Dédicace
A Dieu, notre adorable Saint Créateur,
Nous dédions ce travail de longue haleine
A nos parents Charles Kiansil Maklamfe qui a quitté ce monde, nous laissant dans une inaltérable douleur, sans pour autant achever la réalisation de ses projets et son rêve de laisser la progéniture dans un palais exhalant le parfum paternel. Et, Marie Monkango Atsokinde, qui ne cesse de se surprendre chaque jour par la vie actuelle portée aux contre-valeurs.
A mon épouse Lucie Mokwa Misema et à nos enfants : Josiane Motitibo Kiansil, Sullivan-José Christian Nkiere Bel-Kiansil, Valézia Kiansil N’Kumutah, Stémaëlle Kiansil Monkango, Christevie Kiansil Azekwa. Tous, ils ont accepté des privations et n’arrêtent toujours pas de dissimuler leur empressement pour voir la fin de l’écriture de cette recherche.
A tous les hommes de bonne volonté qui luttent pour un monde de justice et d’égalité, qui s’emploient chaque jour - à l’instar de cette ambition de H. Wadsworth Longfellow -, à « rendre nos vies sublimes et laisser nos empreintes sur le sable du temps ». Car, ils concourent à l’édification de la véritable existence, celle des opinions libres et de compénétration pacifique et fraternelle, loin des guerres et des dominations.
I. Remerciements
Nous avons l’occasion d’exprimer de manière durable et, en vérité, nos remerciements à tous ceux qui nous ont encouragé à mener à bien cette dissertation doctorale, comme une importante étape, qui vient de voir le jour et pour en ouvrir d’autres.
Logiquement, nous citerons en premier lieu le Professeur Bertin Makolo Muswawa qui a accepté de diriger cette étude jusqu’à son accomplissement. Accomplissement qui a connu dans son parcours ses observations mesurées, méthodiques et systématiques pour un travail de qualité. En dépit de son temps fortement réduit au quotidien, il n’a cessé de nous accueillir et d’écouter d’une oreille attentive nos « trouvailles », de digérer nos résolutions et nos prises de position par rapport à cette recherche. Nous le remercions de tout cœur. Puissions-nous ensuite, parvenir à demeurer son modèle.
Le Professeur Rombaut Mimbu Ngayel mérite d’être cité, en ce jour, où nous nous souvenons de ses efforts à rehausser la littérature dramatique. A l’époque, nous n’en saisissions pas encore la nécessité immédiate et ultérieure. Il nous a beaucoup aidé à nous intéresser aux œuvres d’un dramaturge de renom : Norbert Mikanza Mobyem, mais aussi à faire éclore la place d’une littérature congolaise, en butte, de façon permanente, aux conditions socio-politiques difficiles du pays.
Dans la réalisation de cette étude, le Professeur Jean Nsonsa Vinda a été un catalyseur dans l’ombre. Sans complaisance depuis nos premiers pas à l’IPN, il nous a poussé à l’aboutissement d’un travail, pour lequel il a été l’un des grands artisans. Qu’il trouve à travers nos mots, cette reconnaissance bien comblée.
Que les Professeurs Mbuyamba K., Okolo O., Kasoro T., Mukash K., Lungungu et d’autres encore du Département des Lettres et Civilisation françaises trouvent ici, toute notre gratitude pour l’encadrement dans les différents séminaires assurés, en Licence Spéciale (2001-2002) et en D.E.S (2002-2005), à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’UNIKIN.
Nous remercions Monsieur Ndundu Kivuila, Chef des Travaux à l’INA, qui nous a apporté plus de renseignements qui touchent Norbert Mikanza Mobyem et, à travers lui, tous les enseignants de l’INA qui se sont prêtés à nos questions. Notre profonde gratitude les accompagne.
Charles Nkiere Bel-Kiansil Namuize
II. Abréviations et sigles
Les titres des pièces constituant le corpus sont notés en italiques et repris entre parenthèses ou pas, hormis la pièce Biso. Les autres titres sont normalement écrits. Nous présentons ci-dessous la liste de toutes les abréviations et sigles.
A. Le corpus :
- L.B.K : La Bataille de Kamanyola.
- M.E : Monnaie d’Echange.
- N.S : Notre Sang.
- P.F.A : Pas de feu pour les antilopes.
- P.M : Procès à Makala.
- T.S.F : Tu es sa femme.
B. Autres pièces de théâtre :
- A.Q.P : A quand le procès.
- I.A.T.P : L’indépendance à tout prix.
- L.A.S.S : L’Anti-sorcier et la science.
- L.D.G : Le Délégué Général.
- L.D.I : La Délivrance d’Ilunga.
- L.E.O.V : L’Empire des ombres vivantes.
- L.F.F : La Fille du Forgeron.
- L.F.P : La Foire des pharaons.
- L.F.S : Les Flammes de Soweto.
- L.I.V : L’Ironie de la vie.
- L.S.N.S : Le sang des noirs pour un sou.
- L.T.S.H : La tentation de sœur Hélène.
- M.B.S.C : May Britt de Santa Cruz.
- N.F.N.S.P : Njinji ou la fille de Ngola, sauvera le peuple Ngola.
- P.P.M : Pitié pour ces mineurs.
- S.K.M.N : Simon Kimbangu ou le Messie Noir.
C. Les autres abréviations dans cette étude :
- ACCT : Agence de Coopération Culturelle et Technique.
- CNS : Conférence Nationale Souveraine.
- FORCAD : Ecole de Formation des Cadres du Parti.
- INA : Institut National des Arts.
- IPN : Institut Pédagogique National.
- OCAM : Organisation Commune Africaine et Malgache.
- OUA : Organisation de l’Unité Africaine.
- PN: programme narratif.
- Pn : proposition narrative.
- RDC (RD Congo) : République Démocratique du Congo.
- SN : Syntagme Nominal.
- SV : Syntagme Verbal.
- TNMSS : Théâtre National Mobutu Sese Seko.
- T.N : Théâtre National.
- UNIKIN : Université de Kinshasa.
- UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science
et la Culture.
- USA : Unity States of America.
- UTHAF : Union Théâtrale Africaine.
- vps : le vouloir, le pouvoir, le savoir.
- vs : s’oppose à (contre).
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INTRODUCTION GENERALE
Contextualisation lapidaire et matière du sujet d’étudeLa littérature française est traversée par des courants littéraires et comporte des genres aussi diversifiés que riches. Ces genres ont évolué au cours de l’histoire. Pour le genre dramatique, rappelons que du théâtre antique grec à la création contemporaine, l’histoire s’étend sur plus de 2.500 ans.
Le théâtre antique notamment apparaît en Grèce au VIème siècle avant J.-C. Les représentations dramatiques naissent avec le culte de Dionysos. Du théâtre religieux (Xème siècle) qui mit en scène la liturgie dans le but de renforcer la foi des ignorants, il se transforme en un simple divertissement et un véritable moyen d’éducation. Par la suite le genre s’affirme, se diversifie. Le théâtre classique s’impose en France au XVIIème siècle avec la renaissance des deux principaux genres antiques : la tragédie dont Corneille et Racine sont les deux grands représentants et Molière le maître de la comédie. Comme le goût pour la tragédie classique commençait à s’essouffler, les auteurs ont tenté de renouveler cet art. C’est ainsi qu’ont apparu, le drame bourgeois intermédiaire entre la tragédie et la comédie, ensuite plus tard Victor Hugo ouvrait la voie au drame romantique, proclamait le mélange des genres et la liberté de la forme théâtrale. Une génération romantique avait vu le jour. Alfred Vigny et Alfred de Musset en font partie.
De l’Antiquité à ce jour, les œuvres ont attiré le public. Rééditées au fil des années, elles sont représentées avec succès. La propagation ne s’est pas fait attendre sous d’autres cieux, faisant des émules et inspirant la production théâtrale. En Afrique, à partir de l’Ecole William Ponty, petit à petit, ce genre a vu éclore de manière avantageuse et spectaculaire les auteurs africains en général et congolais en particulier. Dans ce contexte, le théâtre congolais et ses dramaturges ont connu depuis plusieurs décennies, un certain développement scientifique pour ouvrir un considérable horizon d’attente qui n’a pas laissé indifférent le monde de la critique littéraire, notamment celui qui exalte les œuvres théâtrales congolaises.
C’est ainsi qu’à la fin de notre deuxième cycle universitaire, nous avons opté pour la littérature dramatique, mettant en valeur l’exploitation de la dramaturgie théâtrale. A présent, notre recherche voit une étape qui illumine le bout de notre plume. A l’ouverture de cette étape, nous prenons le prétexte d’un sujet et de la matière à traiter.
Il s’agit d’entrer dans l’univers dramaturgique, un des lieux communs de l’interprétation de la création littéraire, de manière générale et de la création dramaturgique, de manière particulière. Ainsi, en ce qui concerne la dramaturgie de Norbert Mikanza, nous avons choisi un sujet qui puisse en déterminer une marque indélébile.
Il s’agit de La dramaturgie de Norbert Mikanza : structure, esthétique et idéologie.
Cela étant, ce sujet qui n’a pas des annotations en soubassement, se suffit par ses concepts, car fondé sur un principe triadique complémentaire.
0.3.1 Les concepts du sujet de l’étude
Ainsi énoncé, ce sujet nous invite à tenter, dans la mesure du possible, d’examiner brièvement les concepts qu’il endosse, lesquels ont des emplois qui semblent se rapprocher et dont il est peut-être nécessaire de préciser le sens et les contours pour leur compréhension dans le cadre de cette étude. Celle-ci, ayant une dimension théorique liée à la littérature et au regard de divergences qui peuvent apparaître sur le plan théorique, nous incite à saisir ces concepts, à mieux cerner la spécificité de leurs rapports. C'est un exercice qui pourrait marquer aussi leurs rapprochements.
- La dramaturgie prend son essence du terme drame qui est un concept grec à l’origine (drama). Le terme «drame» renvoie à «l’action» qui est en rapport avec le genre théâtral. A l’époque grecque celui-ci était lié nécessairement au culte de Dionysos et aux rites qui lui étaient associés. Des dramaturges émérites ont marqué cette époque à l’exemple d’Eschyle, Sophocle et Euripide qui ont accordé la primauté au texte. Son extension est plurielle, mais le plus souvent on distingue deux définitions concentriques et en quelque sorte emboîtées. En effet, la dramaturgie peut s’appliquer : (i) l’étude de la construction du texte de théâtre, de son écriture et de sa poétique ;(ii) à l’étude du texte et de sa (ses) mise(s) en scène (s) tels qu’ils sont liés par le processus de la représentation.
La première définition retient l’origine antique que le Littré affecte au terme dramaturgie, ayant le sens d’art de la composition des pièces de théâtre. Longtemps ce terme a désigné « l’ensemble des techniques concrètes que les auteurs mettaient en œuvre dans leur création, note E. Eigenmann, mais aussi le système de principes abstraits – la poétique – qu’il était possible d’induire à partir de ces recettes[1] ». A ce propos, La Poétique d’Aristote, se basant sur l’imitation, est aussi l’art de composition de poème dramatique, s’apparente à la rhétorique et à la stylistique applicables à la langue du théâtre, à la forme et au but de la catharsis. Prise dans ce sens, La Poétique impose aussi une structure à suivre, une norme établie. P. Pavis reprend la même acception et définit la dramaturgie comme « l’art de la composition des pièces de théâtre. Technique ou poétique de l'art dramatique qui cherche à établir les principes de construction de l'œuvre[2] ». Ainsi, est adoptée la terminologie de la dramaturgie qui, à la fois, obtient le sens de la manière, de la technique d’écriture dramatique ; du traitement particulier des pièces de théâtre et de l’orientation d’un dramaturge vers une question spécifique de la vie (la dramaturgie de l’absurde).
Quant à la deuxième définition, elle met en valeur la technicité d’un dramaturge en vue de la transposition d’un texte dramatique à la scène. Le dramaturge propose les didascalies, aide et assiste le metteur en scène. C’est que la dramaturgie, qui consistait auparavant à analyser l’historicité de la fable, son ancrage plus ou moins profond dans l’histoire, son actualité, eut dès lors la vocation de permettre la représentation du monde sur scène, de donner une lecture de la réalité.
Ce concept n’est pas seulement l’apanage du théâtre, il est aussi appliqué au roman, au cinéma, au spectacle, etc. Avec l’évolution du théâtre, ce terme revêt la signification de particularité d’un dramaturge, de sa vision et technique dramatique ; de l’ensemble de techniques appliquées aux textes de théâtre d’un auteur (la dramaturgie de Molière), d’une troupe, d’un pays, d’un courant littéraire (la dramaturgie baroque) ou d’une époque (la dramaturgie classique). Le XVIIème siècle notamment, reprenant de manière sélective la doctrine aristotélicienne, a émis des règles pour l’écriture des pièces de théâtre et le fonctionnement du théâtre. Dans ce contexte, l’objectif est d’asseoir les fondements esthétiques de la dramaturgie. On parle ainsi de la dramaturgie classique. La reprise de cette dramaturgie est prônée sur le fond de la moralité et de la rationalité par les auteurs français.
Pour rester en plein accord et en harmonie avec son époque, la dramaturgie moderne a pris une distance vis-à-vis des règles du théâtre classique. C’est ainsi que le modèle de composition théorisé, ne sert plus totalement et nous sommes d’avis avec A. Petitjean de dire qu’il « s’est pour une part métamorphosé, dans sa forme et dans ses contenus, en fonction des mouvements littéraires, des genres et des styles personnels [3]» ; voire même, selon les genres et les auteurs, les variations au niveau de la forme, les actes et tableaux, etc. Cette distance, liée même à la question de dramaturgie a fait une distinction nette entre les pièces-machines obéissant au principe de nécessité et les pièces-paysages où l’action selon M. Vinaver[4] est a-centrée, plurielle, formée d’instants juxtaposés ou reliés entre eux de façon contingente. Ce faisant, l’agencement de l’action conditionne la structure de l’œuvre dramatique, il peut répondre aux conventions classiques ou non.
- Avant le mot structure, la littérature a fait usage d’un autre, le système. Lévi-Strauss dit que ce mot apparaît à côté de celui de système dans les travaux du premier Congrès des philosophes slaves qui inaugurent en 1929 l’activité du Cercle linguistique de Prague. On y préconise « une méthode propre à permettre de découvrir les lois de structure des systèmes linguistiques et de l’évolution de ceux-ci [5]». La notion de structure devient liée de manière étroite avec celle de la relation des éléments qui se trouvent à l’intérieur d’un système. Or, celui-ci est souvent soumis à des lois, ce qui veut dire que la structure apparaît donc comme la loi dans l’organisation d’un système.
Par structure, il faut entendre d’abord la manière dont un texte est composé et les relations qui existent entre ses parties. En littérature ce terme connaît divers emplois qu’il est, à un certain moment, difficile d’en saisir les contenus. Traditionnellement il revêt le caractère de la forme et du fond ; mais, bien plus il est tantôt sorte de modèle construit selon une réalité (donnée) existante, tantôt le contenu d’une forme, « appréhendé dans une organisation logique conçue comme propriété du réel », tantôt schéma purement idéel, mais « présente dans l’objet et pour être découvert, il faut l’intervention du sujet scientifique[6]». Il nous revient de comprendre que la structure permet de satisfaire le principe de relation entre les différents intervenants du système à partir duquel se dégage des traits d’opposition et de rapprochement[7]. Mais la structure veut faire entendre aussi, une manière d’organiser le jugement, l’argumentation et le discours.
Aristote consacre deux traités à l’argumentation Topiques et Rhétorique ; l’un se référant à la discussion théorique de thèses, l’autre tenant compte des particularités des auditoires. C’est une technique de la mise en œuvre des moyens d'expression du langage par la composition, les figures. Il définit la rhétorique comme un art ou une faculté qui considère en chaque sujet ce qui est capable de persuader[8]. De plus, il différencie la poétique de la rhétorique. La rhétorique est à l'éloquence ce que la théorie est à la pratique, ou comme la poétique est à la poésie
La poétique désigne d’abord « toute théorie interne de la littérature ». En deuxième lieu, elle « s’applique au choix fait par un auteur parmi tous les possibles (dans l’ordre de la thématique, de la composition, du style, etc.) littéraires ». En troisième lieu, elle « se réfère aux codes normatifs construits par une école littéraire ; ensemble des règles pratiques dont l’emploi devient alors obligatoires [9]». Entendue dans ce sens, la poétique se propose d’élaborer des catégories qui permettent de saisir à la fois l’unité et la variété de toutes les œuvres littéraires.
La rhétorique est l’art de bien parler avec éloquence et force pour persuader. Elle relève surtout d’une approche suggestive de la déclamation basée sur la mnémonique, facilitée par la rythmique et la versification. Ses fins sont non seulement didactiques, mais aussi procurent le plaisir engendré par le recours onirique au mythe ou à la fiction. Pour Aristote, la rhétorique comprend l’argumentation de l’orateur (le syllogisme), la preuve qui tient compte de la psychologie, la persuasion et le style dans lequel on a le rythme et l’harmonie ou ce qui est beau.
- L’esthétique quant à elle, a une portée générale. Elle n’est pas seulement la science du beau dans la nature comme dans l'art, mais aussi la science générale de l’expression et de l’expressivité, dans son lien avec le déclenchement d’un sentiment ou d’une émotion. En quelque sorte, elle fait appel à la considération de la beauté, de jugements de valeur sur le beau et à la conception particulière du beau, même du sentiment de la beauté. Liée à la théorie des genres, l’esthétique littéraire prône la nécessité de considérer la poésie notamment, au respect de l’écriture du poème lyrique composé de strophes généralement identiques par le nombre et la mesure des vers, consacré à des valeurs importantes, à des sentiments intimes, etc. Prenons le cas de la poésie chantée de l'antiquité grecque, les odes étaient des chants en l'honneur des dieux, se composant de trois parties : strophe, antistrophe et épode, les deux premières se chantant sur une même mélodie et l'épode sur un autre thème.
Dès lors, il convient de faire une distinction entre les « genres théoriques » (comprenez les traditionnelles modalités de discours établies par Platon, Aristote...) et des genres que nous pouvons appeler « historiques » et qui sont en fait des réalisations concrètes des types théoriques déterminées par un ensemble d’éléments en grande partie extérieurs au discours lui-même dans lesquels peuvent transparaître les bases de l’esthétique et de l’idéologie ou, pour utiliser une expression sans doute caduque d’un point de vue critique, les « goûts » d’une époque, d’un public. En tout cas, cela permet de comprendre le caractère évolutif des genres littéraires et la nécessité de les étudier dans leur historicité.
Au théâtre l’esthétique est la philosophie du beau et de sa nature, distincte par son objet de celle du bon (éthique, ou morale), et du vrai (épistémologie, ou critique). Pour la littérature, « le théâtre, c’est d’abord un beau texte », comme le disait Louis Jouvet, et l’approche littéraire du texte de théâtre repère certaines caractéristiques bien définies de l'énonciation théâtrale qui définit le genre littéraire du théâtre. C’est comme un processus normatif déterminé par des principes esthétiques ou des ordres sociaux.
L’esthétique est une étude s'attachant à définir des critères de jugement en matière de poésie et d'art. Il existe une esthétique normative qui s’engage dans le jugement d'après des règles stylistiques particulières et une esthétique descriptive, celle de la description des formes théâtrales situées par rapport à une sémiologie générale et à une théorie du discours[10]. Lorsque l’esthétique se réfère aussi par l’observance de la stylistique applicable au genre littéraire, le style se veut comme catégorie esthétique.
Ainsi P. Corneille fonde une esthétique, pour l'essentiel, sur la doctrine défendue par les doctes et La Poétique d'Aristote. Mais il l'adapte en fonction des attentes du public mondain et moderne : le théâtre doit avant tout plaire et, s'il veut instruire, il ne peut y parvenir qu'à proportion de l'intérêt et de l'émotion qu'il éveille chez le spectateur. Les règles sont d'abord le résultat d'une démarche pragmatique pour un meilleur théâtre, débarrassé autant de la pédanterie que des invraisemblances. Tout en respectant le cadre général de la dramaturgie classique, il affirme donc fermement son originalité. Victor Hugo avec le théâtre romantique, repose l'esthétique romantique sur six points capitaux : reproduction de la vie réelle, mélange des genres, rejet du carcan classique (règle des trois unités, bienséances, vraisemblance), recherche d'une grande liberté créatrice, maintien de la versification et peinture d'une « couleur locale ». Elle s’apparente à une nouvelle idéologie de création dramatique.
- L’idéologie du grec idea, idée et logos, discours logique ou science, désigne une science ayant pour objet l'étude des idées afin de remplacer la métaphysique traditionnelle[11]. C’est son sens premier. Le sens courant note que l’idéologie est un ensemble d'idées, de pensées philosophiques, sociales, politiques, morales, religieuses, propre à un groupe, à une classe sociale ou à une époque. C'est un système d'idées, d'opinions et de croyances qui forme une doctrine pouvant influencer les comportements individuels ou collectifs. Exemple : l’idéologie bourgeoise, communiste, libéral, etc. Une autre façon de définir le terme idéologie est d'y voir une doctrine politique qui propose un système unique et cohérent de représentation et d'explication du monde qui est accepté sans réflexion critique. Ce sens découle de l'analyse de Karl Marx qui considère que l'idéologie ne peut être un système neutre comme le concevait les idéologues de la première moitié du XIXème siècle. Pour lui, l'idéologie est un système d'opinions qui sert les intérêts des classes sociales et conduit à une perception faussée de la "réalité" sociale, économique et politique, propre à cette classe.
Une idéologie, énonce Karl Jaspers, est un complexe d'idées ou de représentations qui passe aux yeux du sujet pour une interprétation du monde ou de sa propre situation, qui lui représente la vérité absolue, mais sous la forme d'une illusion par quoi il se justifie, se dissimule, se dérobe d'une façon ou d'une autre, mais pour son avantage immédiat. Il existe des idéologies politiques telles que l'anarchisme, le libéralisme, le nationalisme, le conservatisme, etc.
En littérature le concept d’idéologie paraît toujours porteur d’un projet, d’une méthode d’investigation et d’analyse qui font défaut à l’histoire des représentations. Pour Louis Althusser (cf. Pour Marx), dans l’idéologie, la fonction pratico-sociale l'emporte sur la fonction théorique. La notion allemande de Weltanschaung (conception du monde) se réclame de l’idéologie. La conception marxiste qui n'est que développement de la précédente – mais centrée sur l'idée de classe –, repose sur l’ensemble des opinions, sur les problèmes sociaux qui se forment sous l'influence de l'intérêt d'une classe sociale donnée et qui servent à la défense des intérêts de cette classe. Et, pour retrouver une nouvelle sensibilité, la technique et la science sont prises comme idéologie[12], comme modes de légitimation de la domination.
0.3.2 Sens et emploi des concepts dans cette étude
A la suite de différentes acceptions des concepts, il s’avère que le véritable atout se trouve dans leur compréhension qui se traduit par un rapport. Certes, ces concepts participent, à des niveaux différents, à l’élaboration d’une dramaturgie. Celle-ci en tant que moteur de l’action s’impose comme une grammaire dans l’élaboration de l’écriture théâtrale (texte) et de disponibilités qu’elle couve pour la représentation du texte théâtral. A ce propos, nous tenons compte de leur emploi ‘’pragmatique’’censé rendre facile notre analyse.
Aussi pour rester dans ce même ordre de pensée, on dira que la structure comprend des éléments constitutifs de la pièce au sein desquels, on identifie :
ü Une solidarité dans leur rapport ;
ü Un lien permanent avec la fable et/ou l’action ;
ü Une interdépendance qui assure leur cohésion ;
ü Leur propriété à s’organiser et à former un même ensemble.
Cet agencement de l’action est soumis à un modèle, celui-là même, construit selon une réalité existante que l’on peut extraire, précisément celle mettant en opposition les différentes forces qui interviennent dans l’action dramatique.
En ce qui concerne l’esthétique,
(i) d’un point de vue des normes classiques, nous tiendrons compte :
ü du respect des règles classiques au théâtre ;
ü des fondements esthétiques du modèle de composition
théorisée et de la manière d’y accéder ;
ü du message rationnel et démystifié à valeur morale et culturelle
comme fond dramaturgique ;
ü de quelques aspects esthétiques liés à la représentation
scénique ;
ü des particularités du langage dramatique et figures de style.
(ii) d’un point de vue moderne, il faut se baser sur :
ü la distance (écart) vis-à-vis des règles classiques ;
ü la particularité du dramaturge au regard du drame moderne (cf.
le drame bourgeois), etc.
Pour ce qui est de l’idéologie, toutes ces acceptions sont admises du fait de leur attachement à la détermination qui répond à la caractérisation due à notre étude. C’est dire que l’idéologie, la vision du monde transmises dans les pièces, l’ensemble des pensées, les idéaux auxquels se réfèrent les pièces et la lutte des classes sociales sont en majeure partie les lignes maîtresses qui nous orientent.
En outre, la conception des auteurs tels que P. Hamon, Karl Jasper, L. Althusser, K. Marx et d’autres encore dans la perspective de l’étude, peuvent aider à l’analyse des faits pour parler d’une idéologie. Le niveau conceptuel étant précisé, cela nous permet à présent d’aborder l’objet et le champ de notre étude.
1. Objet et champ de l’étude
Notre étude, comme d’autres études par ailleurs, procède à l’élaboration d’un travail qui contribue à l’analyse et à l’essor critique et scientifique universitaires. Ce faisant, elle s’implique dans l’enrichissement de la culture congolaise, dans la propagation et dans la mise en valeur des œuvres dramatiques de Norbert Mikanza[13] qui a consacré sa vie à la pratique et à l’écriture théâtrales.
Cette analyse porte exclusivement sur le texte dramatique, en tant que texte littéraire, avec tout ce dont il dispose comme possibilités à son exploitation efficiente et à celle de la particularité d’être émis sur scène. A partir de cela, notre étude examinera d’abord la structure de chaque pièce retenue dans notre investigation pour voir la manière dont le dramaturge monte ses pièces et pour en déterminer leur homogénéité ou leur différence structurelle. De cette structure, il se dégage d’abord, l’organisation de l’intrigue, car les pièces de théâtre obéissent à la codification, de même qu’on y décèle des effets de sens et de constitution dramatique relevant de l’originalité du dramaturge. Cette structure attribue au texte dramatique d’autres artefacts de caractère littéraire, une disposition du langage, du style et d’autres composants dramatiques ainsi qu’une élaboration thématique à l’image des faits de la société. Ensuite, l’analyse des paramètres dramatiques peut guider le rapport existant entre la forme, les thèmes, l’esthétique et l’extrapolation du conflit qui conduit à l’idéologie. Ce contexte de création de la littérature dramatique, spécialement celui des œuvres dramatiques, est un réceptacle aussi bien pour une esthétique dramatique que pour y soutenir une idéologie. L’esthétique comme l’idéologie sont deux ponts emblématiquement ancrés dans la structure des pièces de théâtre du dramaturge.
Aussi, notre étude sur la dramaturgie de Mikanza compte, non seulement repérer la structure de chaque pièce de théâtre, y relever les différences et les points de convergence, mais également trouver l’adéquation qui peut exister entre la structure, l’esthétique et l’idéologie sous-tendue. Toutefois, au-delà de ce que les pièces de Norbert Mikanza diffusent comme idéologie et au regard de la thématique abordée par ses compères dramaturges congolais, une projection sur leur idéologie, peut être amenée à établir un lien homothétique.
Cette dramaturgie est inspirée du canon esthétique classique, du contexte historique dans lequel elle est tirée, c’est-à-dire de la réalité culturelle et du processus de créativité théâtrale. C’est d’ailleurs à travers le temps que le phénomène théâtral existe dans le folklore, les rites, les cérémonies, les manifestations mythologiques comme réalités sociales puisant sa matière dans le vécu quotidien. Ces manifestations artistiques et culturelles, n’ont côtoyé le théâtre occidental qu’à l’avènement des indépendances africaines.
Au cours d’une période de vingt-cinq ans, soit entre 1969 et 1993, Mikanza a écrit plusieurs pièces éditées et non éditées. Elles ont été représentées au public arrachant un succès indéniable lors des festivals au pays qu’à l’extérieur du pays. Malheueusent, notre fouille de ses œuvres (presque oubliées) a constaté que certaines étaient emportées par le vent du pillage de ressources scientifiques que le pays a connu. C’est ainsi que sept pièces de théâtre uniquement, sont choisies pour l’étude de sa dramaturgie théâtrale. Il s’agit des pièces qui constituent notre champ d’investigation :
- Des pièces de théâtre éditées
Pas de feu pour les antilopes, Editions Congolia, Kinshasa, 1970 ; La bataille de Kamanyola, Les Presses Africaines, Kinshasa, 1975 ; Procès à Makala, Les Presses Africaines, Kinshasa, 1977 ; Notre sang, AS-Editions, Kinshasa, 1991 ; Tu es sa femme, Circuit Arts & Spectacles, Kinshasa, 1993.
Monnaie d’échange, ([Texte imprimé] /Mobyem M.K Mikanza/[Paris]:
D.A.E.C coopération, 1974), Kinshasa, Les
Presses Africaines [Bobiso], 1979.
Les pièces de théâtre éditées constituent la crème de l’œuvre dramatique de Mikanza[14] et portent les indications nécessaires des moments importants de son écriture. Grâce à leur construction dramaturgique, elles possèdent en effet les traces d’inquiétudes et de problèmes irrésolus de condition humaine qui retiennent l’attention des philosophes, sociologues, herméneutes et critiques littéraires, censés apporter une élucidation sur le plan de l’analyse textuelle. Sur la scène nationale et internationale, elles ont récolté la palme reconnue à la taille de leur géniteur.
- Une pièce de théâtre inédite
Biso a connu sa première représentation en 1978, mais n’est pas éditée et serait encore sous forme ronéotypée. Malgré cela, elle a eu à tenir en haleine le public au cours de ses représentations. A ce propos, l’avantage à pouvoir élucider la dramaturgie de Mikanza, rencontre un certain nombre de questionnement et d’intérêt, consécutifs à ce grand besoin que provoque notre étude.
2. Problématique et intérêt de l’étude
En tant que dramaturge, Norbert Mikanza s’inscrit dans un microcosme du théâtre congolais en français. C’est un théâtre qui, prend souvent des positions farouches vis-à-vis de la réalité sociale, à l’instar de certains auteurs africains (Sony L.T., P. Ngandu, Yoka, etc.) Et cela, par rapport à la construction du texte de théâtre, de son écriture et de sa poétique, ainsi qu’au regard « de sa ou ses mise(s) en scène tels qu'ils sont liés par le processus de la représentation [15]».
Comme création littéraire, qui varie d’un auteur dramatique à un autre, même de leur contribution collective, la dramaturgie est remarquable dans l’espace produit par la fiction. Et cela, nonobstant les contingences matérielles et humaines liées à leur existence conforme par rapport à l’imposition des instances politiques, à la dépendance imposée ou soumise[16]. L’on se souviendra qu’au cours du premier Festival du Théâtre Zaïrois Mikanza notait que la réflexion sur ce théâtre « a offert aux Kinois, un éventail des pièces de théâtre de conception et d’orientation très diversifiée [17]».
En d’autres termes, cette existence s’alimente de leur attractivité, de leur expansion et de leur spécialisation en termes d’organisme dramatique viable, en comparaison avec les autres arts. Il s’agit de comprendre que le genre théâtral classique doit défendre sa place grâce à une échelle de valeur soumise au dégré de lisibilité, de fonctionnement, de la reconnaissance, de diffusion et de la consécration.
A ce jour, on se souvient que les pouvoirs publics avaient aidé à la promotion de la culture et du théâtre, grâce au concours de l’élite à peine sortie des universités. Cette promotion s’est réalisée aussi, au vu du retard qu’a connu le théâtre de style classique occidental et du sursaut des dramaturges par rapport au vide constaté au colloque de Dakar en 1963[18].
Dans notre pays, nous voyons cette création dramatique surtout riche d’auteurs mieux identifiés, considérés comme des têtes couronnées parmi lesquels subsistent à l’esprit Mongita, Yoka Lye, Ngandu Nkashama, Mikanza, Ngenzhi, Elebe, Bwabwa wa Kayembe, Mwamb’a Musas, Cheick Fita, Makolo Musuasua, etc. qui révèlent sans complaisance les méfaits de l’homme et de la société et, par-dessus tout, renforcent l’enthousiasme du public au jeu dramatique et à la recherche. Ce qui, par ailleurs, rejoint la pertinence de la pensée de Robert Abirached, selon laquelle « divertissement ou mise en représentation critique de l’ordre établi, le théâtre peut être l’un ou l’autre », mais surtout et pour tout le temps, miroir qui renvoie l’image d’une société.
En effet, le théâtre de Norbert Mikanza, comme tout théâtre, déploie les contradictions sociales sur scène. Son théâtre dialogique par nature, demeure évocateur de la vie sociale ; il s’inscrit dans le contexte historique, socio-politique culturel et littéraire. C’est une réalité de tous les jours qu’il présente, mais elle n’est pas exempte de doute sur la responsabilité humaine, dans ce sens qu’elle suscite la réflexion en rapport avec la situation de déliquescence et de refus de développement que connaît l’Afrique en général et notre pays en particulier. Elle engage, modifie et oblige la société à prendre conscience de sa situation.
Travail d’autant plus noble que la recherche ne s’en est pas privé et a produit des travaux universitaires de premier, deuxième, troisième cycles et des thèses[19]. Ceux consacrés aux œuvres de Norbert Mikanza sont abondantes entre 1973 et 2004 ; mais par la suite ils sont en perte de vitesse. Les thèses réalisées au pays déploient à peine leurs ailes. Autrement dit, la moisson de ces travaux riches en contenu semble encore maigre. Si la recherche, en général, s’enlise et butte sur un écueil du fait de la rareté et de la disparition de plusieurs travaux consacrés à ses œuvres (au niveau des premier, deuxième et troisième cycles réalisés à l’INA, l’IPN et l’UNILU) suite aux pillages perpétrés dans le pays, il se dresse un autre relatif à l’absence du théâtre congolais en langue française dans l’espace artistique. C’est comme pour dire que ce théâtre classique se fond dans « l’indigence d’une existence culturelle et artistique[20] », refusant d’une part de maintenir le spectacle sur les planches, de pérpétuer et de hisser le genre sur le plan national à la hauteur des autres genres de la littérature et, d’autre part, de le garder toujours actuel. Malheureusement, il s’avère que plusieurs années après son éclat d’antan, il s’asphyxie paradoxalement de son isolement.
Cette situation a laissé libre cours au théâtre populaire dit en langues nationales avec une « forte crainte de ghettoïsation ». C’est ce qui ressort de la réflexion de Mimbu Ngayel qui n’a pas hésité à s’enquérir : « Mais d’où vient qu’à ce jour le théâtre en langue française ait disparu de l’espace artistique ? [21]» et ce, après le constat que les travaux de recherche et le spectacle théâtral se déroulaient avec une exaltation partagée il y a plusieurs années.
La crainte semble s’amplifier du fait que le théâtre en français a effectivement cédé le pas au théâtre populaire. Cette même perception que nous partageons renseigne que le théâtre classique en français connaît un recul dans le milieu de la création artistique. Cependant, ce théâtre populaire, non élaboré, qui a pris sa place, loin de s’approprier une base esthétique classique, ne connait pas les principes dramaturgiques en tant que procédure et application du domaine théâtral. Ce même théâtre « abolit le privilège du dramaturge, en tant que celui-ci est la première instance du texte dramatique et de la représentation théâtrale », s’indigne Mimbu Ngayel. Il poursuit sa réflexion pour dire que le canevas de représentation s’élabore hors des lieux consacrés, en l’absence des auteurs, dans la destruction quasi-totale du texte. Ce n’est pas un genre dramatique spécifiquement connu. Il « se construit plutôt en rite de choc et de rupture avec les catégories esthétiques que l’histoire et la tradition transmettent depuis des siècles[22] ». Une autre grande crainte serait que la recherche universitaire se désintéresse de la littérature dramatique congolaise.
Dans une telle posture et en ce qui concerne ces principes notamment, il est hasardeux de construire des plus significatifs, de recourir à des techniques de construction et d’organisation spécifique de forme et de signification d’où se déploient des éléments dramaturgiques constitutifs. Dès lors, il faut partir du texte dramatique et non de l’improvisation pour se défaire d’un tel obstacle.
En outre, il s’avère que les recherches menées sur les œuvres théâtrales de Norbert Mikanza après qu’elles ont un intérêt scientifique accru vers la fin des années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix, vont connaître par la suite, contre toute attente, une évolution en dents de scie. A la suite de ces constats s’ajoute un autre, celui relatif au reproche sur la nature de l’écriture et du style littéraire moins cultivés (formés) du dramaturge Norbert Mikanza.
Comme cela est évident actuellement et nonobstant la notoriété des auteurs dramatiques congolais, la recherche en littérature dramatique tend à rompre avec l’avantage qui revient à la littérature en général, et à la critique dramaturgique congolaise en particulier, au moment où les études sur le roman ne cessent de rencontrer des candidats augmentant ainsi le nombre des travaux scientifiques, de telle sorte que des pertinentes conclusions, à titre indicatif, auraient permis d’améliorer la théorie dramatique et les voies de perfectionnement sur le plan de la représentation, du jeu dramatique et du texte.
Cette espèce de ralentissement en milieux universitaires, au regard de notre enquête à l’INA, l’UPN et l’UNIKIN, alors que d’autres genres de la littérature sont constamment exploités, surprend devant, d’une part, le retard qu’a enregistré la recherche en littérature dramatique, en général et, en particulier, les œuvres dramatiques de Mikanza et d’autre part, simplement par une sorte d’oubli qui persisterait. Cet état des choses constitue notamment une sérieuse entrave pour la bonne continuité de la recherche axée sur la dramaturgie mikanzienne.
A ce propos, il faut accroître l’ardeur dans l’entreprise scientifique, parce que la littérature reste sujette à l’observation ardue des critiques et à la convoitise des friands de la lecture critique. Ainsi, notre modeste recherche qui se poursuit sur la dramaturgie de Norbert Mikanza, se présente d’abord comme un faisceau d’orientation spécifique de la vie, ensuite elle se place en situation de devancière au niveau de notre pays et enfin entègre la liste des thèses sur la littérature dramatique. De cette manière, la description de sa dramaturgie, nous autorise à la combler pour avoir une idée complète de sa technique dramatique, sa vision et ses thèmes de prédilection. C’est pourquoi, il nous paraît opportun de poser un certain nombre de questions évidentes :
a) en dépit de son altérité avec d’autres dramaturges, la langue et le style mikanziens ne s’accommoderaient-ils pas d’une analyse censée comprendre le tissu textuel ?
b) pour ne pas parler d’une certaine ’’hypotrophie’’, à quel niveau cette étude sur la dramaturgie de Norbert Mikanza se placerait-elle d’abord et pourrait conduire ensuite, vu l’absence de ses œuvres dramatiques, observée dans la recherche ces dernières années ?
c) dans quelle mesure peut-on conclure à une dramaturgie ou une démarche originale des pièces de théâtre, à travers la structure, l’esthétique et l’idéologie ?
d) quelle est la nature du ‘’modèle construit’’ que présentent la structure, l’esthétique et l’idéologie des pièces de théâtre à l’étude. Au demeurant, procède-t-il de l’illusion théâtrale ou du simple mimétisme pouvant desservir la fonction sociale du théâtre ?
e) au vu des paramètres de la structure et de l’esthétique des pièces de théâtre, peut-on dire qu’elles s’écartent des normes classiques du théâtre ?
f) en tant que dramaturge Norbert Mikanza réalise t-il la coexistence texte et spectacle, montre-t-il une représentation conceptuelle tendant à conduire à sa propre vision du monde ?
A la suite de ces interrogations, il y a lieu de comprendre la nécessité, sur le plan épistémologique, de pourvoir à la possibilité d’œuvrer à l’aboutissement d’une analyse du fait théâtral. La présente étude nous y conduit.
Ainsi, notre intérêt pour la dramaturgie mikanzienne répond à quelques exigences. D’abord, l’approfondissement de l’analyse des pièces de théâtre d’un dramaturge qui a supplanté la scène théâtrale nationale et considéré comme le plus prolifique d’entre les dramaturges congolais, afin de regarder ses œuvres, comme le dit Pierre Touchard, « (…) aussi actuelles et aussi durables que le sont les phénomènes naturels[23]». Approfondissement, tout à fait légitime, qui est la suite de notre étude réalisée au niveau du D.E.S en Langue et Littérature françaises.
Ensuite, au sujet de cette noble intention à considérer le fait théâtral comme indicateur des défauts et déviations humains, Louis Jouvet note à ce titre que « le théâtre est fait pour apprendre aux gens qu’il y a autre chose que ce qui se passe autour d’eux, que ce qu’ils croient voir ou entendre, qu’il y a un envers à ce qu’ils croient l’endroit des choses et des êtres, pour les révéler à eux-mêmes ». C’est à ce niveau qu’il y a un rapport avec l’aspect scientifique. Ce point de vue scientifique permet aussi d’examiner les mécanismes employés par le dramaturge pour parvenir à l’insoupçonnée préoccupation qui se cache.
La théorie contemporaine du signe, notamment l’approche marxiste considèrent l’œuvre comme une production sociale dans laquelle les forces de production engendrent les rapports concourant entre autres à l’idéologique et à l’organisation politique. Mikanza, dramaturge, enseignant du théâtre et metteur en scène, nous incite à comprendre un travail spécifique de conception dramatique. Sa dramaturgie, en tant qu’une instance de l’action, place la société aux premières loges. C’est ici que la société est ciblée, c’est-à-dire le lieu où se projettent des scènes de vie quotidienne. Elle se trouve, dit Roger Chartier, « au cœur de l’articulation entre le réel et l’imaginaire (…) ‘’point d’entrée’’ idéal pour ‘’pénétrer l’écheveau des relations et des tensions’’ qui constituent les sociétés[24] ». Lieux où règnent toute forme d’exactions, les divergences et confrontations, les tribulations, la paupérisation, le chômage,… c’est que l’auteur dramatise le cadre de vie et met l’homme au centre de toute préoccupation. Celui-là même, comme le souligne A.J. Greimas, est le signifié de tous les langages. Ici justement, se tisse un premier lien avec la portée sociale.
A l’instar de Victor Hugo, Norbert Mikanza désigne l’utilité du théâtre : « lieu d’enseignement » qui a « une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine(…) [25]». Importante initiative lorsque lui-même voudrait donner « une lumière à l’intelligence » à travers son théâtre considéré de manière légitime comme « une machine de guerre contre une société caduque et vieille[26]». Il y a là aussi une portée sociale.
La portée littéraire quant à elle s’exprime dans l’étude du discours théâtral, mis en place dans le texte des pièces de théâtre et le langage relevant d’un contenu à dominance culturelle. En tant que discours théâtral, pris tantôt comme procès, tantôt comme message, notre étude constitue, comme le dit Janusz Przychodzen[27] : « une représentation exemplaire et symbolique d’une vision collective du monde ». Ce qui contribue à la saisie d’un réalisme qui revèle le réel et le symbolisme ravivant l’imaginaire dramatique. Dans le texte dramatique se dévoilent quelques techniques liées à la théâtralisation, à l’intrusion de la narration (procédé narratif) et même du passage alternant description et narration, etc., qui lui donnent un certain effet de poéticité. De plus, la texture dramatique permet de décrire les parties et leur interaction, leur cohérence, leur disposition dramatique pour aboutir à un sens. Dans un autre cadre, le travail discursif dans le texte dramatique, se représente un peu comme une analyse du théâtre qui apparaissait à J.P. Sartre comme « le lieu privilégié d’une réflexion sur la nature de l’être ». A ce sujet, nous considérons qu’il n’existe pas de frontière hermétique avec la fonction (la notion) ontologique traduisant par le fait même le rôle autonymique, c’est-à-dire se désignant comme signifiant.
Le langage, du ressort littéraire, renseigne que l’écriture du dramaturge par rapport à la dimension sociopolitique de ses œuvres, exprime une réalité – grâce aux ressources que la langue française lui propose – par des expressions simples, des tournures expressives à consonance métaphorique et proverbiale relevant de l’oralité, de l’identité culturelle locale. Dans le même cadre, la structure des textes des pièces de théâtre dévoile les phases d’actorialisation, de figurativisation et de textualisation. Des phases qui concourent au jeu représentatif ayant un sens et une valeur dans le processus d’écriture dramatique.
De plus, la dramaturgie, comme travail littéraire en amont, s’avère comme une équation pour atteindre la triade « structure, esthétique et idéologie », à la fois démonstration et réponse. Elle reste, à ce propos, l’une des possibilités remarquables dans la mesure où d’une part, elle projette un regard sur le fondement (textuel) « insoupçonné » où repose le récit, sur l’archétype, le conceptuel, le réalisable et d’autre part, sur la configuration finale de l’œuvre. A ce propos, les concepts structure, esthétique et idéologie s’associent à la dramaturgie dans un niveau de convenance qui marque l’homogénéité dans l’étude des pièces de théâtre de Norbert Mikanza. Celles-ci allient langage écrit et langage verbal, ainsi le texte produit, possède les modalités d’une structuration et de sa spécificité dramatique. C’est en fait un travail qui remonte loin dans la pensée pour arriver à mettre en place les matériaux constitutifs à la production d’une œuvre.
Pour pourvoir au soutien de cette dramaturgie, prise comme procédure et poétique applicable au théâtre, la combinaison de la sémiologie du théâtre et de l’analyse dramaturgique constitue un avantage inévitable. C’est une contribution dans l’analyse littéraire, légitimée par une conception concentrique, en quelque sorte emboîtée : voie d’accès pour dé-problématiser le fait théâtral. Cette combinaison donne lieu aux orientations théoriques et littéraires d’une part et, d’autre part, conduisent aux évaluations possibles et/ou critiques des œuvres littéraires et concourent à ressortir les aspects enfouis ou dissimulés pouvant enrichir notre étude. Au vu d’une telle convergence épistémique et au regard de l’attention maintenue sur la dramaturgie, pour cette étude, quelques hypothèses peuvent être posées.
3. Hypothèses de l’étude
D’un point de vue évolutif, les arts de la scène en RD Congo, n’ont pas encore marqué une limite dans le temps. A ce titre et même si ce théâtre congolais dans son ensemble, semble s’empêtrer dans une « pathologie de ghettoïsation » et se raréfie sur les planches, il faut rendre sa présence et sa résonnance inéluctables dans la lecture critique des textes dramatiques, vivace et éclairante de leur existence et de leurs auteurs.
Le théâtre de Mikanza est celui du XXème siècle à peine fini. Il porte une fonction sociale et morale. Son théâtre reflète les problèmes de la tradition, de la société, de l’économie, de la morale et de l’éthique, de la politique et de la survie humaine. Comportant une grande propension à d’interminables et persistants problèmes de la vie, ce théâtre est constitué d’un tissu de situations solubles et insolubles.
En effet, rempli de telles préoccupations exploratrices des affects du corps, de l’ambiguïté de la tradition, de l’inconstance ou de l’innefficacité de la politique et de l’instabilité de la société, ce théâtre doit demeurer tout naturellement, à notre humble avis, une manifestation artistique la plus en vue portant une réfutation aux agressions de toute nature qui affectent l’homme. De ce fait, l’exploration de la dramaturgie de Mikanza devrait conduire, d’une part à une thérapie individuelle et collective dans une société de plus en plus complexe, versée dans l’irrationalité, le déviationnisme des institutions chargées du destin humain et, d’autre part, à un effort au didactisme pour « un mode d’emploi » social étant donné que le dramaturge y a consacré son énergie.
Dans ce contexte, cette étude voudrait apporter des réponses suggérées dans l’œuvre dramatique de Mikanza qui ordonnent la réflexion sur la condition humaine dans la fascination que provoque la fiction et/ou le fictionnel.
Ainsi, la participation collective recommande une union dans l’harmonie pour vaincre cette adversité – le mal vs le bien, le fort vs le faible – devenue un handicap pour la vie. Cette adversité est représentative de la réalité sociale renvoyée par les acteurs que le dramaturge a choisi de faire parler dans le but évident d’éduquer la communauté. L’adversité reflèterait dans la dramaturgie de Mikanza des catégories de personnes agissant conformément à leur lieu d’implantation : la ville et le village ou la campagne. Ces lieux figuratifs sont donc des univers qui présentent un point commun sur le plan social, même si le dramaturge n’avait pas ambitionné de représenter l’ensemble de la société par des personnages et des lieux choisis.
Dans pareille circonstance, le statut des personnages constituerait une autre indication concourant à l’adversité et aux rapports sociaux tantôt criminogènes et belliqueux, tantôt répréhensibles, délictuels et empreints de proxénétisme. Le personnage dramatique s’oppose à un autre pour des objectifs différents ; ce dernier doit rechercher les voies de sortie aux crises auxquelles il est confronté.
C’est que le déséquilibre social semble devenir permanent et inévitable. Aussi Mikanza proposerait l’égalité dans une formule typiquement traditionnelle. Ce qui conforterait la place qu’occupe la sagesse africaine (palabre) dans la quotidienneté d’un Africain. Et, c’est au travers de l’écriture dramatique qu’il exprime la teneur de ce déséquilibre devenu un paramètre social à controverse. Une écriture qui dirait-on tient du passé, du présent et prend conscience des ravages du temps. Aussi, réfutant le reproche lié à la langue et au style mikanzien, nous disons que son écriture ne peut que traduire la manière de s’exprimer empruntée à la langue française qui détermine elle-même les possibilités de style des auteurs et d’un style individuel, en l’occurrence, celui particulier de Norbert Mikanza.
Au niveau politique, la dramaturgie de Mikanza pourrait donner à voir les exubérances et l’irrationalité des rapaces au pouvoir et la misère chez le peuple. A travers les dialogues et les actions, il place un cadre qui conditionne la vie d’un peuple au sein d’une démocratie à l’occidentale, rendue difficile par la classe dirigeante. Celle-ci hypothèquerait, comme des aveugles au bord d’une route, l’avenir du peuple. Ces dirigeants mèneraient une vie aux dépens de la communauté entière. Sourds aux problèmes qui assaillent la société, ils seraient indifférents au bonheur et à l’idéal commun.
Réorganisant les souvenirs, Mikanza donnerait libre cours à son génie créateur. Il s’évertuerait à peindre l’image de sa propre société. Comme J.P. Sartre l’écrit dans Huis clos : « C’est à travers l’image que les autres nous renvoient de nous-mêmes que nous avons conscience d’exister ». Grâce à la dramaturgie devenue ce portique où passent les subtilités dramatiques, Mikanza désignerait les défauts de sa société pour appeler de tous ses vœux, parfois dans une formule prémonitoire, à une société juste, équilibrée et prospère.
Au bout du compte, la dramaturgie pourrait servir à l’examen de la structure de chaque pièce de théâtre, des effets et tournures esthétiques ainsi que des pratiques sociales mises en scène qui révèlent une idéologie. Ces différentes hypothèses étant posées, on peut donc passer à une démarche valide qui puisse conduire cette étude.
4. Description des outils d’approche méthodologique
4.1 Des approches employées dans les études antérieures
A ce niveau, le souci d’éviter des considérations approximatives, nous pousse à signaler brièvement que les différents travaux universitaires[28] réalisés ont employés des instruments conceptuels liés à la théorie littéraire et dramatique.
Dans l’ensemble, ce sont les approches méthodologiques qui replacent les pièces de théâtre dans leur contexte réel de création dramatique. Elles mettent l’accent sur la dramaturgie, la notion de texte littéraire où la sociologie, le structuralisme, la sémiologie aident non seulement à l’analyse du fait théâtral, mais elles recourent également de manière systématique à l’art scénographique, au discours, au jeu et à la représentation.
4.2 De notre propre démarche
Ainsi, avant de faire appel à une démarche particulière et en raison de la nature et des finalités de l’analyse, deux méthodes participent au soutien de notre étude. Il s’agit tout naturellement de la sémiologie du théâtre et de l’analyse dramaturgique, deux tremplins pour l’étude du texte de théâtre. Elles s’associent au rapport entre la conception d’une écriture (le texte) et le sens qui en découle. Le choix de ces deux méthodes consiste en ce qu’elles sont théorisées par les spécialistes de la littérature dramatique. D’une part, elles traitent des aspects fondamentaux d’un texte de théâtre et, d’autre part, conçues pour l’application du texte dramatique, elles ont tiré profit des ajustements par rapport à l’évolution et à l’ampleur que reprenaient les études théâtrales au concours des écrits de A. Artaud, G.E. Lessing, D. Diderot, J.P. Sartre, P. Claudel, R. Barthes, A. Ubersfeld, M. Pruner, P. Pavis, P. Bogatyrev, T. Kowzan et d’autres encore, qui ont ouvert d’autres arcanes.
En outre, pour autant que la consistance épistémique les marque, la sémiologie du théâtre et l’analyse dramaturgique contiennent les moyens de concrétisation qui concourent à la fortune d’une œuvre, c’est-à-dire à la considération de son élaboration et de sa réception au cours de l’histoire. Ce qui fait qu’elles réalisent sans ambiguïté un apport conduisant à une bonne compréhension du texte théâtral, dans lequel se trouvent un code linguistique et un procès de communication.
Dès lors, pour les pièces de théâtre choisies, la sémiologie du théâtre considère leur texte et le spectacle qu’elles contiennent comme un ensemble complexe de signes verbaux et non verbaux, ayant un sens et une valeur. Pour Anne Ubersfeld, cet ensemble complexe est à la fois comme objet et texte. Un « objet dont on peut analyser la matérialité et le fonctionnement, texte, dont on peut démêler les structures et les composantes rhétoriques[29] ».
Objet ou texte, ils n’en demeurent pas moins un précieux outil pour l’analyse. D’autant plus que la sémiologie théâtrale intègre dans sa théorisation certains acquis des études théâtrales, linguistiques, etc. Dans ce sens, elle serait prise comme une propédeutique et une épistémologie des « sciences » du spectacle[30], dit Patrice Pavis, réfléchissant sur leurs conditions de validité et des possibilités d’utiliser des résultats de l’une pour entreprendre l’étude de l’autre.
La sémiologie du théâtre, quant à la prise en compte des signes verbaux, s’applique à une « critique d’interprétation, ’’prélève’’ dans la représentation et le texte certains indices – détails de mise en scène (…), significations suggérées par le texte, le jeu des comédiens [actants] – pour bâtir une signification globale, déceler dans les signes relevés redondances ou contradictions et aussi trouver confirmation ou infirmation de l’interprétation proposée [31]».
L’analyse dramaturgique tend une passerelle à la sémiologie du théâtre par le fait qu’elle facilite la compréhension du matériel employé dans le texte. Dans les pièces de théâtre de notre étude, elle décrit la manière dont les forces en présence structurent leurs conflits, réalisent leurs actions et comment cela produit un effet sur le lecteur. Cette description, selon Michel Pruner, allie l’intertextualité à la paratextualité et les notions de la critique moderne. C’est une démarche qui décrit « les principaux opérateurs allant du paratexte – titre, genre, discours d’escorte –, au texte dans lequel se trouvent les paramètres nécessaires, suffisants pour la production et la figuration d’une action [32]». Les éléments de cette paratextualité placés comme au-dessus du texte dramatique, constituent à l’instar d’autres référents textuels, l’architectonique, cadre conceptuel lié à la cohérence d’informations textuelles.
Cette description permet de saisir la spécificité dramatique grâce à laquelle « la théâtralité s’insère à l’intérieur de l’œuvre écrite et comment la débusquer[33]». Ce qui revient à dire que le récit d’une pièce de théâtre « propose et déploie un monde qui a son intrigue, son réseau de personnages, son système de valeur » et un certain nombre de codes auxquels il renvoie. Une ouverture qui donne la perspective d’une lecture à la fois linéaire et polyphonique de texte des pièces de théâtre – entendez, la notion barthésienne du signe –, afin de développer dans un autre langage « une signification postérieure à la première écoute[34]».
C’est que grâce à la lecture, et donc la lecture plurielle – notion fondatrice de toute analyse dramaturgique –, on postule, à la suite d’Anne Ubersfeld, que le sens de tout texte théâtral est sans cesse en devenir. Nous en voyons là une première jonction.
La deuxième jonction se réalise en une analyse de cohérence qui a pour ambition, comme le dit Patrice Pavis, « d’élucider la production du sens et la manipulation des signes » ; tant et si bien qu’une dramaturgie ou une sémiologie porte à la production du texte et de la mise en scène, à la réception de cette production par le lecteur (public). Elles vont dans ce cas, pourvoir à la description des mécanismes du texte dans leur relation allant de la création théâtrale et de la réalité qu’elle laisse entrevoir. C’est que, se fondant sur la forme dramatique, cette jonction se fait dans une sorte de « réflexion sur les choix dramaturgiques, lesquels se manifestent à la fois dans la lecture et dans la réalisation scénique [35]». Ainsi, dans cette logique, signale Patrice Pavis, comme une sémiologie du texte théâtral ’’en creux’’, elle va « décrire le fonctionnement des objets [signes], percevoir derrière une forme dramaturgique ou scénographique ’’la pression’’ exercée par (…) la place de cette forme dans l’évolution et l’adéquation ou non adéquation entre le texte et sa mise en scène actuelle[36] ».
Ceci renforce à nouveau la combinaison de la sémiologie du théâtre et de l’analyse dramaturgique, de manière à expliquer et décrire le texte comme un objet. Un objet en puissance dont la potentialité s’accomplit en acte : sa structure interne est déterminée par sa finalité, le principe d’un mouvement téléologique. Le texte apparaît comme une modélisation, en tant que système sémiotique de la réalité mimétique et de la transformation structurale inscrite dans le texte.
Lorsque Judith Bernard y voit les actions à représenter se référer d’une manière ou d’une autre aux faits sociaux, elle constate par ailleurs qu’on se donne « les moyens de penser les modalités de la venue au monde de l’œuvre théâtrale[37]», dont le tracé va de la conception au texte proprement dit du théâtre. Cette conception s’ouvre aussi bien sur l’analyse historique des conflits du texte que sur les mécanismes esthétiques et idéologiques découverts dans la production théâtrale, tel que le suggèrent Bernard Dort et Roland Barthes. A propos de l’idéologie, ce dernier affirme qu’aucun langage n’est innocent, ni fictif soit-il, il existe une intentionnalité guidée par avance.
