste des sociétés, plaide aussi pour l’organisation de ces milieux ruraux afin de connaitre le processus du développement. La valorisation et l’appropriation de l’ensemble de son patrimoine tant immatériel, matériel que naturel en constituent un cheval de bataille, selon l’auteur, en vue de freiner l’exode rural qui demeure un goulot d’étranglement du développement en province.
A. Kaba-kaba Mika, dans son étude intitulée : « les actions de développement à la base et l’agression des milieux ruraux : cas du projet Ntsio dans le plateau de Bateke »,[42] analyse l’impact des projets de développement en RD. Congo. Sous l’angle sociologique, cet analyste des sociétés jette un regard critique sur les actions du développement à la base en rapport avec le projet « Ntsio » dans le plateau de Bateke. Ainsi, il arrive à la conclusion selon laquelle, les initiatives gouvernementales et privées sont qualifiées d’agression par les peuples autochtones.
En effet, la sociologie comparée nous présente des analystes, qui, pour leur part, ont consacré leurs réflexions sur le développement des milieux ruraux des certaines nations et/ou certaines régions particulières et de manière spécifique. Nous retenons par exemple, l’étude de Claude Élisma et André Joyal, intitulée : « Le défi de développement rural en Haïti : études de cas»..[43] La présente étude, se veut l’évaluation des interventions des partenaires aux efforts de développement rural et prend en compte, un cas particulier de la population rurale. Concrètement, la recherche visait à explorer les capacités de développement local (rural) existant dans certains milieux ruraux haïtiens afin d’identifier le potentiel et le rôle que peut y jouer l’entrepreneuriat à travers des micros, petites et moyennes entreprises (MPME), ainsi que des entreprises collectives d’économie sociale issues du milieu.
L’étude informe que deux tiers environ de la population d’Haïti vivent en milieu rural, c’est-à-dire, dans des sections communales,[44] et, que 60% de la population dépend de l’agriculture de subsistance. Néanmoins, le secteur décline en raison des infrastructures négligées, de la faiblesse de la recherche et du développement, de l’accès limité au financement, du sous-investissement en capital humain, de la croissance démographique, renchérissent les auteurs. Raison pour laquelle, il a fallu voir comment des programmes efficaces d’accompagnement de ces collectivités rurales permettraient un apprentissage entrepreneurial dans le cadre d’une stratégie de développement local. Cela importe, car, le défi consistait à amener les ménages ruraux qui, dans leur grande majorité, conservaient encore des traditions ancestrales d’organisation du travail, vers des comportements et des savoir-faire nouveaux.[45]
L’étude de Claude Élisma et André Joyal a pu attester que le développement se veut une démarche de long terme et qu'il fallait activer la population pour créer et gérer des entreprises, des organisations et des projets locaux, en leur facilitant l’accès aux différents capitaux : humain, social, physique et financier, etc. Ainsi donc, à l’instar de ce qui se fait au Québec, les collectivités rurales haïtiennes réclament à hauts cris l’implantation d’une politique rurale, déclarent ces deux analystes des sociétés. Ils proposent, pour ce faire, des dispositifs concertés d’accompagnement qui doivent être conçus et mis en place par l’État central, les élus locaux, les agences de développement impliquées en Haïti et les acteurs associatifs afin de faciliter le renforcement des capacités nécessaires au développement local de ces communautés.
Notre revue de la littérature se poursuit avec « Les politiques de développement rural en Tunisie : acquis et perspective »[46]de Mohamed Elloumi. L’étude analyse les différentes formes prises par le développement rural en Tunisie, depuis la colonisation jusqu’à nos jours. Elle rassure que les actions de développement rural sont relativement anciennes en Tunisie. Celles-ci, ont pris la forme d’actions ponctuelles sous le protectorat, de chantier de lutte contre le chômage au début de l’Indépendance pour devenir de plus en plus une partie intégrante de la politique de développement régional et local en articulation avec la politique de développement.[47] La dynamique de la transformation de l’espace rural tunisien a suivi la trajectoire que voici : première forme correspond à une politique de développement rural administré. Elle est caractérisée par une approche descendante visant dans un premier temps à assurer un minimum de revenus aux agriculteurs puis à développer les infrastructures et la recherche. Certes à l’Indépendance, cette approche à perduré.
Mohamed Elloumi signale cependant que le retour de la Tunisie au libéralisme en 1970 délaissera quelque peu le secteur agricole laissant les disparités villes-campagnes et entre zones rurales proprement dites s’accroitre malgré l’expérimentation de Plans de Développement Rural. Ensuite, sont venus des Plans de Développement rural Intégrés de 1986 à 1992, au nombre de 190 verront le jour et tiendront compte de la complexité du développement, des rapports entre l’armature urbaine et le monde rural et relativisent la place de l’agriculture dans le développement des espaces ruraux. Ensuite, la même étude stigmatise que l’adhésion de la Tunisie au GATT en 1990, les accords avec l’OMC en 1994 et la création d’une Zone de Libre Echange avec l’UE en 1996 entérinent l’entrée de la Tunisie dans un processus relatif d’ouverture aux marchés mondiaux, introduisant davantage de concurrence entre les producteurs, de l’accent portée sur l’amélioration de la compétitivité des produits et sur l’environnement des producteurs, notamment pour le secteur des exportations. La montée en puissance du secteur des produits manufacturés restreint encore plus la place de l’agriculture dans le développement du pays. Les années 1990 de la Tunisie verront également le cadre institutionnel se déconcentrer fortement, voire s’enrichir de nouvelles formes (Groupement de Développement Agricole par exemple), note Mohamed Elloumi.
Si la place de l’agriculture dans l’économie tunisienne a baissé, le nombre d’exploitations a augmenté, la taille moyenne ayant baissé et la pression sur les ressources naturelles s’accroissant. Néanmoins, les infrastructures rurales de base se sont notablement améliorées, l’exode rural s’est ralenti grâce à la création d’emplois (bien que précaires), les conditions de vie également (accès à l’eau potable, à l’électricité, routes de transports). Le taux de pauvreté est passé de 13% en 1980. 4,2% en 2000, même si le retard par rapport à la ville demeure quant au niveau des revenus. Toutes ces évolutions ont été rendues possibles par une forte densification du tissu institutionnel que ce soit dans les modes d’intervention des pouvoirs publics ou dans les formes et modalités de concertation entre la puissance publique et les porteurs de projets, introduisant un maillage institutionnel très dense susceptible de préparer le monde rural à une démarche plus territorialisée de son développement, impliquant davantage le monde associatif et les différents partenaires de la société civile dont le renforcement reste une priorité de l’action sur le terrain. Certes, en définitive, cette étude de Mohamed Elloumi, nous fait retenir ce qui suit : la dynamique de la transformation des milieux ruraux tunisiens est ancienne et même promotrice. Mais la libéralisation de l’économie, doublée de la politique d’ouverture et approfondie avec les accords d’association et de mise en place de zone de libre échange avec l’UE, mettent le monde rural face à des nombreux défis. La perte de protection du secteur agricole fragiliserait encore plus le monde rural.
En explorant la littérature sur notre objet d’étude, nous sommes convaincu que certains analystes des sociétés, ont, dans leurs productions scientifiques, réfléchi, particulièrement, sur « le rapport entre la femme et projets de développement rural». Pour cette série d’analyses, nous faisons référence, de manière indicative à l’étude de I. Droy. Il s’agit de son ouvrage intitulé : « Femmes et projets de développement rural en Afrique sub-saharienne : essai d’analyse à partir d’études de cas ».[48] A travers cet ouvrage, l’auteur met en exergue l’apport non négligeable de la femme dans l’atteinte des objectifs de développement. Il fait, en outre, remarquer que, les résistances des femmes peuvent faire échouer les projets qui contrecarrent leurs intérêts. A cet effet, Droy, I., plaide pour la prise en compte du dynamisme et des intérêts des femmes. Certes, cela parait être un vecteur essentiel pour la réussite des interventions.
Revenons en RD. Congo avec la contribution de Toengaho Lokundo en rapport avec le développement rural au Zaïre, aujourd’hui, République Démocratique du Congo. Ayant, pour sa part, en 1993 réfléchi sur le devenir historique des populations rurales congolaises, autrefois zaïroises, cet analyste des sociétés, dans son étude intitulée : « Pour une approche managériale dans la réalisation des projets de développement communautaire au Zaïre »,[49] avait, en ce temps là, fait observer des problèmes liés à la gestion des projets de développement. Il avait fait remarquer que cet outil de politique de développement rural, ne donnerait pas le résultat escompté. Voilà pourquoi, il plaida pour « une approche managériale dans la réalisation des projets de développement communautaire ».
Il nous importe de considérer aussi la contribution de Lubo Yambele. Celui-ci, abordant pour sa part, la problématique de développement rural, a pris un cas particulier d’un territoire rural congolais. Il s’agit ainsi du territoire de Kabinda dans la province du Kasaï Oriental. Il en a présenté l’état des lieux de l’intervention de la Coopération technique Belge. Son étude s’intitule : « Mondialisation, politique de développement et perspectives de lutte contre la pauvreté en milieu rural : regard sur l’intervention de la Coopération Technique Belge dans le territoire de Kabinda ».[50]
La recherche de Lubo Yambele a été consacrée à l’analyse du processus de la mondialisation en se posant principalement, la question de savoir si cette dernière pouvait constituer une solution à la lutte contre la pauvreté dans le milieu rural. L’étude fait le bilan de la coopération technique Belge à Kabinda et remet en cause la fameuse théorie de l’aide comme panacée au développement des pays sous-développés. En effet, son investigation s’est en outre, penchée sur l’analyse critique des politiques de développement rural de la RD. Congo qu’elle estimait être une alternative crédible au développement de la République, en général, et de son milieu rural, dont le territoire de Kabinda, en particulier. Elle dénonce toutes les stratégies impérialistes qui s’appuient sur des collabos locaux recrutés au sein de l’élite intellectuelle pour justifier, démontrer, expliquer à l’aide de graphiques, tableaux… le bien fondé de leur politique. Cette étude dénie à la mondialisation le pouvoir de développement des pays du tiers monde dont elle se fait passer à l’aide des stratégies ad hoc pour maitresse.
Certes, nous sommes de son avis, lorsqu’il souligne que l’aide international devrait tenir compte des aspirations de la population vers laquelle elle est destinée. Surtout, encore lorsqu’il fait la plaidoirie pour des politiques de développement rural bien conçues et planifiées par les pouvoirs publics, avec la participation de tous les acteurs concernés par le développement de ces milieux ruraux, tout en tenant compte de leurs cultures et de leurs besoins réels.
Nous cloturons la liste des congolais pour lesquels leurs productions scientifiques ont été consultées par nous dans le cadre de cette étude par Rémy Mbaya Mudimba. Cet analyste des sociétés avait déjà en 1989, écrit sur la CABEN. Dans son article intitulé : « Les Bamanga face à l’introduction de la culture du cacao dans leur agriculture »,[51] l’auteur s’interesse au processus de l’introduction de la culture de cacao dans l’agriculture paysanne des ruraux de la collectivité de Bamanga par la Cacaoyère de Bengamisa (CABEN) en tenant compte des conditions psychosociologiques, socio-économiques et agricoles. En effet, faisant parler les paysans encadrés par la CABEN, l’étude (de Mbaya Mudimba, R.) révèle que le processus de la conscientisation des Bamanga appliquée par la CABEN s’accompagnait d’un certain autoritarisme caractérisé par le fait de ne pas écouter le paysan pour entendre sa rationnalité.
Certes, cette étude souligne que la mise à la disposition des paysans des outils agricoles par la CABEN et la régularité des contacts entre ces paysans et encadreurs agricoles de la CABEN constituaient les avantages de l’encadrement technique de ces paysans par la CABEN concernant la culture de cacao. Cependant, de l’avis des paysans, cet encadrement comporterait quelques incovénients. Il s’agit du caractère ardu des travaux d’ouverture des champs destinés à la culture de cacao, la non incinération du sol et la non association du cacaoyer avec les cultures vivrières. D’ailleurs, R. Mbaya Mudimba se demandait si les actions culturales de la CABEN ne revêtaient pas une certaine tendance à détuire l’agriculture vivrière chez les paysans Bamanga au profit de la culture de cacao.[52] Il finit en plaidant pour que les études futures répondent à la question de savoir si le processus de commercialisation du cacao ne s’inscriverait pas dans la logique d’exploitation de ces paysans. L’une des questions soulevées par nous dans cette production sociologique.
Terminons ainsi par l’étude de Grigori Lazarev et Mouloud Arab, intitulée : « Développement local et communautés rurales : approches et instrument pour une dynamique de concertation».[53] Ces deux analystes des sociétés pensent que « les crises qui accompagnent l'ouverture de ce siècle rappellent que la mondialisation ne peut se faire sans une préoccupation d'équité, et que les conflits et les extrémismes ont des causes profondes dans le mal-développement. Certes, le développement des pays pauvres redevient dans ce contexte un impératif incontournable. Mais après tant d'échecs, quelles réponses nouvelles peut-on apporter ? », se demandent-ils.
Ils révèlent que « le concept de développement durable a été mis en avant comme la seule stratégie pour lutter contre la pauvreté, la malnutrition, la dégradation de la biosphère. La prise en main de leur destin par les populations pauvres du globe apparaît comme l'indispensable levier de cette nouvelle dynamique. Mais où en est-on dans la pratique ? Comment engage-t-on un processus de développement durable dans des milieux démunis, peu éduqués et concernés par la seule préoccupation de leur survie ? Comment suscite-on la participation et comment peut-on en faire le moteur d'une gestion efficace ? », s’interrogent- ils.
Force est de reconnaitre que cet ouvrage de Grigori Lazarev et Mouloud Arab, fruit d'une recherche étalée sur plusieurs années dans divers pays, apporte une contribution à ce questionnement. Il expose pour le public le plus large des réflexions générales pour comprendre la problématique du développement local. Il se veut aussi être un instrument de travail et un guide méthodologique pour des décideurs, des praticiens, des enseignants, etc. En effet, le souci est que les praticiens du développement qui se sont attachés à apporter des réponses à ces interrogations sur le développement (rural), se retournent à la base, en cherchant dans le développement local et dans la praxis démocratique de la gestion les moyens d'une responsabilisation effective des populations.
En définitive, soulignons que les auteurs précités ont contribué, chacun, à l’étude de développement rural comme préoccupation sociale majeure et universelle, en tout temps, d’une part. La littérature sur les politiques publiques en matière de développement de l’univers rural, et, particulièrement, celle concernant l’animation et la gestion des différentes stratégies de transformation du mode de vie des ruraux et/ou des paysans, ont été évoquées, de l’autre part. La pratique des projets de développement, principalement, la politique des projets de développement rural, a été analysée dans les circonstances de leur conception et de leur exécution. Cet outil de transformation de l’espace rural, a été également examiné dans ses modalités de financement par ces analystes des sociétés, voire, dans son fonctionnement, doublé des recommandations pour l’avenir, etc.
L’apport de chacun de ces chercheurs évoqués, n’est pas négligeable, lorsqu’il faut penser à l’émergence des sociétés nationales et au bien-être des populations rurales. Cependant, les auteurs ci-haut cités, en dépit de l’apport d’un chacun au débat sur la problématique de développement rural et des politiques y afférentes, quoique relatif pour certains d’entre- eux, la clairvoyance sociologique qui nous guide, nous permet de rappeler que, le point de vue d’un chacun, comme, la théorie soutenue et/ou récusée par l’un ou l’autre analyste des sociétés, le soutien à telle ou telle stratégie de développement rural, sont ainsi redevables de la trajectoire socio-scientifique d’un chacun et de sa position idéologico-politique au moment de ses recherches. Nous insistons sur la nécessité de situer chacun d’entre- eux dans les contextes spatio-historiques qui lui soient particuliers, en vue de la meilleure saisie de leurs thèses respectives.
La République Démocratique du Congo se veut dans son état actuel un pays rural et agricole.[54] C’est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous nous engageons à apporter une contribution à la critique de la logique d’action[1] des projets de développement rural en RD. Congo, considérés comme l’un des outils de transformation de son espace rural. Nous voulons, à travers le projet CABEN, vérifier la thèse selon laquelle : « la logique capitaliste qui accompagne les projets de développement rural en RD. Congo, fait que tout projet ainsi financé, s’arrête avec le tarissement du financement. Ainsi, la territorialisation des projets de développement rural parrait être l’une des solutions »[55] à cette réalité, et, elle constitue notre apport par cette production sociologique.
5. DU CONTEXTE, DE L’INTERET ET DE LA JUSTIFICATION DE LA RECHERCHE
5.1. Du contexte de la recherche
La République Démocratique du Congo avec une population estimée à 70 millions d’habitants,[56] a une superficie de 2345 000km.2 La grande partie de sa population dépend principalement de l’agriculture et le pays connait plus de 60% des forêts. Ceci fait d’elle, le deuxième massif de forêts tropicales au monde après l’Amazonie.[57]
Avec une potentialité naturelle qui attire les convoitises, le pays est traversé par le fleuve Congo. Alimenté par plusieurs affluents, il est le deuxième de l’Afrique après le Nil du point de vue de longueur et deuxième du monde encore du point de vue de son débit, après l’Amazone. Cependant, le pays connait une «… pauvreté qui frappe plus de 80% de la population ».[58] Celle- ci vient de s’aggraver par la chute des prix des matières premières, alimentée par la crise financière que connait le monde entier. Au moment de la rédaction de cette thèse, le Congo connait, non seulement, une crise politique suite à la crise de légitimité due à la fin de 2ème mandat du Président Kabila, mais, aussi et surtout, une crise économico-financière aux conséquences multiformes.
Force est de souligner que la pratique des projets de développement rural, prise pour l’une des stratégies de transformation de ce grand pays à la dimension d’un continent, entouré de 9 pays avec lesquels il partage les frontières, fait l’objet de notre étude pendant que l’inconscience des congolais dénoncée par M. Mutinga Mutuishayi dans son ouvrage : « RD. Congo, la République des inconscients. Hier, la guerre des mines, aujourd’hui, la guerre du pétrole, demain, la guerre de l’eau »[59] ne cesse de d’aller crescendo. C’est en ce moment que la République Démocratique du Congo va passer de 11 provinces à 26. Il devient ainsi urgent, au groupe porteur congolais, en général, et aux gouvernants congolais, en particulier, de penser et repenser des stratégies de développement pour le bien- être des populations de toutes ces nouvelles provinces.
5. 2. De la justification de la recherche
Cette étude est motivée par notre vécu quotidien. En effet, en RD. Congo, au même moment qu’il s’observe des crises multiformes, qui entretiennent la pauvreté à travres le pays, il se remarque une inflation des projets de développement rural. Celle-ci fait de la question des projets de développement rural une préoccupation majeure pour tout observateur critique.
En République Démocratique du Congo, précisément, dans les campagnes, il s’observe le recul de l’Etat en ce qui concerne la satisfaction des besoins de base. Ceci fait que beaucoup de Congolais, en général, et de paysans, en particulier, recherchent leur salut auprès des « développeurs-porteurs » de développement, mais, sans solution satisfaisante jusque là. Avec l’insécurité et les multiples guerres à répétition que la République connait, les campagnes congolaises deviennent de plus en plus improductives et vides. La traditionnelle dépendance alimentaire ville-campagne se trouve inversée. La campagne qui alimentait les milieux urbains de ses multiples productions, commence à dependre aussi des produits importés. Sa dépendance vis-à-vis des donateurs extérieurs se trouve accrue. L’exode rural vient saper les avantages acquis par la ville, aggraver la situation alimentaire des uns et des autres. La nécessité de changer la vision et la méthode de développement dans l’utilisation des projets par les politiques congolais pour les territoires ruraux se fait sentir.
En faisant nôtre, la conviction de V. Germain lorsqu’il soutient avec E. Durkheim que « la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne peut servir »,[60] il nous a paru utile et urgent d’analyser l’opportunité de recourir encore à la pratique des projets de développement rural à l’heure actuelle en RD. Congo. C’est pourquoi, en ce qui concerne les populations rurales de la Province de la Tshopo, nous nous sommes décidé, du point de vue sociologique, d’examiner, à travers la Cacaoyère de Bengamisa, des enjeux qui militent pour la production exponentielle de ces projets, sans que la transformation des milieux d’accueil suive.
5.2. De l’intérêt de la recherche
La présente étude présente un double intérêt : pratique et scientifique. Sur le plan pratique, notre étude est une interpellation lancée, à la population congolaise, en général et aux gouvernants, particulièrement. Nous croyons, qu’en joignant notre voix à d’autres qui l’ont déjà fait, d’une part, nous entendons faire prendre conscience à la population congolaise, aux hommes politiques, singulièrement, à la population rurale de la Tshopo, de l’importance à accorder à la question des enjeux qui concourent à la production des projets de développement rural et la logique d’action qui les guide.
Faire prendre conscience aux Congolais et/ou à la population rurale congolaise, signifie, exactement, d’une part, provoquer leur mobilisation consciente et résolue vers une saisie des enjeux accompagnant la politique de sous-poudrage de ces projets qui entretient leur paupérisation. Force est de soutenir que, c’est grâce à l’activité de la population rurale elle-même, de son action enthousiaste et confiante pour l’accomplissement d’une quelconque politique de développement, soutenues par des pouvoirs publics mus par l’esprit prométhéen, que dépend le succès de toute stratégie de réduction de la pauvreté dans leur quotidienneté à travers la République. Parailleurs, nous attirons l’attention des « acteurs de développement » sur leur devoir de façonner le Congolais de sorte qu’il soit lui même, acteur et artisan de son développement. Nous faisons remarquer aux porteurs des projets de développement rural de tenir compte de la question de l’intérêt du Congolais (paysan).
L’étude est aussi, une interpellation pour les opérateurs politico-étatiques, afin de les pousser à plus de responsabilité. En effet, il n’est un secret pour personne que la domination capitalistique (la mondialisation, le stade suprême de l’impérialisme), se sert aussi des projets de développement rural pour l’expropriation des Congolais. C’est ainsi qu’une interpellation des pouvoirs publics s’impose, particulièrement, pour qu’ils puissent, en toute responsabilité, en assurer le suivi à travers toute la République. Il est, certes, urgent en matière de politique de développement rural, de décourager toute pratique inhibitrice, qui ne participe pas à l’émergence de la nation congolaise. L’on doit sans autre forme de procès, avec « la territorialisation … » comme nouveau mode de gestion, freiner l’élaboration de tout projet de développement rural qui ne met pas l’homme congolais au centre de sa préoccupation.
Sur le plan scientifique, notre étude est une production sociologique qui, à travers la Cacaoyère de Bengamisa, ressort la face réelle des contradictions et des conflits d’intérêts inhérents à la pratique des projets de développement rural. Par l’instrumentalisantion de cette « pratique », et, en se servant de la faiblesse de l’Etat congolais, doublée de la misère de la population », les « développeurs- porteurs de développement» s’octroient des prestiges de toutes sortes. Ceci entretient généralement la dynamique de la pauvreté dans les territoires ruraux congolais, donnant ainsi de la matière à réflexion aux sociologues et à tous les autres analystes de développement rural.
Toutefois, nous soulignons que dans les deux cas, nous ne pensons pas avoir épuisé la matière. Cependant, avec cette dissertation doctorale, tout en appelant à la promotion de « la culture de cacao durable »,[61] nous faisons écho des dommages que la politique de saupoudrage des projets de développement rural comporte du fait de leur financiarisation et nous proposons la territorialisation des projets de développement rural. Raison est ainsi notre, d’affirmer que par cette production sociologique, nous mettons à la disposition des hommes de science, une contribution modeste, mais, malgré tout, utile dans la resolution des problèmes des populations rurales, en rendant les projets de dévelopement rural porteurs. Ensuite, par elle, nous jetons les bases d’ « une sociologie de l’économie cacaoyère durable ».[62]
6. DES METHODES, DES TECHNIQUES UTILISEES, DU MODELE THEORIQUE ET DES DIFFICULTES RENCONTREES
Nous devons, ici, préciser les méthodes, les techniques, l’approche et la théorie, etc., utilisées dans le cadre de ce travail. Nous en donnons même des raisons de leur choix, en soulevant les difficultés connues dans leur opérationnalisation. Il nous revient, ici, la charge de préciser que nous allons d’abord commencer par la méthode dialectique et l’analyse contrefactuelle qui s’imposent à nous, puis, nous présenterons les techniques usitées, et la multi angulation comme approche, ainsi que la théorie de matérialisme historique qui sous-tend notre démarche, dans la suite.
6.1. Des méthodes utilisées[63] : de la dialectique et de l’analyse contrefactuelle
De prime abord, notons qu’au sens philosophique, la méthode est un ensemble d’opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre une fin, une découverte ou la preuve d’une vérité. Elle se présente ainsi comme un ensemble des démarches et/ou des opérations que suit l’esprit pour découvrir et démontrer la vérité dans le domaine scientifique.
Si Albert Muluma Munanga considère la méthode comme « un chemin. « Meta » qui signifie vers, au-delà, après. C’est l’ensemble de règles ou procédés pour atteindre dans les meilleures conditions (temps, argent, hommes…) un objectif : vérité, expérience, vérification, apprentissage ».[64] Tshungu Bamesa recommande pour la méthode, la définition de Claude Javeau. Ainsi, pour celui- ci, « la méthode est essentiellement une démarche intellectuelle qui vise, d’un coté, à établir rigoureusement un objet de science (réalité sociale étudiée en fonction d’un objectif déterminé) et de l’autre, à mener le raisonnement portant sur cet objet de la manière la plus rigoureuse possible ».[65] Pour M. Grawitz, le concept de méthode renvoie à « un ensemble d’opérations intellectuelles par lequel une discipline cherche à atteindre les vérités qu’elle poursuit, les démontre et les vérifie».[66]
Il y a encore lieu de considérer le point de vue de S. Shomba Kinyamba et F. Esiso Asia – Amani. Si, le premier définit la méthode comme « une voie particulière en vue d’éclairer l’itinéraire de la réflexion permettant de saisir et de démontrer le soubassement du phénomène sous examen »,[67] le second trouve dans la méthode : « une démarche intellectuelle exigée par le schéma théorique appropriée à elle en vue d’expliquer une série de phénomènes observés ».[68]
De notre part, nous définissons la méthode avec Régis Jolivet comme « l’ordre qu’il faut imposer aux différentes démarches nécessaires pour arriver à une fin donnée ».[69] Pour ce qui est du travail scientifique, la méthode est l’ordre ou la voie que nous imposons aux démarches intellectuelles pour arriver à la saisie de l’objet d’étude. La méthode consiste en une tentative d’explication; elle est rattachée à la théorie appliquée à la réalité, liée à un domaine particulier, à la manière de procéder propre à ce domaine.
Pour les analystes des sociétés, en général, et aux sociologues, en particulier, il s’agit de retenir « qu’il n’existe pas, même à l’égard d’un objet spécifique comme la ville, une méthode universelle applicable en tous temps et en tous lieux (…). « Chaque objet de connaissance informe et conditionne la méthode tant il est vrai que la méthode se transforme et s’ajuste constamment au cours même de son application».[70] Guy Rocher reste formel : « le sociologue, dit-il, doit être profondément convaincu qu’il existe, pour chaque situation concrète, des facteurs dominants d’explication, mais il doit être également convaincu qu’il n’existe pas, dans l’absolu, de modèle général de causalité toujours uniformément applicable ».[71]
Il sied de retenir que « le choix des méthodes et des techniques de collecte des données est fonction de l’orientation du travail, de l’étendue et de l’ampleur de l’investigation, ainsi que, dans une certaine mesure, des préférences du chercheur ».[72] De ce qui précède, il y a lieu de noter que l’objet de notre étude nous oblige de faire recours à la méthode dialectique et à l’analyse contrefactuelle, tout au long de notre démarche.
Concernant la méthode dialectique, nous rappelons qu’elle se justifie par la nature de l’objet de notre étude. Celui-ci, contient des contradictions et se trouve au centre d’une totalité toujours dynamique. La pensée capitaliste véhicule des principes et impose des pratiques, parfois, contraires à la vision républicaine de la gestion de la chose publique : la « recherche de l’intérêt à tout prix »,[73] ne s’accommodera jamais avec le principe de la justice redistributrice, socle de la solidarité nationale.
En RD. Congo, en général, et, dans ses différentes provinces, en particulier, la production exponentielle des projets de développement rural rime avec des inégalités sociales. Il s’observe un hiatus entre la multiplication de ces projets et la misère de la population. La fossé entre la vie des « développeurs-porteurs » des projets de développement rural et les populations rurales congolaises ne cesse d’aller crescendo. Les projets ne semblent pas améliorer la vie des populations cibles. La pratique des projets de développement rural et la pauvreté, ainsi que les frustrations des populations (rurales) coexistent en République Démocratique du Congo. Cela se passe « sous le regard tantôt complice, tantôt impuissant des gouvernants, souvent désavoués eux-mêmes par les populations qu’ils gouvernent, à cause de l’inadéquation entre les potentialités du pays, leur gouvernance, c’est-à- dire, leurs visions et politiques, et l’état général de la vie des Congolais. Pourtant, la somme des atouts de cette République aurait fait d’elle un modèle d’émergence en Afrique et dans le monde ».[74]
Soulignons, en outre, que la dialectique s’impose à nous comme méthode dans le cadre de cette recherche en ce qu’elle « a la prétention de récapituler, intégrer et rendre plus pertinentes les méthodes explicatives… : le fonctionnalisme en ce qu’il extrapole à partir de la fonction, le structuralisme en ceci qu’il s’efforce de rendre le sens des choses à partir de leur mode d’agencement interne, et la systémique en tant qu’elle explique l’équilibre et la continuité des systèmes. Elle se donne également la mission d’aller au-delà : celle d’expliquer et d’anticiper les mutations affectant les choses, et celle de transformer efficacement la réalité ainsi connue dans l’intérêt d’un plus grand nombre »[75].
Certes, il y a lieu, de noter en ce qui concerne la méthode dialectique qu’elle « est d’abord associée au concept de la totalité en niant l’isolement entre les ensembles et leurs parties et en soulignant que la réalité sociale est faite de l’ensemble des interactions entre ses différents éléments. Elle tend, ensuite, à privilégier la recherche des contradictions au sein de cette réalité, en mettant en relief, derrière l’apparente l’unité du réel, des tensions, des oppositions, des conflits, des luttes, des contraires et des contradictions ».[76] En effet, cette méthode fait partie du paradigme critique, elle appartient au courant du matérialisme historique et prend très souvent à contre pied les méthodes issues du paradigme positiviste et fonctionnaliste, en ce qu’elle prêche le chamboulement de l’ordre existant, le dépassement de l’Etat, la dictature de prolétariat, etc.[77] Pour Esiso Asia – Amani F., encore, la méthode dialectique recherche les contradictions inhérentes à tout système social. Elle donne la capacité de compréhension démystificatrice des phénomènes sociaux.[78] Alors que Kabeya Tshikuku, pour sa part, voit dans la méthode dialectique « l’art de la rhétorique dont la particularité est de démontrer, prouver, convaincre et obtenir l’adhésion en recouvrant à des arguments contradictoires ».[79]
A nous de retenir en définitive, le point de vue de S. Shomba Kinyamba sur la dialectique. Certes, celui-ci, évoque à son tour Karl Marx et F. Engels auxquels certains auteurs associent la méthode dialectique. Pour lui, « la dialectique consiste à analyser les tensions et les contradictions de l’homme. Son accent est mis sur la menace permanente et de vulnérabilité inévitable de tout système social, … ».[80] Mais, l’on n’est pas là sans savoir que la dialectique procède par des postulats. Ainsi, devons-nous à la suite de Muluma Munanga affirmer que ces postulats de départ de la méthode dialectique sont « coulés sous forme des lois »[81] et elles se résument en quatre. Il s’agit de :
- la loi de la connexion universelle des faits ou la loi de l’unité des contraires
Cette loi peut s’interpréter comme suit : tout est en corrélation et en interaction. Le monde matériel forme un tout unique et cohérent, et que ces éléments n’évoluent pas isolement, ils sont en relation et en interdépendance. Il est donc utile, de retenir que les phénomènes sociaux étant connexes, ils ne peuvent pas être isolés. A cet effet, les marxistes de nos jours pensent qu’une des tâches importantes de la dialectique est l’étude du monde en tant qu’un tout unique et cohérent et de l’analyse des connexions générales des faits en application de cette loi.
- la loi de contradiction ou de lutte des contraires
Les contraires sont des aspects internes, tendances de force de l’objet qui s’excluent en même temps s’impliquent l’un et l’autre, l’interconnexion indissoluble de ses aspects constitue l’unité des contraires. Ainsi, la didactique marxiste considère que la lutte des contraires est le moteur de tout changement, car la loi de l’unité et de lutte des contraires révèle les origines et les forces motrices de l’évolution. Il faut considérer que la société ne constitue guère un consensus.
- la loi du changement dialectique ou la négation de la négation
Elle pose le principe du changement de tout ce qui existe. Marx considère que tous est en mouvement et tout est en devenir, en changement et en transformation. La nature est en état de mouvement perpétuel, de changement et de renouvellement. Donc, par cette loi, il faut comprendre le fait que, la société recherche toujours à dépasser les situations présentes, actuelles, pour des nouvelles.
- la loi du changement de la quantité en qualité ou la loi du progrès par bond
La dialectique prévoit les transformations du changement par accumulation quantitative ou qualitative. Autrement dit : « tant dans la nature que dans la société, d’une manière générale et dans chaque cas concret, les changements qualitatifs ne peuvent se produire qu’à travers les changements quantitatifs, par addition ou soustraction ».[82]Elle est cette méthode qui « permet de découvrir le lieu d’origine et du développement des contradictions ainsi que la manière dont les individus ou groupes tentent de les surmonter».[83] Cependant, dans le cadre de ce travail, cette méthode nous permet de dégager des différentes contradictions et des conflits possibles en matière des projets de développement rural en RD. Congo. Par l’expérience de la CABEN, la dialectique nous révèle la trame cachée des problèmes liés au financement et à la gestion des projets de développement rural par l’Etat congolais. Ensuite, elle nous fait découvrir les enjeux contradictoires et conflictuels, entre les acteurs impliqués (pouvoirs publiques, ONG, agences nationales ou internationales, experts, coopérants, techniciens,…), ainsi que, des tensions nées des intérêts opposés au sein des populations rurales des territoires sous étude, en crise.
Dans le cas de la CABEN, par la dialectique, nous mettons à nu, des antagonismes, entre d’une part, les acteurs politico-étatiques et les bailleurs de fonds, les acteurs politico-étatiques entre- eux (membres des différents gouvernements et des gestionnaires du projet), mais aussi, des contradictions entre les communautés rurales et les bailleurs de fonds, et, même, entre des communautés rurales de la Tshopo (les paysans planteurs de cacao, les ouvriers de la CADEN) et les gouvernants (qui se font passer pour la classe de la bourgeoisie compradore), etc., de l’autre part. Voire encore, des conflits entre des paysans répartis en diverses structures impliquées dans la production de cacao dans le site de la plantation de la CADEN (Bloc Industriel et Bloc Familial par exemple).[84] Ici se concrétise la loi dialectique de contradiction ou de la lutte des contraires, ci-haut énoncée.
Il s’observe que la présence de ce projet de développement rural dans cet espace rural congolais, nous met, dialectiquement, en face de deux camps en lutte, pour ne pas parler des « classes sociales »,[85] selon les termes de Karl Marx. Il s’agit, d’une part: de [camp des bailleurs de fonds et alliés, (porteurs de développement)], et le [camp de la population locale et alliés], de l’autre, etc., avec des intérêts opposés.
En ce qui concerne l’analyse contrefactuelle, nous précisons avec Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou, qu’il s’agit d’une démarche qui pousse à : « se demander ce qui aurait pu être si … ».[86] Elle, généralement, soulève la problématique de l’effectuation d’un possible parmi plusieurs possibles, en répondant à cette question fondamentale : « que se passerait-il passé si…», ou « qu’est-ce qui aurait pu arriver… ». Par l’analyse contrefactuelle, le chercheur est appelé à « se poser la question de ce qui aurait pu advenir ».[87]
Dans le cadre de cette étude, l’analyse contrefactuelle nous permet de dégager la production de la Cacaoyère de Bengamisa et ses apports possibles, etc., par rapport à sa capacité installée, et, d’en faire des projections. Nous nous plançons, ainsi, sous le modèle formulé par Max Weber, un usage hypothético-déductif de cette démarche. Celui-ci propose que : « la réalité sociale, prise dans toute sa complexité, fasse l’objet d’un travail de sélection, d’abstraction et de modélisation de la part du chercheur. L’élimination d’hypothèses alternatives est alors l’un des outils mis en œuvres dans cette opération, que ce soit au moment de la comparaison, pour la validation des hypothèses ou l’examen des écarts et de la généralisation.[88] Par l’analyse contrefactuelle, nous comparerons le patrimoine actuel du projet sous-étude, son fonctionnement, sa production, sa capacité de prise en charges de ses agents, ses recettes réalisées et des transformations apportées dans son milieu d’implantation, etc., par rapport à sa capacité installée en vue de proposer des solutions adéquate.
6.2. Des techniques utilisées et de la triangulation
a) Des techniques utilisées
Point n’est besoin de rappeler que, dans une recherche scientifique,[89] « la technique est un outil qui permet au chercheur de récolter et, dans une certaine mesure, de traiter les informations nécessaires à l’élaboration d’un travail scientifique».[90] Cependant, il est aussi utile de reconnaitre que « les résultats d’une recherche valent ce que valent les moyens qui ont présidé à leur obtention ».[91] En effet, pour la récolte des données[92] relatives à notre étude, tout en nous accrochant au caractère complémentaire des techniques de recherche, pour ne pas rappeler les avantages de « la triangulation »,[93] nous avons fait recours aux techniques[94] suivantes :
Ø la technique documentaire[95]: nous avons consulté plusieurs travaux scientifiques en rapport avec les projets de développement rural pour nous rendre compte de l’état de la question en la matière, et pour soutenir notre argumentaire. Citons également des documents de la création et de fonctionnement, et des rapports de gestion sur le projet sous étude, des P.V. de certaines de ses réunions y compris. Grâce à la documentation en rapport avec notre objet d’étude en notre possession, dont quelques unes sont évoquées dans la revue de la littérature et la bibliographie, une ligne de démarcation est tracée entre nous et les autres analystes des sociétés ayant écrit sur le thème que nous exploitons.
Ø Le focus group[96] : la préoccupation majeure de cette recherche a consisté à obtenir l’opinion des populations rurales congolaises sur l’apport des projets de développement rural dans leur quotidienneté. A cet effet, dans le cadre de cette étude, nous avons pris en compte la CABEN. C’est la raison pour laquelle nous devrions nous entretenir avec la population auprès de laquelle le dit projet demeure implanté dans la Tshopo. Certes, si le Comité de Gestion et l’ensemble de l’administration se trouvent installés à Kisangani (Avenue Mont Kitenge, Clinique Vétérinaire, Commune de Makiso), le site de la plantation de la CABEN est plutôt installé à 36 Km de la ville.[97] Notons que dans son organisation pour la production, le projet connait deux structures : le Bloc Industriel (B.I), constitué des travailleurs salariés et le Bloc Familial (BF), regroupant tous les paysans encadrés par la CABEN pour la culture et la production de cacao.[98]
En effet, plus ou moins dix groupes organisés de 10 à 15 personnes chacun, ont été abordés par nous pour le besoin de la cause. Avec un protocole d’enquête (en annexe) qui nous guidait, nous avons eu des séances d’échange d’idées autour de ce projet sous étude, avec deux groupes d’agents à Kisangani, deux groupes encore dans le site des plantations et les six autres groupes ont concerné les planteurs familiaux ciblés, dans les villages des alentour (Kapalata, Yangambi, Yuma, Bandambila, etc.). Avec l’interaction de la dynamique de ces petits groupes constitués, nous avons eu le point de vue de cette population sur l’action de projet CABEN, en particulier, sans oublier d’autres projets de développement rural, sur son avenir historique, en général[99].
