De nombreux auteurs font actuellement état de la naissance ainsi que de l'expansion, au sein des sociétés africaines postcoloniales, d'une forme singulière d'économie, qu'ils trouvent différente non seulement du système capitaliste dominant, mais aussi du système traditionnel africain. Cette économie est dite « secteur informel ».
Le terme de secteur informel a été repris officiellement pour la première fois en 1972 dans le rapport d'une mission envoyée au Kenya par le Bureau International du Travail (BIT), pour désigner les activités urbaines lucratives exercées par une portion de la population n'exerçant: pas d'emplois recensés . Depuis lors, plusieurs études ont été menées pour saisir ce phénomène sous une inflation d'appellations : économie informelle, économie parallèle, économie populaire, économie souterraine, économie noire, d'économie non structurée, économie marchande, économie de la cité informelle etc.
Citons à titre indicatif les écrits de OMASOMBO Tshonda qui avertissaient déjà, en 1990, en des termes selon lesquels : « même si les données récoltées que nous publions ici paraissent pertinentes, il y a lieu de songer à poursuivre encore les recherches. Car, plus les études des cas se multiplient et s'approfondissent, plus le choix d'une définition simple de la petite économie marchande devient aléatoire. Certes, ce vaste champ d'étude présente certaines caractéristiques déjà révélées par les travaux antérieurs, mais la nécessité d'approcher des cas qui relèvent d'activités aussi diverses que la réparation de pneu (quado), la vente de carburant (kadaffi), la friperie (tombola-bwaka), le docker, la peinture naïve, le taxi, le transport par pirogue à moteur, la vente des pièces usagées de véhicules... reste pertinente. Les ressemblances ne doivent pas conduire à des conclusions globales et rapides sur la petite économie marchande ».
Jean Lue CAMILLERI tente, à son tour, une approche socio-économique de la petite entreprise, en décrivant ses caractéristiques, son environnement et son fonctionnement. La réponse qu'il donne à la question fondamentale de son ouvrage. à de savoir « quelle est la spécificité d'une petite entreprise dans l'informel » ne nous satisfait que partiellement. En effet, il reconnaît en définitive les limites de son analyse lorsqu'il déclare que « pendant longtemps, seules les entreprises de style européen avaient droit de cité en Afrique. Le secteur informel récemment réhabilité et qui bénéficie en cette fin de siècle d'un surcroît d'attention et de tendresse de la part du développer. Les choses ont heureusement évolué et, aujourd'hui, le secteur informel qui présente jusqu'à 85% des entreprises, est reconnu, analysé, soutenu, réhabilité. Néanmoins, la notion d'informel reste floue car elle recouvre aussi bien certaines activités marginales que l'artisanat utilitaire ou des micro-entreprises modernes. Aussi, vu l'hétérogénéité du secteur, nous avons choisi de privilégier le concept de petite' entreprise... En effet, à l'exception de quelques études, il manque beaucoup d'éléments sur l'entrepreneuriat féminin, l'esprit d'entreprise selon les différentes ethnies, le comportement de l'entrepreneur au quotidien » .
Dans un ouvrage écrit avec F. TREIFFELER, le professeur MBAYA M, note que « le rapport du BIT sur le Kenya (...) avait en gestation cette double perception du secteur informel en ce qu'il associait les activités marginales, l'artisanat de production et de service et le petit commerce. Désormais, les études sur le secteur informel vont se multiplier en empruntant plusieurs voies, créant de ce fait la difficulté de dégager une définition claire et concise du phénomène secteur informel », relèvent l' observation pertinente qui, du reste, ne fait que légitimer notre recherche :« Premièrement, (...) outre la distinction classique faite entre le secteur formel et le secteur informel regroupant les activités marginales, l'artisanat de production et de service et le petit commerce qui ne sont pas intégrés clans la structure juridico-institutionnelle de l'Etat et de l'économie officielle, n'ayant pas le statut légal, ne tenant pas la comptabilité, n'impliquant pas la législation du travail..., les réalités congolaises montrent que le secteur informel comprend aussi des petites et moyennes entreprises qu'on peut qualifier de modernes et le commerce à grande échelle, et que certaines activités de ce secteur tiennent une comptabilité. Un peu plus loin, ces auteurs se préoccupent d'étudier « l'informalité » (ou le phénomène informel général) et le secteur informel au Congo en recherchant les possibilités de développement de ce pays ".