Lorsque la sémiologie du théâtre est mise à profit dans cette étude, elle va permettre d’examiner le texte-à-dire comme tout autre texte appartenant à un genre de la littérature, afin d’en expliquer le fonctionnement et les composantes. Elle aidera à extraire la structure des pièces de théâtre et le schéma actantiel qui en découlerait de manière à comprendre le fonctionnement de l’action dramatique.
L’analyse dramaturgique la précédera d’abord pour l’auscultation de l’extra-texte et ensuite, comme le préconise Patrice Pavis, considérer les axes du texte et des éléments de représentativité. Dans cette perspective, pour le texte, elle favorise le lien à la littérature, à la poétique, à la culture au statut du texte, à sa théâtralité ainsi qu’aux éléments qui gardent la potentialité scénique, c’est-à-dire en puissance dans le texte.
En raison de la spécificité et de la complexité du texte dramatique, la combinaison de ces deux approches méthodologiques à notre portée, fait appel à la texture des pièces de théâtre dans laquelle on a les énoncés et dialogues, des actions, les didascalies, un aspect spatio-temporel, une esthétique, un message ou une idéologie à partager dans la communauté. On sait par ailleurs que l’écriture dramatique est une élaboration d’un langage issu d’un choix judicieux de matériaux sémiotiques les plus variés. Et, comme dans un délestage du texte, nous ferons de temps en temps appel au hors-texte qui se profile dans le discours théâtral, à travers les didascalies et les dialogues agonistiques plus expressifs et représentatifs du style dramatique mikanzien.
Ainsi, on regardera le texte comme porteur d’un potentiel de sens qui l’actualise. Actualisé en premier lieu par Mikanza, le dramaturge, en deuxième lieu par le lecteur (le critique ou le metteur en scène) pour comprendre le contenu dramatique par l’interprétation textuelle. Or, ces deux approches par essence contiennent et/ou produisent de l’interprétation comme « une mise en signes du monde ».
Ce qui nous renvoie à l’existence des codes déterminés par le texte : d’abord à la dénotation des signes et des faits dramatiques, ensuite à la connotation pour situer le sens caché ou « le sous-entendu ». Cette interprétation propose « une articulation des signes textuels (théâtraux) selon leur fonction dominante (iconique, indicielle, symbolique), la nature de leur lien avec le référent[38] ». Autant dire que dans une moindre mesure, il est fait appel à la sémiotique telle que le préconise C.S. Peirce pour comprendre le texte comme une totalité collective et prendre en compte d’autres mécanismes de création dramatique. Il apparaît dans la texture des signes – vus par l’interprétant [39] – les informations sur les objets employés par le dramaturge, le sens des indications de temps et de lieu qui sont prises en charge par la sémiotique syncrétique. Celle-ci nous impose d’assumer le travail d’interprétation des signes de nature diverse.
En somme ce besoin d’analyse qui met en branle la combinaison, à notre sens nécessaire, de la sémiologie du théâtre et de l’analyse dramaturgique, au sein desquelles l’interprétation textuelle rime, se définit en termes de « supplétion de cadre méthodologique ». Ce besoin procèderait d’une démarche qualifiée de sémio-déconstruction. Celle-ci tient du fait que le concours de deux approches méthodologiques s’exerce dans un même champ d’orientation textuelle, ayant un versant critique, un mode interprétatif recourant à la déconstruction qui repère le texte des pièces de théâtre à l’étude – ayant le caractère construit –, pour le construire à un autre niveau.
4.3 De la recherche des informations
A côté de cette approche particulière, nous avons aussi les entrevues. Celles-ci ont principalement permis la récolte d’un plus grand nombre de renseignements nécessaires à l’étude auprès de quelques anciens collaborateurs de Mikanza à l’Institut National des Arts et au Théâtre National. Comme procédure, l’entrevue a servi au contact humain direct au cours duquel la sensibilité de nos interlocuteurs, leur insistance sur l’un ou l’autre aspect de l’écriture et de la personne du dramaturge Norbert Mikanza ont permis d’exclure des renseignements de caractère factice.
A ce propos, des questions ouvertes posées – orale et écrite –, susceptibles d’apport nouveau dans l’étude de la dramaturgie de Mikanza, serviront à comprendre sa vocation, son influence et la portée de son œuvre et quelques traits en rapport avec sa biographie. Car comme le suggère A.J. Greimas dans son étude sur la nouvelle intitulée « Deux Amis » de Maupassant, cette biographie s’impose au critique (lecteur) comme une nécessit dans « le rapport de l’homme avec l’univers posé comme signifiant » d’où on peut voir une source d’influence extratextuelle. Ainsi, se concentre un regard sur Mikanza dramaturge, qui a marqué la scène théâtrale de son pays. Ce personnage à la fois enseignant de théâtre, metteur en scène, réalisateur, producteur de spectacles, idéologue et considéré comme une source intarissable par le monde théâtral, mérite, tant soit peu attention, dans le cadre de cette étude en vue d’éclairer notre réflexion autour de sa dramaturgie.
5. Norbert Mikanza et le théâtre
5.1. L’auteur
L’union de Mikanza Mbumba et de Kusemba Kambamba a donné naissance le 19 avril 1944 à Norbert Mikanza dans la localité de Mbelo Kwambanda, située dans le secteur de Lumingu, territoire de Bulungu, district du Kwilu, dans la province du Bandundu, en RD Congo. Le contexte est celui de la Deuxième Guerre mondiale qui n’est pas encore achevée, lequel a déjà conduit à un élan euphorique de la conscience nègre qui apparaissait peu après le mouvement de la Négritude.
Il commence ses études primaires en 1951 pour les terminer en 1957 à Kinzambi. Les études secondaires à l’Institut Don Bosco de Kikwit de 1957 à 1964. Evoluant chez les prêtres, ces derniers l’envoient en Belgique où il fait sa régence en Littérature et Histoire à l’Ecole Nationale Moyenne Saint Barthélemy de Liège entre 1964 et 1966. Pendant qu’il est en Belgique, les mouvements anti-impérialistes persistaient dans beaucoup de pays africains qui avaient accédé à la souveraineté nationale.
Sur le plan littéraire les éditions Flammarion, l’Harmattan et Présence Africaine avaient depuis publié les œuvres des écrivains africains[40] . Les œuvres d’engagements, de militantisme à un humanisme nègre et à l’éclosion de la personnalité noire se répandent presque partout. Il rentre au pays, engagé comme professeur de français et d’histoire dans son ancien Institut. Se sentant attaché au service du pays, il s’occupe des jeunes, cela se révèle facile en tant que religieux de la congrégation des Frères Joséphistes. En plus de l’instruction qu’il leur transmet, il tient à changer leurs habitudes et à leur permettre de devenir des adultes exemplaires. C’est cette préoccupation qui est à la base de sa vocation : une vie au service du théâtre pour les faibles. On y voit le contenu d’une mission à venir.
5.2 Premier contact avec le théâtre
Mikanza a connu ses débuts comme professeur au secondaire et aussi comme directeur d’internat. Dès lors, on comprend pourquoi il s’occupe tant des problèmes des élèves, surtout dès son retour de la Belgique. Il « bouleverse les caractères et habitudes, crée un engagement sans précédent dans la ville parmi les élèves qui découvrent le théâtre classique dans toute sa splendeur, il fut un dramaturge et metteur en scène célèbre au théâtre du ’’Petit Nègre’’ [41]».
Mikanza commence ses premiers pas au théâtre, à l’Institut Don Bosco, au sein duquel on privilégie la pratique des œuvres littéraires dans le montage et la représentation de certaines pièces de théâtre. Ces représentations suscitaient un intérêt croissant auprès du public. Ainsi, au terme de l’année scolaire 1966-1967, l’Institut Don Bosco devenait un terrain favorable à l’éclosion d’une association culturelle et éducative. Mikanza monte une troupe de théâtre, le « Petit Nègre » qui rencontre l’adhésion massive des élèves. Il assigne à la troupe l’objectif d’instruire, de distraire le public et de cultiver les talents d’acteurs.
Dans le document-programme, l’initiateur dit que c’est une manière d’apporter une pierre, modeste soit-elle, à la construction et à l’expansion de la culture négro-africaine que résume, dans ses objectifs, le mouvement de la Négritude. Il s’agit notamment de « faire connaître les œuvres des auteurs négro-africains et singulièrement congolais, telle est la mission que s’est imposée cette jeune troupe ». Mais il y a mieux, pensons-nous : il s’assignait un rôle majeur d’illustrer une morale, voire une politique comme fut le cas de la mission du théâtre dans l’Antiquité.
On constate un parallélisme de forme ou de pensée, dans ce sens où le Théâtre National, à la même époque, veut également promouvoir l’édification et l’expansion de la culture négro-africaine par le théâtre. L’appelation « Petit-Nègre », rappelle bien une inspiration venant d’un poème de Guy Tyrolien Prière du petit nègre qui refuse de fréquenter l’école des Blancs, mais veut la vie champêtre, la culture authentique nègre. En outre, le messager de cette noble mission est jeune, dont l’âge varie entre quatorze et dix-neuf ans, capable de réaliser des prouesses nonobstant la signification négative qu’on a voulu attribuer au terme nègre. Pourtant, le théâtre du « Petit Nègre » dans ses premières heures a joué les pièces classiques de Corneille et de Molière avant d’aborder un répertoire africain.
Le théâtre du « Petit Nègre » a rayonné dans l’ex province du Bandundu avec des représentations de bonne facture. C’est à ce titre qu’il a été invité à Kinshasa lors des journées culturelles organisées du 24 janvier au 4 février 1969, en marge des Festivités de l’Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM). Devant un parterre de chefs d’Etats africains à la Cité de l’OUA, la troupe a laissé une brillante impression avec la représentation de La mort de Chacka et Trois prétendants, un mari. Une opportunité qui a permis la reconnaissance de Mikanza et de sa troupe. Une manifestation grandiose que ce sommet de l’OCAM, point de mire au cours duquel le Président L. S. Senghor, prononça son retentissant discours sur la Négritude dans la Salle du Parti. L’éveil du nègre se renforce et sa reconnaissance comme valeur culturelle dans le concert des Nations est devenue effective.
Très remarqué à Kikwit et étant religieux, il est désigné parmi les membres du jury dans l’organisation « Miss Kikwit ». Les instances religieuses ne supportent pas sa participation à une manifestation traitant les mondanités qui l’éloigne de l’orthodoxie de l’Eglise catholique. Après le départ de Mikanza du théâtre du « Petit Nègre », la troupe n’a pu tenir que pendant dix ans pour enfin sombrer dans l’oubli.
5.3 Le Théâtre National
Quittant Kikwit, il arrive à Kinshasa le 19 mai 1969 dans l’intention de poursuivre ses études de littérature et d’histoire. Le Ministre Paul Mushiete, qui avait été émerveillé auparavant par la prestation du théâtre du « Petit Nègre » à la Cité de l’OUA, le contacte en vue de monter une troupe de théâtre sur place à Kinshasa. Ici commence une fructueuse carrière pour Mikanza.
L’idée d’un spectacle sur la campagne de sensibilisation pour la conservation de la nature a soutenu celle d’un théâtre sur le plan national. Le Ministre Paul Mushiete qui avait dans ses attributions la Culture et les Arts, lui propose de monter une troupe de théâtre national. C’est ainsi que ce projet sera concrétisé par l’ordonnance du 22 août 1969 créant le Théâtre National (T.N) et Mikanza en devient le premier directeur. Il accomplit un mandat de trois ans à la tête du T.N, premier théâtre professionnel au pays. Cette nouveauté rend l’occasion belle pour ne pas rompre avec la valorisation du nègre.
Voici les étapes suivies par Mikanza comme directeur du T.N : De 1969 à 1972, il est directeur du Théâtre National différent du Ballet National qui existait avant. Il tombe en disgrâce après ce premier mandat et de 1973 à 1975 se rend aux USA pour parfaire ses études à Fisk University Nashville.
De 1977 à 1978, il est Coordonnateur des services spécialisés comprenant : le Théâtre, le Ballet, les Editions Lokolé, etc. De 1979 à 1986, il fut Délégué de la Compagnie du Théâtre National Mobutu Sese Seko (T.N.M.S.S.), comme entreprise de l’Etat. Entre le premier et le deuxième mandat, ainsi que vers les années 90, il fut plusieurs fois conseiller du Ministre de la Culture et Arts. Homme de grande culture, il fut également Expert de l’OUA, de l’ACCT et de l’UNESCO pour les arts de spectacles en Afrique. Il a dirigé et participé aux colloques, organisé la Table ronde des producteurs de spectacles africains avec son Agence Arts et Spectacles en 1989, une rencontre qui a réuni les artistes de cinq continents.
Il faut signaler que l’existence du T.N a été ressentie comme un regain de sensibilité chez les autorités politiques face à la culture de notre pays. Le T.N a rehaussé la culture et l’art avec en prime l’existence d’une école de théâtre qui a eu comme conséquence, une grande participation du public aux différents spectacles et représentations. Les artistes sont mieux soignés par le régime politique, en l’occurrence le chef de l’Etat lui-même. Les comédiens, les troupes et auteurs dramatiques sont bien formés, ce qui leur confère un prestige, ils participent à la vie culturelle et en reçoivent les dividendes.
5.3.1 Un artiste qui se confirme
En juillet 1969 Mikanza accepte une proposition du Ministre Paul Mushiete de composer une pièce de théâtre. Il se met à l’œuvre et ensemble ils donnent l’essentiel de cette pièce de théâtre, ayant à l’idée la célébration du quatrième anniversaire de la prise de pouvoir du Président Mobutu. C’est ainsi que le 24 novembre 1969 Pas de feu pour les antilopes fut représentée, la première fois, pour sensibiliser le public à la protection de la nature. Nous en sommes à une première pièce de théâtre sous la plume d’un dramaturge dont l’exercice se poursuivra longtemps.
Mikanza est aussi penseur et pédagogue, il apprend à chacun à se regarder dans un miroir, à user de sens critique. Pour ce faire, il a écrit beaucoup d’articles dans les journaux pour divulguer sa pensée. Des textes sur la réforme du théâtre en particulier et de la culture en général sans ignorer les rapports administratifs qui ont été rédigés dans la même perspective. Aussi, lorsqu’il arrive à l’Institut National des Arts (INA), en 1975, il s’est avéré comme un formateur attirant respect, incitant à la discipline autour de lui. Ce grand innovateur a introduit dans le théâtre congolais, le décor, l’éclairage et la construction de quelques édifices théâtraux, de même qu’il a initié le cours de Questions spéciales de théâtre africain et congolais au sein de la section Art dramatique de l’INA[42]. Il a adapté quelques pièces de théâtre, mis en scène plusieurs, laissé l’une de ses empreintes avec Je fais du théâtre, ouvrage pour la pratique de la mise en scène destiné aux étudiants en Art dramatique et autres praticiens du théâtre. Grâce à ses mérites, il est reconnu comme un grand artiste et un homme universel.
5.3.2 Un auteur dramatique
L’œuvre de Mikanza est immense. Il aurait écrit encore et toujours plus, si le destin n’eût pas décidé contre lui. Dans la chronologie de ses écrits dramatiques enveloppés d’expérience personnelle et de celle du monde, un monde balbutiant, on retient :
- Représentée le 21 novembre 1969 par le T.N, Pas de feu pour les antilopes est une idée originale du Ministre Paul Mushiete, à la suite de la campagne organisée sur la conservation de la nature. Cette pièce de théâtre écrite par Mikanza a servi de support à cette manifestation de sensibilisation nationale, en faveur de la nature. Cette pièce a été publiée par les Editions Congolia à Kinshasa, en 1970. L’année suivante, Mikanza monte un spectacle Allo Mangembo keba !, une adaptation de Revizor du russe Gogol.
- Les années 70 sont favorables, le peuple zaïrois croit encore au chef de l’Etat qui apporte quelques changements au pays. Nkoy Mobali est écrite en 1972, une époque où Mobutu mystifie le rôle du chef (traditionnel). Cette pièce vante et magnifie le chef. C’est en fait l’exaltation du chef de l’Etat pris comme un léopard, animal féroce autour de qui règnent la peur et l’autorité. Mikanza est membre fondateur de l’Union des Ecrivains Zaïrois. A cet égard, il a un regard critique sur les événements qui se déroulent au pays.
- Moni Mambu le pousse-pousseur, pièce éponyme écrite aussi en 1972, désigne le personnage principal qui interpelle les passants autour d’un certain nombre de sujets de société. Ce personnage possède le secret de la parole, – d’un point de vue étymologique – sous le couvert d’un « bagou » doublé par son travail de ‘‘pousse-pousseur’’. Il parle à tout le monde car il voit tout, même ce qui est caché, révèle le contenu des faits observables.
- Procès à Makala, écrite en 1973 et publiée en 1977 par Les Presses Africaines, est une pièce dans laquelle un jeune garçon, jeté en prison, juge les adultes. Le procès ressemble fort à une interpellation où les adultes sont jugés coupables. Cependant, le dramaturge maintient le jeune garçon en prison, une bien curieuse manière de finir la pièce.
- Entre 1972 et 1973 Mikanza écrit une nouvelle, Prix mangondo, dans laquelle il insiste sur le comportement des jeunes délinquants. L’Etat doit trouver une solution pour ces jeunes « vendeurs à la criée », insolents mais, naïfs et sans projet d’avenir.
- En 1974, il est aux USA à Fisk University où il enrichit sa carrière professionnelle par les études théâtrales. Pendant ses études, il écrit Monnaie d’échange. Dans un procès à l’américaine, l’incriminé est condamné suite au concours de témoignages mensongers. La pièce fustige entre autres maux, la corruption qui s’est érigée en système au pays.
- En mai 1975, Mikanza retrouve le Théâtre National. Le régime politique, par le biais du citoyen Kangafu, alors Vice-président du Comité Central chargé de l’idéologie (FORCAD), lui recommande un projet de spectacle basé sur une histoire réelle. C’est ainsi qu’il écrit La Bataille de Kamanyola, pièce de théâtre publiée la même année par Les Presses Africaines. Le récit de la pièce parle du Général Mobutu, chef des armées, mettant fin à la guerre avec les troupes régulières qui combattaient la rébellion.
- L’année 1977, déclarée année de la jeunesse au Zaïre, est une occasion pour le pouvoir d’adresser une commande à Mikanza. Ce dernier monte un spectacle Ngembo (une comédie musicale sur disque, As- Editions, Kinshasa, 1985) qui met sur scène le thème de la délinquance juvénile. Cette fois la délinquance est combattue par les jeunes eux-mêmes, enfants de la rue vivant grâce à la débrouillardise. L’année suivante, il écrit Biso, pièce de théâtre qui fustige les mœurs dans le milieu universitaire. Un groupe de jeunes filles se révolte et critique les mauvaises pratiques de leurs professeurs à l’université.
- Commencée en 1978, l’écriture de Notre Sang a été achevée le 4 janvier 1979. Présentée au concours des dramaturges du tiers-monde au Venezuela, cette pièce a reçu le deuxième prix et a été publiée en 1991 chez AS-Editions à Kinshasa sous le pseudonyme de Mayi-Khenzi. Dans une atmosphère de veillée d’armes où les jeunes parlent dans un langage presque imagé, Notre Sang est une véritable diatribe contre le pouvoir dictatorial qui a sévi au Zaïre.
- Après un moment où il semble être délaissé par les supports du régime politique, le dramaturge met en place une Agence dénommée Circuit Arts et Spectacles pour s’occuper de la promotion de ses œuvres en particulier et des spectacles en général. On remarque un silence entre 1980 et 1988 mais l’écriture de Mikanza ne s’estompe pas, au contraire le contexte de cette période lui inspire encore un certain nombre d’œuvres. Ecrite en 1988, Baoni est une pièce qui évoque la révolte des Batetela. Le dramaturge met en scène les Baoni qui se soulèvent contre les commandants belges avant l’indépendance de notre pays. C’est une pièce à l’image des tirailleurs sénégalais, dans la mesure où la révolte ne concerne pas seulement les Batetela ou les Baoni, mais aussi d’autres tribus. La même année il produit un ouvrage-guide Kinshasa des arts et des spectacles chez AS-Editions.
- Festin des dupes, pièce inspirée par les pillages de 1991 et 1993, commencée en 1991, elle s’est achevée en 1993. Elle relate comment deux soldats, l’un arborant l’air raisonnable et l’autre étourdi, se jettent tous dans le pillage. Dans cette pièce, le dramaturge incite le public à ne pas profiter des biens mal acquis.
- Dans le cadre de la journée mondiale du Sida Tu es sa femme, écrite pour le compte de la Compagnie Mobyem Mikanza, représentée le 10 décembre 1993 au Théâtre du Zoo, est publiée quelques semaines plus tard par AS-Editions. Face au danger qui menace le monde, le dramaturge veut extérioriser les aspects négatifs de la tradition, considérée comme un handicap certain au développement harmonieux de l’homme. La même année, il écrit un essai Otages. D’autres pièces inédites[43] comme Sang des Martyrs, Mundele Fundji, Maternité salle d’attente, Le Maître, ainsi que la nouvelle En allant au cimetière procurent bien l’occasion de confirmer que Mikanza est venu au monde pour le théâtre.
6. Lien d’un point de vue historique et politique
Notre pays, avec une situation particulière, une colonisation de près d’un siècle, accède à sa souveraineté nationale le 30 juin 1960. Mikanza, seize ans, deux mois et onze jours, est élève à l’Institut Don Bosco de Kikwit au moment où intervient ce grand événement. Pays potentiellement très riche, laissé aux Belges par le roi Léopold II, il a vu s’agrandir une hégémonie extérieure sur son territoire national. Suite à l’instigation des puissances extérieures, cautionnée par la naïveté des Congolais, les troubles succèdent à l’espérance d’une nouvelle construction du pays.
Troubles, rébellions et sécessions ne se comptent pas au lendemain de l’indépendance et le dramaturge s’en inspirera. Le gouvernement est dans une situation d’incertitude. Le président Kasa-Vubu congédie son Premier Ministre P. E. Lumumba qui, à son tour, demande au Parlement de voter une motion de méfiance contre Kasa-Vubu. L’inexpérience des politiques de l’époque ne facilite pas le cours des événements. En trois ans d’existence, l’université fournit encore la formation aux futurs cadres du pays. A la déchéance du premier Ministre P.E. Lumumba, commence le désordre politique qui aboutit à la prise du pouvoir par le Lieutenant Colonel Mobutu, le 24 novembre 1965. La situation d’insécurité totale consécutive au désordre politique, ne pouvait pas garantir la production des œuvres de l’esprit en général et de la littérature en particulier.
6.1. La période succédant à l’indépendance
Le gouvernement de l’époque a vaincu la rébellion (1965), l’ONU a anéantit la sécession et les manœuvres politiques qui avaient élu domicile dans le pays. La paix retrouvée, il lance un mot d’ordre « retroussons les manches » – parmi de nombreux moyens de sensibilisation – pour que tout le pays puisse se consacrer au travail et s’engager dans la voie de la prospérité. La culture, considérée comme élément par lequel l’identité humaine se perçoit, tient à imprimer un nouveau rythme dans la vie sociale. Les politiques de ce temps l’ont bien compris et se sont adonnés à la culture.
Au lendemain de sa prise du pouvoir, Mobutu intègre quelques universitaires dans la gestion de la chose publique. Tous pratiquement, comprennent l’importance de la culture. L’influence de cet éveil culturel parvient à créer un cadre pour la production des écrivains. Mudimbe, Ngal, Kadima Nzuji, Nzuji Madiya, etc. accentuent le ton d’une littérature zaïroise qui recevra plus tard un écho sur le plan international. La décennie 70 connaît de plus en plus un engouement pour le théâtre. Dans la foulée, Elebe Lisembe écrit Simon Kimbangu ou le messie noir (1972) pour se souvenir d’un fils du pays qui voulait se libérer et libérer son pays des envahisseurs blancs. Ngenzhi Lonta écrit Njinji ou une fille Ngola sauvera le peuple Ngola (1976) et La tentation de la sœur Hélène (1978) ; Yoka Lye Mudaba s’exprime dans Kimpwanza (1977) ; P. Ngandu Nkashama se signale avec La délivrance d’Ilunga et, Musangi Ntemo et Bwabwa wa Kayembe attirent les regards sur ce qui se passe en Afrique du Sud dans On crie à Soweto (1978) et Les flammes de Soweto (1979). Certains écrivains s’attaquent plus tard au régime qui s’affermit. La manipulation de l’élite est à l’ordre du jour, sa valeur intrinsèque et son rôle de conducteur de la société s’effritent de jour en jour.
On va connaître l’exil d’éminents écrivains. Ces derniers fustigent le système mis en place pour gérer la ‘’res publica’’. Ils constatent que les libertés fondamentales sont bannies, l’enseignement, la recherche et le bien-être social sont tout simplement renvoyés aux calendes grecques. Contrairement à ce qui se passe, le pouvoir a favorisé l’éclosion des œuvres qui reprennent en écho ses préoccupations. La culture est la voie par laquelle le parti unique s’exprime grâce au Département de la Culture et des Arts, dont la tâche est d’assurer la conservation, la promotion et la diffusion des activités culturelles et artistiques au Département de la Mobilisation et Propagande et à la FORCAD. Cet élan se poursuit avec la mise sur pieds des organismes étatiques tels que le Fonds d’Assistance Sociale aux Artistes et Ecrivains Congolais (FASAEC), les Editions Lokolé (Ed. Lok.), le Réseau Lecture pour Tous (RLPT), le Comité National pour l’Intégration Socio-économique du Monde Rural (CNISERMR), etc.
Bien que peu connu à l’époque, Mikanza commence sa carrière dans un contexte où l’authenticité passe pour une philosophie inéluctable. C’est la Deuxième République, sous les auspices des hauts responsables de la Culture et des Arts que l’on enregistre une montée de certains auteurs, dramaturges, poètes, romanciers et artistes peintres, sculpteurs, etc. tous feront le chantre de l’authenticité zaïroise, le pouvoir ayant adopté une politique dure à parti unique, une seule idéologie, une pensée unique y compris quelques restrictions sur les tenues vestimentaires. L’authenticité est clamée partout comme une reconnaissance du moi zaïrois. Le monde extérieur qui est fasciné par une telle politique au début, aura compris en cela une nouvelle force qui impulse la culture.
6.2. La période de latence ou de ralentissement
Le théâtre connaît un certain ralentissement vers les années 90. D’ailleurs, dans une sorte d’autopsie littéraire Ngal dit : « La vitalité viendra de manière significative du côté romanesque (Ngandu), de la littérature de témoignage (Ngal) et/ou de l’autobiographie (Mudimbe)[44] ». Signe du temps, dirait-on, cette période est surprise par les faits prémonitoires à la démocratie pour changer la donne, en ce qui concerne la gouvernance et les libertés individuelles.
A l’étranger certains intellectuels et écrivains irréductibles au régime Mobutu, stigmatisent les nombreuses violations des droits de l’homme et la misère. Le travail des romanciers se remet en marche de manière persistante. On a échoué (1991) de Djungu Simba reconnaît l’échec collectif d’un pays exsangue à tous les niveaux. Pius Ngandu Nkashama d’abord, dans Le Doyen marri (1994), condamne les événements survenus dans la nuit du 11 au 12 mai 1990 sur le campus universitaire de Lubumbashi, ensuite avec Une saison de symphonie (1994) il décrit une cité dévoreuse, accablante, en un mot infernale à l’image de ce qui se passe au pays. Ce sont en fait, des illustrations du temps. La période de latence est semblable aux années qui passent mais, ne se ressemblent pas. Le pays subit les contrecoups de l’évolution perverse des mœurs sur le plan interne et des conséquences de l’industrialisation extravertie, de la crise économique mondiale récurrente, de l’élan vers la démocratie des pays sous-développés. La situation économique se dégrade petit à petit, les instances dirigeantes au pays abandonnent les artistes.
Quand le président Mobutu prononce son discours de renoncement au parti unique MPR, prélude au multipartisme, on remarque une tendance à l’abandon des relais qui faisaient passer l’opinion du pouvoir. Le ralentissement des activités culturelles est principalement dû à la perspective de voir d’autres mouvements politiques apporter une autre démarche, une autre vision politique. Le pouvoir lâche son monopole sur la participation et la promotion de la culture. Pour emprunter la pensée d’un écrivain antillais, nous dirons que la ‘’brillante’’ époque du théâtre fut tributaire d’un contexte prospère dont nul ne peut douter, et dont les bénéfices et les services rendus « apparaissent d’autant plus clairement que le maître s’est retiré[45] ». Toujours de l’extérieur du pays apparaissent des écrits contre le pouvoir ; l’opposition politique devient plus virulente encore. Mikanza utilise sa plume pour contrarier le pouvoir qui est à la dérive. La contestation se fait plus grande au moment de la Conférence Nationale Souveraine à laquelle il prit une part très active.
La crise s’aggrave au pays presque dans tous les secteurs, le peuple vit difficilement et boude le régime qui avait prôné l’unité nationale. Le théâtre semble marquer le pas, perd un peu de son prestige d’antan. Les troupes de théâtre se multiplient, mais elles manquent cruellement de moyens pour évoluer normalement. De plus en plus le libéralisme, la libre entreprise déclarée par les gouvernants pendant la longue transition politique qui a suivi le discours à l’ouverture politique, n’ont pu s’installer, mais plutôt le chômage chronique a suscité des initiatives individuelles pour la recherche effrénée de l’argent. Du coup, sans expertise, sans référence professionnelle requise tout le monde s’adonne au théâtre. Un théâtre aidé par la télévision et dont les acteurs n’ont qu’une prétention d’être vus tout simplement. On peut dire que ce décor des faits condensés que nous avons ciblés, n’a pas apporté un changement notable, en faveur du théâtre jusqu’au moment où Mikanza quittait ce monde le 27 septembre 1994. On peut noter qu’avant de partir dans l’au-delà, Mikanza a refusé des honneurs post-mortem.
Ainsi, après avoir explicité les concepts, l’objet et le champ, la problématique et l’intérêt ; après avoir émis les hypothèses et posé les méthodes d’approches de notre étude, donné des indications sur l’auteur et son œuvre dramatique, il sied d’indiquer les différentes parties.
7. Organisation des parties de l’étude
Au regard de l’énoncé du sujet de notre étude et, pour répondre à sa logique, trois parties essentielles en font l’ossature. Pour retrouver un modèle qui rapproche ou différencie les éléments dramatiques, la première partie est axée sur la Structure. Le premier chapitre de cette partie commence par une structuration de la fable, traite ensuite comme entrée, les éléments du paratexte (l’extra-texte), l’un des paramètres fondateurs d’une conception d’écriture dramatique. Au contact avec le texte des pièces de théâtre, le deuxième chapitre s’occupe de la structure de l’intrigue qui est à la base de l’action elle-même et de sa trame. Le troisième chapitre analyse la structure des personnages et actants et le quatrième chapitre examine celle de l’espace et du temps.
Au cours de la deuxième partie ayant trait à l’esthétique, deux chapitres sont consacrés d’abord au genre et à la composition pour le premier et ensuite pour le deuxième, au style et langage dans les pièces de théâtre à l’étude.
L’idéologie sera traitée dans la troisième partie au cours de laquelle divers traits seront examinés. Le premier chapitre se concentre sur la procédure et l’interprétation idéologique qui sous-tend les pièces de théâtre. Le deuxième examine le contexte d’engagement idéologique et le dernier chapitre analyse l’univers idéologique de Mikanza et de quelques dramaturges congolais, où des indications sur des lieux et conflits entretenus, peuvent en sortir une même perception idéologique.
Dans une telle perception des parties reprenant l’essentiel des chapitres et fournissant l’éclairage sur la dramaturgie de Mikanza, interviendra la conclusion générale. Celle-ci reprendra les grandes lignes de notre étude et en présentera les résultats.
Ière PARTIE : LA STRUCTURE
Introduction
Le théâtre est coulé sous une forme dont l’acceptabilité se réfère au genre et notamment au « texte-à-dire » devant le public. Pour ce texte théâtral, une action dramatique trône au centre du dialogue qui s’engage entre différents protagonistes. Cette action se conforme au principe de succession d’événements qui invite à la cohérence, la juxtaposition et la linéarité. Le respect de ce principe, est de mise dans le découpage du texte comme point d’appui à la recherche de la structure. Il est évident que la dramaturgie répond à cet exercice de recherche de toute sorte de structure.
Entendue comme technique de construction des pièces de théâtre, la dramaturgie s’observe par l’examen du texte, forme autonome, organisme où tous les éléments forment un système de corrélation ; forme pure, prise comme fait de littérarité[46], dans laquelle comptent les rapports entre ses éléments constitutifs (matériaux et procédés) à partir desquels on peut pratiquer des coupes, même synchroniques, établir des différences et des rapprochements. A ce propos, la structure narrative, selon un point de vue des formalistes, est immanente. Pour le savoir, la lecture coopérative aidera à comprendre de quoi elle est constituée, au départ de l’intention génétique jusqu’à la concrétisation du texte dramatique où l’action est prépondérante, même si dans le théâtre contemporain il y eut des tentatives de sa remise en question pour donner aux situations une allure tantôt abstraite tantôt dénudée, comme c’est le cas chez Samuel Beckett.
Loin s’en faut, car cette illusion, – puisque nous sommes au théâtre – aboutissant sur une non-action, n’a pas résisté à la force de l’action dramatique qui, soit dit en passant, demeure le pilier des événements qui se déroulent dans un récit ou un texte de théâtre. Or ce qui renforce l’action dans sa tension progressive, c’est l’intrigue. La notion d’intrigue tout comme la fable, socle tangible où s’édifie la composition dramatique, ne peut être envisagée en dehors de l’action d’une part, et toute intrigue se fonde sur le changement brusque ou lent des événements, d’autre part. Il se présente les cas possibles d’enchaînement des séquences du texte dramatique disposées suivant un ordre enchâssé et/ou entrelacé. Cet enchaînement des séquences ne se réalise pas en l’absence d’une structure. Dans ce sens, il est entendu qu’il existe une structure d’action qu’un auteur donne aux pièces de théâtre, ce qui implique aussi celle de texte dramatique, en étroite harmonie avec la fable et l’intrigue qui permet à l’action d’avancer.
L’organisation du texte de théâtre qui prend en compte essentiellement la fable, l’action et l’intrigue appelle à l’analyse de leur structure. D’abord au premier chapitre, celle de la fable, comme structure narrative et comme construction, celle du paratexte et un examen de détermination des unités significatives. Le deuxième chapitre se penche sur la structure de l’intrigue des pièces pour ressortir à la fois leur rapport dans l’agencement des actions et la cohérence dans un schéma traditionnel du récit dramatique. Le troisième instaure la catégorisation des personnages et actants. La catégorisation relative aux personnages répond à l’exigence qu’il n’existe pas d’actions sans personnages au travers des scènes et dialogues, dans lesquels se perçoivent leurs desseins ; car confrontés aux obstacles de divers ordres. Ils sont inscrits au texte dramatique suivant le choix, le rôle, la classification et l’examen de certains paradigmes ciblés qui en constituent la préoccupation essentielle. Pour clôturer la première partie, le quatrième chapitre se propose d’étudier la structure de l’espace et du temps, deux facteurs qui non plus ne se conçoivent pas sans avoir saisi la fable, le cadre et l’action dramatique.
Chapitre 1 : LE REPERAGE DE LA FABLE, DU PARATEXTE ET
DES UNITES SIGNIFICATIVES
Il faut bien reconnaître qu’il existe une structure pour un texte de conte, de récit, de fable, de roman, etc. Ce texte s’inscrit par rapport à deux niveaux d’écriture : la conception et la nature du texte à rédiger et la présentation et/ou l’organisation. De ce point de vue, on note aussi qu’une structure recouvre à la fois le fond et la forme, dans la mesure où ils participent à son organisation. On note encore qu’une simple lecture du titre d’un texte de théâtre peut conduire immédiatement à la connaissance de son histoire (récit), sans toutefois se résoudre à rester attentif d’abord aux aspects purement littéraires et dramatiques. Cette lecture constitue un attrait indéniable à la connaissance d’une œuvre. Ce premier attrait à « la suite des faits qui constituent l’élément narratif d’une œuvre [47]», s’impose à tout critique.
C’est un travail qui consiste à sonder d’abord la fable « comme matériau emprunté à la mémoire collective, en même temps comme une structure spécifique de l’histoire racontée (…)[48]». Il nous permet d’établir une brève chronologie des faits, comme ensemble signifiant ; de ce fait elle apparaît aussi comme notre première structure. La saisie de la fable, étant à un certain degré le travail de reconstitution, il s’ensuivra l’examen de quelques éléments qui encadrent le texte dramatique. Sous le nom de paratexte, ces éléments s’autorisent à nourrir et informer l’œuvre (le texte) dans laquelle ils prennent corps.
Ensuite, dans le corps du texte théâtral, il existe des unités significatives qui fondent le ciment de l’action dramatique. Pour A.J. Greimas, il s’agit de l’actant, de l’acteur, du rôle et du personnage auxquels nous joignons l’action, l’espace et le temps. Hormis l’acteur qui a tendance à se confondre avec le personnage, les autres unités seront analysées en vue de la recherche d’une structure textuelle conduisant par la suite au modèle actantiel des pièces de théâtre de cette étude. Tous ces éléments constituent des déterminations à l’examen de la structure, ingrédients du présent chapitre.
Section I : PREMIERE ENTREE : LA FABLE DES PIECES
1. LA FABLE COMME STRUCTURE NARRATIVE
La fable est « une suite de faits qui constituent l'élément narratif d'une œuvre, agencement en système des faits racontés, logique des actions et syntaxe des personnages[49] ». Dans ce sens, elle est le ferment dans le traitement du fait théâtral par le biais d’un rapport des événements au réel qui se croise dans la vie et dans la création.
Victor Hugo note dans la Préface de Cromwell que le théâtre est un « miroir de concentration », un « point d’optique » où tout peut se réfléchir, « mais sous la baguette magique de l’art ». De ce fait, la fable, l’un des points de repère d’une pièce de théâtre réfléchit le réel, en le remodelant, pour une action dramatique ordonnée et bien comprise.
Au sens brechtien, la fable est une mise à plat diachronique du récit des événements. Prise sous cet angle, elle est considérée comme non-théâtre pour renvoyer à l’histoire, par conséquent relève d’abstraction et non de la recherche d’une structure. Pourtant, l’ordre des facteurs apparaissant dans la fable, conforte bien cette allégation d’Anne Ubersfeld selon laquelle « la pure diachronie rendrait parfaitement inintelligible la formulation d’un texte hautement conflictuel [50]», c’est-à-dire dramatique et consistante. En outre, renchérit-elle, « la reconstruction intellectuelle et la catharsis psychique ne trouvent leur aliment qu’à la faveur de la fable comprise comme une totalité[51] ».
Comme matériau dont s’inspire le dramaturge, la fable relève de l’invention et/ou de l’intention génétique. La fable des pièces de théâtre de notre corpus diffère d’une pièce à l’autre. Cette différence s’attache à la diverse qualité d’un excellent usage que le dramaturge en a fait. Ainsi, comme ensemble de faits constituant le fond d’une œuvre, la fable des pièces de théâtre de Mikanza se distingue par son contenu en ce qu’elle est commanditée ou ressortie de la conception de l’auteur.
Dans le premier cas, nous avons P.F.A et L.B.K, et dans le deuxième cas, les autres pièces. Au demeurant, ses pièces de théâtre laissent entendre cette insinuation de Brecht sur la fable «comme machine de guerre ». Nous ne construisons pas des personnages pour les jeter ensuite dans une histoire. Nous construisons une histoire qui modifie les personnages à chaque instant, explique-t-il.
2. LA FABLE COMME CONSTRUCTION
La fable demeure le lieu même où siège la fiction du texte dramatique, où partent l’intrigue et les actions, où tout presque se construit avant qu’une œuvre s’élabore, devienne complète et achevée. Elle est construite pour enclencher le mouvement évolutif d’une œuvre littéraire, mais dans le cas d’espèce, pour organiser toute l’histoire de la pièce de théâtre, facilitant du coup la compréhension des étapes : l’épilogue, les péripéties et le prologue.
De ce point de vue, elle est une construction qui légitime, solidifie et enfin concrétise le texte dramatique au regard de sa spécificité, dans son rapport avec l’objet que se propose l’auteur.
Ainsi, notons que cette construction peut bien s’entrevoir d’abord comme un ensemble des fables des pièces de théâtre de cette étude. Cet ensemble s’articule autour des faits : de l’interdiction contenue dans la sensibilisation du peuple (P.F.A), on en arrive à une révolte qui constitue la trame de L.B.K ,laquelle laisse la place à l’établissement des responsabilités des adultes P.M qui ont cautionné la dictature stigmatisée dans N.S comme une grande indication de la dérive de toute une société dont la gestion des structures officielles est inadéquate et archaïque, ainsi que le décrivent T.S.F, M.E et Biso.
Ensuite, c’est une construction tirée de la jonction des situations sociales dans le but de concentrer et de traduire le message véhiculé. Enfin, comme construction, la fable des pièces est présentée selon un ordre logique, chronologique et hiérarchisé des faits, s’appuyant sur une causalité vers la production des effets mêlant parfois séduction et surprise.
Schématiquement, représentons cela de la manière suivante :
Espace …Temps Causalité
effet 1 effet 2 effet 3 effet 4 effet 5, etc.
Dans ce schéma, la fable s’identifie aussi par le cadre spatial et chronologique. La tendance des effets qui s’enchaînent, bloquent et débloquent progressivement, car la fable, tout comme l’intrigue, commence avec une tension faible. Elle s’amplifie au fur et à mesure que l’action dramatique évolue pour obtenir un dénouement. Or, il nous semble que la fable est, elle aussi, construite et pour ce faire, il faut partir d’un fil conducteur ; ce qui suppose une opération conçue dans le sens de conduire à une structure.
2.1 Pas de feu pour les antilopes
L’histoire de P.F.A s’appuie sur la restriction à chasser le gibier en période d’interdiction au regard des exigences de la réglementation en la matière. En effet, l’année civile est subdivisée en période longue de reproduction des espèces animales et en période de chasse qui dure à peine deux mois. Ainsi, comme les villageois s’entourent de grandes végétations, souvent ils en font un usage tel qu’ils ne respectent pas cette réglementation. P.F.A met donc en face deux villages dirigés chacun par un chef. Ce dernier est l’autorité morale par laquelle provient toute loi et/ou injonction. Il dirige sa communauté, fait respecter les règles de conduite paysanne conformément au système mis en place dans le village.
C’est ainsi que le village Kipwala dont le chef raffole de la bonne chair, tient aux feux de brousse pour nourrir tout le village, bien que tous les indices ne présagent pas l’organisation favorable aux feux de brousse.
A l’origine de toutes les décisions importantes, le chef impose les feux de brousse prétextant qu’il n’y a pas d’autre possibilité de sortir de la famine. A l’opposé du village Kipwala, Mukoko, chef de village Benga, respecte la réglementation de protection de la faune et de la flore, organise les activités paysannes : la culture des champs, la pêche, l’élevage, la vannerie, la poterie, le commerce, etc. Les activités qui permettent de mobiliser les énergies à réagir positivement aux événements. Chaque période de l’année est destinée à une activité précise. Il a favorisé l’organisation et le bien être des paysans.
Ces deux villages dans leur différence ne peuvent se rapprocher, aussi longtemps que s’opposent leurs visions dans la conduite de la destinée paysanne. Et, l’antagonisme s’aggrave du fait que toute la notabilité de Kipwala est divisée sur la question du feu de brousse et que le sage Mayamu quitte son village pour apprendre les méthodes qui font la prospérité de Benga. Pour régler ce conflit, la sagesse africaine propose la confrontation par la danse. Comme par ailleurs la vérité doit être rétablie, le camp du chef Mukoko a pris le dessus. La pièce se termine dans l’allégresse générale qui ponctue la réconciliation et la paix pour les deux villages.
2.2 La bataille de Kamanyola
Un conflit à l’échelon national oppose deux camps : la rébellion et l’armée. La première conteste le pouvoir en place, l’accusant d’illégitimité et la deuxième se place en défenseur de l’unité nationale. Tout commence par l’occupation de l’Est, ventre mou du pays, par les rebelles qui s’organisent pour prendre le pouvoir. La confrontation armée a lieu depuis plusieurs mois sans donner l’occasion à une entente durable entre les antagonistes. Le champ de bataille compte de nombreux morts, surtout dans le camp de l’armée régulière, car les éléments de cette armée luttent contre des hommes rendus invisibles par le dawa, considéré comme un puissant fétiche.
Le combat s’intensifie au front, la rébellion gagne du terrain grâce à son invincibilité et prend des localités entières où elle fait régner sa loi. L’armée régulière au comble de désarroi, veut battre en retraite.
Chez les soldats, les discussions s’animent autour de l’origine de cette bataille fratricide. L’inquiétude augmente à chaque accrochage avec l’ennemi invisible qui joue avec la technique d’usure. Annoncé depuis longtemps à côté des troupes armées, le Commandant en chef rejoint les rangs. Aussi, requinquée par sa présence, l’armée renouvelle ses énergies, accule la rébellion et prend le dessus. La victoire est certaine. C’est ainsi que le pays délivré, a retrouvé la joie. Le peuple peut encore aspirer à la paix et à la concorde nationale.
2.3 Procès à Makala
Les événements qui se déroulent dans la ville sont plus que quotidiens. Mais lorsque les adultes perdent leur foi dans la responsabilité à conduire la jeunesse, la société va droit à la dérive. Une dérive qui prend de l’ampleur et les incitateurs se nomment : le voleur, l’assassin et la femme. Ces adultes emprisonnés à Makala n’ont pas l’opportunité de jouir normalement de leur vie. Piqués par une volonté de repentance, ils se dévoilent. Ils disent la vérité sur les motifs qui les ont conduits à commettre leurs délits. Pour cela, on peut vivre les événements sur pratiquement deux phases de leur vie : le cours normal et les déboires qui conduisent en prison.
La fable de P.M est faite d’un récit cadre et d’un récit enchâssé qui retracent la situation de chaque prisonnier. Le monde qu’ils décrivent est tout à fait impitoyable. C’est un monde où règne la corruption, la concussion, la délinquance, la prostitution, le meurtre, l’ivrognerie, le vol, la promiscuité, l’insécurité, etc. Au vu d’un tel tableau, la recherche d’une vie facile devient une illusion, l’éducation et l’instruction des jeunes sont renvoyées aux calendes grecques. La version des faits relatée par chaque prisonnier, met en accusation les adultes. Ceux-ci n’ont pas rempli leurs obligations dans la société et par conséquent, sont les responsables de la perversion familiale et de sa déchéance. La jeunesse qui évolue dans cette société n’a pas les moyens de s’épanouir seule. C’est de cette manière qu’elle est condamnée à un avenir incertain par la faute des adultes une fois de plus.
Mais, à l’issu de la reconnaissance de leur culpabilité et contre toute attente, ils vont bénéficier d’une relaxe. Le garçon innocent restera encore longtemps en prison.
2.4 Notre Sang
L’histoire de N.S relate comment un pouvoir dictatorial écrase un peuple qui tente de réagir et protester contre ses prétentions diverses et injustes. Au faite de cette situation de soumission, quelqu’un va se lever pour faire entendre sa voix. C’est ainsi que le Meneur prend la périlleuse initiative d’organiser un soulèvement populaire contre le système politique établi. Il installe son Quartier Général dans sa propre chambre pour diriger toutes les opérations de protestation. Pour ce faire, il arbore la tenue du révolutionnaire à l’image de Che Guevara, communiste assidu. Plusieurs photos recouvrent le mur de sa chambre mythique dont celle de Fidel Castro, son modèle anti-impérialiste, copie conforme de la lutte qu’il mène contre l’impérialisme occidental et le système anti-démocratique et dictatorial installé dans son pays.
Le Meneur va regrouper autour de lui un certain nombre des camarades qui acceptent l’idéologie populaire. Un plan est mis en place. Celui-ci consiste à faire une marche pacifique afin de montrer à la face du monde que le peuple souffre et n’adhère pas à un système politique anti-humain qui conduit le pays à la chute, alors que le pouvoir fait croire constamment à l’opinion internationale que tout va bien au pays.
Pendant les préparatifs, le pouvoir usant de stratagèmes, infiltre les groupes du Meneur. Ce dernier, encore inconscient, accepte des appareils motorola piégés apportés par un homme apparemment en discorde avec le pouvoir. Toutes les dispositions prise par le Meneur et ses groupes sont minutieusement suivies jusqu’au jour de la marche pacifique qui, aussitôt commencée, a fini dans un bain de sang. Grande est la désolation du Meneur, la ville est plongée dans une torpeur indéfinie, les familles pleurent leurs enfants tués. Ainsi, tant d’efforts soldés par un échec aussi funeste que brutal plonge le Meneur dans un état d’inconscience. Il devient fou.
2.5 Tu es sa femme
Au hasard des événements qui touchent une famille, la maladie s’autorise à perturber la vie d’un couple heureux. C’est une maladie réputée dangereuse et sans remède. L’époux se résout à consulter les médecins à trois reprises pour sa guérison. Il est suivi régulièrement, mais voici qu’un jour l’hôpital le renvoie à la maison pour que sa famille trouve d’autres moyens de guérison. A la maison, l’amie de l’épouse, médecin, va offrir ses services pour le suivi du malade. Elle vient chaque jour prescrire les produits pharmaceutiques au malade, mais il ne guérit toujours pas. Face à cette situation que l’on peut qualifier d’impuissance de la médecine moderne, la famille prend la relève, suggère des soins traditionnels. Une condition s’impose : il faut amener le malade au village pour y subir ce traitement en médecine traditionnelle. L’ascendance des us et coutumes veut tirer la meilleure partie à la patience qui a guidé les soins médicaux antérieurement. C’est ici que commence le conflit entre l’Epouse, intellectuelle comme son mari, et sa belle-famille apparemment sans instruction, mais toujours préoccupée du sort de leur fils.
Or, jusque là, la véritable nature de la maladie n’est pas communiquée à l’épouse ni à la belle famille. La déontologie médicale en vigueur n’en autorise pas la divulgation. Le secret reste intact, insondable. Il plane donc un mystère autour de cette maladie obscure au point que tout le monde dit ce qu’il pense. De plus, les convictions religieuses, spirituelles et coutumières de chacun viennent encore creuser le fossé de la division dans la maison du malade. Dans cette ambiance qui met à distance les idées constructives pour attaquer la maladie, arrive le prophète. Ce dernier veut désamorcer la tension croissante des esprits. Mais voici qu’il tombe comme par enchantement sous le charme de l’épouse confrontée à son triste sort où la fatalité se charge de prendre une place essentielle.
En fin de compte, l’amie de l’Epouse va dévoiler l’origine de cette dure maladie. L’Epouse, en ressent un coup fatal car elle sait que son avenir et celui des enfants sont tout simplement compromis. Tout espoir de construire une vie conjugale paisible se volatilise en fumée. Décidée tout de même à sauver son époux, elle va lutter, son amie à ses côtés, pour obtenir sa guérison, jusqu’au jour où il rendit l’âme. La désolation est totale.
2.6 Monnaie d’échange
La fable de M.E cible la famille de l’Etudiant qui en est l’aîné. Orphelins de père, voici que lui et sa sœur viennent de perdre encore leur mère. L’Etudiant, débordant de brillantes études, rentre au pays après quelques années d’absence. Il veut travailler car il se sent redevable de son pays qui lui a octroyé une bourse d’études. Il est accueilli par sa sœur, unique membre de famille qui, d’ailleurs, fonde beaucoup l’espoir à la réussite professionnelle de son frère, grand intellectuel. Outre sa sœur, il est accueilli par un ami et le fiancé de sa sœur. L’Etudiant annonce qu’il veut travailler et qu’on lui trouve une occupation décente. Devant ce vœu légitime, l’Etudiant ne réalise pas que les paramètres de la vie sociale ont longtemps été bouleversés. Son ami et le fiancé de sa sœur lui proposent d’entreprendre des démarches « spéciales » pour faciliter son engagement dans l’Administration Publique. L’Etudiant s’y oppose.
L’Etudiant ne sait pas que pour trouver un emploi, il faut corrompre. Il refuse de corrompre par ce que, non seulement il ne dispose pas de moyens financiers, mais aussi il ne comprend pas le sens d’un tel acte. La situation se complique, il n’a toujours pas un travail. Au cours d’une réception organisée à son insu, son ami, sa sœur et son fiancé, remettent au directeur une enveloppe contenant de l’argent. Ils font croire à l’Etudiant que c’est une cérémonie officielle de présentation du fiancé, scénario qui place l’Etudiant comme le père de la sœur.
Avide des mondanités, le directeur corrompu fixe rendez-vous à la sœur de l’Etudiant dans un night-club pour retirer l’acte d’engagement de son frère. Lorsque l’Etudiant apprend la nouvelle de la méconduite de sa sœur, il lui assène une gifle fatale, elle tombe du haut du pallier et meurt. L’Etudiant est mis en accusation, il doit comparaître au tribunal pour répondre de son délit.
Un procès public se déroule dans la salle d’audience, où l’Etudiant est interrogé par le juge devant les témoins qui sont le fiancé de sa sœur, sa fiancée et son ami. Ensuite vient le réquisitoire du ministère public et la plaidoirie de l’avocat commis d’office. Or, les juges avaient déjà préparé sa fiancée et une femme présentée comme son épouse légitime aux fins de témoigner contre l’Etudiant. Devant ce jeu compliqué, le président du tribunal demande à l’Etudiant de collaborer avec le tribunal pour obtenir ses aveux. Mais, l’Etudiant repousse ce jeu mensonger. Ainsi, le ministère public va condamner l’Etudiant, soutenant qu’il est anti-nationaliste, pendant que son avocat soutient la thèse d’un accident. Dans ce procès qui se déroule à l’américaine, le public considéré comme membres du jury est appelé à prononcer le jugement.
2.7 Biso
Biso relate l’histoire des étudiantes, vivant à la cité universitaire. Elles sont au nombre de cinq pour donner toute la teneur d’un récit qui reprend la réalité de la vie que mènent les étudiantes dans un milieu aussi grouillant d’activités. Dans leur chambre chaque fille est occupée. La première mange, la quatrième est assise dans un fauteuil, la cinquième étudie et la deuxième diminue le volume sonore d’un poste de radio qui diffusait de la musique.
Pendant les vacances, la danse devient chaque week-end l’une de leurs occupations majeures. Subitement elles parlent de leurs instincts sexuels, d’autres occupations universitaires, de comportement affiché par leurs professeurs et aussi de la manière dont elles peuvent attirer l’attention de ces derniers. Ainsi, se prêtant à un exercice psychanalytique, comme sur des malades pour savoir si un soupirant est misogyne ou philanthrope, elles ciblent avant tout leurs enseignants. Elles montent aussi quelques stratégies pour parvenir à leur fin.
Section II : DEUXIEME ENTREE : LES COMPOSANTES PARATEXTUELLES
La question des limites du texte, longtemps négligée et aujourd’hui encore par d’aucuns, classée dans un cadre purement publiciste, garde toujours son importance reconsidérée sous l’influence de l’analyse des “ paratextes ” proposée par G. Genette[52]. Le “ paratexte ”, divisé en péritexte et en épitexte, est avant tout déterminé par son emplacement soit autour du texte, soit dans l’espace même du volume pour le péritexte (titre, notes, nom d’auteur, dédicace...) ; soit encore autour du texte mais hors du volume pour l’épitexte (articles extérieurs au volume, entretiens...). Aussi devons-nous partager ce point de vue de Catherine Brasme, éclairant sur le paratexte, qui peut être nettement distinct du texte même de l’œuvre (le titre), « mais peut aussi se glisser dans le filigrane du texte – certains passages de commentaires insérés dans le cours de l’œuvre, certaines notes. Le critère de la “ place ” pour déterminer ce qu’est un “ paratexte ” apparaît alors sujet à caution : le paratexte peut s’introduire non pas aux limites topographiques les plus attendues – au début et à la fin de l’œuvre -, mais peut se loger dans de multiples interstices, au cœur même de l’ouvrage, de façon plus diffuse et discrète : il peut se superposer au texte, s’y intégrer, et non pas seulement se juxtaposer à lui. On retrouve ainsi précisément certaines modalités d’insertion dont on avait suggéré les différences de mise en œuvre pour l’émergence du discours auctorial dans les comédies et dans les tragédies : le discours auctorial serait lui-même un paratexte, intégré dans le texte même des pièces [53]».
Mukala Kadima Nzuji en parlant du paratexte, dit qu’il est parmi des choix faits par l’auteur, « en vue d’une parole littéraire singulière non seulement dans le code commun (…) mais aussi dans les divers langages sociaux et surtout dans le réseau des pratiques scripturales existantes », car poursuit-il, le paratexte est « ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public [54]». Toutes ces précisions autour de la notion de paratexte, et au regard des travaux sur le paratexte, nous fait comprendre qu’il existe une diversité d’éléments paratextuels qui comporte une richesse et un intérêt particulier pour l’étude littéraire ; cependant en raison de leur ubiquité et de la consistance de notre analyse, nous nous bornerons au paratexte se trouvant non à l’intérieur, mais autour du texte dramatique et rattaché au texte dramatique, dans ce qu’il représente et dans leur manière de fonctionner ensemble : le titre, le genre et le sujet, le prologue, l’épilogue et la distribution.
1. LE TITRE
Le titre partage un rapport de réciprocité avec le texte dans la mesure où celui-là constitue « une source d'interrogations dont [celui-ci] constituera la réponse », écrit Gérard Vigner[55], et vice versa à la suite de la lecture du texte. Sept titres nous permettent de cerner leur choix et signification, leur triple fonction, en l’occurrence identifier l’œuvre, informer sur son contenu et attirer l’attention du point de vue de la réception. Au contact des titres, nous allons comprendre leur syntaxe et aussi la catégorisation qui peut en découler. Une manière de leur trouver, à ce niveau, une structure.