Ø le questionnaire[100]: un ensemble des questions bien structuré a été soumis aux agents effectifs de la CABEN retrouvés, à Kinshasa (la Représentation), à Kisangani (la Direction générale), ainsi que dans le site de la plantation et son Hinterland (Kapalata, Yangambi, Yuma, Bandambila et Banalia, etc.). Les paysans planteurs indépendants, la population rurale de l’ « espace Bengamisa » autres que les planteurs indépendants et quelques personnalités, prises pour « personnes ressources », devaient aussi répondre. Nous avons été assisté à cet effet par deux chercheurs installés à Kisangani, préparés pour le besoin de la cause. Les détails sur l’usage du questionnaire et du focus group comme outils dans la collecte des données sur le projet sous-étude sont présentés dans la deuxième partie de cette dissertation.
Ø L’observation participante : selon A. Muluma Munanga, « l’observation est la première étape de la decouverte du social ».[101] Dans le cadre de cette étude, par rapport à l’observation participante, comme originaire de la Tshopo, précisement, du territoire de Yahuma, aussi, de l’ « espace Bengamisa », nous avons saisi le vécu et les règles internes du milieu. Ayant évolué dans l’espace sous-étude, et surtout, avec des parents engagés dans le projet CABEN, ainsi que nos multiples voyages dans l’ancienne Province Orientale, particulièrement dans l’ancien District de laTshopo, (aujourd’hui devenue Province), etc, nous permirent de vivre et de participer aux activités que nous observions. Dans le cadre toujours de l’observation, la visite guidée du site de la plantation et du siège de l’Administration de la CABEN et ses autres installations, peut être aussi signalée. Celle- ci nous a permis de vivre les réalités vécues dans les installations de la Cacaoyère de Bengamisa, le projet que nous sommes entrain de décrire.
b) De la triangulation[102]
Signalons que, si le recours à la méthode dialectique et de l’analyse contrefactuelle, soutenue par la théorie du matérialisme[103] historique[104] nous a permis d’explorer notre objet d’étude, il est aussi vrai que, c’est la triangulation[105] des méthodes qui guide notre démarche méthodologique. En effet, dans le souci d’un tri judicieux des postulats qui s’inscrivent dans le fil conducteur de l’étude, les analystes sociaux se cantonnaient dans le choix méthodologique monolithique. Mais « considérant les subtilités de l’être humain et la complexité des faits sociaux, le choix inclusif des méthodes s’est avéré indispensable pour une analyse efficiente. C’est ici que se situe le socle de la triangulation».[106]
G. Shimba Banza note que : « la complexité de l’objet de la sociologie ainsi que son double aspect subjectif et objectif, imposent un pluralisme méthodologique et le recours à plusieurs techniques… ».[107] De son coté, N. K. Denzin présente la triangulation comme « l’emploi d’une combinaison des méthodes et des perspectives permettant de tirer des conclusions valables à propos d’un même phénomène».[108] De ce fait, « la triangu lation est essentiellement le point d’articulation des composantes qui fournissent des nouvelles connaissances relatives à un phénomène ».[109] Mais, en ce qui nous concerne, nous devons recourir plutôt à la définition de S. Shomba Kinyamba, qui trouve dans la triangulation : « une interactivité raisonnée des méthodes dont l’exploitation est jugée capable de conduire à une meilleure connaissance du phénomène sous-examen. Son bon usage compense les limites de l’une et de l’autre méthodes utilisables dans les recherches en sciences sociales».[110]
En définitive, dans le cadre de cette recherche, soulignons que la triangulation se justifie, en ceci que, face à la complexité des faits sociaux, face à la pluralité d’acteurs et des facteurs ayant concouru à l’effectuation du projet agricole CABEN, qui intéresse cette étude, nous avons ainsi fait recours à plusieures techniques. Telle est aussi la nécessité pour nous de recourir à certains concepts ayant trait à l’éclairage du constructivisme de Pierre Bourdieu[111] pour accompagner la théorie du matérialisme historique et la méthode dialectique, ainsi que l’analyse contrefactuelle, ci-haut évoquées. Nous devons, par cette combinaison des méthodes (dialectique, principalement, combinée avec l’analyse contrefactuelle et des techniques (documentaire, questionnaire, focus group, etc.), corriger les faiblesses des unes par les avantages des autres.
Voilà pourquoi Georges Wetshodima Yole Yalonga écrit ce qui suit : « dans toute recherche scientifique, depuis sa conception jusqu’à sa réalisation, diverses stratégies sont mises au service du chercheur en vue d’accroitre la fiabilité des données recueillies et la valeur des résultats escomptés. Parmi les stratégies connues au service des chercheurs, il y a lieu de citer la triangulation. Celle-ci prône le recours constant à la combinaison de différentes méthodes et techniques de recherche dans l’accomplissement d’une recherche menée autour d’un thème spécifique…»,[112] surtout que, le terrain informe les méthodes et impose même des techniques non prévues au chercheur. En definitive, retenons avec A. Muluma Munanga que la triangulation consiste à « l’utilisation conjointe et comparative de plusieurs méthodes.[113] Il évoque même Hlady-Rispal qui parle de « multi-angulation dans une acceptation plus large (plusieurs matériaux, plusieurs approches).[114]
6.3. De la théorie du matérialisme historique et son application à cette recherche
Toute thèse devrait être accompagnée par une théorie qui la tracte. Néanmoins, la théorie est comprise, ici, comme un « courant d’idées dans lequel se baigne le chercheur. Elle sert d’appui aux méthodes en vue d’atteindre l’explication. »[115] Si l’analyse de notre objet d’étude est facilitée par la méthode dialectique et l’analyse contrefactuelle, rappelons que celles-ci sont soutenues par le matérialisme historique, appuyée par la triangulation comme approches.
En effet, dans sa onzième thèse sur Feuerbach, K. Marx soutient que : « le matérialisme historique est une nouvelle théorie, une théorie scientifique de l’histoire de la même manière que la théorie scientifique de Galilée qui avait fondé un champ scientifique nouveau : la science physique. Dans cette thèse sur Feuerbach, Marx crée la rupture avec les anciennes théories philosophiques sur l’homme, sur la société et son histoire qui se limitaient à contempler et interpréter le monde, mais, incapables de le transformer, faute de connaître les mécanismes de fonctionnement des sociétés ».[116]
Mbela Hiza, pour sa part, reconnait à Karl Marx la paternité du matérialisme historique, selon qu’il « fait de l’économie la base dont dépendent l’Etat et les idées. D’où le reproche souvent entendu d’avoir réduit les phénomènes sociaux à des phénomènes économiques. K. Marx attribue le rôle du changement aux classes sociales qui constituent les acteurs collectifs, qui au cours de leurs affrontements transforment l’organisation économique et sociale».[117] Car, pour K. Marx, l’Etat dans les sociétés capitalistes aurait pour mission le maintien de l’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie.[118] En d’autres termes, et considérant les thèses de Hegel pour qui l’Etat est l’incarnation de la rationalité, K. Marx affirme que l’Etat n’est aucunement extérieur ou supérieur à la société.[119]
De ce qui précède, nous retenons, en définitive, que le matérialisme historique est pour Karl Max, le socle d’analyse des sociétés assis sur un double refus : celui d’expliquer les transformations de la société par les idées, et celui de faire de l’Etat le garant de l’intérêt général. Il reconnait à l’économie le rôle d’orienter la superstructure étatique et idéologique. En effet, le matérialisme historique est une théorie marxiste de la totalité organique que constitue toute formation sociale relevant des modes de production déterminés. Il s’articule à deux niveaux : l’infrastructure économique, la superstructure juridique et politique, forme de la croissance sociale et du type de causalité interne qui les relie en affirmant que l’économique est posée comme déterminant en dernière instance et d’autre part la théorie du passage des modes de production à un autre à partir de leur structure et de leur contradiction interne.
Le matérialisme historique, certes, est la théorie qui tracte notre thèse. Mais, il est utile de rappeler qu’il doit être considéré dans l’optique soutenu par L. Lombeya Bosongo. Ce sociologue, nous convint à tenir compte de l’interaction des sphères d’une société, toujours dynamique, et, insiste sur la centralité de la sphère politique, suite à sa puissance.[120] Ces éléments nous préservent de nous verser dans l’économisme, c’est-à-dire : « la réduction des phénomènes sociaux à des phénomènes économiques, selon que l’économie reste la base dont dépendent l’Etat et les idées ».[121]
En outre, soulignons que la théorie de matérialisme historique,[122] dans le cadre de cette étude, nous offre les concepts auxquels nous allons recourir tout au long de notre démarche. Il s’agit entre autres : de la « formation sociale », « du mode de production », « des forces productives » (ensemble des ressources matérielles : matières premières, machines, et entreprises, et des ressources humaines : la main-d’œuvre), de « la plus value », des rapports sociaux de production » et « des moyens de production »,[123] ainssi que celui de la « lutte des classes ».
Cette théorie[124] nous conduit, ainsi, à identifier les divers types de mode de production, le fonctionnement des éléments idéologiques ou de la superstructure dans un procès de projet de développement rural au sein de la République. A travers le procès du projet CABEN, elle aide à identifier les rapports de production, selon que ces derniers, « sont les rapports de propriété sur les ressources matérielles. De ces rapports de production dérivent des rapports d’exploitation. Car la classe sociale qui ne possède que sa force de travail [pour parler de la population rurale de Bengamisa et son hinterland] est obligée de mettre cette capacité de travail au service de la classe qui a la propriété des moyens de production. De cette exploitation (la classe exploitante s’approprie une partie de la richesse créée par les travailleurs) nait la lutte de classes ».[125]
Dans le cas d’espèce, nous nous en servons en ce sens que, dans un procès d’un projet de développement rural, se rencontrent plusieurs acteurs. Chaque procès d’un projet de développement, historiquement situé, tel est le cas de la CABEN, se présente comme un espace social. Ces acteurs aux intérêts divergents et peut-être opposés, dont les bailleurs de fonds,[126] les opérateurs politiques au niveau central et local, et les acteurs sociaux au niveau local, ainsi que la masse populaire (exploitants familiaux et les salariés du bloc industriel, producteurs des cacaos marchands) s’y rencontrent. Il s’y observe ce que certains auteurs qualifient pour l’espace rural congolais, de « darwinisme socio-politico-économique».[127]
Certes, le matérialisme historique, qui s’impose dans le cadre de cette étude consacrée à l’analyse de la Cacaoyère de Bengamisa, nous aide à découvrir la trame cachée des enjeux socio- politiques et économiques, mais, surtout, financiers, à la base de l’accélération de la production des projets, dits de développement rural à travers la RD. Congo, pays à crises multiformes, et, à plusieurs défis, dans ce contexte général de la mondialisation[128].
6. 4. Des difficultés rencontrées
Les principales difficultés rencontrées ont été d’ordre méthodologique et théorique. La plurarité d’écoles dans la manière d’aborder la question des méthodes et des techniques ne nous a pas facilité la tache. Nous soulevons ensuite la problématique de la multiplicité d’approches de définition du concept « développement » et tous ceux qui lui sont connexes, ainsi que celui de projet de développement. Il est aussi important de noter que cette recherche doctorale fait aussi appel à l’interdisciplinarité. Cette exigence scientifique nous a poussé d’aller au-delà de notre domaine, à savoir la sociologie (rurale et du dévéloppement), pour interroger l’agronomie, l’écologie, la bioclimatologie, la pédologie, la géographie-économique et la économie rurale, etc. Cette interdisciplinarité a certes enrichi le travail, tout en le redant plus complexe.
Sur le plan méthodologique encore, rappelons qu’il a été d’une nécessité pour nous, de nous rendre à Bengamisa pour la collecte des données. Les techniques usitées nous obligeaient de rencontrer les paysans dans leurs milieux. Nos enquêtés, tenus de répondre à leurs occupations agricoles, n’ont pas la même « perception et la gestion du temps»[129] que le scientifique. A ces difficultés, il y a lieu d’ajouter l’absence presque totale des données statistiques, mais, aussi et surtout, le climat politique pendant lequel se faisaient nos enquêtes (les querelles entres Majorité Présidentielle et Opposition, avec le Rassemblement en tête, en Mars et Avril 2017). La méfiance se faisait remarquer à tous les niveaux de la recherche de l’information en rapport avec la CABEN sur le terrain.
Cependant, rappelons que, si la religion emprunte la voie de la foi, la science, particulièrement, la sociologie, nous impose la voie critique de la raison. Force est de considérer ici l’encadrement dont nous avions bénéficié de la part de nos encadreurs.
7. DELIMITATION SPATIO-TEMPORELLE DE L’ETUDE
Pour ne pas demeurer dans les généralités, nous avons délimité notre étude dans le temps et dans l’espace.
Sur le plan historique, notre investigation qui porte sur la dynamique de la trajectoire historique du projet CABEN, considère la période qui va de 1981 à 2016. Si 1981 indique l’année de la création de ce projet agricole, l’année 2016 quant à elle, marque la fin de la période pour laquelle, sa production des cacaos marchands est prise en compte dans nos investigations. Sur le plan spatial, cette étude concerne la CABEN, un projet de développement agricole logé dans « l’espace Bengamisa », précisément, dans le Territoire de Banalia, dans la Province de la Tshopo,[130] en République Démocratique du Congo.
Outre l’introduction générale, la conclusion générale, la bibliographie et les annexes, la présente dissertation comporte deux parties. La première présente le cadre conceptuel et les considérations théoriques de l’étude. Elle est structurée en deux chapitres, consacrés à la définition de concept de développement, des développements adjectivés et de la politique de développement rural. La partie passe en revue quelques concepts connexes au « développement ».
La même partie clarifie la notion de projet et celle de projet de développement rural. Elle parle du mode opératoire et du fonctionnement de la logique capitaliste qui les tracte. La partie présente, également, l’état de lieux de la pratique des projets de développement rural comme instrument de la transformation de l’espace rural congolais, selon qu’ils sont dictés par la logique capitaliste. Certes, elle pose la problématique de la territorialisation des projets de développement rural. Enfin, puisqu’il n’est pas possible de parler du « développement sans parler de l’homme »,[131] la même partie se préoccupe de la problématique des idées, des valeurs et de la place de l’homme dans un procès de développement.
Quant à la deuxième partie de cette étude, elle est subdivisée aussi en deux chapitres. Tout en esquissant des définitions du rural et du village, elle trace la morphologie de l’espace rural congolais. Cette partie soulève la question de triple niveau d’échange au niveau de la paysannerie, et aborde la question de la dynamique de la pauvreté rurale en RD. Congo, en faisant une brève présentation de Bengamisa, l’espace rural sous étude dans la Province de la Tshopo (dans l’ancienne Province Orientale).
La même deuxième partie jette un regard critique sur la Cacaoyère de Bengamisa, après l’avoir présentée comme un projet agricole réalisé en RD. Congo dans son contenu et sa trajectoire historique. Cette partie interprète de manière dialectico-contrefactuelle les données de terrain, présente le bilan des projets de développement rural comme moyen de la réduction de la pauvreté et/ou de la paupérisation des masses, en précise les acteurs et en indique les enjeux. L’étude culmine sur quelques considérations sociologiques en rapport avec le flux des projets de développement rural sans développement des milieux ruraux, tel que perçu et vécu par des populations locales. Elle finit par des recommandations plaidant pour « la territorialisation » des projets de développement rural en République Démocratique du Congo, en insistant sur « une économie cacaoyère durable.
CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE DE L’ETUDE
La première partie de cette étude présente les considérations conceptuelles et théoriques de l’étude. Elle se structure en deux chapitres.
Le premier chapitre est entièrement consacré à la définition de concept de développement. Il passe en revue quelques concepts connexes au développement, aborde, ensuite, la prolématique « des développements adjectivés ». Ce même chapitre traite de la problématique de sous-développement, et, insiste sur le fait que la démocratie ne soit pas, nécéssairement, synonyme de développement. Tout en appelant à la prise en compte de « l’action humaine planifiée » dans un procès de développement, le chapitre finit par une condansée d’informations sur le développement rural et la politique y relative.
Le deuxième et dernier chapitre, de cette partie, planche sur la question de projet de développement rural, il en donne le sens et l’essence. La logique capitaliste et son impact sur les projets en République Démocratique du Congo, de manière générale, y fait aussi l’objet de notre préoccupation. Enfin, le chapitre, après avoir ressorti le bilan mitigé que présente la pratique des projets de développement rural dans le monde rural congolais, propose la territorialisation comme nouveau paradigme de gestion..
CHAPITRE I.
DU DEVELOPPEMENT ET SES CONTOURS : APPROCHES DEFINITIONNELLES D’UN CONCEPT ET D’UNE PRATIQUE SOCIALE
Cette étude met en sollicitation réciproque plusieurs concepts connexes au développement. L’équivocité des concepts de base ainsi utilisés, impose que nous précisions leur contenu en vue de dissiper tout mal entendu. Il s’agit principalement d’expliciter suffisamment nos définitions pour que les discussions ne soient pas le développement de malentendus, mais permettent de clarifier les divergences et les désaccords, d’en dégager les lignes de forces et d’en débatrre. A cet effet, nous discuterons succinctement de concept de développement, ainsi que celui de politique de développement qui structurent les réalités analysées dans le cadre de cette étude.
Parlant de développement, nous allons aussi, de manière succincte, soulever en critiquant quelques théories en la matière, ainsi que d’autres concepts qui lui sont connexes. Dans cette liste, tout en rappelant que le développement à une dimension culturelle, il nous semble utile de tabler aussi sur des « développements adjectivés ».[132] La problématique de développement rural, ainsi que celle de la politique de développement rural, devront être discutées.
SECTION I. DU DEVELOPPEMENT ET DES CONCEPTS CONNEXES
De prime à bord, parlant du développement, soulignons qu’il est un terme qui aura connu, dans l’histoire des sciences humaines du 20ème siècle, une fortune théorique et pratique oscillant de la logique historique et pratique au galvaudage idéologique. Il y a des décennies, le développement est devenu à la fois un thème de l’idéologie officielle, voire, professionnelle et même un slogan. Ainsi, sans pour autant entrer dans les débats théoriques passionnés, il est, toutefois, utile, d’insister sur certaines définitions pouvant soutenir notre point de vue.
Sociologiquement, le développement, dans sa pratique, dans son procès historique qui est à la fois technologique, économique, culturel, social, etc., ensuite, dans ses théorisations aussi bien socialiste (prépondérance de l’Etat et de la classe ouvrière comme agents principaux de l’histoire), que dans la variante dominante capitaliste (rôle prépondérant du capital autour duquel l’Etat et toutes les forces sociales (culture, science et technologie, forces productives) doivent se mobiliser, s’est défini à partir de l’expérience historique occidentale. En dépit du fait qu’aujourd’hui, les considérations analytiques tirées de la praxis des nations « développées » d’Asie viennent compléter les canons capitalistes occidentaux. En Asie c’est d’abord le Japon et, à sa suite les Dragons (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taïwan) forment le premier ensemble asiatique à forte croissance.[133] Les éléments pour son accession au développement sont en place dès la fin de la décennie 60.
Il est un fait que, ce sont principalement l’Europe et les Etats-Unis dont l’expérience a nourri et nourrit encore les thèses relatives au développement. « Dans la décennie 90, les Tigres : l’Indonésie, les Philippines, la Malaisie et la Thaïlande forment le deuxième groupe asiatique connaissant un processus de développement accéléré, avec une forte croissance. Avec des fortunes diverses, d’autres pays d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique, mais aussi d’Europe orientale, prennent conscience de leur état de « sous-développement » au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale. Au cours de la décennie 60, ils entreprennent de se lancer dans ce processus historique de progrès économique, technologique, social et culturel ».[134]
Il se révèle que des progrès remarquables ont été notés sur l’ensemble de la planète. S’il faut par exemple rappeler le Sommet de Millénium tenu à New York en septembre 2000. Dans ce sommet, les chefs de 189 Etats membres de l’Organisation des Nations Unies, l’ONU en sigle, se sont réunis pour adopter la déclaration de Millénium dans laquelle huit objectifs du développement pour le XXIème siècle ont été établis.[135] La déclaration cite les valeurs principales de relations internationales pour le siècle en cours. Il s’agit de : « … la liberté, l’égalité, la solidarité, la tolérance, le respect de la nature et le partage de la responsabilité ».[136] Mais, malgré ces valeurs réclamées et soutenues par tous, il n’est secret pour personne que : les pays d’Afrique subsaharienne, en cette première décennie du 21ème siècle sont demeurés en gros des pays « sous-développés », des pays « en voie de développement », ou, pour éviter la connotation idéologique, des pays non industrialisés. C’est l’ensemble de pays à la traine sur le plan économique et technologique principalement, avec des caractéristiques propres d’ordres socio- culturel appelées « tradition », que l’on qualifie de pays du Tiers-Monde, pour signifier qu’ils sont exclus de la répartition des richesses dont profitent les populations des pays développés ou de « Quart-Monde ».[137]
§1. Du développement : contours définitionnels et théoriques
Pour Darwin le développement s’identifie au mot évolution. Pris dans ce sens, le développement signifie le progrès et indique un type de changement lent, graduel, cumulatif et orienté. Oxford English Dictionnary présente le développement comme « un déploiement progressif, une élaboration plus poussée des détails qui constituent une chose, ce qui sort d’un germe ». A ce point de vue, il y a lieu de parler par exemple, du développement d’une grossesse, des yeux, et/ou du développement d’un enfant, etc. Donc, il est un fait que le terme développement implique un aspect prospectif.
Les philosophes, à l’instar de Mbolokala Imbuli,[138] trouve dans le développement, une notion « polysémique et essentiellement dialectique. Il suppose opposition, conflit entre positivité et négativité, domination et liberté, ignorance et savoir, enfin progression positive (grande production agricole et minière, exportation, monnaie forte, pouvoir d’achat élevé, mieux-être de l’homme) et régression (baisse de la production, peu ou presque pas d’exportation, monnaie sans valeur, dégradation des mœurs, le mal-être ou le mal-vivre de l’homme).
Le même Mbolokala Imbuli affirme du point de vue phénoménal que, le développement se rattache principalement à l’homme, car il s’agit précisément de son développement, mieux de la qualité de sa vie. En effet, l’appréciation de la qualité de la vie de l’homme apparait toujours comme historicité, philosophicité, religiosité, donc comme un dialogue au sens de multilogue tant subjectif qu’intersubjectif.[139] Aussi se manifeste-t-il dans son unicité-multiplicité, dans sa diversité, dans son individualité comme dans son universalité. Economicité, sociabilité, politicité, sont également d’autres qualités manifestes de l’homme, qui constituent en soi une multi-dimensionnalité dynamique sans cesse évolutive. Si Jean-Marie Domenach,[140] le philosophe chrétien pose la problématique de développement en s’interrogeant sur l’écart scandaleux qui existe entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement, il met l’accent sur la force de la morale, en voulant que : les riches assistent les pauvres, qu’ils assurent réparation aux pauvres, en prévenant la violence des pauvres.
Alain Touraine trouve dans le développement, cet « ensemble des actions qui fait passer une collectivité d’un type de société à un autre, défini par un degré le plus élevé d’intervention de la société sur elle-même. Dans cette perspective, le développement est le passage d’un système à un autre ».[141] De leur part, J. N. Loucou et C. Wondji, par contre, abordent la question de développement en évoquant le caractère purement économique. Ces deux auteurs pensent que « le développement serait la seule croissance matérielle, économique … vers une société nouvelle et dynamique procurant à ses membres le maximum de bien- être. Il s’agit d’une véritable mutation ».[142] Dans le même ordre d’idées, Gabriel Gosselin définit le développement en faisant référence à A. G. Franck et François Perroux. Pour lui, le développement implique en premier lieu la croissance, et en particulier, l’accroissement des ressources productives globales, de revenus monétaires globaux et de la productivité moyenne. Il faut ainsi entendre par ces simples accroissements quantitatifs, globaux ou moyens, des améliorations économiques… En second lieu, il l’entend comme la détermination volontaire, par choix politique, des catégories sociales bénéficiaires des accroissements quantitatifs. En troisième lieu, le développement implique le changement social proprement dit, qui demeure qualitatif. Pour Celdo Furtado, « la croissance est l’augmentation de la production au niveau d’un secteur productif spécifique, et (…) le développement constitue le même phénomène économique de structure complexe qui peut comprendre le secteur en question ».[143]
Par développement, nous dit Ntuaremba Onfre Léonard, c’est un idéal, une recherche permanente d’un mieux-exister qui s’opère par un processus dynamique et par une transformation des structures mentales, politiques, économiques et sociales d’une société.[144] Il insiste plus sur le niveau de changement de mentalité que la philosophie doit jouer son plus grand rôle. Par sa critique permanente, par son souci d’objectivité, de rigueur ou de rationalité, elle réveille l’homme de son sommeil dogmatique en ce qu’elle développe son sens de prise de conscience et de responsabilité, sa capacité d’être, de penser et d’agir, elle invite l’homme à réajuster son comportement afférent à l’amélioration de ses conditions d’existence.[145] Bref, il suggère que la philosophie doit contribuer grandement à l’éducation de l’homme, agent principal du développement.
En jetant un regard critique sur les définitions de développement proposées par des économistes quantitativistes, il y a lieu, en sociologue, de faire observer la surproduction des thèses émises. Lesquelles thèses, généralement, survalorisent l’aspect de croissance économique sous-jacent le modèle occidental d’industrialisation proposé comme schéma exemplaire de référence. Ce schéma devrait indiquer le processus comme un phénomène récurent et de validité universelle. Ainsi, nous sommes là, en face d’un ethnocentrisme occidental et un évolutionnisme diffus, au point que certains auteurs en pensent au « lit de Procuste ».[146]
Ce point de vue qui préconise le modèle occidental d’industrialisation présenté comme schéma exemplaire de référence propose l’image d’une nation développée. Celle-ci parait, généralement, être cette société où l’on trouve facilement le travail, où les logements sont en dur, où les villes et les campagnes ont l’électricité. Elle se veut cette société où il y a des armadas de tracteurs pour les paysans, où l’on peut s’acheter les produits étalés dans les vitrines des magasins, etc. En somme, il s’agit d’une société dont les habitants disposent de tout ce dont ils ont besoin, et le plus moderne possible.
Point n’est besoin d’insister sur l’image que l’on se fait souvent, d’un pays ou d’une nation développé (e) selon ce schéma unique. Une telle nation, se présente comme une société dont les habitants n’ont pas peur des menaces de la nature grâce à la démocratisation à l’abondance dans l’alimentation, dans l’habillement et au logement au prix d’un travail moindre. Il s’y observe la baisse de la morbidité et de la mortalité. Avec une telle situation, il y a lieu de nous imaginer avec A. Lewis[147] que les habitants d’un pays développés ont l’avantage de disposer de plus de biens, de plus de loisirs et d’obtenir plus de service. Elle assure la libération de la femme de ses corvées, et cette démocratisation à l’abondance rend les hommes plus charitables, c’est-à-dire, faisant preuve de plus d’humanitarisme, etc.
C’est là, la caractéristique du développement, ce que la sociologie traite de l’image -fausse- qu’on se fait de l’Europe, de l’Amérique du nord, de l’Asie Orientale, et tous les autres pays, dits développés, etc. Kankwenda M’baya est cité parmi les analystes qui rejettent cette appréhension de développement. Il s’agit de cette vision de développement qui se résume par les définitions de développement proposées par Furtado[148] et beaucoup d’autres quantitativistes. En effet, ces définitions, font penser que les pays dits développés vivent dans la cinquième phase rostowienne, qui est l’ère de la consommation des masses. Alors qu’il faut noter que, Rostow, dans son ouvrage « Les étapes de la croissance économiques », fait reposer ses idées dans une large mesure sur un jugement linéaire. Il consiste en un aplatissement et en une homogénéisation des faits, faisant de l’économie des singuliers et des conjonctures, voire, de la spécificité. Procédant de la sorte, c’est-à-dire par réduction, il prescrit ce qu’il faut faire, il trace le cheminement à suivre. Seulement, il ignore de la sorte, la singularité des trajectoires historiques.
Cette vision réductrice, est aussi la même pour la plupart des économistes, particulièrement, les quantitativistes congolais. Ceux-ci ramènent souvent la notion de développement à la croissance économique. Porteuse d’un mimétisme généralisé, elle ne dit pas que les groupes historiques disposent chacun dans son espace-temps, des moyens différents, rencontrent des obstacles différents, doivent imaginer et mobiliser des ressources humaines, technologiques et financières différentes, afin de résoudre des problèmes différents, dans des moments différents, dans des contextes nationaux et internationaux différents. Pour Kankwenda Mbaya, « un raisonnement linéaire constitue de la sorte une généralisation hâtive qui dispense de la nécessaire obligation de soumettre les faits à une critique achevée ».[149]
En effet, le développement ne doit pas être réduit uniquement à la démocratisation. D’ailleurs, ces nations dites développées, même si elles ne se reconnaissent développées que par rapport aux critères qu’elles imposent, ou que leurs savants décrètent. Elles ne sont pas aussi achevées en tant que telles. Certes, si la société est «…, en effet, ces hommes en actes qui bâtissent dans la solidarité. La société est ces hommes volontaristes, fondateurs d’espaces étatiques, économiques, culturels. La société regorge les hommes en actes qui luttent contre d’autres, pour défendre un espace bien commun. La société est constituée par ces hommes en actes, est l’esprit partagé de conquête, de domination, de grandeur voulue, recherchée, bâtie. Parce que la société, ces hommes en actes, est cette affirmation permanente, quête de soi et des siens, dans et par un avenir, dans et par un devenir,…».[150] La sociologie nous force de reconnaitre qu’un espace dénommé aujourd’hui « pays, Etat et/ou nation »,[151] peut s’identifier à une société. Etant que telle, une nation, un pays, donc, une société, connait sans cesse le changement et aspire au développement.
L’image que l’on se fait, parfois, de ce monde des « développés » est quelque peu fausse. En effet, dans tous ces pays dits développés, il existe des zones de taudis, et de misère, des régions arriérées, « sous développées », des réserves, une masse d’analphabètes, des milliers, si pas des millions de travailleurs et autres paysans qui n’ont pas accès – ou alors difficilement – aux facilités décrites plus haut, un grand nombre de chômeurs.[152]Il nous présente un monde pollué tant physiquement que moralement, où le consommateur, par la publicité et le bon vouloir du producteur n’est plus qu’un instrument de la lourde machine de production. Il poursuit en indiquant que, « c’est un monde où les hommes vivent liés à l’emprunt et la dette par le truchement d’un système de crédit fort développé, voilant leur misère, un monde où les hommes font le culte de l’argent, peu importe les moyens utilisés pour le gagner, l’essentiel étant qu’ils réussissent ».[153]
De ce qui précède, il y a lieu de retenir que la société de consommation ne comble pas les plus profonds désirs de l’homme. Sans pour autant, ne pas avouer que la démocratisation à l’abondance, pour faire allusion à la société d’abondance, est un pas vers le développement, mais, seulement, elle ne doit pas lui être identifiée. Le développement n’est donc pas exclusivement une croissance économique, ni une augmentation des richesses. Il n’est pas non plus un meilleur équilibre entre production et consommation, moins encore, une transformation des échanges. Encore que dans ces sociétés dites d’ « abondance », non seulement, qu’il peut s’y observer l’aliénation et la contrainte dans les rapports sociaux, mais aussi, et surtout, « il n’y a pas généralisation de la richesse et de l’abondance pour tous ».[154]
Serge Latouche n’a pas tord lorsqu’il souligne que le développement est une notion complexe, et se veut un « concept attrape-tout, hautement mystificateur».[155] Pour celui-ci, le développement est même, un « concept à proscrire ».[156] Il désigne le changement global qui caractérise une société donnée, dans une période donnée. Il désigne l’ensemble de transformations, qui, dans des limites temporelles indiquées, affectent une société ou un groupe social. De manière globale, ces modifications d’ordre économique, social, technique, culturel, les infrastructures de base, la quantité et la qualité des ressources aussi bien matérielles qu’humains, bref, toutes les composantes sociétales envisagées dans le sens d’amélioration dans la durée constituent le développement de la société ou du groupe social.
Nous somme convaincu que toute société, soit-elle ,étatique ou nationale, bouge. La société change, pour ce faire, elle a une histoire. Elle rejette la vision réductrice de développement. C’est pourquoi, nous pouvons soutenir qu’aucune nation, aucun pays n’est assez avancé(e) sur la voie de développement en épuisant ses possibilités virtuelles dont : « meilleure utilisation de ses moyens, progrès de la science et de la technologie », [157] etc. Comme chaque pays bouge, change, il y a lieu de reconnaitre à toutes les nations la possibilité de continuer à avancer vers le progrès économique et social. Tous les pays, mêmes les pays « développés », vont vers le développement. Puisque toutes les sociétés et toutes les nations, recherchent le développement, Muluma Munanga, pour sa part, met en relief, l’importance d’une approche interdisciplinaire dans l’étude du développement. Il démontre que le concept de développement a contribué, plus qu’aucun autre, à rapprocher les disciplines des sciences sociales séparées par un siècle d’influence positiviste.[158] Il rejoint ainsi, Lombeya Bosongo, Kankwenda M’baya et tous ceux qui prônent la vision globalisante du développement. Il fait la plaidoirie pour la lecture plurielle qu’il faut adopter en la matière, en soutenant que « le développement n’est pas seulement la croissance économique et matérielle comme l’ont cru J. N. Loucou et C. Wondji.
En définitive, nous sommes d’avis avec ceux qui soutiennent le regard cursif sur le développement. Certes, la croissance économique n’est rien autre que l’accroissement matériel des quantités produites par des gains équitablement répartis. Il doit donc avoir des retombées sociales, culturelles et mentales durables. Il en résulte le bien-être général qu’on peut appeler globalement « DEVELOPPEMENT ». C’est cette vision globalisante du développement que la sociologie soutient. Elle venait d’être renforcée depuis un certains temps par la position du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD, en sigle). Dans un procès de croissance économique, le PNUD souligne que les éléments qualitatifs entrent dans l’ordre de plus de 64%.[159] Dans sa liste énumératrice des facteurs non quantitatifs en vue de la croissance économique dans une nation, cette agence des Nations Unies aligne de manière indicative les éléments suivants : l’éducation, la santé, la bonne qualité de l’alimentation, la culture, la religion, l’idéologie, la bonne gouvernance, etc.[160] Il est donc, à notre avis, une mutation des structures mentales et socio-économiques procurant le bien-être de la population dans un pays. Il est évident que cette mutation ne peut s’opérer sans la participation de la population aux actions de développement et sans la prise en charge de ses mécanismes par les responsables tant politiques que sociaux d’un pays ».[161] Le développement doit être considéré comme un processus de transformation organisé, dirigé et entretenu de l’intérieur. Le succès de son procès procède des agents conscients et capables d’assumer pleinement les responsabilités que leur impose la construction d’une société. Celle-ci implique la combinaison cumulative et réfléchie des facteurs de tous ordres, mieux, des conditions tant, objectives (quantitatives) que subjectives (qualitatives).
§2. Du développement comme phénomène culturel
Plusieurs analystes des sociétés présentent le développement en insistant sur sa dimension culturelle. Telle est aussi le point de vue de Nyembo Shabani qui met en exergue la place de la culture dans le processus de développement. Dans ses enseignements de l’Economie de développement, cet économiste congolais, non de moindre reconnait que le développement est avant tout un phénomène culturel.
En effet, « dans chaque procès de développement, la nécessité n’est pas de focaliser l’attention exclusivement sur la domestication de la nature en vue de lui arracher les secrets qu’elle a recelé ».[162] L’expérience accumulée, il y a des décennies démontre que la mise en branle du procès de développement ne dépend pas uniquement de la capacité de l’homme à maitriser la science et à l’accoupler avec la technique. Elle fait aussi indissolublement appel à la culture. Celle-ci doit être comprise comme : « ce que l’homme a de plus d’intime en lui, à savoir ses valeurs, ses croyances, ses mentalités, ses habitudes, sa religion, ses préjugés, ses attitudes à l’égard de l’argent, ses comportement envers du changement, sa vision de soi, et du monde extérieur ainsi que ses comportements internes inhérents à la culture humaine et à sa personnalité propre. On comprend dès lors qu’elle apparaisse aux hommes comme l’un de leurs biens les plus précieux, dont ils sont les plus jaloux ». [163]
La manière dont l’être humain perçoit la matière, le temps, le travail, les échelles de valeurs, et sa destinée sur la terre est un fait de sa culture fortement incrustée dans son âme. Il s’en suit que la manière dont nous vivons, dont nous organisons l’autorité, dont nous assurons la production, dont nous situons la femme dans la société, dont nous concevons la hiérarchie, des métiers, dont nous élevons nos enfants, dont nous traitons les étrangers, dont nous nous comportons devant les obstacles nous sont imposées par la nature et la société mondiale. Elles relèvent de la civilisation et donc de notre culture. Il est de même des institutions que nous nous donnons et qui sont conformes à nos mentalités, à la conception que nous avons de nous-mêmes et du monde.
Nyembo Shabani est formel et sa position, du reste, demeure sans appel : « nul doute donc que le développement, bien compris, en grande partie, est un fait culturel ».[164] Evidement, la sociologie retient que la production et l’allocation des ressources économiques résultent de certains comportements des agents sociaux et ceux-ci sont guidés par les ressorts culturels, les mentalités, les institutions et les idéologies caractéristiques de la société. Ensuite, s’il est à soutenir que, pour qu’il ait développement, il faut que la nature soit considérée comme une machine que l’on peut connaitre, maitriser et perfectionner. Il est tout aussi à reconnaitre que le même procès de développement ne peut apparaitre et se consolider que dans une société qui entretient une culture qui offre à l’homme une prédisposition indéracinable au refus de la pauvreté. Tout cela doit reposer sur des valeurs permissives, nourries par la culture créatrice.
Par dessus tout, lorsqu’une personne se meut dans un tel type de culture, la culture de domination, de conquête, de puissance, dans une société de culture prométhéenne, etc., il est évident qu’elle soit persévérante, énergétique et son courage le rendra irrésistible parce qu’animée de soif de vaincre l’adversité et de s’organiser pour rendre sa vie meilleure et digne. La confiance en soi, la force de caractère et la ténacité dans les desseins, la résolution et la détermination, le courage devant l’obstacle, la soif de la puissance et de vaincre, la curiosité, le refus de l’échec et de la pauvreté, la quête du salut commun sont là les quelques traits importants de la culture permissive, la culture qui amène l’homme à asservir la nature et à se libérer de la faim, ainsi que de la pauvreté. «… La culture est le moteur et surtout le régulateur du développement tandis que le développement favorise l’accroissement des potentialités créatrices, la participation des hommes à la création des valeurs culturelles »,[165] nous rappelle Edgar Pisani. Il souligne que la culture et le développement sont deux aspects complémentaires d’une même problématique.
La littérature sociologique que nous avons parcourue rejette, quant à elle, l’appréhension moniste-économiste de développement. Elle soutient que le procès de développement reste interactif. Ce qui veut dire que, le développement se veut un phénomène, à la fois géographique, historique, économique, technologique, politique, financier et environnemental, etc., mais aussi, et surtout, un fait culturel. Certes, la sociologie du développement précise que tous ces facteurs, porteurs d’une croissance économique durable et/ou du développement ne doivent jamais être réduits et exprimés en équations mathématiques. Bien sur, ce sont ces facteurs que les facteurs matériels (capitaux, ressources naturelles, travail) qui expliquent plus le développement.
De ce qui précède, il y a lieu de conclure le débat sur la notion de développement par le point de vue du sociologue Casse. Celui-ci, dans sa démarche globalisante, esquisse une définition du développement en ces termes : « c’est le processus actif par lequel une société passe d’un état socio-économique de fait à un état présumé meilleur… ».[166] Donc, le développement est un tout, complexe, et pour tous. Il se veut un idéal pour tout homme, et pour toute société humaine. Une société ou une nation qui se décide d’amorcer son procès de développement, tout en s’appuyant sur son capital humain, tel que le souligne Rémy Mbaya Mudimba : «… Mboka ebongaka na boyebi na mpiko ya bana mboka », [167] doit faire face à ces séries des contraintes. Elle doit premièrement, lutter pour dompter la nature en vue de la satisfaction des besoins de ses hommes, elle doit en outre, éliminer la dépendance, l’exploitation et l’aliénation sous toutes ses formes, tant, sur le plan interne qu’externe.