En d'autres termes, les études de nos prédécesseurs nous amènent dans un dilemme ; celui de la nécessité de dégager l'impact d'un phénomène qu'on n'a pas si bien défini, et de définir un phénomène si complexe sans avoir multiplié les études des cas. En tout état de cause, la multiplication des cas est nécessaire avant toute définition, mais elle doit au préalable avoir à l'esprit la nécessité de la totalité sociale dans l'idée générale que l'on cherche à vérifier sur le terrain. Car ce point de vue de la totalité est tout à fait décisif dans l'explication sociologique du fait social.
Au moment où le monde s’apprête à affronter la concurrence dans les marchés internationaux, la République Démocratique du Congo enregistre un grand retard dans la participation au concert mondial suite à des crises multisectorielles qui a déchiré. Des nombreux conflits armés, la mauvaise gestion de l’appareil de l’Etat, et tant d’autres formes de déviances généralisées sur tous les plans, politique, économique social et culturel plongent le pays dans le chaos, entrainant la misère de population, contrainte de mener une vie en dessous du seuil de la pauvreté.
Tous les secteurs de la vie étant touchés par cette crise multiforme, il est plus aisé à tout observateur de constater avec amertume que l’économie formelle de la République Démocratique du Congo se trouve au bas de l’échelle et que la vie quotidienne du congolais se trouve au bas de l’échelle et que la vie quotidienne du congolais moyen laisse à désirer.
Si toute la population congolaise est confrontée à cette crise économique, la population kinoise en particulier connait une situation beaucoup plus cruelle et alarmante, accentuée par la rupture du tissus économique avec comme conséquence principale la pauvreté absolue, se traduisant par la sous-alimentation, la malnutrition, la sous-scolarisation, le sous logement, la délinquance, la prostitution et autres. Ce qui rend des ménages incapables de gérer des familles nombreuses avec leur revenu dérisoire. Ne pouvant plus compter sur l’Etat, ni sur le salaire médiocre et même inexistant pour ceux qui sont employés, les Kinois se donnent aux activités informelles, le plus souvent au petit commerce pour leur survie quotidienne afin de sauver ainsi leur vie.
De ce qui précède, quatre-vingt pour cent de la population kinoise vivent de l’informel. Notre préoccupation majeure à travers cette étude est de déterminée ce que pensent les vendeurs du marché Gambela, acteurs de l’économie marchande de survie, de ce secteur socio-économique en relation avec leur avenir.
La littérature autour de l’économie informelle est abondante, bon nombre d’études antérieures ont déjà fait de la question liée aux petites et moyennes entreprises, au secteur informel ainsi qu’aux stratégies de survie au monde, en Afrique et en République Démocratique du Congo.
Dans une étude sur « Manière de vivre », Gauthier De Villiers ( ) analyse l’économie « de la débrouille » dans les villes du Congo/Zaïre. A travers les enquêtes sur l’art de survie au jour le jour (« au taux du jour »), sa préoccupation fondamentale était de saisir comment se transforment les rapports sociaux et comment les acteurs apprécient en termes éthiques leur manière de vivre une situation de crise générale liée à la délinquance de l’Etat et à la dépravation des « pouvoirs publics ». Il aboutit à la conclusion selon laquelle le phénomène qu’on appelle informelle existera aussi longtemps qu’il y aura des sous-emplois, des non payés, des mal payés, contraints à la débrouille. On ne peut supprimer l’informel, qui d’ailleurs joue un rôle indispensable et positif. Il faut tenter de réduire les méfaits, et chercher à susciter à partir des petites activités informelles, la création de véritables petites et moyennes entreprises qui contribuerait à l’essor économique du pays.
De leur côté, S. Shomba Kinyamba, D. Olela Nonga, J.V. Ongevalle, P. Develtere, B. Fonteneau dans leurs manuel ( ) « Mutation du secteur informel en économie sociale en République Démocratique du Congo ». Ils démontrent que le secteur informel constitue, en ce jour, une illustration unique en tant que mécanisme de résistance à la crise multiforme qui sécoue les catégories sociales défavorisées et qu’en perspective, il n’en constitue pas moins un atout important sur lequel peut s’appuyer toute action efficace de développement communautaire. L’observation panoramique de ses activités menées au Congo depuis belle lurette force de reconnaître que le secteur informel émerge comme une réponse populaire des démunies face à la crise socio-économique. De ce fait, le contexte actuel de crise financière mondiale appelle un recadrage des efforts sur le secteur informel en tant que mécanisme de résistance à la crise précitée.