1.1. Choix et signification
Dans son ouvrage R.K.M. Fiangor, abordant une étude sur le théâtre, reconnaît que le paratexte répond à plus d’exigence et de travail esthétique au motif que « les indications paratextuelles paraissent souvent chargées de significations et d’attentes qu’on aurait tort de négliger [56]». Ainsi, tous ces titres sont choisis d’après une exigence à deux niveaux : l’insertion à titre de commande, exigence du pouvoir qui fait parler la plume du dramaturge, et l’insertion répondant à l’exercice personnel de l’écriture dramatique. A propos de l’insertion de commande, Pas de feu pour les antilopes et La bataille de Kamanyola se font l’écho du pouvoir politique qui tenait à multiplier les sources de sensibilisation à ses actions et l’enracinement durable d’un système politique qui a vu le jour le 24 novembre 1965. Et, la titrologie à l’épreuve dans ces deux pièces de théâtre fut un moyen au théâtre pour parvenir à cette fin.
Quant au deuxième type d’insertion, elle relève du choix de chaque auteur à formuler comme il entend son œuvre de fiction. Il en est donc l’énonciateur principal. Dans ce rôle, il peut porter, entre autres, une information à l’intention du public. Il s’agit du rôle qui transforme la société, l’éclaire, manière qui, selon Mukala Kadima Nzuji, fonde l’originalité d’un écrivain, suppose des choix qui se manifestent de façon exemplaire notamment au niveau du paratexte. Ainsi à titre d’exemple, Biso est une indication qui montre que le dramaturge appartient à deux univers linguistiques différents : le lingala Biso, qui veut dire Nous en français, semble être une interpellation sur les mœurs légères des jeunes étudiantes d’universités. Au delà, c’est une interpellation qui cible toute la société. A travers le sexe faible, c’est-à-dire les étudiantes, le dramaturge veut porter comme une estocade à la société, en disant : Qui sommes-nous ? Où sommes-nous ? Que faisons-nous ? Que devenons-nous ? Pourquoi est-il toujours question de nous ?
1.2. La triple fonction
Celle-ci peut se comprendre comme la fonction appellative pour identifier l'ouvrage, la fonction référentielle pour désigner son contenu global et la fonction conative ou publicitaire pour mettre en valeur l'œuvre ou pour séduire des lecteurs potentiels. Les sept pièces de théâtre portent bien la signature de Mikanza. Leur contenu se prête à l’analyse pour déterminer leur richesse, leur valeur réceptive, car une œuvre prend son importance par rapport à sa demande sur le plan de la recherche, de la consommation de plusieurs natures. Ces pièces de théâtre ont été fort réclamées tant du point de vue de la représentation que de celui du contenu, quand il faut tenir compte des prix accordés lors de festivals ou de concours culturels.
a) Identification et information sur l’œuvre :
La fameuse phrase de Tchicaya U Tam’Si, « les clefs de mes œuvres sont à la porte », convient bien au rôle que joue le titre d’une œuvre. Celle-ci est d’habitude identifiée grâce au titre qu’elle porte, demeurant par conséquent à la porte, c’est-à-dire à l’entrée, pour dévoiler l’œuvre, orienter et programmer la lecture. Le titre donc «est à l’œuvre ce que la clé est à la porte[57] ». A ce titre, il devient un discours auctorial qui précède le texte (l’œuvre), un discours sur le monde à découvrir dans les pages à venir. Mais, aussi, une problématique posée dès l’entrée de jeu. Ainsi, on pourra noter, à titre d’exemple, que grâce au paratexte de la pièce Bérénice, que toute la problématique de la pièce y est logée. Bérénice renvoyée doit prendre elle-même la décision de partir.
Les titres choisis par le dramaturge placent l’œuvre dans un contexte précis. Pas de feu pour les antilopes s’identifie par le feu et les antilopes. Deux mots qui renvoient à la brousse, aux activités qui s’y exercent. La bataille de Kamanyola par deux autres qui impliquent respectivement l’adversité, la lutte armée et le lieu de combat. Procès à Makala une instance judiciaire et un autre lieu réel. Notre Sang pose le problème de l’anatomie humaine : sans le sang, le corps humain ne peut vivre. Tu es sa femme parle de la présence d’une femme, mais tout de même d’une personne qui veut le bien de ses proches. Monnaie d’échange se place dans un contexte de valeur monétaire et Biso rappelle la présence de toute une communauté humaine à travers laquelle chacun se reconnaît.
Ces titres ne sont pas reconnus dans ce que préconise la pratique classique où ils sont réduits souvent à un héros : Hamlet, Bérénice, par exemple. On se trouve ici dans le cas d’absence d’un héros éponyme du type mythologique. Toutefois, la diversité des œuvres faisant que certaines portent les mêmes titres, oblige les auteurs à noter, L’Avare de Molière, Œdipe de Gide, Antigone de Sophocle, etc. Pour les titres de Mikanza, il n’y a aucune indication de ce genre destinée à éviter à l’œuvre la méconnaissance de sa fonction identificatrice. Ses titres sont connus par leur contenu et par l’inscription de son nom, comme portant sa signature propre.
b) Attirer l’attention :
Ces titres suggestifs à première vue, invitent à la lecture. On se convainc dès le départ de ce que le dramaturge veut dire. Une attention soutenue sur le titre peut dire au lecteur que les titres Notre Sang, Procès à Makala, Tu es sa femme, Biso, etc. poussent un cri collectif. Tandis que Monnaie d’échange évoque l’argent qui sert d’intermédiaire, Pas de feu pour les antilopes fait penser à une interdiction qui refuse de mettre en relation le feu et les animaux et La bataille de Kamanyola plonge le lecteur dans un récit de lutte. Pourquoi se combattre ? Cette pesante question pour le cas de la dernière pièce, peut être posée dès l’amorce du titre par le lecteur.
1.3. Les types de titre
a) Titre informant ou réaliste :
Tous les titres de Mikanza livrent une information au sujet de laquelle quelque chose se passe. C’est au contact avec le contenu de la pièce de théâtre que cette information est totalement découverte. Ainsi, comme l’énoncé de chaque titre l’indique Pas de feu pour les antilopes donne une information concernant les feux de brousse. Peut-on en user ou non, quelle est la période requise pour en user ?, etc. La bataille de Kamanyola informe au sujet de la lutte entre les factions antagonistes ; Procès à Makala sur un procès se déroulant en prison ; Tu es sa femme sur le sida et la femme ; Notre Sang sur le sang des innocents qui coule ; Monnaie d’échange sur le rôle prépondérant que joue l’argent et Biso sur un comportement qui tend à perdurer dans la société.
Une série d’informations, grâce à la dramaturgie et à la représentation, qui opère une catharsis où corps, âme et société purgés d’une démesure jugée immorale, incivique et egocentrique par rapport au comportement de l’homme dans la société. C’est ici qu’est envisagée la conception politique de la catharsis qui police le refoulé collectif pour une transformation des mœurs. L’aspect médical opère corrélativement le retour à une norme prescrite par la loi sociale, dit Alain Bernard Marchand, même corporelle, « le corps agi comme manifestation du comportement social et comme métaphore de l’idéologie en jeu[58]». Auprès du public/lecteur comme libération d’un ‘’en trop’’dont il faut se purger pour retrouver la commune mesure. En ce sens, pense A. Ubersfeld, qu’il y aurait un va-et-vient entre le plaisir de l’identification et la distance critique. Le spectateur s’identifie à une espèce de conscience centralisatrice dont le héros est parfois le porteur. On voit les personnages du général d’armée (L.B.K) tel qu’il est dans les forces armées, le Meneur (N.S) qui se conduit comme tout révolutionnaire d’idéologie progressiste, l’Etudiant et les étudiantes (M.E, Biso) dans leurs habitudes quotidiennes, la femme (T.S.F, P.M) déjouant et jouant la manière de vivre et le chef traditionnel tel qu’il est dans nos villages. Tous ces personnages sont re-présentés, c’est-à-dire signifiés à distance intentionnellement (du latin representare « rendre présent »). Les faits représentés viennent de la réalité sociale et fournissent l’information nécessaire à la bonne conduite. L’information qui relève aussi de la mimésis – superposition de la réalité ou réalité fictive – dans le cadre de toute titrologie, qu’elle soit imaginée, recommandée, adaptée à une situation ou encore mythique.
b) Titre nom ou à référent animé :
Allo Mangembo keba (1971), Nkoy Mobali (1972) et Ngembo (comédie musicale, 1977) répondent à une préoccupation culturelle. Tous comportent des noms d’animaux, à part “Mangembo’’. Dans ce premier titre “Mangembo’’, pris comme sujet, fait référence aux élèves de Kintambo, qualifiés d’intelligents, mais qui sortaient entre 17 heures et 18 heures de l’école, en comparaison avec la sortie des chauves-souris à la tombée de la journée. Le deuxième titre parle d’un héros comparé au léopard, personnage revêtu d’une force extraordinaire et le troisième représente des personnages parasites pris également comme des chauves-souris qui s’agrippent à un arbre. Moni Mambu le pousse-pousseur, pièce éponyme, écrite en 1972 est une indication manifeste, mieux patente d’un personnage du type traditionnel qui prévient la communauté des conséquences néfastes résultant de son mauvais comportement. Il n’accepte pas les erreurs de celle-ci, la met en garde et détermine les limites au-delà desquelles on ne peut pas franchir. Ngembo est une métaphore qui a tendance à ridiculiser ceux qu’elle vise. Avec l’idée que cette désignation peut les faire raidir afin qu’ils changent. C’est une forme de révolte vis-à-vis de leur comportement. Une autre révolte mais plus féroce s’exprime à travers Baoni (1988), nom forgé pour qualifier une tribu qui prend la tête de la révolte contre l’occupant blanc. Ces titres à référent animé, en lingala, désignent une catégorisation sociale.
Prix mangondo (une nouvelle, 1972-1973), à l’instar de Festin des dupes (1993) et Otage (un essai, 1993) ont à coup sûr un rapport avec les événements socio-politiques qui se déroulent au pays. Ces titres renvoient l’image d’une société qui a eu la prétention de se développer à un certain moment, mais à cause de l’incurie des dirigeants, a connu la désorganisation généralisée et tombe en déliquescence.
Ces différents titres se joignent à l’une des pièces de théâtre à l’étude pour observer que Biso, semble cacher le sujet de la pièce dans la mesure où, écourté, et à l’instar de Les Mots, La Nausée de J. P. Sartre, prend une désignation imprécise, à défaut d’une perception subliminale. Ainsi, Biso renferme quelques sens que nous pouvons lui conférer. Ce titre, en effet, se donne à voir comme une brève apostrophe ou comme une énigme. Enigme, car on peut oser dire ce que veut le dramaturge à travers le titre. Quel message nous envoie-t-il ?
1.4. La syntaxe des titres
Dans l’ensemble, la syntaxe de la titrologie se présente comme un ordre, avec le ton impératif que prend la locution “Pas de…’’, dans Pas de feu pour les antilopes. Tandis que La bataille de Kamanyola et Procès à Makala comprennent en partie une localisation, c’est-à-dire une spatialité qui exprime un événement et une autre qui est un substantif ; Biso et Tu es sa femme constituent à la fois une dénomination et une interpellation ; Notre Sang et Monnaie d’échange recourent à la désignation des maux qui sévissent dans la société. On observe tout de même que le dramaturge jongle parfois avec le titre.
Dans Allo Mangembo Keba, il y a référence au téléphone avec “Allo’’, mise en garde avec “keba’’ qui lance un appel à distance pour que les autres concernés en soient rapidement avertis et soient sur leur garde. Mangembo est composé du préfixe “ma’’: (le lieu) et de “ngembo’’: (chauve-souris). Moni-Mambu le pousse-pousseur est une indication sur une dénomination relevant du mythe traditionnel. “Moni’’ (radical du verbe kikongo – kumona) qui veut dire “voir’’ et “Mambu’’ qui signale l’accumulation “ des problèmes’’ difficiles à résoudre. Ceci dit, Moni Mambu est donc celui qui rencontre sans cesse les difficultés.
Lorsqu’on observe la syntaxe des titres énoncés en phrases courtes, précises, Pas de feu pour les antilopes, La bataille de Kamanyola, Biso, Procès à Makala, Notre Sang et Monnaie d’échange, on s’aperçoit que ce sont des expressions ou des formes stéréotypées qui ne comportent pas de verbe. Ceci fait penser à l’absence d’une action ou d’un mouvement enclenché et dont le processus devrait suivre son cours. L’action exprimée par le verbe aurait pu nous indiquer le mode grammatical et une précision du temps grammatical employé. Dans ce cas, cela nous aurait permis de placer ces titres dans la chronologie de temps, même si on peut l’imaginer. Or, le dramaturge en a fait autrement. Par ce fait, il est facile de comprendre qu’il se range dans un contexte intemporel pour rendre son œuvre impersonnelle. En d’autres termes, on dira qu’il destine son œuvre à toutes les races sans exception. De plus, la formulation de tous les titres ne contenant aucun verbe, peut être perçue comme une sorte de sanction. Chaque mot du titre fonctionne comme un martèlement, une insistance pour durcir les mots, leur donner un autre éclat. N’ayant pas de verbe, ces titres constituent des propositions elliptiques “alertes’’ qui traduisent une idée vivace et une spontanéité particulière. Le raccourcissement de la pensée dû à l’absence du verbe répond bien à la nature et à la présentation de titre d’une œuvre.
Pas de feu pour les antilopes commence par une locution exprimant la négation “ Pas de…’’(SP) ou locution prépositive. C’est une locution prépositive qui prend la place d’un déterminant devant le mot “feu’’, dans l’ordre syntaxique d’une phrase. C’est une interdiction. Le mot “feu’’est l’un des objets dont on parle, il est en rapport avec “les antilopes’’ (SN) et complément déterminatif. “Pour’’(préposition) est mal employé ici et devrait accompagner l’interdiction. Ce n’est pas le cas parce que lorsqu’on brûle la forêt, c’est pour traquer les antilopes, d’où il n’y a pas de faveur pour les antilopes. ‘’Pas de feu pour les antilopes’’, phrase nominale, se perçoit dans ce sens : Il ne faut pas de feu pour attraper les antilopes.
La bataille de Kamanyola commence par “la’’, un déterminant qui, naturellement, définit l’objet formant avec le mot “bataille’’ un SN représentant une situation se déroulant à un lieu précis : “Kamanyola’’, un référent local, que la préposition ‘’de’’ précède.
Procès à Makala est composé de ‘’procès’’ qui signifie un jugement (différend), de ‘’à’’une préposition qui introduit un lieu (situation spatiale) ou une direction, elle établit une relation entre deux noms et de ‘’Makala’’, un nom. Makala est un terme en langue lingala. Il dénote une situation ‘’noire’’, difficile, comparable au bois brûlé, facile à broyer. Ce référent Makala est un complément circonstanciel de lieu.
Notre Sang, Tu es sa femme et Monnaie d’échange sont des syntagmes qui ne voilent pas, à première vue un regard critique du dramaturge sur la société. Tous montrent à quelques égards le degré d’implication de l’auteur en tant que narrateur, mettent en valeur la situation d’énonciation. Le premier titre possède un pronom “Notre’’qui détermine le mot Sang et désigne une attribution, une appartenance. Le substantif ‘’sang’’ se réfère à l’espèce humaine dont on craint la disparition imminente, ensemble ils forment un SN. Pour le deuxième titre : “Tu’’, est sujet, au début de la phrase, “sa’’ pronom possessif désigne ‘’femme’’, Sa femme est un SN. ‘’Femme’’ est complément à valeur adjectivale, c’est-à-dire un adjectif qualificatif dont la fonction est un attribut et connote une responsabilité qui incombe à la personne féminine. Ce titre insère la présence d’interlocuteurs mis face à face, valables au déclenchement d’un discours. Celui-ci renvoie l’écho d’un mal installé dans la société. L’emploi des pronoms établit ici une des relations pragmatiques avec le public, démontre l’attitude du dramaturge face au public avec lequel il communique de manière concrète. Le troisième titre, selon le dictionnaire Le Grand Robert, désigne « une pièce de métal de forme caractéristique nummulaire, dont le poids et le titre sont garantis par l'autorité souveraine, certifiés par des empreintes marquées sur sa surface, et qui sert de moyen d'échange, d'épargne et d'unité de valeur ». Ici, ‘’monnaie’’ sert effectivement d’échange. Le mot ‘’échange’’ évoque l’idée d’une opération, d’un contrat, de recompense, de dédommagement ou de détermination. Monnaie et échange dépendent étroitement de la nature de leur rapport établi. Le titre ‘’Monnaie d’échange’’semble devenir un acquis pour la personne qui exige une forme immorale de recompense.
Quant à Biso, titre allusif, c’est un syntagme unique, pronom personnel. ‘’Nous’’, représente les hommes en général, sans distinction de sexe ni de classe sociale.
1.5. La catégorisation
En observant les sept titres de pièces de théâtre, on est en droit de dire qu’ils expriment des situations diverses dans lesquelles se trouve la société congolaise, des expériences développées contradictoirement aux bonnes mœurs et aux efforts de développement harmonieux. Des situations que l’on place strictement dans le cadre social et dont une autre catégorisation systématique ne s’impose pas en dehors de la société elle-même. Par contre, il faut voir dans Pas de feu pour les antilopes, comment peut être réglée la question zoologique ou de la faune et de la flore dans nos villages. La brouille socio-politique et l’incurie due à l’inexpérience dans La bataille de Kamanyola et Notre Sang, la responsabilité vis-à-vis d’un fléau, le sida, dans Tu es sa femme, la dépravation des mœurs et le procès fait à la société dans Procès à Makala, Monnaie d’échange et Biso. Ces situations rentrent dans une catégorie, c’est-à-dire un ensemble de problèmes que connaît l’homme. Ces problèmes décrits dans les pièces de théâtre déterminent, tous, le niveau d’abattement d’une société, le niveau de profonde crise morale.
L’exploitation inspirée de divers faits saillants sociaux enserre narrativement le contexte diégétique des textes dramatiques, dans le sens instauré par le titre, d’une part et, d’autre part donne une image du contexte dans lequel vit l’homme congolais, ciblé par le dramaturge déjà au niveau de la titrologie. Celle-ci ayant été cernée comme une des formules paratextuelles communiquant des idées essentielles, on peut à présent mieux comprendre et désigner le genre et le sujet de l’œuvre.
2. LE GENRE ET LE SUJET
Le genre présente les idées générales d'un groupe d'êtres ou d'objets montrant des caractères communs. D’un point de vue littéraire, c’est une catégorie d'œuvres définie par la tradition d'après le sujet, le ton, le style et la présentation. Selon le Dictionnaire Encarta (1993-2008) : après une période baroque marquée par un style surchargé, des messages codés complexes, la littérature se tourne vers des formes plus simples et plus pures. Chaque genre donne lieu à des règles d’écriture rigoureuses que les auteurs se doivent d’appliquer. K. Hamburger, considère trois genres : épique, dramatique et lyrique[59]. Celui des pièces de Mikanza est bien sûr le théâtre.
Sur le genre et le sujet, quelques interrogations reviennent souvent : de quoi le théâtre parle-t-il aujourd’hui et sous quelle forme, s’ouvre-t-il à une histoire immédiatement contemporaine liée à la nature du sujet ? Comment le choix du sujet d’une pièce se détermine-t-il ?
Traitant de la question du genre dans son étude, Catherine Brasme[60] considère que la position de J. M. Schaeffer sur les genres est révélatrice. Nous pensons que ce qu’il appelle la conception “ lectoriale ” des genres peut être envisagée dans le cadre de la réception d’une œuvre, opérant comme un “ horizon d'attente” ou un “ répertoire ”. Mais, il y a surtout la classification au 17ème siècle qui détermine les genres à la suite de la codification qui finit par en offrir des œuvres modèles. De même, l'existence de la hiérarchie des genres à l'intérieur du champ littéraire : place du théâtre par rapport aux autres genres ; degré de légitimité des sous-genres dramatiques (voir, historiquement, la domination de la tragédie sur la comédie ou de la comédie “ sérieuse ” sur la farce...) ; classement des théâtres et de leur public selon les genres en présence, etc. demandent de la part du lecteur un effort d'accommodation à reconnaître une catégorisation générique.
De ce point de vue, un genre serait comme un catalogue d’essences préexistantes qui se trouveraient plus ou moins bien illustrées par des œuvres données. Nous savons par ailleurs que chaque genre traite d’un sujet bien précis. C’est ce dernier qui est à l’œuvre dans un texte de théâtre et, notamment, dans ceux des pièces de théâtre de la présente étude.
Mikanza aborde le sujet de chaque pièce de théâtre sans aucun détour. La langue et le style font appel à l’expérience quotidienne de la société. Le sujet manque d’humour, signe d’attachement à l’engagement du dramaturge de « dire vrai et juste ». C’est ainsi qu’on perçevrait la présence de Mikanza dans certains personnages. L’assassin dans P.M, le malade dans T.S.F, Mayamu dans P.F.A et l’Etudiant dans M.E. Il a imaginé en 1982, le rôle de narrateur à travers la technique de ‘’radio-trottoir’’ dans le but essentiel de mieux présenter le sujet de la pièce Le Cid. De même que la palabre dans P.F.A pour rendre explicite le sujet.
On a quelque difficulté à déceler la limite entre la fiction et le réel qui disparaît aux yeux du lecteur. Le langage est clair, le sujet puisé dans la réalité, celle que le dramaturge analyse et critique. Il parle de divers sujets : de la préservation de la nature (PFA), de la guerre et des troubles d’origine politique (LBK), de la responsabilité des adultes et des maux qui minent la société (PM, ME), de la femme (Biso), de la maladie c’est-à-dire du VIH Sida (TSF) et de la dictature politique (NS).
D’ordinaire, le sujet d’une œuvre est puisé dans l’expérience sociale, environnement accessible à l’auteur disposé à le traiter pour le réintroduire dans la société. Ce qui le prédispose à l’observation des événements social, historique, politique, culturel, etc., afin de s’accommoder des préceptes qui définissent et hiérarchisent la production dramatique ou l’écriture d’une œuvre. Au regard donc de cette observation des événements, le genre dramatique qui en découle s’identifie à une catégorie sociale. La farce fut réservée à la populace, la pastorale aux bergers et bergères, la tragédie aux nobles, la tragi-comédie aux nobles et à la classe d’origine plus modeste. Ce sont des indications qui justifiaient aussi le sens de l’écriture, mieux une idéologie.
Les sept titres des pièces de théâtre à l’étude ne sont pas suivis d’indications sur le genre, comme il en est le cas dans la pratique, suivant la tradition théâtrale classique, car la notion de genre a été fort longtemps éclatée pour rendre plus de liberté à l’écriture dramatique. C’est de cette liberté, on veut bien s’en convaincre, que Mikanza fait montre.
A part le cas de Biso, il ne fournit pas de repère explicite sur le genre de ses pièces de théâtre pour dire qu’il n’indique pas le registre auquel appartiennent ses pièces de théâtre. C’est seulement à la fin du texte dramatique que le lecteur découvre que telle pièce est un drame social et telle autre une tragédie, etc. Catégorisation libre et reconnue du drame romantique dont se réclame Victor Hugo. Ce dernier « veut rendre compte des contradictions de l’homme, ‘’être complexe, hétérogène, multiple composé de tous les contraires’’ [61]». On s’aperçoit qu’à l’état actuel, l’écriture théâtrale s’est dessaisie des étiquettes faisant allusion au registre du genre, « affirmant ainsi sa liberté et son refus des codes, mais peut-être aussi le doute profond qui désormais l’habite[62] ». Doute du résultat attendu, du fait des réponses inappropriées réservées, à certains égards, même à la nature de l’œuvre théâtrale. Celle-ci, représentant les faits de la vie, donc peut revêtir plusieurs formes parmi lesquelles une comédie, un drame, une tragédie. C’est une forme de réalisme.
Mikanza par cette attitude veut rompre avec l’indication sur le registre qui suit le titre d’une pièce de théâtre. De ce fait, il tient aussi l’argument de rendre le théâtre à la société, à l’humanité. Est-ce que cette même liberté l’habite aussi dans la manière de commencer ou de terminer son texte dramatique ?
3. LES « EMBOUTS » TEXTUELS COMME ARGUMENTS
3.1. Le prologue
Le début d’un texte dramatique dans les tragédies c’est le “ prologue ”, dans la mesure où sa fonction est d’introduire un type de réception particulier. Catherine Brasme note que le prologue sert à établir les liens intertextuels et les réseaux d’images susceptibles d’impulser le point de vue d’un récepteur “ modèle ”, réceptif aux multiples strates de signification de l’œuvre. Notons rapidement que certains accolent, de par la tradition classique, le “ premier acte ” au terme de “ prologue ”. En tant que « Seuil » de l’univers textuel, nous préférons désigner le début des pièces par l’expression prologue, préfiguration et lieu spécifique d’une parole de la pièce et de la fonction textuelle qui lui est attachée. Et le fait de mentionner le “ prologue ”, semble refléter la lecture qui peut être faite de ce lieu du texte et la perception de son rôle et de son statut par rapport à la suite de l’œuvre.
Ce travail de création qui présente une exposition des données nécessaires au commencement de l’action, fait encore remarquer Catherine Brasme, « entre dans la stratégie générale par laquelle sont tissés certains rapports avec un récepteur qu’il s’agit de rendre attentif moins à l’intrigue elle-même qu’à la façon dont ses éléments sont recomposés de façon “ originale ”, redéfinissant les contours génériques des œuvres[63] ». Ce même travail relève de la “ poétique auctoriale ” dans la mesure où il considère ce que fait l’auteur (le dramaturge), dans son activité, devenue une instance créatrice par rapport à la fonction textuelle à laquelle correspond le pôle de la réception, qui lui est indissociable.
Mikanza donne, en guise de prologue, tantôt la présentation du décor et de la toute première disposition scénique à l’ouverture de l’action dramatique par rapport aux faits à dramatiser (M.E, Biso, T.S.F). Il faut y voir l’intention scénographique plutôt que la communication urgente à la présentation du texte dialogué. Cette disposition scénique est brève dans Biso où le lecteur entre en contact directement avec un espace : l’internat. Elle est décrite avec un élan de ‘’dramaticité’’ et la manière plus sommaire et suggestive dans M.E : « De nos jours. Quelque part dans n’importe quel pays d’Afrique» (p. 2). Là, également, deux espaces sont introduits et les personnages de l’Etudiant et de la sœur sont identifiables. Quand apparaît dès le départ dans T.S.F ‘’la véranda’’, espace dramatique et scénique privilégié, on voit un seul personnage, très remarqué, c’est l’Epouse qui ‘’applique du dissolvant sur les ongles…’’ (p. 14).
Tantôt le commentaire en off d’un chœur sur fond de musique (L.B.K), le chœur rend compte de la narrativité du texte dramatique. Ce faisant, le contenu du prologue de L.B.K, un poème, est forcément une évocation historique sur la colonisation et l’indépendance, fait entrevoir la situation dramatisée en Afrique : ‘’Au cœur de l’Afrique’’ (p. 13), précisément en RD Congo envahie par la rébellion : ‘’L’armée est sollicitée partout : A l’Est, Au Sud’’ (p. 14). Le chœur de N.S s’ouvre sur le héros, le Meneur, personnage principal au cours d’une scène macabre, « La torpeur l’envahit (…), il s’agite en proie à un cauchemar » (p. 13), pendant son rêve, dans une petite chambre. Il implore le pardon : « Son zèle à vouloir se faire excuser n’a d’égal que la colère de l’homme masqué (…) » (p. 13), le même pardon est de mise dans la prière testamentaire du dramaturge précédant le chœur : « Mon Dieu Seigneur, au jour où votre serviteur rappellerez » (p. 5.). Le prologue s’annonce sur une mauvaise augure : « la machette s’abaisse lentement sur lui. Héroïque (…) penche la tête sur le côté » (p. 15). Ce prononcé du chœur semble proportionnel au ton dramatique que les faits ont sur le déroulement des actions et sur ce qui impulse leur achèvement.
Tantôt encore par le résumé de l’action dramatique (P.M), dans la mesure où le déroulement des actions peut paraître enchevêtré. Dans ce cas, le dramaturge s’impose la tâche de fournir une explication claire au début. Sans doute il est de même pour la scène d’exposition dans P.F.A et l’exposition du chœur dans N.S. Aussi, ce résumé prélude à l’action dramatique de P.M, montre une conversation qui se déroule en prison, « Dans la prison de Makala » (p. 9) entre trois prisonniers, mais brutalement interrompue par l’arrivée d’un garçon. La scène d’exposition de P.F.A introduit les femmes qui s’affairent à leurs activités, dans la mesure où elle règle la gestuelle et le ton des lamentations des femmes dont l’influence reste sensible au récepteur tout au long de la pièce.
Tous ces indices sont en fait des éléments dont rien ne rejette ce poids que le dramaturge leur donne, mais qui entrent dans un réseau de données soutenant la perspective d’interprétation. On sait qu’il représente le champ dans lequel ce qui aurait été “ prévu ” ou “ voulu ” par le dramaturge.
Le prologue mikanzien n’est pas toujours en forme dialogué, il prend aussi la forme d’un texte introductif, d’un monologue, d’un poème qui s’adresse au public. Il se distingue par la communication littéraire spécifique qui est entreprise au début du texte dramatique. En ce sens que, jouant pleinement sa fonction d’exposition, il constitue un phénomène par lequel l’illusion théâtrale est rompue et les spectateurs directement intéressés à “ négocier ” le passage, l’entrée dans le système de l’œuvre.
Mais, avant que la communication s’établisse entre les seuls personnages, le public, loin de disparaître de la situation de communication, reste un interlocuteur indirect dont la présence et la participation sont toujours supposées afin d’y voir son attachement au récit. Le chœur de L.B.K établit cette communication directe avec les conséquences de la colonisation, celui de N.S avec le rôle libérateur face au néocolonialisme. Dans les tragédies, comme il n’y a pas de rupture d’illusion, si l’on considère le ‘’prologus’’, le public n’est jamais pris à partie directement : il est dès lors bien plus malaisé de cerner en quoi la situation de communication du prologue et celle des premières scènes diffèrent, bien plus difficile aussi d’établir les limites du prologue, de le reconnaître comme tel.
Le modèle de prologue varie chez Mikanza. On ne le voit pas se fixer sur le chœur uniquement, étant donné que celui-ci reste le modèle de la tragédie. L’auteur diversifie les conditions de déclenchement de l’action, en même temps qu’il fait voir le sens de reconnaissance du prologue qui serait non plus seulement le lieu du texte, mais aussi la nature et l’enjeu de la parole qui s’y déploie. Ce qui fait d’ailleurs leur caractéristique, dans une visée assez descriptive, afin d’avoir à l’esprit par qui, par où les conditions d’ouverture de l’œuvre, appelées “ seuils ” au sens genettien du terme, orientent la lecture.
3.2. L’épilogue
La suppression de l’épilogue, du prologue et du chœur pour la première fois, à l'époque de la Renaissance, est considérée dans l'histoire du théâtre comme prélude au début du drame moderne. Ce coup de poing a pour justification, de considérer la primauté exclusive du dialogue, c’est-à-dire l'expression interhumaine dans le drame et que celui-ci n'est rien d'autre que la reproduction des rapports interhumains. Cependant, au vu de l’évolution du drame, la tradition théâtrale n’est pas complètement bousculée pour laisser la primauté exclusive au dialogue. Les auteurs y font encore recours. Ce qui, en fait, donne la place au paratexte, notamment l’épilogue, discours récapitulatif à la fin d’une pièce de théâtre.
Ayant une dimension de la narration théâtrale, l’épilogue se déroule dans un contexte scénique, structuré et verbal ; or dans Biso, on ne voit pas de trace d’intégration du récit. Biso est une pièce de théâtre qui excelle dans le caractère plus atypique. Elle est présentée sommairement, en un seul acte, coupée du dernier discours paratextuel. Cependant, le dramaturge semble régler cette carence par la dernière didascalie : « elles forment une rangée allant du côté jardin vers le côté cour », (p. 12) pour clore l’acte et quitter la scène. C’est ainsi qu’elles reprendront en chœur : « Allons-y ! A l’assaut ! (…), elles sortent par la porte du côté cour » (p. 12). Au vu de cette scène, on revoit un paramètre, le décor ou l’espace, et dans une moindre mesure, le recours au mouvement rythmé d’ensemble des personnages qui adressent leur dernier mot au public.
Quant à P.M, M.E et N.S, on ne décèle rien sur l’épilogue. P.M note l’attitude du garçon en prison, derrière les barreaux : « il s’assied lentement sur l’escabot les mains toujours accrochées aux barreaux », (p. 88). L’émotion et le désappointement se lisent sur son visage. Comportement relatif à un aveu d’impuissance et d’injustice sociale. Le décor change au noir pour dire que la pièce prend fin. La pièce M.E se termine par une voix en off, cédant la place à l’apologue que le dramaturge fait ressortir intentionnellement par la mère, dans l’outre-tombe : « Montrez-vous dignes de nous. Ne nous tourmentez pas sous terre, au royaume des ancêtres par une conduite déshonorante », (p. 82). Dans N.S l’apologue est remplacé par des invectives prononcées par une autre voix féminine, en off : « Bonheur ! Pour quel bonheur avez-vous ouvert ces veines ? », (p. 70). Question lancinante qui s’observe dans le dialogue entre le héros et les voix de l’au-delà, dialogue axé sur le sang représentant des victimes tuées par balles. A l’instar de P.M, le décor à la fin vire au noir.
T.S.F ne donne aucune indication du prologue. La voix qui parle en dernier lieu est celle de la sœur du malade. Elle vient en off, appelant le docteur : « Docteur ! Docteur ! Docteur ! Voici les médicaments, le sang et les résultats… » (p. 67). La scène montre uniquement les femmes : l’épouse, l’amie, la mère et la sœur. Les gestes des uns et des autres témoignent de l’impuissance humaine devant une maladie qui a rongé le corps entier. Les dés sont jetés : « Rageusement, l’Amie brise le flacon de médicament sur le pavement », (p. 67). Toutes sombrent dans le noir, qui représente ici le gouffre, inconscientes. Et, c’est la fin de la pièce.
L’épilogue de L.B.K est essentiellement un éloge du courage du personnage principal, repris de cette manière : « Grâce au courage, à la détermination et à la bravoure du Commandant en Chef (…) » (p. 56). Il inaugure une nouvelle ère de paix et de sécurité qui allait renaître, le sang allait cesser de couler, la reconstruction du pays allait démarrer : « Kamanyola, c’est donc bien un nouveau départ » (p. 56). Ce souhait vers une nouvelle vie fait aussi étalage de la victoire de l’armée nationale, dans un espace géographique connu, un lieu resté mémorable.
La dernière scène de P.F.A est différente des autres pièces de théâtre ; elle s’achève par la joie et le contentement général. Les villages antagonistes font la paix à l’avènement d’un nouveau chef traditionnel, sage et intelligent. Aussi, après avoir noté ce qui fait ce contentemement général, voyons ce que peut réserver la distribution.
3.3. La distribution
Le propre au théâtre est de vouloir affecter, écrit Ross Chambers[64], et, pour ce faire, il faut avoir des individus pour réciter le texte, mieux interpréter les personnages du texte dramatique. En ce moment, intervient la parole dans le spectacle où la gestuelle se joint aux autres illustrations du texte grâce au concours du metteur en scène.
Mikanza joue sur deux types de distribution, tantôt une distribution abondante, tel est le cas dans L.B.K, P.F.A, M.E et P.M ; tantôt une distribution allégée dans Biso, T.S.F et N.S. Il choisit le rôle qui convient le mieux à l’interprétation et par rapport à leur dénomination, en ce sens que le nom corresponde au rôle à jouer dans la pièce et à l’effet qu’il produira auprès du public. Ainsi, il est à dix-sept personnages et plus d’une vingtaine ‘’de soldats ‘’ et les ‘’simba’’ invisibles, considérés comme mineurs pour L.B.K, vingt-deux pour P.F.A, représentant essentiellement l’univers paysan, quatorze pour M.E qui, selon le dramaturge lui-même sont situés « d’après leurs relations les uns aux autres ou d’après leurs fonctions, (p. 1)» et neuf dont l’origine sociale différente se révélera après pour P.M. La distribution régresse de manière symétrique avec six pour T.S.F, Biso et N.S et se rapproche du style racinien dans Phèdre et Bérénice, comme par ailleurs dans Britannicus, avec une distribution homogène à travers laquelle transparaissent néanmoins les deux figures emblématiques de la pièce, Néron et Agrippine. Aussi, par exemple, la distribution est-elle conçue de façon que Mukoko et Manga fassent figures de proue dans P.F.A, l’Etudiant et la sœur dans M.E, le malade et l’Epouse dans T.S.F, et le Meneur et l’Envoyé dans N.S.
A l’instar de la ténacité d’Hamlet, prince de Danemark, à vouloir à tout prix venger son père empoisonné par son propre frère Claudius assoiffé de pouvoir ; le personnage de Commandant en chef de l’armée dans L.B.K, tient aussi à vaincre les frères rebelles simba, accusés d’installer à profusion le trouble et de préparer un plan machiavélique contre le pays. La distribution tient compte de l’action dramatique et de l’exercice facile d’imitation perçu chez l’acteur. Mikanza a choisi ses personnages par rapport à cette donne pour, bien entendu, mieux soutenir les ressorts de l’intrigue. On remarque que la distribution réserve en grand nombre les filles étudiantes dans Biso et les femmes dans P.M, dans une moindre mesure dans T.S.F ; en sorte qu’elles parviennent à laisser leur prétendue empreinte négative et indicielle. Il va sans dire qu’au travers de ce choix dramaturgique, on pourra également atteindre l’extériorisation des unités significatives.
Section III : TROISIEME ENTREE : ANCRAGE ET UNITES SIGNIFICATIVES
Notre préoccupation se place au niveau de la présentation des unités significatives du texte dramatique qui intéressent l’analyse et qui éclairent en amont le travail d’auscultation de la structure. C’est ainsi qu’il est important de s’intéresser aux unités significatives dans une pareille étude pour déterminer leur place et leur nécessité dans l’analyse de la structure et de celle ultérieure de l’esthétique. Une manière de présenter le protocole et la détermination de ces unités significatives. A ce propos, on sait bien que la partition du texte dramatique tient compte des unités telles que les actants, le personnage, l’action, le rôle, le discours, l’espace et le temps. Pour A. J. Greimas, il s’agit de l’actant, l’acteur, le rôle et le personnage qui sont hiérarchisés et articulés. Hormis l’acteur qui a tendance à se confondre avec le personnage, les autres unités seront analysées en vue de la recherche d’une structure textuelle conduisant par la suite au modèle actantiel des pièces de théâtre de cette étude.
En sémiologie, note Anne Ubersfeld, la détermination des unités est la première démarche dans l’analyse. Or il se trouve que « dans le domaine du théâtre, elles sont particulièrement difficiles à saisir et pourraient bien à la limite ne pas être identiques selon qu’on considère le texte ou la représentation[65] ». Dans ce cas, la notion d’unité significative peut être comprise et engagée du fait qu’elle constitue d’une part, le lit où peut surgir une diversité de fonctionnement dramatique et, d’autre part, elle comprend un ensemble de moyens ou un système signifiant à la base de la construction du texte dramatique. Détentrice(s) d’un contenu signifiant, d’une (des) unité(s) dans un texte de théâtre se réfère(nt) à un tout, à une totalité ; ce qui lui (leur) convient pour se structurer. A ce niveau, loin de pouvoir en faire une analyse au sein même de la structure de chaque pièce de théâtre, notre intention est, pour bien comprendre, d’envisager leur importance et de situer leur rôle avant de les insérer dans la structure dramatique. En clair, il s’agit de les cerner comme modalités et stratégies qui participent à l’élaboration et à la présence du texte dramatique. Et, aussi, d’indiquer leur place et leur rapport dans le fonctionnement à l’intérieur du texte théâtral et dans quelle mesure elles favorisent le rapport texte-représentation, c’est-à-dire au niveau scriptural et au niveau de la représentation. D’autant plus qu’elles se complètent (se structurent) comme dans un maillon de chaîne : l’actant se détermine suivant l’action que l’on retrouve dans le discours (le dialogue) pour être exprimée à l’aide d’un rôle du personnage considéré dans l’espace et à travers le temps.
1. LES UNITES QUI PARTICIPENT DE L’ACTION
1.1. L’actant
Catégorie issue d’un modèle de base et nommée par A. J. Greimas, l’actant est différent du personnage. Il est un objet, une idée, une abstraction ou un personnage collectif, absent sur la scène ; il n’est jamais sujet de l’énonciation. La notion d’actant s’amplifie avec Vladimir Propp dans son étude de la structure des contes pour mettre l'accent sur l'action au détriment de l'agent, c’est-à-dire le personnage. La question des actants, ou des dramatis personæ, comme Propp les appelle, donne une conception des actants qui est fonctionnelle : les personnages se définissent par les « sphères d'action » auxquelles ils participent, ces sphères étant constituées par les faisceaux de fonctions qui leur sont attribués. Dès lors, l'être qui agit (agent) est, semble-t-il, conditionné par le besoin de savoir ce que fait le personnage et non qui fait quelque chose et comment il le fait. Ce qui constitue des questions qui ne se posent qu'accessoirement.
Lucien Tesnière énonce une typologie des actants qui tient compte : (i) de la communication (actants de la communication) qui met face à face le locuteur et l’allocutaire dans les dialogues ; (ii) de la narration ou l’énoncé (actants de la narration) où l’on voit le sujet et l’objet, le destinateur et le destinataire et, enfin (iii) de la fonction (actants fonctionnel) avec le sujet pragmatique et le sujet cognitif. Tous, à quelque titre que ce soit participent au procès dramatique.
En rapport avec cette typologie, P.F.A met côte à côte les notabilités de deux villages, Kipwala et Benga, réalisant leur fonction de notables. Ils font usage de la force de l’oralité où le jeu de passe-passe proverbial prend le dessus (la narration). Ils jouent aussi les communicateurs (locuteurs et allocutaires) pour la recherche d’un consensus autour des feux de brousse.
Le Quartier Général de l’armée loyaliste met à la disposition les moyens techniques de communication pour atteindre leurs différentes bases au front, rend possible la communication entre plusieurs bataillons qui sont en fait les actants de la communication dans L.B.K.
Agissant dans le cadre de différentes forces qui influencent le déroulement de l’action, un système plus épuré, plus abstrait et plus général, réduit à trois positions relationnelles : celle de l’actant sujet qui poursuit un but ; opposant obstacle à la réussite du sujet et adjuvant, l’aide du sujet dans la réalisation de sa recherche. En ce sens que, écrit J. C. Coquet, « dans une visée paradigmatique l’actant est le lieu d’une combinatoire modale, il s’agit d’étudier à la fois la combinatoire modale de l’actant-sujet, autrement dit les modalités requises pour l’identification et les relations sujet-objet ou sujet-sujet qui définissent l’actant [66]». Dans la quête de l’objet, on voit précisément l’extériorisation de cette combinatoire modale des actants chez Mikanza. Ainsi, Mayamu, le Commandant en chef, le malade, l’Etudiant et le Meneur représentent le paradigme de courageux ; ceux-ci animés par la sagesse, l’esprit de la stabilité sociale et de l’honneur comme vertu, ne peuvent obéir qu’à leur devoir. De même que la recherche de la paix (L.B.K), la poursuite du bien-être social (P.F.A, N.S, T.S.F) et la sensibilisation de l’homme sur sa responsabilité envers la jeunesse, la famille (P.M), agissent dans le cadre de cette analogie relationnelle des actants. Dans la foulée, J. C. Coquet définit le sujet du discours par sa relation à de grandes catégories sémantiques modales telles que le vouloir, le pouvoir, le savoir et le devoir. Il poursuit, disant que la combinatoire modale d’un actant autonome dispose de trois premières modalités (vps) et celle d’un actant hétéronome inclut aussi la dernière (vps-devoir).
Le récit historique de la rébellion repris dans L.B.K et dont l’émouvant chœur en fait grand écho au prologue, constitue l’appel au renforcement des énergies nécessaires à la relance du développement national et à l’éveil, à l’union des cœurs pour la construction du village (P.F.A), à la solidarité humaine (M.E, P.M) et à l’abandon des mœurs légères et immorales (N.S, T.S.F, Biso). Et, donc, autour d’un idéal concret. Pour ce faire, J. C. Coquet note que la visée syntagmatique[67] cherche à tracer l’histoire transformationnelle de l’actant. Celui-ci, dans l’accomplissement de son parcours sémiotique, précise les « programmes » qu’il entreprend suivant qu’il est en position de « sujet de quête » ou qu’il a acquis la qualité de « sujet de droit », étant en coïncidence avec son objet recherché. Lorsqu’un personnage est ce qu'il « fait » ou provoque ; il est considéré comme une fonction ou un ensemble de fonctions qui peuvent changer ou s'inverser dans le cours du récit. Un actant quant à lui peut être absent de la scène, les personnages sur scène parlent de lui, agissent en fonction de lui mais il n’apparaît jamais physiquement.
1.2. Le personnage
Le personnage théâtral – être fictif s'incarnant dans un comédien réel, être qui parle à son interlocuteur en même temps qu'au public – peut-être simultanément : un individu possédant un nom, des traits physiques distinctifs, un rôle qui peut être plus ou moins traditionnel et codé (le malade, l’épouse, le trompé, le traître...) et un actant sujet, objet, adjuvant, opposant… ; il fait partie d'un système dynamisant l'action. Le personnage se caractérise aussi par son discours qui le rattache à une classe sociale, à un groupe.
Dans la catégorie de personnage on compte trois niveaux : l'actant, l'acteur et l'individu. Tous ils tiennent un rôle lorsque l'on se réfère à ce que peut être le schéma actantiel d'une histoire ou aux schémas de différentes séquences. L’application rigoureuse du rôle de personnage au théâtre donne un effet de « quasi-personne [68]» ou « d’illusion anthropomorphique », selon P. Pavis. Il est doté d’une onomastique et d’opérateurs modaux d’autant plus qu’il sait, qu’il veut quelque chose et agit en conséquence. En témoigne aussi, à pour cet agent, l’attribution d’un pouvoir d’exemplification et de représentation généralisante, en conformité ou en rupture avec les normes et les valeurs sociétales de l’auteur et du lecteur. Selon Umberto Eco le personnage est auto-diégétique, « surnuméraire ». Avec Simonini, il est un personnage ignoble sans aucune qualité, sans morale et surtout animé d’un antisémitisme total qui motive toutes ses actions et toute sa vie. Il en est presque le cas avec le chef Manga qui sera remplacé par Mayamu, personnages tous deux « indigènes », mais avec l’avantage que Mayamu (P.F.A) est un personnage « mixte » ou « migrant », selon T. Parsons. Tandisque les adultes de P.M, la Militante (N.S) et d’autres encore dans les pièces à l’étude peuvent être qualifiés en général de « modélisations simulées de la ’’réalité sublunaire’’ [69]». Le personnage se présente d’après une hiérarchisation selon son degré de fréquence, sa position dans l’intrigue, sa fonction axiologique. Les genres, les époques ou les auteurs, permettent de mesurer et de décrire la configuration du personnage. D’un point de vue de l’anthropologie imaginaire, il est le point de spécificité, dans la mesure où cette représentation fictionnelle réfère, par-delà les variations figuratives, de l’allégorie à l’individu (Biso, allégorie de la société congolaise) ; de la métaphore à la synecdoque… (les villages Benga et Kipwala, comme réalité villageoise en RD Congo). Il peut aussi assumer des fonctions actantielles différentes.
La crise du personnage tant évoquée par R. Abirached n’a pas, à notre humble avis, effacé son rôle prépondérant dans l’art dramatique. De toute manière, avec l'avènement du naturalisme, du symbolisme et aussi des approches filmiques liées au cinéma, l'acteur se retrouve en face de rôles nécessitant une réflexion nouvelle. Mettant à profit tout son savoir-faire, il doit alors chercher de nouvelles pistes pour donner corps et voix au personnage qu'il veut incarner, trouver un savoir-être... ; ce qui l’amène à rentabiliser l’action dramatique au mieux de ses aptitudes.
1.3. L’action
Dans le Dictionnaire du théâtre, P. Pavis définit l’action comme étant constituée par l’ensemble des changements concernant les personnages à partir d’une situation initiale et aboutissant à une situation finale selon la logique d’un enchaînement de cause à effet. Ce qui situe l’action dans tout le parcours du processus dramatique, à défaut duquel le théâtre même n’a pas son caractère conflictuel ni dynamique. Ainsi, se fait jour la combinatoire des forces qui interviennent dans le drame et que tous les éléments constitutifs porteront un sens et une valeur. Sans action – l’un des piliers de la convention du genre –, le théâtre a tendance à devenir le non-théâtre.
Or, avant que l’action s’assigne dans une logique conflictuelle et dynamique, il y a une restriction. Il en est ainsi de l’unité d'action, appelée aussi unité de péril, où le théâtre classique veut une seule action principale. Par rapport à cela, Mikanza dans les pièces à l’étude, a choisi des actions ciblées : le procès de la société adulte (PM), celui du pouvoir (ME et NS), celui de la femme (Biso), la préservation de la nature (PFA), lutte contre la maladie (TSF) et lutte pour le pouvoir (LBK). Il peut y avoir des intrigues secondaires ; mais ces dernières doivent trouver leur résolution au plus tard, en même temps que l'action principale. Une fois échappé au danger qui le menace, le héros ne doit pas s'affronter à un nouveau péril qui n'est pas une conséquence directe du premier.
Au XXème siècle, le théâtre de l'absurde[70] a voulu une rupture totale par rapport aux genres plus classiques, s’appliquant à traiter fréquemment de l’absurdité de l’homme et de la vie en général. Ionesco, Adamov, Beckett, Genet, etc. sont parmi les auteurs de ces œuvres qui ont bouleversé les conventions du genre. Ionesco et Beckett notamment ont exposé une philosophie qui, entre autres, ôte toute cohérence à l'intrigue et toute logique aux propos tenus sur scène. Malgré toutes ces tentatives nouvelles qui ont affecté l’action théâtrale. L’intrigue est demeurée une unité significative incontournable. Elle contient donc la possibilité de la construction d’un modèle de structure, d’une fonction syntaxique. L’intrigue peut donner le contenu d’une absurdité implacable, d’un irréalisme inconsistant, d’une audience pathétique, etc, elle signifie à la fois sa diversité et son épanouissement dans l’évolution du temps. Camus (Malentendu) et Beckett (En attendant Godot) ont dû formuler les objections de conscience à une analyse du drame fondée sur une théorie de l'action. Ainsi, ont-ils considéré deux aspects : le monde de la vie comme modèle de l'action théâtrale, l'intrigue théâtrale comme modèle de l'action quotidienne. Mikanza construit sa dramaturgie sur le quotidien et l’action de ses pièces de théâtre, dans ce cas, s’y réfère résolument pour enfin en déterminer le rôle des intervenants.
1.4. Le rôle
Le rôle passe par l’acteur ou le comédien qui pose l’acte sur scène pour jouer ce que l’homme fait au quotidien. Aussi, l’acteur s'investit souvent dans son rôle avec sa personnalité et son vécu. Ce rôle peut changer (au travail, en famille, entre amis, etc.), il devient constituant, puisqu'il fait partie de l'identité. Le rôle est indispensable, puisqu'il donne de la cohérence à la société et une place à chacun. En cela, l’acteur de théâtre ne joue en général qu'un seul rôle à la fois, clairement défini et cohérent, afin de le rendre fort et rationnel. Il n'empêche que certains acteurs sont accusés de jouer tous leurs personnages de la même manière, de cabotiner. Ce problème du paradoxe sur le comédien est exposé par Diderot[71], qui s'oppose à l'opinion courante qui suppose que, pour être convaincant, le comédien doit ressentir les passions qu'il exprime. Diderot soutient au contraire qu'il ne s'agit que de manifestations des émotions : il faut donc faire preuve de sérénité afin d'étudier ces passions, pour ensuite les reproduire. Mais, dans cet exercice des aptitudes, qu’en est-il du rôle du théâtre : divertir ou faire réfléchir ?
Depuis longtemps, le rôle du théâtre est de critiquer la société. Critique des mœurs et critique sociale. Ainsi, à l'aide de personnages caricaturaux, le théâtre peut critiquer les mœurs : certaines personnes ont des traits de caractère particuliers accentués dans les pièces. Mikanza fait apparaître, entre autres, le rôle de « méchant » dans T.S.F assuré par la sœur du malade pour harceler l’Epouse. On voit le même rôle chez le chef Manga dans P.F.A pour narguer son homologue Mukoko et le sage Mayamu ; chez le frère aîné et les parents de la femme dans P.M pour condamner volontairement l’avenir des enfants et, l’amant de la femme de l’assassin, dans son désir ardent de supprimer la vie de ce dernier. Dans M.E, le directeur de l’administration publique abuse de l’innocence de la sœur de l’Etudiant. Le juge du tribunal, conscient et s’appuyant sur sa puissance au siège qu’il occupe, pousse l’Etudiant à un aveu déloyal. N.S livre cette méchanceté avec ce côté malveillant accru de l’homme à la machette qui, d’un coup de machette, abat un jeune homme. Cet homme à la machette étant la métaphore du pouvoir déchirant. Quant à Molière, il a dit : « Je ne sais s'il n'est pas mieux de travailler à rectifier et à adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement ». C’est comme cela que la devise de la comédie apparaît dès les années 1620 en France : « Castigat ridendo mores », elle corrige les mœurs par le rire. C’est le cas dans L'Avare où Harpagon est une caricature de personne intéressée uniquement par l'argent et délaissant son entourage.
Le théâtre s’exprime aussi pour faire face aux mystères et conflits qui inquiètent. Les créateurs de théâtre cherchent ainsi à montrer un miroir social, un reflet plus ou moins caricatural de la société, qui permet de mieux la comprendre, et de mieux dénoncer ses failles : ce rôle politique était particulièrement évident dans la Grèce antique, avec la comédie ancienne. Mais, cette citation de Hamlet de Shakespeare peut aussi être mentionnée : « for any thing so overdone is from the purpose of playing, whose end, both at the first and now, was and is, to hold, as 'twere, the mirror up to nature [72]». Le théâtre est aussi un miroir tendu à la nature : le spectateur, comme l'acteur, vient chercher une réponse, se construire une identité. Enfin, le théâtre peut avoir un effet cathartique, servant d'exutoire aux passions qui ne sont pas autorisées par la société. Le théâtre peut aussi être un divertissement, sans autre objectif que de changer les idées à ses spectateurs, par l'utilisation du comique notamment.
À noter, le travail de Mikanza qui aborde une manière de faire du théâtre résolument social et de fois politique, c'est-à-dire qu'il faisait jouer à des gens des situations conflictuelles en changeant la position des personnages. Cela permettait, selon lui, de régler certains conflits. C'est ici le prolongement de ce qu'on a appelé le théâtre militant. Un rôle correspond aussi à l'ensemble des répliques d'un personnage dans une pièce de théâtre. L'ensemble des rôles similaires à travers la littérature dramatique s'appelle un emploi. Ce terme est aussi utilisé à l'opéra et au cinéma. Un acteur joue, interprète un rôle.
Selon leur concept de « théâtragogie », le théâtre est utilisé comme un outil de formation et de socialisation. En témoignage, ce seul cas des Grecs peut nous faire comprendre la profondeur du rôle au théâtre. A l’antiquité, les Grecs continuent d’admirer non seulement les nouvelles productions théâtrales à caractère social, mais aussi les anciennes pièces grecques, et tout particulièrement les tragédies de la Grèce antique. L'importance attribuée au théâtre dans l'Antiquité est indéniable. Rappelons tout de même le cas de la Grèce ancienne où les tragédies, les comédies et les satires étaient le centre de la vie culturelle. Le public participait aux représentations, créait et improvisait l'action du rituel (methexis : μέθεξις, nom féminin) ; captivé par les pièces d’Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane et, plus tard, Ménandre, à travers lesquelles il pouvait expérimenter les différentes situations tragiques ou comiques vécues par les personnages de la pièce. Ensuite, en Grèce, le rôle du théâtre n’a pas changé depuis l’Antiquité, où il était un moyen de divertissement et d’enseignement faisant participer le public. Le succès des « poètes tragiques » était toujours directement lié à la réaction positive ou négative des spectateurs. Il en est de même aujourd’hui, surtout lors des festivals d’été d’Athènes ou d’Épidaure, au cours desquels le drame antique captive toujours autant l’attention du public.
La participation du public apporte sûrement un engouement croissant pour le milieu théâtral. L’introduction dans le théâtre grec de courants majeurs tels que le réalisme, le naturalisme ou le symbolisme a contribué à rapprocher davantage le théâtre grec du théâtre européen ou américain. La coexistence de la théorie et du jeu, dans une représentation, tient essentiellement à la coopération entre l'acteur et le metteur en scène, ainsi qu’à l’acceptation mutuelle de certaines "conventions". Dans ces courants majeurs, il ne faut y voir qu’une légère imitation sur le plan de la forme, car les personnages et les situations de la pièce étaient transformés de façon à s’adapter aux réalités grecques, pour transmettre une vision plus percutante des événements. Aujourd'hui, la réaction du public face à une représentation peut aussi être critique, si l’on accepte la théorie de Brecht sur la participation du public comme étant une sorte de distanciation (verfremdung) par rapport à ce qui est joué sur la scène.
Au XVIIIème siècle, les dénominations des rôles s’apparentent au moins à trois vocabulaires distincts : rôles de nature sociale, définissant parfois une certaine hiérarchie entre interprètes (premiers rôles, seconds rôles, rois et reines, jeunes premiers, soubrettes), types de rôles définis d’après des personnages de pièces particulières (Crispin, Agnès), rôles nommés d’après leur créateur, pratique surtout courante dans l’opéra-comique (Trial, Caillot, Dugazon). À ces catégories s’ajoutent encore des rôles définis d’après les accessoires (rôles à manteaux, rôles à livrée, rôles à baguette…).