Plusieurs théories[168] ont été et sont proposées en ce qui concerne le développement. Mais du point de vue téléologique, nous proposons en définitive, que le développement ne puisse pas se focaliser seulement sur les actions des revenus et des croissances économiques. Il devrait aussi considérer d’autres objectifs comme, par exemple, la meilleure qualité de vie, la qualité de l’éducation, la répartition équitable des biens et services, etc. Ainsi, dans tous les cas, la littérature sociologique à notre possession, nous mène à résumer les grandes leçons de l’histoire en matière de développement en ces termes :
- le procès de développement demeure interactif : pour dire, le processus de développement fait appel à plusieurs acteurs et plusieurs facteurs ;
- la volonté de devenir une nation, de bâtir une économie nationale, d’assurer l’élévation socioculturelle de la population ont toujours rencontré un soulagement interne, national. C’est ce que Perroux[169] appelle les réalités de l’économie nationale sans lesquelles le développement n’aurait pu s’imaginer comme il a été au cours des siècles. C’est ce que démontre l’histoire du développement des nations aujourd’hui développées : « le réseau ferroviaire unitaire, le protectionnisme efficace en ce qu’il soutient des centres industriels communiquant avec des marchés intérieurs rapidement croissants, la rencontre d’un idéal national avec des réserves d’épargne et des réservoirs de connaissances scientifiques et techniques» ;[170]
- enfin, il faut retenir que le procès de développement «… ne relève pas du tropisme, mais des forces sociales qui, dans la durée, se mobilisent et sont mobilisées pour atteindre des objectifs voulus ».[171]
SECTION II. DES DEVELOPPEMENTS ADJECTIVES ET DU SOUS-DEVELOPPEMENT FACE A L’EQUATION « DEMOCRATIE = DEVELOPPEMENT »
Ayant discuté du développement comme concept et comme pratique sociale à échelle planétaire, à ce niveau de notre réflexion, l’obligation qui est notre, consiste à aborder la clarification des concepts de développement social, de développement humain, de développement intégral et celui de développement intégré, ainsi que le concept de développement endogène, sans oublier la notion de développement durable, etc. La question du sous- développement est aussi soulévée à ce niveau, ainsi que l’équation « démocratie = développement » en vue de rappeler la portée stratégique de l’action humaine resolue dans le devenir historique de toute société, en dépit de n’importe quel type de régime politique.
§. 1. Du développement social et du développement humain
Puisqu’il faut commencer par le développement social, évoquons-nous, ici, le « document préparatoire du forum alternatif avec « les autres voix de la planète » qui s’est tenu à Madrid à la fin d’octobre 1994 », cité par Serge Latouche.[172] Dans ce document, l’analyste des sociétés cité, dénonce « l’énorme discrédit du concept de développement qui oblige à penser de plus en plus de « nouvelles versions de développement assorties des qualificatifs positifs correspondants … au premier rang le développement durable » et au deuxième rang le développement humain, etc. ».[173]
Il soutient qu’il « est clair que c’est le développement réellement existant, celui qui domine la planète depuis trois siècles, qui engendre les problèmes sociaux actuels, exclusion, surpopulation, pauvreté, etc. « on nomme développement l’accès d’une frange infime de la population à la voiture individuelle et à la maison climatisée. On nomme développement l’élargissement de la fracture sociale entre cette infime minorité qui accède à une richesse insolente, et la masse de la population confinée dans la misère ».[174] En effet, en accolant l’adjectif « social » au concept de développement, il est non moins clair qu’il ne s’agit pas vraiment de remettre en question le développement, tout au plus songe-t-on à adjoindre un volet social à la croissance économique ».[175]
Les esprits critiques trouvent dans cette manière de penser et d’agir de la part des « maîtres de la diplomatie verbale », des bonnes intentions, qui ne collent pas avec la réalité. Tandis que la machine du « développement continue son travail massif d’uniformisation, d’occidentalisation, de déculturation et d’exclusion, détruisant toute protection pour les sociétés fragiles du Sud et transformant leur frugalité en misère, avec les plans d’ajustement structurel, on se donne l’illusion de remédier aux maux qu’on engendre en procédant à des analyses toujours plus raffinées des indices de la pauvreté et en redistribuant quelques miettes de la croissance retrouvée »,[176]poursuit Serge Latouche.
Il ressort de ces affirmations de Serge Latouche l’évidence que voici : la définition actuelle du développement qui se confond à l’ « occidentalisation », pose problème. Décidément, puisque le développement découle de la croissance, et que cette dernière caresse le social, il n’est pas utile, du point de vue de la sociologie, d’adjoindre l’adjectif « social » au concept développement pour le distinguer du « développement social ». Sociologiquement, un développement social équitable constitue le fondement nécessaire d’une prospérité économique durable. Inversement, un développement économique général et durable est la condition préalable du développement social et de la justice sociale. Parler de « développement social » en adjoignant l’adjectif « social » au développement, l’on serait là en face du paradoxe suivant : « sur le plan de l’imaginaire, il s’agit d’un pléonasme conceptuel car le développement ne peut pas ne pas être social, tandis que sur le plan du vécu il s’agit d’un oxymore : le développement réellement existant ne peut pas ne pas engendrer l’injustice sociale ».
A ce point de vue, G. Myrdal reste formel. Il trouve dans cette façon de procéder, de la « diplomatie par terminologie».[177] D’ailleurs, si le développement durable est une heureuse trouvaille conceptuelle encore d’actualité, le développement social est une « vieille lune ». N’est- ce pas que Raymond Aron et Bernard Hoselitz avaient publié un ouvrage collectif intitulé « le développement social »[178] depuis 1965, dans lequel tous problèmes actuels étaient abordés ? Il faut retenir que le développement social ne pourrait aucunement paraitre d’un nouveau paradigme de développement, sans que le sacro-saint libre échange mondial ne soit touché. Le débat de ce jour sur le « développement durable »,[179] etc., et, de tout autre « développement » auquel l’on pourrait accoler un adjectif, ferait encore là, une fois de plus, la preuve de ce que d’aucuns qualifient d’« un inquiétant épuisement de l’imagination des maîtres de cette diplomatie verbale ».[180] En somme, le développement social constitue, par-dessus tout, pour reprendre les termes de Serge Latouche, une belle illustration du procédé d’euphémisation par l’adjectif dénoncé ci-haut. Certes, le développement, considéré comme de l’américanisation, mieux, comme de l’occidentalisation, engendre des injustices sociales.
En ce qui concerne le développement humain, de prime à bord, il est commode d’indiquer que le même Serge Latouche le considère de « complément en quelque sorte statistique du développement social ».[181] L’éducation, la santé, la nutrition, etc., constituent l’indice mis au point par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD, en sigle), tenant compte de dimensions sociales moins économistes. Le PNUD indique que le PNB, par tête d’habitant demeure trop étroit pour rendre compte du développement humain. Néanmoins, tout esprit averti ne doit pas perdre de vue face à cette position. Il s’agit toujours là « de variations plus ou moins subtiles sur le thème du niveau de vie, donc du nombre de dollars par tête. Ce faisant, on ne quitte pas pour autant l’espace de l’imaginaire économique occidental. Faute d’une critique des présupposés économistes et occidentaux, la nouvelle universalité est tout aussi entachée d’ethnocentrisme ordinaire que l’ancienne. Cela est vrai de l’IDH (indice de développement humain) ou de ses variantes comme le PQLI (Physical Quality of Life Index »).[182] D’ailleurs, les indices nutritionnels, plus objectifs, sont certes plus neutres et plus intéressants comme indicateurs d’un problème. Certes, ils n’ont pas la même portée synthétique et n’échappent pas totalement aux critiques énoncées ci-dessus.[183]
De sa part, Gilles Séraphin, note que l’IDH serait un indice universel de la vraie richesse et de la vraie pauvreté.[184] Mais pour le construire, on s’efforce de combiner des évidences de bon sens, du type « pas de développement authentique avec croissance de la pauvreté », avec d’autres évidences construites dans et par l’analyse économique, c'est-à-dire un ensemble de préjugées occidentalistes. Ainsi, les critères de la pauvreté reposent sur la satisfaction des besoins dits essentiels tels qu’ils sont définis par les instances internationales. Toutefois, « qualifiés de besoins les éléments d’un mode de vie « idéal » occidental, note Gilles Séraphin, permet de l’imposer symboliquement dans l’imaginaire des autres sociétés ».[185] Il est évident que la définition du développement humain n’échappe ni à l’impérialisme culturel, ni à l’ethnocentrisme.
Si, « la croyance que la croissance du PNB est une bonne chose, la condition de toute autre amélioration y occupe une place centrale. En conséquence, les gens sérieux, tels les experts du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, mais aussi les autres (les économistes des ONG de développement, par exemple), une fois décapée la rhétorique humanitaire, considèrent le niveau et la croissance du PNB comme le jugement dernier de l’évaluation des sociétés humaines. Et cela à raison, dans la logique de la modernité, puisque l’économicisation du monde permet aux critères économiques occidentaux de fonctionner. Dans un monde globalisé, il n’y a plus d’autres valeurs que celles du marché, donc de l’évaluation quantitative par les prix ».[186]
De cette croyance, il s’observe que tous les gouvernements de la planète, sinon les populations, intériorisent le critère du PNB comme base d’une auto-évaluation. Ceci appelle une participation à ce que d’aucuns considèrent des « jeux olympiques de la croissance dans l’espoir de figurer en bonne place dans le palmarès. Dans l’espace de la modernité où nous sommes tous plus ou moins piégés, chacun a à cœur de « tenir son rang ». Alors qu’à dire vrai, l’on est devant le mensonge statistique qui constitue « le triomphe du paraître et la forme ostentatoire d’une compétition agonistique exacerbée. Résultat des courses : « l’écart de revenu entre le milliard d’êtres humains les plus riches et le milliard des plus pauvres…, de 1 à 30 en 1960, passe de 1 à 150 en 1990 ».[187] Parler de « développement humain », serait, une fois de plus, entretenir l’œuvre des maîtres de la diplomatie verbale capitalistes.
Certes, il se remarque qu’« à chaque étape historique, une justification idéologique d’apparence humanitaire (coloniser pour civiliser, coopérer pour développer, mondialiser pour lutter contre la pauvreté) sous-tendait les pratiques dominantes ».[188] C’est dans cet ordre d’idées qu’il y a eu encore dans le jargon diplomatique, l’apparition de concept de « développement intégral et/ou intégré »,[189] pour dire qu’il faut prendre en compte toutes les dimensions de l’homme, avec la combinaison de tous facteurs sociaux et environnementaux ; développement endogène (c’es-à-dire de l’intérieur), développement exogène (pour signifier le développement de l’extérieur) et le développement auto- centré, pour dire l’homme au centre de développement, etc. Puis, il y a eu le tour de développement local et de développement durable, encore d’actualité. Il y en aura encore d’autres.
Mobutu Sese Seko, alors Président du Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo, avait déjà, sur la tribune des Nations-Unies, soulevé ces problèmes de mépris, de péjoratif, de suranné, et des caractères d’impropre et de fausseté, que comportent et soulèvent par exemple, les concept de Tiers Monde, Pays arriérés, de Sous-développement, de coopération technique, Pays en voie de développement, et, même, celui de développement, etc., « concepts inventés par les théoriciens de l’Occident »,[190] selon ses propres termes. Ces propos démystificateurs contre ces concepts qui cachent la pratique de domination et de l’exploitation entretenue par l’Occident, prononcés par le Président Mobutu Sese Seko, rencontrent les problèmes encore d’actualités dans les relations économiques internationales.
§2. Du développement local et du développement durable.
Après le développement social, le développement humain, le développement intégré, etc., est venu incontestablement, dans la rhétorique des promoteurs du libéralisme, le tour du développement social et celui du développement durable, d’actualité.
La littérature sur le développement parcourue par nous, laisse voir que la mondialisation vient reposer la question du local, comme le repose l’après-développement. Le « localisme » pense-t-on, constituerait ainsi, un élément fondamental de toute solution alternative au développement et à la mondialisation.
En effet, le mot « local » pose problème non pas du fait qu’il soit en son tour accolé à celui de « développement », mais, le « local » semble « ambigu en raison de son extension géographique à géométrie variable- de la localité à la région transnationale, du micro au macro, en passant par le méso-, il renvoie de façon non équivoque au territoire, voire au terroir et plus encore aux patrimoines installés (matériels, culturels, relationnels), donc aux limites, aux frontières et à l’enracinement ».[191] De l’autre coté, nous devons rappeler que le développement se veut un concept attrape-tout, hautement mystificateur, mieux, un concept à proscrire. Si « le « local » émerge aujourd’hui, il n’émerge pas (ou ne devrait pas émerger) comme « développement » mais plutôt comme cadre d’un « après-développement » d’un « au-delà du développement.», soutient, Serge Latouche.[192]
Il faut considérer que le concept de « développement local » n’échappe donc pas à la colonisation de l’imaginaire par l’économique. Accolé à développement, le « local » est tout juste alors, comme le social et le durable, ce qui permet au développement de survivre à sa propre disparition. Le développement a détruit le local en concernant toujours plus les pouvoirs industriels et financiers. En France par exemple, comme le révèle Serge Latouche, le développement local, fut le slogan des technocrates. Il est né dans les régions rurales (et à leur propos), en particulier dans les zones d’agriculture de montagne, victime du productivisme. Dans les années 1970, ne disait-on pas déjà que les routes construites à grands frais, sur les crédits départementaux de l’agriculture destinés au bien-être des paysans, sous le prétexte de désenclaver les zones rurales, servaient au denier agriculteur à procéder à son déménagement vers la ville et au premier parisien à installer sa maison de campagne dans la ferme ainsi libérée! Le discours du développement local faisait écran au « grand déménagement » du territoire et sa mise en œuvre visait à faire passer en douceur cette destruction en mettant du baume sur les blessures et en réutilisant au mieux les décombres … dans beaucoup de pays, ça a été plus ou moins la même chose.[193]
Revenons encore à Serge Latouche, [194] qui démontre comment le concept « local » accolé au développement, masquerait la réalité et pouvait servir à la paupérisation de la masse paysanne. Ce qui s’est passé avec les banques est révélateur. Avec « … local », on utilisait la créativité populaire, voire, locale, et les ressources diverses pour le développement du Nord. A ce sujet, E. Cane et J. Rawe, écrivent qu': « Au siècle dernier, il y avait une foule de petites banques locales et régionales, fortement enracinées dans l’économie locale. Le développement des banques nationales les a fait disparaître pour les remplacer par des agences qui drainent l’épargne locale et le financement de la grande industrie nationale. Aujourd’hui, ce sont les banques transnationales qui font disparaître à leur tour les banques nationales au profit des firmes multinationales. Si l’argent est le nerf de l’économie, la disparition des banques locales signifie sans doute la fin de l’économie locale. Comme l’écrivent les théoriciens de time dollars d’Ithaca, l’économie assure sa croissance « en se nourrissant de la chair et des muscles qui maintiennent soudée la société.[195]Par-dessus tout, le marché a fortement marginalisé des aires importantes tant au Sud qu’au Nord.
Il importe de rappeler que dans des telles zones déprimées, qui survivent grâce aux subsides, subventions, assistantes, presque tout l’argent gagné sur place ou provenant de l’extérieur est accaparé par les supermarchés et drainé hors de la région. On débouche ainsi sur « le cas limite des réserves indiennes nord-américaines où il ne faut que 48 heures à 75% des dollars alloués par le gouvernement fédéral pour s’écouler vers les villes limitrophes ».[196] Telle est aussi la situation en République Démocratique du Congo, où le petit commerce par exemple, est tenu par des expatriés. Ces derniers, à travers les différentes agences bancaires (généralement, propriétés des étrangers) installées au pays, rapatrient leurs fruits de travail vers leurs pays d’origines. Cela constitue l’exode des capitaux,[197] avec comme conséquence, la non-accumulation et la décapitalisation de l’économie nationale. Voilà encore, ici, l’une des stratégies de prédation, par laquelle se fait le prélèvement des richesses dans les économies du Sud.
Il y a lieu de soutenir, à la suite de Serge Latouche, que le développement local apparaît ainsi comme une expression antinomique pour toute une série de raisons liées. « D’abord, le développement est la conséquence d’un processus économique qui n’est ni local, ni régional, ni même national (même si l’Etat-nation en a été l’acteur privilégié), mais fondamentalement mondial (et surtout à l’époque actuelle). Certes, bien que de plus en plus déterritorialisé, le processus mondial se réalise dans une inscription spatiale. Le développement mondial est une somme de transformations, voire d’initiatives, localement situées, mais la logique du processus est d’abord globale et donc a-spatiale. Sur le processus lui-même, les politiques ont de moins en moins de prise, et sur son inscription territoriale, leur maîtrise reste très limitée. Il ne faut donc pas confondre « développement local » et croissance localisé ni, s’agissant du Sud, développement local et dynamique informelle. Tout changement local, même et surtout bénéfique, n’est pas du développement, c’est la réaction de survie d’un organisme agressé par le développement ».[198]
Certes, le procès de changement local devrait être analysé selon deux processus concurrents et/ou complémentaires. D’une part, on trouve les « retombées » locales d’un phénomène qui se passe fondamentalement ailleurs. D’autre part, il est possible d’identifier des réactions créatives de la société en face des conséquences du développement et plus encore de la mondialisation. Ces deux processus, souvent combinés en une sorte d’alliance contre nature, forment justement ce qui est d’habitude désigné improprement comme le « développement local ».[199]
Cette thèse est aussi soutenue par Luisa Bonesio qui souligne que : « la croissance des systèmes locaux répondant à des logiques globales ne peut pas être appelée développement local ».[200] Il y a lieu de dire que « le localisme » et/ou « le développement local » nous met en face de territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire. « En facilitant une gestion à distance, écrit Jean-Pierre Garnier, à la fois décentralisée et unifiée, d’unités dispersées dans l’espace, les nouvelles technologies de la communication permettent aux grandes firmes de superposer un espace organisationnel hors sol dont la structure et le fonctionnement obéissent à des stratégies d’entreprise de plus en plus autonomes à l’égard des activités et des politiques autocentrées sur des territoires déterminées ».[201]
Au demeurant, le développement local comme pratique et/ou concept, ne pouvait pas résoudre l’équation du développement à l’échelle planétaire. Quoique considéré d’un nouveau paradigme de développement, « le développement local » n’a pas touché au sacro-saint libre-échange mondial, ainsi donc, ne pouvait pas jouer pleinement son rôle. C’est pourquoi l’on va connaitre l’émergence du concept développement durable.
Evoquant la question de développement durable, nous sommes, d’emblée, appelé à dire qu’il « a été mis en scène à la conférence de Rio en Juin 1992. Les documents de la conférence de Johannesburg, montrent que désormais le développement durable comme mythe rassemble tous les espoirs des développements à particule. Selon les ONG, il s’agit d’un développement « économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié », bref le merle blanc. Pour les organisateurs officiels, la mise en avant du bien-être social et de la question de la pauvreté sert à liquider pratiquement tous les engagements de Rio ».[202] Généralement, il se définit comme « un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs».[203] Autrement dit, il faut que la production pour la consommation actuelle tienne compte des générations à venir. Ceci implique la nécessité des relations entre l’économie et l’environnement. Catherine Aubertin en retient « 2500 recommandations de l’Agenda 21 qui seraient abandonnées au bon vouloir des ONG et au sponsoring (éventuellement subventionné) des firmes transnationales, et la solution des problèmes de pollution (changement climatique et autres) est confiée aux forces du marché.[204]
Il n’est pas étonnant que nous puissions inscrire le concept de développement durable dans ce que certains auteurs appellent le «vernis lexical idéologique de coopération»,[205] qui accompagne la compétition des Etats du monde dans le procès de la planétarisation. Déjà, en 1989, John Pessey de la Banque mondiale recensait trente-sept acceptions différentes du concept développent. Le rapport Brundtland (world commission 1987) en contiendrait six à lui tout seul, alors que François Hatem, qui à la même époque en répertoriait soixante, propose de classer les théories principales actuellement disponibles sur le développement durable en deux catégories,[206]«écocentrées» et «anthropocentrées», suivant qu’elles se donnent pour objectif essentiel la protection de la vie en général (et donc de tous les êtres vivants, tout au moins de ceux qui ne sont pas encore les êtres vivants, tout au moins de ceux qui ne sont pas encore condamnés) ou le bien-être de l’homme.[207]
La sociologie comparée dénonce la divergence manifeste dès le départ sur la signification du soutenable/durable. Pour les uns, le développement durable se veut un développement respectueux de l’environnement. Ici, c’est la préservation des écosystèmes qui est mis en avant plan. Pour les autres, l’important est que le développement tel qu’il est puisse durer indéfiniment. Cette position est celle des industriels, de la plupart des politiques et de la quasi-totalité des économistes.
Dans le premier cas, le développement est supposé signifier, comme dans la conception mythique, bien-être et qualité de vie satisfaisants. Malheureusement, l’on ne s’interroge pas trop sur la comptabilité des deux objectifs, développement et environnement. Cette attitude est assez bien représentée chez les militants d’Organisation Non Gouvernementale et chez les intellectuels humanistes, comme il a été dit ci-haut. La prise en compte des grands équilibres écologiques doit aller jusqu’à la remise en cause de certains aspects de notre mode de vie. Ensuite, dans le second cas, le développement durable parait « le moins ironique que ce soit ceux qui suivent le modèle de destruction consumériste qui parlent de développement durable ! déclare le responsable d’Ekta Parishad, une ONG indienne. Ce sont eux qui ont déchaîné les forces du marché, responsables de la destruction de notre modèle durable ».[208]
Le développement durable présente une ambigüité en permanence, aussi évoquée dans le rapport Brundtland. La lecture de ce document fait observer ce qui suit : « pour que le développement durable puisse advenir dans le monde entier, les nantis doivent adopter un mode de vie qui respecte les limites écologiques de la planète. ». Toutefois, il est écrit qu’: « étant donné les taux de croissance démographique, la production manufacturière devra augmenter de cinq à dix fois uniquement pour que la consommation d’articles manufacturés dans les pays en développement puisse rattraper celle des pays développés». Comme le remarque non sans humour Marie-Dominique Perrot : « le Rapport dans son ensemble montre que l’objectif poursuivi ne vise pas tant à limiter l’opulence économique et le gaspillage des puissants (au Nord comme au Sud) qu’à proposer une sorte de saut périlleux fantasmatique qui permette de garantir le beurre (la croissance), l’argent du beurre (l’environnement) ainsi que le surplus du beurre (la satisfaction des besoins fondamentaux) et même l’argent du surplus (les aspirations de tous aujourd’hui et à l’avenir). ». On ne peut que reprendre sa conclusion désabusée : « qu’est-ce donc que le développement durable sinon l’éternité assurée à une extension universelle du développement ? ».[209]
Incontestablement, l’adjonction du « durable » au développement entretient une ambigüité qui appelle des sincères critiques et beaucoup de doutes. Il vaut la peine d’y regarder de plus près en revenant aux concepts pour voir si le développement durable relève le défi du développement. Certes, la « définition du développement durable telle qu’elle figure dans le rapport Brundtland ne prend en compte que la durabilité ou la soutenabilité. Il s’agit, en effet, d’un « processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, les changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur des besoins des hommes ».[210] D’ailleurs, pour les décideurs, ce n’est pas l’environnement qu’il s’agit de préserver, mais avant tout le développement. Tel est bien, en effet, le pari du développement durable que la sociologie dénonce. N’est-ce pas qu’ « un industriel américain exprime la chose de façon beaucoup plus simple : « nous voulons que survivent à la fois la couche d’ozone et l’industrie américaine »[211] ?
En effet, le problème avec le développement soutenable n’est pas avec le mot « soutenable » qui est plutôt une belle expression, mais avec le concept de développement qui est complexe. Le soutenable, si on le prend au sérieux, signifie que l’activité humaine ne doit pas créer un niveau de pollution supérieur à la capacité de régénération de la biosphère. Mais, il sied de reconnaitre que cela n’est que l’application du principe de responsabilité énoncé par le philosophe Hans Jonas : « Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la terre ».[212] Certes, la signification historique et pratique du développement, liée au programme de la modernité, est fondamentalement contraire à la durabilité ainsi conçue. Seulement, toute l’idéologie et la pensée unique dominante s’efforcent avec un certain succès d’occulter cette réalité. La main invisible et l’équilibre des intérêts nous garantissent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Personne ne devrait se faire du souci pour ce faire.
Il devient utile de faire remarquer le fait que le développement durable doit, a priori, demeurer suspect parce qu’il fait l’unanimité. Il demeure un concept qui satisfait le riche et le pauvre, le Nord et le Sud, le patron et l’ouvrier, etc. Chacun y met ce qu’il veut, et pendant qu’on investit ses espoirs dans les mots, les pratiques se chargent de vous détrousser et de vous étrangler. Le socialiste, ami de Marx, August Bebel, avait coutume de se demander quelle sottise il avait pu dire quand la bourgeoisie l’applaudissait au Reichstag.
Evidemment, tous sont concernés par les dangers signalés et tous y sont conviés. Mais, une chose aussi est vraie : « la faim et la pauvreté des uns ne sont pas comparables à la destruction des ressources qui nous vaut aujourd’hui d’être conviés à la table de la recherche des voies et moyens conduisant au développement durable. Chacun sait que nous (les pays sous-développés) n’avions pas été conviés à la table pour aller vers un développement dont les dangers sont aujourd’hui dénoncés»,[213] dixit Lombeya Bosongo, L.
Sans doute, le développement durable ou soutenable est pavé de bonnes intentions. Il comporte, non seulement des défis, mais aussi et surtout, des incertitudes. Si, aujourd’hui, la survie de tous, développés et non développés, passe par la sauvegarde de la biodiversité, il faut reconnaitre que l’utilisation du concept de développement durable est belle et bien, imposée par la « tyrannie des circonstances dans toute sa sévérité », [214]selon l’expression de John Galbraith. Le développement durable auquel tous sont conviés inconditionnellement, soulève beaucoup de problèmes pour les Pays en voie de développement.
Présentés sous forme de questionnement par Lombeya Bosongo, L., ces problèmes ou déficits déterminent l’avenir et pourraient être des difficultés sur le chemin du développement durable. Il s’agit par exemple : « à l’intérieur : une réduction de la pauvreté qui ne se fait pas voir ; des insuffisances d’une gouvernance qui peine à prendre les besoins des populations en charge. A l’extérieur : des échanges inégaux séculaires, encore et toujours actuels ».[215] Ainsi, « que feront par exemple, les pays en développement d’un marché mondial basé sur un avantage comparatif lui-même basé sur leurs ressources naturelles, mais qui n’apporte pas d’avantages ? Le développement durable nous sauvera-t-il d’une théorie et d’un ensemble de politiques qui, malgré la durée, présentent des résultats douteux ? Les efforts, aujourd’hui, de relancer le capitalisme financier qui impose sa logique à l’ensemble de l’économie, séparant le monde en développés et en non développés, ces efforts tiendront-ils compte de la nécessité proclamée du développement durable ? Quid du Mécanisme de Développement Propre (M.D.P) impliquant une proposition de compensation ? Onze à 19 milliards de dollars américains par an comme valeur potentielle des échanges de gaz à effet de serre au profit des P.E.D. Les pollueurs, nonobstant des efforts internes, n’établissent pas là une nouvelle légitimité pour rester pollueurs en achetant aux pauvres leur incapacité de polluer ?».[216]
En outre, il ne faut pas oublier que les écosystèmes des Pays en voie de développement, dont la République Démocratique du Congo, sont la base, pour leurs différentes populations, de l’habitat, de moyens de substance, de terres agricoles, et pour l’ensemble de l’humanité, de source de régulation climatique. Il est aussi utile de considérer que le développement durable reste un processus à la fois politique, social, financier, scientifique, technologique, etc., afin d’aller vers des utilisations concurrentes qui sauvegardent la biodiversité et l’achat de l’incapacité de polluer de certains pays. En conséquence, le développement durable ne parait pas la voie indiquée pour qu’ils participent aux efforts de sauvegarde des écosystèmes, et pour le monde, d’aller vers la régulation climatique.
N’est ce pas que Michel Petit, expert du Groupe international d’experts sur le climat (GIEC), reconnait que : « le modèle de développement suivi par tous les pays jusqu’à aujourd’hui est fondamentalement non durable, au-delà des arguties qui entourent le concept de développement durable[217] ? Les faits sont têtus : la baisse de l’intensité en ressources naturelles est indéniable mais elle est malheureusement plus que compensée par l’augmentation générale de la production. Mais, la ponction sur les ressources et la pollution continuent d’augmenter. Comme l’affirme le rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement : « partout dans le monde, les processus de production sont devenus plus économes en énergie depuis quelques années. Cependant, vu l’augmentation des volumes produits, ces progrès sont nettement insuffisants pour réduire les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle mondiale.[218] De ce fait, il s’observe que tout en étant les vrais partisans du développement durable, les pays développés sont eux qui ont instauré des « droits à polluer » et de la marchandisation de l’environnement.
Il est de notre obligation de conclure ce débat sur le développement durable en ces termes : le développement étant défini par Rostow comme self-sustaining growth (croissance auto-soutenable), l’adjonction de l’adjectif « durable » ou « soutenable » au développement est inutile et constitue un pléonasme. L’expression développement, accolé de l’adjectif durable ou tout autre, nous importe peu. Sans aucun doute : « aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance, une vigoureuse croissance et, en même temps socialement et environnementalement soutenable ».[219]
D’ailleurs, les caractères durable ou soutenable renvoient non au développement « réellement existant » mais à la reproduction. Mais, il est aussi utile d’indiquer que la reproduction durable a régné sur la planète en gros jusqu’au XVIII ème siècle. Il est encore possible de trouver chez les vieillards du tiers monde des « experts » en reproduction durable. Les artisans et les paysans qui ont conservé une large part de l’héritage des manières ancestrales de faire et de penser. Ils vivent le plus souvent en harmonie avec leur environnement ; ce ne sont pas des prédateurs de la nature. Au XVIIème siècle encore, en édictant ses édits sur les forêts, en réglementant les coupes pour assurer la reconstitution des bois, en plantant des chênes que nous admirons toujours pour fournir des mâts de vaisseaux trois cents ans plus tard, Colbert se montre un expert en « sustainability ». Ce faisant, ces mesures vont à l’encontre de la logique marchandise.[220]
Il faudra souligner aussi des pratiques de tous ces paysans qui plantaient et plantent encore de nouveaux oliviers et de nouveaux figuiers dont ils ne verraient jamais les fruits. Ils le font en pensant aux générations suivantes. Certes, cela, sans y être tenu par aucun règlement, tout simplement parce que leurs parents, leurs grands-parents et tous ceux qui les avaient précédés le faisaient. Nous sommes en droit de dire qu’en accolant l’adjectif « durable » au concept de développement, l’on ne fait qu’embrouiller un peu plus les choses. Il est plus que douteux que cela suffise pour résoudre les problèmes. Voilà pourquoi, d’une certaine façon, nous partageons le point de vue d’Ignacy Sachs, qui tire la conclusion logique sur l’inutilité ou la redondance du qualificatif. Il souligne que : « le moment est venu, peut-être, de proposer une révolution sémantique et de revenir au terme « développement » sans aucune qualification, à condition bien entendu de le redéfinir en tant que concept pluridimensionnel»,[221] soutient-il. Le succès universel de « développement durable » atteste que la question du développement ne concerne pas ou plus seulement les pays du Sud, mais tout aussi bien ceux du Nord. Ce développement durable qui a été « mis en scène » à la conférence de Rio en Juin 1992 et, qui continue à faire couler de l’encre, nous promet le développement pour l’éternité. « Fort heureusement, le développement parait ne pas être durable. Il nous enlève ainsi toute perspective de sortie. C’est la raison pour laquelle, à la suite de Serge Latouche, nous noutenons que, le développement durable constitue « un bricolage conceptuel visant à changer les mots à défaut de changer les choses. Mais cette fois, on a affaire à une monstruosité verbale du fait de l’antinomie mystificatrice de l’expression ».[222] Il n’empêche que le concept de développement durable contribue largement à une sonnette d’alarme qui appelle les générations présentes et futures à collaborer à la construction de notre « futur commun ».
En somme, la littérature[223] en rapport avec le débat sur le développement nous fait affirmer qu’il faut faire la distinction entre le «développement réellement existant», des générations présentes et les « développements adjectivés : développement social, développement humain, développement intégré, développement intégral, développement endogène ou développement exogène, sans oublier le développement durable, etc. ». La sociologie retient que toute cette série de développements adjectivés, témoigne de la créativité des « tenants de la pensée libérale ». Ils sont tenus, sans cesse, d’alimenter la superstructure idéologique en vue du contrôle de la planète. C’est pourquoi, en ce qui concerne les pays en voie de développement, lorsque nous considérons les relations à l’échelle planétaire, et les populations rurales, lorsque nous sommes au niveau national, doivent penser leur propre paradigme pour s’assurer le « développement réellement existant », et celui des générations futures. Il leur faut non pas la modification, à tout moment, des concepts, moins encore, des adjectifs à adjoindre au « développement », mais plutôt, un nouveau paradigme qui apportera le changement du système libéral qui engendre les inégalités et la pauvreté à l’échelle planétaire et/ou nationale.
§3. Des conditions de sous-développement face à l’équation « démocratie = développement » : de la nécessité de l’action de l’homme dans le dévenir historique des sociétés
Il serait moins commode pour nous de terminer le débat sur le développement et « les développements adjectivés » sans que nous évoquions la question du sous-développement et de la démocratie. Cela importe en ceci que, la démocratie se résume à la gestion de la chose publique par le peuple. Ainsi, signalons que le sous-développement comme terme, est à la fois évocateur et mobilisateur. En même temps qu’il suggère un temps d’insuffisance et de subordination, il insinue une comparaison.
Le sous-développement ne peut se situer et se comprendre lui-même que par rapport au développement. Il n’a donc de sens que si on le compare avec le développement. En effet, le terme sous-développement fut lancé dès 1949 dans le quatrième point du programme Truman qui s’énonçait comme suit : « … en quatrième lieu, nous devons nous lancer dans un programme hardi et nouveau, visant à mettre les ressources de nos conquêtes scientifiques et de nos progrès techniques au service de l’amélioration et de la croissance des zones sous-développés …».[224] Il se veut trop ambigu et renvoie à des désignations suivantes : pays non-alignés, pays retardés, pays du Tiers-Monde, pays non-industrialisés, pays non-développés, pays périphériques, etc. Tel est aussi le point de vue d’Alfred Sauvy, qui souligne que les pays sous-développés sont généralement ceux du Tiers-Monde, ils sont à la recherche de leur originalité.
En effet, « le sous-développement est en réalité, le drame historique du siècle et des temps à venir ».[225]Il se caractérise par l’insuffisance des éléments technologiques et l’incapacité qu’a un pays de beaucoup produire et d’exploiter ses produits. Cette position rejoint celle des économistes modernes et bien d’autres analystes des sociétés qui affirment que le transfert de secteur ou encore de la technologie, l’industrie détermine le degré du développement d’un pays. Mais, selon D. Tshenke qui cite Yves Lacoste, le sous-développement est un phénomène global, une situation éminemment complexe. Dans chaque territoire, le sous-développement se manifeste par une imbrication des symptômes économiques et démographiques, et procède d’une combinaison des facteurs embéguines les unes dans les autres.[226]
Cependant, Goffaux, pour sa part, voit dans le sous-développement, « une crise, aigue ou latente, entre passé et avenir qui n’a rien d’étonnant lorsqu’il s’agit de franchir un seuil important ».[227] Alors que Yves Lacostes, se basant sur ce qu’il considère comme les causes du sous-développement, le définit comme « un état économique et social, caractérisé par une grave contradiction interne : d’une part, ce qui provoque nécessairement l’accroissement rapide des populations, d’autre part, et entrave la croissance économique qui leur permettrait de subvenir à leur besoins ».[228] Il pense, ensuite, que « la faim et la misère sont, de trop vieilles et trop fréquentes compagnes des hommes pour qu’elles puissent constituer la seule base d’une définition satisfaisante de ce phénomène complexe et original qui est le sous-développement ».[229] C’est pourquoi, à coté de ces éléments, il est utile qu’on puisse considérer aussi : l’insuffisance alimentaire, la prise de conscience, le manque de capitaux, le taux élevé de mortalité, la situation environnementale, etc.
Le même Yves Lacostes présente deux tendances du sous-développement dans le temps[230]. Il s’agit de :
- la première tendance est celle qui confond le sous-développement et la situation pré- industrielle. C’est aussi là, la thèse de Rostow, la thèse qui assimile les transformations du Tiers- Monde actuel à la situation pré- industrielle de l’Europe ;
- la seconde tendance est celle des marxistes qui considèrent que « le sous-développement commence au moment de la conquête coloniale. Des auteurs comme Gunder Frank et Samir Amin, etc., peuvent être cités à ce sujet. Certes, si Gunder Frank voit le sous-développement comme le fruit des transformations liées à la dépendance, Samir Amin de son coté, trouve dans le sous-développement, la conséquence de l’établissement de la domination impérialiste.[231]
Kuyunsa Bidum et Shomba Kinyamba, de leur part, affirment que le sous-développement est un déséquilibre, la carence dans laquelle se trouve un pays ou un peuple.[232] Il se remarque dans l’état des infrastructures de base, dans l’état général de l’économie, dans la non maitrise des avantages de l’organisation sociale, politique, économique, etc. Il s’agit d’un phénomène complexe touchant aux aspects qualitatifs et quantitatifs de la vie d’un peuple. Le sous- développement, comme le développement, nécessite une approche holistique pour son appréhension.
Il y a lieu de conclure ce débat sur le sous-développement par le point de vue d’Albert Doutreloux. Celui-ci soutient que : « le sous-développement pourrait se reconnaitre au moins par l’inaptitude pour une société de concevoir sa propre évolution hors des cadres théoriques, idéologiques, pratiques, importés de toutes pièces ».[233] Nous partageons ce point de vue en ce que, le simple transfert technologique ne suffit pas à développer un pays ou une nation. Une technologie peut être mal maitrisée et non adaptée à la réalité du pays récepteur et passe, ainsi pour devenir obstacle au développement. La non maitrise d’une technologie par les autochtones, par exemple, fera que ceux-ci ne parviennent plus à utiliser leur potentialité. Ceci favorisera l’accumulation et la dépendance vers l’extérieur. Raison pour laquelle, la sociologie tient compte des conditions de développement dans une société.
En effet, puisqu’il faut discuter de la question des conditions de développement et de sous-développement, nous rappelons qu’ils sont des circonstances dont leur présence est favorable au développement considéré comme changement social. Les facteurs de développement sont les causes qui peuvent le produire. Le temps, par exemple, est une condition, et non une cause ; quant aux facteurs physiques, ils peuvent jouer tantôt comme conditions tantôt comme causes. L’accumulation des connaissances, le type de valeurs dominantes sont des conditions de développement.
Le problème est celui-ci : qu’est-ce qui explique le développement ? Dans les transformations qui affectent les sociétés humaines, quels sont les éléments dont l’action peut- être considérée comme prépondérante, au point de conduire les sociétés à ces transformations ? La réponse n’est pas simple. De nos jours, les sociologues retiennent, principalement, les éléments démographiques et technologiques, les infrastructures économiques, les valeurs, les idéologies et les conflits comme éléments concomitants et interagissant du développement. Une modification des modèles de conduite est soit inventée, soit empruntée. Il existe ces deux voies qui amènent des transformations des sociétés vers le développement. Il s’agit de l’invention et de la diffusion.
La diffusion se veut de l’introduction dans une culture donnée, d’une modification de culture venant d’une autre culture. Mais, il faut signaler que les emprunts culturels doivent se faire de manière sélective. Cela signifie que toutes les sociétés n’acceptent pas toutes les innovations. Il y a donc, dans toutes les sociétés, le phénomène de résistance au changement. Les modèles de comportement auxquels la société attache plus de valeur ne changent pas vite. Ce sont en effet ceux auxquels les gens se conforment le plus. Pour cette raison, ils ne changent pas facilement. Il en est de même pour les institutions majeures : famille, religion, etc. En outre, l’on ne devra pas aussi procéder par un mimétisme aveugle et aveuglant comme le cas de la RD. Congo. Un tel agir, entretient la dynamique du sous-développement.
Nous soutenons que l’état actuel des connaissances ne permet pas d’élaborer un modèle absolu et universel. En d’autres termes, le poids des éléments explicatifs doivent varier d’une situation à une autre, d’une société à une autre, selon telle ou telle culture. Ce n’est donc qu’une analyse des faits qui puissent montrer, de manière empirique, celui des éléments qui, dans une transformation donnée, a pesé plus que les autres. Il importe de signaler aussi que la culture est faite de processus complexes. Ce ne sont pas des enchainements isolés et linéaires. En privilégiant les mécanismes, les inerties et dynamismes internes propres aux sociétés comme causes déterminantes du sous- développement par exemple, nous faisons là écho à la proposition d’Albert Doutreloux[234] citée, ci-haut.