Bruno Lautier ( ) se préoccupe de déterminer vers quel avenir nous entraine l’information croissante des sociétés du tiers-monde. Il aboutit à la conclusion selon laquelle l’économie informelle a permis de contenir les incidences sociales de l’échec de la plupart des projets de développement, comme des politiques des régner imposées par le FMI et la BM. Mais ce rôle de palliatif atteint ses limites : l’économie informelle ne saurait remplacer l’Etat dans son rôle de prestataire de services collectifs, ni les grandes formes industrielles dans la fourniture de bien à un prix compétitif, et d’emploi stables. La victoire, dans de nombreuses régions du monde, de l’économie informelle sur l’économie formelle est une victoire par formant, et non par K.O.
Jean Michel Harner ( ) en étudiant le tiers-monde : entre la survie et l’informel, s’est préoccupé de dégager le rôle que joue l’informel pour la survie des pays du tiers-monde. Il a démontré que s’il ne peut résoudre tous les problèmes de l’emploi, le secteur informel est capable d’absorber une partie des chocs sur le marché du travail urbain. L’emploi informel consiste essentiellement en auto emploi urbain, c’est-à-dire qu’il procède de la création de micro entreprise indépendante et si le secteur informel ‘est pas la solution absolue, il permet malgré tout à une partie importante de la population de suivre, et l’économie de continuer à tourner.
Dans une étude intitulée « Des espaces pour la débrouille, Bernard Chandon-Moet ( ) analyse l’aspect selon lequel les espaces deviennent ainsi polyfonctionnels ou alors, comme à la foire, il révèle à tout un dégradé de commerces, selon la mise de départ, on se trouve à l’intérieur d’un stand, ou aux abords (commerce presque ambulant) ; mais tout espace libre est investi. La préoccupation majeure était de comprendre l’intention qui a présidé à l’aménagement de l’espace qui prête l’attention à la mince couche d’histoire qui aboutit à l’état présent, qui s’interroge enfin brièvement sur le sens des relations qui s’y nouent. Il aboutit à la conclusion selon laquelle la ville apparait comme une intense lieu d’échanges mais elle est aussi le terrible reflet des antagonismes et des clivages qu’exacerbe la crise économique qui frappe le Cameroun depuis le milieu des années 80.
Georges Kobou ( ), en étudiant les économies réelles au Congo révèle que les pays africains, l’extrême pauvreté vécue par les populations fait de l’inégalité, de l’injustice, de l’inefficacité et du népotisme les principaux ferments de la subversion. Les performances uniquement statistiques des résultats économiques ne peuvent suffire ni à déterminer le niveau de bien-être des populations, ni à comparer l’urgence de développer de nouvelles perceptives d’études sur les économies africaines, qui privilégieraient leur non-conformisme comme cadre d’analyse en soi.
De leur côté, dans une étude sur l’économie informelle au Zaïre, Tom De Herdt et Marysse ( ) démontrent que l’ampleur du secteur informel suffit à elle seule à justifier que celle-ci soit pris en compte dans toute stratégie de développement. Ils se sont préoccupés à étudier les possibilités d’intervention de l’Etat dans un secteur dont dépend la survie de la majorité de la population urbaine, mais dont ni l’ampleur exacte ni les modalités de fonctionnement ne sont connues.
Ils concluent en disant que le secteur informel destiné à être abordé, à terme, dans un processus de modernisation, mais beaucoup plus comme une donnée structurelle dont on doit tenir compte de toute stratégie de développement. Les possibilités d’intervention directe dans le secteur informel se situent essentiellement dans les domaines du crédit et de la formation.
Eu égard à ce qui précède, il se dégage que ces auteurs se sont plus intéressés à montrer la place du secteur informel dans la résolution de la crise, tant économique que sociale ainsi que les possibilités de réaménagement et restructuration de ce secteur afin de pouvoir soulager tant soit peu la misère de la population de ces différentes sociétés en crise.
Aucune de ces études ne s’est préoccupée à saisir la manière dont ces activités informelles (plus particulièrement le petit commerce) sont perçues par ses acteurs et surtout de ce qu’ils pensent de leur avenir en relation avec leurs activités. C’est cela qu’il sera question dans la présente réalisation.
2. Problématique
La question du secteur informel figure parmi les sujets les plus abordés par les études scientifiques actuelles en sciences économiques, en sociologie du développement, sociologie économique, etc. Une abondante littérature scientifique traite de la naissance de ce secteur aux impacts divers, fonctionnant d'après une logique socio-économique originale, et faisant vivre des masses de populations africaines.