En outre, c’est au XXème siècle que commence une nouvelle ère pour le théâtre grec, qui subit les influences du nord-ouest. De 1950 à 1960, les farces et les comédies dominent la production théâtrale. Les descriptions réalistes de la vie quotidienne des personnages comiques, les quiproquos, la satire caustique des coutumes et des habitudes grecques, de même que les tendres histoires d’amour créent l'atmosphère qui a régné sur le théâtre grec et le cinéma durant plusieurs années, fascinant le public grec de génération en génération. Aujourd'hui encore, ce théâtre demeure populaire, toujours aussi poignant et contemporain. Enrichis de nouvelles idées, les auteurs parviennent à conjuguer théâtre moderne et restitution fidèle de la vie réelle. Dans ce sens, Mikanza attribue le rôle à jouer, rôle ordinaire, mais avec la détermination d’imitation enfin de dévoiler son monde dans les pièces de théâtre. La femme, l’homme ordinaire et le chef sont des rôles les plus en vue. Toutefois, celui du chef semble prendre de l’ascendant du fait de son importance dans la culture congolaise : chef coutumier, chef d’armée, chef de clan, chef de famille, etc. considéré comme un rôle tout à fait particulier. En somme, le rôle du théâtre et des acteurs se renforce pour le seul but social. C’en est également, dans une certaine mesure, un discours porteur.
1.5. Le discours
Avant, il faut entendre qu’un discours théâtral est utilitaire et théorique dans la mesure où il véhicule quelque chose, il pose le canevas sans lequel il n’est pas considéré comme tel. Le discours théâtral est composé essentiellement de dialogues dans lesquels nous avons les répliques, les didascalies, les apartés, les monologues, les tirades, etc. Ensuite, le discours est langage de nature diverse : discours social, politique, mythologique, culturel, esthétique, etc. Toutefois, à travers le discours couve un autre, à quelque niveau que ce soit, idéologique. Au théâtre, il est perceptible dans le dialogue dramatique.
Mikanza fait passer dans la bouche de ses personnages fictifs, l’évidence des situations d’existence à la fois diverse et paradoxale. Le discours, en effet, est celui de l’homme et de la société dans laquelle il vit. Il y a un discours inquiétant chez les soldats des troupes dans L.B.K :
« Nous sommes militaires, il est vrai. Nous avons offert nos vies pour la patrie, nous le savons. Mais si nous sommes prêts à mourir sur le champ de bataille, ce n’est pas comme des rats que nous devons sacrifier nos vies ». (L.B.K, Tab III, p. 37).
Le deuxième soldat a pris son courage pour adresser cette mise en garde à son commandant. Ce discours côtoie celui de l’Etudiant de M.E qui s’en prend à sa sœur pour avoir humilié leur famille et celui accusateur du garçon dans P.M :
« Mais quel beau monde que celui des compagnons qu’on m’a donnés ! ». (L.B.K, Tab XI, p. 65).
Le garçon dans le même temps, s’indigne du comportement des adultes et de sa société. Les adultes sur lesquels il fonde tout l’espoir de bien conduire cette société qu’ils vont léguer à leur descendance. Or, il n’en est rien à ce printemps de leur vie. Le discours de Mayamu qui échange avec le notable Mala est révélateur de vérité ou susceptible de corriger des erreurs humaines :
Mala :
Lorsqu’il y a lieu de choisir entre la vie et les honneurs, choisis la vie …
Mayamu :
Les beaux colliers ne pourraient se porter, s’il n’y avait au préalable un cou. (L.B.K, Acte I, sc. 8, p. 15).
C’est dans le dialogue que l’on trouve toute sorte de discours. Le ton direct de cette phrase du Meneur : « Nous avons besoin d’eau », continue de faire croire qu’un message nous est transmis, discours parfois retentissant, impératif en vue d’une réponse satisfaisante. L’essentiel est d’en saisir la portée et d’en faire bon usage dans notre vie.
Le dialogue dramatique au théâtre, comme le dialogue dramatisé des genres narratifs, se trouve toujours quelque peu emprisonné dans un cadre monologique rigide et immuable, car la pièce de théâtre ne met en scène qu'une seule action principale. Au théâtre, celui-ci n'est pas directement exprimé par les paroles, bien sûr, mais c'est pourtant là qu'il est le plus monolithique. Il est le fait d’un échange entre deux ou plusieurs personnages et comprend une diversité de moyens qui s’accommode à l’intrigue dramatique et au contexte de l’échange. En ce sens qu’on peut parler de la stichomythie, l’aparté, la tirade ou le monologue.
Dans les pièces de théâtre à l’étude, les répliques du dialogue dramatique ne disloquent pas l'univers représenté, ne le rendent pas multidimensionnel ; au contraire, pour être vraiment dramatiques, elles ont besoin d'un univers le plus monolithique possible. Dans les pièces de théâtre, cet univers doit être taillé dans un seul bloc. Tout affaiblissement de ce monolithisme amène l'affaiblissement de l'intensité dramatique. Les personnages se rejoignent en dialoguant, dans la vision unique du dramaturge, du metteur en scène, du spectateur, sur un fond net et homogène. La conception d'une action dramatique apportant une solution à toutes les oppositions dialogiques, est elle-même totalement monologique. Une véritable multiplicité de plans (éparpillement des actions) serait préjudiciable à la pièce : l'action dramatique qui s'appuie normalement sur l'unité de l'univers représenté serait alors capable de servir de lien et d'apporter des solutions. On constate que l’action est univoque dans toutes les pièces, ce qui est aussi en rapport avec l’unité d’action au théâtre.
Dans une pièce dramatique, la combinaison de conceptions du monde autonomes, à l'intérieur d'une unité supra-conceptuelle, est impossible, la structure dramatique ne fournissant pas de base pour une telle unité. Par conséquent, dans « le roman polyphonique de Dostoïevski, le dialogue dramatique (au sens théâtral) ne peut jouer qu'un rôle tout à fait secondaire [73]». En fait, Bakhtine semble penser que, pour le théâtre, l'intentionnalité propre à toute œuvre littéraire est incompatible avec la polyphonie, parce qu'il manque au théâtre l'instance narratoriale face à laquelle les personnages peuvent s'émanciper, entrer dans une relation égalitaire de dialogisme. A ce propos, Claire Stolz écrit dans son article[74] que « l'hybridisation » narrateur/personnage, pierre de touche de la réalisation d'une polyphonie romanesque, est impossible au théâtre. Cependant, d'une part, on peut remarquer la part croissante des didascalies qui mettent en place une instance qui ressemble fort à celle du narrateur, au fur et à mesure du déroulement de l'histoire du théâtre, ces commentaires scéniques devenant parfois totalement envahissants dans le théâtre de la seconde moitié du XXème siècle (Beckett, Ionesco, Duras….), faisant même souvent entendre des voix off de « récitants » au point que l'on a pu souligner souvent une sorte de « romancisation » du théâtre.
Pour revenir au discours, la posture dialogique juxtapose la présence du dramaturge et du metteur en scène par la médiation de l'espace théâtral et scénique. Il s’agit de la « double énonciation » comme le dit Anne Ubersfeld qui inscrit le théâtre dans le domaine de l'illocutoire, voire du perlocutoire. A ce sujet, Claire Stolz pose que : « L'auteur dramatique affirme au départ : (a) ma parole suffit à donner aux praticiens l'ordre de créer les conditions de l'énonciation de mon discours ; elle constitue à elle seule cet ordre, et c'est en cela que réside sa force illocutoire ; (b) mon discours n'a de sens que dans le cadre de la représentation ; chacune des phrases de mon texte présuppose l'affirmation qu'elle est dite ou montrée sur scène, que nous sommes au théâtre.
Cette
double énonciation impose une double série de conditions d'énonciation (les
conditions d'énonciation scéniques, concrètes, et les conditions d'énonciation
imaginaires, construites par la représentation). Particulièrement, à
l'intérieur du dialogue, la voix du locuteur I (le scripteur) et la voix du
locuteur II (le personnage) sont l'une et l'autre présentes, même si elles ne
sont pas repérables en tant que telles. Poursuivant sa réflexion, Claire Stolz
dit : « la voix de l'auteur investit-désinvestit la voix du
personnage par une sorte de battement, de pulsation qui « travaille » le texte
du théâtre […] Dans la mesure où le discours théâtral est discours d'un
sujet-scripteur, il est discours d'un sujet immédiatement dessaisi de son Je,
d'un sujet qui se nie en tant que tel, qui s'affirme comme parlant la voix d'un
autre, de plusieurs autres, comme parlant sans être sujet : le discours
théâtral est discours sans sujet[75] ».
Ainsi, elle pense que la fonction du scripteur est d'organiser les conditions
d'émission d'une parole dont il nie en même temps être responsable. Discours
sans sujet, mais où s'investissent deux voix, dialoguant : c'est la première
forme, fruste, de dialogisme à l'intérieur du discours de théâtre ; dialogisme
dont il est plus facile de postuler l'existence que de relever les traces, le
plus souvent irrepérables
[76]».
Tandis que celle du dialogue permet de rendre le récit plus vivant. Le
lecteur, et c’est le cas chez Mikanza, découvre la façon de parler
des personnages à travers le niveau de langue, leurs traits de caractère,
leurs émotions ; faire avancer
l'action, les paroles peuvent modifier les relations entre
les personnages ou enclencher des péripéties et d’apporter
des informations ; le lecteur est informé des
événements passées ou à venir de l'histoire, des intentions des
personnages, de l'évolution des projets et des relations.
Enfin, le dialogisme, présent à l'intérieur même de la voix d'un personnage dont la conscience se trouve divisée, existe aussi dans ce qu'A. Ubersfeld appelle le collage et le montage d'énoncés radicalement hétérogènes qui sont l'essence même du dialogue théâtral qui confronte et oppose deux paroles : « il y a montage quand les éléments hétérogènes prennent sens par la combinaison, par la construction qui est faite avec eux ; il y a collage quand c'est l'hétérogénéité qui fait le sens, non la combinaison[77]». Pour Claire Stolz, ce collage « est constitutif du dialogue de théâtre, par un biais imprévu qui est celui du présupposé commun : s'il y a dialogue (et dialogisme), c'est que toutes les consonances et dissonances, les accords et les conflits se font autour d'un noyau commun [78]». Quand Bakhtine nie qu'il y ait dialogisme au théâtre, « il a raison, parce qu'il voit l'existence de ce noyau commun ; il a tort, parce que c'est justement ce présupposé commun qui permet la confrontation, la juxtaposition, le montage, le collage de voix différentes ». Pour discuter, il faut s'accorder sur un point, qui n'est pas mis en question, qui, non formulé, est la base même de la parole commune, s’autorise-t-elle à poursuivre sa réflexion sur le rapport théâtre et polyphonie.
2. LES UNITES QUI RECOIVENT L’ACTION
L’époque classique soumet la pièce de théâtre à une série de règles pour le besoin d’art, d’esthétique et de présentation. Le respect de ce qu’on appelle au XVIIème siècle « poème dramatique » instaure un espace sur la bienséance, la vraisemblance et les unités de temps, de lieu et d'action. Ainsi, dans une belle formule explicite, Boileau écrit :
« Qu'en un jour,
qu'en un lieu, un seul acte accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli[79] »
Rappelons que le respect ou non de cette règle engendra des débats passionnés, dont le plus célèbre fut la fameuse ''Querelle du Cid'' et, donna naissance à une abondante littérature. Cette règle, qui suscita de nombreuses contestations parmi les partisans d'un théâtre riche en rebondissements, impose une certaine concentration de l'action. C’est donc l’unité de l’action qui veut que la pièce de théâtre soit centrée sur une seule intrigue. Aristote parlait de limiter le déroulement de l'action au temps d'une ''révolution de soleil'' ; Chapelain dans sa Lettre sur la règle des vingt-quatre heures (1630) proposa de faire tenir l'action en une journée. Mikanza observe cette règle dans les actions qu’il présente parce qu’il tient à consacrer toute l’attention et à pénétrer la sensation collective.
A ce sujet, l’unité de temps, appelée aussi unité de jour ou la règle de vingt-quatre heures, tient à ce que toute l'action représentée, puisse avoir lieu dans un seul jour. J. Racine voulait rapprocher le plus possible la durée de la représentation à la durée de l'histoire (environ trois heures), mais P. de Corneille voyait la question de façon plus large et admettait que certaines de ses pièces dépassaient légèrement les vingt-quatre heures. Il insista sur le fait qu'il était impossible de faire croire que toutes les actions qui composent l'intrigue d'une pièce tiennent en vingt-quatre heures. D’où, il n'est pas crédible de faire tenir en deux ou trois heures de représentation une multitude d'événements et de retournements de situation qui s'étalent dans le temps. Cette règle fait appel au principe de la vraisemblance : elle cherche à faire coïncider au maximum la durée de l'action avec celle de la représentation théâtrale. Toutes les polémiques alimentées par cette règle mettent en évidence son aspect paradoxal : au nom de la crédibilité et de la vraisemblance, il est impossible de faire tenir de nombreuses péripéties en une seule journée. Pourtant, au nom de cette même exigence, il convient de faire tenir toute l'action en vingt-quatre heures.
L’unité de lieu veut que toute l'action représentée se déroule dans un seul endroit. On y voit la prison (PM), la véranda (TSF), le salon et le tribunal (ME), le village (PFA), le campus universitaire (Biso), la plaine de Ruzizi (LBK) qui sont des décors. Cette unité interdit de montrer à la fois un champ de bataille et ensuite l'intérieur d'un palais. Pour la tragédie, on choisit le plus souvent une salle commune à l'intérieur d'un palais ; mais Corneille croyait qu'on pouvait représenter différentes salles dans un même palais. La comédie préfère une salle dans une maison bourgeoise ou un carrefour public. L'unité de lieu exige des récits de ce qui se passe ailleurs, les récits de combats notamment, où la question de la bienséance joue aussi. L'unité de lieu, se déduisant des deux unités d’action et de temps, recommande un décor de palais pour la tragédie et d'intérieur bourgeois ou de place publique pour la comédie.
Également liée à la notion de vraisemblance, l'unité de lieu trouve les mêmes justifications que l'unité de temps : le cadre de la pièce étant nécessairement limité à l'espace imposé par la scène, il ne serait pas crédible de faire se dérouler l'action dans plusieurs endroits différents. Cette règle, qui n'est pas mentionnée chez Aristote, constitue une invention du théâtre classique et découle des impératifs de la mise en scène. Aussi se mettra-t-elle en place plus progressivement que les autres. Si, au départ, on constate une certaine tolérance à l'égard de cette règle (les déplacements des personnages sont autorisés à l'intérieur d'une même ville ou vers une ville voisine), les positions se durcirent peu à peu allant jusqu'à imposer l'unité de décor : on opta alors souvent pour un lieu propice aux rencontres (une place, un palais, une antichambre). L'effort d'imagination requis pour cette unité devrait le plus souvent justifier les aspirations vers un maximum d'homogénéité. Cette règle favorisa le recours au récit pour évoquer tout événement qui se déroule hors de la scène, on en veut pour preuve le récit de Théramène, dans Phèdre de Racine, ainsi que celui des protagonistes dans PM (la femme, l’assassin, le voleur) ; dans LBK (les soldats) et dans NS (le prologue) de lui-même Mikanza, l’auteur.
A ces trois règles fondamentales, il convient d'ajouter l'unité de ton, qui constitue une autre dimension importante de l'esthétique classique : elle imposait de maintenir le même niveau de langue dans toute la pièce et dans la bouche de tous les personnages, quel que soit leur rang. De même, la structure d’une pièce classique – et donc le déroulement de l'intrigue – répondant à des règles précises, a contre toute attente favorisé des polémiques littéraires. Aussi, au regard de quelques réticences engendrées par la codification du théâtre, le théâtre contemporain a su, à l’image de la poésie moderne, s’en débarrasser très vite. En dépit de cela, la structure interne fait recours au fond qui reprend le déroulement traditionnel d’une pièce de théâtre. C’est à ce niveau qu’il y a lieu de mentionner l’intrigue.
Chapitre 2 : LA STRUCTURE DE L’INTRIGUE
Le texte théâtral au vu de sa nature s’organise par rapport à un ensemble structuré d’éléments dont dispose l’auteur (le dramaturge) pour permettre au texte de porter une forme. Ainsi, le texte dramatique, de par l’invention de l’auteur, montre quelque chose, propose un spectacle selon l’agencement du récit (texte). Celui-ci reste tout de même une fiction, mais une fiction active du fait de l’enchaînement particulier des faits relatés ou montrés par rapport à l’action dramatique. Ces faits se révèlent au fur et à mesure suite au changement qui affecte la situation initiale vers la situation finale selon la logique d’un enchaînement de cause à effet.
A ce propos, intervient la structure dramatique qui s’attache à l’intrigue parce qu’elle est le lieu qui stabilise ce qui est donné à voir, le rendant présent, parfois excessif. Ce donné à voir – représentation ou spectacle – est la mimésis selon un ordre, une certaine organisation du texte dramatique dans laquelle on distingue trois niveaux : la fable, l’action et l’intrigue. Cette dernière étant le niveau qui comporte la substance de leur concrétion respective, il est plus que justifié que l’on fournisse une structure du texte dramatique à partir de l’intrigue.
L’intrigue donc respecte le schéma de l’exposition, du nœud dramatique avec des péripéties, et, enfin, de la situation finale (dénouement). C’est, purement un conditionnement dramaturgique qui repose sur les conventions théâtrales.
Par ailleurs, lorsque la fable doit être désignée comme la structure spécifique de l’histoire racontée par la pièce, elle n’en révèle pas totalement toutes les velléités ; et donc son fonctionnement demeure subliminaire, par le fait que le critique ou l’analyste redresse sa trajectoire chronologique et, par son insertion dans l’action et surtout dans l’intrigue, souligne de plus en plus la détermination d’une structure en profondeur dans l’intrigue où l’on découvre l’exposition, le nœud et la situation finale. C’est dire qu’on prend en compte le conflit dramatique à partir de « son point de condensation jusqu’à son point de résolution, tout en éclairant les mécanismes d’une telle progression[80] ». Dans ce sens, aussi, s’éclaire l’invention dramatique.
Cette invention, comme on peut le constater, suit un cheminement narratif logique de cause à effet dont l’intrigue détient la clé. Pour parvenir à l’intrigue elle-même, prise pour cible, moteur du drame, il y a le passage qui l’y conduit et le lieu de son aboutissement. Fort de cette dynamique par laquelle on décèle les mécanismes qui font progresser le conflit dramatique, le présent chapitre s’attardera à l’analyse de la structure d’intrigue (même dramatique) par rapport à la sphère d’influence de la trilogie exposition, nœud et dénouement, laquelle donne lieu à une linéarité qui fournit une structure interne des pièces à l’étude.
Pour respecter l’agencement de chaque pièce telle qu’elle est tissée (voir la texture), l’intrigue nous y amène, car elle est cet arrangement « des éléments et des événements qui permettent à l’action d’avancer [81]». Elle est cette référence ordonnée, elle en est le point d’appui du conflit dramatique entendu comme structure de surface de la pièce. Or, l’enchaînement d’une action dramatique se rapproche de (ou suit) celui logique des macro-propositions narratives que propose J.M. Adam, qui s’est appuyé davantage sur Claude Bremond[82], pour dégager la nature alternative de cet enchaînement correspondant aux propositions suivantes :
Pn1 : Orientation ;
Pn2 : Composition ;
Pn3 : Evaluation (hypothèse) ;
Pn4 : Résolution ;
Pn5 : Succès ou échec.
Ces étapes de l’intrigue peuvent bien sûr se complexifier au gré de l’art du dramaturge. De ce fait, on assiste ainsi souvent au dédoublement de certaines étapes et à des rebondissements. L’ordre du récit pourra ne plus suivre l’ordre logique du modèle quinaire. Toutefois, cette structure de l’intrigue se conforme à la forme, notamment dans l’exposition et à l’enchaînement (poursuite) des faits, selon une classification de Norman Friedmann[83].
Ce travail formel descriptif, expliquent Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, « repose sur quelques oppositions binaires ou ternaires qui reprennent :
i) l’acte, le personnage et la pensée tels qu’on trouve dans La Poétique d’Aristote ;
ii) le héros sympathique ou antipathique au lecteur ;
iii) l’action dont le sujet porte l’entière responsabilité et celle qu’il subit passivement ;
iv) l’amélioration et la dégradation d’une situation ». Norman Friedmann met en valeur dans le récit, trois types d’intrigues auxquels l’analyse se réfère, tels que repris ci-après :
Types |
Subdivisions |
Caractérisations |
Intrigues de destinée |
- d’action : |
un problème est posé auquel on trouve solution. |
|
- mélodramatique : |
malheur atteint le héros qui ne l’a pas mérité. |
|
- tragique : |
le héros responsable de son malheur. |
|
- de châtiment : |
le héros antipathique échoue. |
|
- cynique: |
le héros méchant triomphe à la fin. |
|
- sentimentale: |
le héros sympathique triomphe à la fin. |
|
- Apologétique : |
le héros traverse des périls et vainc. |
Intrigues de personnage |
- de maturation : |
le héros naïf, mûri progressivement. |
|
- de remise : |
il change, mais se prend dans son propre piège. |
|
- d’épreuve : |
il résiste aux épreuves ou abandonne. |
|
- de dégénération : |
à la suite des échecs, il renonce. |
Intrigues de pensée |
- d’éducation : |
il s’améliore mais son comportement est intact. |
|
- de révélation : |
dès le début, il ignore sa condition. |
|
- affective : |
les attitudes et croyances du héros changent. |
|
- de désillusion : |
il perd ses idéaux, meurt dans le désespoir. |
Cette espèce de classification, disons-le, recourt aux différentes possibilités dans lesquelles les textes sont « coulés », une reproduction d’enchaînement qui produit l’intrigue. Bien entendu, ladite classification n’est pas très rigoureuse, mais offre une certaine vision claire (moins opaque) et distincte des situations d’enchaînement logique ou causal, et surtout qu’elle met un accent particulier non seulement sur l’action, mais aussi sur le personnage, désigné souvent ici par le héros, d’autant plus qu’il est au centre de l’action dramatique. On le comprend bien quand Claude Bremond écrit : « la fonction d’une action ne peut être définie que dans la perspective des intérêts ou des initiatives d’un personnage, qui en est le patient ou l’agent [84]».
Au vu de cette typologie de Norman Friedmann, oubliée pratiquement par des théoriciens, la classification à notre sens s’appuie sur le rôle du genre, les actes de personnages et leurs convictions. Il faut dire que les intrigues de destinée sont identifiées par rapport au rôle du genre dramatique consistant à réaliser la catharsis ; celles de personnages portent sur les actes, au regard de la mimésis et celles de pensées portent sur les convictions personnelles ou individuelles des personnages. Tout se rapporte à la progression de l’action dans le système formant l’intrigue. A ce propos, comment se présente cette progression ?
1. L’EXPOSITION
Partie au cours de laquelle l’auteur livre des éléments indispensables à la saisie de la situation dramatique, « l’exposition constitue une convention dramaturgique qui pose les bases de l’action[85] ». L’exposition de P.F.A est dynamique, dans la mesure où « les informations sont transmises en action [86]» ; elle apporte dans tous les cas, les informations susceptibles d’un grand intérêt.
§1. Pas de feu pour les antilopes
Dès la scène 1 de l’Acte I, le chef Manga est très agité, tirant avec nervosité des bouffées de sa pipe. Ce comportement dénote un désarroi qui est dans son for intérieur. Lorsqu’il appelle son fils Matola, futur chef de Kipwala, il vient de prendre la décision de se débarrasser de ce désarroi.
Matola, mon enfant, cours de toute la force de tes jambes. Tu iras auprès du sorcier Dititi, des notables Mayamu, Muka et Mala. Je veux bavarder avec eux ce soir. Dis-leur cela. (P.F.A, Acte I, sc. 2, p. 8).
Mais avant la rencontre du chef Manga et des notables, la scène 1 dévoile dès le départ le sujet et la problématique qui l’entourent dans cet échange des femmes et des hommes, au retour des champs.
L’homme à la calebasse :
(…) Vous êtes devenues paresseuses. Depuis deux ans aucune femme de Kipwala n’a labouré un nouveau champ.
La femme à la cruche :
Riez bien mais essayez de nous montrer un pas de forêt déboisé par un homme depuis deux ans.
L’homme avec une pipe aux lèvres :
Vous savez bien que si nous n’avons pas déboisé, c’est parce que nous consacrons ce temps à vous approvisionner en gibier frais tué à la chasse.
La femme à nasse :
Oh ! vous parlez de provision de viande fraîche ? Que rapporte-t-on encore de ces multiples chasses et feux de brousse ? (P.F.A, Acte I, sc. 1, p. 6).
Les invités du chef Manga arrivent l’un après l’autre. Après le repas servi en leur honneur, le chef se lève pour exposer le motif de la réunion :
Le chien a quatre pattes, mais il ne peut suivre qu’un seul chemin. Je parlerai donc clairement et irai tout droit au but. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 8, p. 14). C’est pourquoi, aujourd’hui notre assemblée a pour tâche de chercher à conserver, et en bon état, la vie. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 8, p. 15). Nous y sommes : puisqu’il faut préserver la santé, cette grosse richesse, nous devons demander l’aide de la nature. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 16). Vous savez que chaque année, à pareille date, nous tenons conseil pour décider de l’ouverture des grandes chasses. (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 17).
Il s’agit bien des feux de brousse autour desquels se concentre la trame de la pièce P.F.A. Les échanges qui suivront présagent une tension, en dépit d’un développement d’arguments élogieux, flatteurs du chef Manga pour faire accepter l’organisation des feux de brousse.
§2. La bataille de Kamanyola
Le spectacle est celui de la peur dès le départ de l’exposition qualifiée aussi de dynamique. Des coups de feu et des cris d’alerte au camp militaire signalent une situation de trouble. Il y a donc une attaque des rebelles qui ont abattu un soldat veilleur à la garde du camp.
Commandant :
Tous en place. Veilleurs, sortez des rangs. Que s’est-il passé ?
Premier veilleur :
Mon commandant, nous ne savons pas.
Commandant :
Comment ? Vous étiez en faction pour garder le camp, il s’est passé un grave incident qui a coûté la vie à l’un de vos compagnons et vous ne savez pas comment cela s’est passé ? (L.B.K, Tab. I, p. 15).
Deuxième veilleur :
C’est-à-dire mon commandant, que tout s’est passé si vite que nous ne nous sommes aperçus de rien. (L.B.K, Tab. I, p. 16).
A la lumière de cet échange, un des officiers militaires propose l’envoi d’un commando de reconnaissance. C’est l’opération commando qui va « booster » la suite de l’action dramatique, après l’incident de la mort d’un soldat. Cet incident est un élément constitutif dans le fonctionnement du drame et sert à établir facilement une combinaison des forces qui interviennent.
§3. Procès à Makala
Le premier tableau contient une exposition dynamique qui institue un cadre, préparant les éléments qui évolueront d’une situation initiale à une autre situation. Le calme apparent qui accompagne leur occupation respective derrière les barreaux, se rapporte à l’impuissance de leur volonté à se soustraire de la prison. Consciemment l’assassin, le voleur et la femme reconnaissent leur manque de liberté à pouvoir côtoyer le reste de la société qui, par contre, jouit de toute leur liberté de mouvement. Ce souci apparaît dans leur dialogue :
L’assassin :
Cette radio qui diffuse continuellement de la musique. J’aimerais savoir à qui appartient cette radio. (P.M, Tab. I, p. 13).
Le voleur :
Quelle question ! Oh intellectuel… Le règlement est dur pour nos bourreaux, vous le savez.
L’assassin :
C’est donc permis ? Ah ! Et dire que deux ou trois postes de radio moisissent chez moi…
Le voleur :
Permis ? Essayez d’en faire venir un … Il faudra se préparer aussi à lui dire adieu. (P.M, Tab. I, p. 14).
La femme :
Ne cherchez pas à savoir ce qui ne vous intéressera plus guère. (…) Pour le monde libre nous sommes déjà considérés comme morts.
L’assassin :
Peuh, le monde libre ! Laissez-moi rire. Ceux qui sont de l’autre côté ne sont pas plus libres que nous. Illusions !
La femme :
En tout cas, ce ne sont pas des prisonniers. (P.M, Tab. I, p. 15).
La pièce P.M précise qu’il y a trois personnages en prison pour des faits qu’ils ont commis. Il apparaît nettement dans leur discussion que la prison ne contient pas seulement trois personnes, qu’il y a de la place pour d’autres candidats qui foulent au pied les lois dans la société. De cette manière, la prison devient une sorte de buvard susceptible d’absorber tous les marginaux.
§4. Tu es sa femme
Le dramaturge commence par une indication de l’espace qui susurre une situation de grand malaise dans le foyer du couple dont l’un est gravement malade. Bien qu’elle parle des retrouvailles à la maison du malade, après une période d’hospitalisation, l’exposition précise le sujet, d’où elle revêt un caractère dynamique.
L’hôpital est mentionné dans le dialogue entre les personnages pour annoncer qu’il y a un malade qui y a logé. L’arrivée de l’oncle et de la mère au début de la pièce fait allusion à l’hôpital :
La mère :
Comment va-t-il ? Comment va mon fils ? Nous venons de l’hôpital (…)
L’oncle :
A la porte de l’hôpital, nous avons rencontré votre amie médecin. (…) Nous ne sommes même plus entrés dans l’enceinte de l’hôpital car elle nous a informés que vous aviez été libérés. (T.S.F, Tab. I, p. 15).
En même temps que s’engage le dialogue concernant la sortie d’hôpital du malade, il est fait allusion à l’argent. Comme « un passe-partout », l’argent se cherche par n’importe quel moyen, même si on ne peut pas y recourir, on se rend malheureusement compte qu’il est au service des profiteurs sans scrupules.
L’oncle :
(…) Que ne paie-t-on plus aujourd’hui dans cette ville. Le jour n’est plus loin où il faudra payer l’ami à qui on dit bonjour dans la rue.
La mère :
Vous ne pensez pas si bien dire, mon frère ! Payer pour dire bonjour passe encore. Pouvez-vous comprendre qu’on se mette à s’enrichir en vendant les excréments des cochons ! (T.S.F, Tab. I, p. 16).
Ainsi, de la maladie qui, déjà, met sous tension les membres de famille, la discussion change et met au centre des préoccupations pécuniaires, devenues courantes, source de dissension et de malentendus divers. La ville ne s’empêche pas de garder ce genre des pratiques sans scrupules, qui alimentent des comportements méprisants.
§5. Monnaie d’échange
Un proscenium reprend une scène de recueillement dans le silence. Ce dernier, aussi inexpliqué soit-il, tend vers une communication. Ainsi, s’alternent silence et répliques interrompues de temps en temps, entrecoupées de sanglot évoquant le souvenir de la présence (voix) de la défunte mère de l’Etudiant et de la Sœur.
La sœur :
Elle n’a pas beaucoup souffert, pauvre maman. (M.E, Acte I, p. 9). Il est vrai que rien ne pouvait présager cette mort lorsqu’on voyait maman vaquer à ses activités comme de coutume. (…)
L’Etudiant :
Tu veux dire…
La sœur :
… que la mort de papa a considérablement ruiné mère. (…) (M.E, Acte I, p. 10).
La mort de la mère de l’Etudiant et de la sœur est le sujet de conversation que le dramaturge expose comme un film pour faire comprendre au public et à l’Etudiant qui vient de rentrer au pays, les circonstances qui en prévalaient. L’exercice est d’autant astucieux de la part du dramaturge et savamment construit que l’exposition de M.E est dynamique, une fois de plus.
L’Etudiant :
Il est heureux que tu sois arrivée à temps au village.
La sœur :
Oui. Dès que le télégramme m’est parvenu, (…)
L’Etudiant :
Bien entendu, maman n’avait pas été conduite à l’hôpital. (M.E, Acte I, p. 10).
La sœur :
Qui l’aurait fait ? Tu sais aussi combien loin est le dispensaire le plus proche du village. (…)
L’Etudiant :
Quand tu es arrivée, maman avait donc toute sa raison et pouvait parler encore ?
La sœur :
Oh oui, jusqu’au dernier moment, mère a gardé sa lucidité. (…)
L’Etudiant :
Dis-moi, petite-sœur, les dernières paroles de maman. Force ta mémoire et essaie de te les rappeler. (M.E, Acte I, p. 11).
Moment de recueillement, à la fois moment de deuil de l’Etudiant et de sa sœur, lequel va persister dans les préoccupations de leur vie quotidienne. Ce souvenir, il est vrai, va hanter l’esprit de ces enfants orphelins, occupés à la recherche du travail pour un bien-être apparaissant de plus en plus volatile.
§6. Notre sang
Elle est tout aussi dynamique, l’exposition de N.S, qui s’ouvre par un cauchemar où un jeune homme, genou à terre, implore l’homme masqué de ne pas abattre sa machette sur son cou. Scène quasi macabre qui augure l’écoulement du sang des innocents. Les répliques du Meneur et de l’Adjoint sont à la fois énigmatiques et interrogatives.
L’Adjoint :
La vallée se noie dans la moiteur des vapeurs vespérales.
Le Meneur :
Il fait chaud.
L’Adjoint :
Point de vent. Pas la moindre brise rafraîchissante. Le thermomètre monte dans la nuit.
Le Meneur :
L’horizon s’assombrit. Aucun signe d’espoir ?
L’Adjoint :
Aucun. L’attente augmente l’impatience. L’aube est le seul espoir. Ils attendent dans la fièvre, la sueur au front.
Le Meneur :
La nuit porte conseil. Celle-ci s’achèvera-t-elle ?
L’Adjoint :
La nuit s’écoulera. Rien désormais n’ébranlera leur détermination. (…) (N.S, Exposition, Mvt 1, p. 17).
La pièce N.S expose dès le départ le désespoir du peuple grandissant chaque jour, face au pouvoir. Le peuple, comme le reconnaît si bien le Meneur a, dans sa mémoire toute fraîche, la dernière répression sauvage des paisibles concitoyens.
§7. Biso
L’exposition présente, à l’ouverture de la pièce, les étudiantes occupées chacune à une tâche. Elle est donc dynamique. D’une radio-cassette, une musique baigne le salon où elles se trouvent pour détendre l’atmosphère, alors qu’elles semblent se concentrer sur un problème connu dans leur for intérieur. Ceci est le signe annonciateur d’un week-end au cours duquel elles entendent se faire plaisir. C’est un moment de relâchement après les cours durant l’année académique. Cette ambiance de divertissement est décrite par l’une d’elles :
Deuxième fille :
Eh les camarades, personne ne sait si les garçons ont une surboum ce soir ? (…) Il me faut danser ce soir. A tout prix. Je me rouille et je risque d’être dépassée. (Biso, Acte I, p. 1).
Ce besoin de s’amuser le soir est consécutif à l’effort fournit pendant l’année où recherche et études ont prévalu. Pour l’instant, leur corps requiert un repos. Mais, ce repos doit d’abord détendre les nerfs pour éviter qu’ils se raidissent, dans l’immobilité, au campus universitaire.
2. LE NŒUD DRAMATIQUE ET PERIPETIES
La convention au théâtre veut que le nœud d’une tragédie comprenne « les desseins des principaux personnages et tous les obstacles propres ou étrangers qui les traversent[87]». C’est ici que l’on observe les forces antagonistes du drame, dans la mesure où les obstacles rencontrés, contrarient les désirs des personnages.
§1. Pas de feu pour les antilopes
La scène 9 de l’Acte I voit le nœud commencer en premier obstacle autour du feu de brousse.
Dititi :
Chef Manga, l’herbe verte des brousses est devenue jaune. Est-ce assez pour décider que le feu prendra bien ? (…) Mais la saison est-elle avancée pour que cela se soit produit de la sorte ? Et pour le savoir, chaque année, on organise d’abord des expéditions d’éclaireurs qui étudient s’il y a beaucoup d’endroits où les bêtes se rencontrent et dorment. Nous n’avons pas entendu ici le rapport d’une telle expédition. Pourquoi voulez-vous bafouer la coutume ? (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 18).
Manga :
Quelqu’un a-t-il encore le désir d’élever le ton ou de quitter l’assemblée au nez du chef que je suis ?
Mayamu :
Chef… Je suggère que les brousses soient épargnées ainsi que les forêts. Seuls seront brûlés les arpents où nous ferons les champs de cette année. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 19). Je veux seulement prévenir les dangers qui nous guettent. En nous adonnant systématiquement à des feux de brousse, nous appauvrissons très fort le sol. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 20).
La colère du chef Manga s’accentue du fait qu’il n’a pas encore l’adhésion de tous les notables à son projet (voir scène 10).
Manga :
Qui dira ce qui provoque cette dissension parmi nous aujourd’hui ? Je tiens à vous rappeler à l’ordre et à la raison. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 10, p. 21). Qui, parmi les notables de Kipwala s’oppose à perpétuer une coutume léguée par nos ancêtres et qui est d’organiser de grandes chasses chaque année afin de fournir de la nourriture à tout le village ? Je tiens à vous dire que cela doit se décider à l’unanimité. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 10, p. 22).
Au terme d’un débat houleux qui a connu inévitablement la pression du chef coutumier, mais marqué par le respect dû à son rang, l’assemblée s’est résignée à l’acceptation d’organiser les feux de brousse.
- L’exaspération des villageois
Cette adhésion malencontreuse provoquera l’exaspération des villageois après les feux de brousse ainsi que le départ de certains d’entre eux.
Ngwanza :
(…) vous avez participé à beaucoup de feux de brousse, sont-ils toujours aussi maigres ?
Penga :
Oh, enfants, vous avez beaucoup à regretter. (…)
Mayala :
(…) ce qui est vrai, c’est que nos brousses et nos forêts sont pauvres maintenant. Dans le temps, après un feu de brousse, nous avions des provisions de viande pour toute la saison. Mais de nos jours… (P.F.A, Acte I, sc. 11, p. 26). Que va-t-il arriver maintenant ?
Mama Kola : On raconte dans le village que certaines familles qui prévoient famine et misère ont décidé de s’en aller d’ici. (P.F.A, Acte I, sc. 11, p. 27).
La faim a provoqué effectivement le départ de plusieurs familles pour se mettre à l’abri. Les feux de brousse à peine terminés, Mayamu se propose de quitter le village Kipwala dans l’unique souci d’étudier à Benga, les voies et moyens susceptibles de sauver son village de la situation de détresse qu’elle traverse.
- La désertion de Kipwala et l’apprentissage
Le départ des villageois de Kipwala vers d’autres cieux paisibles, provoque la réflexion sur le sort des villageois qui y restent encore.
Mayala : (…) Que va-t-il arriver maintenant ?
Penga :
Un désaccord ! Des départs ! Comment vont réagir nos ancêtres morts ? Je m’en vais.- Des mauvais temps se profilent à l’horizon. (P.F.A, Acte I, sc. 11, p. 26).
- L’apprentissage et le retour de Mayamu
Après avoir appris les méthodes qui font la prospérité de l’économie et des autres domaines de la vie à Benga, Mayamu revient dans l’idée de les appliquer à Kipwala et de redresser assez vite la situation.
Mayamu :
C’est pourquoi j’ai jugé bon de m’éloigner pour un temps. Les voyages instruisent et j’espère qu’en rentrant à Kipwala, je pourrai rapporter un remède à sa misère. (…) (P.F.A, Acte II, sc. 1, p. 28).
- La colère de Manga à son paroxysme
Depuis longtemps, affirme un villageois du nom de Mala (Intermède, p. 47), ceux qui quittent Kipwala ne reviennent plus. Or, pour Mayamu qui a compris où son village a failli, ce n’est pas le cas. Il est rentré pour apporter un autre message. Mais, à peine que ce message est transmis, le chef Manga fulmine de colère.
Manga :
Assez, traître.- cela suffit- Nous avons trop supporté votre insolence et votre arrogance. (…) Mais pourquoi n’y êtes-vous pas resté ? Qui vous a rappelé ici ? Muka et Mala, attrappez ce traître.- Et liez-lui les mains. (…) Dès ce soir Muka, vous irez à Benga.- Dites au chien qui règne dans ce village que moi, Manga, le provoque au combat (…) (P.F.A, Intermède, pp. 50.51).
Le nœud est scellé d’autant plus que, malgré ses écarts de langage et son comportement indécent qui laissent libre cours à la colère, Manga n’a pu résoudre les problèmes qui assaillent Kipwala. La famine, la misère et la pauvreté y ont élu domicile. Le nœud dramatique côtoie à présent l’intrigue d’épreuve et celle de châtiment, s’accentue par la crise de confiance à l’égard du chef Manga qui ne propose aucune perspective pour en sortir.
§2. Monnaie d’échange
Dans M.E, le nœud commence avec le refus de l’Etudiant qui n’accepte pas, au regard de sa moralité, ses compétences et ses diplômes, de corrompre pour se faire engager dans l’administration publique. La combinaison d’arguments et, notamment ceux relatifs à l’obtention d’un soutien fort et haut placé, au tribalisme et à la corruption sous diverses formes, a provoqué l’ordre enchâssé d’arguments (1-2-1) qui concourent à l’intrigue de maturation vers celle de mélodrame.
L’Etudiant :
(…) J’ai appris à souffrir et à trouver ma joie et mon bonheur uniquement dans un résultat- si mince soit-il- que j’acquiers par mes propres efforts. (…) (M.E, Acte I, pp. 49-50).
A ce propos, les ruses et les pratiques dont le fiancé de sa sœur indique l’importance actuelle, afin d’arracher facilement un poste de travail, l’offusquent bien qu’il s’agisse de son propre avantage, celui d’avoir très vite un travail. Il ne s’imagine pas que la corruption en soit également l’une des voies pour y parvenir.
L’Etudiant :
Ceci risque d’être au-dessus de mon entendement. Ne me dis pas qu’il faut acheter le travail, qu’il faut payer de l’argent si on veut en gagner ? (M.E, Acte I, p. 51).
Le nœud progresse lentement, en même temps que l’intrigue, lorsque l’Etudiant retarde son mariage avec sa fiancée. Dans son intransigeance, il ne veut pas se présenter au futur beau-père pour y recevoir une aide dans sa quête de travail. Il ne veut pas qu’on lui impose quelque directive dans sa vie. Il s’en estime capable sans attendre une récompense, même morale soit-elle.
L’Etudiant :
(…) je ne voudrais dans ce domaine de travail aucune immixtion… et ce, ni de mon beau-père, ni de personne d’autre. Je ne peux donner à personne le droit d’ajouter une conquête de plus à son palmarès de jeunes sortis de la boue. Je veux être libre moi-même. (M.E, Acte I, pp. 65-66).
Le comportement de l’Etudiant est jugé par son entourage, inapproprié aux conditions et circonstances actuelles de la société congolaise, en particulier et africaine, en général. Cependant, l’Etudiant adopte une attitude de marbre devant tous ces moyens malhonnêtes pour atteindre un but. Ainsi, le nœud se durcit de plus en plus pour arriver à son apogée quand il apprend du fiancé de sa sœur la mauvaise nouvelle.
Le fiancé :
C’est toi le plus grand salaud qui utilise ta sœur pour te faire engager. Salaud, oui, tu l’es et si tu peux te convaincre qu’elle suit tes instructions, tu vas dans le night-club de la rue 5. Tu y constateras comment tu as réussi à dégrader ta sœur qui, aux yeux de tous étale son déshonneur au côté de l’amant que tu lui as mis dans les pattes. (…) (M.E, Acte II, p. 115).
L’Etudiant :
Ma sœur… ce n’est pas vrai… pas vrai… je ne puis y croire… Je ne veux plus la voir… Je ne veux plus voir personne…(M.E, Acte II, p. 116).
Fini… il n’y a plus de grand frère…Je ne veux plus entendre ce mot dans ta bouche. Je ne suis plus ton grand frère. (M.E, Acte II, p. 118).
Ne contrôlant plus sa colère, l’Etudiant assène une gifle d’une telle intensité que sa sœur tombe raide morte du haut du palier. Le nœud est tendu à se rompre. L’Etudiant accusé de meurtre, doit comparaître au tribunal où d’autres chefs d’inculpation, à savoir « la subversion » et « l’abandon de famille », sont mis à sa charge.
§3. Biso
La pièce Biso pose le problème du manque de sérieux des étudiantes qui, au détriment de leurs études, sont constamment à la recherche de l’argent. C’est une sorte d’autopsie qu’offre le dramaturge au travers de leurs agissements. Que méritent-elles..., quel drame vivent-elles ?
Le nœud dramatique est voilé dans toute la pièce, se confondant à l’action elle-même. Par conséquent, Biso, pièce monocorde, est une sorte de simple narration adaptée au théâtre. De plus, et nonobstant l’absence d’un héros, tout repose sur les croyances, les attitudes des filles étudiantes. L’intrigue affective peut être appliquée à ce ’’drame-narration’’ où les pensées conduisent aux préjugés mais, sans avoir la conviction d’en sortir et de pouvoir maîtriser le destin.
§4. Notre sang
La tension est forte dès le départ car, celui que l’on considère comme le héros, c’est-à-dire le Meneur, en fait le constat : Il fait chaud, dit-il, en pleine nuit. Dans ce contexte, l’action s’enfle au point que le nœud semble la nouer au tragique qui s’accapare de la pièce N.S. L’attente de la marche s’éternise :
L’Adjoint :
C’est l’enjeu dont l’aube est le giron. Les volontés sont mobilisées. Un autre échec et ce sera un châtiment exemplaire. (…)
Le Meneur :
Réussir ou périr, vaincre ou mourir, c’est l’angoissante expectative. Le quartier se transformera en brasier au premier pas en arrière. (…) (N.S, Mvt I, pp. 18-19).
Le Meneur et l’Adjoint dans leur échange, connaissent la force de l’adversaire qu’est le pouvoir. Ils se représentent le film d’un désastre futur. Le nœud dramatique est en ce moment devenu assez extensible au risque de le voir baisser et remonter à chaque fois. Sans détour N.S étale la condition du peuple meurtri par le pouvoir politique et qui supporte une lourde facture : la faim, la mortalité infantile croissante, l’immoralité, le viol, le banditisme, les maladies endémiques, etc.
L’arrivée de l’Envoyé chez le Meneur est un moment crucial de l’intrigue. Celui-ci, après avoir fait la reconnaissance des lieux, offre au Meneur un carton des motorola piégés. L’acceptation du Meneur ouvre la voie, à la fois, aux complications qui vont suivre et à la mise sur pied des stratégies du régime politique pour suivre le déroulement de toutes les opérations de la marche qui sera organisée par le peuple.
Les représailles de l’armée envoyée par le pouvoir dictatorial font échouer le projet du héros qui consisteà renverser la tendance pour l’établissement d’un nouveau régime démocratique, épris de justice et de liberté. Ce projet échoue, le héros se sent responsable de cet handicap majeur, car il n’a pas pu sortir son peuple du gouffre. Il y a donc une intrigue tragique à ce niveau.
§5. Procès à Makala
Quatre situations différentes mais, malheureuses, concourent à l’existence du nœud dramatique. Les circonstances de la mort de la mère du garçon (Tab. II, p. 24), celle de l’enfant de l’assassin (Tab. XII, p. 81), le retrait précipité du voleur de l’école (Tab. III, p. 31) et de la femme (Tab. VI, p. 49).
Dans la mesure où l’action dramatique progresse pour éclairer la situation de chaque personnage confronté à son destin malheureux, ils prennent de plus en plus conscience de dégâts de leur passé respectif. L’intrigue de maturation dans P.M permet à chaque personnage, naïf et inexpérimenté au départ, de mûrir son raisonnement par rapport aux événements futurs. Cela est mis à profit grâce au procès conduit par le garçon en prison.
§6. La bataille de Kamanyola
L.B.K est la pièce de la peur qui grossit au fur et à mesure où l’action se développe. Le fait que les troubles provoqués par la classe politique perdurent et ne garantissent pas encore la paix, l’armée régulière au front en ressent le coup. L’état psychologique dans lequel se trouve l’armée s’aggrave par l’insuccès récolté sur le champ de bataille depuis le commencement des hostilités.
Le nœud dramatique s’agrippe autour de deux complications. La première se produit quand l’un des soldats veilleurs, commis à la garde du camp, meurt à la suite des blessures provenant d’une flèche ennemie empoisonnée. Un des officiers en fait le constat :
(…) C’est mourir à petit feu que d’être en présence d’un ennemi invisible. (…) (L.B.K, Tab. I, p. 17).
La première complication s’annonce très tôt qu’une deuxième devient nettement perceptible. D’abord, le commando de reconnaissance n’apporte pas de renseignements assez rassurants, ni fournis pour aider l’armée régulière à mettre en place une nouvelle stratégie de combat. Ensuite, le soldat blessé grièvement, lors de la mission confiée au commando, succombe :
premier soldat :
Notre camarade blessé lors de la mission de reconnaissance, mon commandant…
premier officier :
Quoi le soldat blessé ?
deuxième soldat :
Il vient de mourir, mon lieutenant. (L.B.K, Tab. III, pp. 36-37).
Au front, la mort des militaires et l’idée d’invincibilité des rebelles, enfoncent les éléments armés dans la torpeur. De plus, le manque d’équipements et matériels appropriés, la longue attente des renforts devant provenir du Quartier Général, suscitent une interrogation : que va-t-il arriver ? Cette situation contribue à l’intrigue d’action.
§7. Tu es sa femme
L’intrigue de T.S.F est tissée de manière à permettre l’action d’évoluer crescendo. Ainsi, la sortie de l’hôpital du malade va orienter toute la pièce. Dans cette évolution apparaît la crise d’humeur de la sœur du malade qui reproche à sa belle-sœur d’éloigner les enfants de leur père, parce que ce dernier est malade.
La sœur :
Vous éloignez les enfants de leur père, juste au moment où il revient à la maison. Quel sens donnez-vous à cela ? (…) Craignez-vous que vos enfants soient contaminés. (…) (T.S.F, Tab. I, p. 25).
Par l’expression : « Tu es sa femme» la sœur désigne du bout de doigt l’Epouse. C’est une désignation qui se révèle tout à coup comme une accusation grave contre l’Epouse. Elle l’accuse d’éloigner tous les enfants de leur père sans raison. Elle l’accuse d’être une femme qui ne surveille pas la vie de son époux et de feindre ne pas connaître l’origine de cette mystérieuse maladie dont souffre son grand frère. Elle est donc, en dépit de son innocence la responsable numéro 1. C’est ce qui inquiète de plus en plus l’Epouse.
L’inquiétude de l’Epouse ne fléchit pas. Accusée d’être responsable de la maladie de son époux, elle n’en connaît ni la nature, ni l’origine, ni même les moyens de le guérir. En outre, la crise s’accentue lorsqu’elle va apprendre que le sida est la maladie qui ronge son époux depuis quelque temps. Elle en sera très émue au point de se fondre par terre. Se sentant incapable de refuser ce sort, elle se résigne et demeure un moment calme. Coup de théâtre, pendant cette attente, son époux rentre dans le coma, ainsi le nœud se durcit dans un contexte mélodramatique.
3. LA SITUATION FINALE
Appelée aussi dénouement, la situation finale est le moment où la tension dramatique baisse. La pièce arrive à la fin pour la résolution du conflit étalé. Les obstacles formant le nœud cèdent ainsi que l’action et/ou l’intrigue va parvenir à un aboutissement soit heureux, soit malheureux.
Michel Pruner qui y consacre une attention particulière explique que pour le théâtre classique, le dénouement, « pour être réussi, doit être à la fois nécessaire, complet et rapide [88]». Ainsi, connaître la fin d’un récit, d’une intrigue qui a captivé l’esprit est une sorte d’exigence du côté de lecteur. De même que l’auteur doit assurer que la pièce se clôture dans une voie où il existe une résolution satisfaisante ou non. C’est cela qui permet à l’intrigue de changer en situation finale. Cette sorte d’obligation intervenant à la fin « instaure une dramaturgie de la clôture qui suppose que, la pièce achevée, tout est réglé[89]».
En premier lieu, nécessaire, le dénouement l’est au prix de la logique de la situation qui en découle et qu’il apparaît comme la seule issue possible du drame. En deuxième lieu, il est complet, quand il ne doit laisser aucun problème posé par la pièce sans y apporter une solution. Il se libère de toute incertitude sur le sort de tous les protagonistes qui ont contribué à la réussite ou à l’échec de leur objectif. Enfin, le dénouement doit être rapide, bien qu’intervenant tardivement, afin de garder toujours en éveil l’intérêt du public. Or, certaines pièces laissent subsister des doutes parce que, peut-être, l’auteur préfère que le public se fasse juge de l’issue de la pièce et imagine la fin du spectacle, comme c’est le cas dans Le Cid de Pierre de Corneille. Dans les pièces de Mikanza, nous verrons si elles répondent à ces exigences.
La mort du sorcier simba, abattu par le commandant en chef, est le déclic réel de la baisse de tension dramatique dans la pièce L.B.K. Ce revirement spectaculaire des éléments de l’armée régulière a anéanti la tension du départ qui s’aggravait continuellement.
Commandant en chef :
Voyez le sorcier. Voyez celui qui fabrique le dawa qui rend invulnérable. Il est mort. Allez à l’attaque. Les rebelles ne sont pas invulnérables. (L.B.K, Tab. VI, p. 55).
Les rebelles sont cernés au dernier assaut de l’armée nationale. A la vue du nombre réduit des rebelles, visiblement fatigués et sans armes, les soldats poussent des cris de joie. L’armée vient de remporter une victoire, peut-être inattendue, mais certaine. Dans ce cas, le conflit qui a opposé l’armée et les rebelles disparaît aussitôt. Le dénouement est jugé nécessaire et complet, car l’espoir de la paix renaît dans le pays.
Un autre espoir vient du fait que, mis face à face, Manga et Mukoko vont se mesurer à la danse, ultime scène de leur adversité. Ce genre d’épreuve qui surprend tous les villageois de Benga et de Kipwala s’illustre fort bien dans la préservation de l’énergie corporelle, après un effort physique durant deux heures d’horloge. L’expression de liesse qui suit la victoire du chef Mukoko, plus endurant que son adversaire, donne lieu à la situation finale. Le dénouement nécessaire et complet, tiré du fond même de la pièce P.F.A, est une conséquence logique des aspirations des habitants de deux villages qui vont désormais cohabiter dans la concorde et la paix.
Au tableau XII, p. 87, la didascalie montre la grande joie qui anime les pensionnaires de la prison de Makala. Le suspens vient d’être levé lorsque le gardien ouvre les cellules de chaque adulte qui bénéficie d’une amnistie. Cette heureuse mesure ne concerne que les anciens pensionnaires et non ceux qui entrent à peine en prison.
La prison doit servir de conditionnement à une nouvelle vie après un apprentissage carcéral. Le dénouement n’est pas complet parce que le garçon reste encore prisonnier et que les problèmes posés n’ont pas trouvé une solution, mais que l’issue se présente rapidement. Cette dernière exigence, dit Michel Pruner, est parfois difficile à concilier avec la précédente. Dans cette perspective, elle invite beaucoup à la réflexion, d’autant plus que le public reste dans la soif de voir le faible continuer à purger sa peine. Mikanza en est conscient et, dans la bouche du garçon, il dit aux adultes : Souvenez-vous de notre procès. Ainsi que de nos bonnes résolutions. La société… pourrait s’améliorer (Tab. XII, p. 88).
La surprise survient aussi de la situation finale de T.S.F. qui se produit dans l’inattendu. Tous les personnages sont surpris par la tournure des faits qui pourtant vont conduire à l’apaisement de la tension dramatique. C’est que, lorsque tout le monde comprend l’issue fatale et l’accepte déjà, s’annoncent les signes avant-coureurs de cette fin malheureuse. Contre toute attente, le malade sort du coma et veut parler à son épouse.
Le prophète :
Sœur ! Sœur ! Venez vite. Il veut vous parler. (T.S.F, Tab. VII, p. 65).
Par la suite le malade dit ses dernières volontés. Il rétablit l’équilibre, assurant au dénouement de la pièce T.S.F la seule issue possible et logique vers la mort dont les signes sont palpables. Le malade explique qu’il est le seul responsable de sa maladie, implore leur pardon, demande la protection de son épouse et de ses enfants. Le dénouement élimine du coup toute incertitude autour du sort de ses héritiers. De ce point de vue, il est jugé nécessaire. Chacun des personnages sait désormais se comporter en conséquence, même après la mort du malade.
Triste est la mort du malade dans T.S.F. Affligeante, malheureuse et catastrophique est la fin de N.S. Cette dernière pièce se clôture dans un bain de sang. La marche pacifique est violemment réprimée par l’armée qui encercle tous les manifestants, pris au dépourvus et incapables d’opposer une quelconque résistance. Il s’en suit une sorte de pagaille dans l’agissement du Meneur. Tout s’écroule autour de lui. Cette ambiance confuse qu’on entend, à travers le motorola depuis sa chambre, se décrit de cette manière :
Des appels désespérés, des bruits de panique…. (…) on entend des déflagrations et des coups de feu…. Le cauchemar reprend (…) (N.S, Mvt VII, p. 66).
L’Envoyé et le Curé arrivent précipitamment dans la chambre. Le premier est froid, impassible et autoritaire. Il intime l’ordre au Meneur de quitter le pays. Le deuxième implore la pitié du Seigneur. Ceci démontre à suffisance que le destin du peuple est définitivement scellé dans le malheur. Rien ne peut donc s’opposer au pouvoir du régime dictatorial en place sous prétexte d’évoquer la justice sociale, la liberté, le bien être social, etc. Le dénouement dans ce cas est rapide. Seule la sanction suprême, dans la situation finale de N.S, en est le mot d’ordre pour faire taire les contradictions qui tentent de s’élever dans le pays. La cause juste semble devenir un vœu pieu pour longtemps encore.
La même impression se dégage au dénouement de M.E qui va intervenir au tribunal de l’Etat, siégeant en matière répressive dans le dossier de l’Etudiant traduit en justice pour meurtre consommé et intentionnel de sa propre sœur. C’est le dernier moment pour parvenir à la résolution du conflit dramatique. Le meurtre n’étant qu’un accident de parcours, ne saura concourir véritablement à cette résolution, car, en fait, le conflit se place en dehors des rapports familiaux, de fraternité entre l’Etudiant et sa sœur, mais elle en dépasse les limites pour toucher à l’organisation administrative, à la gestion et à la vision politique en la matière au pays. L’avocat de l’Etudiant s’oppose à l’orientation que prend le procès au tribunal :
Objection, Votre Honneur. Voilà que nous nous écartons du sujet. Que vient faire la politique ici, alors que mon client est accusé de meurtre ? (M.E, Acte III, p. 130).