Il faut, en corollaire de cette thèse et au regard de l’expérience congolaise, « poser que l’inaptitude théorique, idéologique, pratique, procède de l’inculture dans son sens le plus large. Les transformations matérielles, les transformations des institutions, les transformations qui affectent les rapports économiques, les mentalités et les rapports sociaux, celles qui indiquent la direction appropriée des collectivités humaines ainsi que la gestion acceptable des choses sont produit d’une culture consciente. Cette culture au sens large est faite des savoirs et des savoirs faire des dispositions et attitudes mentales, des règles éthiques vécues d’une vision du monde qui éclaire la conduite vis-à-vis des normes légales, vis-à-vis des droits, vis-à-vis des hommes et des choses. Cet ensemble, en même temps qu’il prédispose les acteurs à l’action, oriente également celle-ci. La vision théorique, économique et politique procède de cet ensemble et informe la conduite de ceux qui constituent le groupe de référence ».[235]
A dire vrai, l’incapacité théorique et le déficit en capacité de combiner les facteurs générateurs de progrès procèdent des caractéristiques de la culture des catégories qui composent le groupe porteur. Par exemple, on a noté en 1985, que l’application au Zaïre de l’informatique et des principes de management pour gérer le personnel de l’Etat et faciliter la paie, a produit plutôt des effets contraires : l’injection des agents fictifs, de faux grades, etc. On a abouti à une mauvaise connaissance des effectifs de l’Etat et à l’hémorragie des derniers publics. Dans ce cas, la technique de l’informatique a joué plutôt comme un élément de sous-développement et non de progrès. Parce que le milieu dans lequel elle a opéré ne lui permettait pas de jouer son rôle. La pénurie économique, la politique salariale, les attitudes mentales, les structures sociales et les conditions politiques etc. ont annulé toute rationalité dans la gestion et entraîné des pertes de gains considérables.[236]
De la même manière, il serait faux de penser que la mécanisation, c’est-à-dire l’usage, sur une vaste échelle, de machines agricoles pourrait à elle seule, venir à bout de la pénurie alimentaire et favoriser le développement rural[237]. Il faut encore que les conditions politiques, économiques, les structures sociales, les attitudes mentales et culturelles s’y prêtent. Nous retrouvons là le principe de la pluralité des facteurs et des conditions. Il faut retenir que si le changement social est inhérent à la vie sociale et qu’il constitue un phénomène universel, par delà les variations qui sont le passage d’un état à un autre, d’un mode d’existence à un autre. Il n’en est pas le cas pour le développement. Celui-ci, phénomène organique, n’est pas inhérent à la vie sociale, moins encore, un phénomène universel. Le développement, le passage d’une société ou d’une nation quelconque d’une situation moins satisfaisante vers une situation plus satisfaisante avec l’économie du temps et d’outils, etc., demeure donc tributaire de « l’agir humain réfléchi » et des certaines conditions offertes par chaque société.
Si nous devons encore revenir au cas de la République Démocratique du Congo, contrairement aux Etats Unis d’Amérique par exemple, il y a lieu de soutenir par l’observation que la nation congolaise, reste un modèle de la culture débilitante, inhibitrice et destructrice de développement. Alors que la volonté politique d’occuper la première place, demeure une possession américaine, celle-ci se traduit par volonté la domination qui culmine. Cette volonté américaine d’occuper la première place se confirme par la volonté de domination sur le plan politique, militaire, et sur le plan économique, etc.
Malheureusement, comme le démontre L. Lombeya Bosongo, « dans la concurrence mondialisée, un pays dont les dirigeants sont dépourvus de toute force de négociation comme la République Démocratique du Congo, ne pourrait aujourd’hui jouer que deux rôles : - subir une industrie extractive dont la fonction essentielle est de servir de pourvoyeuse des matières premières aux industries des pays développés d’une part, et d’autre part, - servir d’exutoire pour les produits d’exportation des pays du Nord ».[238] Une chose reste vraie : « les Etats-Unis ont construit l’économie la plus puissante et la plus riche qui n’ait jamais existé. Ils le doivent à leur modèle et aux valeurs qui sous-tendent – liberté, progrès, pragmatisme mais aussi le culte de la réussite et de la force (…) ».[239] Donc, nous sommes en droit de dire que la superpuissance américaine est tributaire de leur culture qui favorise la créativité. Le « protestantisme »[240] détermine leur agir historique. Une lecture attentive de « L’Ethique et l’esprit du capitalisme » de Max Weber suffit pour avoir la clé de ce qui vient être dit. Dans cet ouvrage, l’auteur « s’attache à montrer que les valeurs contenues dans l’éthique religieuse du protestantisme- et spécialement du calvinisme- ont favorisé l’essor du capitalisme. Max Weber établit une relation entre opinions religieuses et valeurs, et entre valeurs et comportements économiques,… ».[241] Il en découle donc la possibilité d’expliquer des situations sociales en considérant « les relations entre les croyances comportementales et l’évolutions des structures institutionnelles et organisationnelles spécifiques ».[242]
C’est pourquoi, en cherchant à comprendre les déterminations de l’émergence des Dragons d’Asie orientale, etc., sans pour autant soutenir le monisme explicatif, la sociologie du développement nous renseigne que ces nations s’accrochent au Confucianisme pour justifier leur action historique. Faisant foi à leur culture, elles n’ont pas suivi aveuglement les prescrits du Consensus de Washington. Leur émergence provient de la volonté de leurs groupes porteurs[243] qui ont recherché une marge de liberté de décision et une dose de la capacité étatique dans leur action historique. Par contre, dans le cas de la RD. Congo, non seulement, le groupe porteur, particulièrement, les acteurs politiques agissent à contre courant et à contre sens. A cela, s’ajoute « l’action actuelle des Eglises de réveil pour lesquelles la causalité sociale est logée, non plus dans l’action humaine mais dans la volonté divine ; démobilisant de la sorte tout effort de transformation de la société par l’homme : NZAMBE KAKA, YAHWE SALA LOLENGE NA YO, BISO TOKOMI NA SUKA, AU NOM DE JESUS, SANS EFFET, etc. »,[244] (traduit littéralement comme suit : que la volonté de Dieu soit faite, YAHWE fait ce que tu veux, nous nous sommes arrivés à bout de notre force et que toi Dieu tu fasses ta volonté, …), qui entretient la culture de la pauvreté au Congo-Kinshasa et la dynamique du sous-développement.
N’est-ce pas que par le travail l’Etat d’Israël a changé une partie de désert en terre arable ? Mêmement, par le travail, les hollandais ont gagné sur la mer une partie de la terre exploitable (polders) ?[245] Cependant, en dépit des potentialités naturelles que regorge le Congo-Kinshasa, le congolais attend à tout moment l’aide de la communauté internationale et le miracle de Dieu. Raison est à E. Bongeli Yaikelo Ya Ato, qui souligne de sa part que, l’Etat congolais est, non seulement, un grand bébé, mais, aussi et surtout, un pleurnichard devant la communauté internationale.[246] A l’heure actuelle, la RD. Congo est incapable, à cause de l’impuissance de son groupe porteur de connaitre l’émergence ou le développement.
En somme, pour ne retenir que le domaine économique, il nous semble que le sous–développement, la croissance et le développement économiques sont des sujets sur lesquels les débats paraissent infinis. Soit qu’ils sont menés sous tel éclairage idéologique, soit qu’ils sont conduits sous les ténèbres de l’ignorance. Aujourd’hui, la mondialisation, qui se veut l’unification de la planète par les Nouvelles Technologies de l’Information (NTIC) d’abord, puis, affirment certains, par des échanges commerciaux sans frontière, paraît être le changement social qui entraîne toutes les activités humaines, toutes les productions sociales vers des horizons qui ne sont pas nécessairement de progrès pour tous.
Avec la percée de la mondialisation qui propose le développement pour tous, la sociologie révèle que les inégalités ne sont pas encore près de disparaître. Ensuite, il s’avère que pour les pays pauvres, la lutte contre la pauvreté soulève des préoccupations dont l’imagination sociologique, nonobstant le triomphe historique du bloc capitaliste libéral, peine à apercevoir le caractère univoque du monde de demain. Il nous semble aussi être légitime de souligner que la démocratie n’apporte pas obligatoirement le développement dans une société nationale. Le développement, en dépit du système politique, nous l’avons souligné, est tributaire de la culture favorable ou non, que présente la nation considérée. Elle dépend, ensuite, de l’engagement de la population concernée à la mystique de développement, y compris, l’action de son groupe porteur, particulièrement, la capacité émancipatrice du groupe qui anime l’Etat. N’est- ce pas que Mbaya Mudimba Rémy souligne la nécessité de la conscientisation pour le développement, en insistant sru le développement endogène ? Il le rappelle en ces termes : « Mboka ebongaka na boyebi na mpiko ya bana mboka ».[247]
A part le cas de Libye de M. Kadhafi, il y a encore de nombreux exemples qui démontrent que, le développement ne dépend pas nécessairement de la démocratie. Tel est l’exemple du Japon qui a pu maitriser parfaitement la sphère de la gouvernance et témoigne de l’émergence sans précédent, « … dans un régime autocratique et hiérarchique : la révolution Meiji n’est pas née d’une bourgeoisie éclairée mais bien des samouraï des couches inférieures, d’une classe des guerriers et d’intellectuels qui voulut restituer le pouvoir de l’empereur sur des populations et des terres restées jusqu’ici sous le contrôle et l’autorité des seigneurs féodaux ».[248] Le même constat serait fait pour « des expériences plus récentes : le Mexique, la Turquie, le Chili, la Thaïlande, la Corée du sud, …, qui démontrent à suffisance que les succès économiques ne sont pas liés à la vitalité du pluralisme politique, mais bien à la capacité de systèmes étatiques à promouvoir pragmatiquement le développement durable ».[249]
A coup sûr, il se remarque que, si la démocratie ne sera pour les pays du Tiers-Monde, en général, et, ceux de l’Afrique, en particulier, singulièrement, pour la RD. Congo, que comme celle « dictée par l’Occident », nous n’hésiterons pas de douter de décollage de ces nations. L’histoire récente nous rappelle par exemple que, la situation sociale de la population libyenne de Kadhafi,[250] était plus favorable que celle du Congo démocratique de Kabila, en dépit du multipartisme, etc. Une lecture attentive de l’article intitulé : « Les mensonges de la guerre de l’occident contre la Libye »[251] de Jean-Paul Pougala, donnerait des pièces à conviction sur ce sujet. Indiscutablement, cette production sociologique propose des vraies raisons de l’acharnement de l’Occident contre l’ancien Guide libyen Mouammar El Kadhafi.
D’ailleurs, pour Mouammar El Kadhafi, « le progrès politique, social et économique n’est pas nécessairement le fait de « l’appareil du gouvernement » dans son sens moderne. Il pense pour sa part que la solution au problème de la démocratie est « le pouvoir du peuple ». La révolution opérée en Libye est justement la voie à l’émancipation. C’est en fait cela que le leader lybien appelait « la troisième théorie universelle ». Celle-ci annonça la libération définitive des masses du joug de l’injustice, du despotisme, de l’exploitation et de la domination politique et économique, et l’avènement de la société de tous les hommes. Chacun y sera libre. Tous seront égaux dans la détention du pouvoir de la richesse, et des armes, pour que la liberté triomphe totalement et définitivement. Dans ce contexte, le pouvoir exercé par le peuple prend le dessus sur la théorie de la bonne gouvernance dans l’aire africain : « pas de démocratie sans congrès populaires et des comités populaires partout ».[252] C’est dans cette optique que l’ancien guide lybien « a proposé au sommet extraordinaire de l’O.N.A à Sirthe, en Lybie, la réforme de la charte panafricaine des droits de l’homme et des peuples, et la création des Etats-Unis d’Afrique ».[253]
Les Etats africains, en général, la République Démocratique du Congo, en particulier, en dépit des richesses en ressources naturelles, ne font pas encore preuve de la performance économique. N’est- ce pas qu’Eden Kodjo soutient qu’à « force d’avoir regardé vers extérieur et pour l’extérieur, à force d’avoir accepté tout de l’extérieur concept, comme produits, l’Afrique a perdu la boussole de son intériorité… » ?[254] Raison donc de rappeler qu’il n’y a que des sociétés étatiques dotées d’institutions fortes qui pourront voire leurs richesses en ressources naturelles être en corrélation positive avec la croissance économique
Consernant le groupe porteur et son action historique, il y a lieu de soulever cette question en soutenant que, non seulement la société dans laquelle nous vivons change, mais les autres sociétés avec lesquelles nous sommes en contact changent également. De manière lente, par exemple, la République Démocratique du Congo (Zaïre) de 1885 à 1985 ou de manière brusque : la RD. Congo. (Zaïre) de 1959 à 1960, l’Iran de 1980 et les pays du Maghreb avec des bouleversements politiques connus. La société change sous plusieurs aspects. Elle change sous les aspects démographiques, les aspects économiques et aspects culturels. Le changement se présente encore sous un aspect humain, mais, aussi sous un aspect environnemental. Elle change par l’action des forces internes ou externes.
Le changement, généralement, peut être perçu comme une variation par rapport à un mode de vie antérieur ou un état passé. Mais, pour Guy Rocher, le changement peut se définir comme « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire».[255] Il ressort de cette définition que le changement social suppose : premièrement, les modifications profondes des structures de la société considérée ; que cela se passe dans une longue durée. En suite, les modifications de ces structures doivent être identifiables dans le temps et que ces modifications touchent la majorité des membres de la société prise en compte. En fin, elles doivent avoir de l’impact sur le cours de son histoire.
Partant de ces propos de Guy Rocher, et lorsque nous y associons le point de vue de François Perroux, qui définit le développement comme «… la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croitre, cumulativement et durablement, son produit réel global…».[256] Nous nous rendons compte que le développement s’identifie au changement social, et il se prolonge dans le temps. En effet, pour qu’on parle de développement dans une société, il faut aussi qu’ils s’observent des modifications dans le sens de l’accumulation économique. Celles-ci doivent avoir des répercutions sociales, sans qu’elles détériorent l’environnement. Ces modifications en question, doivent être identifiées dans le temps et toucher la majorité de la population. Elles doivent impacter le cours de l’histoire de la société prise en compte. Comme « le changement social »,[257] le développement comporte une dimension temporelle, et son procès appelle, inévitablement, le débat sur ses agents (des acteurs), ses facteurs (des déterminations) et ses conditions (culturelles).
Puisqu’il est question, ici, d’une série des transformations globales engendrées par l’homme, elle implique certaines capacités, certaines qualités et des valeurs, qu’il faut intérioriser. C’est la raison pour laquelle, nous devons à présent, évoquer la problématique de la place de l’homme dans le processus de développement, sans oublier des conditions qui en découlent. C’est-à-dire, la question de « groupe porteur » et de son action historique, et celle de la nécessité de la culture permissive de développement, telle que évoquée ci-haut. Lorsque nous parlons de l’agent de développement, il est utile de comprendre que nous nous inscrivons dans la logique de la dynamique délibérée, donc, la dynamique recherchée, voire même, la dynamique voulue. C’est dans cette optique qu’il faut considérer la notion de l’agent de développement, pris pour le changement social. En effet, le développement doit être pensé, voulu et planifié par l’homme. C’est par là que se justifie l’importance d’un « groupe porteur » au sein de la nation.
Il n’est un secret pour personne que l’homme est l’acteur principal du développement. Il se veut « l’alpha et l’oméga du développement ». Il faut comprendre par là, qu’il est l’agent et le bénéficiaire ultime de développement. Si, pour Guy Rocher, les agents du changement sont « les personnes, les groupes, les associations qui introduisent le changement, qui l’appuient, le favorisent ou s’y opposent … Ils sont donc, les acteurs et les groupes dont l’action est animée par des buts, des intérêts, des valeurs, des idéologies qui ont un impact sur le devenir d’une société ».[258] Autrement dit, pour toute action allant dans le sens de développement, « pour faire un plan, il faut des hommes qui le conçoivent et l’établissent ; pour le réaliser, il faut des hommes qui animent les populations et les populations capables d’être animées. Le modèle idéal du plan montre clairement que la construction ou la production de l’homme par l’homme est essentielle…»,[259] le soutient François Perroux. Les hommes, acteurs du développement constituent l’élite nationale ou son groupe porteur. En effet, au niveau élevé des animateurs, celui des animateurs de l’Etat, des détenteurs du pouvoir politique, principalement, « le groupe porteur est celui qui établit les conditions générales de la pensée et de l’action, de manière que par les consolidations successives des actions intégrées d’ordre politique, économique, social, et culturel (religieux et idéologique), la nation soit cet ensemble d’intérêts communs, de conscience et de solidarité partagés, tendus, vers des objectifs communs, sur un territoire donné, distinct des autres groupes à vocation semblable ».[260] Dans cet ordre d’idées, les élites situées dans tous les domaines d’activité de production sociale font partie du groupe porteur. Les décisions politiques, les actions culturelles et les actions religieuses, etc. sont porteuses de changement. La croissance économique, le développement socio-économique ou de tout autre secteur de la production sociale relèvent de cet ordre.
Il y a lieu de considérer que lorsque cette série d’actions apporte le changement doublé des effets positifs dans la société, qu’il s’agit là du développement. Par contre, l’on a affaire à la dynamique du sous-développement, lorsque le changement compromet l’avenir de la société. Le développement est la preuve de la manifestation de la volonté politique pour exprimer des efforts tendus et des ressources mobilisées vers un ou des buts recherchés en vue du bien-être de la communauté. Les résultats attendus seront fonction et de cette volonté, et du savoir – faire, et des ressources engagées. Les agents de développement sont des hommes, des groupes d’hommes, qui, par leurs actions, orientent positivement le cours des événements. Ils forment ce qu’on peut qualifier de « groupe porteur » et ce sont eux qui font l’histoire des nations. Il importe que nous puissions insiter sur le fait que la solution de l’équation : « sous-développement + démocratie = développement » ne trouve la réponce que dans «le type d’homme» que la sociéte comporte, dans son « goupe porteur ».
SECTION III. DU DEVELOPPEMENT RURAL ET DE LA POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT RURAL
Puisque nous parlons de projet de développement rural, il est important de fixer les esprits sur la notion de développement rural et de la politique de développement rural. Ces notions font l’objet de cette section. Pour des raisons de bonne compréhension, nous pensons commencer le débat par la problématique de développement rural, puis, nous parlerons de la politique de développement rural, ainsi que de développement agricole dans la suite.
§1. Du développement rural et du développement communautaire
Le terme développement ayant été suffisamment discuté, il ne nous semble plus utile de nous y attarder. Mais pour rappel, le terme renvoie au changement global qui caractérise une société donnée, dans une période donnée. Il désigne l’ensemble de transformations qui, dans des limites temporelles indiquées, affectent une société ou un groupe social. De manière globale, les modifications d’ordre économique, social, technique, culturel, les infrastructures de base, la quantité, et la qualité des ressources, aussi bien matérielles qu’humains, bref, toutes les composantes sociétales envisagées dans le sens d’amélioration, dans une durée, constituent le développement de la société ou du groupe social. Lorsque nous considérons le développement dans sa vision globale, il importe de discriminer la croissance économique qui, de portée plus restreinte, désigne « l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues, d’un indicateur de dimension, le produit global net en termes réels ».[261]
En effet, le concept du développement rural est très complexe et riche en dimension. Le développement rural porte sur un groupe social, une vaste étendue, ou un espace géographique et démographique. Il relève de la sorte, du développement global.
L’« expression de développement rural, livre d’emblée son intention de dépassement d’un état global (économique, socioculturel et même politique, etc.), aboutissant à une transformation de l’homme et de la collectivité telle que ceux-ci deviennent des sujets historiques dans la transformation de leur environnement ».[262] Il préconise que dans les deux cas, l’on considère la vision théorique d’une situation donnée, et la vision tout aussi théorique des actions à entreprendre afin d’amener la collectivité et les individus qui la composent à un état donné de ce qu’il qualifie de progrès global ou développement. Il convient d’insister sur le fait que le développement rural est plus qu’un simple développement agricole.
Certes, le développement rural englobe un espace, l’espace rural, où l’agriculture est au centre du système socio-économique mais au sein duquel existent des activités différentes, avec des fonctions et des objectifs diversifiés, qui sont tous à intégrer et coordonner dans une optique de développement cohérent, durable et solidaire. En outre, la littérature sociologique en rapport avec le développement rural rappelle que l’importance de celui-ci et de l’agriculture est également prouvée par l’étroite interdépendance que ces thèmes ont avec le développement durable et la pauvreté dans le monde et au Sud en particulier, et avec la sauvegarde et la promotion du droit à la souveraineté alimentaire des pays en voie de développement et de leurs peuples.
Il sied de noter que la vision et l’action sur l’homme global dans un procès de développement rural subit des déterminations. Elle se trouve modifiée par des influences exercées à d’autres niveaux géographiques ou spatiaux : niveau régional, niveau national, niveau international. Cela nous pousse à dire que tout développement, perçu comme un ensemble de transformations et donc comme un processus qui conduit d’un état vers un autre, jugé préférable, est synonyme d’une action délibérée de l’homme tendant à agir sur les données géographiques, démographiques, culturelles, politiques, en vue de la transformation de l’homme lui-même dans un sens voulu. Voilà pourquoi, Jean Marc Ela voit dans le développement rural, une méthode multisectorielle selon laquelle diverses activités sont entreprises presque simultanément. Il le considère comme un processus stratégique qui combine ces services multiples de développement en programme cohérent visant à améliorer le sort de la population rurale.[263] Mais, Claude Lames M., de sa part, présente le développement rural comme un processus de mutation et de changement continu allant dans le sens de la promotion avec la participation de la majorité des individus concernés à la base et à leur profit.[264]
Ainsi donc, nous définissons le développement rural comme l’ensemble de transformations quantitatives et qualitatives qui caractérisent un groupe social rural ou une société rurale d’un pays, en une période donnée, à partir des activités recherchées ou non recherchées, qu’elles soient techniques, économiques ou socioculturelles. Comme tout développement, il est une tension vers des objectifs de plus être et de mieux-être. En effet, comme toute tension, le développement demeure aussi un processus global, qui se veut une amélioration par rapport à un temps de référence.
Il faut alors insister sur le fait qu’on ne doit pas confondre le développement rural avec le développement communautaire. Celui-ci reste une action ou une stratégie de développement rural. Le développement communautaire se définit selon G. Paudet, comme une stratégie qui donne l’occasion aux hommes d’unir leurs forces en s’associant dans une œuvre commune afin de l’amélioration ensemble de leurs conditions d’existence. A tout moment qu’on aborde la question de développement, et dans lequel s’insère le développement rural, il faut absolument tenir compte de la structure marchande internationale. En effet, l’analyse de développement rural soulève la cruciale et la non surmontée question de la création, et de l’appropriation et/ou du partage du surplus par les économies développées (ou les économies du centre) et les économies sous-développées ou les économies de la périphérie. Certes, au niveau de la société globale, la problématique du développement semble être théorisée en termes dualistes de l’opposition, entre la tradition et la modernité.
Généralement, cette conception dualiste oppose les sociétés rurales supposées traditionnelles par la conservation des modes de vie anciens, qui privilégiant la stabilité et une reproduction lente des structures sociétales, dans des cadres de pensée connue et éprouvée, à la modernisation, qui fait appel à des transformations accélérées, propres au machinisme, à l’économie urbaine et aux modes de pensée et de vie urbaine. Néanmoins, la sociologie nous renseigne que pour réussir le procès de développement rural, il sied de ne pas envisager la suppression des rapports de forces défavorables, à la manière d’une ablation chirurgicale. Il faut, dans l’optique théorique, comme dans l’optique paradigmatique de l’organisation de la société rurale et du développement rural qui nous met sur l’orbite théorique du développement endogène, tenir compte des contraintes structurelles au niveau national et au niveau international. Il faut en outre, partir des faiblesses internes aux structures locales ou régionales pour les transformer en forces d’action susceptibles d’inverser les rapports des forces.
En définitive, rappelons avec L. Lombeya Bosongo que « le procès de développement rural ne doit pas se conformer aux abstractions de la théorie ni aux schémas stéréotypés. Mais il n’y a pas non plus de malin génie qui organise le système, pipe les dés, et fait gagner toujours les mêmes. Il y a simplement des acteurs du système qui utilisent celui-ci de façon opportuniste, en fonction des situations changeantes ».[265] Ceci justifie notre insistance sur la possibilité d’inventer, dans les interstices des contraintes historiques, d’autres manières de problématiser le développement rural pour les Pays en voie de développement, dont la République Démocratique du Congo.
§2. De la politique de développement rural et de la politique agricole : point de vue de rupture
Les hommes, confrontés à des déficits d’organisation sociale, globale (économie, société, marché, politique, etc.) ont imaginé des stratégies d’intervention afin de résoudre les problèmes rencontrés, principalement, dans la communauté que n’a pas ou que n’a que peu touchées les transformations propres au monde urbain. Cet ensemble de stratégies et actions d’intervention dans une société donnée et en un moment donné prend la qualification de « politique ». Dans cette optique, la politique prend le sens de l’art de la gestion de la chose publique.
De ce qui précède, la question que voici mérite d’être soulevée : C’est quoi la politique de développement rural ? « La politique », prise pour la stratégie d’intervention édicte des principes qui orientent l’action et propose des valeurs et des optimums à atteindre. De ce point de vue, il y a lieu de définir la politique de développement rural comme étant l’ensemble de décisions ou mesures cohérentes et systématiques prises par un gouvernement, en vue de la promotion du monde rural. Il s’agit des décisions et des mesures cohérentes et systématiques prises par les pouvoirs publics en vue de l’amélioration des conditions de vie des populations qui habitent l’espace rural, au sein d’une société étatique. Le développement doit être ainsi considéré dans son sens de l’amélioration des conditions actuelles de la vie d’une population (rurale) par rapport à sa situation ancienne.
Il importe de signaler aussi que la problématique de la politique de développement rural s’intègrera parfaitement dans le cadre des préoccupations permanentes des pouvoirs publics. L’ « accent doit ainsi être mis sur l’agriculture ».[266] Mais, il convient de retenir aussi que, celle-ci ne peut devenir le secteur moteur de développement rural que si elle bénéficie de l’attention des pouvoirs publics tant pour son financement que pour son fonctionnement. Dans le cas particulier du développement rural, l’objectif serait de sortir les structures locales des rapports de domination qu’exercent les structures des niveaux supérieurs, c’est-à-dire, nationales et internationales.
Pour l’Union Européenne, par exemple, la politique de développement rural comporterait « trois objectifs stratégiques généraux »,[267] qui sont : le renforcement du secteur agricole et forestier, l’amélioration de la compétitivité dans les zones rurales et la sauvegarde de l’environnement et du patrimoine rural.
Les pays de l’Afrique de l’Ouest, pour leur part, une politique de développement rural[268] signifierait aussi trois choses:
· la réduction de la dépendance alimentaire et l’affirmation de leur droit à la souveraineté alimentaire;
· l’amélioration du fonctionnement des marchés régionaux et locaux des produits agricoles, et ;
· le développement de l’économie rurale dans le respect des identités locales productives, économiques et sociales.
De ces objectifs stratégiques et généraux d’une politique de développement rural, il ya lieu de dégager des axes d’intervention qu’un plan de développement rural devrait considérer. Ils se dessinent dans le tableau en annexe. En effet, Toutefois, nous devons préciser que, ces éléments demeurent indicatifs et non universellement opposables pour toute politique de développement rural.
Certes, il se dégage que la politique de développement rural fait référence au développement du « rural». Le territoire “rural”a des caractéristiques spécifiques et déterminées. Il faut, pour ce faire, adopter une politique qui ait comme objectif stratégique de développement de ce territoire. Le développement d’un territoire renvoie ainsi, à l’augmentation de la durabilité et de la viabilité économique, environnementale et sociale de l’espace territorial considéré.[269] Le territoire étant la zone, la région, à l’intérieur de laquelle vivent différents sujets économiques, sociaux, et environnementaux qui exercent différentes activités, ils ont besoin de différents services et différentes infrastructures, etc. Sur un territoire rural déterminé, vit une communauté organisée. Celle-ci a droit à une politique de développement et à une gouvernance adéquate répondant aux besoins que cette communauté exprime. De ce fait, seule une vision partagée du développement rural, qui mette en évidence avec clarté et simplicité une politique capable de le réaliser, permettra de trouver les synergies pour une valorisation réelle des territoires ruraux, dans leurs diversités et dans leurs spécificités.
Sans pour autant ignorer le débat sur le caractère naturel ou non, des inégalités entre les communautés urbaines et rurales, rappelons que le développement rural est envisagé comme un processus qui tend à surmonter les déficits de tous ordres qui caractérisent les communautés rurales par rapport au monde urbain. Sous cet angle, dans cette opposition, la sociologie fait ressortir un matérialisme historique qui ne dit pas son nom. Ainsi, sur le plan de l’action, l’opposition entre la tradition et la modernité accuse l’existence des rapports de forces qui traversent tous les champs de l’activité humaine en tous cas socio-économique dans lesquels le processus de développement s’inscrit nécessairement.
Certes, l’objet fréquemment situé dans la sphère d’activité économique est d’accroitre la productivité du travail par de l’adoption ou l’injection des inputs qui améliorent le rendement, la production et, partant, la croissance, par l’adoption de méthodes estimées plus rationnelles d’organisation du travail, par un ensemble de mesures d’aménagement du territoire autour d’une communauté ou d’une région, etc., de façon à élever le niveau de vie des populations rurales, ce qui implique aussi des apports sociaux et culturels. Il est certain que tous ces apports transportés au monde rural joueraient dans le sens d’un équilibre entre les villes et les campagnes en termes de flux migratoires. En effet, retenir les ruraux dans leurs milieux par des apports économiques et sociaux est aussi un des objectifs de toute action de développement rural. Dans les pays colonisés autres fois, par exemple, cet objectif a été à la base de l’action de l’Etat dans les campagnes, le contrôle démographique dans les villes, qui se confond avec un contrôle politique, ont été les grandes motivations de l’activité étatique dans les milieux ruraux.[270]
En ce qui concerne « la politique agricole »,[271] il sied de reconnaitre que celle-ci « constitue l’un des aspects sans doute le plus ancien de la politique économique. Elle peut être définie comme étant l’ensemble de décisions ou mesures cohérentes et systématiques prises par un gouvernement dans le but de promouvoir la croissance et le développement du secteur agricole ». Pour Makonda Bonza Florentin, « l’élaboration d’une bonne politique agricole requiert la parfaite maîtrise des réalités du monde rural, c'est-à-dire, en partant de l’état des lieux, dégager les contraintes, les potentialités, les acteurs et le mode d’organisation institutionnel.[272] Ce diagnostic permet, en effet, d’identifier, avec méthode, rigueur et persévérance les obstacles dont l’anéantissement se révèle nécessaire pour la croissance du secteur agricole et la promotion du développement rural ».[273]
En somme, rappelons que c’est par les mécanismes du marché que l’économie nationale mobilise une importante épargne nécessaire au financement d’autres secteurs. En effet, le niveau relativement bas du prix des produits agricoles favorise un financement indirect de l’activité industrielle. Ce mécanisme améliorait dans une certaine mesure la compétitivité des industries agroalimentaires orientées vers les marchés intérieurs ou internationaux. Le financement devrait encore se réaliser, notamment, par les impôts sur les revenus agricoles, les impôts fonciers, les livraisons obligatoires destinées à l’Etat ou à l’armée, les droits et taxes à l’exportation ou à l’importation de produits agricoles, l’épargne rurale transitant par les caisses rurales de développement ou d’autres institutions de micro-finance.
CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
Le présent chapitre a été consacré à la clarification de concept de développement et à la définition des notions qui lui sont connexes. A cet effet, nous avons discuté, succinctement, non seulement du développement, mais aussi, et surtout, des « développements adjectivés ».[274] La problématique de la politique de développement et de développement rural, ainsi que celle du sous-développement face à l’équation : « démocratie = développement », ont été aussi au rendez-vous de ce chapitre.
Il a été fait observé que, généralement, des analystes des sociétés recourent à la définition de développement proposée par François Perroux : «…la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croitre, cumulativement et durablement, son produit réel global ».[275] Mais, de notre part, il doit être compris, comme le rappelle Kika Mavunda,[276] selon la littérature socio-économique actuelle, celle qui met un accent particulièrement sur son caractère global et intégré. A cet effet, le développement serait défini comme une action permanente et dynamique visant le progrès à multiples dimensions de l’homme. Son procès demeure donc interactif.
Par ailleurs, le développement rural se définirait comme « l’ensemble de transformations quantitatives et qualitatives qui caractérisent un groupe social rural ou une société rurale d’un pays, en une période donnée, à partir des activités recherchées ou non recherchées, qu’elles soient techniques, économiques ou socioculturelles ».[277] Certes, avec « le développement rural », [278] la population à faible revenu vivant en milieux ruraux voit son niveau de vie s’améliorer et il se fait doter ainsi des capacités de maintenir cette amélioration des conditions de vie par ses propres moyens.
Force est, cependant, de soutenir avec Serge Latouche que tous les « développements adjectivés » entrent dans le cadre de vernis lexical de la logique de la théorie libérale dominante. Dans le même ordre d’idées, il devient urgent, face à l’apologie de « développement durable » qui culmine, d’insister sur le fait que celui-ci ne doit pas demeurer un alibi en faveur des pays développés. L’appel au développement durable ne doit pas être le canal par lequel les pays du Nord doivent s’accorder le droit de payer l’incapacité de polluer la nature des pays du Sud. Il faut qu’avec le développement durable, tous, les développés comme les sous-développés, pensent réellement aux générations futures.
En effet, la littérature sociologique[279] à notre portée nous a fait remarquer que, si, dans le milieu urbain, la vitesse du changement est accélérée, dans les milieux ruraux, aujourd’hui, l’on peut encore relever une faible tendance à l’autoconservation. Toute politique de développement rural qui se veut émancipatrice, doit la considérer. Les communautés qui constituent la société rurale, tendent à garder encore des idées, des valeurs, des structures qui leur donnent identité et à travers lesquelles, elles se reconnaissent et se font nommer. La culture générale agit alors comme un filet de sécurité face aux innovations qui constituent le changement.
Nous proposons ainsi que les porteurs des innovations soient profondément convaincus qu’il existe, pour chaque situation concrète et pour chaque société particulière, des réalités historiques propres. Ils doivent être, également, convaincus qu’il n’existe pas, dans l’absolu, des modèles qui doivent être toujours uniformément applicables et partout. Une exigence apparaît, ainsi, pour les porteurs de développement ou ceux qui proposent le changement : celui– ci- « passe par les lignes de moindre résistance ».[280] L’acceptation des innovations se négociera avec le groupe récepteur, dans le respect des hiérarchies et influences locales.
En définitive, il sied de retenir que le chemin qui conduit du sous-développement vers le développement, en dehors de tout ethnocentrisme occidental, reste l’idéal pour tous les peuples, comme pour toutes les nations. Mais, celui-ci dépend plus de l’action humaine refrechie. Certes, il s’avère aussi utile de retenir que l’efficacité du capitalisme ne découlerait pas que de l’excellence du calcul économique, moins encore, de la rationalité capitaliste. Il est, pourtant, vrai que l’impact des richesses en ressources naturelles sur la performance économique est subordonné aux institutions d’un pays. Il n’y a que des pays dotés d’institutions faibles pour qui les richesses en ressources naturelles sont en corrélation négative avec la croissance économique. Telle est l’expérience de la République Démocratique du Congo, pour laquelle nous plaidons pour une politique de développement rural intégrée et cohérente, capable de répondre aux exigences de développement durable de sa communauté rurale.
DE LA LOGIQUE CAPITALISTE ET LA PLACE DE L’HOMME DANS UN PROCES DE PROJET DE DEVELOPPEMENT RURAL EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Comme l’intitulé l’indique, le chapitre clarifie le sens et donne l’ensence de projet de développement rural. A cet effet, ce dernier doit être considéré, non seulement comme concept, mais aussi, et surtout, comme une pratique sociale.
Certes, l’homme devrait être considéré comme « Alpha et Omega du développement ». Pour ce faire, la place de l’homme dans un procès de développement rural, de manière générale, fait aussi l’objet de notre préoccupation dans ce chapitre, avant de considérer le cas particulier du projet CABEN. Il est question, à ce niveau de cette étude, de ressortir, dialectiquement, l’impact de la logique capitaliste dans le dévenir historique de la RD. Congo, lorsqu’on fait recours aux projets de développement rural. Enfin, le chapitre aborde la question de la territorialisation que nous proposons comme le nouveau paradigme de gestion des projets de développement rural. Il est structuré en deux sections, qui se développent dans les lignes qui suivent.
SECTION I. DU PROJET DE DEVELOPPEMENT RURAL : POINT DE VUE SOCIOLOGIQUE SUR LE SENS ET L’ESSENCE D’UN CONCEPT ET D’UNE PRATIQUE SOCIALE
Avant d’aborder la problématique de la place de « l’homme », en général, et du « paysan congolais », en particulier, dans la transformation de l’espace rural national par des projets de développement rural, selon qu’ils sont tractés par « la logique capitaliste », il est commode que nous discutions du projet de développement en soi. En effet, le concept projet est polysémique, il demeure donc important, avant tous les autres détails, d’en préciser la portée et le contenu. En dépit de multiples définitions proposées par la littérature économico-sociologique à notre possession, nous allons nous limiter à évoquer quelques unes d’entre elles qui cadrent avec cette étude. Cette réflexion, qui du reste se veut sociologique, va consacrer quelques lignes analyse de la typologie et du cycle de projet (de développement rural).
§1. Quid du projet, du projet de développement et du projet de développement rural ?
De prime à bord, notons que le concept « projet » renvoie à quelque chose qu’on projette de faire, ou encore, ce qu'on se propose de faire. II peut être défini comme étant un genre d'activités qui donnent prépondérance aux objectifs immédiats. Ces activités sont conçues en vue de la recherche des méthodes et de la mise en œuvre des ressources pour atteindre de tels objectifs.
Certes, soulignons que le terme projet, a une signification beaucoup plus spécifique et précise dans son usage usuel et commun que nous en faisons dans notre quotidienneté. Ainsi, dans le langage populaire, ce terme a plusieurs sens parce qu'il fait référence à des nombreuses idées. Généralement, il s'utilise comme expression pour faire davantage référence au plan d'une chose à faire plutôt qu'à son exécution. Le concept projet se sert parfois, pour évoquer une idée ou plutôt une intention dont la conception n'est pas encore arrêtée ou même, nécessairement envisagée.
L’introduction du terme projet dans le vocabulaire français, comme scientifique, vient du mot latin « projectum » et/ou de «projicere », selon que le préfixe pro signifie qui « précède dans le temps» et le radical jacere signifie « jeter».[281] En effet, un projet se définit comme une démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement une réalité à venir. Il est défini et mis en œuvre pour élaborer la réponse au besoin d’un utilisateur, d’un client ou d’une clientèle et il implique un objectif et des actions à entreprendre avec des ressources données.».[282] Il peut aussi être considéré comme cet ensemble d’activités coordonnées mises en œuvre pour atteindre des objectifs spécifiques selon un calendrier, un budget et des paramètres de performance définis.