Certains scientifiques affirment dans leurs écrits se trouver en présence d'un dynamisme de développement qui remplacerait le libéralisme économique actuel, tandis que d'autres fondent l'espoir qu'un nouvel élan de développement des sociétés africaines aurait été trouvé dans la prise en charge de ce secteur par les Etats à travers le processus de sa « formalisation » Ils pensent que du fait que ce secteur ait fait ses preuves dans la subsistance des populations marginales, dans une action spontanée et non coordonnée, sa formalisation au niveau national permettra d'ouvrir d'autres voies de développement pour nos sociétés. Enfin, d'autres encore se penchent sur la définition de ce phénomène aux effets multiples.
A la suite du rapport de mission effectuée au Kenya en 1972 par les experts du Bureau International du Travail, une terminologie très variée est apparue pour désigner le secteur informel : on parle de secteur informel, économie noire, économie populaire, économie souterraine économie de la cité informelle, seconde économie, etc., chacune d'elles voulant, soit saisir un aspect particulier de ce phénomène, soit mener d'abord des études empiriques, soit rebaptiser le secteur informel afin de contourner la difficulté de le définir au regard du niveau actuel de l'évolution des connaissances sur ce phénomène.
Aucune de ces études ne s’est préoccupée à saisir la manière dont ces activités informelles plus particulièrement le petit commerce, sont perçus par ces acteurs et surtout de ce qu’ils pensent de leur avenir en relation avec leurs activités.
Pour nous résumer, disons que la problématique de notre travail peut se traduire en cette question unique et fondamentale : - A la suite de différentes études sur les activités informelles et au nom de la sociologie en tant que science de la réalité sociale totale et globale, quelle est la logique propre dans des activités informelles :
I.2. Présentation du milieu d’étude
Dans ce point, hormis les généralités sur la commune de Kasa-Vubu, nous allons présenter le marché Gambela entant qu’appareil économique de ladite commune qui est notre champ d’investigation.
I.2.1. Aperçu historique de la commune de Kasa-Vubu
A l’instar d’autres entités administratives décentralisées, la commune de Kasa-Vubu a été créée par le décret-loi du 25 mars 1957 de Gouverneur du Congo-belge eu du Rwanda-urundi. Cette entité administrative fonctionne sur base de l’ordonnance-loi n°82-006 du 25 février 1982 portant organisation territoriale, politique et administrative de la République du Zaïre et celle n°82-008 du 25 février 1982 portant statut de la ville de Kinshasa.
Nagucte Dendale, cette municipalité est appelée aujourd’hui commune de Kasa-Vubu depuis 1971.
I.2.2. Localisation géographique et infrastructure
De forme trapézoïde, la commune de Kasa-Vubu est limitée au Nord par les communes de Lingwala et de Kinshasa, au Sud par la commune de Ngiri-Ngiri à l’Est par la commune de Kalamu et à l’Ouest par la commune de Bandalungwa. Elle s’étend sur une superficie de 5,04km2.
Cette commune compte 32 bâtiments administratifs et écoles officielles et privées. En ce qui concerne les services du Tourisme, on compte trois secteurs notamment : hôtellerie, la restauration et les agences de voyage.
La commune de Kasa-Vubu compte un nombre important d’opérateurs économiques qui forment le secteur formel. Il représente une potentialité économique assez florissante. Leurs activités s’effectuent au marché Gambela dans les différentes maisons de vente de pièces de rechange situées sur les avenues Kasa-Vubu et Victoire et au marché « Koweït » situé sur l’avenue Victoire et Force Publique.
La commune de Kasa-Vubu a une population de 78.792 habitants. Elle est composée de 78.792 nationaux et 8.043 étrangers.
I.2.6.1. Le marché Gambela
Le marché Gambela est de par son importance le deuxième de la capitale après le grand marché de la Gombe. Il est dirigé par une femme Administrateur élue parmi les opérateurs économiques œuvrant dans ce marché. Vers les années 40, le marché se trouvant à l’emplacement actuel de la paroisse protestante de la rue Lisala.
En 1947, les femmes vendeuses se sont regroupées là où se trouve actuellement la maison des anciens combattants pour démarrer le marché. Il porta son premier nom de « marché anciens combattants » jusqu’en 1957. Il est actuellement appelé marché Gambela suite à son emplacement sur l’avenue du même nom. En 1984 conformément à la décision du Conseil municipale, ce marché fut rebaptisé « Marché Maman APENGE » pour immobiliser la mémoire de la commerçante et première présidente dudit marché, morte en 1984.
A proximité de ce marché se trouve un autre plus petit informel et en expansion communément appelé « marché Koweït ». Celui-ci a vu le jour juste après le pillage du 23 au 24 septembre 1991. Il s’étend le long des avenues Kasa-Vubu et Victoire.