Le président du tribunal esquive mal à propos l’objection par une question :
Quelle frontière trouvez-vous entre le meurtre et la politique ? Ne vous ai-je pas rappelé au début de ce procès sa fonction ? (M.E, Acte III ; p. 130).
Les stratagèmes et les mensonges organisés par le tribunal, dans le but de mettre en évidence l’implication de la personnalité de l’Etudiant dans la subversion consistant à critiquer la politique de son pays, sont maintenant mis à découvert.
Ainsi, en dépit du verdict de culpabilité prononcé contre lui par le tribunal, la situation finale ne peut se lire qu’en faveur des éléments qui brisent ces obstacles. Il s’agit d’abord de l’aveu du président du tribunal sur sa méconduite avec la fiancée de l’Etudiant dans le but d’assouplir la peine de l’accusé. Ensuite, de celui de la femme forcée au faux témoignage, mais qui se rétracte après avoir accusé l’Etudiant de mari irresponsable et cocu. Enfin, de l’évocation des dernières paroles de la mère avant sa mort consistant en la dignité et l’honneur de la famille à préserver à tout prix. Le dénouement semble ne suivre aucun précepte ; il laisse tout de même le public perplexe à la fin de la pièce. Il n’est ni complet, ni nécessaire, mais précipite le sort de l’Etudiant dans l’incertitude.
Après la discussion sur leur vie à l’université dont les étudiantes gardent une impression moins heureuse, la fin de la toilette renforce leur coquetterie, montre qu’elles s’apprêtent à quitter le home pour se rendre à la réception. La situation finale n’est pas la conséquence des obstacles qui auraient formé le nœud dramatique, mais plutôt, elle découle de la progression de l’action qui n’est pas achevée. La détermination des étudiantes à pouvoir jouer les premiers rôles pendant la réception n’est pas non plus connue ni extériorisée. Seule une réplique donne la mesure de cette prétendue détermination : Allons-y ! A l’assaut ! (Biso, Acte I, p. 12). Le dénouement n’est pas complet.
Chapitre 3 : CATEGORISATION DES PERSONNAGES ET ACTANTS
Au regard de l’avancée des analyses théâtrales, nous avons essayé au chapitre précédent de décrire, même partiellement, la différence entre l’intrigue et l’action. Aussi, disons que dans le texte dramatique, il existe les déterminations de la présence des personnages et des indications sur les actants. Ces derniers peuvent avoir un certain nombre de relations entre les personnages et les actions dans lesquelles ils trouvent leur place. Ces relations sont tout aussi bien conditionnées par les structures textuelles.
Ainsi, la catégorisation des personnages dans un premier temps et celle des actants en second lieu, est un moyen qui envisage de parvenir à leur structure. La raison est simple, dirait-on, car l’unité appelée personnage connaît, depuis quelques années de recherche, sa propre partition en comédien, acteur, rôle, etc. Ce qui revient à dire que cette unité ne peut être étudiée isolement, ignorant d’autres. N’étant plus l’unité de base, à côté d’elle d’autres éléments apparaissent.
Le travail d’une sémiologie du personnage est de « le montrer justement comme divisible, échangeable : à la fois articulé en éléments et lui-même élément d’un ou plusieurs ensembles paradigmatiques [90]». Devenue unité provisoire, le personnage ne peut être confondu à l’actant. Ce personnage a connu une hiérarchisation grâce à A.J. Greimas, qui a étudié ‘’Actants, Acteurs, Rôles’’[91]. Et, on constate qu’à la suite d’Emile Souriau « une série de solution qu’il raffine peut-être excessivement (…), et pose une série d’unités hiérarchisées et articulées : actant, acteur, rôle, personnage, ce qui permet de retrouver les mêmes unités au niveau scriptural comme au niveau de la représentation[92]». Ce même personnage, pris comme cible d’analyse, devient encore « le lieu indéfiniment renouvelable d’une production de sens [93]», dans l’aspect hétérogène de la matière textuelle, stratifiée qu’elle est sous la forme de deux couches scripturales en interaction (les dialogues et les didascalies). Dans le même ordre d’idées, estime André Pettitjean :
« l’organisation formelle du drame moderne, reconnaît le personnage dans les fictions narratives et, d’autre part du point de vue de la sémiotique théâtrale propose, pour l’essentiel, aux niveaux d’organisation d’un récit (A.J. Greimas, E. Souriau et Propp) : la syntaxe narrative, qui positionne le personnage selon un rôle actantiel, sur la base d’un modèle anthropologique des conduites humaines (pouvoir, vouloir, savoir, agir, subir, être, paraître) et aussi l’organisation discursive, niveau auquel le personnage s’aspectualise à travers un rôle thématique ou actoriel, sous la forme spécifique d’un statut (condition, sexe, âge, caractère…)[94]».
En tant qu’unité, l’actant, est un modèle de base qui ne peut pas s’identifier directement ou totalement au personnage. Ce modèle peut revêtir une abstraction, renvoyer à un objet, à un personnage collectif ou à une réunion de plusieurs personnages pouvant devenir opposant à un sujet et à son action.
1. LA DETERMINATION DES PERSONNAGES
Le personnage du théâtre, écrit Michel Pruner, « n’est qu’une illusion proposée au spectateur ou lecteur[95] ». Pourtant, il est présent lorsqu’on lit une pièce de théâtre, on analyse les séquences ou le contenu d’un texte théâtral, car il se « construit dans l’imaginaire du lecteur à partir des éléments constitutifs que le texte fournit[96] », mais bien avant, également, dans l’imaginaire de l’auteur. Ainsi, cherchant à induire une notion du personnage, la théorie dramatique l’inscrit dans l’imaginaire collectif comme une individualité concrète qui, par la suite, obéit à une typologie.
En ce sens, le personnage acquiert une présence physique conforme à l’existence de ses actes par rapport aux autres personnages et à ce qui l’entoure. De même, il est reconnu grâce à son nom, son comportement, un lieu, une psychologie. Se soumettant au réel, la mimésis lui confie une entité virtuelle que l’analyse dramatique met à profit pour relever les éléments solidaires propices au renforcement de la présence fictive du personnage. Car, ce dernier peut fonctionner comme signe ayant sens et fonction qui sont tous extériorisés dans un ensemble de comportement, sens et objet de la quête dramatique.
Ce fonctionnement, actualisé ou pas dans le jeu de la représentation, peut être, entre autres, connu à partir d’une structure : celle qui l’identifie, découvre son statut (textuel), ses actes et l’insère dans un collectif d’existence. Comme agent dans ce collectif, le personnage agit, même si l’on considère uniquement le personnage-texte dans le rapport avec le monde. Mbala Zé écrit par rapport à cela, ceci :
« une opinion couramment répandue a cherché à imposer une lecture de Propp dans le sens d’une exclusion du personnage de la théorie de la fonction : on croit généralement voir en l’opinion présumée une résurgence de la poétique aristotélicienne qui, comme le rappelle Roland Barthes, postule que la notion de personnage est secondaire, car il peut y avoir des fables sans ‘’caractères‘’, alors qu’il ne saurait y avoir des caractères sans fables[97] ».
Loin de pouvoir céder à l’évocation d’une idée de critique anachronique ou de brouiller, à force de penser à la problématique[98] qui entoure la notion de personnage tendant à la controverse, parfois, à notre avis, vaine et ambiguë, le doute n’étant pas de mise, nous pouvons amorcer sa considération comme une unité signifiante dans une structure, au regard des pièces à l’étude. Unité signifiante, la notion de personnage n’a rien perdu de son efficience, dit André Petitjean[99] ; ce lien organique que le personnage entretient « avec la fiction dramatique, pour structurel qu’il soit, y compris dans ses formes les plus contemporaines, (…)» le gratifie de présence « dans nos discours de sens commun» : il a la force de l’évidence. Mieux encore, observe André Petitjean, pour matérialiser sa ‘’caractérisation’’, sa fonction d’usage, sur la base de l’encyclopédie qui régit notre monde de référence, est pour l’essentiel de subsumer les énoncés de paroles ou d’actions par une catégorie qui les unifie et les intègre. De développer aussi, avec les moyens explicatifs que l’on veut bien se donner, des gloses sur la singularité ou l’exemplarité de ces « êtres de papier[100] », conclut-il.
Suivant leur classification, le procédé de création et de développement des personnages, appelé la caractérisation, tient de l’origine « persona » : masque de l’acteur et du suffixe « - age » : qui vient du verbe agere, c'est-à-dire agir. C’est que le personnage correspond à une personne, une identité ou une entité dont la création tire son origine dans un travail ou un rôle d’œuvre de fiction. En plus de personnes, les personnages peuvent être des entités extraterrestres telles que perçues dans la culture populaire, des animaux, des divinités, une intelligence artificielle ou plus rarement, des objets animés. Le personnage désigne donc le caractère représenté par le masque, incarné par un acteur, celui qui agit. Le masque permet au public d’identifier immédiatement un personnage. De plus en plus, l’usage convient d’y voir une individualité ou une personnalité. Mais le personnage, au-delà de sa singularité, nous dit André Petitjean,
« fonctionne comme un repère et un indicateur générique dans la mesure où les modalités de sa caractérisation sont déterminées par une série de conventions dramatiques : conventions de contenus, types d’altérité sociale, professionnelle, sexuelle, géographique, (…) types de mœurs, de comportements, de passions, d’émotions, de sentiments… mises en discours à l’aide de motifs figuratifs et sur la base de topoï explicites ou inférables ; conflits moraux, sociaux, politiques… ou existentiels (…)[101]».
Parlant de la notion de personnage, A.J. Greimas dit que le personnage n’est pas forcément humain ou individuel. En outre, il soulève la confusion entre acteur et actant qu’il distingue en précisant qu’ « un actant peut être manifesté dans le discours par plusieurs acteurs [et que] l’inverse est également possible, un seul acteur peut être le syncrétisme de plusieurs actants[102] ». L’acteur se définit donc comme « le lieu de convergence et d’investissement des deux composantes, syntaxique et morphologique [103]».
La caractérisation – qui répond au besoin d’analyse dramaturgique – est la construction détaillée des personnages d’une histoire. Ce travail consiste, pour un auteur, à définir précisément ce qui identifie un personnage, ce qui le rend unique – raison pour laquelle on peut parler ici de héros mikanzien –, il a un nom, un physique, une origine, un style de vie, etc. Quand un personnage de fiction est particulièrement représentatif d’un trait de caractère ou d’un état d’esprit, son nom devient dans le langage courant synonyme de cet attribut. On parle ainsi d’un « Don Juan » pour évoquer un séducteur, d’un « Tartuffe » pour un bonimenteur, d’un « Candide » pour un naïf. On peut étendre le cadre avec un « débrouillard » pour un futé et un habile dans cette fournaise qu’est la vie quotidienne.
Anne Ubersfeld entrevoit le personnage comme sujet de discours dans une analyse théâtrale. Dans une autre voie, elle dit que, faisant partie « de plusieurs structures que l’on peut dire syntaxiques, il peut être considéré comme l’équivalent d’un mot, d’un lexème. Il fonctionne en tant que tel dans les structures syntaxiques : système actantiel (structure profonde) système actoriel (structure de surface)». Nous pouvons aisément indiquer que sans les personnages, leurs desseins et leurs motivations propres, l’action dramatique ne serait pas à la fois multiple et logique, ne formerait pas un réseau de structures actantielles si solidaires. C’est dans toutes ces perspectives que notre détermination des personnages s’attache pour en comprendre la portée.
1.1. Classification des personnages
1.1.1. Les héros mikanziens
Le théâtre classique réserve un espace privilégié au personnage appelé « le héros ». Personnage principal, souvent légendaire et mythique, le héros classique se distingue par des qualités exceptionnelles. Sa grandeur n’avait d’égal que cette manière d’imprimer de façon mémorable une époque, une communauté ou encore le commun des mortels. Vraisemblablement, le héros tragique, puisque c’est de lui qu’il s’agit, lutte contre la force du destin, car il est enfermé dans un dilemme. Son combat, inéluctable, n’échappe pas à la fatalité du destin qui se joue de lui pour remplir ses choix des exigences contradictoires dont il est obligé de choisir l’une. C’est le cas spécifiquement d’Antigone, Phèdre, Hamlet.
Au théâtre moderne, s’accorde-t-on de dire, il y a la tendance à la désacralisation de la scène, dans la mesure où, dans ce théâtre le héros semble disparaître, la transcendance aussi. Ce théâtre se passe de plus en plus de la présence des dieux et du désir de s’identifier aux héros (catharsis et mimèsis). En dépit de cette appréhension, il existe un théâtre tragique moderne qui reprend la notion de héros, même si les personnages sont plus proches de nous (Paul Claudel, Giraudoux, Montherlant). Cependant, on peut estimer que la tragédie moderne s’est diluée dans le drame ou le théâtre de l’absurde, surtout quand on y voit un engagement politique (J.P. Sartre), et dans la perspective de garder une fatalité simplement humaine.
En dehors de la pièce Biso, Norbert Mikanza a flirté avec la notion de héros dans les autres pièces, dès cet instant où la sagacité traditionnelle a produit Mayamu, la bravoure le commandant en chef, le courage et l’honnêteté l’Etudiant, la justice le garçon et le Meneur, la droiture le malade. Tous observés dans un contexte lié étroitement à l’imaginaire social. C’est dire que ces héros mikanziens peuvent être compris et/ou situés par rapport à la présentation des problèmes psychologiques, culturels et moraux correspondant à leurs inquiétudes, voire à l’attente des réponses chez le public. Ils sont devenus parfois une référence qui, grâce à leur fonction axiologique, leur position, leur dimension et leur distance dans l’intrigue, déclenche des mécanismes de complétude par l’intermédiaire desquels le critique leur attribue des traits comme figures à la fois finies et achevées.
Le héros dramatique chez Norbert Mikanza est un modèle qui respecte la fable et l’évolution des actions touchant au désarroi, à l’incertitude, à l’irresponsabilité. Bref, tout ce qui amène au scandale qui anéantit et cause l’échec de l’homme. Alors, Mikanza insère Mayamu entre les deux chefs apparemment redoutables dans leurs idéaux et leur prise de position dans le fonctionnement du paysage villageois. Il y a donc Mayamu, arborant un air de faiblesse qui permet d’établir la comparaison de ces deux personnalités, mais qui réussit à se hisser au sommet du trône de son village. Ainsi, grâce à la paire de héros traditionnels antinomiques, il procède par le divulguer dans P.F.A pour parvenir à deux autres modèles de sagesse et de tempérance (Mayamu et Mukoko) qui cherchent à régler le conflit au moyen de la persuasion, de la subtilité des proverbes et du respect de la tradition. Leur triomphe découle de ces moyens efficaces qui mettent à l’évidence l’intérêt collectif.
Le héros militaire de L.B.K est essentiellement habité par la bravoure appuyée de hauts faits militaires, grâce auxquels transparaissent la discipline, la conscience et la bravoure. Le Commandant en chef remplit toutes ces qualités. Arrivé au front, il prend la tête des troupes, il renforce la morale des militaires pour vaincre la rébellion.
Les pièces P.M et T.S.F montrent deux héros d’une autre espèce, en l’occurrence le garçon et le malade se retrouvant aussi dans le paysage dramatique mikanzien. Ainsi le garçon est le héros produit par les adultes en prison dans le but de faire ressortir leur propre irresponsabilité. Le garçon se substitue au procureur de la république pour juger les adultes avec justesse et efficacité. Il arrive avec beaucoup de réussite à établir la responsabilité de chacun d’eux :
Le garçon :
(…) si la vérité éclate au grand jour, elle n’en demeure pas moins odieuse. (Tab. XII, p. 83). Oh ! murs de cette prison, gardez encore longtemps l’écho de ces aveux car vous êtes les seuls témoins, de cette sincérité des adultes : ils ont enfin reconnu leurs torts envers la jeunesse. (P.M, Tab. XII, p. 84).
En dépit de l’opprobre qu’il jette sur les adultes et de son innocence étalée lors du jeu de jugement, il accepte courageusement de purger sa peine. Les autorités publiques pour lesquelles il a pris partie de manière prodigieuse, le maintiennent en prison. Dégoûté et impassible, le garçon comprend que le temps qui passe agira dans le sens d’oublier sa situation de prisonnier.
Quant au malade, un héros de dimension spirituelle, il se comporte comme un interlocuteur indispensable au point que rien ne peut se produire sans se référer à lui. Absent très souvent sur la scène, mais présent par rapport aux différentes réactions des personnes qui l’entourent. Le malade représente l’atmosphère tragique et malheureuse devenue inéluctablement son sort. Le long coma dans lequel il est plongé, l’absence de la parole et de la mobilité corporelle conviennent à son impassibilité : l’acceptation de la souffrance humaine.
Encore deux autres figures symboliques de la dramaturgie mikanzienne qui sont des champions de la contestation sociale, portées haut dans les pièces M.E et N.S. D’un côté, l’Etudiant, brave et courageux, est reconnu comme un intellectuel faisant du désaveu de la gestion de la chose publique, son cheval de bataille. Plein de lui-même, mais bien honnête, il garde constamment le sens de l’honneur et de la dignité humaine enseigné dans sa famille. Les règles de la droiture ainsi que ses idéaux ont forgé sa personnalité, malgré sa condamnation injuste par le tribunal d’Etat. C’est l’homme du changement des mentalités et de vision politique du futur. De l’autre côté, il y a aussi un homme de changement face à l’ordre établit par le régime politique sanguinaire au sommet de sa puissance. Cet homme, c’est le Meneur, exigeant, révolutionnaire et animé d’un courage capable de braver la mort. Il arbore l’habit d’un pacifiste qui, malgré le peu de chance de réussite de la marche, il tient quand même à l’organiser. Il est poussé à l’exil après la répression dans le sang de ses compatriotes. Se rendant compte de l’échec de cette marche pacifique, il perd espoir et monologue sa plus grande déception.
En face de ces personnages principaux ou les plus marquants, existent des protagonistes qui n’ont pas la même envergure, avec lesquels ils partagent le même objet de quête, les mêmes aspirations et ambitions.
1.1.2. Les protagonistes
La présence d’un motif déclenchant les événements dramatiques peut occasionner l’implication d’une limite, comme ligne de démarcation entre deux camps opposés ou lieu d’arbitrage censé les départager. Ces indications font penser à l’existence des expressions antagonistes pour déceler la nature des situations des personnages.
Ceux-ci prennent position par rapport à l’une ou l’autre expression, dans la mesure où ils se reconnaissent tous comme des protagonistes. Mais, dans une certaine mesure, ces protagonistes se présentent comme des personnages plats, qui servent le récit et dont le strict nécessaire pour l’action est révélé. Il n’en est pas moins rond, le personnage du garçon, d’autant plus qu’il est à l’origine du tribunal monté en prison et sert le récit de P.M avec les femmes proxénètes (la première et la deuxième). Il en est de même pour le prophète, la sœur, la mère et l’oncle dans T.S.F, les groupes des manifestants dans N.S, le médecin, la femme témoin dans M.E, les femmes de deux chefs, les marchands dans P.F.A, le sorcier simba, les femmes capturées par le commando dans L.B.K, les étudiants et les professeurs dans Biso qui sont tous des personnages plats.
Si, par ailleurs, un personnage, comme le dit A. Ubersfeld, « est marqué du trait roi, c’est toujours en opposition à un personnage non-roi ou autre roi ; le roi n’est roi qu’en opposition ou en redoublement à un autre[104] ». De cette manière, à travers le protagoniste de l’un ou l’autre personnage, on peut y voir un comportement identique en conformité ou en rupture avec les règles et les valeurs de la société.
1.1.3. La constellation des personnages
Nous comptons dans les pièces une constellation d’hommes et de femmes. Dans la plupart des cas, ils se représentent dans un contexte familial. Pour les femmes, on note dans T.S.F le lien familial qui unit la sœur et la mère, l’Epouse étant intégrée par celui de mariage. On peut citer dans P.M des épouses comme la ‘’femme’’, mariée avant son emprisonnement ; la femme du voleur et celle de l’assassin ; la mère du garçon et celle d’une autre femme, alors écolière. La défunte mère de l’Etudiant dans M.E, les épouses des chefs et des notables dans P.F.A. Quant aux autres, elles ont le statut des célibataires ou des fiancées (N.S, Biso) et celui spécialement d’étudiantes dans (Biso).
Ces femmes subissent la pression de la vie quotidienne, ce qui les pousse à rattraper leur ‘’temps perdu’’ pour s’offrir les moyens de survie. Souvent, elles s’y appliquent mal. Elles deviennent perfides, perverties par la passion amoureuse qui n’est pas véritablement, au départ, le moteur de leur quête, mais plutôt un moyen d’obtenir de l’argent. De cette façon, elles se réduisent à n’être que des objets, donnent un reflet de l’inconscience maladive. De toute évidence, elles font figures d’immaturité, représentent un moyen pour n’importe quel protagoniste qui veut bâtir son ‘’caractère égocentrique’’.
Les hommes particulièrement sont mariés et exercent un métier : les soldats ou les hommes de troupe en général (L.B.K), l’assassin (P.M) et le directeur de l’administration publique (M.E). Les hommes de métier : avocat, médecin, juge (M.E), marchands, potiers, sculpteurs, forgerons, etc. dans P.F.A. Ils sont chômeurs déguisés ou vendeurs, c’est le cas du voleur (P.M) ; tandis qu’il y a d’autres chômeurs désespérés dans (N.S). Ce qui, du reste ouvre la possibilité de relever la stratégie des personnages et de saisir l’essentiel dans l’ensemble de leurs rapports.
1.2. Les personnages dans leurs rapports
1.2.1. Les personnages individualisés
Avec les répercussions de la réalité quotidienne, les personnages ressemblent à ceux qui existent dans la société réelle. Ils sont reconnus par leur nom dont un référent concret s’exerce aussi, à travers le milieu, la tradition et le statut qu’ils occupent. Les personnages individualisés répondent à ce trait que René Le Senne[105] pose : « l’individu, définissable par son caractère, est jeté dès sa conception dans une histoire. Il est affecté par les événements en fonction de ses dispositions caractérielles qui interviennent dans leur accueil par le sujet et contribuent à les réfracter».
De l’individu qui fait appel à l’individualité dont l’un des sens équivaut ici à l’individualisation, signifie le cours plus ou moins dramatique des péripéties qui marquent l’individu dans la recherche de son équilibre. Pour demeurer concret, nous allons faire une sorte de critique des personnages, au regard de leur langage et leur individuation. Certes, cela, à la lumière de l’évolution récente de la critique qui permet de concevoir l’individualité d’un personnage [tragique] à l’intérieur de l’horizon du langage. Celui-ci étant considéré « comme le modèle sémantique général de la figuration[106]» d’un individu ou d’une personne.
Les chefs Manga et Mukoko ainsi que les notables dans P.F.A, se réunissent souvent au cours du Conseil des notables pour échanger et traiter du sort de leurs villages. Ils ont aussi l’occasion de se parler lors des manifestations paysannes, des rencontres de caractère commercial, culturel, funéraire, ludique, initiatique, etc.
Manga :
Matola, mon enfant, cours de toute la force de tes jambes. Tu iras auprès du sorcier Dititi, des notables Mayamu, Muka et Mala. Je veux parler avec eux ce soir. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 2, p. 8).
Mukoko :
Je vous ai réunis pour savoir si le travail avançait bien. (…) (Acte II, sc. 1, p. 31). Vous avez conduit le groupe l’an passé au grand marché Tangu. Vous avez l’expérience.- Avec vous deux à la tête de nos marchands, Kilolo et vous l’expédition sera bien dirigée. Veuillez à nous ramener les divers produits qui nous manquent. (P.F.A, Acte II, sc. 6, p. 39).
Dans ces communications que les chefs vont faire, il transparaît les gestes et les mimes qui caractérisent le corps humain. L’apparence physique s’attache à une stabilité quasi permanente, les personnages se présentent dans l’espace textuel comme un « point d’ancrage où s’unifie la diversité des signes[107]», mais aussi comme une « substance (personne, âme, caractère, individu unique) et un lieu géométrique de structures diverses, avec une fonction dialectique de médiation[108] ».
Comme individu unique, le chef Manga et son homologue Mukoko, agissant pour la destinée de chaque village, sont des personnages ronds, car ils motivent le récit. L’individualité de chaque chef fait ressortir la différence dans l’orientation à suivre, la prise des décisions et les objectifs à atteindre. Aidé par un autre individu, « le griot » se caractérise par une singularité opératoire dans les différents échanges et manifestations publiques. Il se caractérise aussi par une légitimité populaire.
Toujours au service de la communauté, il est producteur d’une parole qui met en branle une série de médiations, transmet une certaine réalité au niveau de rôles qu’il remplit pour la cause de ses semblables. Il est organisateur et auteur des rites, arbitre des palabres et éducateur des masses.
Dans P.F.A, le griot est celui dans toute circonstance qui réunit le village, détend les humeurs. Kapaya lors de l’accueil de Mayamu à Benga « partage les noix de kola, sert à boire… dans un coin apprête son nguème pour chanter », (Acte II, sc. 3, p. 33) à l’union de cœur. Pour la chasse, c’est encore lui qui anticipe les paroles que le chef va prononcer : » (…) Le chef Mukoko rappellera au peuple les règles de la chasse… (Acte II, sc. 4, p. 37). Réputé être en relation avec les esprits bienfaisants, il surveille et/ou veille sur les marchands, donne des directives susceptibles de les encourager au bon accomplissement de leur travail. Il s’adresse aux villageois de Kipwala et de Benga avant le combat de la danse, pour annoncer les dispositions prises quant à cela. Surtout, il rappelle aux villageois leur fraternité millénaire :
(…) nos ancêtres ont … décidé de vivre en bons voisins, en amis, et ils nous ont légué ce même devoir. – Ils nous ont défendu de nous déclarer la guerre entre nous. (P.F.A, Acte III, sc. p. 53).
C’est à la surprise générale que les villageois apprennent que la danse va devenir un moyen de se mesurer, afin de choisir le plus fort des combattants.
Pour les chefs, et par rapport à leur individualité, il appert deux conceptions opposées. La première est dans la perspective de la réflexion sur Manga, figure (anachronique) du chef déviant et tendant à la tyrannie, « problématise la possibilité d’instaurer une médiation entre la particularité toujours neuve des individus de la cité [village] et la légitimité d’un ordre général et contraignant[109]». Manga se remarque en tant qu’individu à controverse, par son caractère et surtout son langage, considéré comme exploration de soi.
Manga :
(…) En ce moment une seule aspiration anime tout le village, refaire des provisions de viande. Et vous venez me parler de forêt à épargner et par conséquent d’animaux à conserver pour constituer un bel héritage à nos enfants. (…) (P.F.A, Acte I, sc. 10, p. 21).
Sinon, comment expliquez-vous, sages de Kipwala, que l’antilope n’ait pas encore disparu de nos brousses ? (…) (P.F.A, Acte II, sc. 10, pp. 21-22).
Son langage est ironique et vaniteux dont le contenu essaie en vain de surmonter une situation. Dans son imposition, il prétend réfuter une situation qui ne peut être mise en cause mais, en réalité, il cherche à convaincre, se référant à une vérité inexcusable et terne. Le rapport avec la majorité des paysans est en croissante détérioration. Les abus de langage, l’insolence et l’inadéquation entre ses fonctions et sa conduite du village Kipwala, constituent des marques qui ont conduit à la rupture de confiance avec tous les paysans. Sa déchéance ne pouvait intervenir qu’en présence de toute la communauté villageoise rassemblée pour finalement juger de toute son incompétence.
La deuxième conception avantage une image du personnage à laquelle s’accroche une analyse critique des procédures publiques de réflexion, d’argumentation et de décision. Ce personnage change de façon significative au cours de l’histoire, apparaît comme modèle d’exemplarité positive.
Consacré chef en lieu et place de Manga, Mayamu, sage et intègre, a pu démontrer dès le départ la tolérance dans ses rapports avec Manga. Il est qualifié de personnage rond et dynamique. Dans la construction d’une figure dramatique du chef, Mayamu et Mukoko font partie d’un contexte anthropologique, dont la personne désigne la tradition culturelle instituant une réalité nouvelle. Il apparaît donc comme le schème de l’imagination qui élabore le contenu d’une existence paisible entre les communautés villageoises. Mukoko s’adressant à Mayamu dit :
Mon frère, les nouvelles de Kipwala que vous nous racontez, nous touchent car le danger qui le menace, nous menace tous. (…) (P.F.A, Acte II, sc. 1, p. 28.)
Sages de Benga et vous notre ami Mayamu, si nous sommes réunis aujourd’hui, ce n’est pas qu’il y ait quelque palabre à régler. Tranquillisez-vous. Plusieurs fois au cours de l’année nous organisons des marchés dans ce village, mais celui de la saison sèche est toujours spécial et demande une attentive préparation. Une réunion est donc nécessaire pour recueillir l’opinion de chacun et éviter ainsi toute précipitation ruineuse. (P.F.A, Acte II, sc. 4, p. 34).
En parlant dans ce sens, Mukoko transmet non seulement un contenu, mais de manière réflexive, énonce un jugement d’adéquation sur les conditions du bien-être social. Cette attitude se remarque aussi chez le Meneur et l’Etudiant dont l’individualité s’exprime en désaccord, pour le premier à propos des contrevérités sur la gouvernance publique et les libertés d’expression et d’action, pour le deuxième au sujet des affirmations altérées, confiées à la justice et à ses proches. Les mêmes contrevérités ont été livrées au sujet des fonds publics, de l’Etat, de la politique, etc. Le Meneur, par exemple, exprime son ras-le-bol au regard de la situation misérable du peuple.
Le Meneur :
Nous sommes des parias. Notre petit quartier dans la communauté nationale, est insignifiant et n’attire aucun regard. Et on nous oublie ! (…) Voilà longtemps que nos taudis montent les complaintes et les pleurs, (…) Parce que parias, nous ne sommes pas entendus. Aux durs d’oreilles, on parle fort. Voilà. Voilà pourquoi nous voulons parler fort. (…) (N.S, Mvt II, p. 34).
Pour l’Etudiant qui a pris position clairement au profit des faibles sans voix, sa désapprobation par rapport à l’argumentation d’insuffisance du budget de l’Etat est d’autant plus prononcée.
L’Etudiant :
…car nous sommes bien d’accord que nous n’avons même pas le budget nécessaire pour payer, je ne dis pas bien payer. Mais simplement payer le peu de cadres compétents. L’Europe y parvient en ayant une pléthore de ces cadres. (…) (M.E, Acte II, p. 88).
Pas de budget pour engager les cadres nationaux… pour les soi-disant techniciens étrangers, … ces fonds existent… deux ou trois dîners par jour… là aussi, le budget existe… (…) dilapidation des fonds… pour un jeune pays, c’est inadmissible… mais qui voit ça… tous aveugles… non, pas aveugles… tout le monde voit cela, et très bien… (…) c’est le courage qui manque… (M.E, Acte II, p. 97).
Le Meneur et l’Etudiant sont deux personnages qui accomplissent leurs individualités, dans le sens qui équivaut à l’individualisation. Ils sont identifiables au cours des péripéties grâce à leur recherche de l’équilibre social. Eu égard à leur place dans la société et à leur niveau intellectuel, ils veulent réaliser la relation à la triste vérité que tout le monde évite de désigner, craignant dès lors emprisonnement et atteinte à leur vie. Cette relation « relève de la réflexion : elle dépend en effet de la manière dont, en parlant, tel personnage définit le fait qu’il parle[110] ». C’est pourtant indiscutable, car à la suite d’Oswald Ducrot, on note que la prise de parole publiquement dans une situation telle qu’elle est décrite ici, rappelle que ‘’ce que communique le sujet parlant au moyen de son énoncé, [c’] est une qualification de l’énonciation de son énoncé’’. Conscients de la réalité ainsi que des dangers qui pèsent sur ce genre de déclaration, ces figures ont malgré tout osé tenir des propos qui mettent en relief leur « individuation » spécifiquement distincte des autres, au moment propice, mais périlleux pour en donner l’éclat qu’ils méritent.
Face à un régime fort, ces individualités ont défendu leurs compatriotes sans avoir peur. Face aux questions spécifiques de survie individuelle et collective, l’Epouse, le Commandant en chef et le garçon s’offrent un rôle difficile. Pour reconstituer l’évaluation individuelle de chacun d’eux, nous recourons à leur engagement dans la résolution de ces questions.
L’assassin, la femme et le voleur, ne sont que des affectations didactiques du dramaturge pour réussir son montage dramaturgique. On le comprend à travers ces mots adressés au garçon :
L’assassin :
Car enfin… c’est nous… les coupables. C’est notre vrai crime, en effet. (P.M, Tab. II, p. 25).
Et ceux qui auraient pu vous éviter cette mauvaise voie. (P.M, Tab. II, p. 26).
Le voleur :
Reprenons mon procès. (Tab. II, p. 27). Oui, je veux montrer à ce garçon notre tort dans son incarcération. (P.M, Tab. II, p. 28).
C’est le garçon qui va donc dévoiler le contenu aussi déplaisant que fâcheux du drame social dans P.M. Avec un grand enthousiasme, bien qu’il reconnaît la faute des adultes de l’avoir entraîné en prison, le garçon accepte d’étaler les méfaits que la société comporte chaque jour. Prenant cette responsabilité de les juger, le garçon va se conduire en conséquence pour imposer sa personnalité sur les adultes. La didascalie nous le décrit :
(…) la voix du garçon extraordinairement autoritaire et dénuée de toute l’émotion des moments précédents. (P.M, Tab. II, p. 29). Accusé levez-vous. (P.M, Tab. III, p. 30).
Ainsi, le rôle est inversé, le petit conduit les grands pour obtenir leurs aveux, les pousser à reconnaître leurs propres fautes. Il le fait sans montrer quelque signe de complexe d’infériorité dû à la culture africaine, consistant au respect strict des adultes, même s’ils sont responsables de déviations au quotidien. Il brise le mythe de la domination des adultes ─ comme la dialectique complexe de droit d’ainesse ─, de la supériorité humaine des uns envers les autres. L’épouse dans T.S.F est, elle aussi confrontée à un autre mythe traditionnel, celui de s’humilier devant les beaux-parents, de ne rien entreprendre sans en avoir recueilli leur avis au préalable. Mettant à l’écart ses exigences d’intellectuelle, l’Epouse accepte le pire, s’arme du courage et de fidélité pour demeurer auprès de son époux dont la maladie semble difficile à guérir. C’est pour cela qu’elle dit :
(…) Je sais que je suis condamnée. Je vais mourir. Je dois mourir. Je suivrai, demain ou après demain, mon mari. Je ne lui survivrai pas. (…) (T.S.F, Tab. II, p. 35).
C’est assez poignant. Cette déclaration se définit par sa dynamique propre. Car, il est difficile dans une telle situation, de garder toute sa lucidité, lorsqu’elle attend sa mort prochaine. Réservé aux émotions fortes, un tel langage répète, en les défaisant, la manière habituelle d’agir. L’intervention du tragique qui entoure la situation de l’Epouse, est la dimension où se met en place, un destin sans appel du personnage condamné à la faute. Jusqu’au bout, l’Epouse a tenu à garder tous ses sens en éveil.
Son individualité apparaît à travers ce courage qui refuse toute forme de médiation (aide) qui ne ferait qu’alourdir sa peine, comme Cassandre dans l’Agamemnon d’Eschyle. La souffrance qu’elle endure dans toute la pièce T.S.F, n’a d’égal que son exceptionnel courage féminin. Par rapport à cela, il y a aussi la vaillance du Commandant en chef, comme individualité marquante que la fiction théâtrale place vers la fin de la pièce pour promouvoir une intervention à la deus ex machina.
1.2.2. Les caractéristiques des protagonistes
Dans la pièce P.F.A, les protagonistes sont des notables des villages, Kipwala et Benga ; il s’agit des adultes de la sphère dirigeante. Ils apparaissent auprès du chef parce qu’ils remplissent le rôle de conseillers et de collaborateurs. De manière générale, chacun apporte sa contribution dans le domaine de sa connaissance. Dititi et Musongi sont des sorciers d’une autre race, gardiens des us et coutumes millénaires établies. Les autres notables aident leur village dans la résolution des problèmes agricole, commercial, artisanal, etc. pour une mutation exaltante de la vie.
Si l’on considère leur constellation, P.F.A s’organise autour d’une sphère de chefferie coutumière, placée au-dessus de toute autre structure paysanne, en face de laquelle se trouve la classe paysanne ou encore le reste des villageois. Ce système traditionnel tel qu’il est établit, conforte toute la communauté dont la stratification dépend de la famille, du clan, de l’édifice familial et de tous les avoirs possibles. Il fait du chef coutumier le symbole unanime, renforce le pouvoir exercé dans une coordination paisible, évite la guerre avec les autres villages et le séparatisme au sein d’un même village.
L.B.K au contraire, est dans la voie de disparité totale parce que l’unité est rompue au pays. Deux systèmes s’affrontent : des protagonistes qui imposent un régime dur au pouvoir sont en contradiction avec ceux qui revendiquent la mise en place d’un système démocratique. Les deux sphères sont antagonistes.
N.S, M.E et Biso, sont des pièces qui mettent en lumière la sphère du haut et celle d’en bas. La première représente la classe dirigeante au pouvoir, les nantis ; la deuxième représente le peuple qui, généralement, croupit dans la misère. Entre la classe dirigeante et le peuple se dresse un rempart que le pouvoir se force chaque jour à bâtir. C’est une gouvernance où s’exerce un partage inéquitable des richesses nationales et des revenus. En conséquence, les riches demeurent toujours au sommet de l’échelle sociale et le peuple s’appauvrit continuellement. Dans le pire des cas, la classe dirigeante au pouvoir, c’est-à-dire la haute sphère, confisque les richesses nationales, agit dans le sens de maintenir ce profond fossé qu’elle a, elle-même, creusé intentionnellement. Les protagonistes proches du peuple et le peuple lui-même souffrent de l’injustice, des sentiments égoïstes, bien plus, ils ne disposent pas d’arguments susceptibles de contrer les agissements du pouvoir.
Dans Biso, les protagonistes sont essentiellement des personnes de sexe féminin. Les étudiantes ont en commun leurs études, mais plus spécifi-quement leur grande préoccupation dans le plaisir et le divertissement. Dans P.M et T.S.F, il y a plus, un déchirement d’ordre familial dont souvent l’enfant et la femme sont des victimes. D’une part, si la famille est disloquée suite au manque criant des moyens à permettre sa promotion, les difficultés s’amoncèlent, d’autre part celles-ci se font quotidiennes et, notamment la maladie dont souffre le mari de l’Epouse. Dans ces deux pièces encore, les difficultés s’accentuent à cause de l’incompétence des hommes au pouvoir et même du système implanté dans la société.
Le procédé de fiction employé par le dramaturge opère une caractérologie dont les actions et les réactions dans toutes les pièces, tendent ‘’ à former une idiosyncrasie qui constitue leur individualité, une nature où se composent les dispositions caractérielles acquises ou greffées sur leur comportement’’. Ainsi étalé, ce constat de René Le Senne est à ce propos édifiant, car il s’apparente particulièrement à un stéréotypage.
Dans ce cadre, des stéréotypes apparaissent « plus ou moins comme éléments synthétiques de l’individualité où sont à considérer les habitudes, les plis intellectuels, même concrètement, des personnages au niveau familial, social, national [et] politique [111]». Quand prédomine l’un de ces personnages, on obtient un type individuel tel que le chef coutumier, le directeur de l’administration publique, le notable, le sorcier, le commerçant, l’officier militaire, le médecin, l’étudiant, le juge, le père, la mère[112], etc qui, au-delà de l’apparence de première vue, on atteint sous et dans l’individualité le caractère. Ce dernier est un des éléments qui permettent de classer un personnage comme étant protagoniste.
Cela dit, au théâtre, on remarque que le personnage occupe une place quelles que soient ses relations antagonistes, ses vues concordantes avec d’autres, ses préoccupations morale, politique et idéologique. Le fait qu’il agit, laisse déterminer son action. Aussi, pour en avoir une bonne saisie, il sied de recourir à la notion d’actant et au modèle actantiel avec un avantage, celui de le voir fonctionner dans un réseau plus vaste pour obtenir une ouverture plus grande de la pratique d’analyse sémiologique.
2. LA DETERMINATION DES ACTANTS
Les personnages peuvent être analysés selon qu’ils sont des patients. C’est le cas de l’Epouse du malade, des soldats au front, de garçon en prison, de l’Etudiant, du Meneur, etc, dont la critique observe un reflet de désirs, de peur et d’inquiétude, d’inconstance, de souffrance et de latence. Ce reflet semble représenter une psychologie réaliste. Dans ce sens que ces personnages offrent au public (lecteur) le moyen de comprendre leur drame. C’est par ce fait d’ailleurs qu’ils remplissent une fonction dramatique.
En tant que représentants et symboles, ces personnages sont compris pour représenter une qualité ou une abstraction donnée. Ils représentent quelque chose de plus large et d’universel. Au vu de cela, il convient alors, après avoir parlé des personnages et des protagonistes, de préciser la place des actants dans leur rôle assigné à la fois aux côtés des sujets et opposants suivant l’objet de la quête.
A propos de la notion d’actant, disons que Greimas explique l’organisation narrative du récit à partir de deux niveaux (l’un profond et l’autre superficiel), mais aussi à partir de deux composantes syntaxique et morphologique. La composante morphologique investit les unités sémantiques du texte alors que la composante syntaxique révèle la structure même du récit à la fois à travers son modèle constitutionnel (niveau profond) et son modèle actantiel (niveau de surface). En narratologie, le destinateur « narrateur », est celui qui émet le message, et le destinataire « narrataire », celui à qui s’adresse le discours énoncé. C’est grâce à ce modèle qu’on identifie des actants du récit. D’où, la sémiotique structurale de Greimas propose un premier effort de modélisation[113].
C’est justement cette actance narrative, comme manière dont le récit organise les relations, dans l’économie narrative, que s’établissent des relations, pour les pièces en études, entre :
(i) Destinateur vs Destinataire (P.F.A : Manga et Mukoko vs les villages ; P.M : le garçon vs la société ; ME : l’Etudiant vs la société ; N.S : le Meneur vs le peuple ; T.S.F : l’Epouse vs la médecine ; Biso : les Etudiantes vs la société ; L.B.K : le commandant en chef et les rebelles vs le pays). On constate que dans le cas (D1─D2) que le pays avec ses composants hommes, peuple, village et société sont constament des cibles. Précisons que « l’actance est un moment qui conditionne D1pour envisager sa relation avec D2, ainsi la position qu’il occupe (cf. Ubersfeld) à l’instant même est déterminante. Il en serait autrement s’il était dans une autre position où sa volonté, sa décision et l’(O) deviendraient inaccessibles. Et, donc l’action serait nulle[114] ».
(ii) Sujet vs Objet (P.F.A : Manga vs gibiers, Mukoko vs la prospérité ; P.M : le garçon et les adultes vs la liberté ; ME : l’Etudiant vs le travail ; N.S : le Meneur vs le bonheur et la liberté ; T.S.F : l’Epouse vs la guérison ; Biso : les Etudiantes vs le divertissement ; L.B.K : le commandant en chef et les rebelles vs le pouvoir). Ici, la liberté est la cible dans la relation (S-O). C’est l’engagement de (S) qui déclenche tout le processus de la quête.
(iii) Adjuvant vs Opposant. (P.F.A : le notables vs Mayamu et Dititi, le village vs Φ; P.M : les adultes et vs la société ; ME : la sœur, les amis vs le pouvoir ; N.S : l’Adjoint et la Militante vs le pouvoir ; T.S.F : le médecin, la famille vs les soins médicaux ; Biso : les vacances vs la réception à l’université ; L.B.K : l’armée et les fétiches vs la peur et les moyens). Ici, la relation est oppositionnelle. Ce couple n’existe que pour raviver l’actance.
L’actant désigne donc un rôle, une fonction dans une dynamique «actancielle» ─ d’après Greimas─, pour déterminer la position de chaque actant par rapport au projet central du récit. Ce projet se réalise suivant trois axes : un désir à réaliser, une communication à effectuer et une lutte à soutenir. Les six actants sont regroupés en trois oppositions formant chacune un axe de description :
- axe du vouloir (désir) : deux actants S et O. Leur relation s’appelle jonction ;
- axe du pouvoir : deux actants Adj et Op, "auxiliants" renvoyant au pouvoir-faire ou au non-pouvoir-faire ;
- axe de la transmission (ou du savoir) : deux actants D1 (narrateur) et D2 (narrataire).
Le syncrétisme actantiel fait qu’un même élément (acteur), par exemple, un personnage renferme plusieurs actants de classes différentes. C’est par exemple le garçon qui défend sa cause et celle de la société toute entière, Mayamu aussi recherche son bonheur et celui des villages Kipwala et Benga, etc. Ce qui fait qu’il est à la fois(S) et (Adj) ou de la même classe, mais pour des actions distinguées dans l’analyse. La relation entre les actants, quant à elle, constitue de manière générale l’enjeu d’une pièce théâtrale.
Peuvent être actants, expliquent P. Charvet et alii, « tous ceux ou tout ce qui est partie prenante dans le procès de l’action. Ceux-ci assument, comme des syntagmes nominaux, une fonction syntaxique dans l’action envisagée comme une phrase[115] ». Lucien Tesnière se représente la phrase comme une pièce de théâtre dans laquelle sont les acteurs, l’action, le décor et les circonstants[116]. Il utilise aussi le terme actant[117] pour désigner les unités indiquant les êtres ou les choses qui, d’une manière ou d’une autre, même en tant que simples figurants, participent au procès exprimé par le verbe.
A la réalité dramatique, procès – acteurs – circonstances, se substitue une syntaxe structurale : verbe – actants – circonstants. Lucien Tesnière trouve dans les éléments du schéma actantiel, le procès qui renvoie à un faire transformateur (processus, action), les actants, toute notion impliquée avec un rôle dans un faire transformateur marqué par le procès du verbe (acteur, agent, objet/patient, bénéficiaire, adjuvant, opposant, instrument) et des circonstants, la manière, le repère et le lieu du procès (locatif, source).
Ces deux conceptions sont proches dans la mesure où Lucien Tesnière emprunte à A.J. Greimas la notion d’adjuvant et d’opposant et, tous deux voient la prépondérance de l’action dramatique, mettant l’accent dans l’ordre structural. De la phrase au texte dramatique, l'actant reste l’élément d'une structure syntaxique qui peut être commune à plusieurs textes.
Tout compte, fait le modèle actantiel, comme le souligne bien Anne Ubersfeld, n’est pas une forme, il est plutôt une syntaxe, en ce qu’elle permet de comprendre et d’établir les combinaisons probables, la construction des rapports logiques dans l’acte dramatique. Donc, capable de générer un nombre infini de possibilités textuelles. Le modèle actantiel nous permet de voir non seulement la syntaxe du récit, mais également sa cohérence.
2.1. Au niveau de la quête ou de motivation
La problématique du ‘’drame romantique’’définie par Anne Ubersfeld, fait apparaître, outre la lutte du héros avec une force extérieure, un second schéma de conflit intérieur au personnage. Ce dernier, cherchant un objet, commence une action à l’intérieur de lui-même. On pourrait parler d’une manifestation d’un « jeu qu'entretient le personnage avec sa propre identité : dualité entre ce qu'il est et ce qu'il paraît ». Par là, il est poussé soit par sa volonté propre, soit par fatalisme, même si cela dépasse dès le départ les possibilités de son intelligence à la recherche d’un objet. C’est l’origine de la toute première action, celle qui donne le déclic de l’action dramatique. Il est donc compris dans une sorte de sphère de la quête où le sujet et l'objet forment un axe du désir.
A ce sujet, nous indiquerons dans un tableau les catégories actantielles et actants au départ des actions des pièces qui, à coup sûr, vont connaître une modification au fur et à mesure que l’action dramatique avance, avant de présenter un inventaire des actants avec des indications simples des paradigmes communs.
Tableau des catégories actantielles
ACTANTS ET FONCTIONS ACTANTIELLES |
||||||
Pièces de théâtre |
D1 |
Sujet (S) |
Objet (O) |
D2 |
Adjuvants |
Opposants |
PFA |
Préservation de la santé La chasse |
Manga |
Feu de brousse, gibiers. |
Village Kipwala, paysans (peuple) |
Mala, Muka, Kubi
|
Mayamu, Dititi |
LBK |
Le pouvoir |
L’armée |
La paix |
Le pays, le peuple |
L’armée, commandant en chef, courage |
Les simba, le dawa, la peur, l’inquiétude, |
PM |
Désir de bonne vie |
Les adultes |
Le bien être social |
La famille, les adultes |
L’argent, le vol, le meurtre l’égoïsme… |
Le système social établi, la corruption, les anti valeurs |
ME |
Le bien être social |
L’Etudiant |
Le travail |
La famille, le pays, le peuple |
La sœur, le fiancé, la fiancée, le directeur |
Le système administratif, le régime politique |
TSF |
L’amour conjugal |
L’épouse |
La guérison, la vie |
Le malade |
Le médecin, la mère, l’oncle, la sœur, le prophète |
La nature et la résistance de la maladie, le sida |
NS |
Le changement du régime |
Le Meneur |
Le progrès social |
Le pays, le peuple |
L’Adjoint, la militante, les manifestants |
Le pouvoir politique, l’envoyé, le curé |
Biso |
La volonté de jouissance |
Les étudiantes |
La danse |
Les étudiantes |
Les artifices de beauté et la coquetterie |
Le sentiment d’être abandonnées |
|
Au vu de ce tableau, l’actant compte tenu de son attachement total à l’action dramatique et aux différents rapports qu’il peut avoir, n’est pas un élément isolable. Cette catégorie, comme cela a été déjà indiqué, remplit une fonction à travers des rapports ou liaisons structurales. Et, au niveau de la quête ou de la recherche d’un objet quelconque, l’impulsion du D1 (Destinateur) est le prétexte que détient le Sujet (S) pour agir, la force quasi irrésistible qui le pousse. Dans ce cas, la relation Sujet (S) – Objet (O) devient la relation narrative primordiale à laquelle on joint un couple parallèle Destinateur (D1) - Destinataire (D2).
Le couple (Destinateur) D1― S (Sujet) permet la concrétisation ou non de la quête de l’objet, de manière à ce que ‘’le désir’’ qu’a le Sujet (S), ‘’l’intérêt’’ qu’il porte et ‘’la volonté’’ qui l’anime, propulsent le mouvement de l’action à entreprendre et, partant, de tout le texte dramatique. La lecture immédiate et objective de l’orientation du vecteur (D1 vers S), agissant sur S, fait observer des motivations d’ordre tantôt personnel et psychologique, tantôt collectif, intériorisées et déterminant l’action du Sujet (S), des faits dramatiques dictés par l’essence même des problèmes posés pour parvenir à des résultats suivant que l’on est Adjuvant (A) ou Opposant (Op).
C’est en fait autour du désir, de la volonté et de toute autre préoccupation que ressent le Sujet (S) que le schéma actantiel s’organise, s’effectue la mobilité et la fonctionnalité de tout le texte dramatique, quels que soient les motifs d’agir.
Ces différents schémas opérant à partir d’une matrice de base D1 (le Destinateur), se représentent comme un ensemble d’éléments qui programment la quête. La catégorie du Destinateur, – selon Anne Ubersfeld – est donc « un ensemble abstrait ou pluriel souvent complexe dans son extension d’attribution de fonction. Abstrait le Destinateur (D1) l’est, tandis que le Sujet (S) demeure une figure concrète, animée. C’est elle qui prend la décision d’agir et de se lancer dans la quête à son profit et à celui d’un Destinataire (D2). Cette expression schématique limitée au triangle formé par (D1) le Destinateur, (S) le Sujet, (D2) le Destinataire et (O) l’Objet, revèle une relation entre les différents éléments connus.
S
D1 D2 0
Pour
illustrer notre entendement, ce triangle se présente ainsi :
Ce triangle, pour ainsi dire, indique le poids que supporte l’Objet (O) d’autant plus que les deux extrémités du vecteur le Destinateur (D1) et le Destinataire (D2) poussent le Sujet (S) à se rapprocher de plus en plus du but, c’est-à-dire de l’Objet (O), de manière à ce que l’atteinte de l’Objet (O) voit le triangle disparaître pour laisser apparaître un axe horizontal (D1−S/O−D2) qu’on qualifierait de l’axe de satisfaction. Le Destinateur (D1) et le Destinataire (D2) sont comparables à la pesanteur qui attire le Sujet (S) vers le bas, c’est-à-dire vers l’Objet (O), niveau où toutes les tractations sociale, politique, culturelle et économique peuvent avoir lieu. Aussi, les différents schémas qui vont se réaliser par rapport au tableau des catégories actantielles et actants, y trouvent leur conformité, leur déroulement et leur sens.
2.2. Le niveau d’analyse paradigmatique
L’analyse paradigmatique de toutes les catégories actantielles tient compte dudit triangle que nous appelons « triangle de la quête[118] », combinant volonté du Sujet (S) et l’Objet (O) à rechercher pour le Destinataire (D2) et, un peu comme le fait Anne Ubersfeld pour « le triangle de motivation». Ce dernier cadré sur l’élément du pouvoir enclenché dans l’acte de départ (D)―(S) qui impulse sur l’axe du désir (S)―(O) plutôt que sur celui conflictuel relevant du triangle fondamental ou du conflit. Comme l’un des moteurs de l’action, les deux triangles – qui prend en compte la motivation et le conflit engagé plus tard – forment une autre figure géométrique : le losange. Cette figure à l’intérieur de deux triangles qui se compénètrent, détermine les transformations intervenues dans la relation qui s’établit entre le Sujet (S) et l’Objet (O).
Triangle de la motivation
Triangle du conflit
Ce triangle de la quête en effet, répond à l’importance et à la pertinence que prend dès le départ l’action dramatique. C’est la situation où il existe un projet que forme le Sujet (S) pour qu’enfin se produise le reste des combinaisons actantielles, c’est-à-dire le projet ou le dessein que le Sujet (S) voudrait voir se réaliser.
Le niveau paradigmatique structure les actants et personnages de manière à les retrouver par rapport à leurs objectifs et lieu d’existence. Dans le cas des paysans de P.F.A., il existe la notabilité et le reste du village ; dans les autres pièces de théâtre l’environnement citadin est formé par les riches et les pauvres, les autorités administratives et leurs administrés, ainsi que les jeunes et les adultes.
2.2.1 De la quête des hommes.
a) La lutte pour le pouvoir
Dans la quête, il y a la recherche autour du pouvoir. Les pièces N.S et M.E, particulièrement, formeraient comme une sorte de communauté d’enjeux ; celle qui entrevoit dans ces desseins notoires, la dictature, l’égocentrisme et la turpitude, ferments de la grande dérive de la société humaine. Le pouvoir, en tant que tel, est un appât venant du gain incommensurable pour des déséquilibrés et des arrivistes qui y trouvent refuge, en mettant toute la communauté à l’écart. N.S et M.E montrent en face des hommes du pouvoir, le peuple qui subit affable et réclame le mieux-être et la justice sociale. L’eau pour N.S et le travail pour M.E, en sont les moyens de rétablir cette justice sociale que lui refusent les gouvernants. Le pouvoir devient quelque chose de lutte permanente. Le pouvoir se lit comme représentant et jouant un jeu déloyal et perfide. L.B.K montre la lutte politique par des armes interposées entre le pouvoir en place et la rébellion. Deux camps politiques qui tentent, de confirmer leur savoir-faire, dans leur organisation et leur fonctionnement, de prouver ce qu’ils sont réellement au peuple. Ce dernier aurait dû, en principe, devenir l’arbitre dans ce jeu politique dangereux où son propre sang n’est pas épargné. Mais, l’arbitrage se fait malheureusement par le bout du canon, le plus fort l’emporte sur le faible.
En combattant pour le pouvoir, le Commandant en chef dans L.B.K, bénéficie de l’appui de l’armée nationale pour le garder et y demeurer le plus longtemps possible. La rébellion, composée des Simba Mayi-Mayi et d’une bonne frange du peuple est conduite par l’esprit révolutionnaire pour renverser le régime en place.
On y détecte deux stratégies militaires. L’armée nationale emploie la technique moderne de combat, munie des armes européennes et d’autres astuces militaires, s’offre le mode de commandement hiérarchique, la discipline et l’ordre. La rébellion quant à elle, utilise la technique de guérilla, des feuilles de plantes comme tenues de guerre, des fétiches (le dawa) et le sorcier. Elle met en évidence l’idée de la démocratie, moteur du progrès social véritable.
Dans un premier temps, l’assurance de l’armée à remporter la guerre reste vivace ; elle cède par la suite à une grande inquiétude et la peur en permanence. Du côté des rebelles, l’invisibilité et l’invincibilité programmées donnent des ailes aux Mayi-Mayi qui, grâce à l’esprit conquérant et à la nature des terrains de combat, mettent en déroute les troupes armées.
P.F.A donne à voir une autre lecture du pouvoir. Elle institue un pouvoir ancestral issu du cadre traditionnel et de ses exigences. Le chef est le gardien de la coutume, aidé par les notables dont chacun dispose d’une charge spécifique, précise. C’est de cette manière qu’il est appelé chef coutumier à la tête d’un village ou de quelques villages, peu importe le nombre d’habitants. Ce pouvoir s’identifie au système mis en place par la société, pour implanter le système ancestral et ses effets qualitatifs sur l’individu et la communauté villageoise. Dans ce sens, et contrairement à ce qu’on peut s’attendre, le chef Manga prétend, par sa position, à ne pas faire des concessions aux allégations de Mayamu et du sorcier Dititi, ainsi qu’à la volonté populaire. Il pense tout aussi avoir le pouvoir sur les villageois et sur la nature, la faune et la flore. Il proclame en toute impunité, et sans vergogne son arrogance, estimant que ses fonctions de chef coutumier l’y obligent. Cette intransigeance provoque une division dans la population paysanne pour aboutir finalement à un nouveau choix basé sur la « méritocratie », à la manière traditionnelle. Malgré donc le caractère sacré du chef institué par la tradition, les villageois ont été obligés de jeter leur dévolu à un autre, plus proche et attentif à leurs préoccupations.
b) La société basée sur le lien de profit personnel
Autour de l’amour familial et fraternel, P.M extériorise le gain facile des hommes, le père de la femme, celui du garçon, pour cautionner des mariages forcés aux dépens de l’amour parental. L’argent force leur appétit quand ils pensent résoudre leur situation de pauvreté. Dans ces conditions, les parents bénéficiaires ignorent totalement l’avenir des enfants. Ces derniers ne sont aidés ni par des proches parents, ni même par la société.