Legros. A, rappelle que la notion de projet bénéficie d'une pluralité d'approches qui se distinguent les unes des autres en fonction des points de vue à partir desquels elle est appréhendée.[283] Loin d'être une fin en soi, le projet est donc, un moyen pour réaliser efficacement un changement permettant à un demandeur (personne physique ou morale), d'atteindre des objectifs prédéterminés. Mais, à en croire les idées de Poulin Yves, un projet est un effort complexe pour atteindre un objectif spécifique, devant respecter un échéancier et un budget, et qui, typiquement, franchit des frontières organisationnelles, est unique, et, en général, non répétitif dans l'organisation.[284]
Pour Manuel Bridier et Serge Michailof, le projet est un ensemble complet d’activités et d’opérations qui consomment des ressources limitées (telles que mains d’œuvre, devises, etc.) et dont on attend certains individus, groupe ou classe sociale ou collectivité entière) des ressources, ou des autres avantages monétaires ou non monétaires.[285] De sa part, H. Kerzner trouve dans le projet, « un ensemble d’activités et des tâches orientées vers la réalisation d’un objectif spécifique au moyen des ressources humaines, financières et matérielles, limitées au cours d’une période préalablement déterminée.[286]
Sommetoute, précisons-nous que sur le plan économique, le concept de projet revêt une double acception.[287] Il est compris sous l’angle macro-économique, comme sous l’angle micro-économique. Du point de vue macro-économique, la notion du projet est utilisée sur le plan national pour définir une politique d’aménagement du territoire, de réalisation d’équipements collectifs, de mise en valeur de ressources rares… sous l’égide de l’Etat et, sur le plan international, cette notion est utilisée comme instrument par les bailleurs de fonds dans le cadre de l’aide au développement. Mais, sous l’angle micro-économique, le terme projet est associé à l’investissement qu’un entrepreneur privé ou publique compte réaliser.[288]
Il se conçoit et se réalise dans un environnement complexe, où nombreux et divers facteurs, endogènes et exogènes, facilitent (ou favorisent) ou compliquent (ou empêchent) son accomplissement. C'est à la gestion de projet qu'il incombe de façonner et de modeler cet environnement pour contrôler ces facteurs, et, ainsi assurer la réalisation dudit projet pour satisfaire non seulement le client, mais aussi, tous ses acteurs. Le projet peut ainsi être considéré de synonyme d’un investissement dont on attend le résultat échelonné dans le futur.[289]
De sa part, la Banque Mondiale, propose aussi des définitions pour le projet. Selon cette institution de portée internationale, le projet se veut « un ensemble optimal d’actions à caractère d’investissement, fondé sur une planification sectorielle globale et cohérente, grâce auxquelles une combinaison définie de ressources humaines et matérielles engendre un développement économique et social d’une valeur déterminée».[290]
Décidément, il se dégage de cette définition de la Banque Mondiale que, cette dernière institution ne se réfère uniquement qu’aux projets publics. Elle ne tient pas compte des projets économiques initiés par les privés et des Organisations Non Gouvernementales. Mais, de notre part, nous trouvons dans le projet, un canevas dans lequel sont résumées les différentes opérations génératrices des avantages économiques et socio- culturels, etc., du milieu pour lequel il est destiné.
Il y a lieu, de ce qui précède, de retenir que le projet est un ensemble organisé d'activités et de procédures conçues pour réaliser des objectifs spécifiques à l'intérieur des limites de budget, des ressources et de délais préétablis. C'est donc la réalisation d'une activité dans le futur qui se caractérise par une envergure (moyens) et une ou plusieurs finalités (objectifs).[291] En somme, nous nous résumons en notant qu’un projet, est un ensemble d’activités interagissantes, entreprises et circonscrites dans un temps déterminé, dans le but d’atteindre des résultats, des objectifs souhaités selon des besoins biens définis.
Partant, ainsi, des différentes définitions de projet, la sociologie ressort quatre mots clés qui sont : objectifs, activités, résultats et délais. Tout projet, généralement, part des objectifs (O), qui appellent des activités (A), en vue des résultats (R), attendus dans un délai (D) bien défini. Il y a donc lieu de noter le modèle que voici : PROJET = O. A. R. D.
Le changement souhaité, raison d'être du projet provient, généralement, d'une situation d'insatisfaction à corriger ou du désir de saisir une opportunité attrayante d'affaires. Tout projet vise donc, nécessairement, soit à résoudre un problème, soit, à satisfaire un besoin, soit à concrétiser une politique pour atteindre des objectifs précis formulés par des personnes privées ou publiques. Le projet se caractérise par son unicité, sa durée limitée, la multiplicité des personnes qui interviennent dans son exécution.
Le projet de développement, peut encore être défini comme une action réalisée dans un objectif socio-économique orienté vers la satisfaction d'un besoin collectif de base (alimentation, santé, éducation, travail, infrastructures de base, information, connaissances, etc.) d'une communauté d'hommes et de femmes leur permettant de s'épanouir dignement. « Il tente d'en valoriser les qualités (ressources, atouts, valeurs), d'en minimiser les handicaps, d'en contourner les contraintes.».[292] Il implique des groupes d'intérêts divers notamment des membres de la communauté, les autorités locales et des agents externes d'appui technique et financier.
Autrement dit, le projet de développement demeure cet ensemble organisé et cohérent d’activités menées collectivement, limitées dans le temps et l’espace, mobilisant des moyens dédiés et visant à la production d’un objet-but concourant à améliorer la situation d’un groupe de bénéficiaires.[293] Généralement, un projet de développement est financé par des bailleurs bilatéraux, multilatéraux ou privés et qui a pour but l'amélioration du niveau socio-économique d'un pays (PIB) ainsi que l'amélioration des conditions et du niveau de vie des populations locales du pays (PNB).[294]
De notre part, nous retenons que le projet de développement est un projet financé par l’Etat, soit, par des bailleurs bilatéraux, multilatéraux ou privés, etc., poursuivant l’amélioration du niveau socio-économique d’un pays et les conditions, ainsi que le niveau de vie des populations locales du pays considéré. Dans le même ordre d’idées, nous considérons que le projet de développement rural, est celui qui s’adresse à un milieu ainsi déclaré. C’est pourquoi, il peut se définir comme une action concertée de mobilisation et d’affectation des ressources de plusieurs ordres, en vue de transformer l’espace rural par des apports multiples conduisant au bien-être total de la population.
Il se présente comme l’ensemble des améliorations socioculturelles et d’infrastructures de toutes sortes, réalisées dans une zone non urbaine. Il peut s’agir des routes, de l’environnement, des ponts ou des projets de production agricole se rapportant à la pisciculture, à l’élevage, ainsi qu’aux cultures vivrières (maïs, haricot, riz, soya, etc.) et aux cultures pérennes (qui se veillent industrielles : café, thé pyrèthre et cacao). Le projet de développement (rural) peut être financé par plusieurs bailleurs à la foi
§2. De la typologie, du coût et bénéfice, et du cycle des projets
Rappelons qu’il est question dans ce chapitre que nous présentions de manière ramancée, la problématique de projet de développement rural. Il importe, ainsi, d’évoquer, quand même, la notion du coût et des bénéfices dans le procès d’un projet, sans oublier de soulever le problème de cycle de projet.
En effet, dans le cadre de cette étude, en évoquant la question de la typologie des projets, nous nous rabattons sur la classification de Happi Tchokote, S et Toumbi, B. S.[295] Certes, partant des informations que nous tenons de ces deux chercheurs, il y a lieu de soutenir que les projets sont classifiés selon leur nature, le statut des promoteurs et selon leurs secteurs d’activités. Ainsi donc il y a lieu de distinguer :
1. partant de leur nature, nous avons :
_ les projets économiques : ils sont basés sur la recherche de la rentabilité financière. A l’instar des projets agricoles, industriels et de services initiés par des promoteurs privés ou parapublics, ces types de projets, assurent, de manière souhaitée, l’accroissement des richesses de leurs promoteurs ;
_ les projets sociaux : ils sont, dans la plupart de cas, le fait des pouvoirs publics, des collectivités locales et des organismes d’aides humanitaires ou philanthropiques. Les projets sociaux s’intéressent à l’amélioration des conditions et de qualité de vie des populations cibles. Ces genres de projets s’engagent à la résorption des problèmes qui se posent dans un milieu considéré. Il s’agit par exemples des projets portant sur l’éclairage publique, l’enseignement public, la vulgarisation agricoles, l’assainissement de l’environnement, la santé publique, l’adduction d’eau, etc.
_ les projets socio- économiques : il y a des décennies, des projets socio-économiques sont en vogues, ils permettent à la fois de résoudre des problèmes sociaux des masses et à assurer la réalisation des projets par les pouvoirs publics que les opérateurs privés.
2. Par rapport au secteur d’activités économiques, il y a lieu d’évoquer :
_ les projets du secteur primaire, qui s’intéressent à la production agricole, l’élevage, l’exploitation des usines et carrières, etc. ;
_ les projets du secteur secondaire s’occupent de la transformation des matières premières en produits semi-finis, ou s’intéressent aux bâtiments et travaux publics ;
_ les projets du secteur tertiaire s’intéressent aussi bien au commerce, aux institutions de crédit, aux transports, qu’à l’enseignement et à la formation.
3. En fin, considérant le statut du promoteur du projet, il y a lieu de retenir :
− les projets publics qui sont initiés par l’Etat ou par la collectivité publique. Généralement, l’Etat, face à la faiblesse de l’épargne privée, intervient comme un investisseur principal ;
− les projets privés et des ONG sont initiés par les promoteurs ou entreprises privés et par les ONG;
− les projets parapublics sont ainsi déclarés parce qu’ils sont conjointement l’œuvres des pouvoirs publics et des privés. Ils se réalisent dans beaucoup de cas dans les domaines stratégiques de la nation. A titre indicatif, il y a lieu de considérer le secteur bancaire, le secteur énergétique, etc.
En effet, la littérature socio-économique sur le projet (de développement rural) parcourue par nous, nous autorise à souligner que, généralement, les projets sont planifiés et exécutés en suivant un ordre logique nommé « cycle de projet ».[296] Celui-ci se décompose en : identification, préparation et analyse, évaluation, mise en œuvre et évaluation rétrospective, etc.
S’agissant de l’identification, signalons qu’elle comprend la définition des objectifs, l’élaboration des diverses stratégies de développement possibles tout en évaluant les résultats menées, etc. Elle se veut donc « la première maturation de l’idée de projet et sous-entend l’analyse de besoin ou du marché : le diagnostic d’une situation qui pose le ou les problèmes dominant (s), ainsi que le ou les facteur(s) limitatif(s)».[297]
Si la préparation et l’analyse consiste à l’étape de la mise en place d’un mécanisme de l’étude progressives et plus détaillées des plans du projet, c’est-à-dire, l’étude de faisabilité, l’évaluation renvoie à l’examen critique du projet. Elle se réalise, soit par le bailleur de fonds (l’organisme chargé de financer le projet). Il s’agit, ici, de l’étude de faisabilité en vue de financer le projet dans sa forme actuelle ou non. La mise en œuvre du projet rime avec le planning résultant du délai entre l’étude de faisabilité et la phase d’exécution. En fin, l’évaluation rétrospective reste la phase finale du cycle d’un projet. Il s’agit de passer en revue les causes de la réussite ou de l’échec du projet en vue de tirer des leçons pour l’avenir.
Voilà en peu de mots, les éléments, qui, de manière générale, constituent le cycle d’un projet. Mais, signalons qu’il y a encore d’autres schémas proposant la structure de cycle de projet. Tel est le cas du Schéma de Rondinelli, ainsi que le Schéma de la Banque Mondiale, etc. Le Schéma de Rondinelli présente le cycle d’un projet en 12 étapes. Elles se résument comme suit :
Schéma n°1 : Cycle du projet[298] selon le Schéma de Rondinelli
Source : S. Miichailof, cité par J. Ekina Bongongo, op- cit, p.16.
La Banque Mondiale par contre, propose un schéma du cycle de projet qui comprend au moins 8 étapes.[299] Il s’agit de : - l’identification (elle se réalise souvent par une mission du siège. Celle-ci devra identifier le problème), - la préparation (à cette étape, la mission du siège prépare le projet en indiquant les grandes lignes) – l’évaluation (il s’agit de la planification du projet par la mission du siège qui revient au pays visé), - la négociation (elle se traduit par la signature d’un protocole entre l’Etat bénéficiaire et la Banque Mondiale, après l’accord sur la réalisation du projet), - la réalisation (se réalise par l’implication du gouvernement de l’Etat d’accueil et celle de la Banque Mondiale), - l’évaluation à posteriori (c’est une dernière évaluation qui se fait par une mission du siège), - l’étude de l’impact (consiste à une étude sur la capacité de survie du projet en dehors du soutien extérieur) et - de la rédaction du projet, qui n’est rien autre que la rédaction du dernier rapport sur le projet.
Il importe de noter que la question des coûts d’un projet nécessite une analyse minutieuse. Elle permet d’identifier les inputs et de ressortir les intrants de base, ainsi que les intrants secondaires du projet (inputs), en assurant des ramifications et l’impact des extrants qui en résultent. Certes, le coût (de projet) peut se comprendre comme toute valeur engagée, cédée, échangée ou encore encourue en vue de produire un bien ou un service quelconque.
Dans le cadre de l’élaboration technique de projet, les principales dépenses à considérer sont les dépenses d’investissement et celles d’exploitation. Certes, les dépenses d’investissement prennent en compte les dépenses préliminaires, l’achat de terrain et son aménagement, les constructions des ouvrages, le matériel, les pièces de recharge, les ingénieurs conseils, les immobilisations incorporelles, les frais de premier établissement, les provisions pour dépenses imprévues, sans oublier le fonds de roulement permanent.
De ce qui précède, nous précisons qu’un investissement est une opération pour un projet ou une entreprise, consistant à la transformation des ressources financières en un ou plusieurs éléments que l’entreprises utilisera de manière permanente ou pendant une durée relativement longue pour concourir de manière durable à la réalisation de son objectif social.[300] A cet effet, l’investissement comporte le coût de l’équipement principal et des équipements secondaires, le coût du montage et géni civil, les frais indirects de chantier et de transport, ainsi que les imprévus.[301] Quant aux dépenses d’exploitation, elles portent sur les dépenses récurrentes ou fixes nécessaires au cycle d’exploitation normale. Il s’agit par exemple du cas des achats, des travaux, des fournitures et des services extérieurs.
Enfin, en ce qui concerne les bénéfices des projets, nous notons que le bénéfice se veut la satisfaction obtenue par les consommateurs d’un produit ou d’un service. Autrement dit, les bénéfices de projet renferment tous les avantages découlant de la réalisation d’un projet, selon que le but visé a été atteint, peu importe qu’ils soient chiffrés ni matériellement palpables.
SECTION II. DE LA LOGIQUE CAPITALISTE ET LA PLACE DE L’HOMME DANS UN PROCES DE PROJET DE DEVELOPPEMENT RURAL : DU FONCTIONNEMENT IDEOLOGIQUE DE LA VOLONTE DE DOMINATION
L’une des hypothèses retenues dans le cadre de cette étude est que : « la pratique des projets de développement rural ne rassure que peu ou pas la transformation des territoires ruraux en congolais. Cela, du fait de la logique capitaliste[302] qui les guident, et, qui, généralement, caresse leur fananciarisation». Raison pour laquelle cette section de ce chapitre s’intéresse à la compréhension du fonctionnement de la dite logique. Partant, sous le regard dialectique, cherche à rétrouver la place que cette logique confie aux acteurs impliqués. Ceci nous permettra de tabler sur la problématique de la territorialisation des projets de développement (rural) comme notre apport dans la suite.
Néanmoins, il se remarque que « la logique capitaliste » se veut une pensée ou une une idée et que, la pratique des projets de développement, notre objet d’étude, s’inscrirait dans le contexte général de la globalisation ou la planétarisation. A cet effet, pour la bonne saisie de nos propos, à ce stade de débat, nous allons d’abord, en sociologue, discuter de la problématique cruciale de la place des idées, des valeurs et du rôle du groupe porteur dans le procès de développement, ensuite, vient la question de la logique capitaliste prise pour une idée que certains auteurs considèrent comme élément du « discours de la domination ».[303]
§1. Des idées, des idéologies et des valeurs dans le devenir historique des sociétés : regard dialectique sur une base d’action capitalistique de la pauperisation des masses
Nous souhaitons commencer notre propos à ce sujet par cette déclaration de Paul Romer : « Les idées devraient constituer notre principale préoccupation. Les idées sont les biens économiques d’une importance extrême bien plus grande que celle des éléments sur lesquels la plupart des modèles économiques mettent l’accent »[304]. Cette citation pose le problème crucial et historique des idées et des valeurs dans le devenir historique des nations. Ainsi, évoquons-nous Douglass North, et déclarons avec lui qu’à présent, «tournons- nous vers l’évolution des croyances qui guident les choix et les actes des humains ».[305]
L’histoire montre que dans l’émergence des nations, les idées et les valeurs occupent une place stratégique. Mais avant d’examiner la problématique des idées et des valeurs dans l’effectuation historique des nations, mieux, dans le procès de développement, disons un mot sur la classe sociale et la lutte des classes.
2. 1. 1. De la volonté de domination et de la production des idées et des idéologies par des classes sociales (dominantes)
La compréhension d’un système social n’est possible que si on comprend la motivation des relations sociales, si on comprend les idées et les valeurs qui justifient pourquoi les individus et les groupes agissent. L’histoire des nations nous montre que les idées et les valeurs n’ont pas manqué de l’influence dans leur devenir historique. Dans tous les groupes humains, les valeurs sociales, les idées sont des idéaux, des comportements, appréciés et recherchés, se rapportant aux institutions familiales, aux relations avec autrui, aux effectuations spécifiques. Certes, dans un monde, physiquement limité, c’est la découverte des grandes idées, qui rend possible une croissance économique durable. Les idées sont des instruments qui nous permettent d’organiser des ressources physiques limitées. Selon des combinaisons toujours plus performantes, elles nous permettent d’organiser le système éducatif, la communication, la défense, la diplomatie, la politique sociale. Les idées permettent de penser la politique nationale et même de planifier le développement.
Mais, il est aussi un fait que depuis les nuits de temps, il s’est observé et s’observe encore, une constance oppositionnelle entre par exemple : Chrétien et Païen/Seigneur et Serf /Maitre et Esclave /Colonisateur et Colonisé /Patron et Ouvrier /Oppresseur (dominateur) et Opprimé (dominé) /Capitaliste et Prolétaire /Nord et Sud /Pays développés et Pays sous-développés /Ville et Campagne /Paysan et Urbain /Riche et Pauvre ; etc. Cette constance, toujours dynamique, a été aussi observée par Karl Marx, lorsque celui-ci analysa la société de son époque. Il a, pour sa part, posé la problématique de la lutte des classes. Pour lui et tous les marxistes, la lutte des classes serait le moteur de l’histoire de l’humanité. En effet, il est évident que les rapports de production, parce qu’ils sont inscrits dans les rapports de propriété, seront contradictoires et conflictuels entre ces groupes ainsi organisés aux intérêts opposés.[306]
Dans toute société nationale et/ou étatique, chaque groupe social ainsi établi, pense une superstructure et une économie conformes à ses intérêts et à sa « conscience sociale », c’est-à-dire, à la manière dont il perçoit et pense la société, plus précisément, selon la place qu’il occupe. Certes, l’opposition entre ces classes sociales ou entre ces groupes sociaux, etc., constitue en elle-même le principe de dépassement de certaines situations historiques et celui de leur substitution par d’autres. Dans cette dynamique de lutte des classes, il s’observe, en effet, que, chaque classe sociale doit se battre pour se maintenir dans sa position et pour sauvegarder ses intérêts. Elle forgera des stratégies et des contre-stratégies, et se fera créer des idées qu’elle proposera à la communauté à laquelle elle appartient. De telles idées et/ou valeurs devront être imposées à leurs adeptes et permettraient de justifier certaines actions historiques.
Il s’agit, ici, du déproiement des efforts de la legitimation idéologique des comportements et des actes par les acteurs sociaux. Les idées et les valeurs ont déterminé et déterminent encore des actions historiques à travers le monde. Parmi les idées que nous retenons de l’histoire des sociétés et des nations, il y a lieu de citer par exemple le « principe de limitation de naissance ». Malthus, pasteur anglais, avait estimé que la population humaine, partant, les besoins humains de la vie en société, croissent de manière exponentielle par rapport à l’accroissement des richesses destinées à faire face à ces besoins, qui connaissent un rythme d’accroissement arithmétique. Face à cette inadéquation, des besoins humains élémentaires (manger, boire, s’abriter) et sociaux (éducation, travail, sécurité, logement décent, culture, etc.) ne peuvent être bien assurés que moyennant une politique qui concerne la population. Pour des raisons économiques, ainsi que politiques, il y a des pays qui ont pratiqué la limitation des naissances. Résumée dans le malthusianisme, [307] la théorie a été exploitée aux USA et la Chine, etc. Voilà où la pensée, l’idée basée sur la pression démographique a conduit bien des politiques des nations en matière de la population que la pratique sociale. Un second exemple qui illustre l’influence idéologique (donc des idées ou des idéologies) sur la pratique sociale (politico-militaire) est le Nazisme. Basée sur la théorie de la « race pure », le nazisme a amené Hitler à penser une société purement dominée par les allemands ; et pour ce faire, il devrait mener des expéditions mortelles contre les juifs.
A coup sûr, il y a lieu, dans maints domaines de production sociale, sans pour autant faire l’apologie de déterminisme idéologique, de trouver encore, des idées qui ont orienté des actions historiques de milieux d’acteurs sociaux. Nous citons le cas de la « civilisation des peuples barbares ou sauvages», qui a entretenu la colonisation et l’exploitation des continents considérés de non civilisés. Nous avons encore, le « matsouanisme »,[308] d’André Matsoua, qui a fortement influencé ses adeptes à multiplier des actions de révolte contre le colonisateur français et à la réclamation de l’indépendance de la population du Congo-Brazzaville.
Même chose de l’exaltation de la « mort sainte » dans l’Islam. Cette pensée élimine la « peur de la mort chez tout islamiste » et le prédispose aux actions terroristes.[309] Dans cette liste, nous trouvons bon de considérer encore la pensée qui consiste à considérer « le porc comme un animal infâme » par l’Islam et le Kimbanguisme. La pensée est enseignée et imprégnée par les adeptes de ces mouvements religieux. L’observation nous fait dire qu’il est impossible de proposer aux Kimbanguistes et aux musulmans la croissance économique par l’élevage de porc.
N’est-ce pas que la sociologie des relations internationales nous rappelle l’invasion de l’Irak par l’armée américaine et alliées, il y a quelques années ? Le discours dominant lancé pour justicier cette intervention militaire fut donc « … la recherche des armes de destruction massive … ». De l’autre part, sans pour autant « philosopher sur les causes de l’assassinat de l’ancien guide libyen, le colonel Kadhafi, nous savons tous que le discours dominant pour convaincre, nous a fait croire à la « démocratisation de la Lybie ». Mais, Il suffit de lire « les mensonges de la guerre de l’occident contre la Libye » [310]de Jean-Paul Pougala, écrivain d’origine camerounaise, directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève en Suisse, pour en savoir plus.
Dans le même ordre d’idées, depuis un certain temps, la principale priorité de la Banque Mondiale devient la création et l’aide à mettre des meilleures stratégies pour le développement économique. Ces stratégies pour le développement devraient reposer dans une plus grande mesure qu’auparavant, sur la transformation du savoir, de manière à compenser le manque prévisible d’assistance au développement. Donc, il faudrait dans les jours à venir, de n’avoir pas beaucoup d’agents pour le développement, mais, plutôt, beaucoup de bonnes idées.
Puisque « les idées mènent le monde », dit-on, force est de retenir que, de nos jours, cette vérité est réaffirmée avec éclat par les mesures d’ajustement structurel, les privatisations, la désétatisation et la déréglementation des économies, l’ensemble des mesures que tentent d’imposer les institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, OMC, Club de Paris, Club de Londres, etc.), afin de contrôler et d’orienter les économies des pays en voie de développement dans le cadre de l’idéologie de la mondialisation. La dialectique « superstructure- infrastructure » ou « économie – idéologie » [311] reste d’actualité. Elle doit être prise en compte, à tout moment, où l’on pensera une quelconque politique nationale.
Tout en relevant le caractère immanent de l’opposition des groupes et, partant, de la lutte de ces groupes (qui ne sont pas nécessairement des classes), nous insistons sur la place stratégique qu’occupent les idées et/ou idéologies dans la dynamique sociale à travers l’histoire de l’humanité. En outre, l’histoire comparée des nations nous fait admettre que la structuration de la société à travers le temps et à travers l’espace n’est jamais la même. La configuration sociale analysée par Marx au 19eme siècle contient comme facteur dominant de la spécificité une lutte des classes exacerbée entre les possédants et les non possédants. Néanmoins, les facteurs dominants de différenciation peuvent varier d’une société à une autre ou même, dans une société d’une époque à une autre.
La sociologie considère que la vision marxiste, fondée sur la situation économique comporte, en plus, un élément important. Il s’agit de « la conscience d’appartenance au groupe ». Mais, n’oublions pas que Weber et Tocqueville[312] distinguent principalement l’ordre économique qui donne leur place aux classes sociales, alors que l’ordre social donne leur place aux groupes de statut. La lutte des classes comme facteur exclusif de la dynamique des systèmes sociaux s’estompe, et cède, ainsi, la place à une vision psychologique, basée sur « la recherche d’un statut plus avantageux ».
En définitif, il y a cette vérité que nous devons retenir en ce qui concerne la dynamique des systèmes sociaux. Il s’agit du « rôle majeur du conflit qu’il y a de commun chez les acteurs sociaux ». Le conflit et, partant, la lutte subséquente, cristallise une conscience qui peut durer ou ne pas durer autour des intérêts communs, économiques ou autres. En effet, de nos jours la mobilité sociale rend précaire la stratification sociale telle qu’elle existait à l’époque de Marx et des classiques de la sociologie. Georges Gurvitch en rend bien compte quand il affirme qu’ « il est impossible de prédire d’avance le nombre de classes, car il y en a toujours qui sont en germe et manifestent les velléités de structuration, selon les variations des types globaux et selon la conjoncture, ces virtualités peuvent devenir effectives ou ne pas se réaliser ».[313]
Certes, à travers les temps, dans le processus de la lutte entre les classes ou les groupes, chaque classe ou chaque groupe se sert inévitablement des idées ou des discours pour assoir sa domination par la conquête des esprits. Car, il y a lieu, ici, de rappeler que « c’est à l’application des idées théoriques que nous devons l’existence des sociétés socialistes, c’est à l’application des idées théoriques que nous devons la présentation des sociétés libérales et capitalistes ».[314] N’est-ce pas que celui qui contrôle l’esprit, domine ? Voilà pourquoi, il nous revient, en conclusion, en soutenant que : « c’est dans cette perspective qu’il faut placer la mondialisation qui s’impose comme l’idéologie universelle et comme le discours de la domination, soutenu par des principes contraignants ». C’est dans ce même angle qu’il faut comprendre la logique capitaliste.
§2. De la logique capitaliste et la pratique des projets de développement rural en RD. Congo : analyse du fonctionnnement d’une base d’action pour des acteurs sociaux
A ce niveau de notre réflexion, nous sommes appelé à tabler sur le mode opératoire de la logique capitaliste. Celle-ci, est perçue par beaucoup d’esprits critiques comme l’idée à la base de l’action de plusieurs acteurs sociaux. Il faut rappeler, certes, que beaucoup de ce qui a été dit sur le développement, et, particulièrement sur tous les « développements adjectivés »,[315] considérés comme instruments idéologiques du capitalisme pour la colonisation de l’espace planétaire, peut aussi être retenus pour la logique capitaliste.
En effet, de l’action capitaliste,[316] nous avons le capital. Selon Le Grand Larousse Illustré, le capital désigne l’ensemble des biens, monétaires ou autres, possédés par une personne ou une entreprise, constituant un patrimoine et pouvant rapporter un revenu, etc. Il renvoie aussi à une somme d’argent représentant l’élément principal d’une dette et produisant des intérêts.[317] Le capital désigne aussi « l’ensemble des ressources (intellectuelles, morales, etc.) dont dispose quelqu’un ou quelqu’une, son patrimoine ».[318] Ainsi, il y a lieu d’en distinguer : le capital circulant du capital fixe, puis, le capital humain du capital physique ou technique et du capital social.
Par le capital circulant, nous entendons la partie du capital physique incorporée (matières premières) ou détruite (énergies) lors du processus de la production. Alors que par le capital fixe, nous désignons cette partie du capital fixe qui assure plusieurs cycles de production. Pour ce qui est du capital humain, nous rangeons l’ensemble de tous les éléments qualitatifs du travail mis en œuvre dans le processus de la production et le capital physique ou technique regorge les machines et tous les instruments et les équipements entrant dans un procès de production. Enfin, par rapport au capital social, nous désignons le montant des sommes ou des biens apportés à une société et de leur accroissement ou réduction ultérieur figurant au passif des bilans.
Par rapport à la question de la logique capitaliste, notons qu’elle nous amène à tabler sur le « capitalistique » et/ou le « capitaliste » pris pour adjectifs. Chemin faisant, notons que capitalistique renvoie au capital. Il désigne, ensuite, toute activité de production utilisant davantage de capital physique (machines) que de main d’œuvres. Cependant, en nous référant à la théorie marxiste, le capitalisme se veut un mode de production caractérisé par la recherche de la plus-value fondée sur l’exploitation des travailleurs par les propriétaires des moyens de production et d’échange.[319] Certes, nous sommes là, en face du fondement de l’économie marchande. Celle-ci se préoccupe de la recherche forcenée des profits. Le salaire donné au travailleur dans ce cas, sert essentiellement au renouvellement de la force de travail, en vue de faire de lui, un éternel dépendant.
La logique capitaliste, certes, demeure à la fois complexe, axée sur le futur et porteuse de dynamique transformatrice. Elle incarne trois motivations humaines fondamentales – pouvoir, avoir, substance – sources à la fois de séparation et de cohérence : d’un coté, la recherche de l’enrichessiment et du profit, le pouvoir sur les hommes, la conservation du capital, les positions dominantes et pouvoirs de monopoles, de l’autre, la substance qui, pour des fractions de plus en plus larges des sociétés, passe par l’emploi dépendant, le salariat et l’achat de bien de consommation produits par la machinerie capitaliste.[320]
Mais, dans le cadre de cette étude, il est utile de souligner que le capitalisme évoque le système économique et social, fondé sur la propriété privée des moyens de productions et d’échange. Ce système se caractérise par la recherche des profits, l’initiative individuelle et par la concurrence entre les entreprises. Il se présente même comme un état d’esprit qui mobilise l’homme à la conquête de gain.[321] Cette thèse, d’ailleurs, se confirme par la littérature socio-économique[322] parcourue par nous. Celle-ci nous fait admettre que, l’économie du marché ne recherche pas la satisfaction directe des besoins et des aspirations des masses. Elle obéit plutôt aux dures règles complémentaires de la solvabilité et de la rentabilité.[323]
En outre, nous sommes convaincu que, pour suivre efficacement le déroulement de toutes les activités d’une entreprise ou d’un projet et apprécier le niveau d'atteinte de ses objectifs, il est important de tenir compte du mode opératoire. Il doit être intégré et fonctionnel au niveau même de la conception, de l’exécution pour permettre de rendre compte des réalisations du projet surtout, depuis sa mise en œuvre, apprécier l'impact, les retombées des principaux changements constatés dans les zone d'intervention, en général, et dans les communautés villageoises, en particulier.
Le mode opératoire vise déjà au départ à mieux apprécier la conduite de la mise en œuvre des projets et de leur évolution en faisant ressortir les avancées majeures et les lacunes à combler en vue d'une meilleure efficacité. Certes, les modes opératoires, comme procédures et précisions des modalités de réalisation ou de contrôle des opérations d’un projet, apportent un complément d'informations sur l'exécution d’une ou plusieurs activités enchaînements opératoires de poste à poste et définissent l'ensemble des postes de travail concernés par la réalisation d'un projet décrit les temps d’exécution prévus (alloués) à chaque poste, (traitements et tâches).
Pour un projet, le mode opératoire n’est pas un univers entièrement rationnel puisque les comportements humains et les incertitudes de l’environnement modifient le cours des événements. L’essentiel est de créer un terrain fertile qui permettra aux collaborateurs de comprendre les problèmes auxquels ils sont confrontés et d’apporter des solutions adaptées. Il n’est pas non plus question d’ajouter aux superpositions verticales d’une organisation hiérarchique de nouvelles rigidités transversales que peut engendrer une organisation dite matricielle.
Sociologiquement parlant, en ce qui concerne le mode opératoire des projets de développement, pour sa réussite, il faut nécessairement prendre en compte les points suivants :
− définir les responsabilités et les contributions de chaque intervenant ;
− faire ressortir un calendrier clair, un chronogramme et respecter les différentes étapes ;
− ne pas le remplir mécaniquement mais de façon réfléchie et objective ;
− doit être dynamique selon les circonstances du projet ;
− doit ressortir une planification réaliste et une budgétisation claire et transparente ;
− doit servir d’instrument au dialogue et à la négociation avec les partenaires;
− l’équipe chargée de l’encadrement des activités doit faire preuve d’une capacité ;
− tous les points cités doivent être élaborés de façon participative et en concertation avec les différents intervenants.
Il est évident que les cycles des projets et les modes opératoires ne constituent pas un remède infaillible aux difficultés légendaires de planification des projets de développement. La sociologie retient, entre autres,- la négligence de la participation des bénéficiaires, - la négligence des facteurs externes du projet (la réussite d’un projet de développement est fortement corrélée au système dans lequel il est réalisé), - des objectifs nébuleux (les initiateurs des projets développent, arrêtent des objectifs vagues souvent basés sur l’intuition des experts),[324] - l’ignorance de certains facteurs de qualité (la conception des projets par les initiateurs ne tient pas forcement compte de certains facteurs essentiels de qualité comme : l’implication des groupes faibles comme la femme à la formulation des idées de projets ; l’analyse convenable de l’impact des interventions sur l’environnement du projet ; prise en compte du contexte socioculturel des populations bénéficiaires), ainsi que la logique d’action, etc.
Il y a lieu, ici, d’insister sur le fait que l’esprit capitaliste exige que l’entreprise soit rentable pour le porteur des capitaux, c’est-à-dire, pour l’investisseur. A partir de sa financiarisation, la logique capitaliste entretient la prédation. Elle se veut ainsi un facteur d’instabilité et de violence potentiellement producteur de conflits sociaux.[325] Cette logique prône le maintien du coût de production à son niveau le plus bas. D’où la pratique des salaires, parfois, en dessous du minimum vital et des prix à la production forte dérisoire.[326] Il s’en suit que toute entreprise capitaliste, dans son fonctionnement, assure à l’employé un salaire uniquement pour sa survie.[327] Certes, l’esprit capitaliste ainsi expliqué, se présente comme l’un des éléments perturbateurs de la société.
Voilà pourquoi, nous faisons nôtre la pensée de Adrien Richard Gbwadjou Aoudou qui écrit : « les paysans sont réfractaires à la colonisation rurale. Les politiques de développement mises en train par les pouvoirs publics africains ou des organismes d’appui étrangers n’ont pas dans l’ensemble, fait progresser le monde rural. Non parce que les ruraux sont contre le développement, mais, parce qu’ils sont réfractaires à cette nouvelle forme de colonisation qui veut que le paysan ait tout à apprendre de l’autre »[328]. En effet, contrairement à l’économie capitaliste, l’économie communautaire fait que tous les producteurs possibles accèdent aussi bien aux moyens de productions qu’aux sources des richesses. Cela est rendu possible grâce à la stratégie communautaire qui peut se résumer en ces termes : « le salut de l’individu à travers le salut du groupe ».[329] Il sied de considérer que l’économie capitaliste qui s’impose à l’ensemble des Etats du monde, ne favorise pas cette productivité généralisée, condition sine qua non de la vie communautaire.
De ce qui précède, il y a lieu, sans pour autant cautionner le monisme explicatif, de rappeler que l’économie marchande, avec sa logique capitaliste ou marginaliste, assure la rupture entre la vie économique et la vie sociale. Par la sélection qu’elle entretient en ce qui concerne la main-d’œuvre, l’économie marchande ou capitaliste écarte beaucoup de producteurs potentiels de son circuit. Ainsi, la logique capitaliste et/ou marginaliste, avec cette sélection qu’elle aménage, entretient, non pas seulement, la paupérisation des masses admises dans son système, mais aussi, et surtout, elle rime avec le chômage et le parasitisme familial.[330] Ainsi, la paupérisation, dans le cadre de cette étude, doit être comprise comme un ensemble des mécanismes, mieux, un processus complexe, consistant en un appauvrrissement progressif et contenu d’une population ou d’une classe sociale, débouchant sur une marginalisation socio-politique de la population considérée ou dans les cas extremes, sur sa misère.[331]
SECTION III. DES PROJETS DE DEVELOPPEMENT RURAL, DE LA LOGIQUE CAPITALISTE ET DU MONDE RURAL CONGOLAIS : ENDOSCOPIE DES FAITS ET DE LA TERRITORIALISATION COMME NOUVEAU PARADIGME DE GESTION
Nous nous engageons au nivaeu de cette section, à l’analyse des apports des projets de développement rural qui se multiplient à travers la République, en étant planifiés et exécutés suivant la logique d’action marginaliste ou capitaliste.[332] Autrement dit, cette section fait dégager une vue générale de l’impact de ces projets, tracés par la logique capitaliste dans les milieux ruraux congolais, avant d’analyser la situation particulière de la Cacaoyère de Bengamisa dans la Province de la Tshopo. Un mot sera dit à propos de la territorialisation des projets de développement rural que nous proposons comme remède par cette étude.
§1. De la pratique des projets de développement rural en RD. Congo et des contraintes de la logique capitaliste : esquisse d’une vue générale de la situation
De prime à bord, en RD. Congo, s’il faut paraphraser Baende Ekungola Jean Gérard, nous sommes d’avis, de manière générale, que la pratique des projets de développement rural, la pauvreté, les actions de réduction de la pauvreté et les frustrations des populations (rurales) alternent, sinon coexistent. Cela se passe « sous le regard tantôt complice, tantôt impuissant des gouvernants, souvent désavoués eux-mêmes par les populations qu’ils gouvernent, à cause de l’inadéquation entre les potentialités du pays, leur gouvernance, c’est-à-dire, leurs visions et politiques, et l’état général de la vie des congolais. Pourtant, la somme des atouts de cette République aurait fait d’elle un modèle d’émergence en Afrique et dans le monde ».[333]
La littérature socio-économique parcourue par nous, nous fait noter que « le capitalisme est un processus de gestion, et comme tel, il dépend profondément de son environnement, politique et juridique. Donc, si cet environnement est juste et équilibré, alors le capitalisme participera au développement de la société. Si, par contre, cet environnement est laxiste, injuste et déréglé, alors le capitalisme peut basculer dans la pure logique de pédation ».[334] Une façon de reconnaître qu’il n’ya pas de barrière étanche entre le capitalisme et la prédation. Autrement dit, il n’y a pas de sens particulièr au capitalisme par essence, tout dépend de milieu dans lequel ce processus de production évolue.
En RD. Congo, le récul de l’Etat à tous les niveaux, fait que le capitalisme bascule vers la prédation. Point n’est besoin de rappeler que par la logique capitaliste, les bailleurs de fonds visent fondamentalement, leurs intérêts, contre vents et marées, au détriment de ceux des populations congolaises visées par leurs prétendus projets de développement rural.’ Mbaya Mudimba R., analysant l’impact de l’introduction de la culture de cacao dans l’agriculture des Bamanga, avait retenu que « les actions culturales entreprises par la CABEN dans l’agriculture paysanne Manga se carecterisent par une désarticulation entre la production des cultures vivrières et la production de la culture commerciale qu’est le cacao. Elles reposent sur deux rationalités différentes : celle de l’articulation des cultures vivrières avec la culture du coton qui préoccupe les paysans et celle de la seule rentabilité de la culture du cacao qui interesse la CABEN ».[335] Cette réalité « criminogène »,[336] est aussi soulignée par A. Kaba-Kaba Mika dans son étude intitulée : « Les actions de développement à la base et l’agression des milieux ruraux : cas du projet Ntsio dans le plateau de Bateke ».[337] Sous l’angle sociologique, cet auteur analyse les actions du développement à la base en rapport avec le projet « Ntsio » dans le plateau de Bateke. Ainsi, il arrive à la conclusion selon laquelle, les initiatives gouvernementales et privées sont qualifiées d’agression par les peuples autochtones.[338]
Force est, cependant, de retenir à partir des résultats de ces deux études que le projet CABEN comme le projet Ntsio ont introduit dans les milieux des paysans une rationnalité contraire la leur. Le même constat est fait pour d’autres projets de développement rural à travers le pays.[339] Ces projets de développement paraissent être des voies d’enrichissement de leurs initiateurs et/ou leurs gestionnaires, et sont à considérer comme des instruments de paupérisation des masses paysannes.[340] Par sa pénétration dans l’espace rural, le capitalisme essaie de s’organiser de manière à répondre aux exigences du profit. Cette nouvelle organisation amène une nouvelle rationalité distincte de la logique communautaire, qui, jusqu’alors, soutenait l’organisation de la vie dans les milieux ruraux.