De même, l’Etudiant n’est pas aidé de façon loyale dans sa quête de voir la société actuelle, qui s’accroche aux pratiques rétrogrades et malhonnêtes, s’améliorer pour le bien de tous. En effet, et au regard de comportement du directeur de l’administration publique qui prétend être patriote, on constate plutôt que son attachement à l’argent démontre au grand jour son manque d’humanité et de fraternité. C’est un individu qui verse dans la concussion, la corruption et l’immoralité flagrante. L’Etudiant qui ne partage pas les mêmes aspirations avec sa fiancée, sa sœur, le fiancé de celle-ci et, particulièrement avec les dirigeants au pouvoir, ne dispose en fait que de son propre courage, de son honnêteté intellectuelle. Et, en définitive, il ne peut qu’être rangé en marge de la société.
L’amour patriotique ne s’invite donc pas au travers de l’action dramatique de M.E. Cependant, l’amour fraternel de la sœur envers son frère, l’Etudiant, ainsi qu’entre ce dernier et son entourage immédiat est perceptible, mais sans un effet positif. Par ailleurs, T.S.F prône ou fait état d’un amour fraternel entre la sœur et le grand-frère malade, entre l’oncle et la mère pour leur amour envers le malade. Malheureusement, cet amour ne conduit pas à l’unité familiale. L’Epouse est tout le temps considérée comme un élément séparateur de l’univers familial. Ainsi, la guérison tant souhaitée par toute la famille engendre deux approches différentes. L’Epouse et le médecin font confiance à la médecine moderne pour sauver le malade. Elles sont guidées par le rationalisme, les espaces tels que l’hôpital, la maison, le milieu professionnel, mais aussi par les produits pharmaceutiques, l’argent, le lit sur lequel est couché le malade, etc. Tandis que l’oncle et la mère préfèrent guérir le malade avec le concours de la médecine traditionnelle. Ils évoquent les vertus que disposent les plantes et la dextérité du devin et des autres fétichistes. Sans moyens financiers, ils n’ont qu’à mettre à profit leur conviction des parents qui s’exerce comme respect des us et coutumes établis.
L’amour charnel se lit dans Biso. Tous les moyens pour que cet amour prenne le dessus sont bons pour les étudiantes en quête de plaisir et de liberté. Leurs sentiments, très forts, ne peuvent aider qu’à asseoir leur hantise effrénée. Elles sont par le concours de circonstance, encouragées par l’environnement estudiantin du campus, la période des vacances, la convoitise des ‘’grosses légumes’’ parées des habits haut de gamme, des bijoux de grande valeur avec des limousines étincelantes ainsi que par l’organisation de la réception à laquelle elles sont conviées.
Quant à la situation qui se passe aux villages, naturellement, le peuple face au chef coutumier demeure obéissant, car rien ne met en doute son autorité ni sa sagesse à conduire le destin villageois. C’est le cas pour le chef Mukoko puisque le village Benga s’identifie à lui. A l’opposé, le village Kipwala est le lieu où cette identification est brisée, la confiance ne règne pas entre le chef et un groupe de notables. Ainsi, l’image que nous présente le village est ambivalente : l’un est aux antipodes de la réalité paysanne, tandis que l’autre ne l’est pas, c’est-à-dire que la misère règne à Kipwala et la prospérité à Benga. La volonté des villageois à Benga, les activités qui s’y exercent et leur chef sont les actants de cette prospérité ; tandis qu’à Kipwala, ce sont le chef, quelques notables encourageant les feux de brousse, l’inactivité et la pauvreté qui consolident la misère.
2.2.2 Du modèle de système social
N.S et M.E gardent un modèle de société dans laquelle règne en permanence une forte divergence entre les gouvernants et le peuple. Le pouvoir néglige le bien-être social du peuple, l’épanouissement de ce dernier à l’instar de ceux des pays organisés. Bien au contraire, il renforce sa misère, en usant des pratiques rétrogrades de la corruption et de la concussion. Il tolère la prostitution, la débauche, les représailles par les armes dans N.S et par les injustices et intimidations dans M.E.
P.M reprend certaines pratiques décriées et rend difficile la situation avec le chômage permanent et l’irresponsabilité des adultes. L.B.K est du goût de la confrontation armée, P.F.A de la rigidité stérile d’un chef face à un autre plus circonspect, T.S.F de la société inconsciente ou distraite face aux épidémies et Biso de celle qui se confond dans l’ambiance d’une ville urbaine s’empêtrant dans la torpeur.
Au regard d’une telle présentation de la société qui se fissure, dans l’inconscience et l’inactivité, se placent les gouvernants au sommet de la pyramide sociale qui s’érode vers le bas. C’est une société qui symbolise une incohérence dans les pensées, la conception d’un monde. Les mœurs et les modes de consommation quotidienne de différentes classes sociales et de leurs représentants sont en discordance. Dans ce cas, il n’y a pas lieu de concevoir un heureux destin commun. Ce qui bloque la société, la soumet à une existence d’injustice permanente et de manque total de liberté, fondée sur l’irrationnel, « une sorte d’éclatement des raisons (…) cette épidémie dont l’irruption reste inexplicable[119] » alors qu’on sait attendre de l’homme un savoir-faire décent, honorable et humanisé.
La représentation tour à tour de la figure sociale des pièces de théâtre que miroite la prison, la ville, le village, la forêt, le campus universitaire, le tribunal, l’hôpital, la maison, l’église, la rue, etc, met en évidence cette diversité des moyens que dispose l’homme. Malgré ces moyens l’homme s’éloigne de son semblable, introduit la nuisance, la domination et toute forme de disparité qui désarticule la communauté. De plus en plus, l’inégalité s’enracine durablement, faisant penser à un déterminisme définitif favorisant des maîtres suprêmes. Ce qui révoque la collaboration entre différentes classes sociales, les gouvernants et les gouvernés, afin de préparer une société encline à la sanction constante des faibles. D’où, la société en présence, se caractérise par le système de classe, répartie de manière arbitraire et inégale, laquelle connaît une nette dégression chaque jour, surtout que les hommes au pouvoir étouffent les bonnes initiatives et abandonnent la solidarité pour les intérêts partisans. Or, dans une pareille situation, c’est la femme, le plus faible des êtres, qui souffre, mais qui plus est, l’accusée parmi tous.
C’est ainsi que la femme est le personnage le plus en vue, elle en est devenue l’image de toute la société dans les pièces : P.M, T.S.F, M.E, N.S et Biso. Elle est la pierre angulaire par qui reposent les problèmes de famille, de survie et de moralité. Cependant, elle n’a aucun mérite parce qu’elle est la voie par laquelle passent tous les maux à l’exception de l’Epouse dans T.S.F et de la mère dans M.E. Elle passe pour être maîtresse dans le commérage et le proxénétisme. Face à elle-même, elle arbore un comportement d’ignorante. C’est ce qui fait, souvent qu’elle ne sache pas émettre un point de vue ou soutenir une position qui lui est favorable, même si elle a raison. Elle devient un élément de distorsion familiale. C’est pourquoi elle est accusée d’infanticide(P.M), d’élément séparateur des foyers conjugaux, de prostitution, etc. Au regard de ses incohérences dans la société, elle est placée comme l’épicentre d’immoralité.
La ville et le village sont deux espaces vitaux dans l’organisation sociétale. P.F.A et T.S.F en font un tel étalage que l’on constate une antinomie dans la manière de vivre. P.F.A présente deux villages dans lesquels les activités champêtres sont principalement visées par les paysans. L’analphabétisme semble devenir le lieu commun des villageois contrairement à l’intellectualisme qui s’installe en ville.
Les maux de la société sont déliberemment représentés par la maladie dans T.S.F, la corruption, la concussion, la délinquance (juvénile et sénile) dans P.M et M.E, la prostitution dans Biso, etc. Les hommes se complaisent à cette situation, tant que les dirigeants qui tiennent les rennes du pouvoir, ne fournissent aucun effort pour combattre ces maux qui détruisent toute voie à la prospérité matérielle et humaine. Ces dirigeants sont dans un système de contradictions et de crise générale.
2.3. Au niveau du conflit
Les pièces de théâtre mettent en scène souvent deux camps qui s’opposent, les gouvernants sans scrupules face au peuple affable, le chef tyran face aux sages notables, les belligérants pro-gouvernementaux d’une part, et les rebelles d’autre part. Pour ce qui est de la confrontation à la vie quotidienne, les adultes sont en butte aux jeunes, tout comme les plus forts contre les faibles, la femme en difficulté devant l’homme, la modernité qui se heurte à la tradition et les hommes face à un fléau. Fléau qui constitue en fait, une sorte d’équation difficile à la résolution de laquelle toute la société devra trouver laréponse adéquate ou la clé en mesure de résoudre tous les problèmes posés. C’est dire que les actants et les personnages sont en pleine effervescence dans une société qui se cherche encore.
Anne Ubersfeld[120], traitant du modèle actantiel fait véritablement un examen des actants et de leur couple positionnel (S – O ; D1– D2) et oppositionnel (adjuvant – opposant). Ainsi, dit-elle, si nous reprenons la proposition de base du modèle actantiel, peut-être pouvons-nous lui donner une formulation plus exacte et plus précise : D1 veut que (S) désire (O) à l’intention de D2. Ceci dit, nous voyons deux plans par rapport à l’intrigue ou l’action dramatique, de manière à ce que de la situation positionnelle, on en arrive à la situation oppositionnelle, laquelle voit les incidents nouer l’intrigue. Il apparaît ici, la notion de conflit – absente chez Aristote, car il traite plutôt de renversement du bonheur au malheur – que propose Hegel (Esthétique) reprise par D. Chaperon : « une conception du drame clairement fondée sur le choc des valeurs, l’opposition des caractères et la violence des dialogues[121] ». Cette vision est déjà présente dans la dramaturgie classique française (comédie), mais s’est fortifiée surtout au XVIIIème siècle et, on voit Le Père Le Bossu écrire ce qui suit :
« Dans les causes d’une action, on remarque deux plans opposés : le premier et principal est celui du héros, le second comprend les desseins qui nuisent au projet du héros. Ces causes opposées produisent aussi des effets contraires, à savoir des efforts de la part du héros pour exécuter son projet, et des efforts contraires de la part de ceux qui le traversent [122]».
Le niveau du conflit est celui des « efforts contraires », ainsi entendu, ce niveau entretient des effets et des contradictions diverses. Dans le théâtre de Mikanza, le conflit est inévitable chez l’individu Sujet (S) dont le parcours n’est pas exempt d’embûches. Lorsque le Sujet (S) s’en rend compte et découvre par la même occasion celui ou ce qui empêche l’aboutissement normal de la quête, c’est-à-dire l’Opposant (Op), il peut réagir violemment ou encore, dans une situation de désespoir de cause, il reste sans réaction.
Il faut dire que le conflit est ouvert dans la mesure où les intérêts divergent. Il s’amplifie avec l’engagement des adjuvants aux côtés du Sujet (S), d’une part et des Opposants (Op) pour faire échec aux premiers, de manière à ce qu’ils n’obtiennent pas l’Objet (O) d’autre part. Mais, peu importe la nature du conflit engagé, l’implication des forces antagonistes va nourrir l’intrigue jusqu’à la victoire d’un camp. Dans les pièces de Mikanza, le conflit semble se durcir par le blocage qui affecte la recherche de l’Objet (O), par l’entrave que représente le camp opposé et, parfois par la caractéristique qui se rapporte à l’absence des vertus et des valeurs. Dans la société des pièces de théâtre, les vertus et les valeurs ne sont nullement considérées comme une référence fondamentale de la vie quotidienne et sont tout simplement ignorées.
Revenons sur le couple adjuvant – opposant pour essayer de passer à une modélisation du niveau de conflit et pour noter que dans les pièces de théâtre, la flèche fonctionne dans les deux sens. Aussi, dans P.F.A, le couple Mayamu et le sorcier Dititi est opposé à un autre formé de Manga et une partie des notables, bien que minoritaire vis-à-vis de tous les autres. Le deuxième couple bénéficie de la candeur des villageois et du respect à l’endroit du chef Manga. Le couple Mayamu et le sorcier Dititi, dans le conflit qui les oppose aux autres, s’adjuge de l’aide dans l’exil de Mayamu, de riches enseignements amassés plusieurs mois à Benga et de combat à la danse comme point d’achèvement de la collision de deux camps opposés.
P.F.A voit l’antagonisme de camp de Manga et de celui de Mukoko rechercher l’honneur par la danse. En regard de leur qualité de chef du village, la danse devient une occasion de solennité. Nous pourrons représenter les faits par le triangle de conflit, à l’instar d’Anne Ubersfeld mais, tout en apportant une légère modification en vue d’en acquérir une bonne compréhension. Deux triangles représentent le conflit engagé entre deux tendances. Les triangles sont à l’inverse :
Les gibiers La prospérité
Conseil des Notables Manga Mayamu Mukoko
L’axe du désir a provoqué deux couples de quête différente ; c’est une représentation qui voit le triangle du conflit éclaté en deux petits triangles. Ceci veut dire qu’à ce stade, chaque camp tient à obtenir l’objet de sa quête.
Dans le même ordre d’idées, le vrai conflit dans P.M reprend l’opposition légendaire entre les vieux et les jeunes. Conflit de génération plusieurs fois développé dans les œuvres des écrivains noirs africains, lequel à l’issue de la pièce, n’a pu connaître un aboutissement satisfaisant pour la jeunesse. Les adultes croient par leur égoïsme avoir la nette suprématie sur la jeunesse. On peut dire que leur âge, leur position sociale et leur manque de lucidité ont servi à contrer le progrès dans une société nouvelle. Les jeunes, quant à eux, n’ont pu que se servir du procès de la prison pour établir l’irresponsabilité des adultes. Ils n’ont été qu’en position de faiblesse du fait que, ce procès qui met en cause les adultes en prison n’a pas été suggéré par le garçon, mais par les adultes eux-mêmes. Ceux-ci sont conscients de l’excès du pouvoir que ravive leur caractère égocentrique. A l’extrême, ce procès n’aurait pas pris corps au vu de sentiment de victimisation que ressent le garçon. Le triangle qui montre ce conflit, au-delà de la simple responsabilité que recommande le garçon, se présente de la manière suivante :
Une société juste La responsabilité des adultes
ou encore :
Garçon Procès Garçon Procès
Le procès en prison devenant un modèle de justice à établir dans la société pour qu’elle change, aspire à un progrès social loin des considérations partisanes, égoïstes et aux fins purement matérialistes. Car, on sait que les adultes n’envisagent leur bien – être qu’avec les moyens matériels, même si cela doit anéantir les chances de promouvoir la jeunesse.
T.S.F note la division dans l’approche thérapeutique pour guérir le malade. La famille de l’époux opte pour la médecine traditionnelle et bénéficie de l’appui de la sœur, du devin-guérisseur, de l’oncle et de la mère. L’Epouse, elle, compte sur la médecine moderne, la patience, l’amie et l’hôpital. Elle est confrontée à un double conflit. Le premier consiste à guérir son époux malade du Sida, le deuxième se trouve sur le plan intérieur. L’Epouse est dans un dilemme. Elle est irrémédiablement déchirée dans son for intérieur. On peut envisager deux cas où les triangles vont dans le même sens :
La guérison La guérison
Epouse Courage exceptionnel es parents La médecine traditionnelle
Ce conflit est entier dans la mesure où il ne se résorbe pas en cours de l’action ni à la fin de la pièce. Seul le miracle, peut-être, aurait eu raison de ce dilemme particulier que vit l’Epouse.
Un autre conflit intérieur ronge les étudiantes dans la pièce Biso. Les étudiantes expriment leur volonté d’aller danser. Pour cela, la coquetterie, les tenues et l’organisation de la réception facilitent cette volonté. Cependant, elles n’ont pas la possibilité de se rendre à la cité pour se divertir. Les motifs seraient l’absence des pourvoyeurs des moyens financiers, le manque d’argent et des véhicules personnels. C’est qu’à travers ce besoin de divertissement (la danse), on peut entrevoir le véritable questionnement de la condition féminine. Dans un environnement tel que décrit dans la pièce, on se pose bien la question au sujet du désir féminin. Quel prix peuvent-elles payer pour obtenir une importance égale dans une société dominée par l’omniprésence du sexe masculin. La conflictualité peut se lire au fond de leur propre personne ou dans leur conscience et non dans les petites divergences entre elles.
La danse L’égalité
ou encore :
Etudiantes Les vacances Etudiantes Les études
Biso, en effet, ne propose pas de piste de solution pour en sortir, mais au-delà de ce qui est dit, on peut noter que les études, la foi et la persévérance au changement profond de la société pourront compter parmi les voies possibles à l’épanouissement de la femme et, partant, à l’égalité tant recherchée. C’est un combat quotidien.
De même que M.E propose un régime politique qui astreint la classe des faibles et des pauvres. Deux camps diffèrent : celui des honnêtes représenté par l’Etudiant et celui des déviationnistes. Ce régime emploie son système administratif, ses hommes de cœur, le tribunal et la parodie de justice. L’Etudiant s’appuie sur ses capacités intellectuelles, son honnêteté et son assurance pour le changement politique. Le combat pour la justice que mène l’Etudiant semble désormais un échec. Il vit un conflit qu’il veut anéantir par ses propres moyens. On peut voir cela dans ce schéma de deux triangles en convergence d’action :
Le travail L’égalité et la justice
L’Etudiant La sœur (les amis) L’Etudiant L’honnêteté (courage)
Vu les circonstances qui s’imposent à l’Etudiant, il va vivre lui aussi un conflit puis qu’il n’arrive pas à convaincre le tribunal. C’est vrai que le simulacre du tribunal agit de mauvaise foi pour protéger les incohérences du système de l’administration publique vieillissante et hermétique à tout changement positif. Il est contraint à un isolement. Dans ce cas, on pourrait comprendre qu’il s’interroge en ces termes : dans quelle société doit-on espérer vivre convenablement ? Dans tous les cas, celle que le dramaturge décrit dans M.E ne lui donne aucun espoir.
N.S, sous un autre ton, revient sur l’opposition de deux camps. Le pouvoir dictatorial pour agir, se sert des infiltrés – l’Envoyé et le Curé –, des motorolas, des services de sécurité, de l’armée. En face, le groupe de Meneur se sert de leur courage, du peuple, de la volonté au changement et de la conviction liée à la démocratie pour en produire des effets escomptés. Le conflit de Meneur dans N.S est d’autant plus grave. Il se pose la question à propos de son acte. Fallait-il agir ou ne pas agir ? Il devient perplexe et rongé complètement dans un conflit intérieur aux odeurs de sang. Il broie du noir.
L’eau (la justice)
Le Meneur Courage exceptionnel (le groupe de Meneur)
Il se rend compte à la fin que son acte ou son projet n’était qu’un coup d’épée dans l’eau, en face d’une force impitoyable. Ce projet, à cause de la résistance implacable du pouvoir, a renforcé son conflit intérieur.
Dans L.B.K, les deux camps opposés ont leurs appuis, naturellement différents. L’armée recourt aux hommes formés dans les arcanes militaires, de vrais soldats de combat, aux armes conventionnelles et lourdes, à la cartographie de la région de combat et à la bravoure du Commandant en chef. Tandis que la rébellion compte sur le dawa qui rend invisible et invincible, le sorcier, les armes non conventionnelles, la tactique de guérilla et sur la fatigue des soldats de l’armée et le mythe de l’invincibilité. Deux plans qui représentent la différence entre deux camps opposés qui marque la distorsion et le désaccord idéologique.
En fin de compte, c’est l’armée qui prend le dessus sur les rebelles. Le conflit peut être représenté par les triangles qui sont à l’inverse :
Le pouvoir (la paix) Le pouvoir
Armée Commandant en chef La rébellion Le mythe (fétiches)
Le Commandant en chef est libéré de la hantise qui fait que les rebelles occupent, pendant plus de cinq ans, une partie du territoire national.
La schématisation du modèle actantiel au point suivant (2.4), va pouvoir compléter l’accessibilité des intentions du plan adjuvant – opposant contenu au niveau du conflit.
2.4. Le modèle actantiel
Le modèle actantiel permet de lire le personnage et de le construire, bien entendu, selon sa place actantielle et son rôle actoriel à travers le système des forces inscrit dans le texte dramatique. C’est dire qu’il est question d’observer si la place de ce personnage, dans la syntaxe générale du texte dramatique, reste fixe ou si dans quel sens, elle subit une modification. Il convient de dire que « le modèle actantiel offre une approche spécifique de la structure profonde de l’action. Il rend compte du caractère proprement dramatique et dynamique d’une pièce. La construction d’un schéma actantiel permet de dessiner la figure structurale que forment, à un moment donné, les forces en présence sur scène [123]». Ce système actantiel va dépasser l’étude de « l’action comme s’il s’agissait seulement de la fable ou de l’intrigue [124]». Il autorise par une pratique sémiologique à parvenir sans doute à une représentation de la structure de l’action.
Une présentation complète du modèle a été faite par A. Ubersfeld. On y trouve aussi ses commentaires et quelques propositions de transformations car, elle l'adapte au texte théâtral. Nous lui empruntons ici les éléments de cet exposé.
« Le modèle actantiel, dit Greimas, est en premier lieu l'extrapolation d'une structure syntaxique[125] ». Un actant s'identifie donc à un élément (lexicalisé ou non, un acteur ou une abstraction) qui assume dans la phrase de base du récit une fonction syntaxique : il y a le sujet et l'objet, le destinataire, l'opposant et l'adjuvant. Ces fonctions syntaxiques sont évidentes, mais le destinateur dont le rôle grammatical est moins visible, appartient si l'on peut dire à « une phrase antérieure (D1 veut que S...) ou, selon la grammaire traditionnelle, à un complément de cause ».
Greimas a simplifié le modèle de W. Propp et de Souriau qui présentait sept fonctions. Ici, six cases correspondent à six fonctions dans le récit, la septième se confond naturellement à celle du sujet, de destinateur ou d’adjuvant, car elle ne peut constituer une force décisoire ou conciliatrice au-dessus des forces en présence. Ce modèle à six cases se présente de la manière suivante :
Rappelons que l'actant est un élément d'une relation : celle qui lie l'agent à son action. Il désigne donc une fonction. Peuvent occuper les six postes non seulement des individus, mais des actants collectifs ou abstraits. Il y a nécessité à dépasser les actants individuels-psychologiques et à montrer comment au niveau de ces macro-structures s'investissent l'histoire et l'idéologie. Le schéma invite à regrouper les personnages sous des actants abstraits ou collectifs pour trouver d'autres protagonistes de l'action et produire d'autres niveaux de sens au lieu d'en rester à l'analyse psychologisante. La tâche essentielle de ce travail est de démontrer comment des contraintes séquestrent le sujet qui aspire à un objet.
Bien qu’il soit établi dans un même texte dramatique (récit) qu’il existe une pluralité d’actions qui correspondent à une pluralité de modèles actantielles, nous prenons les actions prépondérantes qui font la trame de chaque pièce.
- Pas de feu pour les antilopes
Schéma 1er : Le chef Manga tient à tout prix aux feux de brousse pour approvisionner le village Kipwala de la viande fraiche des gibiers.
D1 La préservation de la santé S Manga D2 Village Kipwala
A Mala, Kubi, Muka O Feu de brousse Op Mayamu, Dititi
Schéma 2ème : Le sage Mayamu s’exile pour un moment afin d’apporter remède à son village Kipwala en situation de famine et misère.
D1 Le patriotisme S Mayamu D2 Village Kipwala
A Mukoko, Village Benga, O la prospérité Op Manga, Muka, Mala
Dititi
- La bataille de Kamanyola
Schéma 1er : L’armée nationale combat contre les rebelles pour maintenir la paix au pays.
D1 Le pouvoir S l’armée D2 le pays
A Le commandant en chef O la paix Op la rébellion
Le régime politique, les soldats veilleurs le dawa, l’invisibilité, la peur et l’inquiétude
Schéma 2ème : La rébellion s’insurge contre le système politique en vigueur, veut absolument un changement et s’emparer du pouvoir.
D1 La révolution S les rébellion D2 le pays
A Les simba O le pouvoir Op Le commandant en chef
le dawa, l’invincibilité, Le régime politique, les soldats veilleurs
- Procès à Makala
Schéma 1er : Au vu du récit de chaque adulte (le voleur, l’assassin et la femme), tous veulent acquérir des moyens susceptibles de leur apporter le bien-être social.
D1 Le désir de vie meilleure S les adultes D2 leur famille
A L’argent, le vol O le bien- être social Op le système socio-politique
le travail… la corruption, l’égocentrisme, l’injustice …
Schéma 2ème : Ce schéma est envisagé par rapport au procès qui est organisé en prison pour établir l’irresponsabilité des adultes. La case des opposants aurait dû rester vide d’autant plus qu’il apparaît clairement au procès inculpant le voleur, l’assassin et la femme, que c’est la société des adultes qui porte toute la responsabilité de l’éducation de la jeunesse et, partant de toute la société. Malheureusement, il s’avère que c’est la société des adultes qui bloque le progrès social.
D1 La justice S le garçon D2 la société
A Les adultes O l’établissement de Op la société adulte,le manque des moyens appropriés,…
le voleur, l’assassin, l’irresponsabilité des adultes
la femme, le système en place
- Monnaie d’échange
Schéma unique : M.E met à nu l’organisation de système administratif implanté dans son pays qui est, en fait, un éclairage malheureux de la dérive sous multiple formes.
D1 Le bien être social S l’Etudiant D2 la famille, la société
A La sœur, le fiancé O le travail Op le système de l’administration publique
La fiancée, le directeur de l‘administration les anti-valeurs ..,
- Tu es sa femme
Schéma unique : L’Epouse se bat depuis plusieurs mois pour la guérison de la maladie de son époux. Elle est bien sûr aidée par son amie qui est médecin, la belle mère, l’oncle et sa belle sœur. Tous veulent cette guérison. Cependant, il subsiste quelques problèmes pour que les efforts que déploie l’Epouse aboutissent correctement.
D1 L’amour conjugal S l’épouse D2 l’époux malade
A Le médecin, l’épouse, O la guérison Op le statut incurable de la maladie
la sœur, le prophète, l‘oncle et la mère, l’incompréhension de la belle famille
les enfants.
- Notre sang
Schéma unique : N.S fustige le régime dictatorial moribond qui s’accroche au pouvoir pour s’enrichir éternellement. Aussi, la démarche du Meneur est de le démanteler par l’organisation de la marche pacifique. Cependant, en dépit de tant d’efforts consentis et de privations, cette marche se termine par un bain de sang, le Meneur sera discrédité aux yeux de la communauté tant nationale qu’internationale.
D1 Le changement politique S le Meneur D2 le pays
A L’adjoint, O le progrès social Op le pouvoir, l’envoyé, le curé,
la militante, le groupe des manifestants les motorola
- Biso
Schéma unique : Biso est une pièce qui met en lumière les habitudes des étudiantes au campus universitaire. Seule motivation qui les anime, c’est vouloir danser le soir, pendant les vacances qui paraissent assez longues, avant la reprise des cours. Ici aussi, la case des opposants aurait été vide. Pourtant ce sont les moyens financiers et le regard de la société qui peuvent les en empêcher.
D1 La volonté de divertissement S les étudiantes D2 les étudiantes
A Op la pudeur, la crainte de l’opinion,…
Les artifices de beauté et de O la danse
coquetterie féminine…
Ces différents schémas opérent à partir d’une matrice de base D1, le destinateur, comme un ensemble d’éléments qui programment la quête. Celle-ci s’inscrit dans un programme narratif (PN), constitué par un énoncé de faire, régissant un énoncé d’état, débouchant sur un plan syntaxique et sémantique. Les opérations syntaxiques fondamentales sont la négation et l’assertion qui déterminent des emplacements vides (postes ou marque-places aux sommets du carré sémiotique).
Cela dit, du modèle actantiel comme structure, on en arrive au carré sémiotique. Celui-ci fut imaginé par A.J. Greimas à partir du carré logique d’Aristote. En tant que modèle constitutionnel, le carré sémiotique n'offre que des termes qui dans chaque étude particulière doivent être occupés pour rendre possible son application ou sa "mise en branle", selon le mot de A. Hénault. Base théorique sur laquelle est édifiée la sémiotique greimassienne, le carré sémiotique part d’un raisonnement (de la négation et de l’assertion) grâce auquel est formalisée la relation de présupposition réciproque (co-présence) qu’entretiennent les termes primitifs d’une même catégorie sémantique.
Par rapport aux relations qui ont pu s’établir grâce au modèle ou schéma actantiel, les concepts posés au début des pièces vont donner lieu aux opérations syntaxiques des contenus concret et particulier. Il apparaît certes, que nous aurons des combinaisons des concepts ci-après :
S1 S2
(i) PFA : Arrogance Sagesse
Insensibilité Production
- S2 - S1
S1 S2
(ii) ME, PM : Misère Richesse
Pauvreté Bonheur
- S2 - S1
S1 S2
(iii) NS : Dictature Bonheur
Misère Justice
- S2 - S1
S1 S2
(iv) TSF : Maladie Guérison
Instabilité Médecine
- S2 - S1
S1 S2
(v) LBK : Pouvoir Rébellion
Paix Révolution
- S2 - S1
S1 S2
(vi) Biso : Danse Apathie
Divertissement Immobile (Immobilisme)
- S2 - S1
Les contenus dont les sommets du carré (S1 - S2) sont investis par des opérations syntaxiques réelles (négation puis assertion des contenus posés), sont marqués dès le départ de l’action dramatique par une relation oppositionnelle.
Suivant le même raisonnement et, à partir des oppositions données des concepts S1 et S2, il se dégage du carré sémiotique l’existence des autres concepts – S1 et – S2. On obtient des relations dans ce sens :
S1 et S2 : relation oppositionnelle ;
S1 et – S1, S2 et – S2 : relation de contradiction ;
S1 et – S2, S2 et – S1 : relation de complémentarité.
Ce sont en effet ces opérations-là qui fondent la dynamique narrative spécifique d’un texte.
Par rapport aux concepts sortis des pièces de Mikanza, ces relations s’y conforment de manière à faire sortir spécialement dans la ligne oppositionnelle S1 et S2 une situation (réalité) inconciliable : Arrogance vs sagesse ; Misère vs richesse ; Dictature vs bonheur ; Maladie vs guérison ; Pouvoir vs rébellion et Danse vs apathie qui est à la base de l’amorce d’une conflictualité grandissante et nourrit l’action dramatique. La même situation apparaît entre – S2 et – S1 (Insensibilité vs production, Pauvreté vs bonheur, Misère vs justice, Instabilité vs médecine, Paix vs révolution et Divertissement vs immobilisme). En même temps, se lit la contradiction dans le croisement S1 et – S1, S2 et – S2, structure à quatre termes. Tandis que la relation de complémentarité sur la ligne S1 et – S2, S2 et – S1 est visible d’autant plus que les concepts restent en paire conciliable.
Ayant insisté sur la phase de la quête dans le modèle actantiel, celle où intervient le sujet opérateur est cruciale dans le carré sémiotique pour réaliser la transformation visée (soit conjonction, soit disjonction), avec ou sans confrontation directe avec l’opposant : le chef Manga organise les feux de brousse (P.F.A), l’Etudiant arrive à égratigner le système de l’administration publique (M.E), le garçon par le procès dévoile l’irresponsabilité des adultes (P.M), le pouvoir vainc la rébellion (L.B.K) ainsi qu’il le fait contre les manifestants pendant la marche pacifique (N.S), le virus du sida a eu raison de la médecine moderne (T.S.F) et la volonté de divertissement qui triomphe de la vie monotone à l’université (Biso).
Par rapport à cette transformation – négative ou positive –, que chaque sujet a subie, A. J. Greimas parle d’une phase de performance ou d’exécution principale. Une phase qu’il circonscrit – au moyen de deux verbes fondamentaux ‘’faire’’ et ‘’être’’ – comme un faire – être qui est la réalisation effective de l’état des choses souhaité dans la réalité. Ici le sujet se donne préalablement la tâche de chercher l’objet et de l’obtenir. A cette décision, il n’y a pas encore de liaison entre sujet et objet. L’initiative prise par le sujet conduit à l’intérieur de la phase de faire – faire à deux composantes : le faire – savoir [le destinateur – émetteur informe le sujet (virtuel) de la nature comme de la valeur de l’objet recherché, auquel cas il y a acquisition de l’objet] et le faire – vouloir [le destinateur qui pousse le sujet à l’acceptation du contrat].
Afin de remplir le contrat, le sujet a une connaissance initiale de sa mission. Encore et surtout faut-il disposer des compétences nécessaires à l’exécution de sa tâche. L’acquisition de savoir et de compétence a lieu durant la phase de compétence, la phase de l’être – faire qui prépare et rend possible l’action proprement dite. Les compétences nécessaires proviennent d’abord du devoir et du vouloir, les modalités qui lui font comprendre l’importance de sa mission et ensuite du pouvoir et du savoir.
Le carré sémiotique, on le constate, module les oppositions classiques en distinguant entre les termes (concepts) et leurs équivalents, contradictoires ou pas. En d’autres termes, il se constitue au départ des catégories sémantiques telles que observées dans (i), (ii), (iii), (iv), (v) et (vi) (cf. pages 161-165), qui ressortent de la description de chaque concept posé dans les paires évoquées – représentées par S1 et S2 – censées soutenir le sens profond des pièces de théâtre à l’étude. Les contenus dont les sommets du carré sont investis, peuvent alors s'obtenir par des opérations syntaxiques réelles (négation puis assertion des contenus posés). Il s'agit en quelque sorte de faire fonctionner le carré formel sur des contenus concrets et particuliers. Dans ce contexte, on voit chez A. Hénault (1983) qui présente l'exemple de l'étude d'un conte populaire français intitulé "L'amour des trois oranges" pour lequel elle propose une structure sémio-narrative qui tienne compte de la sérénité. C’est que, partant de la sérénité (A) du prince comme elle est posée au début du conte, on produit par sa négation la non-sérénité (non-A) ce qui fait surgir l'assertion du désespoir (B).
Inversement la négation du désespoir (B) fait surgir l'assertion de non-B qui est précisément A. La structure sémio-narrative du conte se retrouverait alors dans le carré ci-dessous :
Ainsi se constitue la catégorie sémantique Sérénite/Désespoir que cette analyse place au plus profond du texte qui apparaît maintenant comme la description de la sérénité retrouvée du prince après une incursion dans le désespoir. A. Hénault fait remarquer qu'il ne s'agit pas de la même sérénité, ce qui n'est pas sans faire problème.
On voit bien sur cet exemple comment des opérations purement formelles (syntaxiques) portant sur le terme posé (sérénité) produisent une catégorie sémantique (sérénité/désespoir) censée soutenir le sens profond de tout le conte. Celui-ci ou le texte de théâtre évolue dans ce même contexte d’articulation des oppositions, de correspondances et parfois d’ambigüité pour rendre dans un sens une structuration des concepts et de la réalité venue de la fiction.
De la même manière, la structure sémio-narrative des pièces de théâtre de notre corpus répond presque aux catégories oppositionnelles concrètement présentées, faisant partie d’une structure élémentaire de la signification de l’univers des pièces mikanziennes. Cette structure consolide la signification des paradigmes thymiques aux sèmes contraires revelant l’opposition de deux visions antagonistes abritant deux camps sociaux au contenu antithétique constant.
Le contexte donné par la société des pièces de théâtre offre une cohabitation difficile entre le peuple et ses dirigeants, les adultes et les jeunes, les faibles et les puissants. Ledit contexte émane de la structure profonde dont une figurativisation sémiotique véridictoire est ainsi consignée de cette manière :
P.F.A : Protection de la nature et renoncement au feu de brousse pour une vie loin de misère, empreinte de convivialité et de paix sociale. L.B.K : Installation d’un système politique démocratique, d’une expression libre et égalitaire pour tous en vue de parvenir à la paix dans le pays. P.M : Responsabilité des adultes à tous les niveaux et celle de la prise en charge totale de la jeunesse, afin d’éradiquer tous les maux de la société et en appeler à la paix familiale, aux valeurs morales et vertus. M.E : Rejet des pratiques politico-administratives négatives, corrompues, inadaptées et d’une justice inique par rapport au temps, afin d’asseoir durablement une justice équitable, l’égalité sociale, le developpement harmonieux et la paix sociale. N.S : Eradication du pouvoir dictatorial qui plonge le peuple dans la misère, installe le népotisme, l’iniquité, les mauvaises moeurs pour une justice impartiale censée permettre la répartition équitable des ressources du pays, la mise en place de la démocratie et de la paix sociale. T.S.F : Combattre le VIH, par les moyens préventifs efficaces et les pratiques médicales adéquates pour asseoir un sytème sanitaire durable et assurer la guérison au profit du peuple principalement touché. Biso : La mise en exergue de la responsabilité féminine vis-à-vis des obligations à remplir et de fixation de ses objectifs. Le respect d’exécuter chaque chose en temps opportun pour éviter l’échec à l’université et réussir par la suite, toute entreprise qui sera amorcée.
Dans l’ensemble, on constate l’incarnation de deux dispositions de pensée à idéal diamétralement divergent, deux tendances paradigmatiques opposées de la sphère dramatique mikanzien. Concrètement dans le sociotexte, il s’agit d’un voeu ardent présent en faveur d’un système sociopolitique évolué (harmonieux) et égalitaire contre un système socio-politique non-évolué et non égalitaire, non-épanoui.
En conséquence, le conflit émanant du système établi et décrié a fournit des rôles actantiels corrélés dans les rôles thématiques ou catégories thymiques ci-après :
(i) Evacuation du système sociopolitique corrompu à tous les niveaux ;
(ii) Renoncement à l’injustice sociale et aux anti-valeurs ;
(iii) Société inégale et dépravée ;
(iv) Société égalitaire et de paix sociale.
Cette structuration dispose d’un espace et d’une durée (temps) grâce auxquels nous pouvons dégager le sens des actes qui sont posés. Le prochain chapitre va s’appesantir là-dessus.
Chapitre 4 : LA STRUCTURE DE L’ESPACE ET DU TEMPS
Le texte théâtral, support écrit, est contenu dans un espace textuel dont la disposition et la forme des signes respectent l’organisation et le genre dramatique. Cet espace textuel est « aussi considéré comme un lieu où le signe dramatique s’épanouit, – au même titre que la lecture du texte saisit fortement un lecteur d’allégresse –, lorsque le spectacle d’une pièce de théâtre est reçu comme un phénomène global [126]» dans lequel « le signe-action[127] » intègre le cadre où il est situé, marquant les aspects dénotant l’espace et le temps. Comme il existe dans cet espace textuel, des indications sur les lieux et le temps dramatique, le dramaturge insère des passages itératifs et les passages marqués par une « déflation du dramatique » pour instaurer un espace de coopération entre le visuel et le textuel.
Le théâtre, cette machine cybernétique (machine à émettre des messages et à communiquer), envoie à notre adresse des messages particuliers en ce qu’ils sont simultanés et de rythme différent, à tel point que du spectacle on reçoit des informations venues du décor, de personnages, de parole et geste, de la durée, de l’éclairage, etc. Une véritable polyphonie informationnelle qui, bien sûr, est couverte dans l’espace et dans le temps dramatiques. La dramaturgie ne se prive pas d’étudier ces paramètres fondamentaux de la composition dramatique.
L’espace et le temps sont deux notions à définir dans un premier temps avant de pouvoir aborder une critique aussi dramaturgique que sémiologique. Dans le texte théâtral, les actants (humains) se meuvent dans un espace – scénique ou lieu réel dans lequel s’inscrit le rapport entre le public et les acteurs (personnages joués) – et dramatique et même textuel situant des choix du dramaturge (l’auteur) ou du metteur en scène ou encore du scénographe. Particulièrement, l’espace dans cette dualité, comme le disent Anne Ubersfeld et Michel Pruner, est un non dit, c’est-à-dire à la fois une zone trouée du texte où s’effectue l’articulation texte-représentation.
Cette articulation s’active aussi dans la relation entre le texte dramatique, « espace littéraire et architectural », espace fondamental, antérieur à toute indication sur la spatialité et la temporalité fût-elle imaginaire. Ainsi, la convention théâtrale au XVIIème siècle avait instauré la limitation du temps pour enfin avoir un lien entre l’espace et le temps où l’action dramatique reste intimement liée.
Pour notre part, il sied de trouver la voie qui éloigne l’équivoque censée entourer le temps et l’espace au théâtre. Car, le temps théâtral englobe la durée et même la double durée (deux temps différents : celui de la représentation et celui de l’action représentée), l’époque (où se déroule la pièce) et le temps diégétique qui concerne tout un monde fictif dans lequel évoluent les personnages et auquel ceux-ci font référence dans leur discours. Quant à l’espace, il se ramène à un lieu réel, l’espace scénique, et un lieu fictif de l’action (espace virtuel) ou encore à un espace diégétique espace hors scène). Toutefois, c’est par rapport à cet ensemble diégétique espace/temps (diégétique mais aussi symbolique) que des lieux et moments du drame vont prendre sens. Notons qu’à ce sujet, l’omniprésence de l’espace peut conduire à notre sens, à une analyse redondante. Par conséquent, nous l’examinerons comme espace de référence (référentiel), sous un angle esthétique dans la IIème Partie, comme symbole ayant une fonction autonome.
L’espace et le temps constituent inévitablement deux faisceaux principaux qui couvent tous les faits et gestes des personnages, avec l’action elle-même du début à la fin, pour former un ensemble cohérent et compréhensible. Ce qui nous pousse immédiatement à voir comment ces dimensions de l’espace et du temps se rapprochent, mieux, se structurent pour réaliser leur choix, leur désignation par rapport à un lieu ou un moment et non un autre, leur convenance ou convergence tant sur l’importance de l’action que sur la portée de leur corrélation.
L’espace textuel ainsi aménagé par l’écriture donne lieu à l’espace à représenter appelé espace scénique qui tient compte de la matérialité de mouvements et gestes des comédiens ou acteurs, en face des spectateurs suivant avec attention leur performance actorielle. De là se dégage, naturellement, la primauté de l’espace dramatique du texte, mis en place dans un processus, un continuum de la mise en scène et de la théâtralité.
Cet espace entrevoit l’exercice de la parole, donne sens à l’action du personnage pour déterminer de son statut, de ses actes et de l’environnement ou de l’univers dramatique en général. Sous cette perspective, l’espace dramatique peut englober l’espace visible et virtuel conçu par le dramaturge pour cadrer son spectacle ou son action, espace qui conditionne l’ensemble du texte. Il est doublement ambivalent, dit Michel Pruner, car « fictif et imaginé par l’auteur, parfois même totalement utopique ; mais destiné à prendre une existence concrète à partir du moment où la représentation scénique lui donne une réalité qui n’est qu’une interprétation[128] ». Pourtant présente dans le texte, l’élaboration de l’espace dramatique s’opère à travers les didascalies et le discours des personnages, au point même d’y découvrir un référent. Dans ce sens, l’espace comme signe inscrit dans la théâtralité « fait de l’insignifiance du monde, un ensemble signifiant[129]». En d’autres termes, c’est dire que le travail de l’espace qui s’organise ou se construit est « une activité qui fait passer l’espace référentiel d’un ensemble de signes désordonnés sur lequel nous n’avons pas de prise immédiate intellectuelle, à un système de signes organisés, intelligibles[130] ». D’où, nous prendrons le point de départ textuel, comme un mode d’approche réaliste, pour voir comment l’espace dramatique se construit à partir du texte, parce que notre objet demeure toujours le texte de théâtre.
D’un point de vue dramaturgique, Mikanza procède par une implantation topographique, figurant dans la virtualité textuelle, de l’espace ouvert et de l’espace clos. Pour l’espace ouvert, il se présente en mode extensif : de plus grand au plus petit, c’est-à-dire de l’environnement naturel au quartier ou agglomération, en passant par la province, la ville, la cité, le village et la communauté. Une présentation administrative et sociale qui ressemble à notre réalité. A ce propos, une fois de plus, on se rend compte de la mimésis, consistant à renvoyer un reflet social, une image de moins en moins tronquée de notre quotidienneté.
P.F.A présente un espace ouvert, celui de l’environnement paysan dans lequel sont mis en exergue deux villages : Kipwala et Benga. Il met ces villages sur un niveau d’appréciation, mais pour en fait opposer l’organisation à Kipwala, différente de celle de Benga. Kipwala est un espace dont le système traditionnel est encore présent dans les pratiques des villageois. Seulement, le chef Manga n’est pas conscient de l’évolution de ce système au cours des années. Un point essentiel qui fait sombrer l’image paysanne à Kipwala, c’est que les paysans vivent en regardant le chef du village inactif dormir sur ses lauriers. Cette attitude a conduit à l’immobilisme et à la paresse totalement récusée par Mayamu. Les paysans, au regard de l’attitude démobilisatrice de leur chef, n’ont pu s’organiser pour donner une bonne image de l’environnement paysan et du village lui-même, pourtant espace naturel plein des ressources et des mystères.
Les apôtres de la Négritude font du village un espace mythique puisque c’est le lieu qui recèle les valeurs africaines. Pour Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas, c’est au village que peut se purifier l’africain, car c’est un lieu originel qui n’est pas souillé par des comportements pervers ou des idées négatives. Cet espace, village, est dans la proximité de forêts et de savanes. Espace vert qui contribue à l’écosystème et à la régénération de la vie. On se trouve dans une collaboration de la nature où, comme le dit Faîk- Nzuji :
« circulent, se heurtent, s’accordent des énergies chaudes et froides, positives et négatives, fortes et faibles … Aussi, tout ce qui évolue dans la nature (la forêt, les eaux, les animaux, les astres, la pluie, la foudre, l’orage, le tourbillon, la tempête, la terre elle-même …) révèle-t-il l’omniprésence de ces forces supérieures dont les polarités marquent la nature (…) [131]».
Cette attitude démobilisatrice imprimée par le chef Manga n’a pu réaliser la jonction des efforts de Mayamu, refusant de continuer à brûler sans ménagement les forêts et les savanes qui leur servent de ressources de toute sorte. Tandis qu’à Benga, tout le monde participe à la fois, à la sauvegarde de l’environnement paysan et à sa mise en valeur de manière adéquate, au bénéfice double des paysans et du futur paysan glorieux. Ce village est le lieu de la conservation des lois et de la sagesse qui perpétuent sa culture de génération en génération. Comme espace ouvert, les villages permettent à leurs occupants de s’investir au progrès durable qui émane des effets d’union, de renforcement des capacités locales, d’aide et de compréhension mutuelle.
Indubitablement, faut-il le dire, cette compréhension mutuelle qui manque au village Kipwala (P.F.A) resurgit et devient la conséquence néfaste, immédiate, dans la confrontation armée au Kivu, dans la plaine de la Ruzizi (L.B.K) qui sert de champ de bataille près du Pont Kamanyola. Cette plaine est l’espace de massacre et de tuerie pour arracher le pouvoir, le droit légitime de régner sur toute l’étendue du territoire national. Un espace qui n’enregistre pas seulement des pleurs, mais également souffre pour avoir perdu de sa splendeur naturelle du fait des conflits politique et armé. Il ne peut bénéficier ni servir d’une bonne exploitation aux populations locales et environnantes, d’autant plus qu’il devient un espace d’affrontements ininterrompus, de division et de cauchemar où les éléments armés trouvent dans le rire et l’humour, le moyen de se donner le courage qu’ils ont perdu.
Dans son espace textuel, N.S diffuse dès le départ une scène cauchemardesque, prélude à ce qui va se passer à la fin de la pièce. L’espace ouvert de N.S, c’est la ville sans voix au sein de laquelle les habitants manquent presque tout pour assurer leur avenir. Pourtant, il y a un espace, la « cité des grands », celle, au dire de la Militante qui « la nuit brûle de mille feux et, le jour, de mille couleurs (p. 42)». Lieu confortable avec de belles habitations, il est le lieu des riches du régime vivant dans l’opulence, mais surtout le lieu de complots contre le peuple vivant dans des taudis où règnent la faim, les maladies et le manque d’eau et d’électricité.
La ville, et même le pays tout entier, est sous l’emprise d’une dictature féroce. Cela est ressenti fortement jusque dans les quartiers à telle enseigne que la Place de la Révolution et la Place de l’Indépendance vont devenir deux espaces ciblés pour la marche de contestation, afin de faire entendre la voix des populations auprès des autorités politico-administratives. Ces deux espaces publics expriment le changement et la liberté.
De part sa dénomination, la Place de la Révolution, aux yeux du pouvoir, n’est pas un lieu de rassemblement ordinaire, ni pacifique ; mais plutôt représente la désobéissance orchestrée par le Meneur et les siens. Bien plus, la place de l’Indépendance ne peut revêtir qu’une connotation d’indépendance verbale, utopique, reconnue à un lieu qui restera toujours silencieux, nonobstant son sens mémorable très marqué et non pour recevoir les manifestations publiques.
Les quartiers de la ville vivent sans eaux. C’est pourquoi, le dramaturge qualifie cela de Sahel… désert (p. 29), entassement de la population qui a faim, victime du pouvoir en péril rappelant à l’esprit la situation des noirs dans On crie à Soweto de Musangi Ntemo et dans Les flammes de Soweto de Bwabwa Wa Kayembe. Il y a la peur du régime suscitant l’absence de liberté, lieu immonde ainsi qu’en est advenue la ville, espace de désaccord complet entre les populations et le pouvoir dont les autorités restent insensibles aux cris de détresse, venant de différents quartiers pauvres et de toute la communauté.
La ville, c’est encore un espace où la société se divise en classe des riches très minoritaires et, en celle des pauvres, oubliés à jamais par le pouvoir politique au faite d’un parcours tortueux, discriminatoire et sanguinaire. Divisée, la ville l’est profondément pour représenter un microcosme de la société entière. D’un côté, les hommes du pouvoir qui ponctionnent les finances publiques de l’Etat. De l’autre, une population « totalement démunie, vivant à l’étroit, à qui l’autorité administrative refuse « en plus un minimum de bien-être, l’eau, auquel pourtant elle a droit pour s’être régulièrement acquittée des frais qu’en occasionne la consommation [132]». Elle ressemble quelque peu aussi à La ville cruelle (1954) d’Alexandre Biyidi-Awala qui, situant les faits vers les années 30, fait une critique acerbe et ouverte de la colonisation et de ses abus. Non seulement abus d’autorité des colonisateurs de l’époque, mais aussi abus des autorités administratives dans M.E et surtout dans N.S qui, sans vergogne aucune, s’en sont pris aux pauvres gens, en les brimant, les exploitant et, encore pour les rabaisser au statut de simples « martyrs ».
A l’instar de N.S, les pièces de théâtre P.M, T.S.F et M.E font allusion aussi à la ville. Espace ouvert qui présente plusieurs degrés d’ouverture pour voir les personnages aller d’un milieu à un autre. Ainsi, l’action de P.M se déroule en prison de la ville avec des indications de flash-back qui reprennent les quartiers d’habitations (la cité), les magasins, les bureaux et les marchés. Ces indications ou différents décors (lieux) dans lesquels fourmillent les gens riches, heureux, pauvres ; les écoliers et étudiants, les marchands, les fonctionnaires de l’administration publique, les activités du secteur informel et/ou privé, etc. Ces différents lieux signalent un train de vie qui apporte son lot d’existence paisible et ses revers ; arborant une ambiance comparable à celle des pays sous les tropiques, loin de pratique d’ingéniosité, d’efficacité intellectuelle et d’appropriation de leur destin commun quelques années après leur prise de souveraineté nationale. Une sorte de revue d’espace de la vie quotidienne, comme c’est le cas dans Biso, Ngembo, Moni Mambu… le pousse pousseur et M.E.
L’action de T.S.F et M.E semble, par quelques égards, moins déprécier l’entassement des habitations des quartiers populaires ou, du moins, passe sous silence, le caractère de pauvreté que ces quartiers auraient dû laisser apercevoir. Elle présente les résidences du malade et de l’Etudiant comme des villas modernes et, sous un regard quasi resplendissant, les habitations autour du domicile de l’Etudiant, bien loin de reprendre le ridicule qui caractérise les cités africaines. C’est un exemple d’une ville moderne dans la mesure où on rencontre des infrastructures telles que l’aéroport, les hôpitaux, les routes bitumées, les universités, les tribunaux, le stade omnisport, etc.
L’espace clos est présent dans les pièces de Mikanza où il les décrit avec justesse et plonge le lecteur dans la réalité qu’il découvre et, même qu’il connait. Ces explorations des lieux qui se maintiennent dans l’imagination, a relevé un côté obscur, caché et anecdotique, nécessaire à la saisie de la dimension spatiale.
P.F.A montre un espace clos, la résidence du chef de village, endroit apparemment calme et pittoresque, n’est pas fréquentée tous les jours. La fable de la pièce ne porte pas d’indications précises, alors que la résidence du chef Manga tout comme celle du chef Mukoko, sont des lieux qui attirent respect. De même, L.B.K fait une indifférence totale, peut-être à dessein, quand on sait que c’est une pièce de commande, du camp des rebelles qui, d’ailleurs, démontrent leur vaillance et leur prouesse dans les opérations, les incursions chez l’ennemi et le combat de corps à corps. En dépit de tout, cette indifférence à notre avis, a pu grossir longtemps le contexte d’espace clos. Le camp militaire installé dans la plaine de la Ruzizi l’est, spécifiquement dans l’interdiction faite aux étrangers, aux civils et aux autres catégories de gens habitant les environs des opérations militaires d’y pénétrer. Le contrôle qui s’effectue généralement à l’entrée du camp militaire et la restriction à ne pas s’y approcher, sont de commune mesure avec sa sauvegarde. Il faut noter ici que les armes y sont stockées, les stratégies et les exercices d’armes se multiplient, vu son caractère préservé d’inviolé ou d’inviolable. Tout ceci contribue à la reconnaissance de lieu gardé par les hommes en uniforme, formés pour la défense de la patrie dans un contexte hautement sensible, car en fait ce camp militaire est le maillon sécuritaire de la chaîne défensive militaire.
Dans N.S, le caractère secret des lieux se poursuit et place d’abord le siège du pouvoir comme inexistant ; pourtant les ordres et les actions de sape contre la marche pacifique en viennent chaque jour. Ce lieu du pouvoir et d’orientation stratégique gouvernementale est également obscur à maints égards. On ne connait pas le nom, ni la qualité, ni encore la fonction de la personne qui édicte les ordres. L’ignorance plane sur ceux qui siègent au gouvernement, ceux qui prennent des mesures pour la conduite du pays au quotidien. On a l’impression que ce pouvoir est un fantôme au point que des « belles maisons d’en-haut », dont on ne cite même pas des propriétaires, « coule l’eau propre qui passe ensuite dans les égouts » (Mvt I, p. 23) pour que le peuple puisse s’en procurer. Cette eau des égouts est leur unique salut contre la déshydratation permanente d’un « peuple écrasé » (Mvt I, p. 23).
Ensuite, la chambre du Meneur comme étant la tour de contrôle où naissent des idées en faveur du peuple, a produit celle relative à la marche pacifique pour réclamer le bien-être social de tous. C’est dans cette chambre exiguë que se tient des réunions ; lieu où germent des stratégies, de nouvelles idées qui prennent corps nettement dans les discussions, avant qu’elles soient soumises aux différents groupes. Faisant office de quartier général, la chambre du Meneur est un lieu austère, pauvre, où un grabat se trouve dans un coin, une petite tablette dans un autre et les murs tapissés des portraits des révolutionnaires (Che Guevara, Fidel Castro). En dépit de ce climat enclin à l’austérité, cette petite chambre est un endroit fertile en émotion et en cogitation d’intérêt communautaire. Elle promeut et excite la posture du Meneur au diapason de leadership national. Ce lieu, considéré avant la marche pacifique comme une sorte de forteresse, deviendra fébrile au cours des préparatifs de ladite marche ; une passoire où passent et repassent l’Envoyé et le Curé. Ces deux individus ont fait la reconnaissance du quartier général du Meneur. Ils ont observé, joué à l’apaisement, ils ont proposé des ’talkies walkies’’ piégés et ont usé des subterfuges à la fois flatteurs axés sur la prudence et l’inutilité de la marche pacifique.
Les bureaux des gestionnaires du pays sont utilisés pour d’autres fins. Ceux de l’Envoyé et du baron du régime qui s’est épris de la Militante ne servent que peu comme lieux de service. Les ébats amoureux s’y déroulent avec n’importe quelle jeune fille qui accepte de recevoir des billets de banque neufs. Ces bureaux servent aussi des lieux de renseignements secrets et personnalisés pour alimenter la rumeur ou la radio-trottoir, devenue par la force des choses la source d’information officielle à laquelle tout le monde s’abreuve. Toutes ces pratiques des barons du régime que décrie la morale se font au grand dam de la population muselée et sans liberté aucune.
La prison de P.M est un autre exemple de manque de liberté. Elle n’est pas décrite totalement mais, ses cellules et grilles apportent à la vie des pensionnaires, son côté solitaire dans un univers carcéral où surgissent d’autres espaces que se remémorent les prisonniers tels que leurs habitations, les magasins et les night-clubs, etc. Ce lieu que l’assassin appelle « sanctuaire du silence » (Tab. II, p. 19) ne s’affiche pas comme un lieu de désordre où on crie à sa guise. Il sert d’endroit de méditation profonde sur l’avenir de chaque détenu que le geôlier surveille nuit et jour. Contrairement au tribunal qui tolère entendre différentes assertions sur des propos des uns et des autres, au cours d’un jugement, la prison impose une discipline ferme au silence, annihile toute tentative de plainte et, finalement accepte une attitude qui s’accorde à la langue de bois.
De la prison aux lieux qui ont servi des crimes à chaque adulte, il n’y a qu’à esquisser un pas de recul. Pour la femme, les boîtes de nuit ou les night-clubs s’érigent en pôles de prostitution, après le mariage forcé qui la pousse à quitter la maison des parents et le toit conjugal, tantôt pour se venger d’un mari qui l’a déçue, elle se fait avorter pour que la justice se saisisse d’un motif valable qui la conduit en prison, tantôt pour cautionner l’adultère et l’empoisonnement qui, en fin de compte, causent la mort de son propre fils. Ces abus constituent des inculpations qui lui ont ouvert grandes les portes de la prison.
Pour les hommes, la maison n’assurait pas ce bon climat de construction d’une vie conjugale, honorable et satisfaisante. La modicité de salaire pousse souvent le voleur dans les rues pour voler et maintenir sa femme sous le toit conjugal. Celle de l’assassin a favorisé la double vie dans la débauche et sous le toit conjugal.
Ce qui n’est pas le cas pour l’Epouse (T.S.F), fidèle et dévouée à son mari. Et, justement, dans T.S.F, l’Epouse s’est toujours remarquée à la maison comme le ciment de son mariage, car c’est à la maison, lieu d’union à son époux et à ses enfants, qu’elle remplit correctement son rôle de mère de famille. Plus qu’un simple espace, la maison se projette en un endroit d’union dans le malheur comme dans le bonheur. Le malheur que provoque la maladie ne contrarie pas totalement l’Epouse qui tente d’assurer la protection de l’intégrité humaine de son mari, le suivi de son état de santé, les soins médicaux pour une espérance à une vie prospère. Transformée en une salle d’urgence, la maison dispose d’une véranda comme salle d’attente. Celle-ci est un compartiment de soutien à la chambre qui garde le malade à qui le médecin a recommandé autour de lui le silence et l’attention, en vue d’une éventuelle guérison. La véranda donc, dans ce cas, absorbe tout ce qui vient de l’extérieur et de l’intérieur de la maison. Tout y passe si bien qu’elle est devenue le lieu privilégié des intrigues, au point qu’on a parfois tendance à oublier le malade. Les entrées et les sorties du médecin et de l’épouse, partant toujours de la véranda, laissent perplexes les autres puisqu’ils ne peuvent rien faire pour le malade. Ainsi, ce genre de décor, instaure une note de dramatisation instantanée.
Par rapport à la maladie qui ronge l’époux, l’hôpital espace voué au traitement médical, comme espace clos, semble ne pas apporter le refuge qu’il lui faut. L’hôpital est comparable à un lieu isolement inactif dont la réponse aux problèmes posés ne trouve pas de solution. Il ne guérit que par miracle ou par un heureux concours de circonstance ; il ne rassure pas les malades car, les soins médicaux administrés ne réagissent pas avec l’effet positif attendu. Pratiquement défoncés et amortis, les lits ne facilitent pas le repos satisfaisant, ni le séjour agréable aux malades, à l’image du personnel médical rêveur et démotivé. Sans doute au vu de toutes ces conditions, l’amie, le médecin, avait décidé de réclamer au médecin directeur, la sortie de l’hôpital de l’époux pour le suivre personnellement à la maison. Dans ce sens qu’on voudrait demander à la maison du malade de pouvoir « combler ce manque désagréable à la santé » et offrir des conditions meilleures au bon rétablissement du malade. Cette idée effleure une autre faisant de l’église un bon refuge des patients. Comme espace, l’église rassure par la spiritualité et la paix intérieure qu’elle apporte. Mais, seulement là, il y a un autre problème puisque le prophète censé soutenir le malade chez lui, avec tout ce que représente la force de la bonne parole enseignée à l’église, ne parvient pas à garantir cette image que l’on attend de l’église. D’où, la maison reste le seul pôle d’attraction pour la résolution d’éventuels cas, tout aussi inexplicables (les proches parents de l’époux sont incapables d’expliquer l’origine d’une telle maladie), répréhensibles que compréhensibles.
Celle dans laquelle se trouvent l’Etudiant et sa sœur est une maison de famille qui accueille l’Etudiant après son séjour européen. Dès le départ (M.E), cette maison va véritablement se révéler en un espace clos, dans l’intimité de leur recueillement post mortem. A deux, l’Etudiant accroupi et sa sœur debout, sont devant une bougie posée par terre à côté de laquelle il y a un linge blanc contenant des reliques de la défunte mère. En ce moment, la maison reçoit leurs pleurs dans la triste évocation de la maladie de la mère et de la mort qui s’en était suivie.
Le cœur lourd, la mélancolie augmente chaque fois que le souvenir de la voix de la mère dont le passage suivant s’en fait l’écho :
Off’, voix de la mère :
Mon enfant, je vais partir … Mais je pars heureuse et satisfaite en te voyant… car toi, c’est ton frère. Quand il reviendra, dis-lui… Dis-lui et n’oublie pas (…) Vous nous avez vu vivre … (…) Votre père c’était moi et moi c’était votre père. (M.E, Acte I, p. 12)
… Ne nous tourmentez pas sous terre, au pays des ancêtres par une conduite déshonorante. Suivez notre exemple. (M.E, Acte I, p. 13).
Ne nous déshonore pour rien au monde. Que ton frère à son retour se trouve une bonne fille, digne de lui. (…) Mais qu’il épouse une fille qui sera une bonne femme de maison (M.E, Acte I, p. 14).
La maison est considérée comme référence d’une existence conforme aux bonnes manières pour ceux qui y habitent, notamment la femme qui en a toutes les charges. Elle est de ce fait, un lieu paisible, comme le dramaturge le montre à travers l’union de cœur des orphelins, les rencontres avec des amis, l’organisation d’une réception à l’honneur du directeur de l’administration publique où les échanges au sujet du travail ont pu égratigner le niveau de vie actuelle, la tradition ou la culture africaine pour enfin déboucher sur la gestion des services publics de l’Etat. En dépit de l’incident qui a abouti par malheur à une gifle fatale donnant lieu à la mort de la sœur de l’Etudiant, gifle dont l’intention noble était de corriger sa sœur du fait qu’elle a souillé l’honneur de la famille ; ils auraient, somme toute, mener une existence calme à tout point de vue, en souvenir des paroles de la défunte mère.
Dans la pièce Biso, l’espace dramatique tend à devenir définitivement un espace clos. Le home du campus universitaire, destiné à recevoir les étudiants internes, semble abandonné, s’isole dans la seule présence de quelques étudiantes. C’est à l’intérieur de ce circuit fermé que les étudiants sont aussi encadrés sur le plan moral, culturel, ludique et humain. Au sein de cet espace existe entre autres les salles de cours, les différents bâtiments administratif et académique, les laboratoires, les bibliothèques, les homes où logent les étudiants, etc. Le home des filles étudiantes, notamment, est en passe de devenir un lieu par excellence de beauté, une machinerie d’esthétique corporelle. Entendu dans ce sens, le home des filles est un attrait des hommes qui convoitent discrètement la sensualité de beautés cachées, loin de la bruyante vie quotidienne. Lieu d’enfermement au regard d’abord du cafard qu’elles ressentent chaque jour, à entendre la deuxième fille : « le cafard … la vie de l’internat (Acte I, p. 5)» et, ensuite de leurs obligations estudiantines, car elles ne peuvent sortir de homes qu’à la faveur d’un motif valable qui, en plus les y contraint – sans exclure la poussée de leur libido –, à mesure où s’écoulent les jours, les semaines et les mois avant la fin de l’année académique.
1.3. L’espace dans les didascalies et les dialogues
Les didascalies ne comportent pas seulement les mimes et les gestes des personnages, mais aussi des indications de lieu où se passe une scène, une séquence ou encore un Acte. Un dispositif qui aide le lecteur à suivre et comprendre certains événements. Mikanza représente, au travers de lieux ciblés, l’espace dans lequel des événements se déroulent réellement, suscitant une attraction du spectacle. C’est en fait, un travail spécifique, réalisé par le dramaturge qui mélange la scénologie et la scénographie. Ce travail est reparti pour que la scénographie s’occupe de l’opératoire tandis que la scénologie relève d’une discipline scientifique. Déjà à l’ouverture d’une pièce de théâtre, le lecteur/public est mis en contact des événements dramatiques qui vont se succéder. Ce lecteur/public se représente déjà le lieu et la manière dont l’action avance par le jeu des acteurs, l’existence d’un entourage explicite et immédiat.
Les renseignements venant des didascalies, tout comme ceux des dialogues (répliques, monologues) sont des indications nécessaires des lieux qui peuvent être complétées par « un champ imaginaire qui enchâsse l’espace global de la pièce de théâtre. Tout cela apporte une note qualitative à la structure de l’espace du drame qui confère une vision du réel grâce à l’illusion théâtrale ainsi créée[133] ». Au théâtre, on l’a dit, l’espace commis dans le texte théâtral peut englober l’espace scénique et le hors-texte. Dans la mesure où il n’est pas étudié pour lui-même (espace), il est par contre et, avantageusement, étudié dans le cadre de la dramaturgie. Aussi, pourrons-nous connaître qu’en « cette matière […] que l’on change de décor ou pas, [cela] importe peu : il y a toujours un hors-scène et quelque chose se passera toujours à côté ou ailleurs[134]». Car, sachons-le, le choix des lieux scéniques n’exclut pas la représentation d’un décor ou d’un tableau spatial, même l’évocation d’autres espaces. Ceux-ci racontés ou inférés, participent à la fictionalité, au concours sur un plan diégétique qui apporte plus de renseignements au lecteur/public. A ce point, les didascalies et les dialogues se prêtent mieux à la situation de communication pour que se fasse la recherche de l’espace.
Les didascalies et les dialogues précisément, dans cette communication, déterminent une pragmatique, c’est-à-dire les conditions concrètes de l’usage de la parole, indispensables et décisives pour l’interprétation. Eu égard à la permanence des didascalies internes plus nombreuses dans toutes les pièces par rapport aux didascalies initiales, tournées vers la description du décor et celles techniques, portées sur les indications de régie plus présentes dans L.B.K, P.F.A, P.M et M.E qu’ailleurs et, à l’existence de l’espace aussi bien dans les didascalies internes que dans les dialogues, il faut comprendre que le texte de théâtre « a besoin pour exister d’un lieu, d’une spatialité où se déploient les rapports physiques entre les personnages[135]». C’est que la spatialité produite par le texte théâtral l’exonère de toute platitude, lui conférant la profondeur du fait qu’elle est, entre autres, localisée dans les didascalies internes et dialogues et, fonctionnelle dans la mesure où la spatialité oriente aussi vers « la pratique de la représentation, c’est-à-dire de la mise en espace [136]». Cette mise en espace est de plus en plus visible, concrète dans les rapports physiques des personnages et dans l’existence du lieu où s’exercent leurs activités. Il se forme en ce sens, l’espace dans sa représentation de différentes instances du moi qui sous-tend le sensoriel comme espace dans lequel s’accumule la lumière, les sons, les odeurs, le visuel, l’audible, l’olfactif et le tactile, mais aussi l’espace éthologique/topologique et celui construit socialement.
Comme on peut le constater, le choix lié aux didascalies internes et aux dialogues poursuivant l’étude de l’espace inscrit dans le texte, ramène à la surface la spécificité du texte de théâtre – texte littéraire –, évite d’éparpiller l’attention aux autres paramètres dramatiques de moins en moins accidentels et faibles quant à la description de l’espace, pour s’en trouver plus éclairant.
1.3.1. Dans les didascalies
L.B.K fait grand cas de camp des opérations sur la plaine de la Ruzizi pour indiquer comment s’organisent les militaires dans cet espace. Ainsi, la didascalie indique :
Deux veilleurs dorment autour d’un feu. Deux autres font les cent pas. (L.B.K, Tab. I, p. 15).
Ce lieu des opérations, on se rend compte, est vaste au vu de la description qui en est faite et de l’environnement naturel qui s’étend dans la plaine de la Ruzizi. Les sens sont en alerte dans ce camp des opérations à partir duquel on entend des coups de feu, venant de nulle part d’autant plus qu’il est difficile de les localiser. Seuls les bruits des rebelles sont perçus à l’approche du camp, certes, sans qu’on en détermine la provenance, ni en supposer de manière fortuite le lieu où se trouve la base arrière des rebelles.
Dans cette sorte d’expectative, les veilleurs du camp des opérations reçoivent les ordres de leur commandant, pour mettre en place un dispositif de surveillance accrue :
Six ou sept soldats sortent du rang. (L.B.K, Tab. I, p. 18).
Après les ordres du commandant, les soldats se déplacent et :
Les veilleurs reprennent leur place tandis que le commandant s’enferme dans sa tente. Le premier et le troisième veilleurs sont assis au centre. Le deuxième est debout côté jardin. Le quatrième veilleur est debout côté court. (L.B.K, Tab. II, p. 20).
Ceci donne lieu à des précautions dans ce camp des opérations, considéré comme une forteresse, un lieu stratégique, au sein duquel il y a l’incessant mouvement de va et vient, le regroupement et le repositionnement par poste de garde, poste de commando et d’éclaireur, tantôt tapis aux différents coins du camp, tantôt près de la tente des opérateurs ou de celle des officiers. A propos de la stratégie militaire, quand survient l’attaque contre les rebelles, la didascalie montre le positionnement requit par le Commandant en chef :
(…) le commandant en chef vient se placer devant les troupes. (L.B.K, Tab. VI, p. 53).
Le commandant des opérations, aux côtés du commandant en chef (…) Tout le monde recule. (L.B.K, Tab. VI, p. 54).
Les soldats se lancent à l’attaque aux côtés du commandant en chef (…). (L.B.K, Tab. VI, p. 55).
Après l’encerclement des rebelles par les troupes armées, la victoire était désormais possible. Au camp des opérations on connaît une ambiance de joie inhabituelle :
Les soldats bondissent de joie, se roulent par terre et au son d’une musique militaire, ils défilent devant le commandant en chef qui est demeuré sur le pont. (L.B.K, Tab. VI, p. 56).
Une autre description de l’espace se lit dans P.M par rapport à l’enchaînement du récit, à partir de la prison. La description de la prison donne une idée d’exiguïté inéluctable où persiste le remord :
Le voleur, l’assassin et la femme sont dans leurs cellules respectives. La femme tricote, l’assassin lit un roman, le voleur peigne les cheveux (…) Dans le lointain – off – leur parvient comme amenés par le vent, les sons d’un transistor qui diffuse la mélodie de « Mokolo nakokufa ». (P.M, Tab. I, p. 13).
Les prisonniers assis sur des banquettes écoutent la musique en silence, immobiles. Puis les cris des gardiens et des pleurs se mêlent à la musique grossissante. Un gardien pousse dans la quatrième cellule demeurée vide un jeune garçon. (P.M, Tab. II, p. 18).
La surprise créée par l’arrivée du garçon pousse les adultes à s’asseoir pour l’observer, chacun à partir de sa cellule, avec un air silencieux. Leur attitude pleine d’emphase, d’ironie, de méchanceté, change en tristesse et en douceur quand ils écoutent l’histoire que leur relate le garçon. La prison est le lieu qui fait connaître le milieu dans lequel chaque adulte a vécu et ce qu’ils ont fait avant leur incarcération. C’est ainsi qu’on peut voir le voleur en quête du travail se mouvoir dans un bureau ou ailleurs.
Le voleur marche derrière l’écran pour se trouver face au premier homme assis derrière un bureau. (P.M, Tab. VI, p. 56). (Tab. IV, p. 33).
Il arrive devant le deuxième homme assis devant son bureau. (P.M, Tab. IV, p. 34).
Dans leur domicile respectif, on voit d’abord le voleur qui a l’air indécis :
Le voleur est assis. La première femme se promène murmurant. (P.M, Tab. V, p. 42).
Le voleur est seul debout (…). (P.M, Tab. V, p. 44).
Lorsqu’il décide de voler pour satisfaire les caprices de sa femme :
(…) il s’introduit dans une maison… bouscule les objets. Un homme hurlant « au voleur ». Une brève lutte entre l’homme et lui, il arrive un deuxième homme… le voleur est maîtrisé. (P.M, Tab. V, p. 44).
On voit ensuite la femme, alors jeune fille, qui ne se doute pas de ce qui va lui arriver. Sous la dépendance des parents, elle est encore écolière et incapable de s’élever contre leur décision.
(…) Une jolie jeune fille en robe courte revenant de l’école. (…) le groupe formé par le Papa – premier homme, deux hommes d’âge mûr et un jeune homme bien habillé. Ils sont assis autour de quelques verres de bière devant la maison. (P.M, Tab. VI, p. 48).
Pour s’enquérir de la présence aussi peu habituelle que nombreuse à la maison, elle va rencontrer sa mère :
(…) la femme et sa mère (deuxième femme) devant la cuisine. (P.M, Tab. VI, p. 49).
Sous le toit conjugal, la didascalie montre la femme en compagnie d’autres personnes, en plusieurs endroits. Ici, elle est au domicile conjugal et après dans la vie de débauche :
(…) la femme et son mari… le mari battant la femme. (P.M, Tab. VI, p. 50).
La femme assise en compagnie d’une autre fille de son âge (…) avec un homme tâtant ses seins, (…) la femme et la première femme sirotant un verre dans un bar (…) en pleine conversation. (P.M, Tab. VII, p. 52).
(…) la femme en compagnie d’hommes différents, en tenues différentes. Musique entraînante et variée (…). (P.M, Tab. VIII, p. 56).
Une sorte d’errance a conduit la femme à mener une vie de débauche, laquelle va déboucher sur un deuxième mariage pour uniquement se venger de l’homme.
Au domicile de l’assassin, la didascalie montre sa femme s’occuper des tâches ordinaires, dans une atmosphère de totale quiétude :
La femme de l’assassin écoute la musique, assise dans un fauteuil d’un salon (…) revenant du service l’assassin embrasse sa femme. (P.M, Tab. XII, p. 68).
(…) allant chercher un verre... elle lui a versé de la bière et lui offre son verre. (P.M, Tab. XII, p. 69). (…) augmente le volume de la radio, puis apprête le matériel de coiffure. Son amie, première femme, arrive aussitôt et est accueillie par une embrassade. (…) peigne les cheveux de la première femme. (P.M, Tab. XII, pp. 70-71). La première femme se mire tandis que la deuxième range le matériel de coiffure. (P.M, Tab. XII, p. 75).
Les visites fréquentes du concubin de la femme de l’assassin au domicile de ce dernier, vont finir par une catastrophe, comme en témoigne la didascalie.
Au salon où sont assis la deuxième femme et le deuxième homme. (P.M, Tab. XII, p. 78). La deuxième femme est assise sur un siège tandis que le deuxième homme est près de la porte. Il a à peine le temps de crier « attention… voici ton mari », que l’assassin, hors de lui est déjà dans le salon.
Il bouscule la première femme qui tombe puis empoigne le deuxième homme, le redresse et le pousse vers la première femme sur laquelle il trébuche et s’étend en empoignant sa femme à la gorge en criant. Il serre la gorge de sa femme qui pousse des cris (… ) la langue lui sort de la bouche. (P.M, Tab. XII, p. 82).
Dans sa première didascalie, T.S.F fait mention du domicile de malade, lieu figuratif de tout le drame où arrivent tour à tour les membres de sa famille, le médecin et le prophète. Ainsi, on sait observer la topographie de la maison et de la concession dans laquelle habitent le malade, son épouse et leurs enfants. Par la véranda :
Entre la sœur. (T.S.F, Tab. I, p. 20). L’amie entre par la porte de la véranda (T.S.F, Tab. I, p. 25). Elle dépose un paquet et son gros sac sur une tablette. Elle embrasse l’épouse puis se tournant vers la sœur. (T.S.F, Tab. II, p. 27). (Silence)
Elle tire un siège et s’assied à côté de l’épouse. (T.S.F, Tab. II, p. 32).
L’Epouse apprend l’origine de la maladie de son époux, au même moment survient une chute brusque de tension artérielle du malade. Ce changement va provoquer une série de gestes chez les autres qui expriment leur comportement intérieur. L’Epouse s’écroule à genoux, après s’être essuyé les larmes, elle entre dans la maison :
L’amie sort de son sac un téléphone (…) L’oncle, la mère et la sœur sont entrés, venant de la maison, pendant la conversation téléphonique. (T.S.F, Tab. II, p. 37).
L’amie se précipite dans la maison tandis que tous les autres ont le regard fixé sur la porte. L’amie revient précipitamment fouiller dans le carton qu’elle avait amené au début, en sort un sachet de sérum et quelques ampoules. En rentrant dans la maison, elle fait signe aux autres d’attendre sur place. (T.S.F, Tab. III, p. 45).
Le prophète s’arrête brusquement devant la sœur. (T.S.F, Tab. IV, p. 49).
L’épouse, l’air très grave, sort de la maison comme un automate. Elle ne semble voir personne. Elle reprend son siège le regard perdu dans le lointain. Tous les autres la regardent, interrogateurs. La mère et la sœur se lancent vers la maison. Elle les arrête d’un geste de la main. (T.S.F, Tab. V, p. 51).
La maison du malade continue à demeurer l’espace de la scène de désarroi. La prière conduite par le prophète et sa présence au chevet du malade ont pu, comme par un heureux hasard, aider à éveiller sa conscience un petit moment. Mais, malgré cette assurance ostensible, rien ne semble donner raison aux médicaments administrés jusqu’à présent. On peut aussi voir la suite d’une autre gestualité :
Sortant précipitamment de la maison. Les deux femmes n’attendent pas la deuxième phrase. Elles se sont précipitées dans la maison. A genoux, les mains en croix, le prophète prie jusqu’au moment où la mère, l’oncle et la sœur sortent de la maison. La mère s’assied à même le sol. L’oncle fait les cent pas. (T.S.F, Tab. VII, p. 65).
La porte de la maison s’ouvre, l’amie sort soutenant l’épouse effondrée. (…) L’amie brise le flacon de médicament sur le pavement. L’épouse s’effondre tenant toujours l’enveloppe sur son cœur. L’amie s’assied auprès d’elle. (T.S.F, Tab. VII, p. 67).
En aucune manière la maison qui héberge le malade a permis d’être un espace de guérison, mais plutôt elle reste un espace de secret, de rebondissement de son état, sans connaître une nette amélioration de santé. La maison du malade n’a pu remplacer valablement l’hôpital pour servir à cette amélioration tant souhaitée par la famille ; d’autant plus que la sortie d’hôpital aurait dû signifier certainement l’imminence de sa guérison.
N.S est une pièce qui comporte un grand nombre de didascalies internes. Mais la didascalie initiale nous introduit dans la petite chambre du Meneur pour découvrir ce qui s’y trouve et ceux qui parlent de la marche pacifique.
(…) grabat dans un coin, petite table dans l’autre. (N.S, Mvt. I, p. 13). L’Adjoint ouvre la porte et s’efface devant un homme portant un carton qu’il dépose sur la table. C’est l’Envoyé. Le Meneur suit tous ses mouvements d’un regard impassible. L’Adjoint est resté près de la porte qu’il a refermée. (N.S, Mvt. II, p. 24).
Après le départ de l’Envoyé, le Meneur et l’Adjoint vont continuer à cogiter sur les aspects du plan à mettre en exécution, en vue de matérialiser leur projet.
(…) une carte sur la table. Les deux s’y penchent. (N.S, Mvt. III, p. 39). L’Adjoint sort. Le Meneur s’assied au bord du lit, la tête entre les mains. (N.S, Mvt. III, p. 40).
Les didascalies vont continuer à offrir une vue d’ensemble de la petite chambre au point qu’on a l’impression de toucher aux objets qui sont dedans.
La porte s’ouvre et la Militante entre… Elle pose son sac à main sur le lit et jette un coup d’œil circulaire. La Militante prend la bouteille dans un coin et boit au goulot. (N.S, Mvt. IV, p. 42).
La petite chambre du Meneur est de nouveau visitée par le Curé. Celui-ci est la deuxième personne envoyée discrètement par le pouvoir pour en savoir un peu plus sur ce qui se passe. La chambre du Meneur semble devenir un lieu de convoitise pour des propos qui encouragent leur initiative, mais aussi une tanière de sauvage qui doit être rasée à la base. Ainsi, arrive le deuxième envoyé, le Curé :
On frappe des coups redoublés à la porte… L’Adjoint ouvre la porte. Entre le Curé très excité. En parlant, il se précipite vers chacune des personnes qui l’évite et, hostile, va occuper une place éloignée, au centre. (N.S, Mvt. V, p. 48).
N’en pouvant plus, le Curé s’effondre sur la chaise, le regard courant de l’un à l’autre des trois personnages. (N.S, Mvt. V, p. 49).
L’intrusion du Curé n’a pas plu au Meneur, à l’Adjoint et à la Militante qui constatent qu’il perd utilement son temps à les dissuader, au lieu de s’occuper de ses paroissiens. Accueilli froidement, le Curé :
Sort, las et courbé dans un silence absolu qui se prolonge après que la porte se soit fermée derrière lui. (N.S, Mvt. VI, pp. 57-58).
Ce départ réconforte le Meneur et ses amis qui vont devoir exécuter des gestes, apparemment empreints d’amitié, mais qui sont particuliers en signe de concentration et de conviction pour le succès de leur projet. La didascalie en donne une illustration :
Le Meneur prend les deux mains de l’Adjoint. La Militante met sa main gauche dans la main droite du Meneur et sa main droite dans la main gauche de l’Adjoint. Les yeux rivés au sol, ils lèvent leurs mains ainsi soudés vers le ciel et restent ainsi quelques instants. (N.S, Mvt. VI, p. 58).
La Militante toujours en sanglot s’est assise sur le lit (…). (N.S, Mvt. VI, p. 59). Le Meneur s’approche d’elle, la relève et lui essuie les larmes (…). Se blottissant contre lui… le Meneur se détache et se dirige lentement vers le mur opposé puis, se retournant, lui fait face… ils se sont avancés l’un vers l’autre les bras ouverts. Au milieu de la chambre, ils se rencontrent et s’étreignent… puis se dirigent vers la couchette dans laquelle ils s’étendent, recouverts d’un drap… (N.S, Mvt. VI, pp. 60-62).
Dans cette chambre qui s’apparente à un espace gagné par l’exorcisme, le Meneur apparaît comme un homme croyant à une force supérieure. Les portraits sur le mur semblent lui donner une seconde force pour agir dans des situations d’exception. Son caractère d’africain doublé d’intellectuel, le pousse à tenir à ses idéaux et ses convictions pour l’intérêt communautaire. Malheureusement, rien de tout cela ne favorise la réussite de son projet, quand le cauchemar qui le hante revient encore. Le climat dans la chambre devient insupportable surtout lorsque du motorola « grésillent » d’incessants appels :
(…) des bruits bizarres inondent la chambre tandis que des flashes du cauchemar apparaissent. La Meneur s’énerve de plus en plus. Il marche en sueur (…). (N.S, Mvt. VII, p. 65).
La porte s’ouvre avec fracas laissant entrer l’Envoyé. …des cris de panique, on entend des déflagrations et des coups de feu. (N.S, Mvt. VII, p. 66).
La manifestation pacifique est réprimée dans le sang. Les militaires du régime dictatorial ont tiré dans toutes les directions pour faire plus de victimes possibles et mettent en garde toute tentative qui pourra encore agir au nom du peuple.
Au prologue, la didascalie de P.F.A met en relief deux espaces : le village et la forêt :
L’heure du retour au village après une journée de travail en forêt. Du fond de la salle (…). (P.F.A, Prologue, p. 5).
Ces endroits font référence à l’espace dramatique qui enchâsse le cadre dans lequel se conforme l’action en présence et l’espace scénique. C’est que les hommes et les femmes cadrés dans le premier espace, font partie de la masse laborieuse du village dont les possibilités résident dans les activités agricoles, l’exploitation et la mise en valeur des ressources forestières.
A l’Acte I de P.F.A, l’espace visé est celui de la résidence du chef Manga :
Le chef Manga est assis sur une chaise longue devant un feu (…). Puis se tournant vers les habitations de ses femmes (P.F.A, Acte I, sc. 1, p. 7). (…) Des sièges ont été disposés autour du feu (…). (P.F.A, Acte I, sc. 3, p. 8). Tout le monde est assis autour du feu. (P.F.A, Acte I, sc. 5 p. 10).
On constate la même chose à Benga, lorsque le chef Mukoko reçoit Mayamu :
(…) Devant la case du chef Mukoko à Benga un petit feu autour duquel se trouvent Mukoko, Mayamu et les deux femmes de Mukoko (…). (Acte II, sc. 1, p. 28).
De même au retour de l’expédition des marchands :
Devant la maison de Mukoko. Celui-ci est assis et à côté de lui Mayamu, songeur, les deux femmes du chef assises sur des nattes, (…). On entend des sons de tam-tam venant du village où l’on danse pour fêter le retour de l’expédition. (P.F.A, Acte II, sc. 8, p. 43).
Le feu dans la cours du chef est une indication qui situe l’espace au niveau éthologique. Ce qui pousse à comprendre que l’espace éthologique constitue un espace de convivialité, de confraternité et de partage mutuel. Mais, aussi un espace de l’autorité dans l’organisation coutumière des noirs africains où se traitent avec sérieux et justesse les problèmes du village.
Lorsqu’on s’éloigne de la résidence du chef, on peut voir des cases rassemblées ou espacées qui bordent les rues du village. Un autre endroit de rassemblement se trouve au centre :
Au milieu du village, un groupe important d’hommes prend le frais sous un arbre. A quelque distance de là, une des femmes, près d’une case, travaille à fumer quelques morceaux de viande. (P.F.A, Acte I, sc. 10, p. 24).
Un dispositif qui recourt une fois de plus à l’espace éthologique qui exprime l’égalité au village. Chacun peut quitter chez lui pour se joindre aux compatriotes. Tout le monde se retrouve dans la neutralité et sans considérations partisanes. Chacun se reconnaît par une même destinée à travers les autres dans un même village.
C’est de cette manière que les villageois ont l’habitude de se réunir sous un arbre, devenu longtemps un lieu de repos :
Sous un arbre près de la case du chef Manga, tout le conseil de Kipwala (…). (P.F.A, Intermède, p. 47).
Comme on le voit, l’ombrage d’un arbre apaise et protège contre les rayons solaires. L’air qui y passe conforte ceux qui sont sous l’arbre à traiter leurs problèmes avec lucidité et compréhension mutuelle. C’est dans le même esprit que le lieu choisi pour la confrontation de deux chefs à la danse soit la verdure naturelle autour des arbres.
(…) les habitants de chaque village s’asseyent dans l’herbe. (P.F.A, Acte III, sc. 1, p. 52).
Cette représentation significative conforte l’existence paisible et solidaire des paysans, à l’image de la proposition de combattre par la danse en présence de deux villages. Ceci, pour traduire le rôle prépondérant que joue la nature dans la vie humaine.
A Benga, les préparatifs de voyage du groupe des marchands commencent à un endroit quelque peu sibyllin quant à son choix. Il s’agit de l’insinuante désignation d’une pierre plate.
Le groupe se dispose autour d’une pierre plate. Le sorcier fait face aux autres. Ils chantent en battant les mains. – Incantations, implorations du sorcier (…). Il tranche le cou du coq et verse le sang sur la pierre. Il verse du vin par terre – les autres se sont cachés la tête dans les mains. (P.F.A, Acte II, sc. 5, p. 38).
Par terre, le vin s’infiltre facilement. C’est le signe que les ancêtres, à qui on le destine, le consomment aussitôt. Mais le sang versé sur la pierre plate se conserve pendant longtemps que s’il est versé par terre. Ce sang est le pacte entre les marchands censés se conduire selon les recommandations du sorcier Musongi. Il scelle le mauvais sort, enlumine la surface de la pierre plate pour un attachement indélébile.
M.E ne comporte que peu de didascalies techniques ayant trait aux indications de régie, uniquement placées au début de chaque Acte. Contrairement aux autres pièces de théâtre, les didascalies internes s’étalent dans toute la pièce pour situer l’action, les mouvements (la kinésique), ce qui se passe réellement, etc. Pour ce qui est de l’espace, M.E désigne au début le lieu scénique de l’action.
Une bougie posée par terre éclaire faiblement la salle. (M.E, Acte I, p. 9).
Dans cette salle qui représente la maison dans laquelle se trouvent l’Etudiant et sa sœur, se perçoivent leurs faits et gestes soustenus par le souvenir de la défunte mère et la recherche du travail pour l’Etudiant. Aussi, lorsque le recueillement prend fin, la sœur se dirige vers sa chambre :
tournant l’interrupteur au passage. La lumière revient au salon et l’Etudiant souffle la bougie puis va s’asseoir, pensif dans un fauteuil. (M.E, Acte I, p. 15).
Après le salon vient le tour de la cuisine où la sœur ira chercher souvent quelque chose à offrir aux amis qui viennent à la maison.
La sœur va dans la cuisine. (M.E, Acte I, p. 21).
La description de la maison va se poursuivre pour découvrir les autres endroits à l’intérieur au moment où l’Etudiant décide de changer sa tenue :
Il fait un pas vers l’escalier quand on frappe à la porte, (…)(M.E, Acte I, p. 28). Il s’en va dans sa chambre. (…) sort de sa chambre marchant comme un robot pour montrer qu’il n’est pas à l’aise dans sa tenue. (M.E, Acte I, p. 73).
Dans un autre endroit, les amis de l’Etudiant préparent la réception à l’honneur de monsieur le directeur.
La salle à manger est arrangée pour la réception. (M.E, Acte II, p. 76). Les deux jeunes filles sont en train de dresser la table. (M.E, Acte II, p. 81).
A ce niveau, on peut observer une disposition dans l’emplacement au salon :
(…) la sœur indique les places : le directeur au milieu, flanqué de la sœur et de la fiancée, occupe la longueur de la table face au public tandis que l’ami et le fiancé occupent chacun une des largeurs de la table. (M.E, Acte II, p. 84).
La proxémique ainsi faite dans le sallon désigné comme la salle à manger, semble à la fois plaire aux amis de l’Etudiant et attiser la convoitise du directeur de l’Administration Publique, à côté de la sœur et de la fiancée, deux filles qu’il va forcement suborner plus tard et aussi parce qu’on lui accorde une attention particulière. A la fin de la réception :
Tout le monde l’accompagne à la porte. (M.E, Acte II, p. 92).
A part la salle à manger, la didascalie continue de montrer la porte d’entrée, la porte côté cour et le palier. Ainsi, la sœur qui rentre tardivement à la maison, se chamaille avec son frère :
En pleurant, elle monte les escaliers, mais s’arrête sur le palier. (M.E, Acte II, p. 119).
A cet endroit précis, il y aura l’irréparable quand l’Etudiant parvient aux escaliers pour donner une gifle retentissante à sa sœur. Le palier est le lieu de l’accident mortel.
(…) la sœur qui perd l’équilibre et tombe du palier sur le plancher du salon. (M.E, Acte II, p. 121).
Le palier de la maison, espace qui sert à marquer une pause dans les escaliers, se transforme en témoin de la mort. Ce qui n’a pas suffit à l’Etudiant de boire le calice jusqu’à la lie. De ce fait, il apparaît forcement un autre lieu : le tribunal où sera jugé l’Etudiant. Ce lieu est aussi décrit de l’intérieur pour retrouver la scène des personnes qui siègent et viennent habituellement.
Salle de tribunal. Sur scène (…) Tout le monde, y compris le public se lève. Entre le président par la porte unique sur le palier. (…) Par la porte, côté jardin entre l’Etudiant, escorté de deux gardes. (…). (M.E, Acte III, p. 122).
Ainsi commence le procès de l’Etudiant avec une vue de la salle de tribunal où il y a certainement le banc des accusés, la barre des témoins, celle de la défense, la table des juges, celle du greffier et les places assises pour le public.
1.3.2. Dans les dialogues
L’espace est aussi présent dans les dialogues comme il a pu être question dans les didascalies, lesquelles auront situé les lieux et endroits constituant ce même paramètre dramatique. Aussi, nous ferons œuvre utile de revenir sur certains endroits et lieux indiqués déjà dans les didascalies, non pour apporter une note redondante, mais plutôt et surtout pour étaler la richesse de l’espace à dénicher dans les dialogues. A ce propos, dans cette réplique du chef Manga (P.F.A) s’adressant à l’une de ses épouses, nous pouvons entrevoir facilement cette notion d’espace :
(…) que font tous les autres enfants ? Matola n’est pas le seul que vous devez utiliser. D’ailleurs sa place est auprès de moi. (P.F.A, Acte I, sc. 1, p. 8).
Sa place auprès de moi signifie qu’il est le futur chef du village Kipwala. Place en tant que règne, pouvoir et grandeur qui s’identifient comme indices de l’espace, la cour du chef ou la cour princière. Dans les échanges entre les notables consistant à connaître le train de vie de chacun d’eux, on y décèle aussi l’espace. Voyons ce que disent ces deux notables :
Mayamu :
(…) comment s’est terminée ta dispute avec les gens de Mbelo à propos de ton étang ?
Muka :
(…) Il ne nous appartient pas, à nous, de semer les discordes avec les autres villages. (P.F.A, Acte I, sc. 4, p. 10).
Les endroits visés ici servent de lieux d’habitation et de production, bien qu’appartenant à un individu. Ils peuvent aussi aider toute la communauté. Ainsi, le contexte de leur message rappelle, certes, la solidarité villageoise au centre delaquelle se situe la sagesse séculaire transmise aux uns et aux autres mutuellement dans une potentialité où l’espace est toujours vivace.
Manga :
Le chien a quatre pattes, mais ne peut suivre qu’un seul chemin. (P.F.A, Acte I, sc. 8, p. 14).
(…) puisqu’il faut préserver la santé, cette grosse richesse, nous devons demander l’aide de la nature. Il y a peu (…) la saison sèche ? Nous la sentons et la voyons partout. Nous la voyons surtout dans nos forêts, nous la voyons assécher et jaunir l’herbe verte de nos brousses. (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 16)
Dititi :
Chef Manga l’herbe verte des brousses est devenue jaune.
Muka :
A a ah Sorcier Dititi, si tu t’en vas, qui donc prendra ta place ? (P.F.A, Acte I, sc. 9, p. 18).
Mala :
(…) Tu veux épargner la brousse et la forêt, n’est-ce pas donner un bon refuge aux animaux qui fuyant les régions en feu, vont s’abriter là où le feu n’est pas entré ? (P.F.A, Acte I, sc. 9, pp. 19-20).
Manga :
(…) cette viande, il nous faut la trouver quelque part. a quoi servent, sinon à cela, les forêts et les brousses. (P.F.A, Acte I, sc. 10, p. 21).
Muka :
(…) je demande au chef de poser la question à l’assemblée pour s’en rendre compte. (P.F.A, Acte I, sc. 11, p. 24).
Dans la discussion qui est animée au cours de l’assemblée, certains notables appuient l’organisation des feux de brousse. D’autres par contre ne sont pas de cet avis. Nous pouvons constater que le programme qui semble sortir des idées des uns et des autres font référence à la nature, à la forêt et à la brousse qui sont des endroits visés pour la chasse aux gibiers. Ils évoquent aussi des emplacements susceptibles de regorger des bêtes sauvages. Les forêts et les brousses ont toujours un rôle à jouer dans le système de sauvegarde de l’écologie. Une écologie que suggère cette expression « l’herbe verte de nos brousses » (Acte I, sc. 10, p. 21) dans la mesure où on ne tient pas la voir séchée ou transformée par le feu.
Et donc, c’est à l’assemblée, instance de décision, de pouvoir décider en conséquence, lorsqu’on connaît les effets dévastateurs d’un feu de brousse incontrôlé dans la région ou la zone où il se met en œuvre. Malgré le risque d’embrasement qu’aura provoqué ce foyer destructeur, le chef Manga, par sa volonté à faire feu de tout bois, condamne les forêts et les brousses à l’extinction (disparition), surtout quand il impose ce dictat : « cette viande, il nous faut la trouver quelque part. A quoi servent, sinon à cela, les forêts et les brousses » (Acte I, sc. 10, p. 21). C’est une déclaration qui soutient qu’il ne s’agit pas de rechercher ailleurs la solution, d’autant plus qu’il existe dans la nature des endroits connus comme refuges, c’est-à-dire lieux naturels qui gardent et protègent les bêtes sauvages, mais que l’on doit traquer par l’incendie provoqué par le feu. Dans ce contexte, les refuges censés servir des lieux de conservation des espèces de la faune et de la biodiversité génétique peuvent être détruits, saccagés, au même moment que la flore, uniquement et à tout prix, pour s’approvisionner en viande fraîche.
La décision de continuer les grandes chasses est prise par l’assemblée, celle sur les feux de brousse de cette année aussi. Le chef Manga, par voie de conséquence, fait la recommandation aussitôt sur l’itinéraire de la chasse :
(…) nous brûlerons la brousse du Muheta et nous descendrons progressivement jusqu’à la forêt de Mundanda en allant dans le sens du vent … (P.F.A, Acte I, sc. 11, p. 24).
Par cet itinéraire, on peut facilement apercevoir une topographie naturelle, les lieux de chasse réputés riches en ressources naturelles et de diversité de la faune. On note aussi à l’avance le glouton appétit du chef Manga qui anticipe ses saveurs et espérances gustatives d’un repas copieux fait de viande des gibiers de toute sorte. A propos des gibiers, ils ont été pourchassés selon une technique bien apprise dans la brousse. On entend Penga dire aux femmes ceci :
(…) tandis que vous creusiez les trous des rats, nous pourchassions à grande vitesse le gibier. (P.F.A, Acte I, sc. 11, p. 25).
Cette chasse, on peut le constater, n’a pas donné des prises attendues alors qu’elle s’est effectuée à travers les forêts et les brousses.
Un espace géographique très étendu qui a dû essouffler les « chasseurs-coureurs », fatiguer et augmenter l’appréhension ressentie précédemment par Mayamu, au fur et à mesure où se déroulaient les feux de brousse. Et, on en veut pour preuve, cette parole sage du griot Kapaya selon laquelle :
Il y a plus de matière dans deux têtes que dans une seule. (A P.F.A, cte I, sc. 11, p. 33).
De Kipwala à Benga, Mayamu opère un changement d’espace géographique certes, mais surtout socialement différent du sien. La distance entre le point de départ Kipwala et l’arrivée Benga, n’occulterait pas l’espace entre les deux villages qui tient de l’éloignement et de dispositions mentales différentes.
Mayamu :
C’est pourquoi j’ai jugé bon de m’éloigner pour un temps. Les voyages instruisent et j’espère qu’en rentrant à Kipwala, je pourrai rapporter un remède à sa misère. (P.F.A, Acte II, sc. 1, p. 28).
D’où, Benga, d’après Mayamu, se présente comme un espace culturel et économique très équilibré, en dépit du fait que, comme il l’affirme lui-même : « sur cette terre on ne jouit pas de perfection ». A Benga, on observe des efforts fournis par les villageois, grâce à leur sens de bonté, se transformer en espaces tels :
Des marchés dans ce village (…) des moissons … les grandes cueillettes qui se terminent par un marché local. (P.F.A, Acte II, sc. 4, p. 34-35).
Un espace économique qui s’implante à travers les activités de la chasse, la pêche, les récoltes des produits alimentaires, ceux des artisans, ainsi que ceux procédant des échanges commerciaux avec les autres villages. Et, spécialement, les échanges du sel, des fils et aiguilles et tout autre produit susceptible de les intéresser dans le cadre d’un troc. Ces marchands voyagent dans les pirogues, par le fleuve dont le courant n’est pas facile à remonter. A l’inverse Mayamu résume l’espace Kipwala comme celui de famine de misère et de pauvreté visibles à travers le comportement de tout le monde. Mais il ne peut s’empêcher d’y retourner pour aider à son développement.
Dès son retour au pays, l’Etudiant dans M.E s’informe auprès de sa sœur au sujet de leur défunte mère :
La sœur :
(…) Tu étais loin. Moi, je travaillais déjà ici en ville. (M.E, Acte I, p. 10).
On découvre dans leur dialogue une certaine évocation des lieux éloignés (l’Europe et la ville) les uns des autres. De plus, les lieux peuvent révéler la présence d’un comportement conçu dans un environnement où émergent souvent des sentiments humains prédisposés, à tord ou à raison, à la continence :
L’Etudiant :
Il est heureux que tu sois arrivée à temps au village. Bien entendu, maman n’avait pas été conduite à l’hôpital.
La sœur :
(…) Tu sais aussi combien loin est le dispensaire le plus proche du village. (…) puis elle m’a dit : « Ton frère aîné est loin. (…) Quand votre père a quitté ce monde, il n’a vu, le pauvre, aucun de vous…
Off, voix de la mère :
(…) je vais partir aussi. (…) Ne nous tourmentez pas sous terre, au pays des ancêtres par une conduite déshonorante… Même au tribunal des anciens, nous n’aurons pas de questions embarrassantes… Ne nous déshonore pour rien au monde. (…) Ne nous faites pas honte dans l’autre monde. (M.E, Acte I, pp. 10-14).
Il apparaît que le monde dans lequel vit les hommes possède une signification selon que l’on est citadin ou villageois. C’est ainsi que le villageois réagit au rythme de sa culture, de ses coutumes ancrées depuis plusieurs années. Après avoir entendu sa sœur, l’Etudiant, en reconnaissance du milieu natal des parents, réagit en ces termes :
Nous attendrons que je commence à travailler et nous irons ensemble au village pour que je fleurisse la tombe de père et mère. (M.E, Acte I, p. 15).
Le village étant le cordon ombilical et la source où s’abreuvent les villageois aux pratiques de fraternité, de convivialité et d’honnêteté. La mère en était l’une des ferventes protectrices. Aussi, elle ne pouvait qu’insuffler ce parfum villageois à ses enfants. Ceux-ci apaisés et consolés par leur perception mutuelle, vont accueillir le fiancé. Ce dernier, surpris par la tenue vestimentaire de l’Etudiant (habillé en pagne), ne se retient pas à le traiter de chef coutumier. Sa brusque esquive nous entraîne dans un espace dont l’allusion tend à stigmatiser certains faits au quotidien.
En vrai chef coutumier, je te ferai remarquer que chez nous, on ne frappe pas aux portes. Nous ne sommes pas dans ces pays d’hypocrites qui ont toujours quelque chose à cacher au visiteur. (M.E, Acte I, p. 19).
Cette réponse appelle une comparaison qu’établit le fiancé de sa sœur :
Dis seulement que tu as trop chaud… que tu ne t’habitue pas encore à notre chaleur après des années au pays froid. (M.E, Acte I, p. 19).
Comparaison sur le plan climatologique, dans ce sens qu’on met en face l’espace chaud, l’Afrique et l’espace froid, l’Europe. Au fait, le fiancé reproche à l’Etudiant d’éviter la chaleur.
(…) tu n’as pas voulu m’accompagner au stade parce que tu trouvais qu’il faisait très chaud. (M.E, Acte I, p. 20).
C’est une chaleur qui déshydrate, apporte la sueur et la soif, mais, qui plus est, demeure le lieu, c’est-à-dire le stade qui reflète au bas de l’échelle, les maux qui rongent la société. Pris comme une référence, le stade renvoie aux dirigeants sportifs, de l’administration sportive pour cibler les dirigeants du pays. Cette réplique du fiancé à l’Etudiant en dit long :
Monsieur le raisonneur, laisse-moi te dire que le monde actuel n’est pas régi par de belles phrases et d’étincelants raisonnements. (M.E, Acte I, p. 26).
Ce monde que l’Etudiant appelle matérialiste est fustigé par tous. On entend dire des propos tels que :
L’Ami :
(…) désigne-le par le nom que tu désires… évoque la corruption… la concussion et tout ce qui s’en suit… mais ce monde est tel et nous ne pouvons pas faire autrement.
L’Etudiant :
Parce que vous êtes sûrs, vous autres, que l’on ne peut faire autrement ?
L’Ami :
Même dans tes pays d’Occident, c’est comme ça. (M.E, Acte I, p. 27).
L’opinion de l’Etudiant par rapport à l’Occident n’est pas non plus avantageuse, car il tient à demeurer un africain de souche et non d’emprunt. Il s’élève contre l’imitation servile de l’Occident même si lui-même y a séjourné pendant longtemps, « à cause, dit-il, de l’aliénation qu’elle implique ». En voici une de ses réactions musclées à ce propos :
Que les Européens, tout au contraire, prêchent à tout le monde que seule leur façon de s’habiller est la meilleure et qu’il faut que tout le monde la copie. Et c’est aussi par impérialisme culturel qu’économique… il faut donc avoir de la volonté et de la personnalité quand, après un long séjour en Occident, avec un tel bourrage de crâne, on arrive à accepter de se vêtir suivant la manière que vous-mêmes, restés au pays, appelez… sauvage. (M.E, Acte I, p. 37).
L’entourage de l’Etudiant ne comprend pas le port d’une tenue vestimentaire typiquement africain et son attachement à ce qui est spécifiquement africain au regard des habitudes accumulées en Europe et de son extrême capacité intellectuelle censée le rapprocher des Européens. Lui-même le déclare avec beaucoup d’allégresse :
(…) Moi, je suis pour la coutume. Le long séjour en Occident n’a fait que m’y enraciner. (M.E, Acte I, p. 62).
Ce genre de discours aurait pu l’aider à supporter ou à comprendre ce qui se passe dans son pays, principalement dans le domaine de travail. Mais, en vain, quand les autres le lui font comprendre. Il s’énerve :
(…) je ne vous comprends absolument pas. (…) c’est en Afrique qu’on a besoin de cadres, disons de cadres bien formés. Du Nord au Sud de ce continent, nous pataugeons et nous nous débattons dans notre sous-développement… Appelez ça tiers-monde, pays en voie de développement ou de sous-développement, cela vous regarde. Mais n’essayez pas de me mettre en tête que dans ces pays où l’analphabétisme bat son plein, où les étrangers sont appelés en masse – salaires fabuleux à l’appui – sous prétexte d’assistance technique… qu’il manque de places pour les africains, des enfants de ce continent ayant la même compétence si pas plus que … (M.E, Acte I, p. 45).
Son comportement semble brouiller le bon usage de la raison, en dépit de la divergence des vues existant entre deux espaces éloignés. Sa fiancée en est consciente. Elle lui montre la gravité de la situation qu’il traverse :
(…) Voilà… tu es là à ne rien faire… à te trimbaler d’un bureau à l’autre. … (M.E, Acte I, p. 44).
Pour l’Etudiant, il ne voit pas encore la mauvaise foi des entreprises privées ou des bureaux d’embauche souvent vides aux heures de service. Il penche plutôt vers la lenteur administrative, devenue symptomatique, qu’il aurait pu éradiquer au moment opportun puisque c’est son pays qui a besoin de ses bras et de sa tête. En fait, il refuse d’encourager des pratiques odieuses et si peu patriotiques, dit-il, lui qui a repoussé des propositions alléchantes de travail en Europe.
Au cours de la réception organisée à l’honneur du directeur de l’Administration Publique, l’Etudiant n’apprécie pas le fait que ses amis l’aient associé. A chacun son espace de jouissance, semble-t-il laisser entendre :
Mais, je ne comprends pas,… vous avez voulu à tout prix y associer ce bonhomme de l’Administration.
(…) Il est patron dans son bureau, ici, le chef, c’est moi et il n’aura qu’à bien se tenir. (M.E, Acte II, p. 77).
C’est ici que commencent les appréhensions de l’Etudiant vis-à-vis du directeur de l’administration publique. Donc, il veut porter à la connaissance de son entourage que cette administration est différente de son domicile appelé à devenir un exemple ou un modèle d’excellence dans la manière de se conduire, d’accueillir les hôtes, de traiter ceux qui sont en face de soi.
Son milieu, mieux leur domicile qu’il identifie par le mot « ici », pour lui, doit en permanence demeurer un lieu de grande considération. A peine arrivé au domicile de l’Etudiant et de sa sœur, le directeur s’excuse :
J’espère que je ne suis pas trop en retard. (…) Vous savez, je n’ai pas l’habitude de venir fréquemment à la cité indigène. (M.E, Acte II, p. 78).
Par cette affirmation grandiloquente et pleine de méprise, le directeur veut dire qu’il est de la haute classe. Il évolue dans un espace des hommes distingués, habitant de superbes palais qui n’ont rien avoir avec ceux qui restent dans les quartiers pauvres de la ville. Eux qui reçoivent deux ou trois invitations à dîner dans les restaurants et night-clubs selects, pour y travailler, soit dit en passant, autour d’un bon repas et d’un bon verre.
La cité indigène est à l’opposé de la ville ou quartiers des évolués dans la vision qui imposait la séparation entre la communauté noire et la communauté européenne. A la base de cette pratique, ce sont des colonisateurs ou des colons envoyés en Afrique pour établir, au nom de la civilisation, une « nouvelle société » humaine. En réalité, c’est une société injuste, inégale et des profiteurs des richesses des autochtones rendus faibles avec des corvées diverses, des pratiques machiavéliques et ésotériques. Ces autochtones ont été souillés dans leur dignité, leurs coutumes et idéaux.
Souillée aussi, la sœur l’a été dans M.E pour avoir accepté le rendez-vous avec le directeur de l’Administration Publique dans un night-club. Son fiancé, pris d’une grande colère, s’adresse à l’Etudiant :
Tu vas dans le night-club de la rue 5. Tu y constateras comment tu as réussi à dégrader ta sœur qui, aux yeux de tous étale son déshonneur… (M.E, Acte II, p. 115).
N’ayant pas la même compréhension des faits, la sœur se défend d’avoir aidé son grand frère à trouver un travail décent dans l’Administration Publique. Pour cela, elle considère qu’elle ne mérite pas d’être traînée dans la boue, car c’est par amour fraternel qu’elle a accepté l’invitation du directeur.
Accusé du meurtre de sa sœur, l’Etudiant est conduit au tribunal où la nation, le pays et le Parti unique s’élèvent contre lui parce qu’il a osé critiquer les cadres de l’Etat. Le tribunal voile la vérité et la vide de sa substance, torture et dénature ce qui est juste pour des causes inavouées ou plutôt des intérêts égoïstes.
Dans le décor du salon, où se trouvent les filles (Biso), la deuxième fille exprime son désir d’aller danser. L’une d’entre elles pense que ce serait le premier week-end dans les homes au sein desquels le calme règne totalement. Aussi pour bien commencer la détente, la quatrième fille fait une proposition à la première fille :
Tu vas d’abord au Film à la salle de Promotions. De là tu apprendras bien, de l’une ou l’autre façon, où se trouve la danse. (Biso, Acte I, p. 1).
La causerie des filles au sujet de la danse, tourne de temps en temps autour de leurs professeurs. Vis-àvis de ces derniers, les filles ont de plus en plus des sentiments controversés. Soit elles les envient, soit elles s’en amourachent en secret. La cinquième fille dévoile cet étonnant sentiment :
Il est coriace le gars. Il sortirait du séminaire de l’année que ça ne m’étonnerait pas. (Biso, Acte I, p. 2).
Le séminaire, lieu réservé aux futurs prélats de l’église catholique, ne semble pas laisser une bonne impression aux filles. Celles-ci aiment partager de la bonne compagnie et voient très mal prétendre en avoir à côté d’un Assistant qui a l’air de sortir d’un séminaire. En dépit de cela, peu importe ce qu’en pense l’opinion lorsqu’on apprendrait que les filles amadouent les hommes. La première fille à ce propos explique à son collègue :
Tu es à l’université. Et nous, on a la réputation, dans toute la ville, d’être délurées. (Biso, Acte I, p. 4).
Ainsi, comme elles veulent se faire une réputation des effrontées, la deuxième fille imagine un scénario qui suborne le « plus stric »t des hommes à l’université.
(…) Bon, euh tu pourrais être près de l’arbre, à l’endroit où votre rue débouche sur l’avenue… euh de préférence seule bien sûr… afin de chasser le cafard… La vie de l’internat…( Biso, Acte I, p. 5).
Le doute continue de hanter la deuxième fille dans sa volonté de sortir et danser. Le Maire qui rejoint le home des filles constate qu’il est calme. Un calme inhabituel qui la contraint à ne parler qu’à cinq filles seulement. La deuxième fille s’étonne même que la rue qui conduit à l’internat soit déserte alors qu’elle a envie de se distraire. Dans un élan de moquerie, la quatrième fille dit au Maire :
Ta mairie est quasi-déserte. Tous les pigeons sont allés roucouler ailleurs. (Biso, Acte I, p. 6).
Cette réplique métaphorique a la prétention d’expliquer que les homes ne vibrent pas au rythme des activités académiques, suspendues pendant les vacances. En cette période de repos, les étudiantes peuvent s’occuper de tout ce qui les regarde et à leur guise. Sans doute que la Mairie devrait manquer à faire à pareil moment. Une Mairie, à en croire la première fille, serait en train de traiter des problèmes particuliers. Ce qui révolte un tout petit peu le Maire.
Qu’est-ce que vous allez croire ? Qui peut, dans ce bureau-là, traiter des problèmes particuliers avec moi ? (Biso, Acte I, p. 6).
Le Maire va rassembler les cinq étudiantes pour leur annoncer qu’il y a une réception à l’honneur des hôtes de l’université, à laquelle elles sont toutes conviées pour servir d’hôtesses. A l’intention de la deuxième fille, elle lance :
Après le repas, on ira danser à la cité. (Biso, Acte I, p. 7).
La réaction des filles est d’autant directe qu’elles pensent que les autorités de l’université ne les considèrent pas à juste titre comme étant des intellectuelles. Souvent ces autorités mettent en cause leur dignité. La troisième fille, la première fille et la cinquième fille sont mécontentes. Elles s’expriment dans ce sens l’une après l’autre :
A moins que pour eux, il n’y ait pas de différence entre nous et les filles de rue.
Demain tout le campus l’apprendra. Ils aiment tant nous traîner dans les bars et boîtes de nuit. Nous ne sommes bonnes qu’à cela. (Biso, Acte I, p. 8).
Pourquoi elles sont traitées comme des objets, alors qu’elles sont visitées par des personnes qu’elles qualifient de « bons samaritains » ? Ces samaritains qui pourvoient à leurs nombreux besoins quand on sait que les autorités académiques, les professeurs et leurs bourses sont loin d’apporter le salut. Elles accusent donc les autorités académiques d’être jalouses. La réplique de la deuxième fille en témoigne :
Par-dessus le marché, Autorités Académiques et Prof… se payent le luxe de faire les jaloux quand, se pointant devant l’internat, ils observent un intense trafic de voitures de toutes marques. … (Biso, Acte I, p. 8).