N’est ce pas ce que Lombeya Bosongo Likund’elio rapporte : « le système économique capitaliste constitue le phénomène économique le plus lourd de toute l’histoire de l’humanité. Depuis l’économie de traite qui a précédé la traite négrière, l’ensemble de l’accumulation capitaliste qui passe par les croisades, les conquêtes coloniales, la perpétuation du pacte colonial qui se prolonge dans l’échange inégal, jusqu’à la mondialisation, le capitalisme a informé et structuré la planète toute entière. L’économie communautaire a été balayée par la colonisation, tandis que l’économie centralisée a disparu avec la dislocation de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. La Chine Populaire, devenue la République de Chine, n’a pas constitué le dernier bastion de l’économie socialiste, elle qui fait des « bonds en avant » grâce à l’ouverture de son économie à l’économie mondiale. Le 21ème siècle s’annonce sous le signe de la domestication des pouvoirs publics, dont le capitalisme avancé confisque et organise le transfert des prérogatives ».[341]
En effet, en République Démocratique du Congo, il se révèle que la rencontre entre un projet de développement rural et les initiatives locales met en contact deux mondes différents. Il y a les développeurs, les donneurs, les experts, concepteurs de projets, face aux développés, aux assistés, aux ignorants et bénéficiaires, etc. Elle augure, d'un espace d'interaction et de confrontation de nouvelles logiques multiples, voire, divergentes et contradictoires. Par ce contact, « la loi de la lutte des contraires »[342] se concrétise sans autre forme de procès.
Il y a lieu, ainsi, de retenir qu’en RD. Congo, chaque projet de développement rural, dialectiquement,[343] rapproche deux camps en conflit d’intérêts.[344] Nous avons, généralement, « le camp des porteurs des projets de développement (et/ou des bailleurs de fonds) » qui reçoit souvent 80% du profit de la production, d’une part, et le camp de la population réceptrice du projet, qui n’a souvent que 20% d’autre part.[345] Pour la bonne saisie de ces rapports dialectiques, nous avons à présenter la situation comme suit :
1. le [Camp des bailleurs de fonds et alliés, porteurs de développement (ONG, agences nationales ou internationales, experts, coopérants, techniciens,…).]: acteurs politico-étatique, propriétaires des fonds, des infrastructures et de tous les moyens de production. Ceux-ci s’accaparent, (chacun à son niveau), de tous les avantages que dégénèrent le projet financé et exécuté, peu importe le besoin de réinvestissement;
2. le [Camp de la population locale (les paysans engagés à l’exécution du projet à moindre coup)] : qui n’ont rien autre chose que les différents bras comme force de travail
Cette réalité de lutte d’intérêts entre ces deux camps (ou groupes) se réalise à tout moment qu’il y a un projet de développement rural. Certes, à travers toute la République, ces deux camps (que nous pouvons considérer « des classes sociales », si nous empruntons le langage marxiste et/ou celui de Bourdieu),[346] sont en contradiction et en conflit par rapport aux avantages que procure « la pratique des projets de développement rural». Ceci fait appel au principe dialectique de « lutte des contraires ».[347] D’ailleurs, il s’observe, de plus en plus, que la pratique des projets de développement rural, par leur financiarisartion, passe plutôt pour être un moyen de la criminalisation de l’Etat par les acteurs socio-politico-étatiques en RD. Congo. Il en résulte un système constitué des réseaux d’acteurs, qui permettent et encouragent des attitudes et des pratiques de prédation.[348]
A travers des projets de développement rural, l’on assiste à la soustraction organisée, tolérée et/ou impunie des circuits financiers normaux des recettes publiques internes et externes par des responsables économiques, politico-étatiques et leurs complices, à leurs fins propres.[349] En effet, cette pratique qui devrait assurer la transformation de l’espace national, de manière générale, s’est fait lister dans la multiple et multiforme ornière de la « Dérive d’une gestion prédatrice »,[350] décrite par E. Mabi Mulumba, inhibitrice de toutes les perspectives de développement, ignorante de toutes les opportunités, irresponsable devant les défis à vaincre. Ainsi donc, le regard dialectico-sociologique trouve dans cette frustration de la population rurale paupérisée,[351] l’un des facteurs de sa démobilisation aux programmes de développement national et local. Le tableau ci-dessous résume nos propos à ce sujet.
Tableau I : Vue générale de la répartition des profits entre les deux camps engagés dans un procès de projet de développement rural en RDC.
N° |
Les acteurs en contradiction par rapport à la répartition des profits dégagés par un projet de développement rural |
% |
1 |
Camp des bailleurs de fonds et alliés |
80% |
2 |
Camp de la population locale engagé dans l’exécution du projet de développement rural |
20% |
Total |
100% |
Source : Tendance générale dégagée lors de nos enquêtes de terrain à l’Equateur, Bandundu, Katanga, Maniema, Province Orientale (anciennes configurations) en 2016 et, surtout à Bengamisa et son hinterland dans la Tshopo, en avril 2017, etc.
Commentaires : Les données du tableau ci-dessus découlent de la lecture de quelques travaux sur les projets de développement rural et des conclusions de notre passage en revue des quelques projets de développement rural à travers les provinces[352] de la République. Il montre que le camp des bailleurs de fonds (et/ou de porteur de développement, etc.) s’accapare de la part de lion des profits procurés par un procès de projet de développement (± 80%). La petite quotité (± 20%), qui est, généralement, réservée à la population locale engagée dans l’exécution de projet de développement, ne sert qu’au renouvellement de sa force pour le travail. Nous regroupons dans ce camp, tous les vendeurs de leur force de travail à vil pris.
Figure 1. Vue générale de la répartition des profits entre les deux camps engagés dans un procès de projet de développement rural en RD. Congo.
Les éléments ci-haut évoqués et la littérature économico-sociologique à notre portée, nous autorisent de soutenir que les projets, dits, de développement rural, se présentent comme des micro-entreprises. Etant que tel, ils fonctionnent, souvent, comme toute entreprise capitaliste.[353]En effet, basée sur la logique d’action marginaliste, c’est-à-dire, la liberté de propriété individuelle étant la règle, ils s’adonneraient plus à la recherche du profit de l’investisseur.[354] En conséquence, tout financement d’un projet de développement rural, soit-il, devrait être rentable pour le bailleur de fonds (et/ou son initiateur). C’est la raison pour laquelle, il est utile de soutenir que l’action actuelle des gouvernements de la RD. Congo, par la pratique des projets de développement rural ne rassure pas le salut de ces populations. Il n’est pas non plus logé dans l’action des « développeurs-porteurs » de financement qui s’accaparent de la part de lion des retombées de ces projets. N’est-ce pas que Léonard Ntuaremba Onfre révèle : « dans leur réalité la plus crue, les mouvements internationaux visent principalement la recherche de la rentabilité financière la plus forte et la plus rapide »[355] ?
Sans pour autant donner raison aux marxistes, lorsqu’ils soutiennent que l’Etat, dans les sociétés capitalistes, aurait pour mission le maintien de l’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie.[356] Il se remarque de plus en plus que toute crise économique de quelque importance, intérieure ou internationale, redonne à l’Etat le rôle de régulateur et de soutien du capitalisme, qui a été son rôle historique. En dehors de ces facilités d’ordre administratif et fiscal : régulations, contrôle, mesures protectionnistes … l’Etat est aussi le client le plus important du « secteur privé », et certaines industries majeures n’y pourraient survivre sans la clientèle de l’Etat, sans les crédits, subventions et avantages qu’il leur accorde.
Force est ainsi notre, d’affirmer que l’intervention de l’Etat dans chacun des aspects de la vie économique n’est pas un phénomène nouveau. Cette intervention a présidé à la naissance du capitalisme ou tout au moins, l’a guidé et l’a aidé dans ses premiers pas… Cette intervention n’a jamais cessé d’avoir une importance capitale pour le fonctionnement du capitalisme même dans les pays les plus voués au LAISSER-FAIRE et à l’individualisme le plus farouche ».[357] En République Démocratique du Congo, donc, par la pratique des projets de développement rural, la population rurale subit la paupérisation. Cela, se fait devant le recul manifeste de l’Etat et/ou l’indifférence totale des pouvoirs publics. Ainsi, la population rurale se retrouve en face d’une situation de conflit que les psychologues appellent « d’approche et évitement».
De ce qui précède, il y a lieu de retenir qu’en RD. Congo, à travers les projets dits de développement rural, les capitalistes détruisent, accablent les masses rurales par la faim, le pillage, les bas salaires et l’exclusion. L’Etat, au service du capital, après avoir maitrisé le travailleur et le paysan par la limitation de leurs droits, se donne encore une autre tâche. Il s’âgit de maîtriser la nature humaine, de prevoir et de prévenir les sentiments contraires à l’accumulation, d’effacer ce qu’il y a de plus homme en homme : « la volonté d’une humanité toujours plus accomplie ».
En définitive, avec la logique capitaliste telle que décrite ci-haut, nous sommes dans le droit d’affirmer que la pratique des projets de développement rural, qui assurerait la transformation de l’espace rural congolais, en particulier, et, de l’espace national, en général, s’est fait lister dans la multiple et multiforme ornière de la « Dérive d’une gestion prédatrice », décrite par E. Mabi Mulumba, inhibitrice de toutes les perspectives de développement, ignorante de toutes les opportunités, irresponsable devant les défis à vaincre. Ainsi, dans cette frustration de la population rurale paupérisée,[358] nous trouvons l’un des facteurs de sa démobilisation aux programmes de développement local et national. Les divergences des intérêts entre bailleurs de fonds et pays bénéficiaires, ont souvent tendance à reléguer au second plan, les objectifs globaux de ces projets de développement rural. A cet effet, tout en faisant notre, la pensée de Severino, J-M. et Charnoz, O., nous recommandons que les mesures de réduction de la pauvreté par des projets de développement rural, tiennent compte des conditions économiques spécifiques et de la situation sociale de chaque milieu. Celles-ci, doivent être comprises et définies par les différents groupes sociaux qui existent.[359]
§2. De la logique capitaliste et la transformation de l’espace rural congolais par des projets : la territorialisation comme un nouveau paradigme de gestion
De prime à bord, face aux problèmes de l’hétérogénéité, de l’incompatibilité, de la fragmentation et de l’intégration, de l’ordre et du désordre, de l’inégalité, de l’exclusion et de la solidarité, de la domination, de l’exploitation, des affrontements idéologiques et des relations humaines, qui sont souvent régies par des rapports de force, que pose la logigique capitaliste, il importe de faire notre la pensée de Serge Latouche. Celui-ci préconise la décolonisation de l’imaginaire des pays pauvres.[360] De ce fait, la sociologie nous contraint de proposer la territorialisation comme le nouveau paradigme de gestion. Ces propos nous amènent à plancher sur la « territorialisation des projets de développement rural».[361]
Dans le cadre de cette étude, la « territorialisation des projets de développement rural » doit être comprise, à la fois, comme une pensée et, comme un mode de gestion. Elle consiste à l’identification du projet de développement rural au territoire cible, mieux, à la collectivité jugée réceptrice du projet. Elle consiste à l’appropriation du projet de développement rural par la population cible.
Certes, comme un mode de gestion, la territorialisation des projets de développement rural englobe l’approche participave en la dépassant. Elle prone la participation de la population du territoire cible, mais, la dépasse, car, elle exige la prise en compte des réalités et des besoins de l’espace conerné par le projet. Surtout, elle conditionne l’implication de la population cible dans toutes les étapes du procès du projet de développement. Voilà, pourquoi, elle ne doit pas être comprise dans le sens donné par Trouvé[362] et ses pers,[363] qui ont, pour leur part, disserté sur « le territoire de projet ».
Certes, pour Marielle Berriet-Solliec & Aurelie Trouvé, le « territoire de projet »[364] renvoie à un espace de référence qui a du sens que pour l’action des acteurs dans la mésure où il correspond à la réponse à un appel à projet lancé par un echelon politico-administratif. Le territoire doit etre compris comme « la zone, la region, à l’interieur de laquelle vivent différents sujets économiques, sociaux et environnementaux qui exercent différents activités, ont besoin de différents services, infrastructure, etc. Sur le territoire rural vit une communauté organisée qui a droit à une politique et à une gouvernance adéquate répondant aux besoins que cette communauté exprime ».[365]
Cependant, la territorialisation des projets de développement rural[366], quant à elle, puisqu’elle doit s’appuyer sur une gouvernance intelligente, fonde son action sur l’implication et la participation de la population concernée par le projet à tous les niveaux de son procès.[367] Il s’agit de la contextualisation de développement par rapport aux besoins présents du territoire cible, et soutenue par la participation réfléchie de la population concernée. Soutenue par « le sentiment du salut commun »,[368] elle recommande la participation de la population réceptrice de projet de développement : au niveau de la conception, au niveau de la sensibilisation, au niveau de l’exécution, au niveau de l’évaluation, et, au niveau de la décision de réinvestissement, etc... Le schéma ci-dessous illustre cette théorie de la territorialisation des projets de développement rural (ou le Cercle de la territorialisation : Le CT= P+ I (p) - C-S-E-Ev-DR…).
Schéma n° 2 : Illustration de la théorie de la territorialisation des projets de développement rural (Le CT= P+ I (p) - C-S-E-Ev-DR…)
Commentaires : Ce schéma réprésente de manière simplifiée la structure de la théorie de la territorialisation des projets de développement (rural) proposée par cette étude. Avec ce cercle de la territorialisation tel que présenté ci-haut, il faut retenir ce qui suit :
Þ T = « Territorialisation » (du projet) s’obtient par la
P (Participation) + I (Implication) de la population réceptrice du projet de développement rural à la :
- C = Conception ;
- S = Sensibilisation ;
- E = Exécution ;
- Ev = Evaluation, et ;
- DR= Décision de Réinvestissement, etc.
Certes, nous devons insister sur le fait que, dans un procès de projet de développement rural, le Cercle de la Territorialisation (Le CT= P+ I (p) - C-S-E-Ev-DR), c’est-à-dire, la participation et l’implication de la population du territoire concerné par le projet à la conception, à la sensibilisation, à l’exécution, à l’Evaluation, ainsi qu’à la décision de réinvestissement, doit se matérialiser sous l’œil vigilant des pouvoirs publics, qui doivent faire preuve de la gouvernance Intelligente. A cet effet, la territorialisation exige que le Gouvernement central, avec des élus locaux,[369] des agences de développement et des acteurs associatifs, etc., mettent en place des dispositifs concertés d’accompagnement des populations rurales en vue de renforcement de leurs capacités nécéssaires au développement de leurs milieux.
En définitif, la territorialisation, nouveau mode de gestion des projets de développement rural que nous proposons, fait partie des paradigmes de développement endogène. Il s’agit de tout développemnt « qui a sa base dans la société en développement ou qui est engendré de l’intérieur de cette société, est le seul développement digne de son nom».[370] Nous partageons ainsi le point de vue de Rémy Mbaya Mudimba, qui soutient que le developpement endogène est « un développement conçu par la population concernée et répondant, de façon prioritaires, aux besoins ou aspirations de cette population et aux réalités de son environnement social et naturel ; en d’autres termes, un développement non- aliéné ».[371] C’est dans ce sens que nous voulons que la gestionn des projets de développement rural se passe. En effet, la territorialisation incarne toute stratégie de la libération de la population (rurale) et prone la rupture avec la dépendance par la recherche de la récupération et l’expression de l’identité congolaise authentique en retouvant ses entrailles culturelles perdues. Voilà pourquoi cette production sociologique insiste sur «… la nécessité de la conscientisation …»[372] de la population rurale congolaise, qui doit briser l’insouciance des opérateurs économiques et socio-étatiques face à son devenir historique.
CONCLUSION DU DEUXIEME CHAPITRE
Le présent chapitre rappelle quelques notions de projet, il définit et soulève le problème du sens et de l’essence des projets de développement rural. La question de la logique d’action capitaliste qui, de manière générale, tracte les projets de développement rural en RD. Congo, fait aussi l’objet de notre analyse dans ce même chapitre. Structuré en trois sections, le chapitre insiste, sur la portée stratégique des idées et des valeurs dans le devenir historiques des sociétés étatico- nationales. Il scrute, en outre, la question de l’action résolue d’un groupe porteur, sujet de l’histoire, en mettant l’accent sur les deux modèles de cultures : le modèle de la culture débilitante, destructrice, qui est inhibitrice de développement et le modèle de culture créatrice, permissive de développement. Enfin, le chapitre esquisse la somme des éléments explicatifs de la théorie de la territorialisation des projets de développement rural, celle-ci étant proposée comme un nouveau mode de gestion, en vue de rendre porteur la pratique.
Certes, le concept projet n’est pas monosémique. Ainsi, dans le cadre de cette étude, nous l’avons défini comme un ensemble systématisé d'activités et de procédures établies pour réaliser des objectifs spécifiques à l'intérieur des limites de budget, des ressources et de délais préconçus. Il s’agit donc de la réalisation d'une activité dans le futur qui se caractérise par une envergure (moyens) et une ou plusieurs finalités (objectifs).[373] En effet, si le projet de développement se définit comme une action réalisée dans un objectif socio-économique orienté vers la satisfaction d'un besoin collectif de base (alimentation, santé, éducation, travail, infrastructures de base, information, connaissances, etc.) d'une communauté d'hommes et de femmes, leur permettant de s'épanouir dignement,[374] il faut considérer le projet de développement rural comme un ensemble organisé et cohérent d’activités réalisées collectivement et limitées dans le temps, mobilisant des moyens dédiés et visant à la production d’un objet-but concourant à améliorer la situation d’un groupe de bénéficiaires dans un espace rural.
Les données à notre possession nous forcent de soutenir que les projets de développement rural, qui se multiplient à travers la République Démocratique du Congo (à titre indicatif nous rappelons : le projet « Ntsio au Plateau de Bateke (Kinshasa[375]), le CODAIK dans le Kwilu, la CACAOZA et la PALMEZA (dans le Sud Ubangi), le Projet de Kiri (PRODEKI) dans le Mai-Ndombe et d’autres projets connus à Kanyama Kasese, etc.), sont planifiés et exécutés suivant « la logique d’action marginaliste ou capitaliste ».[376] Cette dernière, c’est-à-dire, la logique capitaliste, exige la rentabilité de l’entreprise à tout prix. Elle caresse, pour ce faire, la financiarisation des projets de développement rural, qui se font ainsi passer pour l’un des outils de prédation.
Par cette étude, nous soutenons que la pratique des projets de développement rural met ensemble plusieurs acteurs, qui peuvent être regroupés en deux camps en conflit d’intêrets. En effet, la sociologie[377] rapporte que la rencontre entre un projet de développement et les initiatives locales, rapproche, dialectiquement, deux mondes différents : le monde capitaliste et le monde communautaire. Autrement dit, nous avons des développeurs, donneurs, des experts, concepteurs de projets, face aux développés, aux assistés, aux ignorants et bénéficiaires, etc. Elle augure d'un espace d'interaction et de confrontation de nouvelles logiques multiples, voire, divergentes et contradictoires. En RD. Congo, cette dynamique de lutte d’intérêts entre ces deux groupes se réalise à tout moment qu’il y a un procès de projet de développement dans un espace rural donné.
Certes, à travers toute la République, ces deux camps (que nous pouvons considérer de « classes sociales », si nous empruntons le langage marxiste et/ou celui de Bourdieu),[378] sont en contradiction et en conflit par rapport aux profits que procure la pratique des projets de développement rural. Il devient ainsi utile de recommander que la société congolaise, en général, et, son espace rural, en particulier, cesse de paraitre comme « la société africaine des temps coloniaux. Celle-ci ayant été considérée d’« une société de consommation » ayant, d’une part, les colons « donnateurs de tout », et, d’autre part, des colonisés « consommateurs ».[379] Pour ce faire, il urge que l’agriculture bénéficie de l’attention des pouvoirs publics en vue de réoccuper sa place de secteur moteur de développement rural. L’Etat congolais doit assurer la substitution de « l’agriculture d’exportation »[380] par une agriculture qui demeure au service d’abord des agriculteurs eux-mêmes, et, devenir, ainsi, l’instrument de la stabilisation des populations rurales dans leurs milieux.
En définitive, retenons que dans un procès de développement, rural soit-il, il faut faire face aux contraintes de la logique capitaliste. Ainsi puisque « … le capitalisme n’a pas de visage : il dépend des lois et de l’environnement du moment… »,[381] l’action humaine réfléchie jouera un grand rôle. Car, c’est donc cette action qui crée des inégalités dans l’organisation de la production, comme dans l’organisation des institutions, mêmes pour des pays qui posséderaient des mêmes ressources potentielles, comme le cas pour la République Démocratique du Congo. Voilà pourquoi, nous partageons le point de vue de Bruno Mupinganayi Kadiakuidi, qui plaide pour la moralisation de la vie politique. Celui-ci insiste sur la nécessité de la «… volonté politique ferme et un patriotisme du type Lumumba au Congo (Kinshasa), Mandela en Afrique du Sud, Kadhafi en Libye, De Gaule en France, Mao en Chine, Cavour en Italie, Bismarck en Allemagne ».[382] Cela importe, car, c’est « le groupe porteur »[383] qui pense et actionne le développement national et booste l’émergence des populations rurales. C’est l’Etat géré par des hommes, « historiquement, qui demeure le levier central de tout ordre socio- politique naissant, même si à la longue et le triomphe du capitalisme aujourd’hui en témoigne, l’ordre parvenu à maturité s’approprie les pouvoirs de l’Etat, et ambitionne de se transformer en Etat lui-même. Ainsi, puisque la conquête du pouvoir de l’Etat ou, tout au moins, une forte participation au pouvoir de l’Etat joue un rôle STRATEGIQUE pour l’avènement de toute alternative socio-économique »,[384] la mise en place d’un système de gouvernement tenu par un « groupe porteur mu par la volonté de conquête et de domination, et sujet de l’histoire»[385] en RD. Congo, fait l’objet de notre plaidoirie à ce niveau de cette réfléxion, en vue de voir le monde rural congolais cesser d’évoluer à contresens ou à contre courant, et que cessent de triompher les intérêts des particuliers dans ce milieu.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
La première étape de cette réflexion qui se structure en deux chapitres, planche sur les considérations générales et théoriques de l’étude. En effet, la partie se consacre à la définition de développement et des concepts qui lui sont connexes, ainsi qu’à quelques « développements injectivés ».
Elle aborde la question des projets de développement rural entant que concept et comme pratique sociale, tractée par la logique capitaliste. Laquelle logique, caresse leur finaciarisation. Elle pose, en outre, la problématique des idées et des valeurs dans le devenir historique des sociétés, en insistant sur la place de l’homme dans le procès de développement. La territorialisation des projets de développement rural, prise pour théorie et pour un nouveau mode de gestion, fait aussi l’objet de débat dans cette même partie de cette production sociologique.
Dans le cadre de cette étude, nous rappelons que, le développement doit être compris tel que la littérature sociologique[386] l’aborde. Celle-ci met l’accent particulier sur son caractère global et intégré.[387] A cet effet, le développement, tout en présentant un procès interactif, reste une action permanente et dynamique visant le progrès à multiples dimensions de l’homme. Elle condamne tout ethnocentrisme occidental et le présente comme un idéal pour tous les peuples, voire, pour toutes les nations.
Cependant, il sièd de soutenir avec Serge Latouche que, tous les «développements adjectivés »[388] entrent dans le cadre de vernis lexical de la logique de la théorie libérale dominante. En outre, la sociologie insiste sur le fait que « la mondialisation »,[389] qui s’impose comme une réalité universelle, ne doit pas être considérée pour les pays du Tiers-Monde, et, particulièrement, pour la RD. Congo comme une nécessité historique, mais plutôt, comme une détermination historique. Ceci appelle l’insistance sur la portée stratégique des idées et des valeurs dans le devenir historiques des sociétés étatico-nationales, en mettant en exergue l’action résolue « d’un groupe porteur », sujet de l’histoire.
L’étude arrête que le développement, (rural soit-il), devrait être conçu, planifié et assuré, par des hommes porteurs de valeurs, soutenu par des hommes pour les hommes. Ceux- ci doivent tenir compte des réalités de leur société nationale et de leurs besoins propres. Certes, l’histoire comparée des nations nous mène à souligner que la démocratie n’est pas nécessairement synonyme de développement. En dépit de régime politique, le développement, ensemble des changements quantitatifs, qualitatifs et environnementaux pour le mieux être des populations, se veut, par dessus tout, tributaire de l’action historique d’un « groupe porteur » sujet de l’histoire et mû par la volonté de domination.
Evoquant la question de projet de développement rural, il importe de rappeller que la partie définit et table sur le projet, donne l’essence de projet de développement rural comme pratique sociale. En effet, de toutes les différentes définitions de projet recensées par nous, tout au long de cette étude, nous ressortons quatre éléments clés qui se répètent partout. Il s’agit des : objectifs, activités, résultats et de déllais. Pour ce qui est du sens à donner au projet de développement rural, nous notons qu’il s’agit de tout projet, qui propose des apports de toutes sortes, mais, cela dans le but de la transformation positive d’un espace rural. En RD. Congo, les projrts de développement rural sont, généralement, tractés par la logique capitalistte ou marginaliste.
Nous retenons, certes, dans le cadre de cette étude que « le capitalisme est un prcessus de production, et comme tel, il dépend de son environnement, politique et juridique. Donc, si cet environnement est juste et équilibré, alors le capitalisme participera au développement de la société. Si, par contre, cet environnement est laxiste, injuste et déréglé, alors le capitalisme peut basculer dans la pure logique de prédation ».[390] Tel est le cas en RD. Congo où la faiblesse de l’Etat et l’inobservance des règles de gestion font que les projets de développement rural passent pour un moyen de la paupérisation des masses rurales. Ainsi, face à cette réalité, l’étude propose la territorialisation des projets de développement rural comme nouveau paradigme et mode de gestion.
II Eme PARTIE
BENGAMISA, SON HINTERLAND ET SA TRANSFORMATION PAR LE PROJET CABEN : PRESETATION, ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES DE TERRAIN
Il sied de rappeler que cette seconde partie de cette dissertation, sous le regard dialectico-contrefactuel, planche sur l’état actuel des apports de la Cacaoyère de Bengamisa, une expérience particulière de projet de développement rural, logé dans le territoire de Banalia, dans la Tshopo. Sous l’angle micro-économique, le projet CABEN se veut une micro-entreprise spécialisée dans la culture du cacao. Ainsi, elle s’accommode avec la notion de projet pris pour un investissement. Cependant, vue sous l’angle micro-sociologique, nous sommes dans le droit de soutenir que ce projet fonctionne selon la logique capitaliste decrite ci-haut.
Pour la clarté de l’exposé, il nous parait utile que cette partie se structure en deux chapitres. Le premier, parle du rural et de l’espace rural, en esquissant une vue synoptico – sociologique de la vie villageoise en RD. Congo. Il fait une brève présentation de l’« espace Bengamisa », le milieu rural récepteur du projet sous-étude. Le même chapitre, offre quelques informations sur le projet CABEN : son contenu et sa trajectoire historique. Dans un langage statistique, il en offre des données de terrain par rapport à son impact à Bengamisa et son hinterland. Par contre, sous le regard dialectico-contrefactuel, le deuxième chapitre, et, le dernier, à partir de ces données de terrain évoquées, analyse et interprète des résultats. Il insiste sur des aspects de paupérisation de la population rurale et propose des perspectives. Elles militent pour la territorialisation des projets de développement rural, en plaidant pour « une économie cacaoyère durable » en République Démocratique du Congo.
DE BENGAMISA COMME MILIEU RECEPTEUR DU PROJET : ESQUISSE D’UNE VUE SYNOPTICO – SOCIOLOGIQUE D’UN ESPACE RURAL ET DU PROJET CABEN
Le présent chapitre a pour objectif de faire la présentation de l’espace Bengamisa, notre milieu d’étude. C’est l’espace géographique dans lequel le projet CABEN est logé. Il importe d’indiquer que, outre l’esquisse de la morphologie de la vie villageoise et de la présentation des faits de la pauvreté dans l’espace, aujourd’hui dénommé la République Démocratique du Congo, nous tablerons, d’abord, sur le concept rural, avant de faire la présentation de « l’espace Bengamisa». La question de la paysannerie congolaise et ses rapports avec le reste du monde fera aussi l’objet de notre analyse.
Il est utile de noter que ce chapitre s’intéresse aussi à l’évolution historique de la Cacaoyère de Bengamisa. Il l’analyse comme projet de développement rural dans l’ancience Province Orientale, pricisément, dans le District de la Tshopo, (aujourd’hui, devennue la Province de la Tshopo). Le chapitre fait la description des circonstances de la création du projet, en donne le contenu, et scrute quelques unes de ses réalisations dans sa prémière phase de financement. Pour ce faire, le chapitre est ainsi organisé en trois sections.
SECTION I. DU MONDE RURAL, DE LA VIE VILLAGEOISE ET DE LA PAYSANNERIE EN RD. CONGO
L’étude porte sur l’impact des projets de développement dans le monde rural congolais. Elle se sert de l’expérience de la CABEN, projet logé dans un espace rural congolais denommé Bengamisa. Ainsi, en vue de fixer les esprits, cette section aborde la question sur les concepts rural et de l’espace rural. Elle table sur la morphologie de la vie villageoise et sur le problème de rapports de la paysannerie congolaise avec le reste du monde. La section met, également, l’accent sur la tendance d’autoconservation reconnue aux milieux ruraux dans le cas de l’espace rural congolais paupérisé.
§1. Quid du rural ? : condensée d’informations sur la vie villageoise et sur la paysannerie en RD. Congo dans ses rapports avec le reste du monde
Le concept « rural », pris comme adjectif, est défini par le Robert Méthodique comme ce qui concerne la vie dans la campagne. Etymologiquement, rural vient du « rus » qui signifie « campagne ». Rural se rapporte ainsi à tout ce qui a trait au mode de production paysan. Puisque nous parlons « rural », il est commode que nous évoquions aussi la ruralisation.
Mais, avant cela, nous signifions, du point de vue de la sociologie que, « rural » comme substantif désigne tout celui qui habite dans un espace rural. Il peut être un paysan (pour désigner tout celui qui ne vit que du travail de la terre ou de l’agriculture), d’un forgeron, artisan, etc.
Quand à la ruralisation, « elle désigne le processus par lequel un espace géographique, acquiert des aptitudes rurales, par ses caractéristiques et les valeurs du monde rural. C’est le processus par lequel un centre se ruralise ».[391] Il peut s’agir de l’aspect anthropologico-sociologique, c'est-à-dire, lorsqu’on tient compte du comportement des habitants du centre considéré, de l’aspect démographique lorsqu’on considère le nombre de la population et de l’aspect purement urbanistique, lorsque le centre considéré perd progressivement les atouts d’une ville, etc. Si l’indicateur par lequel se mesure la ruralité reste, d’abord, le niveau d’activité agricole, précisons que « la ruralité désigne le degré auquel un pays, une région et/ou un territoire est ruralisé».[392] A ce point de vue, Darly note que : « 25 millions d’habitants qui peuplent l’Afrique au sud du Sahara, groupés en inombrables petites collectivités rurales continuent en grande majorité de pratiquer une agriculture de subsistance ».[393]
En effet, Kaba- Kaba Mika soutient que toute définition de l’espace rural poserait des problèmes dans la mesure où cet espace est complexe. Il note que « l’espace rural est un complexe constitué par un environnement géographique non urbain et par des fonctions différentes établies par l’homme ».[394]
A coup sûr, nous faisons observer que l’espace rural regroupe l’espace naturel et l’espace agricole. Le premier désigne les surfaces non aménagées par l’homme, c'est-à-dire les montagnes, les marécages et donc les secteurs laissés à l’abandon et non transformés par l’homme. Pour le Congo-Kinshasa par exemple, un tel espace représentait 51,74% des superficies totales des terres d’après l’étude du Département de l’Agriculture et Développement rural (1982). [395] Il importe de noter que le second, c’est-à-dire, l’espace agricole désigne la portion de l’espace aménagé en vue de la production agricole et couvert de ce fait d’une végétation utilisée par l’homme : les terres labourables.[396] Ainsi, se caractérise-t-il par la dissémination des activités et des hommes, l’importance des activités et du type fondamental.
Le monde rural, en général, le village et/ou la campagne, en particulier, se distingue du milieu urbain (la ville) par l’homogénéité de son territoire qu’il occupe. Le paysan, pour désigner la population paysanne et/ou villageoise, est attaché aux habitudes ancestrales, dans un mode de production communautaire. Au village, c’est la parenté,[397] fondée sur la solidarité, qui assure les rapports sociaux de production. Dans ce mode de production « villageois », communautaire, la terre a une valeur existentielle. Elle appartient à la collectivité et non à l’individu. Chaque membre en est l’usufruitier. Vis-à-vis de la terre, les paysans ont une attitude émotionnelle et affective. Cela fait de la terre, une valeur non seulement économique, mais, surtout, socio- religieuse.[398]C’est la terre ancestrale.
Le monde rural est une catégorie la plus englobante qui inclut le monde paysan. Est rural, ce qui n’est pas urbain. Mais, la dominante rurale, précisément, fut longtemps dans les pays aujourd’hui post-industrialisés et fondamentalement dans les pays peu développés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, la composante paysanne. C’est cette composante dite paysanne qui, par le travail de la terre, ses produits, sa main d’œuvre, entretient des échanges essentiels avec le monde urbain plus que les artisans et les fournisseurs de services. Malgré qu’il soit paysan dans son centre, l’espace rural demeure total et complexe.[399]
Cependant, la conception de l’espace rural en l’opposant à l’espace urbain laisse entrevoir un conflit. Le rural se retranche dans sa campagne et refuse de se laisser envahir par la ville et par les citadins. Certains analystes des sociétés soulignent que, face aux enjeux de la planétarisation qui entretient le darwinisme dans tous les fronts, c’est le milieu rural souvent qui subit négativement les actions des milieux urbains. Jusqu’à une date récente, il était facile au géographe de distinguer l’espace urbain qui se marquait par un point sur une carte à grande échelle, et l’espace rural, c'est-à-dire tout le reste. L’espace rural était pour l’essentiel consacré à l’agriculture et l’espace urbain aux autres activités économiques, politiques et administratives du monde moderne.
Cette dichotomie n’est plus de mise aujourd’hui. Il y a certes, des zones à faible densité de population, où la majeure partie de l’espace reste occupée par des activités agricoles, et des zones à forte densité, dépourvues de toute activité agricole, mais non dépourvues de zones récréatives « biologiques » comme les jardins publics. L’activité économique des zones rurales semble loin d’être toujours exclusivement agricole.
Nkwembe Unsital[400] indique que dans les pays développés, il existe de nombreuses industries, et même des sociétés de services qui préfèrent s’installer en zones rurales. Il en est souvent de même dans les pays en voie de développement, avec la circonstance aggravante qu’il est de plus en plus fréquent de rencontrer des situations dans lesquelles beaucoup d’habitants des zones rurales ne vivent plus d’aucune activité économique, et se bornent à attendre les mandats qui leur sont envoyés par leurs parents travaillant « en ville ». En plus, avec le développement des moyens de transport, en Europe et dans d’autres pays développés, de nombreuses personnes travaillent en « ville » et vivent « à la compagne » dans des maisons individuelles qui occupent des surfaces non négligeables dans certains pays. Cela fait qu’à ces jours, les spécialistes ruraux réfléchissent davantage en termes de réseau ou d’espace géographique.
En ce qui concerne le village et la vie villageoise en République Démocratique du Congo, soulignons qu’entrée historiquement en conflit avec les forces productives, la communauté villageoise ne peut s’identifier avec elles. Mais elle n’est pas davantage un mode de production. Etymologiquement, le terme « village » dérive de l'ancien français vil(l) e « ferme, propriété rurale, agglomération » issu du gallo roman VILLA « domaine rural », du latin villa rustica « grand domaine rural » avec un suffixe-âge. Il est attesté sous la forme latinisée villagium « groupe d'habitations rurales » en latin médiéval dès le XIe siècle, mais rare avant le XIIIe siècle et uniquement d'un emploi savant. Il permet de faire la distinction avec « ville », mot qui pouvait avoir soit le sens de « domaine rural », soit celui de « village, agglomération », avant de prendre celui, unique, d'« agglomération urbaine » qu'on lui connaît aujourd’hui.[401]
En effet, le village apparait dès qu’il y a fixation au sol d’un groupe d’hommes auparavant nomades ou semi- nomades. Il disparait, au sens précis du mot, dans certaines conditions, notamment, devant la grande exploitation (de type antique, villas romaine, latifundia, de type féodal, sovkhoz socialiste). « Sans doute, autrefois, les villages se déplaçaient, mais, ce fut toujours dans les limites qui avaient une signification pour le groupe en mouvement, comme pour les groupes environnants. Le village, dans ses activités de production, se meut dans un espace qui le désigne et qui en indique les limites aux groupements voisins ».[402] Par là, il se révèle le caractère total de l’habitat. Celui-ci résulte de la nature des liens de l’homme avec la terre.
Certes, est village, une « agglomération rurale caractérisée par un habitat plus ou moins concentré, possédant des services de première nécessité et offrant une forme de vie communautaire ».[403] C’est là où triomphe la force de la parenté, la communauté villageoise se reconnait par les relations réciproques et l’interconnaissance des individus. Elle réunit organiquement, non des individus, mais des communautés partielles et subordonnées, des familles (elles-mêmes de types différents, mais inséparables de l’organisation de la communauté). Henri Lefebvre[404] nous donne la structuration villageoise.
Selon Genevoix, le village constitue une « agglomération rurale; groupe d'habitations assez important pour former une unité administrative, religieuse ou tout au moins pouvant avoir une vie propre ».[405] Pour Emile Durkheim, « la dernière molécule sociale, le village, est bien encore un clan transformé. Ce qui le prouve, c'est qu'il y a entre les habitants d'un même village des relations qui sont évidemment de nature domestique et qui, en tout cas, sont caractéristiques du clan ».[406] Aristote de sa part, considère « village » comme la première communauté formée de plusieurs familles en vue de la satisfaction de besoins qui ne sont plus purement quotidiens.
Certes, la famille se veut, selon le philosophe cité, le premier stade de communauté que l’on peut observer. L’« unité sociale fondamentale et discernable demeure la famille étendue. Elle est construite autour d’un « ainé, ses frères, leurs enfants, qui constituent la parentèle qui a une origine commune, un ascendant ou une ascendante selon qu’on se retrouve en régime patrilinéaire ou matrilinéaire ».[407]
En République Centrafricaine, le village est une subdivision sans personnalité morale de la commune. Il est constitué en zone rurale par un ensemble de familles ayant réalisé entre elles une communauté d’intérêts pour des raisons ethniques, économiques, historiques ou religieuses. Il est dirigé par un chef de village élu pour dix ans et placé sous l’autorité du Maire de la commune. Au Rwanda, ce terme désigne aussi la plus petite division administrative du pays.
Mais le terme village s’emploie, aussi, souvent avec un qualificatif particulier. Le village planétaire (en anglais global village) est une expression qui exprime le raccourcissement des distances dû au développement des communications, particulièrement avec internet. Elle a été créée en 1971 par le Canadien Herbert Marshall Mac Luhan, professeur à l'université de Toronto, lorsqu'il publia War and Peace in the Global Village. Un « éco village » (ou éco-village, éco-lieu, éco-hameau), est une agglomération, généralement rurale, ayant une perspective d'autosuffisance variable d'un projet à l'autre et reposant sur un modèle économique alternatif. Par contre, le « village étape » est un label officiel français attribué à des communes de moins de 5000 habitants situées à proximité d'un grand axe routier. Dans le même ordre d’idées, un « village vacance » est un hébergement touristique qui accueille essentiellement des familles, le plus souvent lors de leurs vacances. Il s’observe qu’à côté des villages purement agricoles et des villages de résidence pour les travailleurs urbains (villages-dortoirs) apparaît une catégorie de village « urbanisé » plus complètement : le village-centre ou centre rural (George1984). Il s’agit de type de village dont l'aménagement et les équipements se rapprochent de ceux d'une ville, (village-centre). Mais par contre, le « village-dortoir » est celui qui est constitué, essentiellement, d'habitations dont les habitants travaillent en ville.