Avant qu’elle s’en aille se rafraîchir et changer de tenue pour revenir en compagnie de responsable du protocole et les embarquer à bord d’une voiture, le Maire demande aux filles de s’apprêter pour ne pas se présenter en retard au lieu de la réception. Avec empressement, elle ajoute ceci à leur bonne intention :
(…) nous n’avons qu’une seule salle de bain. –Allons, mettez-y tout le soin. (Biso, Acte I, p. 9).
L’excitation de passer aux actes est vive dans l’esprit du Meneur et de l’Adjoint, sachant bien que les groupes de manifestants ne vont pas se faire prier deux fois pour commencer la marche. De répliques en répliques, ils réalisent que toute la communauté est « contaminée ». En outre, ils savent qu’ils sont surveillés quoiqu’ils fassent.
Le Meneur :
(..) Leurs yeux nous épient, leurs oreilles nous écoutent à l’intérieur du quartier. Le quartier se transformera en brasier au premier pas en arrière. (N.S, Mvt I, p. 19).
Ce qu’ils ressentent, c’est la peur de représailles dans le sang, comme cela est de coutume avec le régime féroce qui est en place au pays. L’Adjoint tente de se donner bonne conscience, de rassurer pour rester absolument calme.
Au milieu de la fournaise ardente, il faut des têtes froides. (N.S, Mvt I, p. 19).
D’où, il faut répéter à haute voix le programme de la marche. D’ailleurs la manifestation commence à un lieu, donné à l’avance comme un espace fortifié, lieu où les gens aguerris sont décidés à faire la différence par rapport à l’ensemble de la population.
L’Adjoint :
Rassemblement général à six heures à la Place de la Révolution. (N.S, Mvt I, p. 20).
Cette marche se présente à la manière d’un cri. Le cri de la foule longtemps étouffé qui réagit contre le pouvoir pour démontrer qu’il y a un autre son de cloche qui veut asseoir la contradiction.
Le Meneur :
(…) La foule (…) dans ce pays, qui aurait dû être le sien, un seul son de cloche doit retentir. Oui, cette marche en gestation est un cri… de douleur… doit déchirer les tympans du monde. Il doit faire frémir les morts dans leurs tombes. (N.S, Mvt I, p. 122).
Cri ultime parce qu’il n’y a pas un autre moyen pour réclamer l’eau qui sert à vivre, parmi la longue « litanie des doléances de tout le peuple écrasé », comme le dit l’Adjoint hargneux, regrettant les conditions dans lesquelles vit aujourd’hui le peuple. Toujours dans ce même contexte d’aigreur et d’une réflexion qui n’en finit pas d’exprimer la réprobation à l’égard du système politique qui abandonne le peuple dans la souffrance, le Meneur tient à extraire ce lourd fardeau : « brebis sur l’autel du sacrifice … agneau muet et fragile conduit à l’abattoir ». C’est alors qu’il s’exclame :
Pourquoi alors crier aux oreilles du monde, complice, que les droits élémentaires de l’homme, ici, sont bafoués… qu’on tue les enfants de ce pays comme on extermine des souris pestiférées… (N.S, Mvt I, p. 23).
Avec la même exaspération dans le ton, le Meneur dit à l’Envoyé qu’il est investi d’une mission précise mais « dans un monde sans grande précision ». Les yeux dans les yeux, il lui déclare péremptoirement :
(…) Nous n’avons que faire d’ambitions politiques car nous n’avons ni domaines, ni florissants commerces, ni comptes en banque à protéger. (N.S, Mvt II, p. 26).
Dans la mission qui lui est confiée, l’Envoyé se fait complice du Meneur et ses groupes de manifestants pour encourager les actions qu’ils comptent entreprendre. Avec un empressement dénué de gêne, il va s’exprimer, ses mots sont tout aussi flatteurs qu’empreints de fourberie.
Vous êtes les seuls, dans ce pays, parce que dans une situation particulière, à pouvoir considérer l’ensemble avec lucidité. (…) Parce que vous constituez une communauté de purs. (N.S, Mvt I, p. 28).
Car, en effet, en ce qui concerne la pureté des mœurs, l’Envoyé ne se fait aucune illusion. Il avoue avoir commis avec délectation un acte répréhensible, un viol par préméditation. Il désigne même l’endroit du forfait :
(…) au bureau… sur le tapis… deux petites… revenant de l’école… (N.S, Mvt II, p. 33).
Il ne se reproche de rien, malgré les insinuations de l’Adjoint et du Meneur qui lui démontrent tout le mal dont il représente, en prenant la défense du système en place. Il se ressaisit pour ainsi se donner bonne conscience, tout en laissant entendre que :
Le mal, il est présent partout. (…) Il longe les rues des beaux quartiers autant que celles des taudis. (N.S, Mvt II, p. 35).
C’est précisément dans ces quartiers des taudis que les gens sont résolus à donner un coup de massue aux affirmations mensongères du pouvoir politique selon lesquelles, « nous sommes un peuple prospère, heureux et libre». C’est ce qui offusque outre mesure la Militante et ses amis. Leur indignation par rapport aux allégations de cette nature doit s’exprimer par la marche pacifique, considérée outrageusement par le pouvoir comme une manifestation de protestation qui salit « l’image de marque du pays et du système ». Pour le pouvoir en effet, c’est un camouflet et une rébellion car cela permet au monde de comprendre que « les informations officielles sont une montagne de mensonges, une supercherie » (Mvt IV, p. 47). C’est aussi l’occasion pour détruire l’argumentation selon laquelle « le monde sait qu’ici règne l’unanimité ». Le Meneur tient à rétablir la vérité. Du même coup, il veut démontrer qu’il est en situation de rupture définitive avec le système du pouvoir politique.
Ce faisant, il présente, à la manière d’un poste d’aiguillage, l’emplacement de l’Adjoint sur une carte :
Tu te pointes au lieu de rassemblement général, à la Place de l’Indépendance où tu attends l’arrivée des quatre groupes qui partent des quatre points qui leur ont été indiqués. … Je te rejoindrai à la Place de l’Indépendance. Je m’adresserai aux hommes et lirai le mémorandum. (…) Dans le calme on regagnera le quartier. (N.S, Mvt III, p. 40).
Le Meneur avec ses groupes veulent donner un coup de boutoir à cette espèce de guerre alimentée par l’ignominie du pouvoir en place. Car, pour eux, la guerre continue. On entend la Militante presque psalmodier ceci à l’endroit de monsieur le Curé :
(…) La guerre, Monsieur le curé, fait rage… La guerre dans les marchés et les places publiques, dans les bureaux et les hôtels, sur les routes, le soir, dans les domiciles de paisibles citoyens : on viole, on vole, on tue pour subsister. Est-ce cela la paix ? (N.S, Mvt V, p. 52).
Une guerre qui n’a fait qu’aggraver le mal. La société en est malade et de manière plus profonde. Maladie endémique dont l’exploitation humaine reste l’une des ramifications. Le Meneur, par didactisme désigne du doigt la Militante, pour montrer comment le corps de la femme respire le péché. Dans une tournure métaphorique à peine voilée, il dit :
(…) un de ces multiples lieux de débauches,… (N.S, Mvt V, p. 57).
Lieu d’adultère, de mensonge, d’avortement et de formication où l’on respire l’odeur de péché. Il ne transmet plus le sens de valeur, de force et courage, de dignité pour qu’enfin il ne tombe pas dans les travers d’une vie que l’on contraint de savourer, de suivre et de respecter aveuglement. Il doit être naturellement, selon les propres termes du Meneur, un « oasis dans le désert ».
Aussitôt que la marche a commencé, il y attroupement des militaires armés autour des manifestants. On apprend de l’Adjoint que toutes les routes sont bloquées, des militaires sont partout. Il est trop tard aux groupes des manifestants de rentrer à leurs quartiers et à la Militante et l’Adjoint de retrouver le quartier général.
Le quartier général dans L.B.K est établi dans la capitale, Kinshasa. Il est en contact avec le commandant des opérations dans la plaine de ruzizi. Ce dernier dirige et commande les troupes dont la base se trouve être le camp des opérations. Entre les soldats veilleurs s’engage une discussion autour du sort de soldat tué par les simba invisibles dans leur vision de tir (point de mire), ni dans leur ligne d’observation et de surveillance systématique de l’ennemi. Au fur et à mesure que durent les combats, les soldats s’accordent sur le fait que c’est une machination qui vient de l’étranger, précisément des Belges, anciens colonisateurs du Congo.
Troisième veilleur :
(…) Tu sais que les Flamands aimaient beaucoup notre pays à cause de ses richesses. Ils auraient voulu demeurer éternellement ici. (L.B.K, Tab II, p. 21).
Ce qui étonne les veilleurs, c’est que les affrontements armés qui ont pris l’allure d’une guerre fratricide durent longtemps et embrasent toute la région du Kivu. Le quatrième veilleur en retrace la continuité comme une sorte de péripétie :
Je suis en opération ici allant de Bukavu à Uvira, d’Uvira à Sange, de Sange à Luvungi et me voici maintenant à Kamanyola. (L.B.K, Tab II, p. 23).
Ils ont l’air de s’enfoncer dans un gouffre, face à la force et à la précipitation des événements imprévisibles en cours au combat. Tout semble se dérouler sur le champ de bataille comme autrefois. Le nombre des militaires armés, le dispositif de combat adopté et les armes lourdes n’arrivent toujours pas à prendre le dessus sur les rebelles simba. Le deuxième veilleur rappelle cette situation de déboire.
J’étais chargé avec quelques compagnons de la surveillance de notre dépôt d’armes dans la plaine de la ruzizi. Nous étions sur nos gardes et ne pouvions dormir car la peur avait chassé tout sommeil. (…) après s’être emparé du dépôt d’armes, ils ont pénétré dans la tente des officiers, les ont déshabillés et ligotés et les ont abandonnés à quelque distance du camp. (L.B.K, Tab II, pp. 28).
Cette fois-ci, pour éviter d’être surpris chaque instant par les rebelles simba, le commandant des opérations a envoyé un commando de reconnaissance pour localiser le camp ennemi. Le commando, sans trop s’y rapprocher, a observé l’ennemi tant dans la possibilité de ses mouvements que dans son positionnement actuel. La capture de deux femmes sur le chemin de retour par le commando, révèle qu’elles ont pu échapper à la vigilance des simba, qu’elles habitent Kamanyola village et que les simba semblent avoir une avance déterminante sur le terrain de combat.
Première femme :
Bukavu, Uvira et Fizi sont déjà contrôlées par eux. (L.B.K, Tab II, p. 23).
Deuxième femme :
Kongolo, Kasongo et Kabalo sont sous l’occupation des simba et ils disaient qu’ils attendent d’importants renforts. (L.B.K, Tab II, p. 33).
Les localités qui seraient tombées sous contrôle ennemi conditionnent la position actuelle des troupes armées. Celles-ci, campées dans la plaine de ruzizi et qui seraient coupées de tout contact extérieur, devront y rester pour surveiller étroitement le Pont Kamanyola. Dans cette perspective, le commandant se propose de requérir de nouvelles instructions auprès de la hiérarchie supérieure militaire à Kinshasa.
Lieutenant, allez dans la tente de l’opérateur. Qu’il se mette à tout prix en contact avec le Q.G. (…) Qu’il nous dise ce que nous devons faire. (L.B.K, Tab III, p. 41).
A la suite de ce contact, le Quartier Général rassure qu’il est en communication permanente avec toutes les zones opérationnelles ; aucune d’elles n’est isolée, ni le camp des opérations dans la plaine de ruzizi. Le Commandant en chef qui y était au moment du contact, confirme en plus que ni Bukavu, ni Uvira et Fizi ne sont investies par les rebelles simba. Certes qu’il y a des combats dans certaines localités, mais elles ne sont pas aux mains des simba. Aussi, le Commandant en chef a décidé l’envoi de nouvelles unités et des renforts à l’opération Kivu. Ce dernier message conforte les troupes à tenir leur position et surveiller le Pont Kamanyola qui ne doit, en aucun cas, tomber aux mains des ennemis ; même si les renseignements font savoir que la route allant de Bukavu à Kamanyola serait piégée et surveillée étroitement par des simba.
A l’arrivée du Commandant en chef au camp des opérations, il se met à revigorer le moral des troupes qui était entamé par la mort de plusieurs soldats au combat. Il leur apprend ce qui suit :
Nous avons dégagé, après quelques escarmouches, la route de Bukavu jusqu’ici. Et nous devons rendre à la circulation tout l’axe routier Bukavu-Uvira. Selon les informations à notre possession, la plupart des chefs rebelles se trouvent ici à Kamanyola. Ils semblent décider à garder cette position afin de contrôler toute la vallée de la ruzizi. (…) ce n’est plus qu’une question d’heures pour que l’armée nationale contrôle à cent pour cent les villes [de Kongolo, Kabalo et Kasongo] où de violents combats s’y sont déroulés… (L.B.K, Tab V, p. 50).
Par rapport à toutes ces informations, le Commandant en chef demande aux troupes d’être prêtes à toute offensive éventuelle. Le combat à venir risque d’être dur, très dur, explique-t-il. Des renforts à leur disposition seront appuyés par l’infanterie et les parachutistes. Dans ce cas, il faut demeurer confiants pour remporter la victoire, à condition aussi de garder le courage et la détermination nécessaire face à ces enjeux.
Un autre enjeu se trouve dans le désir de l’Epouse (T.S.F) à voir son mari malade guérir au plus vite pour retrouver une vie normale de couple. Pendant qu’elle se trouve à la véranda en train d’y penser, paraissent l’oncle et la mère. Aussitôt arrivés et sans attendre, cette dernière lui met au courant de cette information :
Nous venons de l’hôpital. (L.B.K, Tab I, p. 15).
Pour les apaiser l’Epouse explique qu’elle n’a pas pu les prévenir avant, de leur sortie d’hôpital. C’est une faveur obtenue d’ailleurs grâce à son amie, médecin, qui devra suivre le malade à la maison. De ce fait et, en dépit de la protestation de la mère et de la sœur, l’Epouse les prévient au sujet des avantages que présentent les soins à domicile.
Et mon amie a pensé que ce serait plus reposant pour mon mari d’être plutôt à la maison qu’à l’hôpital. (Tab I, p. 18).
Bien plus, elle attire leur attention sur les précautions déjà prises, du fait qu’à la maison, il y a surtout des occasions de se fatiguer. C’est ainsi que le docteur a recommandé beaucoup de repos.
Nonobstant la bonne volonté de l’Epouse, sa belle-sœur lui rejette toute la responsabilité de la sortie de l’hôpital, estimant que c’est un acte irréfléchi qui laisse croire à l’abandon du malade et, sûrement, au désespoir de le voir guérir un jour. La sœur, à l’idée de voir le pire s’abattre sur le malade, s’emporte de nouveau contre la mère et l’oncle. Cet emportement au vrai, ne cible que l’Epouse.
Je n’ai laissé aucune proposition de sortie d’hôpital de mon grand frère qui devait poursuivre des cures. Revenue hier soir, je suis passée ce matin à l’hôpital. J’arrive ici où je croyais vous trouver et je passe des heures à surveiller mon frère dont le sommeil est interminable. Alors je vous le demande : qui fait-on sortir de l’hôpital, un homme guéri ou quelqu’un plus malade qu’il n’y est entré ? (T.S.F, Tab I, p. 22).
Plus ils parlent du malade, plus ils s’en préoccupent inégalement et davantage s’accroît l’antipathie de la sœur envers l’Epouse qui, jusqu’à preuve du contraire n’a pas failli à ses obligations de femme mariée et de maîtresse de maison. La sœur relance les hostilités par une nouvelle accusation.
Vous éloignez les enfants de leur père, juste au moment où il revient à la maison. Quel sens donnez-vous à cela ? (T.S.F, Tab I, p. 25).
La sœur est d’humeur massacrante. Elle ne sait pas à quel saint se vouer, d’autant plus qu’elle pense que Dieu les a abandonnés, qu’il ne les reconnaît plus. Autrement, comment peut-on expliquer l’accroissement des souffrances en Afrique ? Saisissant l’occasion, l’Epouse partage aussi la même inquiétude que sa belle-sœur. Elle lâche soudainement :
… paraît-il, nous pataugeons dans la boue et les ténèbres. (T.S.F, Tab II, p. 29).
La boue et les ténèbres sont comprises comme deux milieux exécrables conduisant au néant. Nullité d’une vie qui caractérise la terre africaine, notamment noire africaine, à laquelle toute forme de qualification peut lui être attribuée, même la plus immonde. De telle sorte qu’elle est vouée à la perte, l’échec et surtout à l’oubli sempiternel. D’où son absence au tableau de la reconnaissance du monde visible et physique, ce qui l’amène à la disparition à jamais.
Habitée par ce sentiment de perte définitive, l’Epouse semble visiblement dépassée par des insinuations de sa belle-sœur qui, en fait, sont des reproches directes envers son comportement d’épouse. L’amie, la voyant désemparée, lui propose de quitter un moment la maison pour se distraire.
(…) j’avais formé le projet de te prendre pour faire un petit tour ou pour nous retrouver dans un lieu solitaire et calme. (T.S.F, Tab II, p. 31).
Cette proposition de l’amie a pour but de divulguer la nature de la maladie de son époux, dans un endroit discret, loin de la maison et lui offrir un autre espace évanescent tant sur le plan psycho-moral que physique. Mais, il n’en est rien car, avec le virus VIH, on ne peut se faire d’illusion. Le sort du malade est scellé, celui de l’Epouse ne tient désormais qu’au test recommandé par son amie à l’hôpital. L’espoir disparaît, aucun autre espace ou cadre tendant au délassement de l’esprit n’arrivera à soulager la souffrance de l’Epouse. Déçue et à bout de moyen pour s’en défendre, elle implore Dieu :
Eloignez-moi, Seigneur, de cette terre... (T.S.F, Tab II, p. 36).
Déclaration pesante qui ressemblerait à une demande d’absolution pour des péchés qu’elle n’a pas commis, mais dont le cours des événements se charge de lui en imputer toute la responsabilité. Ce faisant, l’Epouse voudrait que Dieu l’éloignât du mal de ce calvaire qui se justifie uniquement par le fait qu’elle vit sur la terre, laquelle n’apporte aux personnes généreuses que succession de malheurs. Elle refuse ce qui lui est arrivé, c’est-à-dire d’être subsumée dans l’espèce humaine engluée dans l’engrenage des défauts et dépourvue du bien.
De même dans sa famille, le malade est toujours jugé comme un homme juste et bon. On ne peut pas comprendre, dit l’oncle, qu’il soit facilement devenu « le jouet de la maladie », car partout où il a été, il se conforme à la convenance sociale et au respect mutuel des autres. Le témoignage ci-après est un souvenir assez éloquent en faveur du malade :
Tenez ! De la lointaine Europe, quand il a jugé le moment venu de prendre femme, c’est à nous qu’il s’est adressé. A son retour au pays, nous avons tous bénéficié d’un souvenir lors de sa visite au village… Lorsque les hommes du village viennent vendre leurs produits en ville et qu’ils lui rendent visite, nous n’enregistrons que des éloges sur son sens de l’hospitalité (T.S.F, Tab III, p. 41).
Le prophète consulté pour connaître le cas particulier du mari de l’Epouse, fait des révélations selon lesquelles, c’est un homme droit. A ce propos, le malade se démarque des autres par son comportement exemplaire, pendant ses études en Europe, chez lui à la maison et dans son milieu professionnel. D’ailleurs, au village, les membres de famille sont complètement abattus de savoir que leur fils en soit arrivé à contracter une maladie dont il subit l’impétuosité pendant longtemps.
L’oncle :
… vous savez le martyr que les anciens endurent au village depuis le début de la maladie de votre mari. (T.S.F, Tab V, p. 55).
Au nom de la solidarité familiale, le village se transforme en un espace de contribution, rampe de sauvetage pour le malade à qui on propose la consultation du devin guérisseur, des fétichistes coriaces et l’assistance matérielle et spirituelle. Une solidarité qui se traduit par des actes concrets, renforce la coexistence dans un monde réel. Contrairement à celui que le prophète leur propose pour fuir les tracas.
Fermons nos oreilles aux bruits de ce monde ; fermons nos yeux pour ne pas voir ce monde d’illusions ;… (T.S.F, Tab V, p. 57).
Car, sur cette terre, il faut poser des actes de bonne volonté, offrir des possibilités nouvelles et créatrices à la promotion humaine et à une vie agréable.
Et, on entend dans P.M l’assassin dire que « s’il n’y a pas d’égalité en prison, où existera-t-elle ? » (p. 14). La prison est donc un endroit où se réalise comme dans un milieu à peine découvert, une existence nouvelle. C’est une sorte de micro espace par rapport au monde, à la terre, à la société tout entière. La femme considère la prison comme un monde à part, ou mieux, l’une des parties du monde négligée, laissée dans les oubliettes à cause de ce qui s’y passe. P.M, à ce sujet, livre la pensée de la femme et de l’assassin retenus prisonniers.
La femme :
Pour le monde libre nous sommes déjà considérés comme morts.
L’assassin :
Peuh, le monde libre ! (…) Illusions ! (P.M, Tab I, p. 15).
Ces considérations relatives à ce que peut représenter le monde se font par rapport à l’image qu’il renvoie à chacun. Mais, il y a bien un monde pour ces prisonniers : le monde de l’assassin, celui du voleur et de la femme.
Leur monde est différent par leurs actes et par les réponses qu’ils en obtiennent. Monde au point où, l’on voit la catégorisation dans la société réelle, la corporation des médecins, des avocats, le monde des affaires, des écologistes, des politiques, … par rapport aussi à ce qui les touche et les entoure. La deuxième femme s’enquit auprès de son amie :
Comment vas-tu, ma chère ! Et ton monde ? (P.M, Tab XII, p. 70).
A travers cette question, on comprend que la deuxième femme veut avoir des nouvelles de son mari, de son amie, de ses enfants et de la manière dont évolue la vie près ou loin d’elle. A ce propos, l’idée que propose à l’esprit, le terme « monde » associé à la prison, représenterait maintes fois un espace très nuisible, une sorte de continuum malsain au vu des privations imposées constamment. Cette logique est partagée par le voleur :
Le seul endroit où cette quête effrénée m’a conduit c’est ici : la prison. (P.M, Tab I, p. 16).
Si la prison de Makala est en passe de devenir une expérience édifiante pour les adultes (l’assassin, le voleur et la femme), elle amplifie l’existence inéluctable, pour les uns et les autres, du chômage, de la misère, de la dépression, de la faim, de la souffrance (maladie, l’hôpital, pauvreté, …). C’est aussi, le milieu où l’on se tait, à entendre l’assassin qui sermonne le garçon : « ici, c’est le sanctuaire du silence ». De plus en plus, l’assassin s’en rendra compte, lui aussi, plus tard :
…lieu de calme et de réflexion. (P.M, Tab VIII, p. 57).
Pour le garçon qui vient d’arriver en prison, son monde était une bande d’oisifs dirigés par un adulte, sans doute chômeur de surcroît, sans scrupules ni sagesse, soutenue par une négative conformité de caractère. Cet individu pervers a soumis les plus jeunes à ses exigences incongrues, pourtant viles, et de grande bassesse au sein d’une société en pleine évolution technologique. Le garçon et le voleur dans leur quête du bien-être nous désignent les milieux de leurs opérations :
Le garçon :
Au marché… dans les magasins, (…) (P.M, Tab II, p. 22).
Le voleur :
Je suis descendu en ville pour tenter ma chance. Oh, je me disais que les places de manœuvres devraient être nombreuses en ville. (P.M, Tab III, p. 32).
Pour le chef de la bande du garçon, le marché et les magasins seraient-ils des lieux de délassement spirituel ? Loin de là, le marché, les magasins et la ville représentent, ou encore, correspondent à la circulation intense des biens et valeurs en numéraire, aussi bien que des gens à la bourse plus confortable.
Mais, lieux providentiels pour le chef de la bande qui tenait à arracher de l’argent, des bijoux et tout autre objet de valeur inestimable à ceux qui en ont. C’est une manière d’extérioriser sa frustration à la société. Aussi, en détournant les jeunes du chemin de l’école, il démontre à suffisance son manque d’intérêt à l’instruction dont tout le monde a besoin.
Le voleur :
J’étais à l’école, aux humanités. (…) j’ai dû quitter l’école (P.M, Tab III, p. 30).
On ressent facilement le regret chez le voleur et la femme de n’avoir pas fini leurs études. Il n’en est pas le cas pour le chef de la bande. Celui-ci, selon toute évidence, n’a pas bénéficié d’un bon encadrement au niveau de sa famille et au niveau scolaire. De plus, il n’a pas l’air de fournir les efforts pour combler ses insuffisances ; aussi, par voie de conséquence, il s’est abandonné à la délinquance pour causer du tord inutilement aux tierces personnes. C’est aussi le cas de celui qui dirigeait la bande à laquelle appartenait le voleur et qui usait de chantage comme son meilleur rempart. Quant à la femme dont les études furent interrompues suite au mariage forcé, elle n’était bonne pour aucun travail satisfaisant : « Je me mis quand même à chercher dans les magasins » (p. 52).
A côté de ces lieux, P.M en fait savoir d’autres. Les bureaux des entreprises commerciales où d’abord le voleur cherche du travail sans y parvenir, ensuite celui dans lequel travaille l’assassin. Dans le tout premier bureau, on lui demande des pièces d’identité pour connaître sa région d’origine. Le bureaucrate y jette un coup d’œil :
Né à Kopoloto dans la Région de… (Tab IV, p. 33).
Devant un deuxième bureau, il se présente :
Bonjour Patron… J’ai lu une pancarte devant vos bureaux…( P.M, Tab IV, p. 34).
Le voleur n’obtiendra pas de place puisqu’on a érigé le régionalisme et la corruption en critères d’embauche, et même de performance scolaire et d’efficacité. Pour la femme dont la seule présence est enviée, le critère unique est de s’offrir en déshonneur. Pratique encouragée par la société dont les dirigeants complices ne font aucun effort pour améliorer les conditions sociales du peuple.
Seul, et par un concours heureux de circonstance, il est sorti de l’abîme, se dit-il, pour être embauché comme manœuvre qui n’en était pas un travail de plus honnête, malheureusement. Le revenu de ce travail de manœuvre ainsi que la pression de sa femme ont dû renvoyer le voleur dans le même abîme où il effectuait souvent :
Une petite ronde dans le quartier riche. (P.M, Tab V, p. 44).
Le voleur déclare qu’il est victime dès l’enfance, d’une société qui n’a pas les possibilités d’offrir un travail honnête. Au contraire, elle favorise toujours le mal qui tend à immobiliser les faibles et les démunis dans la boue. Dans la boue, certes, ceux-ci pataugent et éprouvent les difficultés pour en sortir.
La boue est l’absence d’instruction adéquate et solide. Elle est loin des effets que peuvent avoir des milieux qui favorisent des conditions satisfaisantes. Le père de la femme s’accorde à cette thèse, tant il tient à arracher une dot excessive. Il martèle à sa fille :
Ce jeune homme revient d’Europe où il a fait beaucoup d’études… plus que tu ne pourrais en faire en trente ans. (…) En plus, il a une excellente situation… (P.M, Tab VI, p. 50).
Ni l’instruction reçue en Europe, ni sa situation matérielle n’ont pu aider à former un mariage heureux. La femme semble plongée dans un conditionnement empreint d’échec. L’assassin qui suit le récit de la femme, est obligé de lâcher :
Ainsi donc, vous voilà gagnée à la débauche jusqu’au coup ! (P.M, Tab VI, p. 56).
Dans leurs sorties nocturnes avec son amie, la femme de P.M a fait la connaissance d’un homme bizarre, mais plein de tendresse, doublé de moyens financiers susceptibles de la rendre heureuse.
Je le rencontrais chaque soir dans le même night-club ! (…) Il commençait à m’amener à la campagne durant les week-ends. (P.M, Tab VIII, p. 60).
La vie de débauche peut amener des surprises. La femme, par sa rencontre hasardeuse avec cet homme, dans les différents cadres de divertissement et de détente, va pouvoir changer de monde et de standing social. Elle se procure sans difficulté de l’argent et à sa guise auprès d’un nouveau mari et sous un nouveau toit conjugal. L’homme l’a extraite de ce monde obscur, comme l’affirme la première femme, son amie, pour un monde éclairé, considéré comme sain et empreint de bonnes mœurs. Ce monde, comme espace, évolue à travers le temps.
2. LE TEMPS DRAMATIQUE
Il n’y a pas d’événements qui ne coïncident avec le temps. Cela est évident et nécessaire que cette notion de temps se rapporte à l’ordre ou à la chronologie, au cadre et à la durée. Quand, dans un récit traditionnel, on établit le rapport entre la temporalité du récit et de celle de l’histoire qu’il raconte, il y a lieu d’y soutirer la dimension ou le plan organisationnel selon qu’il existe, la durée, le cadre, le mode, le rythme de récit et/ou de la description qui sont dans la couche du temps.
Pour la description, on sait lire et retenir que Gérard Genette veut donner un véritable programme à travers ce qu’il écrit : « la description est presque toujours à la fois ponctuelle, durative et itérative, sans jamais s’interdire des amorces de mouvement diachronique[137] ». Or, il y a dans le fait théâtral deux temporalités distinctes : celle de la représentation et celle de l’action représentée. Un peu pour reconnaître ce que Christian Metz écrit en ces termes :
« le récit est une séquence deux fois temporelle (…). Cette dualité n’est pas seulement ce qui rend possible toutes les distorsions temporelles qu’il est banal de relever dans les récits (trois ans de la vie du héros résumés en deux phrases d’un roman, ou en quelques plans d’un montage ‘’fréquentatif’’ de cinéma, etc) ; plus fondamentalement, elle nous invite à constater que l’une des fonctions du récit est de monnayer un temps dans un autre temps[138] ».
Et, à ce sujet, Gérard Genette note précisément que la dualité temporelle si vivement accentuée ici, et que les théoriciens allemands désignent par l’opposition entre erzählte Zeit (temps de l’histoire) et Erzählzeit (temps du récit)[139], « est un trait caractéristique non seulement du récit cinématographique, mais aussi du récit oral, à tous ses niveaux d’élaboration esthétique, y compris ce niveau pleinement ‘’littéraire’’ qu’est celui de la récitation épique ou de la narration dramatique[140] ». Outre, cette caractéristique liée au temps, il faut dire comme Anne Ubersfeld qu’« il ne saurait y avoir une forme de rapport temporel qui soit ‘’bonne’’, convaincante ou proche de la nature, mais toute forme de rapport temporel engage l’ensemble de la signifiance théâtrale [141]».
Cette signifiance ne peut se concevoir dans ce cas précis que dans un texte dramatique où l’analyse de la temporalité paraissant aisée, aura des repères disponibles et divers par rapport au choix que l’on peut opérer pour le besoin de cette analyse. Dans laquelle précisément, l’étude de ce qui est textuellement saisissable, à savoir les articulations du texte et de leur fonctionnement au travers desquelles on peut noter le temps théâtral. De sorte qu’on puisse faire une différence entre le temps fictionnel qui, souvent dépasse largement le temps de la représentation ; le temps psychologique ou physiologique, le temps climatique, le temps rythmé par la société humaine, celui des rites et cérémonie pour mettre en évidence le temps de la doctrine classique, l’un des paramètres esthétiques dans notre présente étude.
Le temps crée une impression de lenteur ou de rapidité, de retour dans le passé, de persistance au futur ou d’inscription au présent. Il ponctue le déroulement de l’action dans un imminent accord tout en renvoyant une image de sa matérialisation ou de sa force entraînante. Il s’écoule dans le vide, traverse la nature humaine et persiste dans les actions des personnages qui en récoltent le meilleur parti ou subissent sa rigueur comme dans la tragédie où le temps renvoie une image du destin qualifiée de « forme accélérée du temps [142]». Comme on peut le deviner facilement, la multiplication des marques temporelles et le sens qu’elles peuvent donner, apportent un autre éclat dans la dramaturgie d’un auteur. Celui-ci en propose les possibilités pour figurer dans la notion temporelle en tant que processus et, aussi, peut être pour sceller son côté esthétique.
Notre analyse évitera de voir le temps dramatique comme une chose abstraite – quand bien même c’est une donnée plus abstraite que l’espace –, elle va s’adjuger les indications de temps en fonction de grands moments de l’action, c’est-à-dire au début, au nœud et à la fin, selon la durée mesurable des événements (représentés) et de situations qui renvoient à la confrontation de deux moments de l’existence chez les personnages ; ainsi qu’à travers quelques signes temporels et les chronotopes. Car, en fait, ces quelques signes spatiaux peuvent donner au temps une réalité concrète bien que s’affichant à un contexte imaginaire et syncopé.
2.1. Le temps et sa chronologie
2.1.1. A l’exposition des pièces.
A l’ouverture des pièces, il y a tout de suite une préoccupation qui accapare l’attention, ceci a une implication pour la suite des événements ou sur le déroulement de l’action dramatique. L’atmosphère du début de chaque pièce fournit le background nécessaire et les premiers renseignements indispensables pour les événements qui vont se déclencher. De même que, comme le dit Anne Ubersfeld, le début de tout texte théâtral fourmille en indices de temporalité ; il se fixe en ancrage dans le temps quelque soient la nature et l’importance de l’action (le récit) dramatique. Au mieux, l’on sait que le récit comme, d’ailleurs le texte dramatique, sont de textes référentiels à déroulement temporel.
Le temps au début des pièces P.M, Biso et L.B.K est couvert par la musique comme une dimension (part) de détente. P.M dans un avant-midi en prison, montre l’assassin surprit par une musique que diffuse un poste de radio, parce que non seulement elle détend, mais elle interpelle par son thème peu ordinaire : « Mokolo nakokufa ». Un thème qui a rapport avec le temps funèbre. C’est une évocation temporelle qui plonge l’assassin hors du temps réel, le met en pleine méditation de sa propre disparition dans l’au-delà surtout qu’il est incarcéré en prison. Il commence à penser à son propre destin.
Une autre musique dans Biso, avec un ton plus mélodieux, plein d’allégresse, inonde le salon dans lequel se trouvent les filles étudiantes. Celles-ci sont sereines et s’occupent de quelque chose en ce début de l’après-midi d’un samedi ensoleillé. Tout semble aller pour le mieux. Alors qu’une musique, cette fois encore, évoque dans LBK trois époques de la RD Congo qui n’ont toujours pas offert des lendemains prometteurs. La pièce débute vers la fin de la journée pour retracer ces époques. La colonisation qui dure quatre-vingts ans avec comme conséquence, l’exploitation des ressources naturelles, la déportation, l’esclavagisme, l’évangélisation et l’instruction à la mode occidentale. A l’indépendance, des épisodes encore sombres ont émaillé l’existence d’un peuple qui aspire au bonheur et au progrès intégral. Après l’indépendance, la rébellion en fut l’un des moments malheureux.
Ainsi L.B.K, à la nuit tombée, fait l’évocation du début de la bataille et de la mort d’un soldat veilleur dans le camp des opérations. Situation qui ravive de plus en plus les inquiétudes des hommes de troupe campés dans la plaine de la Ruzizi. Pendant qu’au milieu de la matinée, la pièce T.S.F s’ouvre avec l’arrivée de l’oncle et la mère chez leur fils malade. Après deux nuits de repos à la maison et, comme apaisés de pouvoir enfin revenir au chevet du malade qu’ils ont quitté aussi pendant deux jours, ils sont accueillis par l’Epouse à l’entrée de la maison. Dans leur discussion, ils se rendent compte qu’en ville les véhicules affectés au transport public ne parviennent pas à résorber la difficulté de mobilité et de déplacement d’un lieu à l’autre. Difficulté de plus, au regard de l’augmentation quotidienne des dépenses auxquelles ils font face. Car depuis qu’ils sont en ville, le besoin d’argent est exarcerbant, tout exige l’argent, tout se vend parfois au mépris de la salubrité urbaine publique, accentuant par le fait même l’immoralité.
P.F.A met en évidence une autre difficulté qu’éprouvent, cette fois-ci, les villageois à remplir les paniers de manioc. C’est que la récolte reste insuffisante pour les repas et les provisions. La pièce commence à « l’heure du retour au village après une journée de travail en forêt ». Et, c’est le soir que les femmes et les hommes partis en forêt, reviennent au village. En ce moment, les villageois ressentent le besoin d’approvisionnement en nourriture, lequel besoin est repris, à sa manière, par le chef Manga, au conseil des notables.
Au milieu de l’avant-midi, l’Etudiant et sa sœur pensent à leur défunte mère. L’exposition de M.E reprend dans les dialogues les indications relatives au temps. On peut noter cette remarque de l’ami de l’Etudiant comme étant un reproche : « Tu dormais encore à cette heure ! » (Tab I, p. 18). Il ne comprend pas qu’au moment où il fait chaud, que l’on prenne le temps de dormir au lieu de vaquer à quelque occupation. La chaleur, sous les tropiques en Afrique, est un piment qui aide les africains à se lever tôt. Bien qu’ayant séjourné six ans en dehors du pays, l’Etudiant doit s’accommoder à ce climat chaud.
La climatologie au début de N.S est celle d’une forte chaleur. La température monte dans la soirée et la météorologie prévoit des orages et des ouragans qui vont surplomber le ciel sous lequel aura lieu la marche pacifique. Dans leur échange, le Meneur et l’Adjoint entrevoient les difficultés, parlent aussi de temps d’attente qui va durer toute la nuit et, certes, du temps qu’il fera demain, le jour de ladite marche. Ici, on peut noter aisément que les dangers que le Meneur et l’Adjoint redoutent tant, auront un cadre et ne se dérouleront pas hors du temps.
2.1.2. Aspects et longueur de temps dans le texte-action
P.M présente une action qui s’écoule pendant plusieurs jours. L’époque d’avant l’incarcération des adultes n’est pas connue, mais on peut bien se l’imaginer que cela représente une portion de vie des adultes. Un deuxième temps commence avec leur emprisonnement qui dure aussi un certain temps non précisé. C’est en prison que les péripéties sont divulguées, à partir de l’arrivée du jeune garçon. Ces péripéties prennent en compte l’espace d’une vie de chaque prisonnier, y compris le garçon. De même, L.B.K dure plusieurs jours et, précisément, des moments de troubles connus dans le pays, la RD Congo. Il s’agit d’un temps historique. Le temps, en effet, conjugue le temps actuel et deux époques : la colonisation et l’indépendance. La durée semble s’épaissir dans une réalité fictionnelle dont les traces s’en font sentir jusqu’à la fin de la rébellion. Celle-ci dure plusieurs mois.
T.S.F a une chronologie qui s’étale sur plusieurs années. Il y a la période des études en Europe, le retour au pays et celle de la maladie nécessitant le suivi dans les hôpitaux. La pièce particularise la période où le malade a rejoint son domicile. Ce temps est d’autant accentué par une tonalité dépressive : le temps biologique et psychologique. C’est aussi le temps de recherche de solution à la maladie qui paralyse l’époux. Le temps immobile sans aucune activité professionnelle du couple embarrassé et anéanti par des efforts vains.
M.E reprend aussi le même temps fictionnel qui part de séjour en Europe et de séjour au pays. Au pays, à l’image du feedback des obsèques de sa mère, le temps qui passe tend à décevoir les espérances de l’Etudiant. Ce temps s’étiole, au début il rime avec l’espoir de trouver du travail, synonyme de vivre à l’aise. Mais au fil des jours, il se durcit, s’écoule à contre sens. Au fait, le temps fictionnel se passe en quatre jours. Le premier jour, la scène débute au milieu de l’avant-midi pour s’achever dans la soirée. Le jour suivant consiste à la réception du directeur et le troisième jour est celui de l’accès du temps à un hors temps (la mort de la sœur), jour de rendez-vous fixé par le directeur. Enfin, le quatrième jour est couronné par le procès qui condamne l’Etudiant.
P.F.A se refère au temps de vie paysanne. La pièce commence au soir, quand les cultivateurs rentrent au village. Le lendemain, le chef Manga convoque un conseil des notables qui autorise la chasse et le feu de brousse. Au terme de cette aventure à laquelle Mayamu et Dititi s’en étaient désolidarisés, commence la période d’exil qui dure quelques mois. Le retour à Kipwala suppose un voyage qui prend aussi un certain temps. Le temps de défi ne dure pas longtemps pour donner lieu au combat. Ce combat se passe dans la journée qui clôture la pièce.
Par ailleurs, N.S commence aussi dans la soirée. Le temps s’assombrit par les suppositions et la détermination concernant la marche pacifique. Le temps de doute couve un temps tragique qui se lit à travers les faits et gestes des personnages. Le deuxième jour, les groupes sont dans la rue pour la marche. Ce temps, plus tragique, passe aussi vite qu’on a l’impression que l’action de la répression armée a été rapide. Tandis que Biso se déroule en une seule journée. Le matin les étudiantes s’évadent dans leur imagination libidinale et le soir, elles vont servir d’hôtesses au cours d’une réception au campus universitaire. C’est un temps de divertissement.
2.1.3. Rôle et réalisation temporels
La recherche de l’image de l’homme, de son semblable ou de soi-même, pour maintenir le véritable réel, se fait par réfraction et suggère que l’homme est le miroir de l’homme. Une pratique que le théâtre tend à perpétuer depuis Aristote dans La Poétique, qui constitue le premier ouvrage décisif, pour la connaissance de soi-même grâce au miroir qu’est le théâtre. Depuis, le rôle traditionnel du théâtre dans la société a été d’encourager le changement de parvenir à une transformation sociale. A travers les vicissitudes de son histoire, le théâtre fut critiqué, censuré et interdit, de fois même il fut fleuri entre les mains de tyrans ou dictateurs. Du côté du public, il a été admiré parce qu’il a suscité et continue à susciter l’éveil de la conscience de tous, à travers le monde.
Le théâtre aura instauré, comme le dit Patrice Pavis, « une dramaturgie fondée sur l’illusion et l’identification (…) bâtie autour d’un conflit, d’une situation ’’bloquée’’ (‘’nouée’’) à résoudre[143] », une position fréquemment signalée dans le Théâtre Poétique, celle d’Aristote. Michel Corvin lui aussi, confirme la même position : « ce que les auteurs montrent n’est que le jeu d’ombres sur le mur de la caverne platonicienne, le réel est ailleurs[144] ». Il va sans dire que vouloir se révéler à l’autre et au monde contribue au théâtre dans la manifestation d’un monde propice à la réalisation d’un monde immédiat (hic et nunc), dans un processus d’évasion, un parcours aux contingences du réel ou vers le réel.
Depuis, on compte diverses fortunes du théâtre, dont l’activité cathartique, réduite à l’idée d’une purgation, constitue encore, grâce à la fiction dramatique et à l’évocation possible des phantasmes, la part de réflexion au cours de temps sur les situations qui concernent l’homme. Il s’agit selon Brecht d’apprendre aux spectateurs « à se saisir en tant qu’objets historiques tout comme les personnages mis en scène, pris dans la texture de l’histoire, à ne plus se livrer au fatum qui légifère les personnages par le relais anesthésiant de l’identification, mais de réfléchir sur les situations qui les agissent[145] ». Ce qui, à coup sûr, fait de la transformation de la société un « acte de libération » comme le souligne particulièrement Brecht. Ce dernier note que « tout comme, la transformation de la nature, celle de la société est un acte de libération.
Ce sont des joies de la libération que devrait nous faire connaître le théâtre de l’Ere scientifique[146] ». Il s’agit en outre et d’une certaine manière, d’y voir la possibilité ou la marge de manœuvre de l’exercice du temps en tant que notion de science pour promouvoir toute interprétation possible et véridique.
A ce propos, Mikanza qui présente plusieurs traits à la transformation de l’homme, le réalise dans l’immanence de temps. Le théâtre lui-même ayant été produit et évolué à travers le temps, s’y réfère en permanence. Il relie ses thèmes dans le cours du temps, à travers le temps, une époque et une réalité. C’est ainsi qu’il en est des rapports entre les personnages qui sont souvent construits à partir de la relation qu’ils établissent avec le temps. Pour cela, Michel Pruner, parle par exemple, des dramaturgies de la jeunesse dans Roméo et Juliette, comme il en est de la vieillesse dans Le Roi Lear de Shakespeare. Toute une histoire est contée, une époque épinglée et les sentiments humains misent en exergue dans le cadre des relations interindividuelles. Au niveau des pièces de Mikanza et, en ce qui concerne la référence au temps, la dramaturgie dont il faut parler rime avec la sagesse et la préservation de l’avenir (P.F.A), la guerre (L.B.K), la responsabilité, la terreur et la cruauté (N.S), la responsabilité et la dignité (P.M, Biso), la fatalité et l’échec (T.S.F) la dignité, la fatalité et l’honneur (M.E).
Les axes temporels sur lesquels s’inscrivent ses personnages révèlent l’opposition, dans P.F.A de deux conceptions traditionnelles, dans L.B.K de deux camps différents et de manière simultanée deux forces inégales dans la bataille, même si l’une d’elles ne dispose pas de moyens adaptés. L’inégalité des rapports réapparaît dans N.S pour affirmer la violence contre la non-violence qui devrait aboutir à un procès accusant les méchants du pouvoir. Il en est de même pour la parodie de procès contre l’Etudiant (M.E), alors qu’il combat pour l’avènement dans le temps d’une société juste et humain, la mise en œuvre temporelle d’un ordre qui doit revenir à la normalité. Le procès de P.M quant à lui, porte sur l’irresponsabilité des adultes, personnages qui conduisent à l’effritement du socle de la vie familiale dont, seule la femme, semble en être la principale incriminée. Pendant qu’à juste titre, elle est mise en cause au travers les comportements de plus ostentatoires des filles étudiantes de la pièce Biso. Par contre, la femme de T.S.F et M.E, comme épouse et mère, donne le vrai visage d’une fidélité et de dévouement, support à la construction d’un édifice familial. Par là même, les actions de ses pièces de théâtre deviennent intemporelles. Cette intemporalité est conçue comme contemporaine du moment présent de l’actualité et, en paraphrasant Mihkaïl Bakhtine, de ce qui est déjà là au lieu de ce qu’on n’a jamais vu, afin de réaliser son importance dans l’espace-temps.
Une importance dans un développement au travers les figurations (apparitions) du temps et de l’espace, selon le sens et le rôle dans les pièces pour découvrir les situations (positions) particulières de la position axiologique, culturelle ou sociale des personnages ; notamment en ce qui concerne le temps qui induit un espace et vice-versa dans les figurations qui les caractérisent à mesure que les pièces de Mikanza en offrent la possibilité de lecture.
2.2. L’imprégnation de contexte « chronotopique »
2.2.1. Rappel et passage au texte du roman
L’espace et le temps sont deux notions non seulement qui permettent la compréhension du texte du roman, mais aussi, comme le dit K. Michael Hays, constituent un « mode de perception phénoménologique vers des structures ‘’textuelles multiples et différenciées[147]», des disponibilités et des essais de signification. Comme pour diversifier les possibilités d’analyse, le temps va être repéré cette fois-ci, non pas dans les didascalies et dialogues, mais plutôt, dans le caractère indissoluble du temps et de l’espace ; c’est le continuum spatio-temporel que Mikhaïl Bakhtine nomme : le chronotope.
A cet égard, comme procédé, le chronotope est une innovation qui revêt sa propre complexité d’autant plus qu’il fut emprunté aux mathématiques et, notamment adapté sur la base de la théorie de la relativité d’Einstein d’une part, et d’autre part, comme outil heuristique dans l’analyse littéraire. Ainsi, en littérature, ce terme se réfère aux problèmes de l’esthétique dont la base est à trouver chez E. Kant qui, dans son Esthétique Transcendantale (une partie de la Critique de la Raison pure) définit l’espace et le temps comme les conditions a priori de notre perception du monde, suivant l’entendement « le temps sur l’espace », c’est-à-dire le temps qui dispose de l’activité créatrice. Mikhaïl Bakhtine admet le jugement d’E. Kant en rapport avec la signification du temps et de l’espace pour le processus de la connaissance. En se référant à E. Kant, H. Mitterand note que la connexion temps-espace « n’est pas exactement réciproque, mais elle implique une subordination de l’espace au temps : chronotope, temps-espace et non pas espace-temps (qui est la formule d’Einstein). La théorie du chronotope est celle du temps romanesque plus que de l’espace romanesque. (…) c’est le temps qui dynamise et dialectise l’espace ; et dans le récit, c’est le temps qui dynamise la description aussi bien que la narration [148]».
Il faut dire que la notion de chronotope fut introduite par Mikhaïl Bakhtine dans un essai intitulé « Formes et temps du chronotope dans le roman » (1937-1938). Dans cet essai, il discute du développement du genre romanesque dès son début dans l’Antiquité jusqu’au XXème siècle, « tout en proposant quelques chronotopes centraux ou majeurs qui, selon lui, caractérisent le genre, et en laissant la porte ouverte à une diversité de chronotopes mineurs ». Il identifie donc les chronotopes à une réalité ou un thème[149], à une époque dans laquelle domine un genre romanesque ou un moment spécifique dans l’histoire du genre romanesque[150].
Le but est de faire connaître le lieu, le temps de l’action dans l’univers des personnages créés par le romancier. Il définit le chronotope comme le « temps-espace », la corrélation essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu’elle a été assimilée par la littérature. Le Dictionnaire de critique littéraire pour sa part, explicite cette notion comme étant une catégorie de forme et de contenu basée sur la solidarité du temps et de l’espace dans le monde réel comme dans la fiction romanesque. La notion de chronotope fond les indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. C’est le « centre organisateur des principaux événements contenus dans le sujet du roman [151]». Comme on le voit, cette notion réfute la pensée verticale qui sépare deux dimensions dramatiques intimement liées, mais évoque celle horizontale et associative, dans la mesure où elle appelle une structure pour aborder le rapport chronotope avec le contexte, le sujet, les événements, etc.
En plus, « cette fusion des indices spatiaux et temporels » qu’est le chronotope (ou indices du temps qui se découvrent dans l’espace), en littérature, a une importance notable pour les genres. Ces derniers, avec leur hétéromorphisme, sont déterminés par le chronotope ; de surcroît, c’est le temps qui apparaît comme groupe dominant des œuvres littéraires[152] ». Ainsi, nous disons d’emblée que le temps au théâtre « se conjugue au présent » ; il s’organise autour du présent bien que dans la texture, le récit ou l’action dramatique fasse référence au passé ou au futur. Ces temps entretiennent des relations avec le présent, plus généralement avec l’énonciation qui en est comprise, dans lequel sont situés les événements représentés et par lequel on définit et situe la problématique temporelle d’un texte (récit). Comme par ailleurs, l’on sait que le temps de l’écriture est toujours présent, du fait même de « l’ordre dans lequel les parties du texte doivent être lues, dans le cas le plus simple, temps de l’écriture et temps de la lecture coïncident[153]». Parfois cette temporalité d’écriture qu’on ne se doute pas, est à son tour représenté.
C’est un temps qui se veut présent, continuel « qui s’évanouit que pour laisser place à un autre présent sans cesse renouvelé [154]». Le chronotope dans la même fusion, établit aussi l’image de l’homme en action ou de l’homme dans son rapport avec l’espace-temps.
2.2.2. Les chronotopes ou les figurations du temps et de l’espace
2.2.2.1. Le chronotope à l’effet dramatique réel et historique
La reprise des faits ou événements dramatiques dans les pièces de théâtre de Mikanza cadre avec son espace culturel et social. Il les situe toujours dans son pays pour réduire la grande part que peut avoir le fictif face à la détermination de la réalité. Il opère pour cela, à trouver « une image du monde qui soit aussi concrète qu’abstraite, qui permette une métaphorisation spatiale et une expérience temporelle[155]». Ainsi fait, il produit une expérience sensible qui ne peut se dérober des situations que traversent son pays en particulier, et les pays africains en général.
Dans N.S, la première réplique de l’Adjoint retentit comme un écho lointain qui fut réveillé le Meneur de sa rêverie solitaire. Il se pointe devant lui, prononce ces mots : La vallée se noie dans la moiteur des vapeurs vespérales. L’Adjoint annonce la montée de la température du temps réel et du niveau de fermeté des groupes des manifestants. Aussi, le Meneur reconnaît qu’il fait chaud, la conséquence logique est qu’il n’y a « Point de vent. Pas la moindre brise rafraîchissante » (Mvt I, p. 17).
L’ouragan est la métaphore du pouvoir, de la réaction du pouvoir sur non seulement l’espace, mais aussi sur tout le temps qui couvrirait la marche pacifique. Certes, le passé a connu des échecs dont le Meneur s’en souvient, mais il ne veut pas qu’ils se reproduisent. Tout comme ce qui se passe dans les régimes politiques des pays africains, il redoute des représailles. Un autre échec, déclare l’Adjoint, et ce sera un châtiment exemplaire (Mvt I, p. 18). Le Meneur et l’Adjoint se proposent de maîtriser leur peur devant une telle probabilité atmosphérique qui s’annonce « avant l’orage ». C’est pour cela « au milieu de la fournaise ardente, il faut des têtes froides » (Mvt I, p. 19). Comme le temps qui précède la marche pacifique les préoccupe, l’allusion à la prévision atmosphérique est une comparaison à la mesure de la répression qu’ils redoutent tant.
Cette attitude à garder la tête froide conduit à resserrer les liens avec les groupes dont les chefs recevront au cours d’une ultime réunion à quatre heures du matin les dernières consignes, un moment où les têtes sont réellement froides. Cependant, la nuit tombe lentement pour ainsi entrevoir sa durée et l’attente d’un lendemain qui laisse derrière lui la tempête, à l’approche d’un ouragan et à l’encontre de la marche pacifique. L’incertitude mêlée à l’inquiétude semble connoter avec le rôle évident de la nuit. Celle-ci se dresse comme un obstacle de parcours :
Nuit ! longue nuit ! Jamais l’aube n’aura été attendue avec autant d’angoissante impatience. (N.S, Mvt III, p. 40).
L’attente se fait longue puisque le projet de la marche doit se concrétiser le lendemain. Pour réussir ce projet, le programme prévoit un rassemblement à six heures le même jour, à la Place de la Révolution. Le départ des groupes à sept heures pour se mêler à la masse des ouvriers se rendant à leur travail le matin, la rencontre à dix heures à la Place de l’Indépendance et à midi le retour dans leurs quartiers respectifs.
A l’opposé de l’ouragan se dresse le volcan, deux représentations sur le climat et le relief qui rendent le temps inaccessible au déroulement de la marche pacifique, comme le signale allègrement l’Adjoint :
N’y a-t-il pas un autre moyen d’arrêter ce volcan grondant qui, demain, se transformera en laves dévastatrices ? (N.S, Mvt I, p. 22).
Ce même volcan qui produit la chaleur, augmentant de ce fait la soif de l’eau, une eau qui manque chez le peuple. Cette eau aurait pu être fournie par « l’océan infini » pour éviter la colère populaire. Or, l’eau est gratuite comme celle de la source et des rivières. Elle ne peut en aucun cas être l’objet d’une interdiction du pouvoir public.
Aussitôt entré dans la chambre du Meneur, le Curé ne s’interdit pas de pouvoir l’interroger, empruntant une expression au temps climatique :
Mes enfants (…) Quelle est cette rumeur qui, tel un ras de marée, partout se propage. Oh que ne l’ai-je entendu plus tôt ? Quand sans doute, il était encore temps (N.S, Mvt V, p. 48).
Le Curé est conscient du danger que courent les groupes du Meneur, en essayant de contredire le système politique en place. Il rappelle que le pays a connu la vraie misère, le sang coulait partout suite aux représailles des militaires munis des mitrailleurs et d’autres armes faisant entendre les déflagrations des bombes et des grenades. Tout cet arsenal militaire uniquement pour faire taire la contestation des compatriotes. Ce qui confirme la thèse selon laquelle « ces militaires sont des fabricants de la mort ». A travers le Curé, nous pouvons établir un lien avec les événements tristes de la journée du 16 février 1991, lorsque la marche pacifique fut organisée par les chrétiens de Kinshasa dans le but de réclamer la poursuite de la Conférence Nationale Souveraine. Mais aussi, ce que notre pays a connu durant le règne de la dictature mobutienne. Un temps qui a répandu la mort.
Un autre temps surprend l’Etudiant qui apprend de sa sœur le récit de la mort de leur mère. Il reste pensif, tandis qu’il sait que « maman gardait toute sa santé ». Il s’enquit auprès de sa sœur de cette manière :
L’Etudiant :
Quelle est cette fièvre qui l’a emportée en si peu de temps ?
La sœur :
… la mort de papa a considérablement ruiné mère. Tu étais loin. Moi je travaillais déjà ici en ville. La vie de nos parents était réglée depuis longtemps dans une harmonie à deux. La mort de père a déséquilibré totalement sa femme. (M.E, Acte I, p. 10).
(…) Mais elle disait : « c’est inutile, ma fille. Je vais rejoindre votre père. C’est lui qui m’appelle au pays des ancêtres. (…) Quand votre père a quitté ce monde, il n’a vu, le pauvre, aucun de vous… Moi, j’ai la chance de te voir. Merci ma fille d’être venue si vite. Je vais partir (…) je m’en vais tranquille et sereine. Votre père et moi laissons notre bénédiction qui vous a soutenus jusqu’ici…( M.E, Acte I, pp. 11-12).
Il se dégage dans les paroles de la défunte mère une souffrance, considérée comme un sursaut de courage, avant de pouvoir quitter le monde des vivants, au regret tout de même de laisser des enfants seuls, bien qu’ils sachent se protéger et conduire leur vie comme bon leur semble. La mort est une étape (moment) qui commence une autre vie insoupçonnée et inconnue.
En Afrique, dit-on, les morts ne sont pas morts. C’est le cas de Banda dans Ville Cruelle qui proclame son respect pour les morts. Il admet que les morts sont toujours parmi les vivants et se mêlent dans leur existence. Ainsi, avant d’aller dans l’au-delà, la mère de l’Etudiant et de la sœur leur laisse un testament. Elle espère beaucoup les protéger en leur prodiguant de sages conseils. Elle en fit de la sorte par la voix en off :
(…) Hélas, les temps changent mais une mère, une femme de maison doit se respecter. (…) Je te bénis et à travers toi, je bénis ton frère au nom de votre père et en mon nom. Les ancêtres aussi vous bénissent. (M.E, Acte I, pp. 13-14).