L’étude retient quelques éléments par lesquels se forgent les définitions du village. Il s’agit, entre autres, du seuil de la surface et de la population, de la fonction et la situation géographique, etc. Toutefois, il se remarque que les seuils de la surface et de la population au-delà desquels on peut dire qu'un établissement humain est un hameau, un village, un bourg ou une ville sont relatifs. Ils varient dans l'histoire et selon les territoires. En 1825, F. J. Grille note à propos de Wormhout qui abrite alors trois à quatre mille âmes, en Flandre maritime, dans le département du Nord, qu'il ne sait pas s'il faut parler de village, ou plutôt de bourg, ou même de ville. « On donne en Flandre le nom de village à des lieux qui, dans les Alpes ou les Pyrénées, seraient très bien des préfectures »[408], commentait-il. De l’autre coté, en France, dans certaines régions, dont le Limousin ou la Bretagne, le terme « village » désigne un hameau, dont le nombre d’habitations peut être inférieur à cinq maisons. Ainsi la commune (ou paroisse) comprend son bourg et ses villages[409]. Au Canada, par contre, le terme village peut désigner un type de municipalité ; au Québec, la municipalité de village est l'une des cinq expressions qui désignent les municipalités, lorsque son territoire correspond à un village au sens d'habitat plus ou moins concentrés6. Mais, en Italie et Suisse italienne, l'équivalent est frazione, sous-division d'une commune.
Si le « village-hôtel » désigne l’ensemble d'hôtels constitué d'habitations regroupées sur le modèle des villages et possédant ses propres équipements, le « village-retraite » renvoie à l’ensemble d'habitations destinées aux retraités dans les villages. Des retraités quittent les grandes agglomérations trop coûteuses pour s'installer à la campagne soit individuellement, soit dans des «villages-retraite ».[410] Il y a lieu de noter pour ce qui est de la République Démocratique du Congo que le village constitue la principale unité du pouvoir. Constitué des clans, qui, à leur tour, renferment des familles, le village, généralement, est dirigé par le chef de village qui est assisté des chefs des clans. Selon qu’on est en face d’un système patriarcal ou matriarcal, le chef du village protège celui-ci, règle des conflits et conduit des rites destinés à l’ouverture des activités socio-économiques, etc. Ainsi, puisqu’au village, le communautarisme ordonne que le chef ne mange pas seul, chaque membre du clan ou de la famille a l’obligation de lui procurer une part importante de sa production (comme taxes et impôts), en vue de s’en servir pour soutenir les indigents et de recevoir des étrangers, etc. C’est la raison pour laquelle il est dit que la force d’un village et de son chef réside essentiellement dans le nombre de ses hommes actifs.
Concernant la géographie d’un village, c’est-à-dire, son implantation, celle-ci demeure significative. En effet, n’importe qui ne peut pas implanter son habitation à n’importe quel endroit.[411] Dans la plupart de cas, les villages congolais sont implantés au prêt d’une source (d’eaux) et, généralement, au long de la route. Chez les Yansi, par exemple, ils « construisent sur des collines et donnent à leur village une disposition axial : une large rue centrale partage les deux rangées de maisons. Alors que les Mbala lui donnent une disposition circulaire. En République Démocratique du Congo encore, par dessus tous, le biotope, pour exprimer le milieu physique, impose certaines contraintes aux groupements humains villageois. L’agriculture de famille en milieu rural congolais utilise encore des outils très faibles. Pour ce faire, « l’organisation familiale développe, naturellement, l’esprit communautaire, et la coopération économique dans le travail ».[412] Quelques images offrant la morphologie de ce que l’on appelle village en République Démocratique du Congo sont alignées en annexe (I).
Ces images présentent des élements des villages avec des maisons étalées de part et d’autre de la route. Celles- ci sont construites, soit, en stiques, soit encore, en briques à dobes ou voire même, d’autres couvertes par des feuilles, etc. Le communautarisme, caractéristique principale de la vie au village se fait ainsi remarquer. Si la sociologie[413] reconnait, en outre, que la maison dans les pays tropicaux a comme fonction, de garder les biens et de se protéger contre les intempéries. Les photos (en annexe I) témoignent que, généralement, tout se fait à l’extérieur de la maison.
Retenons en définitive que le village est cet espace géographique dans lequel les membres d’une communauté, généralement, les descendants d’un ancêtre commun aménagent leur habitat. Il s’agit de l’espace dans lequel la communauté des hommes vivant en interconnaissance, établit son habitation, où elle pratique la chasse, le piégeage et l’agriculture à la base de jachère, etc. Certes, par delà les attaches économiques avec la terre, il y a aussi des liens spirituels. En en effet, « … il est utile de distinguer la terre, moyen de production agricole dans lequel s’incorpore le travail de l’homme, du territoire, espace reconnu, revendiqué par le groupe et objet de ses activités économiques extractives (chasses, pèche, cueillette) ou selon la pertinente terminologie marxiste, entre terre, moyen de travail et objet de travail».[414] Certes, en République Démocratique du Congo, les attaches d’ordre spirituel observées chez les villageois envers la terre, présentent une dimension qui fait de la communauté villageoise et/ou de l’espace tribal un fait social total.
En ce qui concerne la paysannerie, nous empruntons les mots de Redfield, et, nous notons que celle-ci renvoie aux petits producteurs agricoles, utilisant la main d’œuvre familiale et qui, principalement, produisent à l’aide d’un équipement simple, en vue de l’autoconsommation et s’acquitter d’obligation politique, ainsi que économique.[415] Il ressort de cette affirmation, des liens existentiels entre le paysan et la terre.
Par rapport à la paysannerie congolaise et de ses rapports avec le reste du monde, soulignons que l’analyse sociologique de la communauté rurale laisse voir une configuration globale composée de diverses sphères d’activités fonctionnelles les unes par rapport aux autres. Chacune d’elles participe à l’équilibre général de la configuration. De ce fait, il y a lieu de retenir que la communauté rurale se veut une communauté organique. La caractéristique centrale de tout organe (ceci se réfère à la biologie et à la physiologie) ou de tout organisme (ceci se réfère aussi au social, au politique, à l’économie), est l’interdépendance des parties, des liaisons utiles dans leur majorité nécessaires à la vie et au fonctionnement des composantes.
Sans pour autant faire l’apologie de l’organicisme platonicien, comme toute réalité sociale, la communauté rurale et/ou villageoise se présente comme un individu, et subit plusieurs déterminations. Etant que tel, le monde rural se reconnait par la sphère du pouvoir, la sphère socio-économique et aussi, mais surtout, par la sauvegarde des équilibres (de la tradition) et la lente acceptation du changement. La sphère du pouvoir est la sphère d’activité qui tend à l’organisation et à l’équilibre général de la communauté, par l’assomption de la capacité de commander.
Il importe d’y identifier et de reconnaitre les hiérarchies traditionnelles superposées ou non, formelles ou non, religieuses ou profanes. La fonction essentielle de la composante autoritaire de la sphère du pouvoir est celle du maintien physique et de la conservation de l’identité. La sauvegarde des équilibres, le respect de l’intégrité physique et territoriale de la communauté sont donc capitales. Ces hiérarchies superposent les notabilités traditionnelles, formelles ou informelles, religieuses ou profanes. Ce sont-elles qui opposent le plus de résistance au changement. La négociation avec elle est au centre de toute stratégie d’adoption des innovations, de l’acceptation de celles–ci principalement quand elles sont porteuses « de changement social »[416] pour un élément du groupe ou pour l’appartenance du groupe.
De ce qui précède, il sied de nous poser la question suivante : quand on apporte une culture nouvelle, une technologie nouvelle, des procédés nouveaux, des idées nouvelles, y aura-t-il apparition d’un nouveau leadership, économique, social, religieux ou politique ?
La sphère socio-économique se présente comme la sphère des intérêts et des consommations matérielles, sociales et symboliques. Au centre de la vie paysanne et rurale, toutes les consommations qui s’attachent à la terre, sous forme de propriété soit privée, soit communautaire et ordonnancent les rapports sociaux, constituent le noyau appelé RENTE FONCIERE. Celle-ci, dit Henri Lefebvre,[417] est explicative de l’évolution de la société. Evidemment, retenons que toute théorie qui s’attache à donner la clé de la communauté rurale devrait partir de l’analyse des transformations que la terre subit, dans son ou ses processus d’appropriation et de rentabilisation. L’étude de Lombeya Bosongo Likund’elio sur les permanences structurelles du mode de production communautaire africain, [418] dans le cas particulier du mode de production communautaire en vigueur dans la cuvette congolaise, en offre plus des détails.
Point n’est besoin de rappeler en sociologue que les transformations que connait l’économie affectent inévitablement le social et le politique. Certes, en Europe comme en Asie et en Afrique, les liens de consanguinité sont pour le monde rural, le premier liant le social et l’économique. « Dans la communauté paysanne, on constate d’abord la prédominance des liens de consanguinité. Lorsqu’ils se dissolvent, ils laissent la place aux liens de territorialité sur la résidence, la richesse, la propriété, le prestige, l’autorité. On passe ainsi des parentèles étendues à la famille restreinte (avec prédominance masculine) et aux relations de voisinage ».[419]
Le monde rural et surtout le monde paysan se caractérisent par l’environnement qui comporte notamment :
Ø un déterminisme géographique certes relatif, des combinaisons sociales, disons une production sociale (culture, économie, politique, idéologique) fortement marquées par le terroir ;
Ø l’interconnaissance, qui est due à une proximité géographique, imposée par l’environnement, la taille des agglomérations et le volume démographique ;
Ø laissés à eux-mêmes, le monde rural et le monde paysan présentent une économie, une agriculture, un artisanat, une stratification sociale et une distribution de pouvoir marquées par la tradition ;
Ø des grandes mutations qui ont affecté le monde rural et paysan au cours de l’histoire.[420]
Il est importe de rappeler avec Hugues Dupriez que « la langue, la conscience des hommes et des femmes d’une communauté paysanne, leur personnalité propre, constituent des éléments importants du système de vie paysan ».[421] Raison est à Marthe Engel Borgh-Bertels, lorsqu’elle souligne qu’on « peut parler d’un monde paysan, non pas en ce sens que la réalité paysanne constituerait un monde isolé, mais à cause de sa variété extraordinaire et de ses caractéristiques propres ».[422] Certes, la spécificité rurale est globale, mais, elle reste paysanne dans son centre en ceci que par son économie, sa culture, ses sociabilité, sa perception du monde, son « autarcie » et son repliement sur lui-même, ses stratifications sociales, le monde paysan, arrimé à la terre et à ses modes d’exploitation, rythmés par les saisons a longtemps évolué dans des rythmes qui le distinguent du monde rural, et principalement du monde urbain ».[423]
La paysannerie connait, ainsi, un triple circuit d’échanges. En effet, la paysannerie entretient des échanges, premièrement, avec elle-même. Puis, elle a des échanges avec d’autres ruraux : nous citons par exemple les forgerons et les artisans, etc. Nous avons démontré ci-haut que le monde rural abrite non pas que les paysans, mais aussi, une catégorie de personnes qui y trouvent résidence, en travaillant en ville. Enfin, elle échange avec la ville dans le contexte de la mondialisation.
A coup sûr, l’observation nous autorise de souligner que la théorie socio-économique censée faire progresser les masses rurales ne les sort pas de l’ornière creusée par la colonisation de séparation de la ville et de la campagne. Dans ses rapports avec la ville, traditionnellement, la campagne est le milieu qui subit la forte influence de la ville. Celle-ci, par la volonté politique, par son économie et par son prestige socioculturel, pèse plus sur la société rurale.
Par son économie, le milieu urbain pour ne pas citer la ville, arrête les termes de la demande des produits agricoles et fixe les prix. La ville arrête l’offre des produits manufacturés vendus à la campagne et en fixe les prix. Par des influences culturelles de toutes sortes (idéologiques, religieuses, politiques) et le « prestige social urbain », la ville exerce une puissance d’attraction qui pousse à l’exode rural et à un mimétisme social. La campagne reste donc profondément affectée par l’influence de la ville qui, pour faire fonctionner ses usines et autres établissements, a besoin de la main d’œuvre de la campagne. Même chose en ce qui concerne le besoin en matières premières.
Cependant, si traditionnellement, les campagnes devraient alimenter les villes en produits agricoles de consommation, à l’heure actuelle en RD. Congo, la règle connait l’exception. Il y a des décennies, avec des guerres en répétions que la République a connues et les faiblesses des politiques de développement rural, les campagnes congolaises sont devenues improductives et vivent de l’aide des grandes villes et de la communauté internationale. « La distribution des farines de mais, etc., par la Croix rouge depuis un certain temps sous forme de don à la population Bongando de Yahuma, alors population essentiellement cultivatrice, avec les potentialités agricoles qu’offre la forêt de ce territoire rural cité, est un signe flagrant de beaucoup de recul pour la République Démocratique du Congo, en général »,[424] et pour les campagnes congolaises, en particulier.
Voilà pourquoi Henri Lefebvre souligne que : « la vie paysanne n’a plus rien aujourd’hui d’autonome. Elle ne peut plus évoluer selon des lois distinctes, elle se rallie de multiples façons à l’économie générale, à la vie nationale, à la vie urbaine, à la technologie moderne…».[425] La littérature sociologique sur les communautés rurales parcourue par nous, nous amène à rappeler que les variations d’ordre qualitatif ou quantitatif affectent les communautés rurales, sous des poussées internes ou externes. Celles-ci assurent la dissolution des composantes et de leur forme. Par ces modifications, la solidarité, caractéristique sociale la plus forte de la communauté rurale, cède, petit à petit, le pas à d’autres formes de relations de coopération.
Toutefois, l’analyse sociologique du changement social dans les communautés rurales révèle quelques constantes universelles. Il y a lieu de signaler par exemple, la sauvegarde des équilibres (de la tradition) et la lente acceptation du changement, comme des réalités retenues pour les communautés rurales. Si, rien (agression politique, poussée économique, religieuse, culturelle, poussée démographique, etc.) ne vient violenter le monde rural, il tend à conserver ses équilibres politiques, socio-économiques, culturelles, et productifs, etc. Cette tendance à s’auto conserver n’a rien d’étonnant. Elle répond d’abord à la notion d’homéostasie des organismes vivants ou des écosystèmes. L’homéostasie signifie le maintien d’un équilibre par le jeu de régulation. Un système homéostatique résiste aux changements et aux perturbations. Un écosystème est un système qui regroupe des espèces vivant en interdépendance. Par extension, le mot est valable pour tout système qui rassemble des être vivants et des machines fonctionnant en interdépendance
Ce principe d’autoconservation est universel : « tous les historiens de la communauté rurale ont insisté sur le fait qu’à une certaine époque (au XVIIIème Siècle en France, au 19ème siècle (…) en Russie) la communauté rurale a entravé le développement des forces productives en empêchant la liberté des cultures, en paralysant les initiatives et l’individualisme agraire, en gênant l’introduction des nouvelles cultures et de nouveaux instruments, etc.».[426] Il faut, cependant, reconnaitre que nous nous retrouvons là, devant le principe bien connu de la thermodynamique, celui de la conservation de l’énergie. Au niveau des organismes vivants et sociaux on a alors le mécanisme de l’auto sauvegarde, d’auto organisation, d’auto conservation. Il est vrai que la caractéristique d’autarcie (relative) des communautés rurales et paysannes procède de ce principe d’auto conservation. Il s’agit, pour la communauté villageoise ou territoriale, de sauvegarder son identité, son esprit, mieux, son âme, afin de maintenir ses équilibres, condition pour la sauvegarde et le maintien du groupe.
Cette caractéristique, en ce qui concerne les communautés rurales africaines, les théoriciens occidentaux développementalistes l’ont exprimée par la théorie des « freins et obstacles au développement »[427] en vigueur durant la décennie 70 jusqu’à la moitié des années 80. Les sociétés africaines traditionnelles ont fortement opposé une résistance aux bouleversements qu’ils sentaient derrière l’introduction des nouvelles technologies, des nouvelles cultures, bouleversements des équilibres sociaux, des stratifications sociales, des hiérarchies, bref, le bouleversement et la perte aussi bien de la stabilité que de l’identité des groupes. Il convient donc, de retenir qu’en Europe, en Asie, en Afrique, partout dans le monde, qu’il s’agissait et il s’agit là d’une « résistance normale » et « légitime » que la volonté de substituer des formes de vie à d’autres formes de vie rencontre. A ce point précis, il semble donc utile, de dégager un principe en ce qui concerne la modernisation. Il reste nécessaire, surtout lorsque l’on a affaire à une société passive, soumise à la réception des changements proposés de l’extérieur : innovations agricoles, technologiques et culturelles. La négociation avec la population réceptrice des innovations demeure la pédagogie exigée.
En effet, il sied de rappeler que, les théoriciens de l’Occident qui ont parlé du principe de « freins et obstacles au développement »,[428] l’ont fait par ignorance de cette règle fondamentale et universelle d’autoconservation. Ils ont été poussés dans cette voie par un européocentrisme confiant dans sa mission civilisatrice. C’est pourquoi, en tant que sociologue, nous proposons de résoudre ce problème d’acceptabilité de changement en rendant la stratégie compatible avec le principe d’auto conservation. A cet effet, les innovations proposées doivent être fonctionnelles et compatibles avec la trame de la vie dans le milieu d’accueil.
§2. Le milieu rural congolais et la dynamique de la pauvreté : esquisse de la morphologie d’un espace paupérisé
Ce paragraphe esquisse les différentes approches définitionnelles du concept de la pauvreté et en fait une radioscopie des faits dans les territoires ruraux congolais.
1. De la pauvreté dans le milieu rural congolais : condensée des approches définitionnelles
La pauvreté est un concept polysémique, multidimensionnel, et donc, complexe.[429] Ainsi, il est difficile de cerner son contour et même d’appréhender avec exactitude son sens. Force est de soutenir qu’il n’y a aucune définition universellement acceptée pour désigner ce concept. Le processus de sa détermination soulève un problème d’identification et d’agrégation, c’est-à-dire d’évaluation du bien-être des individus et du seuil à partir duquel une personne peut être considérée comme pauvre.
Certes, la pauvreté comme concept et comme réalité sociale connait une fortune littérature. Ainsi, la définition de la pauvreté dépend d’une école à l’autre, tout comme d’un auteur à un autre. Pour Bugnicourt et all, le concept de pauvreté est encore prisonnier d’une pensée politique forgée dans d’autres contextes et il s’accole, presque indissociablement, à d’autres concepts : surpeuplement, précarité de revenu, « retard », etc.[430] Gambembo, G., de sa part, soutient que la pauvreté n’est pas une question de posséder ou de ne pas posséder matériellement. Est pauvre, celui qui ne peut donner un autre sens à sa propre situation, soit au point de vue matériel, social. Pauvres sont également ces personnes qui par leur dépendance, n’ont pas la possibilité d’avoir leur influence dans la société. [431]
Néanmoins, il y a lieu de noter que le pauvre est celui qui, « de façon permanente ou temporaire, se trouve dans une situation de faiblesse, de dépendance, d’humiliation, caractérisée par la privation des moyens variables selon les époques et les sociétés, de puissance et de considération sociale : argent, relations, influence, pouvoir, sciences, qualification technique, capacité intellectuelle, liberté et dignité personnelles. Vivant au jour le jour, il n’a aucune chance de se relever sans l’aide d’autrui ».[432]
Force est de souligner que, généralement, au sein d’un pays, la pauvreté se définit par rapport au produit national brut (PNB), considéré comme indicateurs permettant de mesurer l’activité économique d’un pays, et qu’il correspond ainsi en gros à la valeur aux prix du marché de tous les biens et services produits dans un pays pendant une année et équivaut approximativement au revenu national.[433]
De ce qui précède, il ressort plusieurs approches dans la définition de la pauvreté. Il y a l’approche quantitative, l’approche qualitative et l’approche globalisante, etc. Les quantitativistes[434] appréhendent la pauvreté en termes d’insuffisance de ressources. On y retrouve d’une part la pauvreté absolue déterminée par un seuil de dépense minimale en deçà de laquelle un individu ou ménage est considéré pauvre. Et, d’autre part, la pauvreté relative, qui elle, est déterminée à partir des revenus ou des dépenses de consommation moyenne annuelle par adulte, qui sont supposés représenter le niveau de vie.[435] Parmi les quantitativistes, il y a lieu, ici, d’évoquer par exemple Nicolas Ponty, qui, dans son étude intitulée : « Mesurer la pauvreté dans un pays en développement »,[436] affirme que : « dans la description de la pauvreté, la situation d’un individu est appréciée par rapport à un indicateur de bien-être et pour un seuil critique, appelé seuil de pauvreté. Formellement, un individu i sera classé comme pauvre si sa dotation initiale yi en bien-être est inférieure au seuil z ».[437]
Quant aux qualitativistes,[438] ils s’intéressent plus aux trois aspects ci-après : la précarité et la vulnérabilité : caractéristique de ce qui n’est pas assuré, de ce qui est éphémère et qui a pour attribut essentiel la non durabilité; l’exclusion sociale : elle met en évidence l’exclusion qui résulte d’un handicap physique ou mental d’une inadaptation sociale et de la privation ; le concept de la pauvreté humaine implique la privation de possibilité de choix et d’opportunité qui permettraient aux individus de mener une vie décente.
Le point de vue onusien sur la pauvreté mérite aussi d’être évoqué. Ce point de vue reste celui soutenu par le PNUD.[439] Pour l’Organisation des Nations Unies, l’ONU en sigle, la pauvreté est définie comme le fait d’être privé des possibilités de choix et des opportunités les plus essentielles au développement humain. La pauvreté, d’après cette conception s’exprime par une durée de vie brève, un déficit d’éducation de base, un manque de biens matériels, l’exclusion et une privatisation de liberté et de dignité.[440]
Il se remarque que l’approche onusienne souligne la responsabilité des pouvoirs publics dans la survenance de la pauvreté. Elle déclare que la mal gouvernance qui caractérise l’exercice de l’autorité de l’Etat a comme conséquence la régression de tous les indicateurs du développement humain : difficultés d’accès aux services sociaux de base (santé, éducation, emploi,…) et dégradation avancée des cadres de vie (habitat, environnement). Ces problèmes naissent du fait que l’Etat en tant qu’acteur politique et agent économique ne développe pas un partenariat actif avec la société civile et n’assure pas un environnement politique, juridique et macro-économique propice au développement. Dans ce contexte, l’élimination de la pauvreté passe par l’accès à des conditions plus favorables considérées comme le minimum vital.
Face à toutes les difficultés que couvre la précision de la notion de la pauvreté, l’assemblée générale de l’O.N.U a réaffirmé l’ambition de promouvoir les droits de l’Homme (le droit de chaque personne à la santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité,…). En effet, en Septembre 2000, a été adoptée la déclaration du millénaire qui fonde un nouvel accord entre pays riches et pays pauvres. Le but de cet accord est de contribuer à améliorer les conditions de vie des pays pauvres et de garantir le développement humain. L’idée centrale de ces objectifs est d’encourager les pays en développement à s’engager sur les chemins de la croissance et du développement durable. Décidément, des libertés élémentaires dont doivent jouir les individus constituent des droits politiques, économiques et sociaux, qui sont des principaux enjeux et facteurs du développement et du progrès. Ainsi, toute privation de ces libertés élémentaires empêche aux populations de se réaliser et de développer leurs potentialités et engendrent des inégalités entre individus, de ce fait, les maintiennent dans la dynamique de la pauvreté.
Il sied, pour ce faire, que nous puissions faire triompher le point de vue de la sociologie. Celle-ci insiste sur le caractère relatif du concept, selon que le tableau, ci-dessous, nous présente quelques critères selectionnés de définition, retenus par la BM, le PNUD, Destremau et Salama, ainsi que par Sen.[441]
Tableau II. Quelques critères sélectionnés de définitions de la pauvreté
PNUD |
BA NQUE MONDIALE |
DESTREMAU, SALAMA, VALIER |
SEN |
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Source : A partir de la lecture de Yannick Paule – Estelle Gnamian, Libération et pauvreté : le cas des producteurs de cacao de la Côte d’Ivoire, Mémoire de Maitrise en Administration des affaires, Université du Québec à Montréal, Mars 2008, p.13. Il utile de souligner quelques modifications portées par nous.
Commentaires : Les informations fournies par ce tableau nous laissent soutenir qu’il y a certains points communs, comme, ils existent aussi des éléments de différence dans toutes les définitions suggérées par les auteurs cités. Par ce tableau, la difficulté de donner une définition générale et universelle de la pauvreté, compte tenu de la relativité du phénomène qui se fait affirmer.
Il importe que nous prônions l’approche globalisante qui doit primer sur les autres. Celle-ci intègre les éléments des quantitativistes et qualitativistes, tout en le dépassant. Certes, l’approche globalisante, sans pour autant ignorer la référence à l’utilité et à la satisfaction des besoins de base, propose que la pauvreté soit appréhendée aussi par rapport aux potentialités, aux aspects environnementaux, et au cadre de vie des ménages. Elle prend ainsi en compte, outre la culture et les capacités humaines, mais aussi, la perception et les sentiments des personnes. Elle considère même l’élément moral, spirituel et l’aspect de connaissance. Pour les tenants de l’approche globalisante, un individu, une société peut être traité (e) de pauvre, par manque de connaissance. Voilà pourquoi, il est utile d’évoquer, ici, Molière qui a dit : « Sine doctrina, Vita est quasi mortis imago»,[442] pour dire, « sans le savoir, la vie est comme l’image de la mort».
Dans le cadre de cette étude, nous précisons que nous recourons à l’éclairage anthropo-sociologique, celui-ci étant globalisant. Pour ce faire, la pauvreté, sans pour autant récuser le regard critique sur des conditions d’accès aux services sociaux de base, elle doit être expliquée en tenant compte de la spécificité historique de chaque société.[443] Elle est un phénomène couvrant dans son acceptation, non seulement l’absence de revenus et ressources financières, mais inclut aussi la notion de vulnérabilité ainsi que des facteurs tels que l’absence d’accès à une alimentation adéquate, à l’éducation, à la santé, aux ressources naturelles et à l’eau potable, à la terre, à l’emploi et au crédit, à l’information et à la participation politique. En somme, nous concluons qu’un seuil de la pauvreté, aussi élaboré et précis soit-il, est toujours arbitraire.
2. De la radioscopie des faits de la pauvreté dans les milieux ruraux congolais
La République Démocratique du Congo se veut un pays essentiellement rural.[444] Plus ou moins 70 % de la population est rurale et dépend de l’agriculture sur brûlis. Celle-ci reste la première activité économique du pays avec 47% du PIB.
La RD. Congo, est un pays largement rural dans la mesure où les superficies non urbanisées, non industrialisées, à composantes démographiques vivant principalement de l’agriculture l’emportent sur les superficies et composantes démographiques urbanisées. Il est également un pays largement agricole dans la mesure où la production agricole occupe le plus grand nombre d’actifs économiques, mais surtout parce que, avec le recul de la production industrielle et manufacturière, avec le recul des activités d’extraction, l’agriculture donne preuve qu’elle demeure le secteur qui résiste le mieux à cette longue crise que la nation congolaise a connu et continue à connaitre.
Cependant, en dépit de ces potentialités en matières premières et toutes les autres richesses naturelles que regorgent ce grand pays, qui est situé au cœur de l’Afrique, la pauvreté s’y installe comme une réalité de taille. Si jadis, la pauvreté était considérée comme étant une simple absence de revenu, actuellement, elle est plus qu’un manque de revenu. Elle est un état complexe à plusieurs facettes. Elle englobe des multiples dimensions notamment sociales, culturelles, environnementales, politiques et économiques.
Aujourd’hui, la pauvreté se conçoit comme un processus de dégradation de conditions de vie et de négation de l’identité et de la dignité humaine qui réussit à modeler les comportements, les manières de penser et d’agir de la population pauvre. « En dépit de toutes ces immenses ressources humaines et de sous sol, la RD. Congo est classée parmi les pays les plus pauvres du mode. Certains indicateurs l’alignent parmi les pays les misérables de l’Afrique au sud du Sahara. Près de 80% de sa population survivent à la limite de la dignité humaine, avec moins de US $ 0.20 par personne et par jour ».[445] Les études récentes, sur la pauvreté en RD. Congo, indiquent que celle-ci devient un fléau qui frappe diversement toutes les provinces et ses manifestations sont différentes d’une province à l’autre.[446]
Certes, le concept pauvreté demeure multidimensionnel, s’il faut le rappeler, mais, autant elle n’est pas la même d’un territoire à un autre, ni même, d’une province à une autre en RD. Congo. L’observation sociologique dénonce le dysfonctionnement du système de santé, de l’éducation, du système alimentaire, des services de communication et de l’habitat, etc.
Considérant les cinq besoins de l’homme dont : nourriture, logement, vêtement, santé, et éducation, en quoi il est utile d’ajouter des besoins non matériels tels que le droit au travail, l’épanouissement personnel, la participation à la vie communautaire et culturelle, la sécurité et la paix, etc., nous sommes fondé de soutenir que la population rurale de la RD. Congo, particulièrement, se trouve coincée dans un étau de la pauvreté, qui ne dit pas son nom. Signalons, néanmoins que lorsqu’on parle de la pauvreté à travers la nation congolaise, la lecture faite sur ses différentes provinces place l’Equateur (soit à ce jour : Tshuapa, Mongala, Equateur, Nord- Ubangi et Sud- Ubangi) au dernier plan. Autrement dit, cette province de la RD. Congo reste la plus pauvre de la République, suivie de la province de Bandundu (soit à ce jour : Kwango, Kwilu et Mai- Ndombe).[447]
Dans l’espace rural congolais, la pauvreté, s’observerait par le passage en revue des modalités d’accès aux soins de santé, d’accès en eau potable et à l’électricité. Le système éducatif, le mode habitat- logement et communication, l’organisation du transport public et autres éléments environnementaux, etc., ne seront pas oubliés pour le besoin de la cause. Ainsi donc, de manière synoptique, la situation se présente comme suit :
Þ Les territoires ruraux de la RD. Congo et les soins de santé de la population
Il ressort de l’observation et de la lecture du DSRP que la plupart des Zones de santé sont à l’état d’abandon. Les estimations modestes de la couverture des installations de santé montrent qu’au moins 37% de la population ou approximativement 18.5 millions de personnes n’ont pas accès à toute forme de soins de santé.[448] Suite à la pauvreté dans les milieux ruraux, les populations rurales congolaises présentent le taux élevé de mortalité. Depuis la création du Programme Elargi de Vaccination, « PEV » en 1978, la mission lui dévolue n’a jamais été accomplie de façon satisfaisante. L’enclavement de certains territoires et l’insuffisance des ressources financières reste un problème majeur à la base du faible développement des activités de vaccination de routine dans le pays, avec toutes les conséquences possibles.
En RD. Congo, encore, la malnutrition se veut un grand problème de santé publique. Le PAM estimerait que 16 millions de personne (55% de la population) avaient des sérieux besoins alimentaires suite aux déplacements prolongés, au manque de débouchés sur le marché, à la rupture des voies d’approvisionnement et à l’inflation. Sans pour autant ignorer une enquête[449] menée à Kinshasa qui signale le taux de malnutrition aigüe et sévère, mais, aussi la situation de malnutrition déclarée, partout, à travers la République, il y a lieu de soutenir par les données du DSCRP que, dans les territoires occupés, les taux globaux de malnutrition des enfants de moins de 5 ans relevés au cours de 12 derniers mois ont atteint 41% avec des taux de malnutrition graves allant jusqu’à 25.79%.[450]
L’enclavement de la plupart des territoires ruraux congolais rend difficile l’accessibilité aux soins de santé par la population. A la base, le manque ou la quasi-inexistence des infrastructures sanitaires et pharmaceutiques, sans oublier le manque de revenu. Certains bâtiments des hôpitaux et centres hospitaliers construits depuis l’Etat de Congo-Belge, aujourd’hui, non équipés, sont menacés par l’érosion et l’usure du temps.
Le matériel médico-sanitaire y est obsolète, s’il n’est pas tout simplement inexistant; les produits pharmaceutiques sont introuvables suite à la l’absence des pharmacies, et il s’y observe le manque du personnel qualifié.[451] Tout compte fait, c’est la médecine dite traditionnelle qui rend des services appréciables à cette population rurale congolaise. Cependant, les conditions dans lesquelles elle est administrée et les dosages incertains sans diagnostic rigoureux limitent son efficacité. De plus en plus, la fréquentation des guérisseurs et des foyers des prières constitue l’alternance.
Þ Le système éducatif et signes de la pauvreté dans les territoires ruraux congolais
Si la sociologie du développement nous enseigne que le développement d’une société et/ou d’une population est fonction des compétences, et que celles-ci sont tributaires de la formation, donc de l’éducation dans son volet instruction,[452] nous pouvons, néanmoins, noter qu’il ne peut pas être rendu possible dans un milieu, où la pauvreté fait la loi. Tel est le cas des territoires ruraux congolais.
Dans ces territoires, où l’activité essentielle est l’agriculture, l’éducation, mieux l’instruction, s’y détériore du jour au jour. Malgré que la population attache une très grande importance à l’éducation des enfants et y consacre une part importante de son revenu agricole, le niveau de l’éducation a considérablement baissé. Les infrastructures et les fournitures scolaires, …, sont quasi inexistantes. Les quelques établissement scolaires construites à l’époque du Congo Belge ne tiennent plus face à la flambée des effectifs. Pour ces rares écoles qui résistent encore, elles sont sous équipées, avec des enseignants non ou sous-qualifiés, mal et/ou non rémunérés. L’Etat congolais appelle ainsi les parents, sans revenu, d’allouer « la contribution financière ». Cette pratique, outre qu’elle réduit les possibilités d’accès à l’éducation pour les enfants des familles pauvres (du reste majoritaire), elle dévalorise l’enseignement, surtout là où les enseignants reçoivent des enfants « d’aide en nature ». Il en résulte qu’en milieu rural congolais, beaucoup d’enfants fréquentent irrégulièrement les écoles, si non décrochent. Dans d’autres familles, c’est l’alternance en favorisant les garçons en sacrifiant les filles.
Puisque les écoles sont souvent installées dans les centres et/ou les villages à forte démographie, les enfants des villages moins peuplés sont obligés de parcourir des dizaines de kilomètres (aller et retour, chaque jour) pour suivre les enseignements. Ce qui ne permet pas beaucoup d’enfants d’évoluer normalement. Pour les écoles secondaires, les enseignements sont assurés par des anciens élèves de ces mêmes instituts, qui ont étudié sans livres, ni bibliothèques ; moins encore l’internet et ni ordinateur, etc., rares y sont des cadres universitaires, esprits pensants et concepteurs. Cette sous qualification du corps enseignant bloque le saut qualitatif et inhibe l’esprit managérial, vecteur du sursaut quantitatif. Décidément, il s’avère que la pauvreté influence très négativement le système éducatif à travers les territoires congolais.
En définitive, il convient de retenir avec le DSCRP en ce qui concerne le secteur de l’éducation qu’il s’observe : « la détérioration du secteur public de l’éducation, notamment, la saturation des structures d’accueil, le délabrement des infrastructures, le manque de matériel didactique, la démotivation du personnel enseignant, le faible rendement attesté par d’importants taux de perdition,… »,[453] etc. Les multiples guerres connues, les occupations des territoires par des groupes armées et les incursions des hommes armés (surtout dans l’Est du pays), doublées des déplacements des populations, viennent donner le coup fatal au système éducatif, non seulement, pour ces milieux touchés par ces événements, mais aussi et surtout, pour l’ensemble de la RD. Congo.
Þ L'habitat-logement, la communication, le transport public et autres éléments environnementaux, etc.
L’habitat est l’un des principaux pivots de l’organisation sociale des sociétés qui se veulent modernes. Il est l’un des facteurs d’intégration et d’équilibre social. Entendu au sens large, ce concept intègre toutes les dimensions des cadres de vie de la collectivité : logement, équipements et activités. L’habitat a des implications sociales, économiques, politiques et environnementales. Il constitue l’un des déterminants essentiels de la consolidation des structures familiales et de l’épanouissement des individus. Au point de vue économique, il est l’un des moyens de l’amélioration des conditions d’existence des populations que l’un des facteurs de dynamisation de l’économie.
En RD. Congo, « le problème de l’habitat et du logement se pose aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural ».[454] L’expansion démographique ne s’accompagne pas de l’aménagement de l’habitat. Les villes congolaises, comme les campagnes connaissent un état de dégradation avancée. Les quelques infrastructures laissées par le colon sont emportées par l’érosion et l’usure de temps. Dans les villages congolais, il n’y a pas de ménages qui ont des latrines reliées aux égouts publics, et, généralement, il n’y a pas d’électricité. Une maison y abrite plusieurs familles, la promiscuité et le sous-équipement demeure la règle. La construction des infrastructures de toute sorte requiert l’utilisation des sticks en dépit des exigences du développement durable.
L’observation nous autorise de soulever la problématique de sous-information générale de la population rurale congolaise. Dans plusieurs milieux ruraux congolais, il est difficile de capter une chaine de télévision ou une station radio. Il n’existe presque pas de presse écrite, ni la couverture téléphonique. Cela ne permet pas à la population de participer à la vie nationale et ces entités vivent dans un isolement généralisé.[455]
Le triomphe de la pauvreté se confirme aussi par l’inaccessibilité de la population rurale à l’eau potable. La fourniture d’eau potable en RD. Congo est assurée par la REGIDESO qui est une entreprise d’Etat. Pour s’alimenter en eau, la population recourt fréquemment à des sources dont la qualité pour la santé reste non fiable. Le service de la REGIDESO fait défaut dans presque tous les villages congolais. La population est, de ce fait, exposée à des diverses maladies au regard de la qualité d’eau qu’elle est contrainte de consommer.[456]
L’organisation du système de transport est déplorable en RD. Congo. Les habitants des villages congolais n’ont comme moyen de transport public que le « dos », si pas, le vélo (TOLEKA). Le client est prié de descendre à chaque montée, car il est difficile pour le transporteur de gravir la montagne en le transportant. Le prix de la course varie selon la distance à parcourir. Outre ce mode de transport, on retrouve également quelques taxi-motos dont le prix de la course varie également par rapport à la distance à parcourir. Aux villages, les initiatives privées et publiques sont complètement absentes dans ce domaine. La population est contrainte, généralement, à parcourir plusieurs kilomètres à pied.
La pauvreté qui accable la population rurale congolaise s’observe aussi bien en ce qui concerne l’emploi, le genre, que le taux de prévalence au VIH/SIDA et autres endémies. A cette liste, il convient d’ajouter l’absence de la paix et de la sécurité,[457] etc. La province de l’Equateur, (soit à ce jour : Tshuapa, Mongala, Equateur, Nord-Ubangi et Sud- Ubangi), considérée comme la province la plus pauvre de la RD. Congo,[458] est caractérisée, généralement, par la perte de l’emploi, des cheptels et des plantations, l’accès difficile aux services sociaux de base, le logement insalubre. L’insuffisance et la vétusté des infrastructures scolaires et de santé y sont très remarquables que dans les autres provinces. Le tableau et le graphique, ici-bas, présentent beaucoup d’autres informations sur la répartition spatiale de la pauvreté en RD. Congo.[459]
Tableau III. Répartition spatiale des indices de la pauvreté en RD. Congo considérée dans ses 11 anciennes provinces
Milieu |
PO (L’incidence ou le taux de la pauvretéç |
P1 (La profondeur de la prauvreté) |
P2 (L’indice de sévérité de la pauvreté) |
|
National |
69.2 |
30.9 |
17.4 |
|
Urbain |
58.3 |
22.6 |
11.6 |
|
Rural |
71.7 |
30.4 |
16.5 |
|
Provinces |
||||
|
Kinshasa |
42.5 |
13.0 |
5.8 |
Bas-Congo |
72.4 |
23.6 |
10.4 |
|
Bandundu |
90.7 |
45.7 |
27.8 |
|
Equateur |
93.8 |
44.2 |
24.8 |
|
Province Orientale |
71.3 |
30.0 |
16.3 |
|
Nord-Kivu |
64.4 |
26.7 |
14.6 |
|
Maniema |
43.6 |
10.2 |
4.0 |
|
Sud-Kivu |
76.5 |
31.8 |
16.5 |
|
Katanga |
74.8 |
32.2 |
17.2 |
|
Kasaï-Oriental |
51.5 |
20.2 |
10.3 |
|
Kasaï-Occidental |
45.0 |
16.2 |
7.5 |
Source: Ahmed Moummi, op-cit, pp. 10- 14.
Commentaires : Comme le tableau ci-haut l’indique, le P0 = incidence ou le taux de la pauvreté. Cet indice mesure la proportion de la population ayant un niveau de dépenses (ou de revenu) inférieur au seiul de pauvreté. Le P1 = la profondeur de la prauvreté, et cet indice mesure l’écart moyen des pauvres par rapport au seuil de pauvreté. Enfin, P2 = l’indice de sévérité de la pauvreté. P2 mesure l’intensité de la pauvreté entre les pauvres eux-mêmes.[460]
Il ressort de la lecture des données de ce tableau qu’en RD. Congo, toutes les provinces sont frappées par la pauvreté. Néanmoins, il se remarque que la province de l’Equateur (soit à ce jour : Tshuapa, Mongala, Equateur, Nord-Ubangi et Sud- Ubangi), (Nord-Ouest) et celle de Bandundu soit à ce jour : Kwango, Kwilu et Mai-Ndombe,), enregistrent des taux de pauvreté élevés de plus de 90% de la population. Il s’observe en outre que la province Sud-Kivu, Katanga (soit à ce jour : Lualaba, Haut- Katanga, Haut-Lomami et Tanganyika), Bas-Kongo (actuel Kongo- Central) et la Province Orientale (soit à ce jour : Tshopo, Bas-Uélé, Haut-Uélé et Ituri), ont un taux de pauvreté qui dépasse les 70%. Les autres provinces ne sont pas épargnées de ce phénomène.
Figure 2. Répartition spatiale de la pauvreté en RD. Congo considérée dans ses 11 anciennes provinces[461]
Commentaires : Le graphique ci-haut, nous rassure sur la répartition spatiale de la pauvreté en RD. Congo. Il témoigne que, généralement, le phénomène frappe toutes les provinces du pays. Toutefois, il indique que les provinces de l’Equateur (soit à ce jour : Tshuapa, Mongala, Equateur, Nord-Ubangi et Sud-Ubangi), et de Bandundu (soit à ce jour : Kwango, Kwilu et Mai- Ndombe,), particulièrement, enregistrent des niveaux très élevés. Ces résultats sont attestés par les conclusions du DSCRP de 2006.[462]
En définitive, de part ce qui précède, il y a lieu de retenir avec Ahmed Moummi, en ce qui concerne la répartition spatiale de la pauvreté en République Démocratique du Congo que : « la profondeur de la pauvreté dans le milieu rural est plus accentuée que le milieu urbain ; la valeur de P1 est de 30.4% et 22.6% respectivement ».[463] (Cfr. le tableau ci-haut). L’écart qui sépare les pauvres des non-pauvres est relativement large entre le milieu rural et urbain. Mais, en dépit de l’ampleur de la pauvreté à travers la République, la Province de Kinshasa présente un niveau de pauvreté relativement bas. La Ville-Province de Kinshasa est la capitale politique et économique du pays. En tant que siège des institutions, elle est dotée d’infrastructures et de facilités pour l’accès aux services publics et à l’emploi plus importants que les autres provinces.[464] La sociologie ressort par là, la thèse d’une redistribution inégale des richesses. Celle-ci, dialectiquement, va à l’encontre des lois en vigueur, et contribue d’une façon directe ou indirecte, à caresser les sentiments de l’injustice et des inégalités dans le pays.
Cette description des territoires ruraux de la RD. Congo qui nous offre la trame cachée de la dynamique de la pauvreté rurale à travers le pays, justifie nos interrogations sur l’apport des projets de développement rural dans le devenir historique de l’espace Bengamisa dans la Tshopo, en particulier, et, aussi de la nation congolaise toute entière. En effet, notre attention qui se jette sur le cas particulier de Bengamisa et son hinterland, doit ainsi prendre en compte cette réalité de la pauvreté de l’ensemble de l’espace rural congolais.
SECTION II : BENGAMISA ET SON HINTERLAND : ESQUISSE D’UNE VUE SYNOPTICO-SOCIOLOGIQUE DU MILIEU RECEPTEUR DU PROJET CABEN DANS LA TSHOPO
INTRODUCTION
Il sied, de prime à bord, de rappeler que, d’une manière ou d’une outre, les facteurs du milieu influencent sur le projet de développement. Certes, le choix du milieu d’implantation d’un projet de développement (rural) est tributaire, à la fois des données géographiques, socio-culturelles, démographiques, économiques, etc. Puisque le projet CABEN est spatialement et historiquement situé, à ce niveau de notre analyse, l’obligation qui est notre consiste à faire une brève présentation de Bengamisa en passant par celle de la RD. Congo et de la Tshopo. Certes, il est admis que la saisie d’un élément d’une totalité peut se faire à partir de la compréhension de celle-ci.
§1. Quelques généralités sur la Tshopo, dans l’ancienne Province Orientale, en RD. Congo.
L’espace géographique de la République Démocratique du Congo dans la Province de la Tshopo, où se trouve la plantation de cacao du projet sous-étude porte le non de Bengamisa. En effet, parlant de Bengamisa, la totalité dialectique,[465] complétée par le principe du «primat du tout sur les parties » nous force de commencer par une brève présentation de la RD. Congo, ainsi que celle de la Province de la Tsopo.
En effet, cette ancienne colonie belge a accédé à la souveraineté nationale et internationale le 30 juin 1960. Ce vaste pays d’Afrique centrale, s’étend de l’océan Atlantique aux plateaux de l’Est et correspond à la majeure partie du bassin du fleuve Congo. Si le Nord du pays est un grand domaine de la forêt équatoriale, l’Est du pays se veut le domaine des montagnes, des collines, des grands lacs et des volcans, le Sud et le Centre, riches en savanes arborées, forment un haut plateau en minerais divers.
Traversée par l’équateur, ceci impose une végétation dense au pays et réglemente les activités agricoles de la population. Une grande partie du territoire connait un climat chaud de type équatorial ou tropical, mais la diversité du relief et la présence de l’équateur impose des distinctions d’une province à une autre. Les hautes terres de l’Est présentent des températures tempérées (18,3° à 19,9°). Le centre du pays est constitué d’une vaste cuvette alluviale couvrant environ un tiers du territoire et dont l’altitude entre 300 et 500 m.[466]
Rappelons que le pays est riche en biodiversité.[467] Raison pour laquelle, il est classé parmi les dix pays dits de la méga-biodiversité qui rassemblent à eux seuls environ 60% des espèces de faune et de flore actuellement recensées. La RD. Congo connait des parcs nationaux (Virunga, Kahuzi-Biega, Garamba, Salonga, Upemba, Kundelungu, Maiko) et des réserves de faune et de flore, des lacs. Ses immenses ressources sont : cobalt, cuivre, radium, uranium, or, diamant, zinc, manganèse, fer blanc, germanium, radium, bauxite, minerai de fer, charbon, coltan, pétrole, etc. Kasongo- Numbi Kashemukunda dans « L’Afrique se recolonise. Une lecture du demi-siècle de l’indépendance du Congo-Kinshasa »,[468] consacre son étude à la présentation des potentialités en matières premières et autres richesses de la RD. Congo, province par province.
La République Démocratique du Congo possède une zone frontalière avec neuf pays. La République du Congo et l’enclave de Cabinda (Angola) à l’Ouest, au Nord-Ouest, la République Centrafricaine, au Nord le Soudan du Sud, à l’Est, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie et au Sud, la Zambie et l’Angola. Elle a une superficie de 2345409 km2 et une population de près de 70 millions d’habitants dont 48% composée des jeunes de moins de 15 ans et un taux annuel de croissance démographique de 3,1%. Le pays se classe parmi les nations à taux de croissance démographique élevé d’Afrique. Sa population est composée de 25O groupes ethniques. Elle est regroupée en 5 grands ensembles ayant chacune une implantation bien déterminée : Bantou (80%), Soudanais (10%), Nilotique (4%), Chamite (4%) et Pygmée 2%.
« D’après les fouilles archéologiques, ce sont les pygmées et les bochimans qui seraient les premiers occupants de l’actuel espace territorial dénommé République Démocratique du Congo, pays au cœur de l’Afrique. Ces derniers vivaient de la chasse, de la pêche et de la cueillette».[469] La majorité de la population congolaise est chrétienne, avec ses multiples tendances, puis, viennent les musulmans, ainsi que des Eglises indépendantes. Les religions traditionnelles y sont aussi pratiquées.
Membre de plusieurs organisations régionales et internationales, la Constitution de 2006 lui reconnait 26 provinces,[470] Il s’agit de Kongo-Central, Kwango, Kwilu, Mai-Ndombe, Equateur, Mongala, Nord-Ubangi, Sud-Ubangi, Tshuapa, Bas-Uélé, Haut-Uélé, Ituri, Tshopo, Maniema, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Haut-Katanga, Haut-Lomami, Lualaba, Tanganyika, Kasaï Oriental, Lomami, Sankuru, Kasaï, Kasaï Central, avec « Kinshasa »,[471] comme capitale et siège des institutions politico-étatiques.[472] Son hymne national est le Débout congolais, avec Justice, Paix, Travail comme devise. Si le Français y est retenue comme la langue officielle, le Tshiluba, le Lingala, le Swahili et le Kikongo sont des langues nationales.
Généralement, la végétation de la République Démocratique du Congo se compose de forêts équatoriales et de marais. Le Bassin du fleuve Congo comporte un réseau hydraulique dense et de larges plaines inondables. Grâce à son immense bassin hydrographique, la RD. Congo pourrait générer 13% de l’hydroélectricité mondiale (100 000MW). Par sa longueur (4700km2), il est le deuxième fleuve d’Afrique après le Nil. En outre, par son débit (21000 à 75000 m3 par seconde) et l’étendue de son bassin (3700000 km2), le Congo est le deuxième fleuve du monde après l’Amazone.[473] La carte reprise en annexe, nous donne d’autres informations utiles sur la République et sur la Province de la Tshopo (la province qui abrite « l’espace Bengamisa»).
Assurément, le site de Bengamisa se situe dans le territoire de Banalia,[474] dans l’un des anciens districts de la Province Orientale, qui est devenue Province de la Tshopo. Cette dernière, est la plus grande sur les 26 nouvelles provinces qui forment aujourd’hui la RD. Congo du point de vue de la superficie. Elle se tend sur 199567 Km2, soit le 1/5eme de la superficie totale du pays. Elle est subdivisée en 7 territoires (Yahuma, Opala, Isangi, Banalia, Bafuasende, Basoko et Ubundu), son chef-lieu reste Kisangani.[475]
La Tshopo, Aire de développement cacaoyère, connait une pluviométrie abondante, avec une moyenne annuelle de 1.800 mm, bien répartie. Les températures moyennes dans cette aire varient de 24,5°C -25°C, elles sont régulières le long de l’année, sans grande amplitude de variation journalière. Pour l’ensemble de la Province, les précipitations les plus fortes sont enregistrées dans le territoire de Yahuma. La Province de la Tshopo est une région forestière du type équatorial, dense et humide.[476]
Sur le plan hydrographique, soulignons que la Province de la Tshopo est traversée par le fleuve Congo du Sud-est au Nord-ouest. Les principaux affluents dans cette partie de la République sont : la rivière Tele, la Tshopo, la Lindi, l’Aruwimi, la Lomami, Lokombe, Loleka, Itimbili, etc. L’importance du fleuve Congo comme voie de communication et d’évacuation des marchandises pour l’espace Bengamisa n’est pas à négliger. Voilà pourquoi nous paraphrasons F. Mokonda Bonza,[477] et, nous soutenons que ce réseau hydrographique dense donne à la Province de la Tshopo, pour ne pas parler de « l’espace Bengamisa », des atouts indéniables dans les domaines de la pêche, de l’irrigation, de l’hydroélectricité et du transport. Son Aéroport International de Bangoka participerait aussi à la circulation des personnes et des richesses.[478]
§2. Esquisse d’une vue synoptico-sociologique de Bengamisa, le milieu récepteur du projet CABEN dans la Tshopo
Certes, parlant de Bengamisa,[479] il s’impose à nous de faire remarquer que, tout ce qui a été dit pour la Province de la Tshopo et/ou pour la République Démocratique du Congo, peut être retenu pour cet espace. Nous tenons d’en faire une présentation particulière sur sa situation géographique, culturo - politico-administrative et socio-économique.
1. Situation géographique[480]
La plantation de la CABEN est située dans le territoire de Banalia. Ce dernier, est l’un des sept territoires formant la Province de la Tshopo. Cette province présente 197.654Km2 de superficie, et, elle est située au Nord-Est de la République Démocratique du Congo. La Province s’étend du 1er parallèle Nord, et du 23ème méridien au 31ème méridien à l’Est de Greenwich.[481]
Dans sa totalité, la Province de la Tsopo, c’est-à-dire, Basoko, Isangi, Opala, Bafuasende, Ubundu, Yahuma, y compris, Banalia, est dans le climat du type Af qui, à cheval sur l’Equateur, est un climat équatorial continental, sans saison sèche régulièrement déterminée.[482] La pluviosité y est abondante, avec une moyenne annuelle de 1.800mm, bien repartie. Les températures moyennes dans cette aire varient de 24,5°C - 25°C, elles sont régulière le long de l’année, sans grande amplitude de variation journalière. Raison est notre, de soutenir que cette Aire de développement de la cacaoyère de la Tshopo, pour ne pas citer Bengamisa, connait donc le climat de forêt dense, sans saison sèche marquée.[483]
En effet, nous insistons sur le fait que ce territoire dans lequel se trouve logé le projet CABEN, est le 3ème en superficie (24.430Km2). Il est localisé au Nord de la Ville de Kisangani. Généralement, la Province de la Tshopo, comme souligné ci-haut, et, particulièrement, l’espace Bengamisa, avec Banalia comme point de départ, présente une catégorie spécifique des sols.[484] Il s’agit des « sols développés sur les dépôts sablo-argileux des terrasses de la rivière Lindi. Ces sols sablo-argileux avec 30-35% d’argile à 60 cm de profondeur sont trouvés sur la rive droite de la Lindi et dans plusieurs plages de part et d’autre de la route Kisangani-Banalia, etc. Ce type de sols, se montre favorable à la culture de cacao.[485] Certes, la plantation de cacaos de la CABEN occupe effectivement les forêts de ces trois villages du secteur de Bamanga : Bagbuzi, Bandzande et Bandele. Les données du terrain nous autorisent, en outre, de révéler que, la rivière Yamé, qui fait la frontière entre le village Bagbuzi (du chef Sambi Jean) avec la porte d’entrée du site de la plantation de la CABEN dispose de deux chutes d’eaux pouvant être exploités pour de multiples fins. La plus attrayante d’entre ces deux chutes s’appelle Ambuludjonge.[486]
Le territoire de Banalia, point de départ de ce que nous qualifions de « l’espace Bengamisa », si, dans sa faune, se remarque la présence des éléphants, des okapi, des léopards, des antilopes et des singes, etc., sa flore dispose des espèces rares comme afromosia, etc.. Mais, comme minerais,[487] il y a lieu de signaler, pour ce coin de la République Démocratique du Congo, le diamant, l’or et le fer. Tel est aussi le cas d’un étang piscicole naturel de 4Km à Badenge dans le secteur de Baboa, où l’on trouverait toutes sortes de poissons de mer, qui a fait aussi l’objet de notre attention.[488] Ci-dessous, nous proposons l’image de la chute d’Ambuludjonge.
Photo 1. La chute d’Ambuludjonge dans la rivière Yamé, à la porte d’entrée de la plantation de la CABEN.[489]
Source : Photo prise par nous, en avril 2O17.
2. Situation politico-administrative
Assurément, la plantation du projet sous-étude se trouve dans le secteur de Bamanga, l’un des secteurs du territoire de Banalia. Ce dernier, a été créé comme territoire au terme de l’Ordonnance de l’Autorité Coloniale N°40/A.I.MO du 15 mars 1933. Par la transmission du circulaire N°001/MININTERSEC/2015 du Vice-Premier Ministre, Ministre de l’intérieur et sécurité, le territoire de Banalia est devenu l’une des entités déconcentrées de la Province de la Tshopo.[490] La carte de la République Démocratique du Congo Province présentée en annexe, nous offre d’autres informations utiles sur la Province de la Tshopo, partant, sur « l’espace Bengamisa ».[491]
Avec une « population estimée à 464.416 habitants »,[492] le territoire comprend la chefferie de Baboro, avec les secteurs de Baboa de Kole, de Bangba, Bopoy, ainsi que celui de Bamanga. Le dernier secteur cité, a comme chef-lieu Bengamisa, Centre politico-administratif, situé à 51Km de Kisangani. C’est ce Centre de Bengamisa qui donne son nom au projet CABEN, c’est-à-dire, Cacaoyère de Bengamisa. Mais, en ce qui concerne la plantation de cacao, nous précisons qu’elle est effectivement située à 36 Km de Kisangani. Ainsi nommé, le projet confèrerait le nom de « Bengamisa » qu’il porte, à tout l’espace dans lequel ses activités devraient s’étendre. Tel est aussi le cas de l’ISEA/Bengamisa, situé à 60Km de Kisangani. Cette institution de l’Enseignement Supérieur et Universitaire, porte aussi le nom de ce même Centre.[493] La carte ici-bas, nous offre d’autres éléments importants sur ce territoire, ainsi que sur le secteur de Bamanga qui abrite la Cacaoyère de Bengamisa.
Carte n° 1 : La carte administrative du territoire de Banalia, avec le secteur de Bamanga (avec Bengamisa comme chef-lieu)
Source : CAID/Province de la Tshopo/Territoire de Banalia/Fiche du territoire, septembre 2016.
En République Démocratique du Congo, c’est le Décret-loi n°081 du 21 juillet 1998 qui réglementait l’organisation et le fonctionnement administratico-territorial. Ses dispositions ont été abrogées par la Constitution du 18 février 2006 et remplacées par celles des lois n° 08/012 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces.
Certes, le territoire, au même titre que la Ville de Kinshasa, la province, la ville et la commune, sont considérés comme des Entités Administratives Décentralisées (EAD, en sigle). Mais dans la pratique, il s’observe que, et, des entités administratives décentralisées, voire même, des secteurs, etc., qui ne les sont pas, demeurent placés sous le joug d’une forte centralisation. Banalia et Bamanga, respectivement, territoire et secteur, n’échappent pas à cette logique de « la démocratie de lettre de la loi» en RD. Congo. Il y a, ici, lieu de citer Samba Kaputo, qui note que : « depuis l’époque coloniale, jusqu’en 1982, le Congo a toujours été géré selon le système de centralisme à outrance. Dans ce contexte, les responsables locaux étaient de simples exécutants des instructions conçues au niveau de la capitale ».[494] A nous d’ajouter qu’en dépit des progrès en matière législative que connait la République, dans la pratique, ce mode du dirigisme de gestion continue jusqu’à ce jour ...
Puisque le dualisme juridique reste encore d’actualité en République Démocratique du Congo, rappelons que les chefs coutumiers agissent encore dans l’espace Bengamisa, pour ne pas parler seulement du territoire de Banalia. Dans cet espace, le pouvoir est à prédominance masculine. C’est le père qui est le chef de la famille, avec le système patriarcat de la filiation. A l’absence du « chef de la famille, donc de papa », le fils ainé prend sa place comme autorité du groupe ainsi défini.
L’observation nous fait noter que la démocratie, telle qu’importée de l’occident n’a pas encore réussi à écraser totalement cet ordre traditionnel de gestion du pouvoir dans ce milieu.[495] Il ressort de ce qui précède que, c’est « le père », chef de la famille, chef du clan et/ou chef du village, selon le cas, qui donne des orientations sur la conquête des richesses (économie), sur la sécurité et tout autre besoin des membres de son groupe.
3. Situation culturo- socio- démographique et économique
De même que les données climatico-géographiques demeurent des facteurs déterminants de l’action émancipatrice de la pratique des projets de développement rural dans un territoire, de même, les facteurs culturo- socio- démographiques le sont. L’espace Bengamisa bénéficie de tous les atouts naturels, donc : climatiques, pédologiques et hydrographiques, etc., retrouvés dans la province, tel que développé ci-haut pour accueillir tout projet agricole, ayant pour finalité la culture de cacao, de palmier, de l’hévéa, et de café, etc.
Force est, de reconnaitre que la Cacaoyère de Bengamisa, dans sa mission de la culture et de production de cacao marchand, sans pour autant fermer la porte aux non originaires de cet espace, devrait regrouper plus ou moins 30 tribus des sept territoires de la Province de la Tshopo. Ensuite, il faut insister sur le fait que Banalia, territoire dans lequel se trouve logé le site de la plantation de la Cacaoyère de Bengamisa abrite réellement les tribus suivantes : Manga 40%, Ngelema 35%, Boa 10%, Popoyi 10% et Boboro 5%.[496]
En dépit du fait que chacune de ces tribus parle sa langue, le Swahili, langue venue de l’Est (Tanzanie), imposée par les conquêtes des arabes, les unit toutes. Donc, les langues y parlées sont : Swahili 50%, Lingala 22%, Kingelema 10%, Kimanga 8%, Kipopoyi 6% et Kiboa 4%.[497] Le système exogamique du mariage demeure la réalité dans ces milieux. Attaché à la terre, celle-ci appartient aux ancêtres, chaque clan ou chaque famille de « l’espace Bengamisa », est appelé à la protection du patrimoine collectif. Tous sont des usufruitiers, la force de la parenté y dirige les activités, avec le communautarisme comme mode de vie.[498]
P. Iyefa Wessa rapporte qu’« on peut entreprendre le développement rural par l’agriculture, on ne peut lutter contre la pauvreté rurale par l’agriculture s’il y a des complications et des incompatibilités relatives au régime foncier». Aux termes de la loi foncière 73-021 du 20 juillet 1973, modifiée par la loi n°80-008 du 18 juillet 1980, le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat congolais.[499]
Signalons que cette loi ne violente pas les habitudes locales de l’espace Bengamisa. Dans la pratique, celle-ci coexiste avec le droit coutumier. En effet, en dépit du fait que l’Etat peut concéder la propriété temporaire ou perpétuelle à qui il veut. Il est, cependant, évident que cela ne devrait se faire qu’après la consultation des communautés locales à travers les chefs coutumiers. Ces derniers, tel que évoqué ci-haut, exigent, souvent, des nouveaux occupants, tout en gardant certains droits sur le terrain, quelques privilèges ou avantages socio-économiques que peut rapporter l’activité.[500]
La division traditionnelle du travail n’y est pas encore totalement effacée, malgré toutes les influences de la modernisation. Pour cet espace de Bengamisa, il y a lieu de considérer par exemple la pratique du paysannat, qui aurait inculqué l’individualisme à la population, doublé de droit foncier privé (chez les Turumbu, etc.). A ce sujet, F. Mokonda Bonza est à citer, lorsqu’il souligne : « l’intégration verticale fut privilégiée dans l’optique de développer une approche par filière, à travers l’introduction progressive d’un système d’appropriation foncière privative et l’intensification des méthodes de production…».[501]
Les différentes coopératives agricoles, et, tant d’autres modes de production venus de l’extérieur,[502] et, qui caressèrent un mode de vie fondé sur le salariat (avec par exemple: la CONADER, la SOCITURI, devenue SAPLAST, l’UNIBRA, devenue BRACONGO, la BUSIRA LOMAMI, devenue GAP, la PLC, CELZA, le Complexe Sucrier de Lotokila, SORGERI, etc.), sont aussi à prendre en compte. Signalons, encore, pour cette même partie de la République, des multiples structures[503]de recherche, de vulgarisation et d’encadrement (INERA, IFA/YANGAMBI, ISEA-BENGAMISA, SNV, etc.) qu’elle hébergerait. Lesquelles structures (une fois soutenues et réactivées) accompagneraient n’importe quel projet de développement rural.[504]
Il est admis par la littérature sociologique sur le monde rural parcourue par nous que la logique communautaire assure l’accessibilité du plus grand nombre de la population rurale aux techniques de la production. Néanmoins, les structures ci-haut évoquées, la plupart d’entre elles, d’une manière ou d’une autre, seraient les relais des structures de l’économie capitaliste mondiale. A cet effet, elles entretiendraient la sélection de la population locale en la matière, avec toutes les conséquences néfastes qui en découlent.
Pour ce qui est de l’habitat, la littérature économico-sociologique[505] affirme qu’il est l’un des principaux pivots de l’organisation économico-sociale des sociétés dites modernes. Du point de vue da la sociologie, l’habitat intègre toutes les dimensions du cadre de la vie d’une collectivité. Il renvoie à cet espace rural complexe, jouant plusieurs fonctions, et, nécessitant le zonage. Il y a lieu de citer, entre autres : cadre de vie ou habitation, zone récréative, moyen de production et zone de réserve. Certes, l’habitat se veut l’une des déterminations d’intégration et d’équilibre social.
L’habitat se veut donc, un facteur important de consolidation des structures familiales et de l’épanouissement des individus. Sur le plan économique, il se présente comme l’un des moyens de la redynamisation de l’économie et de l’amélioration des conditions de vie des populations. La gestion rationnelle de cet espace vital par le zonage s’impose à chaque famille, à chaque clan et/ou à chaque village.
« L’espace Bengamisa » [506], pour ne pas évoquer seulement le cas de Banalia, conserve cette vision sur la terre, sur la forêt, ou la vision sur l’espace de vie que la sociologie nomme habitat. La population manifeste la maitrise de la notion de « développement durable » : les espaces ne sont pas consommés en désordre et les espaces sacrés, font l’objet de vénération et de protection.
Concernant le logement, il est à indiquer que les influences venues de la colonisation et de l’étranger, ont fait que les maisons y soient battues en matériaux durables et semi-durables. Cela, surtout dans les grands centres et missions ecclésiastiques. Mais, dans les villages, le recours aux sticks et feuilles de la forêt pour la construction reste encore une pratique à la mode. Les images évoquées lorsque nous avons présenté la morphologie de village en RD. Congo suffisent pour convaincre.[507] De manière générale, l’agriculture 35%, chasse 25%, élevage 20%, pêche 12% et le petit commerce avec 8%, sont des principales activités économiques de la population de Banalia. Il y a lieu de considérer : manioc (40%), bananes plantains (25%), riz (15%), mais (13%) et arachides (7%), comme des principaux produits agricoles du milieu. Par contre, l’or et le diamant y demeurent des produits non agricoles exploités, alors que malgré sa présence, le fer reste non exploité.[508] Il sied de rappeler en passant que le cacao y est cultuvé de façon artisale par les paysans.
Tableau IV. Répartition des principales activités économiques du territoire de Banalia (dans l’espace Bengamisa), en termes de pourcentages/2016.
N° |
Les principales différentes activités économiques de Banalia/2016 |
% |
1 |
Agriculture |
35% |
2 |
Chasse |
25% |
3 |
Elevage |
20% |
4 |
Pêche |
12% |
5 |
Petit commerce |
8% |
Total |
100% |
Source : CAID/Province de la Tshopo/Territoire de Banalia/Fiche du territoire, Septembre 2016, pp. 1-7, y associées les données de terrains.
Commentaires : Le tableau ci-haut indique que l’agriculture se veut la panacée de la population de « l’espace Bengamisa ». Dans l’agriculture, la culture des champs occupe la première place.
Figure 3. Répartition des principales activités économiques du territoire de Banalia (dans l’espace Bengamisa), en termes de pourcentages/2016.
De ce qui précède, la sociologie[509] retient qu’en dépit des influences exogènes que « l’espace Bengamisa » a connues, lesquelles influences y imposèrent le mode de vie basé sur le salariat, en détachant l’individu de tous les craquant de la communauté, etc., il s’observe que la famille et/ou le clan reste, toujours, l’unité économique de base dans cet espace rural en République Démocratique du Congo. La terre y garde la valeur existentielle, et, que la parenté, inconditionnellement, y organise encore la vie quotidienne. Tel est par exemple, le cas des Bagenya et les Lokele, réputés dans la pratique de la pêche, les Topoke (Isangi) des champs et les Bongango (Yahuma) la chasse, etc., jusqu’à ce jour, la font en groupe.
En définitive, il y a lieu de tirer la conséquence selon laquelle, dans l’espace rural de « Bengamisa »,[510] dans la Province de la Tshopo, pour ne pas parler de la RD. Congo, il y aurait encore un vaste champ d’action, de larges franges entières d’activités, une fois la redynamisation des structures sociales et économiques, soutenues par des structures politico-administratives permissives, qui permettraient la production de grande envergure des cacaos marchands, des cafés et de palmier à huiles, etc.., et tant d’autres cultures pérennes. Lesquelles productions stimuleraient des échanges susceptibles de booster l’économie, en mobilisant la population rurale de cette partie de la République au travail par des rémunérations justes.
Décidément, la Cacaoyère de Bengamisa, aujourd’hui, offre cette opportunité historique, car, sur le plan pratique une fois relancée, elle serait classée parmi ce que nous pouvons qualifier de poumon de l’économie de la Province de la Tshopo et/ou de la RD. Congo. La Côte d’Ivoire, première productrice mondiale de cacao, fait face à des multiples crises financières que connaissent plusieurs pays du monde en ce moment, grâce aux retombées de la vente de son cacao. La culture de cacao pourrait aussi bien rapporter beaucoup de devises à la République Démocratique du Congo que l’exportation des minerais.
SECTION III. DU CONTENU ET DU TRAJET HISTORIQUE DU PROJET CABEN : SA CREATION, LA FIN DE SA PREMIERE PHASE DE FINANCEMENT A CE JOUR
Cette section table sur la genèse et offre le contenu du projet sous étude. Tout en présentant des réalisations de la Cacaoyère de Bengamisa dans son milieu d’implantation par rapport à ses odjectifs, elle trace en même temps sa trajectoire historique.
§1. De la Cacaoyère de Bengamisa et sa trajectoire historique : sa genèse et son contenu comme projet de développement agricole
La Cacaoyère de Bengamisa, (CABEN) fait partie d’un vaste programme national de la relance de cacao culture en République Démocratique du Congo. Les fluctuations de prix du cuivre à partir de 1973 avait mis en exergue le danger que présentait la dépendance en recettes d’un seul produit d’exportation, en occurrence le cuivre.[511] Il se dégagea, ainsi, la nécessité de diversifier les sources des devises pour la République.
C’est donc, dans le cadre de la diversification des produits d’exportation que le programme a été lancé. Il visait, en ce qui concerne la cacao culture, atteindre 23.000ha dans les anciennes Provinces de l’Equateur et Orientale.[512] La CABEN aurait comme objectif global la production de cacao et assurer l’encadrement des paysans, les planteurs indépendants. La transformation de cacao en produits semi-finis et finis résume son objectif spécifique, etc. Il ya lieu de citer, à titre indicatif, le site de Bengamisa – Yangambi (dans les territoires contigus de Banalia e d’Isangi) et celui de Yatolema (dans le territoire d’Opala) dans la Province de la Tshopo, le site d’Aketi dans la Province de Bas-Uélé et celui Haut-Uélé, pricisement, dans les territoires de Poko et de Wamba.
Le Site de Bengamisa, dans l’actuelle Province de la Tshopo, est le premier à être exploité, alors que les études menées par BDPA,[513] un organisme français en 1975, avait identifié 7 sites d’implantation possible de cacao. Il sied de signaler que l’exploitation de ce site de la Province de la Tshopo a été rendu possible grâce aux accords de prêts : CS/ZR/AGR/79/OO9 et CS/ZR/AGR/79/02 du 26 juin 1980.[514] Comme son cadre juridique l’indique, force est notre, de rappeler que la Cacaoyère de Bengamisa est sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture, Pèche et Elevage. Les éléments juridiques qui consacrent son existence sont :
Þ ORDONNANCE N°80-305 DU 31 DECEMBRE 1980, PORTANT APPROBATION DE L’ACCORD DE PRET N°CS/ZR/AGR/79/2 DU 26 JUIN 1980 ENRTRE LE CONSEIL EXECUTIF ET FONDS AFRICAIN DE DEVELOPPEMNT : PROJET CABEN (Cfr. infra);
Þ ACCORDS DE PRET N° CS/ZR/AGR/79/009 ET CS/ZR/AGR/79/O2 DU 26 JUIN 1980 ;
Þ ARRETE DEPARTEMANTAL N°000188/BCE/AGRIDRAL/81DU 23/12/1981 ;
Þ ARRETE MINISTERIEL N°0029/CAB/MIN/AGRI/2011 DU 18 MAI 2O11.[515]
Si l’Ordonnance n° 80-305 du 31 décembre 1980, est l’acte qui approuve l’Accord de Prêt N°CS/ZR/AGR/79/2 du 26 juin 1980 entre le Conseil Exécutif et Fonds Africain de Développement par rapport au Projet CABEN, l’Arrêté Départemental N°000188/BCE/AGRIDRAL/81 DU 23/12/1981, par contre, se veut l’acte de la création du projet sous-étude. Ces documents s’avèrent, paritairement, éclairants pour comprendre la genèse du projet CABEN, ils sont respectement classés en annexe.
Le siège de la Direction Générale du projet CABEN se trouve sur l’Avenue Kitenge/Clinique Vétérinaire, dans la Commune de Makiso, avec son Comité de Gestion nommé par le Ministre de l’Agriculture, Pêche et Elevage. Son Bureau de Réprésentation à Kinshasa est logé au Secrétariat Général de l’Agriculture, Pêche et Elevage, sur « Avenue Batetela, commune de la Gombe/Boulevard du 30 juin.[516]
Du point de vue de la socio-économie, il importe de préciser que la Cacaoyère de Bengamisa reste un projet de développement agricole. Il est ainsi déclaré parce qu’il gravite, principalement, autour d’une activité agricole, orientée vers la « culture de cacao».[517] Pour ce faire, il y a lieu de soutenir que la Cacaoyère de Bengamisa comprendrait l’ensemble d’apports d’ordre matériel, organisationnel, technique, financier, économique, et, même culturel, etc., appelés à agir ensemble et à modifier son milieu d’implantation.
La CABEN se veut un apport d’ordre matériel en ce sens qu’il regorgerait les éléments matériels nécessaires à sa gestion. Les apports d’ordre organisationnel évoque tous les éléments se rapportant à sa structuration et à sa gestion, et capables d’influencer le milieu d’accueil. Si tous les outils mis à la disposition du projet pour atteindre ses objectifs constituent les apports techniques, les apports financiers, sans doute, font allusion aux finances liées au projet. Tous ceux-ci, doivent, d’une manière où d’une autre, impacter le milieu de son implantation. Les apports culturels renvoient aux nouveaux usages que le projet amène et qui touchent aux habitudes de la population du milieu concerné par le projet, etc.
Le projet CABEN devrait se réaliser en deux phases de financement et la finalité était d’atteindre 10. 000 ha de la culture de cacao dans toute la Province de la Tshopo. La première phase de 1983 à 1988 prévoyait, dans son Site à 36Km de Kisangani, initialement, 3.750 ha dans le territoire de Banalia : 2000 ha au Bloc Industriel (pour dire plantation du projet avec les salariés) et 1.750ha au Bloc Familial (les plantations des paysants afiliés à la CABEN). La deuxième phase partirait de 1992 à 1997, avec comme finalité : 6. 250ha dans les autres territoires de la même Province.[518]
Tableau V. Prévisions initiales de la culture de cacao par la CABEN (première phase) dans le territoire de Banalia en termes d’hectares et de pourcentage
N° |
Les structures pour la culture de cacao au sein de la CABEN |
Superficie en termes d’hectare |
Superficie exprimée en % |
1 |
Bloc Industriel |
2000 ha |
53, 3% |
2 |
Bloc Familial |
1.750 ha |
46,7% |
Total |
3.750 ha |
100% |
Source : CABEN, de sa création à la fin de la premiere phase de financement, Rapport synthèse de Décembre 1988, p.4.
Le tableau ci-haut indique que dans le territoire de Banalia les prévisions initiales sur la culture de cacao par le projet CABEN avaient réservé plus d’espace pour le Bloc Industriel que pour le Bloc Familial.
Figure 4. Prévisions initiales de la culture de cacao par la CABEN (première phase) dans le territoire de Banalia en termes de pourcentage.
Il importe, cependant, de souligner que, pour atteindre ces objectifs, il a fallu du financement pour ce projet. A cet effet, aux termes des accords des prêts cités ci-haut, trois principaux partenaires (Conseil Exécutif, pour parler du Gouvernement, BAD et FAD) se sont accordés pour financer le projet. Ils avaient convenu d’intervenir dans la proportion résumée dans les tableaux qui suivent. Ils présentent, respectivement, les financements initiaux et les financements révisés par le Conseil Législatif (Parlement) en Février 1988.[519]
Tableau VI. Financements initiaux de la CABEN exprimés en USD et en pourcentage.
N° |
Les partenaires impliqués dans le financement de la CABEN |
Proportion exprimée en USD |
proportion exprimée en % |
1 |
Conseil Exécutif |
2.310.000 |
25% |
2 |
BAD |
3.450.000 |
38% |
3 |
FAD |
3.390.000 |
37% |
Total |
9.150.000 |
100% |
Source : CABEN, de sa création à la fin de la premiere phase de financement, Rapport synthèse de Décembre 1988, p4.
Commentaires. Le tableau ci-haut indique que la Banque Africaine de Développement (BAD) et Fond Africain Développement (FAD) se sont engagées à soutenir financièrement la CABEN plus que le Gouvernement (C.E = Conseil Exécutif) congolais (zaïrois à l’époque). Les deux Institutions auraient soutenu le projet dans l’ordre de 75% du financement global.
Figure 5. Financements initiaux de la Cacaoyère de Bengamisa exprimés en pourcentage.
Suite aux contraintes politico-financières connues en 1987, les conclusions de cet accord avaient été révisées en Février 1988 par le Conseil Législatif. La 2ème version se présente comme l’indique le tableau ci-dessous en termes de DTS et en pourcentage.
Tableau VII. Financements révisés de la CABEN en DTS et en pourcentage.
N° |
Les partenaires impliqués |
Proportion exprimée en DTS |
proportion exprimée en % |
1 |
BAD/FAD |
883.111 DTS |
55% |
2 |
CE |
724.000 DTS |
45% |
Total |
1. 607.111 DTS |
100% |
Source : CABEN, de sa création à la fin de la premiere phase de financement, Rapport synthèse de Décembre 1988, p.4.
Commentaires : Le tableau ci-haut indique que le montant de financement arrêté au départ, avait été revisité. Toutefois, il s’observe que la BAD et le FAD contribueraient plus que le Gouvernement congolais de l’époque.
Figure 6. Financements révisés de la CABEN exprimés en DTS et en pourcentage
Dans sa mission de production des cacaos marchands, la CABEN s’organise en deux grandes structures. Il s’agit du Bloc Industriel et du Bloc Familial.[520] En ce qui concerne le Bloc Industriel, il est commode de soutenir que celui-ci prend en compte tous les travailleurs : engagés de la CABEN, affectés, soit, à la Direction Générale, soit, au Bureau de la Représentation à Kinshasa, soit encore, dans la plantation. Il s’agit des cadres, des agents auxiliaires et ouvriers, etc., qui ne devraient, en principe, vivre que de leur salaire. Dans cette liste, il nous revient l’obligation d’ajouter les journaliers. Ceux-ci sont des paysans, qui, pour satisfaire certains besoins, sont engagés temporairement et sont payés à la tache. Des femmes et des enfants sont enregistrés de temps à temps comme « agents temporaires ». Cela se remarque surtout aux moments des récoltes des cabosses.[521]
Par contre, le Bloc Familial comprendrait toute personne (ou la famille) qui, suite à un contrat signé avec la CABEN, bénéficie de son encadrement. Celle-ci, c’est-à-dire, la Cacaoyère de Bengamisa, à travers ses agents, assure des formations, fournit des plantules et des outillages (machettes, haches, bèches, etc.), avec obligation de ne vendre les cabosses uniquement qu’au projet. Ils sont désignés des « Planteurs Indépendants ». Ainsi, un agent de CABEN est commis pour superviser un Poste.
Le Bloc Familial de la CABEN, au moment de notre dernier passage, c’est-à-dire, en Avril 2017 comptait 6 Postes dans la Province de la Tshopo. Il s’agi